Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Révolution

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 511-518).

RÉVOLUTION. — Nous toucherons très brièvement trois points :


I. Aperçu historique de la Révolution française.
II. L’esprit delà Révolution.
III. Origine de la Déclaration des Droits de l’homme.

I. APBRÇO HISTORIQUE 1>B LA RÉVOLUTION FRANÇAISE.

L’histoire de la Révolution française, quant à sa première période, se confond avec l’histoire du mouvement qui aboutit à la mort du roi Louis XVI. Qu’il suffise de renvoyer à l’article consacré ci-dessus à la personne de ce roi par M. Max. db la Rochbtbhib. Le rôle des sociétés secrètes dans les origines et le progrès de la Révolution a été mis en lumière p.ir M. G. Gauthkrot, à l’article Kuanc-Maçonnkrib, col. io4-iog. Nous prenons l’histoire du mouvement révolutionnaire à la date du 21 janvier 1793.

La Convention nationale (sept. 1792-oct. 179")). — On peut diviser en trois périodes l’histoire de la Convention : l’une va de ses débuts à la proscription des Girondins, la deuxième comprend le régime de la Terreur, et la dernière : la réaction thermidorienne suivie du 13 Vendémiaire.

a) Procès de Louis XVI, antagonisme de la Montagne et de la Gironde.

La Gironde forme la droite de la Convention, les Montagnards occupent la gauche et effraient les membres de la Plaine, lesquels, hésitants, pusillanimes, lâches souvent, mériteront bien l’appellation de « Crapauds du Marais ». L’antagonisme devint bientôt féroce entre la Gironde et la Montagne ; l’Assemblée et les journaux accusèrent l’acuité de la lutte. La province soutenait la Giron le, où M : iit- Roland jouait un rôle important ; la Commune, la populace, les Clubs appuyaient la Montagne. Le pr >cès de Louis XVI fut certainement engagé pour détruire la Gironde.

Le régicide du 21 janvier fut considéré comme un déli jeté à tous les souverains d’Europe et décida l’Angleterre, l’Espagne, la Hollande, la Russie à se joindre à la coalition déjà formée par l’Autriche, la Prusse et le Piémont. D’autre part, commençait le soulèvement de la Vendée qui allait s'étendre bientôt en Bretagne, dans le Maine et l’ouest de la Normandie. La Convention décréta la levée en masse de 300.ooo gardes nationaux et l'émission de deux milliards d’assignats. La Commune de Paris intervint pour exiger qu’on en finît avec les ennemis du dedans avant de s’occuper de ceux du dehors. Un

« tribunal criminel extraordinaire » et un « Comité

de Salut public » furent institués dans ce but. C’est en vainque Vergniaud déploya toute son éloquence contre la Commune. Robespierre et Marat disposaient des sections et de la populace, « poignée de brigands, rebut de l’espèce humaine », suivant le mot du grand orateur.

La dictature du Comité de Salut public marquait l’avènement delà Terreur.

b) Le régime de la Terreur.

Toutes les personnalités susceptibles de gêner le Comité furent mises hors la loi. La levée en masse fut étendue à tous les citoyens âgés de dix-huit à soixante ans. Les créances sur l’Etat furent transformées en rentes inscrites sur le grand-livre de la dette publique ; la loi du « maximum », contraignant les commerçants à fournir à un prix déterminé les denrées de première nécessité, détruisit la liberté des transactions. L'échafaud érigé place de la Révolution fonctionna quotidiennement. La reine Marie-Antoinette fut une des premières victimes. Aux Girondins succédèrent des Montagnards et le duc d’Orléans, Philippe-Egalité, dont le nom figurait cependant sur la liste des Régicides.

Une Constitution, dite « de l’An II », d’ailleurs inapplicable, dont Hérault de Séchelles était l’auteur, plaçait l’autorité gouvernementale dans les assemblées primaires, auxquelles devaient assister même les indigents… et chaque commune devait posséder son comité révolutionnaire.

La folie sanguinaire gagnait tous les coins de la France. Collot d’Herbois à Lyon, Barras à Toulon, Tallien à Bordeaux, Carrier à Nantes rivalisaient de cruauté. Chateaubriand devait plus tard qualilier ainsi ce régime : « La Terreur ne fut pas une invention de quelques géants ; ce fut simplement une maladie morale, une peste. » Aux supplices, aux massacres, aux exécutions s’ajoutait un délire d’impiété, dérivant plus ou moins directement des principes d’athéisme et de haine religieuse des philosophes, des voltairiens, des adeptes des sectes.

Ordre fut donné de détruire les objets du culte catholique, vestiges du fanatisme I Le caveau de SaintDenis, où reposaient les tombes de nos Rois, fut odieusement profané ; la châsse de sainte Geneviève fut brûlée en place de Grève. L'évêque constitutionnel Gobel fut acclamé à la Convention quand il déclara ne plus professer d’autre culte que celui de la liberté. L'église métropolitaine de Notre-Dame devint le Temple de la Raison, et, dans une cérémonie où triomphaient le grotesque et le ridicule, les autorités municipales vinrent en grande pompe se prosterner devant une déesse qu’incarnait une actrice de l’Opéra ! Les noms des saints étaient rayés du calendrier, le décadi remplaçait le dimanche ; les noms des mois étaient changés. Le Prussien Anacharsis Clootz se prétendait « l’ennemi personnel de Jésus Christ ». Des décrets avaient autorisé le divorce, assimilé les enfants naturels aux enfants légitimes et sapé ainsi les fondements de la famille chrétienne. 1011

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La névrose révolutionnaire était à son apogée. Cependant aux armées, des généraux, des administrateurs se révélaient. Jourdan, Hoche, Picliegru, Moreau, remportaient des succès et repoussaient les Allemands de l’autre côté du Rhin et les Autrichiens en Belgique. Au milieu des turpitudes de l’intérieur pénétraient quelques rayons de gloire militaire, mais les Anglais, maîtres de la mer, nous enlevaient les Antilles, Pondichéry, la Corse.

Au sein de la Convention, les Montagnards, débarrassés des Girondins, se divisaient et se dévoraient entre eux. Aux luttes des journaux le Père Duchéne et le Vieux Cordelier, correspondirent des batailles de tribune qui envoyèrent successivement à l'échafaud Hébert, Danton et ses partisans.

Robespierre semblait tout-puissant. Le meurtre de Marat, tué par Charlotte Corday, l’avait délivré d’un rival en popularité. Hautain, sûr de lui, il déclarait qu’on allait parvenir au « règne de la vertu » et, tout en faisant condamner Madame Elisabeth, Malesherbes, André Chénier, il incitait la Convention à reconnaître en ces termes l’existence de Dieu : « Le peuple français reconnaît l’existence de l’Etre suprême et l’immortalité de l'àme. »

Mais Robespierre s'était aliéné pas mal de Conventionnels, même parmi les Terroristes. Une réaction, timide toutefois, contre ce régime de la Terreur, commençait à se manifester dans l’opinion. Les assassinats juridiques de la Convention finissaient par écœurer la population. En quinze mois, à Paris seulement, la guillotine avait fait plus de 2.600 victimes et, comme les patientes investigations de Taink l’ont établi, « c’est l'élite du peuple, qui, dans le peuple, fournit la principale jonchée. » {Origines de la France contemporaine, tome III, Qv. IV, ch.i).

Les tribunaux ctaieut devenus des « boucheries » et, au début de 1794, il "'y avait pas moins de 6.000 personnes des deux sexes emprisonnées et en instance de guillotine.

Quand, le 8 thermidor, Robespierre prononce à la Convention son apologie et menace ses ennemis, il est l’objet de violentes attaques. Décrété d’accusation le lendemain, il s’appuie sur la Commune, laquelle proclame l’insurrection. Mais des défaillances se produisent dans ses troupes. Barras, à la tête de quelques sections, s’empare de l’Hôtel de Ville. Robespierre, Couthon, Saint-Just, gravissent à leur tour les marches de l'échafaud, où ils ont envoyé tant d’innocentes victimes… et la foule applaudit leur exécution.

c) La Réaction thermidorienne. Le 13 Vendémiaire. Les Conventionnels furent très surpris des ovations qu’ils recueillirent le 10 thermidor, à leur sortie des Tuileries. Ils n’avaient voulu faire qu’une révolution de palais sans changer autrement l’orientation de l’Assemblée, et ils apprirent que, dans l’opinion populaire, la chute de Robespierre signifiait la fin de la Terreur. Les prisons s’ouvrirent presque spontanément et les milliers de suspects qui les emplissaient firent place à quelques douzaines de terroristes, pour lesquels fonctionna encore la guillotine.

La Convention, subissant l’action de l’opinion, supprima la Commune de Paris, abolit la plupart des lois révolutionnaires, rétablit la liberté des cultes. Les Jacobins furent livrés à la risée publique et nmlestés par des jeunes gens, qui, tous le nom de Muscadins, armés de fortes triques, devinrent les maîtres de la rue. Le fameux club des Jacobins fut fermé et les restes de Marat, exhumés du Panthéon, furent jetés dans un égout.

Sur nos frontières, la guerre se poursuivait avec

des alternatives de succès et de revers. L’idée que le régime de la Terreur avait déterminé nos victoires et que la Convention en assumait tout le mérite, est contraire à la réalité et n’est plus soutenue que par des sectaires endurcis. La vérité est que la réorganisation des armées, la formation des cadres, l’amalgame des volontaires avec les vieux soldats des anciens régiments s’effectuèrent non pas grâce au gouvernement mais malgré lui, et ce n’est pas la guillotine, mais l’esprit militaire reçu par atavisme qui nous donna de bons généraux. Au début de 179, 5, Pichegru s’emparait de la Hollande, Jourdan conquérait la rive gauche du Rhin. Les deux traités de Bàle terminaient la guerre avec la Prusse et l’Espagne, rendant à la France ses frontières naturelles. A l’intérieur, la Vendée était momentanément pacifiée ; mais les ferments de discorde n’avaient pas disparu.

La multiplication des assignats, la guerre avec l’Angleterre, en amenant un renchérissement considérable des denrées, avaient entraîné une misère générale qui, dans les faubourgs, équivalait à une famine. Les Jacobins en profitèrent pour susciter les insurrections du 12 germinal et du I er prairial, que les sections thermidoriennes parvinrent à réprimer. De leur côté les royalistes ne restaient pas inactifs ; ils comptaient sur le débarquement de Quiberon, sur l’appui de Pichegru et sur un mouvement populaire à Paris. L'échec de Puisaye, la destitution de Pichegru, la journée du 13 vendémiaire, où, sous les ordres de Barras, un jeune otlicier d’artillerie, Bonaparte, mitrailla les sections royalistes, arrêtèrent un mouvement qui provoquait de grandes espérances dans toutes les provinces.

Avant de se séparer, la Convention avait voté la

« Constitution de l’an III », confiant à deux conseils, 

celui des Cinq-Cents et celui des Anciens, le pouvoir législatif et attribuant à cinq directeurs, élus par les conseils et renouvelables annuellement par cinquième, le pouvoir exécutif.

La Convention s’imaginait finir en beauté, en élaborant cette Constitution et en tâchant de l’aire oublier, grâce à ses armées, les turpitudes et les infamies sanguinaires delà Terreur. Elle livrait en réalité la France à l’anarchie, à la corruption, à la ruine financière intégrale.

Le Directoire (27 octobre 1795-9 novembre 1799). — Les premiers Directeurs étaient tous régicides. C'étaient Larevellière-Lépeaux, Letourneur, Reubel, Barras et Sieyès ; ce dernier, ne voulant pas « essuyer les plâtres », n’accepta pas et fut remplacé par Carnot. Il était ainsi acquis que le nouveau régime ne répudiait rien de l'œuvre révolutionnaire. Son autorité n'était pas grande : royalistes et jacobins extrémistes n’abdiquaient rien de leurs espérances.

La situation financière était désespérée. On crut habile de remplacer les assignats, dont personne ne voulait plus, par des « bons territoriaux » gagés sur une valeur fixe des biens nationaux ; on décréta un impôt forcé de 600 millions sur les personnes riches, impôt qui produisit à peine la moitié de la somme demandée, et finalement le Directoire, en consolidant sur le Grand Livre le tiers des créances de l’Etat, Ut une banqueroute qu’on peut évaluer à plus de trente milliards de francs. Cette débâcle financière donna prétexte à un agiotage scandaleux et à des actes de corruption auxquels les membres du gouvernement ne restèrent pas étrangers. L’incrédulité, le matérialisme, la débauche eurent libre cours. Les lois de proscription contre les catholiques furent remises en vigueur. A l’instar de Robespierre, Larevellière-Lépeaux voulut créer un culte et devint 1013

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le Grand Pontife de la « Théophilanthropie », l’organisateur de fêtes patriotiques où évoluaient processionnelleiuenl des officiants vêtus de robes Manches et ceinturés d’écbarpes tricolores. Ce culte fut éphémère, comme il était prévu, mais un autre jacobin fanatique, Gracchus Babeuf, après avoir exposé ses idées dans le Tribun du Peujtlr, fonda une secte revendiquant l’égalité absolue, le communisme. Il réunit un nombre considérable d’adhérents, et jugeant impossible de faire admettre ses théories par les gouvernants, il voulut les imposer par la force. — devançant aiusi les promoteurs de la dictature du prolétariat. Sa conspiration fut découverte ; il porta sa tête sur l’échafaud, et 388 de ses complices furent fusillés.

Dans les provinces de l’Ouest, Hoche était parvenu à réprimer les soulèvements de la Bretagne et de la Vendée, non sans que sa victoire de Quiberon et la promesse inexécutée de laisser la vie aux prisonniers jetât une ombre fâcheuse sur son honneur de soldat. Mais Charette et Stofilet n’étaient plus. Seuls les Chouans du Bas-Maine, de Normandie et du Morbihan continuaient à résister aux armées républicaines.

Bonaparte se couvrait de gloire en Italie. Après avoir conquis tout le nord de la Péninsule, conclu avec le Pape l’armistice de Bologne, remporté sur les Autrichiens les victoires d’Aréole et de Rivoli, il marchait sur Vienne, quand il fut arrêté par les préliminaires de Léoben, précédant le traité de Campo Formio (17 octobre 1797), qui donnait à la France la Belgique, la rive gauche du Rhin et lui subordonnait les républiques helvétique, ligurienne, cisalpine.

L’Angleterre allait pour un temps rester notre seule ennemie.

Toutefois, à l’intérieur, les luttes parlementaires continuaient. Une majorité hostile au Directoire sortit des élections de l’an V. Letourneur, personnage assez insignifiant, ami de Carnot, fut remplacé par un diplomate réputé monarchiste : Barthélémy. Une politique nouvelle est déclanchée ; les Conseils rapportent la loi du 3 brumaire qui déniait aux parents des émigrés le droit d’occuper des fonctions publiques. Alors le Directoire se résout à un coup de force, suggéré par Barras et exécuté par Augereau. Sous la menace des baïonnettes, les Conseil s décident la déportation de 53 de leurs membres (18 fructidor), l’envoi à Cayenne de deux des directeurs, Barthélémy et Carnot, que remplacent Merlin de Douai et François de Xeufchàteau, l’arrestation de Pichegru, la destitution de Moreau. La loi du 3 brumaire est rétablie, la liberté de la presse supprimée… L’année suivante (l’an VI), les électeurs, pensant que le vent souffle à nouveau en faveur des Jacobins, envoient aux Conseils une majorité révolutionnaire. Allait-on revivre les journées de la Terreur et assister à de nouvelles hécatombes ? Le Directoire effrayé accomplit, sans grande violence d’ailleurs, un coup d’Etat, le 22 floréal, en annulant dans nombre de départements l’élection des députés élus et en proclamant à leur place les candidats qui n’avaient recueilli que la minorité des suffrages. Au reste, depuis le 9 thermidor la politique ne semblait guère passionner le peuple de Paris. L’on songeait à s’amuser, à danser, à jouer. Il semblait aux Parisiens qu’on n’avait d’autres soucis, d’autres sujets d’admiration que les modes audacieuses, les bals de Bagatelle et de Tivoli, les coiffures nouvelles lancées par les « Merveilleuses », les robes transparentes et les jambes nues. La description des toilettes de MmeTallien tenait plus de place dans les gazettes que les événements politiques et militaires. Il était visible cependant que les victoires de Bonaparte

avaient rendu le jeune général populaire, et que, parfois, les regards se tournaient vers lui.

Les Directeurs ne lui étaient pas sympathiques ; il avait méconnu leurs instructions en ne se dirigeant pas vers Rome lorsque ses victoires d’Italie lui en avaient ouvert les voies. Ils lui confièrent le commandement d’une armée réunie dans les ports de la Manche et destinée à un débarquement sur les côtes anglaises, mais Bonaparte n’avait pas grande confiance dans le succès d’un pareille opération. Il suggéra au Directoire l’idée d’une expédition en Egypte. N’était-ce pas le meilleur moyen de frapper l’Angleterre que de prendre Malte, de s’installer en Orient, de lier partie avec le sultan du Mysore ? Le projet fut agréé ; il avait l’avantage d’envoyer au loin Bonaparte et, pour ne pas ébruiter les choses, les troupes et les navires concentrés à Toulon, furent baptisés : Aile gauche de l’Armée d’Angleterre. On sait les résultats de l’expédition. Les victoires sur terre lurent frappées de stérilité par la destruction de la Hotte de l’amiral Brueys à Aboukir, mais une auréole de gloire, nimbée des mystères de l’Orient, ajoutait au prestige de Bonaparte, tandis que la France s’inquiétait de la formation contre elle d’une nouvelle coalition (Angleterre, Autriche, Russie), que Jourdan était battu à Hellensberg et que Souvarov conquérait la Cisalpine.

Sans hésiter, Bonaparte abandonna son armée, s’embarqua sur une frégate, et, échappant presque miraculeusement aux croisières anglaises, arriva à Saint-Raphaël. L’enthousiasme qui l’accueillit lui fit pressentir le rôle de premier plan attendu de lui. Etait-ce un appel au soldatdont l’écho lui parvenait ? En tout cas, au milieu des turpitudes du Directoire, de la veulerie générale, des dangers qui menaçaient le pays, à l’intérieur comme au delà des frontières, en raison d’une réaction catholique provoquée par les débordements du matérialisme et des souvenirs réveillés des traditions monarchiques, il semblait qu’un dictateur était attendu… Sieyès, l’abbé défroqué, avait le sentiment qu’un coup de force répondrait aux aspirations générales ; il en préparait le plan et naturellement l’orientait à son profil. Un concours militaire lui parut nécessaire et il s’adressa à Moreau, lequel, indécis, lui conseilla de s’aboucher avec Bonaparte. Les épisodes du 18 brumaire sont suffisamment connus pour qu’il soit inutile de les rappeler. Toutefois certains détails ont été discernés et relevés dans un livre récent(Z> Dix-huit Brumaire, par J. Bainville. Hachette, 1925), qui mettent en valeur l’utile appui donné à Bonaparte par Joséphine. En véritable actrice, celle-ci parvint à endormir les soupçons de Gohier, qui présidait alors le Directoire et lui faisait une cour assidue. Un prétendu attentat des terroristes contre la représentation nationale prépara les esprits au coup d’Etat plus politique que militaire qui, grâce à la complicité des Anciens et au sang-froid de Lucien Bonaparte, substitua au Directoire usé, pourri, méprisé, un pouvoir nouveau paraissant assurer l’ordre, sauvegarder la vraie liberté. Trois consuls, un tribunat, un earps législatif, un sénat conservateur formaient les grands rouages d’une Constitution que ratifièrent plus de trois millions de suffrages. Les trois consuls installés le 21 brumaire étaient Bonaparte, Sieyès et Roger-Ducos. Bien qu’ayant rédigé la Constitution, Sieyès fut vite éliminé par Bonaparte proclamé premier consul, qui allait encore s’illustrer dans la nouvelle campagne d’Italie et triompher des Autrichiens à Marengo.

Il est admis que l’histoire de la Révolution française s’arrête au 19 brumaire ; le Consulat et l’Em1015

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pire forment une autre période de nos annales. Mais ce serait une grave erreur de croire qu’à cette date la Révolution est close. Elle va continuer à tracer son fatal sillon en Europe et dans le monde, à étendre le champ de ses ravages, et cela d’autant plus aisément que les principes dont elle procède seront inscrits dans les lois et dans les traités internationaux.

En substituant à l’ordre politique et social voulu par Dieu, conforme à la Tradition, un ordre nouveau fondé sur la philosophie athée et le Contrat social, la Révolution déclanchait, suivant l’expression de Joseph de Maistre, « une convulsion générale du iiiunde. » Et, après 136ans écoulés, cette convulsion est loin d’être calmée. On put croire à certains moments qu’une réaction énergique viendrait à bout de cette terrible maladie. Quand le Concordat fut négocié, l’on crut à une sincère pacilication religic. ise, mais les articles organiques, rédigés sans aucun accord avec le Saint-Siège, n’avaient d’autre objet que d’enlever à l’Eglise une part de sa liberté el de son autorité légitime. Les armées de la République et de l’Empire avaient répandu dans toute l’Europe les théories révolutionnaires. L’émancipation des Juifs, dont l’action sur les sociétés secrètes et la Franc-maçonnerie était patente, amplilia cette propagande. Quant à Napoléon, Thiers l’a justement qualifié en écrivant qu’il allait, « sous les formes monarchiques, continuer la Révolution dans le monde. »

La Restauration, la Sainte- Alliance marquèrent des temps d’arrêt de courte durée dans cette course à l’abîme. La Révolution de 1848 lui donna un nouvel essor.

On peut dire que les persécutions religieuses, la loi du divorce, le principe des nationalités (créateur de l’unité italienne et de l’unité allemande), l’axiome bismarckien : « la force prime le droit », la laïcité, les théories socialistes et communistes, le droit des peuples à vivre à leur guise leur vie, la dictature du prolétariat avec ses horribles hécatombes…, tout cela procède à divers titres et avec des modalités distinctes delà Révolution française.

Il n’est pas possible de donner ici une bibliographie, même sommaire, de l’histoire delà Révolution. Mentionnons toutefois les publications spéciales qui ont assumé cette lâche : M. Tournbux : i° Les Sources bibliographiques de l’histoire de la Révolution française (Paris, années 1898 et suiv.) ; 2" Bibliographie de l histoire de Paris pendant la Révolution t (Paris, îSyo et suiv.) — A. Tubtby, Répertoire des sources manuscrites de l’histoire de Paris, pendant la Révolution (Paris, 18<jo et suiv.). — H. Hui’fkr, Quellenztir Gesehiekte der franz. Révolution. (Leipzig. 1901 et suiv.). — A. Lumbroso, Bibliographies ragionata dell’Epoca Napoleonica (Home, 18g5 et suiv). Et signalons encore, parmi les plus récentes publications : Bernard Fay. /.’esprit révolutionnaire en France et aux Etats-Unis à la fin du xviu 1’siècle.

— The Cambridge Modem Ilistory, planned by lord Acton. Vol. VIII. The French Révolution (Cambridge ; . — D" CaBANÈS et Nass, La Névrose révolutionnaire . (Paris 1906). — Nesta H. Wobster, The French Révolution (London, 1930), — J. Bainvillk, Le Dix-huit brumaire (Paris, 192 r >).

Roger LaMBBXJN.

II. L’Esprit de la Révolution. — A. Le mut Révolution. — B. Ambitions révolutionnaires. — C. Objections en faveur de la Révolution contre l’Eglise.

A. Le mot : révolution. — Ce mot signilie : i° le changement des alfaires publiques, de la politique

humaine : en ce sens général, la révolution peut être bonne ou mauvaise, légitime ou illégitime ; et nous n’avons pas à nous en occuper ; a l’ensemble des faits survenus en France de 1789 à 1801 ; c’est ce qu’on appelle la Révolution française, et ce n’est pas d’elle seulement, quoique ce soit d’elle principalement, que nous devons traiter ici ; 3° le vaste système, théorique et pratique, de vie individuelle, familiale, sociale et internationale, qu’un grand nombre d’écrivains et d’hommes d’action s’efforcent, depuis environ un siècle, de substituer au système antérieur qui s’inspirait, dans une large mesure, des principes chrétiens : c’est là, croyons-nous, la véritable définition de la Révolution, telle que l’Eglise et la théologie doivent la considérer ; et c’est dans ce sens que nous allons nous-iuême l’examiner.

B. Ambitions révolutionnaires. — La Révolution essaie : i° de ramener l’homme individuel au pur rationalisme. C’était le rêve de Rousseau. L’Église ne saurait transiger sur ce point, sans se nier elle-même et sans détruire le christianisme. Tous les Papes depuis cent ans, et le concile du Vatican de 1870, ont donc condamné hautement cette forme de la Révolution, et il est aussi superflu de citer leurs témoignages que de les justifier. 2 La Révolution essaie de déchristianiser la famille, en lui ôtant son caractère religieux, son lien sacramentel, son indissolubilité, voire même son unité et jusqu’à son existence, puisque beaucoup de révolutionnaires la remplacent en théorie, el parfois en fait, par le concubinage, le phalanstère et l’amour libre. L’Église ne saurait non plus transiger sur ce point, et Pie IX, Léon XIII surtout, ont affirmé plus fortement que leurs prédécesseurs les lois et les droits sacrés de la famille. (Voir les art. Divohcb, Mariage) 3° La Révolution essaie de mettre l’Église et son influence, Jésus-Christ et sa religion, Dieu et enfin tout principe spirituel, en dehors du fonctionnement social : c’est ce qu’elle avait tenté en France à partir de 1793, ce qu’elle tenta de nouveau à Paris en 1870, ce qu’elle voudrait recommencer partout où le matérialisme et le nihilisme peuvent s’introduire. La destruction de tous les liens qui rattachent l’État à l’Église, la négatif n du pouvoir civil, la ruine du pouvoir temporel des Papes, l’exagération de toutes les libertés politiques poussée jusqu’à la licence complète, sont les principales manifestations de cette action révolutionnaire, contre laquelle il est évident que l’Église ne peut que réagir de toutes ses forces. (Voyez les art. Églisb, Liberté, Papauté, Pouvoir Politique, Pouvoir temporel, etc.) ! ° La Révolution essaie de remplacer dans les rapports internationaux le droit par la force et la conscience par l’intérêt, jusqu’à la destruction, s’il est possible, de toute distinction et de toute barrière entre les peuples qui ne feraient plus qu’une immense société sans Dieu et sans âme. Comment supposer que l’Église puisse jamais s’associer à de pareils crimes sociaux et à de pareils songes ?

Il y a divers degrés assui émentdans laRévolution, et tous les révolutionnaires ne vont pas jusqu’aux extrémités que nous avons signalées. Mais, l’on peut et l’on doit le constater, la logique rattache toutes ces conséquences aux principes du naturalisme et du rationalisme. Le diable est logicien, disait Dante. Aussi le concile du Vatican (dans le PrologMO de sa première Constitution dogmatique), a-t-il en raison de rattacher la Révolution contemporaine, dont les excès nous font frémir, à la révolte religieuse et souvent déjà politique et sociale duxvi* siècle. Quel en sera le terme ? Nous l’ignorons ; mais l’Église nous affirma (fbid. et S. S. Léon XIII, passim) que, si la société humaine doitéchapper aux catastrophes don îoi :

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la Révolution la menace, ce sera uniquement par un sincère retour aux enseignements et aux lois du catholicisme.

C. Objections en faveur de la Révolution contre 1 Église. — Parmi les objections faites en faveur de la Révolution contre l’Eglise, nous omeltonscelles qui se réfèrent à des points de doctrine, de morale ou d’histoire, discutés en d’autres articles de cet ouvrage, auxquels le lecteur voudra bien recourir. Les suivantes ont un caractère spécial qui doit nous arrêter quelques instants. — i° La Révolution est un produit fatal de l'évolution du genre humain. — a° Elle est née du progrès, elleengendrele progrès, elle est le progrès lui-même. — 3" Elle est le droit essentiel de l’homme, qui peut changer de régime politique lorsqu’il y trouve son plaisir ou du moins son utilité — 4' Elle est le légitime avènement au pouvoir et au bien-être, des classes jusque-là incapables du empêchées d’en jouir. — 5° Qu’est-ce que le christianisme lui-même, à son origine, sinon une des formes de la Révolution ? — G Si la Révolution est actuellement en oppositition avec lui, c’est qu’il a eu le tort de se transformer en institution politique. — -° La Révolution n’est antipathique au clergé et aux catholiques qu’autant qu’ils sont hostiles ou réfractaires aux lois. — 8° La Révolution est donc un fait très acceptable pour l'Église, si l’une et l’autre consentent à être raisonnables. — y° D’autant plus que Ijl Révolution a débarrassé l’fc, glise du gallicanisme et du joséphisme, c’est-à-dire de la tyrannie de l’Etat. — io° Aussi, dans un rare moment de justice et de reconnaissance, l'Église a-t-elle sanctionné la Révolution, en France d’abord, par le Concordat de 1801, et ailleurs ensuite par des actes analogues.

Laissant de côté certains détails et certains faits d ordre historique ou diplomatique, plutôt que théo logique et philosophique, nous répondons :

i° L'évolution fatale du genre humain produisant fatalement la Hévolution, est un rêve, et en même temps une erreur grave contre les dogmes certains ('.u gouvernement du monde par la divine Providence, i t de la liberté de l’homme dans ses actes publics comme dans ses actes privés. Ce qu’il y a de fatal dans la vie des peuples, ce sont les conséquences de leurs vices et de leurs passions. Aussi doivent-ils réagir contre fie sifunestes entraînements. La Révolution est entrée dans le monde, parce que le monde a librement consenti aux suggestions de l’orgueil, de l'égoïsme et de la volupté.

2' J Certains progrès mal équilibrés et mal réglés ont pu accompagner et même faciliter les débuts de la Révolution, comme ils peuvent encore accompagner et faciliter son développement ; mais elle n’est pas la fille du véritable progrès t elle n en est pas le signe, elle n’en est pas la cause, elle n’est pas le proirc5 lui-même : l’analyse que nous avons faite tout à l’heure de 6es éléments le prouve sans réplique.

3° il est faux que l’homme puisse légitimement changer de régime politique pour son plaisir ou son intérêt : il y a des principes de prudence, de justice, de charité, d’obéissance, qui ne se changent pasainsi à la légère, et dont l'Église catholique est l’incorruptible gardienne. (Voyez Pouvoir politique [Origiîjb du].) Du reste la prospérité des peuples ne va pas sans une certaine stabilité des institutions politiques et sociales.

4* Il est souhaitable, il est même nécessaire, que le bien-être soit abondamment départi à toutes les classes de la société, encore que la suppression complète de la pauvreté et l'égalité absolue dans la répartition des richesses soient des utopies aussi dangereuses qu’irréalisables. Mais il n’est pas néces saire, il n’est même pas possible, que le pouvoir soit effectivement et pareillement exercé par tous les citoyens. Il est impossible surtout qu’une société existe sans autorité et sans subordination. La Révolution, pour être légitime, et socialement possible, devrait donc d’abord abandonner quelquesuns de ses principes fondamentaux ; mais peut-être ne serait-elle plus la Révolution.

5° Non, le christianisme ne fut à aucun degré, même dans ses origines, un mouvement révolutionnaire. Il ne détruisait aucune des bases religieuses et sociales sur lesquelles Dieu a constitué le genre humain. Il les rappelait, les affermissait, les élargissait, les consacrait, oui sans doute, mais rien de plus. Notre-Seigneur Jésus-Christ et ses apôtres ont rendu à César ce qui était à César, parce que Dieu le leur avait donné ; et jamais l’Eglise n’est sortie de ce programme. Le système de politique chrétienne, auquel la Révolution essaie de se substituer, était, quant à son essence, appliqué dans l’Ancien Testament et dans la tradition des plus anciens patriarches. La Révolution est donc opposée aux premiers actes du Créateur, comme aux derniers du Rédempteur.

6° Le christianisme a souverainement déplu à la Révolution, non seulement en raison de ses attaches extérieures avec les institutions politiques d’autrefois, avec l’ancien régime, mais aussi et principalement en raison de l’opposition absolue qu’il lui est impossible de ne pas faire à l’idée génératrice de la Révolution, telle que nous l’avons exposée en tête de cet article. — En France, sur la fin du dernier siècle, et même à certaines dates de celui-ci, l’Eglise a été persécutée comme Église, comme institution spirituelle et surnaturelle, comme œuvre de Jésus-Christ ; et il en a été de même chez d’autres nations. La Révolution est donc, qu’elle l’avoue ou non, anticatholique et antireligieuse.

n* Le clergé et les fidèles ne sont hostiles ou réfractaires aux lois civiles que si elles sont mauvaises, anticatholiques, c’est-à-dire quand elles ne sont pas de vraies lois. Si la Révolution n’en faisait point de telles, elle n’aurait pas à se plaindre d’eux. Mais comment peut-elle leur reprocher de la méfiance et de l’opposition, quand c’est elle-même qui prend l’initiative du conflit ?

8° L'Église l’a prouvé en maintes circonstances : elle est condescendante, conciliante, compatissante ; elle oublie facilement les blessures qu’on lui a faites et les désastres qu’on lui a causés. N’a-t-elle pas effacé, par exemple, d’une main toute généreuse, le compte effrayant des spoliations dont elle a été victime depuis un siècle, en France, en Amérique, en Espagne ? Mais la générosité et la bonté ont des bornes, qu’il serait déraisonnable de franchir : elle ne les franchira jamais. Si la Révolution voulait, à son tour, montrer autant de raison, de charité et de bonté, l’accord serait bien près de se faire. Quand nous en serons là, les faux principes et les faux dogmes révolutionnaires n’auront plus guère d’influence sur le genre humain.

9° En effet, la Révolution a brisé un certain nombre d’entraves sous lesquelles gémissait l’Eglise ; elle a fait disparaître du même coup certaines conditions et situations fâcheuses, notamment pour l’honneur et la moralité du clergé séculier ou régulier. Nous voudrions sincèrement en remercier la Révolution ; mais nous sommes malheureusement forcés de constater qu’elle nous a fait ce bien sans bonne intention à notre endroit, et qu’elle a autant que possible conservé ou forgé à nouveau ces entraves d’ancien régime, ces lois et ces tendances gallicanes, joséphistes, qu’elle devrait répudier corn101 ! »

REVOLUTION

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plèteinent au lieu de chercher à en tirer elle-même parti et protit.

io° Ni le Concordat de 1801 ni les autres qui ont suivi ne sont une sanction accordée par l’Eglise à la Révolution considérée dans ses principes et dans ses procédés, mais seulement une régularisation de certains faits nouveaux qui en résultent. Les principes et les procédés révolutionnaires à l’endroit de l’Église sont intrinsèquement mauvais, et conséquemment ne sauraient être approuvés parlEglise : elle les subit, elle les tolère quand elle ne peut les empêcher, voilà tout. Mais les faits nouveaux, les situations nouvelles, créés par la Révolution, ne sont pas tous intrinsèquement mauvais ; souvent ils sont d’eux-mêmes indifférents, et par conséquent l’Eglise peut les régulariser et en tirer parti pour la sanctification des peuples. C’est ainsi qu’elle a pu consentir à faire de nouvelles circonscriptions métropolitaines et diocésaines, à donner une organisation nouvelle aux paroisses, à assurer un mode nouveau de subsistance pour le clergé, à conférer au gouvernement un droit de nomination pour les évêchés, etc. Mais elle n’a point entendu, elle n’a pu vouloir, par ces concessions, déclarer légitimes les actes d’injustice et d’impiété par lesquels les anciens rapports de la Religion et de l’Etat avaient été violemment brisés. Cette distinction estd’une grande importance.

Ribliographib. — Voir surtout : Mgr Fréppel, La Révolution française, A propos du centenaire de 1789 ; et les récentes histoires de l’Eglise pendant et depuis la Révolution ; Pierre de la Gorce, Histoire religieuse de la Révolution française. 51n-8°, 19091923.

J. DlDIOT.

III. Origine de la Déclaration des Droits de l’iiommb. — Il semble que les rédacteurs de la Déclaration de 1789 n’étaient pas, en principe, mal intentionnés. Ils n’avaient pas la volonté de nier sciemment les droits de Dieu sur l’homme et la société, ni de séparer l’idée de droit de l’idée de devoir.

L’un.les rapporteurs du Comité chargé de l’élaboration de la Constitution de 1791, Mgr de Cicé, archevêque de Bordeaux, a précisé ainsi l’intention des rédacteurs de la Déclaration : « Nous avons jugé, a-t-il dit à l’Assemblée constituante, que la Constitution devait être précédée d’une Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, non que cette Déclaration pût avoir pour objet d’emprunter à des vérités premières une force qu’elles tiennent de la morale et de la raison, qu’elles tiennent de la nature qui les a déposées dans tous les cœurs auprès du germe de la vie ; mais c’est à ces mêmes litres que nous avons voulu qu’à chaque instant la nation pût y rapporter chaque article de la Constitution dont elle s’est reposée sur nous. Nous avons prévu que si, dans la suite des âges, une puissance quelconque tentait d’imposer des lois qui ne seraient pas une émanation de ces moines principes, ce type originel et toujours subsistant dénoncerait à l’instant à tous les citoyens le crime et l’erreur, g (Moniteur, 25 juillet 1789).

C’est pour ce motif que la Déclaration des Droits de l’homme rend hommage à Dieu, avec sans doute, la phraséologie ampoulée du temps : « En présence et sous les auspices de l’Etre suprême, porte le préambule, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare les droits suivants de l’homme et du citoyen. »

On peut encore reconnaître que la Déclaration des Droits a essayé de protéger les droits individuels contre l’oppression de l’Etat. M. Hauriou a fort bien

fait ressortir cette tendance : « Si ces déclarations, écrit-il dans son Précis de droit constitutionnel, ont eu le tort d’enfermer tout l’ordre individualiste dans les libertés individuelles, en revanche elles ont eu le mérite : i° d’allirmer la foi en le caractère naturel des droits individuels, foi qui rejaillit sur tout l’ordre individualiste ; 2 de fonder juridiquement la limitation de la puissance de l’Etal par l’ordre individualiste. Ce serait une grande erreur de ne voir dans l’affirmation des Déclarations sur le caractère

« naturel et sacré » des droits individuels, qu’un

écho littéraire des doctrines d’une certaine école constituée après la Renaissance, l’école du droit de la nature et des gens. Il y a, dans le grand mouvement dont sont sorties les Déclarations des Droits, bien autre chose qu’une opinion doctrinale, il y a un mouvement de foi profonde en l’idéal qui avait toujours animé la civilisation classique. » (Maurice Hauriou, doyen de la Faculté de droit de Toulouse. Précis de droit constitutionnel, p. 56, Paris, 1923).

Malheureusement, au lieu de se laisser guider, pour délinir cet idéal, par le catholicisme, qui représentait à la fois la certitude non seulement de la Vérité révélée, mais encore de la loi naturelle, et qui correspondait traditionnellement au génie français, la Déclaration des Droits s’en est allée chercher ses inspirations aux sources dangereuses de la philosophie du xvme siècle et principalement des philosophes anglais, « Conservons les principes pour nous, disait de Landine à la séance de la Constituante du 3 août 1789, et hâtons-nous de donner aux autres les conséquencesqui sont les lois elles-mêmes. Locke, Cumberland, Hume, Rousseau et plusieurs autres ont développé les mêmes principes ; leurs ouvrages les ont fait germer partout… La plupart d’entre vous n’ignorent pas les idées vastes que ces philosophes ont répandues sur la législation des empires, et nous ne les perdrons pas de vue dans la seule application que nous avons à en faire. »

On a recherché quels sont les écrivains qui ont plus spécialement inllué sur la rédaction de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. M. Esmain, qui a particulièrement étudié cette question, arrive aux conclusions suivantes : « Les écrivains dont l’influence est prépondérante et reconnaissable dans la Déclaration de 1789 sont au nombre de deux. C’est en première ligne Locke. C’est à lui d’abord qu’on doit la conception claire des droits de l’homme, distinets des droits du citoyen, et de lui procèdent directement les articles 1, 2 (Montesquieu et Blakstone y ont fourni la sûreté), 3, 13, 14 et 17 de la Déclaration de 1789. » M. Esmain rattache à Montesquieu, dans l’Esprit des lois, les articles 7, 8, 9, et il conclut que le « surplus est pris dans la doctrine générale et courante du xviii* siècle. » (Esmain, professeur à la Faculté de droit de Paris Eléments Je droit constitutionnel, p. 556, note Go, tome 1 er, 7e édition, Paris, 1921).

Or, ni Locke, ni Montesquieu, ni ltousseau ne sont, hélas ! des guides sûrs pourctablir une Déclaration destinée à servir de base à un Etat, précisément parce qu’ils ont les idées les plus fausses sur l’origine même de la société. Ce sont de mauvais bergers qu’on choisit pour conduire un peuple I

Locke, dans son Essai sur le gouvernement civil, professe que la société civile n’a et ne peut avoir pour principe créateur que le consentement de ses membres. A ses yeux, comme à ceux de Rousseau, qui s’est du reste inspiré de l’ouvrage de Locke, les descendants des premiers associés ne font partie de la société civile que par leur propre consentement. Montesquieu se rapproche de Rousseau quand il dit dans l’Esprit des lois que « comme les hommes ont 1021

RÉVOLUTION

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renoncé à leur indépendance naturelle pour vivre sous des lois politiques, ils ont renoncé à la communauté naturelle des biens pour vivre sous des lois civiles ». (Esprit des lois, 1. XXVI, c. xv)

Ouant à Rousseau, on connait la triple et formidable erreur de son système social :

L’homme est né bon et heureux, c’est la société qui l’a corrompu et rendu malheureux : « Je vois l’homme, dit Rousseau, se rassasiantsous un chêne, se désaltérant au premier ruisseau, trouvant son lit au pied même de l’arbre qui lui a fourni son repas ( ?)… Il n’a nul besoin de ses semblables et n’en reconnaît peut-être aucun individuellement… (Rousseau, Discours suri origine de l’inégalité parmi les hommes ) Tout ce qui nest point dans la nature a ses inconvénients, et la société civile plus que le reste. » (Contrat social, 1. II. c. xv).

L’homme, devenu mauvais par l’invention de la métallurgie et de l’agriculture, décide, pour parer à ses maux, de s’associer par un contrat, sans cependant renoncer en rien à sa liberté. « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la f.nee commune la personne et les biens de chaque associé et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui-même et reste aussi libre qu’auparavant » (Contrat social, 1. I", c. vi), tel est, suivant Rousseau, le problème. Et » il donne cette invraisemblable solution : o Chacun, se donnant à tous, ne se donne à personne, et comme il n’y a pas un associé sur lequel on n’acquière le même droit qu’on lui cède sur soi, on gagne l’équivalent de tout ce qu’on perd et plus de force pour conserver ce qu’on a 1’(Contrat social, 1. ! ’, c. vi). Comprenne qui pourra !

Enfin, ce Contrat social (le Contrat social a été condamné, dès le 16 juin 1766, par un décret de Clément XIII), serenouvelle incessamment entre les nouveaux venus sur la terre elles associés survivants (Contrat social, 1. IV, c- h), si bien que la société ne repose que sur un contrat librement consenti par chaque génération, que dis-je ? par chaque individu !

C’est cette influence Hu Contrat social, pénétrant la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, qui en constitue le danger.

« En présentant la société, écrit M. de Vareilles-Sommières, 

comme un état moins bon et moins heureux que l’état de nature imaginaire qui l’aurait précédée, et en disant aux hommes que cette société est leur œuvre, on peut les précipiter dans la tentative insensée de dénoncer tous les liens sociaux et de revenir à la liberté naturelle. Rousseau leur déclare expressément qu’ils en ont le droit : « Il n’y a pas et il ne peut pas y avoir nulle espèce de loi fondamentale obligatoire pour le corps du peuple, pas même le contrat social.

< Les sectes qui, de nos jours, se qualifient elles-mêmes fièrement d’anarchistes, de nihilistes, et qui ne sont que les filles grossières de la secte plus savante des illuminés, ont Rousseau pour aïeul.

« En enseignant que nous n<> faisons partie de la

société civile que par notre consentement, on donne aux nouveaux venus, lorsqu’ils arrivent à l’âge d’homme, la tentation de soutenir qu’ils n’ont point consenti, et de troubler 1 ordre public par leur résistance aux lois.

« Mais l’idée la plus dangereuse et qui a déjà été

cause d’immenses iniquités, c’estla prétendue aliénation totale que chaque associé aurait faite à la communauté de tous ses droits et de sa personne même. Cette théorie donne aux majorités et aux gouvernements qui exercent le pouvoir en leur nom le droit de restreindre arbitrairement la liberté des individus, des familles, des associations, et d’oppri mer sans scrupule les minorités. Rousseau, qui déclame avec une si âpre éloquence contre le despo Usine, et qu’on a pris pour un apôtre de la liberté nous livre en pleine propriété au maître le plus re doutable, à la majorité passionnée et irresponsable. La liberté n’a jamais eu de pire ennemi et l’on a et : raison de dire que le Contrat social est le bréviain du despotisme. » (Comte de Yaheillks-Sommikhes, doyen de la Faculté catholique de droit de Lille. Le* Principes fondamentaux du droit, p. o, 5, Paris, 1889).

Et cela nous explique comment la Déclaration de> Droits de l’homme et du citoyen, rédigée, comme nous le faisions remarquer au début de cet article, dans l’idée de protéger les droits individuels, a pi’coïncider avec les mesures tyranniques de la Révolution. Elle portait en elle l’empreinte du Contra : social. Or, « la vogue de Rousseau, a dit l’roudhon. qu’on n’accusera pas d’être réactionnaire, a coûté t. la France plus d’or, plus de sang, plus de honte qui le règne détesté des trois fameuses courtisanes ne lui en avait fait répandre. » (Proudhon, Idée générale de la Révolution du xix « siècle, p. 1 35).

Tant il est vrai qu’une fausse doctrine philosophique a pour conséquence les plus terribles résultats politiques.

Texte de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen

Nous l’empruntons à l’ouvrage de MM. Léon Duguit et Henry Monnier, professeurs à la Faculté d< droit, sur les Constitutions et les principales lois politiques de la France depuis 1789, 2e édition. Textes, p. 1. Paris, 1908.

Le texte de la Déclaration des Droits de l’homme précède la Constitution française du 3 septembre 1791. L’expédition gardée au Musée des archivenationales porte, nous apprennent MM. Duguit et Monnier, les indications suivantes : « Collationné i. l’original par nous, président et secrétaires de l’Assemblée nationale, Paris, le 3 septembre 1791. Vernier, président ; Pougeard, Chaillon, Mailly-Châteaurenard, Coupé, Darche, Aubry, évêque de Verdun, secrétaires », elle porte aussi le sceau de l’Assemblée nationale, plaqué en cire rouge. En marge du premier feuillet, on lit l’apostille autographe du roi : « J’accepte et ferai exécuter, i^ septembre 1791, signé Louis, contresigné M. L.-F. Duport. »

La Déclaration des Droils de l’homme et du citoyen se compose d’un préambule et de 17 articles que nous reproduisons :

Les représentant du peuple français, constitués en Aisemblée nationale, considérant que 1 ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme, sont les seules causes des malheur » publics et delà corruption des gouv ornements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps sociul, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaft et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen :

Aktjclr riiE.Mim. — Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales nepeuventêtre fondées que sur l’utilité commune.

Akt. 2. — Le but de toute Association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droils sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. 1023

ROMAINS (RELIGION DES)

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Art. 3. — Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Akt.’*. — La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi.

Art. 5. — La loi n’a le droit de défendre que les actes nuisibles à la société. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Akt.6. — La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont le droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ses yeux, sont égolement admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. Akt. 7. — Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou l’ont exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi, doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. 8. — La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.

Art. 9 — Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pus nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Art 10. — Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi.

Art. II. — La libre communication des pensées etdes opinions est un des droits les plus précieux de l’homme ; tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi.

Akt. 12. — La garantie des droits de l’homme et du citoyen nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l’avantage de tous et non pour l’utilité particulière de ceux à qui elle est confiée.

Art. 13. — Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. — Tous les citoyens ont le droitde constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

A ht. 15. — Lu société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Akt. 16. — Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Art. 17. — La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous lu condition d’une juste ei préalable indemnité.

Henry Reverdy.