Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Relativité

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 417-435).

RELATIVITÉ. — La Relativité, dont il est ici question, est une doctrine récente, fondée sur de nouvelles découvertes de la Physique. Elle a excité une vive curiosité, parce qu’elle modifiait d’une façon paradoxale les notions courantes de la Mécanique, spécialement celles d’espace, de temps, de masse ; en réalité son intérêt vient de ce qu’elle présente une belle synthèse des lois du monde physique, et en particulier pense avoir trouvé la loi de la gravitation.

Un exposé mathématique de cette théorie ne convient pas au Dictionnaire Apologétique. Il suffira d’en décrire les traits essentiels, dans le but d’examiner la valeur de ses assertions.

Mais on rencontre dès les débuts une difficulté sérieuse dans l’interprétation des ouvrages relativistes : c’est l’imprécision des notions métaphysiques auxquelles, malgré eux parfois, recourent les Physiciens, quand ils veulent donner un sens objectif à leurs formules.

Il est sans doute possible d’y suppléer, et d’interpréter sagement la Théorie de la Relativité, sans cependant la défigurer.

Le lecteur jugera si la conciliation peut se faire avec la philosophie scolastique, où l’Eglise nous apprend à chercher la vérité.


1. Le principe de la Relativité.
2-5 L’Ether et la vitesse de la lumière.

Ie Partie. - La Relativité restreinte


6-7.Définition du temps propre et de la longueur propre.
8-9. L’intervalle d univers et son invariance.
10. La simultanéité et son caractère relatif.
11. La Relativité du temps.
12-13. Le voyageur qui vieillit moins vite.
14-16. La Relativité de l’espace.
17. L’Univers à quatre dimensions.
18-19. Espace euclidien. — Espace non euclidien.
20. L’espace à trois dimensions dans l’Univers à quatre dimensions.
21. L’Univers à quatre dimensions est-il réel ?
22. La nouvelle mécanique. — La loi de composition des vitesses.
23. La Relativité de la masse.
24. La masse de l'énergie.
25. La conservation de l’impulsion d' Univers.
26.Vérifications expérimentales.

IIe Partie. — La Relativité généralisée


28-29. Les champs de Force.
30-31. La ligne d’Univers naturelle d un corps libre.
32-34. La loi de la gravitation dans le vide.
35. La loi de la gravitation dans la matière.
36. Comparaison avec la loi de Newton.
35. Déplacement du périhélie de la planète Mercure.
38. Pesanteur de la lumière.
39. Le déplacement des raies du spectre solaire.
40-41. L'électricité.
42.L’espace fermé.
44-45.Le problème de l’Ether. — Bibliographie.


Le Principe de Relativité.1. — Il faut distinguer le Principe de Relativité et la Théorie de là Relativité.

Le Principe, sous sa forme générale, peut s'énoncer ainsi :

Les lois de la nature matérielle doivent pouvoir s’exprimer sous des formes absolues, indépendantes 823

RELATIVITÉ

824

des conditions particulières des différents observateurs.

Rien de paradoxal dans ce principe. Il est conforme au véritable concept de la Science. Le Créateur amis de l’ordre dans son ouvrage ; c’est le reflet de ses perfections inlinies. Le réel existe en dehors de nous, et est réglé par des lois constantes. Ces lois existent, indépendamment de notre connaissance. La Science travaille à les connaître et à les traduire en langage humain ; sa tâche est d’atteindre le réel, sans pouvoir cependant en épuiser la totalité.

Considérons par exemple la loi de Gravitation, formulée par Newton :

a Deux corps s’attirent en raison directe du produit de leurs masses et en raison inverse du carré de leur dislance. »

' D*

La loi ne dit pas ce qu’est cette attraction ; sa nature reste inexpliquée. On supposait du moins que, dans cette formule, les masses, M, iii, et la distance D avaient des valeurs absolues, les mêmes pour tous les astronomes. A cette condition, la formule avait un sens précis, et pouvait exprimer une loi de la nature.

Mais si des expériences inattendues viennent à prouver que les mesures des masses et des distances ont des valeurs variables selon les différents mouvements que prennent les observateurs, on ne sait plus quelles valeurs choisir pour M, iii, et D. La formule devient essentiellement ambiguë ; elle ne remplit plus la condition qu’elle doit remplir pour traduire une loi de la nature : sa signification n’est plus indépendante des conditions particulières des observateurs. Dans ce cas, il faudra trouver une autre expression de la loi de la Gravitation.

Voyons donc quelles sont ces expériences nouvelles, d’où a surgi la Théorie delà Relativité.

L’Ether et la vitesse de la lumière. — 2. — La lumière ne se propage pas instantanément. D’après la théorie de Fresnel, elle était constituée par des ondes successives, analogues aux vagues de la mer, mais extrêmement rapprochées les unes des autres. Il fallait un « substratum » à ces ondulations : on imagina l’Ether.

Les travaux de Maxwell et de Lorentz modifièrent cette conception. L’onde lumineuse est assimilée à une suite de courants électriques alternatifs, changeant de sens un nombre immense de fois par seconde. Entre les ondes lumineuses et les ondes de T. S. F., la seule différence réside dans la durée de la période ; elle est beaucoup plus courte pour les premières que pour les secondes. De même, un corps sonore peut émettre des sons aigus ou des sons graves, selon que la période de ses vibrations est brève ou longue.

Mais, dans cette théorie de l’Electromagnétisme, l’Ether est considéré comme immobile ; seuls lts électrons se déplacent. Aussi, quand on parle d’ondes lumineuses, ou plus généralement d’ondes électromagnétiques, on ne veut pas dire qu’il y a des vibrations de l’Ether. L’onde est une modification périodique, de nature inconnue, se propageant dans un milieu, qu’on appelle encore Ether.

L’Electromagnétisme s’appuie sur une loi physique, à laquelle lca Physiciens ne prêtèrent pas tout d’abord l’attention qu’elle méritait : c'était t’Isotropie de la vitesse de la lumière. Voici le fait expérimental :

Si un observateur en mouvement mesure la vitesse de la lumière par rapport à lui, il la trouve

égale dans toutes les directions. Ainsi une onde émise par un foyer lumineux, ou un poste de T. S. F., s'éloigne de ce centre dans tous les sens, et forme une surface sphérique dont le rayon croit indéfiniment. Dans le vide, ce rayon s’augmente de 300.ooo kil. par seconde. C’est la vitesse de toutes les ondes électromagnétiques, et en particulier de la lumière. Répétons, en insistant, que cette vitesse est comptée par rapport à l’observateur qui la mesure. Elle n’est aucunement modiûée parle mouvement de l’observateur dans l’espace. Ainsi le poste de la Tour Eiffel est entraîné par le mouvement de la Terre ; il reste cependant le centre de toutes les ondes sphériques qu’il émet, celles-ci se propagent dans l’espace, absolument comme si le poste était immobile dans l’Ether. Cette loi de l’isotropie est indispensable à la théorie actuelle de l’Electromagnétisme ; elle a été du reste vérifiée par des expériences précises.

En conséquence, on peut faire cette supposition :

Deux observateurs, mobiles l’un par rapport à l’autre, se croisent en un certain point de l’espace ; de ce point, à ce moment, part uneonde lumineuse ; chaque observateur verra cette onde se propager autour de lui comme une sphère de rayon croissant, dont lui-même reste le centre.

Une même sphère ayant deux centres distincts I C’est étrange. Comment expliquer cette anomalie ? C’est inexplicable, à moins de supposer que les deux observateurs n’ont pas compté de la même façon la distance et le temps. De là va naître la Théorie de la Relativité.

Avant d’en commencer l’exposé, faisons trois remarques.

i re Remarque. — 3. — Nous ne parlerons pas de la célèbre expérience de Michblson et de Morlry ; on en trouvera la description, aisée à comprendre, dans les ouvrages relativistes. C’est elle qui a attiré l’attention sur les propriétés étranges de la lumière, dont nous venons de parler ; et elle a provoqué la Théorie d’Einstein. Mais ce serait une erreur de croire qu’elle en est la véritable base ; ce n’est qu’une vérification, venue avant l’heure. La base solide de la théorie de la Relativité, c’est le désaccord entre les notions d’espace et de temps qu’admettent, d’une part la mécanique classique, d’autre part les lois de l’Electromagnétisme. L’expérience condamne la première, en faveur des secondes.

Les lois de la mécanique classique ne sont plus que des approximations, d’ailleurs excellentes dans la plupart des cas. Du reste, si la vitesse de la lumière était infinie, ces lois coïncideraient exactement avec celles de l’Electromagnétisme.

Deuxième Remarque

4 — Le point de départ de la Théorie de la Relativité, c’est 1' « Isolropie » de la vitesse de la lumière, c’est-à-dire l'égalité de sa valeur dans toutes les directions, quel que soit le mouvement de l’observateur qui la mesure.

Devons-nous considérer cette propriété de la lumière comme une réalité, existant en dehors de nous, et indépendante de notre esprit ?

Pour beaucoup de Physiciens, « une théorie physique ne doit pas avoir la prétention de donner des apparences une explication conforme à la réalité ; sa partie essentielle, c’est le moule analytique dans lequel elle cherche à enfermer les choses ». Dans ce cas, la Théorie de la Relativité n’est qu’une construction mathématique, n’ayant qu’un lien mystérieux, caché pour nous, avec la nature qui existe hors de nous. Alors elle n’offre plus de dillicultc au philosophe, ni au bon sens. 825

RELATIYITK

826

Mais ce n’est pas du tout, ce semble, la pensée des fondateurs de la Relativité. Que, dans le développement de leur théorie, le symbolisme s’introduise à certuins endroits, ils l’accorderont sans doute volontiers. Au point de départ du moins, il n’y a encore aucune construction qui présente ce caractère. L'égalité de vitesse de deux rayons lumiv peut être constatée par l’expérience, indépendamment de toute théorie. L’expérience a-t-elle vérifié cette égalité ? — Oui, disent les Relativistes —. il semble dillicile de les contredire ; et personne jusqu’ici ne les a contredits. Donc jusqu'à nouvel ordre on ne peut leur contester ce droit de considérer l’isolropie de la vitesse de la lumière comme un t réel, existant dans la nature en dehors de notre esprit.

Une objection cependant a été faite par des adversaires de la Théorie. Peut-être pourra-t-on, disentils, pousser plus loin l’analyse de l’Ether élastique de Fresnel, et donner de l’isolropie de la vitesse de la lumière une explication différente de celle des Relativistes. Peut-être ! (Voir H. Poincahb, la Mécanique nouvelle, Gauthier- Villars, éd.). Actuellement les physiciens semblent peu disposés à suivre cette voie.

Troisième Rcma que

S- — H est utile de constater que l’Isotropie de la vitesse de la lumière est conforme au principe de Relativité tjue nous avons énoncé au début, suivant lequel les lois physiques sont indépendantes des conditions où se trouvent les observateurs (n° i). Ici c’est la vitesse de la lumière par rapport à l’observateur, qui est indépendante du mouvement de cet observateur.

Mais il en résulte cette conséquence, c’est qu’on ne peut déceler le mouvement d’un observateur par rapport à l’Eiher. La lumière a une vitesse par rapport à l’observateur ; elle n’en a pas par rapport à l’Ether. Elat de repos ou état de mouvement par rapport à l’Ether, sont des mots dénués de sens pour le physicien.

On en conclurait immédiatement que l’Ether n’existe pas, si son existence n'était pas nécessaire pour servir de substralum à la lumière, et aux phénomènes électromagnétiques. Ce quelque chose qui se déplace dans l’espace, et que nous appelons lumière, ou onde de T. S. F., existe en dehors de notre esprit ; et ce n’est pas une substance. Donc c’est un mode d'être d’une autre chose, qui existe en soi, et qui se manifeste ainsi à nos sens. Donnons encore, si on veut, à cette autre chose le nom d’Ether, mais à la condition de dépouiller ce mot de son sens ancien.

Pourrons-nous construire une représentation imaginative de ce nouvel Ether ? — C’est peu probable. — Du moins notre intelligence est-elle de taille à se faire un concept qui réponde à la réalité mystérieuse ? — Nous verrons comment les Relativistes s’y sont essayés.

Première Paktik

LA RELATIVITÉ RESTREINTE

Dàfloition du Temps propre et de la longueur propre

6. — Le premier problème qu’il s’agit de résoudre est celui-ci : « Comment différents observateurs, ea mouvement le 3 uns pur rapport aux autres, mesurent-ils les dimensions des objets et les durées des phénomènes » ?

La Relativité restreinte se borne à étudier le cas des mouvements rectilignes uniformes.

Nous ne pouvons mesurer un mouvement qu’en le rapportant à des points de repère matériels. Or ceux-ci « ont eux-mêmes en mouvement, car rien n’est immobile dans l’Univers. Donc nous ne mesurons que des mouvements relatifs.

Il est assez dillicile de délinir physiquement sans confusion possible ce qu’est un mouvement rectiligne uniforme. Mais nous pouvons utiliser le Principe d’inertie de la Mécanique classique, principe fondamental que rien n’oblige à abandonner.

« Le mouvement d’un élément matériel éloigné de

toute action extérieure est rectiligne et uniforme. » Autrement dit, ce mouvement n’a pas d’accélération.

[En mécanique, accélération veut dire changement de vitesse, soit en grandeur, soit en direction. Un mouvement rectiligne cesse d'être uniforme et devient accéléré, si sa vitesse augmente ou diminue. Un mouvement curviligne comporte nécessairement une accélération, caria vitesse change de direction, même si elle ne change pas de grandeur].

Supposons donc un observateur se déplaçant dans des parties de l’espace assez éloignées de la matière pour que son mouvement soit rectiligne uniforme. Tous les objets qui restent en repos par rapport à lui formeront ce que nous appellerons son <i domaine ».

Comment cet observateur va-t-il mesurer les longueurs et les durées ?

La mesure d’une grandeur est le rapport de cette grandeur à une autre de même nature, choisie pour unité.

L’isotropie de la vitesse de la lumière permettra de définir l'égalité de deux longueurs ou de deux distances, prises dans le domaine considéré. Une unité de longueur étant choisie, la mesure d’une longueur quelconque du domaine sera déterminée ; elle s’exprimera par un nombre. La longueur ainsi mesurée, nous l’appellerons « 'longueur propre ».

L'égalité de deux durées est chose plus dillicile à délinir. L’observateur a conscience de] sa durée personnelle, c’est-à-dire de la persévérance de son

« moi » dans la succession de ses différents états.

Tout autre être qui change, aura aussi sa durée. Mais la durée d’un phénomène ne tombe pas sous notre conscience immédiate, ni par nos sens, ni par notre intelligence. Pour comparer deux durées, il faudra les traduire en grandeurs comparables. On construira donc des horloges artificielles, clepsydre, sablier, chronomètre… On les réglera sur les mouvements les plus réguliers que l’on connaisse, par exemple sur l’oscillation d’un rayon lumineux entre deux miroirs parallèles, ou sur la période d’une radiation lumineuse. Alors deux durées seront dites égales, si elles correspondent à des déplacements égaux des aiguilles d’une horloge réglée. Une durée mesurée, nous l’appellerons le Temps.

La seconde de temps sera par définition le temps mis par la lumière pour parcourir 300.ooo kil., longueur propre comptée dans le domaine considéré.

Ainsi l’observateur pourra mesurer la durée de tout phénomène observable, et en particulier la durée de sa vie personnelle. Il pourra jalonner son domaine d’horloges identiques, et les synchroniser grâce à l’isolropie de la vitesse de la lumière. Cet ensemble d’horloges donnera le temps propre, commun à tout le domaine ; et ce sera en particulier le

« temps vécu « par l’observateur.

Remarquons en passantqu’il n’est pas nécessaire, pour la validité des raisonnements, que les inensu827

RELATIVITE

828

rations de longueur et de temps soient effectivement réalisées par l’observateur. L’unité étant choisie, la mesure est définie : c’est le rapport objectif entre la grandeur à mesurer et l’unité

7. — Introduisons maintenant l’existence d’un second observateur, ayant lui aussi son domaine, entraîné avec lui dans un mouvement rectiligne uniforme, différent cependant du mouvement du premier observateur. La combinaison de ces deux mouvements montre que chaque observateur est en mouvement rectiligne uniforme par rapport à l’autre.

Dans le domaine du second observateur, on déunira comme avant la longueur propre et le temps propre. Pour faciliter les explications, nous conviendrons que de part et d’autre on a choisi les mêmes étalons de mesure. Ce sera facile, car les deux domaines sont parfaitement semblables, et spécialement les propriétés de la lumière y sont les mêmes. On choisira donc, dans chacun des deux domaines, pour unité de temps, la seconde, telle que nous l’avons définie, et pour unité de longueur, la longueur d’onde d’une radiation déterminée émise par une source lumineuse monochromatique. (La longueur d’onde, c’est l’analogue de la distance de deux crêtes de vagues successives dans les ondulations de la mer.)

Cela posé, on peut d’abord se demander quelle différence il y a entre ce qui se passe dans le premier domaine et ce qui se passe dans le second. Il faut répondre qu’il n’y en a pas. Chaque domaine étant supposé soustrait à toute action extérieure, les propriétés naturelles des corps s’y exercent d’une façon pareille. Les mesures effectuées par le premier observateur dans son domaine peuvent être imitées par le second dans le sien, et elles donneront le même résultat. Si le premier constate qu’un cierge de 50 cm. met 5 heures à brûler, le second constatera que de son côté un cierge de même nature, de 50 cm. de hauteur, mettra aussi 5 heures à se consumer.

Sur cette ressemblance parfaite des deux domaiues, tout le monde est d’accord, même les Relativistes.

Il n’en est plus de même si chaque observateur fait des mesures sur des objets qui ne sont pas de son domaine, c’est-à-dire qui sont en mouvement par rapport à lui. Par exemple, si chacun d’eux mesure la durée de la révolution d’un astre et le diamètre de son orbite, ils ne trouveront pas les mêmes nombres. Et la raison n’en est pas que leurs mesures sont erronées. Tout au contraire, ces mesures devront être différentes pour être en conformité avec la nature ; sans quoi les calculs et les prévisions astronomiques de ces observateurs pourraient bien un beau jour être démentis par l’expérience

Nous allons donc voir maintenant comment la Théorie de la Relativité établit la correspondance entre les mesures effectuées respectivement dans les deux domaines et portant sur des objets en mouvement par rapport à eux.

L’Intervalle d’Univers, et son invariance

8. — Commençons par définir ce qu’on appelle Point- Evénement.

Chaque observateur a autour de lui un espace à trois dimensions, espace, immobile par rapport à l’observateur, et formant son domaine. Si un objet est situé en un certain point de cet espace, il suflira de trois grandeurs pour déterminer sa position ; l’observateur les mesurera. Si cet objet est mobile, il faudra dire à quel moment il se trouve eu ce point ;

le temps marqué par l’horloge de l’observateur le dira.

Donc, pour situer un objet par rapport à un observateur, il faut quatre grandeurs mesurées, trois coordonnées d’espace et une coordonnée de temps. Cet assemblage s’appellera Point-Evénement ; il se compose en réalité de quatre nombres : trois mesures d’espace, une de temps. Ces mesures, étant prises dans un domaine déterminé, représentent trois longueurs propres et un temps propre de ce domaine, mais non pas le temps propre de l’objet mobile (ni ses dimensions propres).

9. — Le problème à résoudre peut maintenant être énoncé sous la forme suivante :

Quelles relations existe-t-il entre les quatre coordonnées d’un Point-Evénement dans un premier domaine, et les quatre coordonnées qu’il a dans un second')

On aura la solutionenexprimantqueces relations doivent satisfaire à la loi physique prise pour point de départ : la vitesse d’une même onde lumineuse doit être la même dans les deux domaines. (N° 2).

Ce n’est plus qu’une affaire de calcul algébrique. Einstein a établi ainsi les quatre formules de la Relativité restreinte, trouvées déjà par Lorentz comme solution d’un problème posé tout différemment :

« Comment assurer l’invariance des Equations de

Maxwell. »

Ces formules peuvent se résumer dans la proposition suivante, qui leur est équivalente.

L’Intervalle entre deux Points-événements est une grandeur constante, la même pour tous les observateurs en mouvement rectiligne uniforme.

Voici ce qu’on entend par là :

Soient deux Points-Evénements, observés dans un premier domaine ;

soit l la distance qui sépare les deux points du domaine où ils ont été observés ;

/l’intervalle de temps qui sépare les deux moments où il se sont produits ;

c la vitesse de la lumière.

On appelle Intervalle d’Univers des deux PointsEvénements une quantité s telle que :

4.2 -- c 1fl—l*.

Si s ? est positif, s est réel. Si s- est négatif, * est imaginaire.

La proposition que nous avons énoncée signifie que si, dans un second domaine quelconque, en mouvement rectiligne uniforme, on observe pour les deux mêmes Points-Evénements une distance spatiale égale à L, et une distance dans le temps égale à T, c ayant la même valeur, on a l'égalité :

Autrement dit, l’Intervalle a" Univers s est un invariant.

L et / ne sont pas des distances comptées dans un Espace absolu, indépendant des observateurs, ee sont les distances comptées dans les domaines particuliers des observateurs. Elles varient selon les différents mouvements qui caractérisent ces domaines.

Comme cas particulier, prenons pour les deux Points-Evénements deux points déterminés sur le parcours d’un rayon lumineux. La distance L qui les sépare est franchie par le rayon dans un temps T avec la vitesse c. Donc on a l'égalité :

L = cT.

Donc aussi :

c » T » — L* = o. 829

RELATIVITE

830

Donc l’Intervalle d’Univers de ces deux pointsévénements est nul. Kl il est nul pour tous les observateurs. Cette assertion n’est pas nouvelle : sous une forme à peine dillérente, c’est l’affirmation de l’Isotropie de la vitesse de la lumière.

Prenons un autre exemple ; cherchons l’Intervalle d’Univers de l’Observateur lui-même. Considérons deux moments de son existence séparés par le temps T ; l’observateur étant immobile dans son domaine, la distance spatiale qui sépare ses deux positions est nulle, L = o.

Donc l’intervalle d’Univers correspondant est donné par la formule :

Cet intervalle s est toujours réel et est mesuré par la distance que franchirait la lumière dans le temps T.

La simultanéité et son caractère relatif

10. — Considérons deux Points-Evénements dont l’Intervalle est s. Etudions la formule :

s 2 =c 2 t' 2 — / 2 =une quantité constante.

Une première conséquence, c’est que la simultanéité de deux événements n’est pas une réalité absolue, valable pour tous les observateurs. Il n’y a exception que pour un cas, celui de la coïncidence des deux événements dansl’espaceet dans le temps. S’ils se produisent au même endroit de l’espace, et au même moment, pour un observateur déterminé, ce sera vrai pour tous les autres. La coïncidence est absolue.

Dans ce cas :

/=u

1=0.

donc

Mais si les deux événements se produisent en deux points différents de l’espace, iln’en est plus de même. Il faut alors distinguer deux cas :

Supposons d’abord que 5 soit réel, s 2 sera posi tif ;

on aura :

c 2 / 2 = s 2 -|-/ 2 >

Cette équation montre que, puisque s est constant, / ne peut s’annuler dans]aucun domaine. Donc, pour aucun observateur, les deux événements ne pourront être simultanés. L’intervalle de temps t, qui sépare les deux événements, n’est pas le même pour tous les observateurs, puisqu’il varie avec /.Mais on démontre que pour tous, l’ordre de succession des deux événements est le même. Cela a lieu, en particulier, pour deux événements de la vie propre d’un observateur ; puisque dans ce cas s est réel, comme nous l’avons vu. (N° 9)

Supposons maintenant que s 2 soit négatif, c’est-àdire s imaginaire.

4 2 £x c 2 t 2 — I* = quantité négative.

Dire que c-t- — l 2 est négatif, c’est dire que la distance / qui sépare les deux événements dans l’espace est plus grande que le trajet et que parcourrait la lumière clans le temps / qui les sépare. Par exemple, si ces deux événements sont constitués par les explosions de deux astres dans le ciel de l’observateur, la lumière émise par l’explosion de l’un de ces astres n’aura pas le temps d’arriver à l’autre avant son explosion : leur distance / est trop grande.

De tels événements n’ont pas dans le temps un ordre de succession déterminé, le même pour tous les observateurs, car on démontre qu’il peut être inversé par un changement convenable dans le mouvement

de l’observateur. On voit même d’après l'équation précédente, qu’on peut modifier le mouvement de l’observateur, c’est-à-dire la distance/, de façon que la quantité c 2 t- soit nulle, ce qui donne /= : o. Alors les deux événements seront simultanés pour cet observateur.

Inversement, si pour un observateur particulier les. deux événements sont simultanés, on a :

1=0 d’où :

s-=z — / 2 zs quantité négative.

Donc, dans ce cas, pour-d’autres observateurs, les deux événements seront successifs, etn’auront même pas le même ordre de succession.

Deux événements de ce genre ne peuvent pas avoir d’influence l’un sur l’autre, puisque leur ordre de succession dans le temps est arbitraire.

La Relativité du Temps

11. — L'étude précédente montre que la duréed’un même phénomène n’est pas comptée en temps égaux par les différents observateurs.

Le temps propre, le temps vécu par un observateur, est une chose bien déterminée pour lui. Mais ce temps, compté par un autre observateur, prendra une autre valeur. Il est facile de trouver la relation qui lie ces deux nombres.

Considérons un observateur A et son domaine. Un observateur B traverse ce domaine avec une vitesse v rectiligne uniforme. Si A le voit parcourir une distance / dans un temps /, l’Intervalle d’Univers correspondant sera donné par l'égalité :

Et comme on a

s 2 ~cH 2 — ».

l=vt.

l'égalité devient :

De son côté, l’observateur B a compté le temps T pour son voyage ; dans son domaine il est immobile, donc n’y franchit aucune distance, donc L = : o.

Donc, il comptera le même intervalle d’Univers d’après la formule :

s' 2 = c 2 T 2.

En conséquence, on a, par suite de l’invariance de s,

/-'(c* — v 2) = c"*T 2.

ou bien

fc-SH*

Donc le temps T, vécu par l’observateur B, vaut untemps t pour l’observateur A et pour tous les habitants du domaine de A. On voit que * est plus grand que T.

La différence entre les deux temps est d’ordinaire insensible, en raison de la petitesse de la vitesse v à côté de celle de la lumière c. Mais pour les corpuscules émis par les corps radiants, dont la vitesse devient comparable à celle de la lumière, l'écart entre les deux temps devient notable

,

Ainsi, pour une vitesse v = — c< qui est proche

de 260.000 kil. à la seconde, la formule donne : 831

RELATIVITE

832

I.e temps T vécu par l’observateur 13 est compté double. 2 I", par l’observateur A et par tous les habitants du domaine de A ; ce compte étant fait par la lecture des horloges du domaine A.

Il y a réciprocité, car rien ne distingue les deux observateurs. Le temps vécu par l’observateur A sera compté double par l’observateur B, et par tous les habitants du domaine de B.

Il n’y a pas là de contradiction. Il y en aurait si l’observateur Adonnait deux valeurs différentes à la même durée. Il n’en est pas ainsi : c’est le temps vécu par B qui est compté d’une manière difféi ente par lui-même et par l’observateur A.

Il n’y a pas contradiction, mais relativité.

On peut expliquer ce résultat de la manière suivante :

Il n’y a pas de distinction réelle entre un être qui dure et sa durée propre. Les deux observateurs étant distincts, leurs durées propres sont des réalités distinctes ; mais elles ne sont pas réglées par un Temps absolu, existant en dehors d’elles. Donc quand l’observateur A, au moyen de ses horloges et de sa durée propre, mesure la durée propre de l’observateur B, il peut se faire, dans certaines circonstances, que le résultat de cette mesure ne soit pas égal à la durée propre de B. Ces circonstances se trouvent réalisées, quand les deux observateurs sont en mouvement l’un par rapport à l’autre. La raison de ce fait nous est cachée ; mais il n’y a pas là contradiction.

Le voyageur qui vieillit moins vite.

12. — Pour mettre à l’épreuve les résultats précédents, on peut avoir l’idée de ramener les deux observateurs côteà côte et de comparer directement leurs âges. Mais il n’est pas possible d’appliquer à ce cas les formules de la Relativité restreinte sans de grandes précautions. Car nous ne restons plus dans l’hypothèse des mouvements rectilignes uniformes. Pour que les deux observateurs, après s*être quittés, se retrouvent ensemble, il est nécessaire que l’un d’entre eux au moins subisse une accélération : sa vitesse doit changer de sens. Il n’est pas indifférent de dire que c’est l’observateur A ou l’observateur B qui subit l’accélération ; car un changement de vitesse n’est pas un simple phénomène relatif. Le voyageur qui est dans un train express sentira désagréablement son changement de vitesse, si on serre trop brusquement les freins. Donc si nous voulons ramener l’observateur B près de l’observateur A, nous devrons supposer qu’il traverse uu champ de force qui modifie sa vitesse et la fasse changer de sens.

Ceci posé, prenons un exemple numérique.

Deux observateurs A et B ont une vitesse de 260.000 kil. à la seconde l’un par rapport à l’autre. B quitte A, s’écarte de lui de plus en plus, et voyage ainsi pendant un an de sa vie propre. Puis il revient sur ses pas, avec la même vitesse, changée de sens.

On pourrait ici objecter que ce changement brusque d’une vitesse aussi grande e->t impossible, et qu’aucun voyageur ne résisterait à pareil choc. — C’est vrai. Mais nous ne prenons cet exemple que pour simplifier les calculs. On pourrait tout aussi bien supposer que l’observateur B n’a acquis que progressivement sa vitesse de 260.000 km., puis que cette vitesse se ralentit, s’annule, et reprend en sens inverse des valeurs grandissantes ; redevient égale à 260.000 km., diminue de nouveau, et enfin s’annule au moment où B rejoint A. Les formules appliquées à ce cas sont un peu plus compliquées, mais elles donnent des résultats de même nature que ceux que nous allons exposer.

Supposons que les horloges des deux observateurs soient réglées ensemble, de façon qu’elles marquent toutes deux o h. au moment où B quitte A. Supposons encore que la piste rectiligne indéfinie que suit B soit le domaine de A, et soit jalonnée par des horloges installées à demeure dans ce domaine. Ces horloges étant synchronisées marqueront toutes, pour l’observateur A, le temps propre de son domaine, et son temps personnellement vécu.

L’observateur B emporte avec lui son horloge un chronomètre, réglé de façon à marquer son temps propre, son temps vécu. Dans sa course vertigineuse, il rencontre successivement les horloges de A et il peut comparer par deux lectures directes le temps T que marque son chronomètre avec le temps marqué par l’horloge qu’il rencontre : Ce dernier temps est le temps t, valeur que l’observateur A donne au temps vécu par B.

Or nous avons vu précédemment que pour une vitesse de 260.000 km., le temps vécu par B est compté double par A. Donc, si au bout de i heures de son voyage, de sa vie propre, l’observateur B consulte l’horloge qu’il croise, il lira sur cette horloge’|8 heures. Il peut à ce moment en avertir l’observateur A par un signal de T. S. F, et celui-ci, pour qui toutes les horloges de son domaine marquent .’|8 heures en même temps, lui qui par conséquent a vieilli de 4^ heures, se dira que la vie du voyageur est ralentie de moitié sur la sienne.

Mais B n’a pas le droit de conclure que A a vieilli de 48 heures. Car si les horloges de A sont synchrones pour A, elles ne le sont pas pour B : la simultanéité des indications des horloges de A existe pour A et n’existe pas pour B.

En réalité, puisqu’il y a réciprocité entre les deux observateurs, B devra se dire que la vie de A est ralentie de moitié sur la bienne. Donc, ayant vécu 24 heures, il se dira que la vie de A n’a augmenté que de 12 heures.

Si donc le voyage de B dure un an de sa vie propre, pour l’observateur A ce temps aura duré a ans. Inversement, si A vieillit de G mois, pour B ce temps aura duré 1 an.

Au bout d’un an, le voyageur B fait demi-tour. Pour faciliter les calculs, nous supposons que ce demi-tour s’accomplit en très peu de temps, de façon. que le chronomètre de B, et l’horloge du domaine de A qui se trouve à cet endroit de la piste, n’aient avancé que d’une quantité négligeable.

Dans son voyage de retour, B rencontre de nouveau successivement les horloges de A, et il constate qu’elles avancent régulièrement du double sur son chronomètre, comme pendant le voyage d’aller. Car la formule dont nous sommes partis (u° 1 1)

t’1 — -|

donne le même résultat, si la vitesse v ne fait que changer de signe.

Donc 24 heures après sa volte-face, c’est-à-dire après un an et a4 heures de voyage, B lira « deux ans plus 48 heures » sur l’horloge qu’il croise. Au bout de un an et six mois, il lira trois ans ; au bout de deux ans, il lira quatre ans. Et alors il sera revenu aux côtés de A.

On pourra donc faire la constatation suivante : Pendant son voyage, B n’a vieilli que de deux ans ; et cependant A en a vécu quutre, puisque son horloge, qui marque son temps vécu, indique quatre ans.

Le voyageur B a donc vieilli deux fois moins vile que l’observateur A. 833

RELATIVITÉ

834

13. — Si comme nous l’avons dit, B envoie des messages de T. S. F. à A, pour lui dire son âge, A apprendra que la vie de B coule deux fois [dus lentement que la sienne. Mais si, de son côté, A envoie des messages semblables à B, comment la vie de A va-t-elle s’écouler au jugement de B ?

Il se passe un fait curieux. Nous avons vu que pendant son voyage d’aller, qui dure un an, B apprend que la vie de A n’a duré que 6 mois. Pendant son voyage de retour, il compte de même 6 mois pour la vie de A. Donc en se retrouvant aux côtés de A, il pourrait être tenté de dire que A n’a vieilli que de un an. Mais il commettrait une erreur : A a vieilli de quatre ans, comme nous venons de le voir. Voici d’où vient l’erreur. Nous avons supposé que le temps mis par B pour exécuter sa volte face était un temps très court de son existence. Mais peut-il conclure de là que ce temps a été aussi très court, dans la vie de A ? Non. Là est l’erreur : on ne peut plu~ appliquer à ce moment les formules de la Relativité restreinte ; le mouvement de B n’est plus uniforme, il subit une accélération formidable. Le moment n’a duré que quelques minutes pour B, et cependant B devra compter que pendant ces quelques minutes de son existence à lui, A a vieilli de trois ans. Ces trois ans, plus l’année déjà comptée par B, feront bien les quatre années écoulées pour A.

Du reste, c’est une propriété desChamps de Force, dont nous dirons un mot (u° 39) quand il s’agira de la Relativité généralisée : la traversée d’un champ de force ralentit le cours du temps vécu pour celui qui la subit. Au moment de son demi- tour, le voyageur a traversé un champ de Force exceptionnellement intense ; sa vie s’est ralentie physiquement, et c’est alors que s’est produite pour lui, par contraste, la rapidité subite de la vie de A.

Notons que ce phénomène serait infiniment moins brutal, et deviendrait plus intelligible, dans le cas dont nous avions parlé au début, celui où la vitesse de B ne changerait de grandeur que trèslentement.

Et en délinitive, est-il impossible de concevoir que la traversée d’un champ de force ralentisse sensiblement les phénomènes physiques et chimiques ? Et alors elle ralentirait aussi les actes vitaux et la vie du voyageur, car il n’est pas absurde d’admettre que le rythme de ces actes vitaux est solidaire du rythme des phénomènes purement matériels qui en sont la condition.

Ce ralentissement vital maintiendra donc le voyageur B dans un état de jeunesse, par rapport à l’observateur A, qui n’a pas passé sous l’influence d’une action extérieure du même genre.

Il n’y a donc là aucune difficulté nouvelle qu’on puisse apporter contre la Théorie de la Belativité. Ces résultats, à première vue plus surprenants, ne sont que la conséquence du caractère relatif de la simultanéité, et de l’inexistenee d’un Temps absolu mesurant les durées de tous les phénomènes.

La Relativité de l’Espace

14. — La Relativité du temps entraîne celle de l’Espace. Il est facile de s’en rendre compte.

Quand un observateur veut mesurer la longueur d’un objet immobile, il n’éprouve aucune ditliculté, Il peut par exemple appliquer à cet objet une règle graduée ; la lecture des divisions de la règle où se placent les deux bouts de l’objet indiquera sa longueur par rapporta la règle. Cn obtient ainsi ce que nous avons appelé la longueur propre.

Mais si l’objet est mobile, l’observateur devra prendre une précaution essentielle : il devra faire en mémo temps (temps propre de l’observateur), les lectures des deux divisions de la règle qui corres Tome IV.

pondent aux deux bouls de l’objet ; la règle étant supposée immobile. Car il est clair que s’il laisse s’écouler un instant entre les deux lectures, pendant cet instant l’objet aura glissé le long de la règle, et le résultat de la mensuration sera faussé.

La longueur d’un objet doit donc être définie : la distance des positions simultanées de ses deux bouts.

Dans nos mesures, le temps est donc impliqué aussi bien que l’espace. En principe, on ne mesure pas la distance de deux points de l’espace, mais la distance de ces deux points pris à un instant déterminé.

On voit la conséquence : le temps étant relatif, la distance aura des mesures différentes pour différents observateurs.

Cherchons la loi de cette variation.

Considérons de nouveau les deux observateurs A et B, ayant l’un par rapporta l’autre une vitesse rectiligne uniforme v. L’observateur B traverse le domaine de A avec cette vitesse v. Ce dernier peut mesurer la distance /, longueur propre, que B a franchie dans un temps t, marqué par les horloges de ce domaine. Ce temps t est la valeur quel’observateur A donne au temps vécu par B pendant sa traversée. Et A écrira la relation :

l — vt.

L’observateur B est mobile par rapport à cette distance /. Il pourra cependant la mesurer avec la précaution essentielle dont nous avons parlé, et qui s’impose pour la mensuration des objets mobiles. Il trouvera une valeur L ; et il aura parcouru cette distance L dans un temps T, le temps qu’il aura vécu pendant ce parcours. Et il écrira la relation :

L = ^T.

Des deux relations, nous déduisons le rapport :

L_T

f~ T

( « )

Or nous connaissons (n* 11) la relation qui existe entre T et t, entre le temps vécu par B et la valeur que lui donne l’observateur A. C’est l’égalité :

(2)

<<-£)=**

En combinant les égalités (1) et (a), nous obtenons :


(3)

i-th

L 8.

Donc l est plus grand que L. Or nous avons vu que / était une longueur propre, la longueur d’une règle immobile dans le domaine de A, et dirigée dans le sens du mouvement de R. D’autre part, L est la valeur que lui donne B, qui est en mouvement par rapport à elle.

Donc pour un observateur B en mouvement, la longueur d’un objet immobile est contractée. Et inversement la longueur d’un objet en mouvement est contractée pour un observateur immobile.

Cette contraction apparente est exactement corrélative de la dilatation du temps. Le coefficient de contraction est ident’que à celui de la dilatation.

La contraction n’existe pas pour la dimension de l’objet qui est perpendiculaire à la direction du mouvement. La raison en est que la relativité du temps n’intervient plus dans ce cas. En effet, si on considère une tige verticale entraînée par une translation horizontale, la règle graduée qu’on lui appliquera pour la mesurer sera verticale, et dans son mouvement la tige verticalene glissera pas le long decell ;  :

27 835

RELATIVITE

836

règle. Donc les lectures à faire pour prendre la mesure seront nécessairement simultanées pour l’observateur immobile et pour l’observateur entraîné par la même translation que la tige. Donc il n’y aura pas de contraction.

Il n’y a donc rien de mystérieux dans cette contraction apparente des longueurs. Il n’y a laque des mesures modifiées par la relativité du temps, Rien n’empêche d’admettre que les dimensions d’un objet sont des réalités en soi, absolues ; ce sont des longueurs propres. Ce qui est relatif, c’est la mesure.

Ne disons pas cependant que la mesure ainsi faite est fausse, et qu’elle accuse une erreur. — Non. Pour èire dans le vrai, pour que lesformules cadrentavec la réalité, avec les lois de la nature, avec l’expérience, l’observateur doit attribuer à un objet mobile une longueur contractée par rapport à sa longueur propre. Il le doit, à cause de la relativité du temps, nécessairement impliqué dans la mesure.

15. — C’est donc en définitive cette mystérieuse relativité du temps qui est responsable de tous les paradoxes. Mais n’y a-t-il pas dans l’écoulement du temps un mystère qui nous échappe ? L’égalité de deux durées est une chose bien difficile à définir sans quelque postulat implicite. On ne peut pas appliquer deux durées l’une contre l’autre, comme on applique deux longueurs. Puisque tout mouvement peut nous donner la notion de temps, la considéralion de mouvements différents ne nous donnera-t-elle pas des temps différents ?

On peut accorder aux Relativistes lemcrite d’avoir mis le doigt d’une façon précise sur le mystère du temps, et de lui faire prendre contact avec l’expérience ; mais ils ne l’ont pas expliqué.

Il y a donc là de quoi exercer la sagacité desphilosophes : le Sphinx semble impénétrable.

On voit que ce mystère du temps est connexe de celui de l’Elher. Car c’est la façon dont se comporte l’onde électromagnétique qui est le point de départ de la Théorie de la Relativité.

Remarque

16- — Les formules (2) et (3) qui expriment la dilatation du temps et la contraction de la longueur,

, , 2

montrent que le coefficient 1 est nécessairement

c positif. Donc v a pour limite supérieure c. Donc on ne peut pas supposer qu’un mobile réalise une vitesse supérieure à celle de la lumière. Du reste ce n’est qu’une conséquence de l’isotropie de cette dernière vitesse.

L’Univers â quatre dimensions

17. — L’Univers matériel, considéré dans son passé, son présent et son futur, est un ensemble d’événements, c’est-à-dire de choses qui se passent en des lieux et à des instants déterminés.

Pour situer un événement dans l’espace et dans le temps, par rapport à un observateur, il faut quatre coordonnées, trois d’espace et une de temps. Nous avons déjà considéré ce groupement, et nous l’avons appelé Point-Evénement (n° 8). On dira donc que l’Uni ver a îles Points Evénements, ou Espace-Temps, a quatre dimensions : ce mot « dimension » ayant ici un sens plus large que le sens premier, qu’on réserve à la longueur.

Cependant on peut représenter graphiquement le Temps par une longueur. C’est une convention utile : par exemple, quand on veut schématiser dans le tracé d’une courbe les variations locales du baromètre. Alors les hauteurs de la colonne de mercure qui constitue le baromètre sont portées sur une droite ; et les temps où ont été faites les lectures de

ces hauteurs sont inscrits à la suite sur une droite perpendiculaire à la première. La suite continue de ces Points-Evénements barométriques détermine une courbe. Celte courbe pourra être tracée automatiquement sur un cylindre enregistreur.

On ne peut pas exécuter une représentation du même genre pour l’ensemble des Points-Evénements qui constitue l’Univers. Mais pour conserver l’analogie du langage géométrique, on dira que cet ensemble constitue, non pas une courbe, ni même un espace, mais un Espace-Temps à quatre dimensions. El on étudiera la Géométrie de cet Univers. LeRelativiste y trouve un support commode pour le langage mathématique, un guide suggestif pour diriger ses calculs, un moule utile pour y couler ses formules et ses résultats.

Mais il pense y avoir découvert quelque chose de plus : les théorèmes de celle Géométrie généralisée seraient en connexion intime avec les lois de la nature pliysique.

En eilet : dans la géométrie ordinaire, à deux ou trois dimensions, la distance rectiligne entre deux points peut être mesurée par des procédés divers, mais on suppose qu’elle garde la même valeur quel que soit l’observateur. L’invariance do cette distance caractérise la Géométrie classique, et est le point de départ de tous les théorèmes qu’énoncera ensuite le Géomètre. Mais la conception ancienne ne peut plus être conservée, puisque la relativité du temps entraîne celle des longueurs. Dans la théorie nouvelle, l’invariant fondamental sera l’Intervalle d’Univers s. défini par la relation expliquée plus haut (no g).

s2 = cH* — P.

Cette relation caractérise la géométrie de la Relativité et sert de point de départ à l’étude des propriétés de l’Univers à quatre dimensions. Ces propriétés auront des valeurs absolues, car elles seront indépendantes des conditions particulières où peuvent être les observateurs. Elles exprimeront donc des lois de la nature.

C’est cette idée qui a guidé Einstein, l’a conduit à sa Théorie de la Relativité généralisée, et à la découverte de la loi de la Gravitation.

Espace Euclidien. — Espace non Euclidien

18. — Le mot « Espace » peut être entendu dans des sens divers.

Pour le Philosophe, l’Espace Géométrique se définit :

« La notion objective de l’Etendue ».

Les corps qui tombent sous nos sens sont réellement étendus, indépendamment de noire connaissance. Par l’opération de l’abstraction intellectuelle, nous dégageons la notion d’étendue de l’ensemble complexe de nos perceptions sensibles. Le terme de cette opération de notre intelligence est la conception de l’Espace à trois dimensions.

Cet Espace est un être de raison, ayant son fondement objectif dans les choses.

Il est nécessairement Euclidien, c’est-à-dire il contient nécessairement la notion de la ligne droite et de ses propriétés essentielles, exprimées par les axiomes d’Euclide. Je dis « nécessairement », car cette notion de la ligne droite, conçue dans l’état idéal, se dégage nécessairement de nos perceptions sensibles. (Elle n’est cependant pas une forme à priori de notre esprit). C’est pourquoi l’Espace Euclidien à trois dimensions est le seul que notre imagination puisse se représenter.

La Géométrie non Euclidienne, au contraire, prend pour point de départ des axiomes différents 837

RELATIVITE

838

de ceux d’Euclide. Ils sont choisis, il est vrai, de manière à ne pas être contradictoires à la notion d’Etendue ; mais ils sont totalement étrangers à la connaissance sensible que nous avons de l’Etendue, et nous ne pouvons pas nous en faire une image.

Aussi le Philosophe dira : L’Espace Euclidien à trois dimensions est le seul réel. — Mais comprenons bien dans quel sens il le dit.

19. — Car pour le Physicien, le mot « Espace » va signiûer autre chose.

En effet, par « longueur », ou « distance », le Physicien entendra une quantité obtenue par des mesures faites à l’aide de procédés matériels ou optiques, (et non plus une notion intellectuelle obtenue par abstraction du sensible). // ne peut, dit-il, concevoir une longueur dans la nature, indépendamment du procédé de mesure. Quand bien même elle existerait, elle nedevrait pasêtre prise en considération, car elle dépasse V expérience, Il n’a aucune connaissance de l’espace, en dehors de celles que lui fournissent ses mesures. Il le délinit donc essentiellement comme un espace mesuré. Il l’appelle Espace physique, et se refuse à considérer toute autr<entité d’une transcendance plus élevée.

Il consti ue ainsi la Géométrie naturelle, ou expérimentale. Son i bjet est l'étude de la manière dont secomportenlles règles graduées matérielles ; autrement dit, 'est Vêtu le des propriétés d’extension de la matière.

On conçoit maintenant pourquoi le Physicien s’en remet à l’expérience pour décider dans q’el genre d’espae il se trouve, Euclidien ou non Euclidien. Ce qu’il app lie Ligne droite, c’est simplement la traject ire d’un rayon lumineux dans le vide. Sil’expérience lui montre que cette trajectoire n’a pas les. propriétés ue les axiomes d’Euclide énoncent au sujet de la ligne droite, il conclura que son espace n’est pas Euclidien.

Peut-on concevoir un espace à trois dimensions non Euclidien ? — Oui, s’il s’agit de le définir comme un modèle géométrique illustrant un langage mathématique. Non, s’il s’agit de l’imaginer.

Nous pouvo - s nous imaginer un espace à deux dimensions non Euclidifn ; ce sera par exemple la surface d’une sphère. Sur une surface « phérique, le plus court chemin d’un point à un autre ne possède p-'S les propriétés qu’Euclide donne àla lignedroite ; si on supprime la troisième dimension, cette surlace est non Euclidienne. Cependant nos sens s’en forment naturellemen l’image, parce que nous sommes des êtres à trois dimensions ; li troisième dimension nous permet d’apercevoir la courl ure de l’espace à deux dimensions, qu’est une surface sphérique.

Pour nous imaginer un espace à trois dimensions non Euclidien, il nous faudrait avoir une quatrième dime sion. Nous verrions alors ce que les Physiciens appellent <la Courbure de l’Espace ».

On ne refusera donc pas à priori au Relativiste le droit d’affirmer que nous sommes dans un espace non Euclidien, si ce modèle géométrique lui permet de grouper synlhétiquement les propriétés d’extension de ta matière, révélées par l’expérience, par exemple le fait que la ligne de parcours d’un rayon lumineux, tout en étant le pl^s co rt chemin dans f Espace physique, ne vérifie pas les axiomes d’Euclide.

Mais le Philosophe, qui tient à son espace Euclidien, qu’il abstrait de ses p rceptions sensibles, suis recourir à des mensurations, préférera interpréter autrement le- expériences dullelativisle ; il dira que le rayon lumineux ne srit pas la lignedroite, et ne trace pas dans l’espace le plus court chemin d’un

p >int à un autre : une cause secrète l’a dévié. Et l’Espace pourra rest r Euclidi n.

Il est nécessaire cependant d’observer que la Géométrie Eueli Menue ne prétend pas devenir une science physique ; ce n’est pas son affaire : tandis que les llelalivisles, en introduisant une certaine Géométrie non Euclidienne à quatre dimensions, pensent avoir trouvé une mystérieuse connexion entre ses théorèmes et les lois du monde matériel. Par eux la Physique va se ramener à une pure question de Géométrie.

Notons dès maintenant, quitte à y revenir plus tard (n° 44). que, si les propriétés d’extension de la matière, et en particulier la marche du rayon lumineux, sont convaincues de n’avoir pas l’allure Euclidienne, cela doit tenir à f quelque chose » qui fait partie de l’Espace physique. Par ailleurs, ce

« quelque chose » doit être une propriété de l’Ether, 

puisque la marche du rayon lumineux en est affectée. Donc il y a un lien entre l’Ether et l’Espace non Euclidien qu'étudie la Théorie de la Relativité. Cet espace pourrait bien être un modèle géométrique apte à illustrer les propriétés de l’Ether. Et comme ce modèle ne peut pas être rendu sensible à notre imagination, l’Ether, à bien plus forte raison, devra rester en dehors d’elle.

L’Espace â trois dimensions dans l’Univers à q ia.tr à dimensions. — 20. — Nous avons appelé

« Univers » ou « Espace-Temps » l’ensemble des

Points-Evénements. Si dans cet Univers, dont la quatrième dimension est le Temps, on choisit un instant déterminé, on obtient l’ensemble des PointsEvénements qui existent simultanément à cet instant. Cet ensemble est un Espaceà trois dimensions : on peut l’appeler une coupe de l’Univers à temps constant.

Cette définition s’applique à l’ancienne conception de l’espaceet à celle des Relativistes, mais la différence est profonde. La conception ancienne admettait un Temps absrlu, et la coupe était la même pour tous les observateurs. Dans l’Univers de la Relativité, la simultanéité étant relative, la coupe à temps dorné dépend de l’observateur. Chaque observateur aura donc son espace à lui, et un même corps matériel aura une forme géométri ue différente suivant les espaces où il est situé. Cette forme variera avec les différentes mesures que prendront des observateurs en mouvement lesunspar rapport aux autres. Un carré deviendra un parallélogramme, une sphère deviendra un ellipsoïde.

Nous pouvons illustrer ces aperçus, en les appliquant à des espaces ayant une dimension de moins.

Empilons les unes sur les autres des feuilles de papier ; ce sont des espaces à deux dimensions. Nous construisons ainsi un bloc de carton, qui est un espace à trois dimensions. Une des feuilles de papier sera une coupe de cet espace, coupe toute faite d’avance. C’est l’image de ce. qui se passe avec l’ancienne conception d’un Espace-Temps absolu. Pour avoir une image de la conception relativiste, supposons que toutes les feuilles de papier ont été fondues en une pâte homogène constituant un bloc de de carton massif. Il n’y aura plus dans ce bloc des coupes naturelles ; mais on pourra y découper artificiellement des séries de feuillets parallèles dans toutes les directions qu’on voudra. Ces différentes coupes sont l’image, avec une dimension de moins, de ce que sont les Espaces à trois dimensions découpés dans l’Espace-Temps à quatre dimensions. La direction du découpage varie avec le mouvement de l’observateur qui l’exécute

Ces différents espaces ainsi découpés sont-ils 839

RELATIVITÉ

840

Euclidiens ? Oui, pourvu qu’ils soient vides de matière. Car alors un rayon lumineux y marche en ligne droite, et le mouvement d’un corps y est rectiligne et uniforme : c’est l’hypothèse de' la Relativité restreinte.

Quant à l’Univers à quatre dimensions, si on veut lui adapter le langage géométrique, on ne peut dire qu’il est strictement Euclidien ; car l’Intervalle. « , qui joue dans l’Espace-Temps le rôle de la ligne droite, n’a pas la forme canonique qui convient à la ligne droite généralisée de la Géométrie à quatre dimensions. (La relation A- 2 = t 2 * 2 — l* n’est pas Euclidienne ; la relation euclidienne serait : » 2 = c 2 < 2 -{-f 2 mais elle ne répond à rien dans la nature.)

L’Espace-Temps est hyperbolique. Cependant on convient de lui donner le nom d’Euclidien, parce qu’il secompose d’Espaces Euclidiens.

L’Univers a quatre dimensions est-il réel ?

21. — Les Relativistes répondent par l’affirmation. Mais ils entendent le mot « R^el » à leur manière ; beaucoup de physiciens n’y introduisent aucun jugement philosophique sur la réalité elle-même.

Ils appellent réel ce qui est absolu, invariant, ce qui n’est pas variable avec les observateurs.

Dans la conception ancienne, dis, nt-ils, la réalité objective du temps était affirmée par son invariance ; celle de l’espace par l’invariance de la distance de deux points. Ces invariants (distance géométrique et temps) doivent être supprimés, ce sont des fantômes ; c’est l’intervalle s qui les remplace. Il n’y a ni espace absolu ni temps absolu ; mais il y a une réalité unique, affirmée par l’invariant s. Le nouvel invariant contient à la fois la distance et le temps.

Donc l’Espace et le Temps dépendent l’un de l’autre, leur union seule possède une individualité.C’esl l’Espace-Temps. Il est donc réel.

Cette manière de parler veut être comprise. Elle ne gêne pas le Philosophe, qui entend la Réalité dans un autre sens. Le Relativiste parle démesures ; or la mesure n’est pas la chose en soi. La formule s* = c 2 * 2 — Z 2 est une relation entre des mesures ; l’invariance de cette relation correspond certainement à une loi de la nature ; mais c’est dans la nature des choses que se trouve la réalité. La formule algébrique en traduit un aspect, et elle doit être dite vraie ; cela ne suffit pas pour que l’Intervalle s soit une chose en soi ; il n’a qu’une existence mathématique.

Quant à l’Espace-Temps, c’est un mpdèle hypergéométrique ; il est introduit pour illustrer le langage mathématique, et on aurait pu s’en passer. Il a une valeur de symbole, ce n’est pas une réalité ontologique.

Il faudra revenir sur cette question, quand nous serons en Relativité généralisée. Nous aurons à interpréter la pensée de certains Relativistes, qui tendent a accorder à l’Espace-Temps une réalité ontologique en l’identifiant à peu près avec l’Ether. (n « 44).

Remarque, — L’exposition qui précède risque par sa longueur de donner une idée disproportionnée de la Théorie de la Relativité : nous ne sommes qu’au seuil de ses découvertes. Il a paru utile d’insister sur les notions dont va se servir le Relativiste. Il resterait maintenant à le suivre dans la construction de sa nouvelle Physique ; mais, faute de pouvoir aborder ses longs calculs, contentonsnou « d’une vue sommaire sur cette extraordinaire synthèse des lois de la nature.

La nouvelle Mécanique La loi de composition des vil esses

32. — Une des lois importantes énoncées par la Théorie de la Relativité est celle de la composition des vitesses.

Supposons un trottoir roulant aj ant une vitesse v =z io km. à l’heure, mesurée sur le sol immobile. Un promeneur marche sur ce trottoir, et avance avec une vitesse v' de 5 km. à l’heure, par rapport à des repères, fixés sur ce trottoir.

Il semblerait que la vitesse V du promeneur par rapport au sol immobile devrait être

(')

V = v -- v' = 15 km. à l’heure.

Ce n’est pas rigoureusement exact ; car le temps n’est pas compté le même sur le trotioir et sur le sol. La Théorie de la Relativité a établi que la formule vraie est

(2)

1 +-rr

c étant la vitesse de la lumière.

Cette valeur exacte de la vitesse résultante V est plus faible que la précédente. Mais la différence est insensible quand v et v' sont petits par rapport à c. Elle devient importante dans le cas des vitesses réalisées par les corpuscules qu'émettent les corps radiants.

Cette loi de la composition des vitesses a une conséquence intéressante, que ne soupçonnait pas l’ancienne cinématique. En ajoutant des vitesses à des vitesses, on n’arrivera jamais à atteindre la vitesse de la lumière. Car les vitesses qu’on ajoute sont chacune inférieure à celle de la lumière : c’est une loi que nous avons déjà signalée (n° 16). Or si v et v' sont plus petits que c, la formule (a) montre que V sera lui aussi inférieur à c. Donc la vitesse résultante est toujours inférieure à celle de la lumière.

Comme cas limite, on peut supposer que

v = r' =z c : et on trouve V = c.

Si v = c, et v' quelconque, on trouve encore V = c. Donc quelle que soit la vitesse v' du promeneur par rapport au trottoir roulant, si ce trottoir atteignait la vitesse de la lumière, la vitesse résultante V resterait égale à c. Le promeneur semblerait immobile sur le trottoir roulant.

Une autre conséquence extrêmement importante, c’est que l’hypothèse de l’entraînement partiel de l'éther par de la m-itière en mouvement, que Fizeau croyait avoir démontrée vraie par sa célèhre expérience, doit être abandonnée. On ne peut pas parler de vitesse de l'éther, ou de vitesse par rapport à l'éther.

La relativité de la masse

23. — La notion de masse a été introduite par Newton. Voici en quelques mots sa théorie :

Quand une force F agit sur un élément matériel, elle lui imprime une accélération /. Le rapport de la force à l’accélération est constant pour un élément matériel donné. Ce rapport s’appelle la masse de l'élément.

F m = : —

y

La masse est la mesure de la quantité de matière que contient l'élément. Une quantité de ma841

RELATIVITE

842

tière double exigera une force double pour prendre la même accélération.

Si la force considérée est L’attraction de la terre, on l’appelle le Poids. La masse sera alors le rapport du poids ! ’à l’accélération g que prend le corps pesant dans sa chute.

P

m — —

S

L’attraction de la terre, et par conséquent le poids et l’accélération, varient avec la latitude géographique où se trouve le corps. Mais la masse reste constante.

Telle était la Dynamique de Newton. Il devient néce-saire de la modiûer.

Dans la Dynamique de la Relativité, on démontre qu’en définissant la masse comme l’a fait Newton, rapport de la force à l’accélération qu’elle produit, il faut distinguer deux masses pour un même élément matériel : la masse longitudinale, qui correspond à une force qui agirait dans l’alignement de la vitesse, et une masse transversale, qui correspond aune force qui serait perpendiculaire à la vitesse.

La première a pour valeur — > et la seconde —.

« J « 

m étant la masse du corps quand il est en repos

par rapport à l’observateur ;

a étant le coefficient

tt’que nous avons

trouvé pour la dilatation du Temps et la contraction des longueurs ;

v étant la vitesse relative du corps et de l’observai.’ur ;

c étant la vitesse de la lumière.

On voit que ces deux masses, longitudinale et transversale, augmentent et augmentent sans limite, à mesure que la vitesse v augmente et se rapproche de c, vitesse de la lumière. La masse devien Irait intinie, si v devenait égal à c. C’est une nouvelle façon de constater que la vitesse de la lumière est la limite supérieure de toutes les vitesses réalisables

En modiliant la définition newtonienne de la masse, on peut éviter le dédoub ement de la masse d’un corps en masse longitudinale et masse transversale.

La masse sera définie : le rapport de l’Impulsion à la vitesse du corps.

On appelle Impulsion le produit de la Force par le temps que dure son action. Désignons-la par la lettre G ; ncus définissons la masse par le rapport

« = ?

On l’appelle masse maupertuisienns ; eton démontre que cette masse est égale à — -, valeur de la

et

-se transversale dont nous venons de parler. Dans la Dynamique ancienne, les deux définitions de la masse, masse newtonienne et masse maupertuisienne, coïncident. Il n’en est pas de même en Rel.i ivité. Aussi dans la Dynamique nouvelle, on ch" =it la seconde définition, car elle donne une mass ? unique pour un corps déterminé

M — — ou M

V/- ?

y. us cette masse varie avec v, vitesse du corps par rap.’tri à l’observateur. Un autre observateur donnera une autre valeur à la masse de ce même corps.

Les masses Individuelles des corps ne se conservant pas, l’individualité d’une portion de matière ne peut plus être caractérisée par sa masse ; il faut la chercher dans le nombre des éléments primordiaux dont elle est formée, car ce nombre reslï seul invariable à travers tous les changements que subit la portion de matière.

La masse de l’énergie, — 24. — On appelle Energie le pouvoir de produire du travail.

La poudre, avant d’exploser dans un canon, a une énergie latente. L’explosion en libère une partie, et la communique au projectile, qui à son tour acquiert un pouvoir de produire du travail.

La Théorie de la Relativité démontre que cette Energie, qui peut ainsi se communiquer d’un corps à un autre, a une masse. Cependant l’énergie n’est pas de la matière. Soit E une quantité d’Energie, mesurée par le travail qu’elle peut produire, et c ta vitesse de la lumière : cette quantité d’Energie a une masse iii, donnée par la formule :

E

m = 3’Un corps qui émet des ondes lumineuses, ou calorifiques, ou en général électromagnétiques, rayonne de l’énergie. On démontre que ce corps perd une partie de sa masse rigoureusement égale à la masse de l’énergie qu’il rayonne. Inversement, si un corps absorbe de l’énergie, sa masse s’augmente de la masse que lui apporte cette énergie.

En conséquence, si M est la masse d’un corps, et si E est l’énergie totale qu’il recèle, on a :

E

Si on prend la vitesse de la lumière comme unité de vitesse, la formule précédente montre que, dans ce système de mesures, la massi d’un corps égale son énergie totale.

La matière est donc un réservoir d’énergie. L’énergie intra-atomique a une grandeur fantastique : un gramme de matière, quelle que soil sa nature, recèle une énergie interne suffisante pour soulever trente millions de tonnes au sommet de la Tour Eiffel.

Presque toute l’énergie interne appartient aux noyaux atomiques, à ces mondes fermés, insensibles aux actions extérieures. Une très faible partie de l’énergie des noyaux est libérée spontanément dans les transformations radioactives ; une portion d’énergie considérablement plus petite encore, provenant des électrons qui gravitent autour du noyau, est dégagée dans le rayonnement ou mise en jeu dans les réactions chimiques.

Aussi, dans la généralité des cas, les variations de la masse sont insensibles à la balance. Mais elles existent. Par exemple, deux quantités d’eau, contenant le même nombre de molécules, n’ont même masse que si elles sont prises à la même température ; si l’une d’elles reçoit de la chaleur, sa masse augmente.

De même, la masse d’un composé chimique n’est pas rigoureusement égale à la somme des masses des composants. Ainsi 2 grammes d’hydrogène, s’unissant à 16 grammes d’oxygène, ne donnent pas exactement 18 grammes d’eau ; car il s’est dégagé de la chaleur, énergie rayonnante, dont la masse est enlevée à la masse de l’eau formée.

La Conservation de l’Impulsion d’Univers. — 25. — L’ancienne Dynamique avait établi trois Principes conservatifs :

843

RELATIVITE

844

La conservation de la masse.

La conservation de l’énergie.

La conservation de la quantité de mouvement (produit de la masse par la vitesse).

Le premier principe était identiûé avec celui de la conservation de la matière. On lui attribuait une vérité absolue. Les deux autres ne s’appliquent qu’à un ensemble matériel isolé de toute action extérieure. Dans un pareil système, les différentes portions de matière peuvent échanger leurs énergies et leurs quantités de mouvement, mais l’énergie totale de l’ensemble, et la quantité totale do mouvement ne varient pas.

Que deviennent ces trois principes dans la Dynamique de la Relativité ? Elle les remplace par un principe unique : la Conservation de l’Impulsion d’Univers. Voici comment :

Dans un système matériel isolé, il y a des échanges d’énergie : mais l’énergie totale reste constante. Les masses individuelles ne se conservent pas, mais la masse totale se conserve, puisqu’elle s’identifie avec l’énergie. Donc les deux premiers principes de l’ancienne Dynamique se réduisent à un seul dans la nouvelle. Cependant la relativité s’y est glissée : cette conservation de l’énergie et de la masse n’est vraie que pour un observateur déterminé, car énergie et masse prennent des valeurs variables suivant la vitesse des corps relativement à l’observateur. Donc, quand on passe d’un observateur à un autre, qui est en mouvement par rapport au premier, l’énergie totale et la masse totale prennent une autre valeur.

Il en est de même de la quantité totale du mouvement, elle change de valeur quand on passe d’un observateur à un autre.

Mais en rapprochant les deux principes, conservation de l’énergie et conservation de la quantité de mouvement, la nouvelle Dynamique établit quatre équations, qu’elle traduit ainsi :

L’Impulsion d’Univers d’un système isolé garde une valeur totale constante, quels que soient les observateurs.

Nous avons donc là une loi objective de la nature. Ce principe unique remplace les trois autres. C’est une belle synthèse opérée par la Dynamique de la Relativité. Il est vrai que ce principe est exprimé par quatre équations algébriques, dont il est difficile de donner une illustration sensible.

Vérifications expérimentales. — 26. — Dans la plupart des phénomènes physiques, l’expérience est impuissante à motiver un choix entre les deux Dynamiques : la discordance n’apparaît pas, elle échappe aux mesures.

Mais il y a des phénomènes, particulièrement dans l’Electromagnétisme, où l’accord expérimental n’existe plus : et c’est la Dynamiquedela Relativité qui l’emporte.

On peut rappeler ici l’expérience de Michelson. Mais il y a d’autres vérifications expérimentales.

Par exemple, les particules J3 émises par les corps radioactifs présentent toute une série de vitesses, qui se rapprochent sensiblement de la vitesse de la lumière, allant jusqu’à 297.000 kilomètres à la seconde, sans pouvoir atteindre 300.ooo kilomètres. Or, l’expérience montre que la masse de ces particules croit avec la vitesse, selon la formule de la Relativité.

Autre vérification : On a appliqué la nouvelle Dynamique à l’étude des raies spectrales de l’Hydrogène et à celle du spectre des rayons X ; et on a constaté que cette Dynamique donne non seulement

qualitativement, mais quantitativement, la structure exacte de ces raies.

Et en général il semble établi que les problèmes relatifs aux mouvements intra-atomiques exigent l’emploi de la dynamique de la Relativité, pour donner des solutions en accord avec l’expérience.

IIe Partis

LA RELATIVITÉ GÉNÉRALISÉE

27. — Une conception fondamentale esta la base de la Théorie de la Relativité restreinte : celle du mouvement recliligne uniforme. Ce mouvement est celui d’un corps sur lequel n’agit aucune force appliquée.

Pour nous restreindre à cette hypothèse, nous avons donc laissé de côté les forces de gravitation, qui s’exercent cependant partout, et agissent sur toute portion de matière. Elles agissent aussi sur l’énergie ; carl’énergieaune masse, et par conséquent un poids ; donc sa propagation doit être influencée par une force de gravitation. C’est pourquoi, comme nous le verrons, un rayon lumineux est dévié dans le voisinage de la matière.

L’hypothèse du mouvement recliligne uniforme n’étant pas vérifiée dans le monde où nous sommes, la Théorie de la Relativité restreinte est insuffisante, il faut la généraliser. Nous avions négligé la Force, il devient nécessaire de l’étudier.

Les Champs de Force. (Eddington, chap. IV). — 28. — Notre conception première delà force est liée à la sensation musculaire que nous éprouvons quand nous exerçons un effort pour mettre la matière en mouvement ou pour l’arrêter. Des effets analogues sur le mouvement de la matière peuvent résulter d’actions où aucun être vivant n’intervient, et l’on est conduit à regarder ces effets comme dûs également à des forces. Et on convient de mesurer une force par la quantité de mouvement (produit de la masse par la vitesse) qu’elle communique à un corps en un temps donné.

Quand une force est une action de contact d’un corps sur un autre, nous en avons une idée suffisamment claire. Mais il existe un autre genre de force, très important, niais très mystérieux. Un corps massif, tel que la Terre, semble entouré d’une région où réside une force latente, toute prête, si un corps y pénètre, à entrer en activité et à transmettre le mouvement. Alors le corps tombe, comme attiré vers la terre. L’opinion courante qu’on se fait de cette puissance d’action, c’est qu’elle existe en permanence dans l’espace qui entoure la Terre, même s’il ne s’y trouve aucun corps qui puisse servir à la mettre en évidence ; on soupçonne vaguement qu’elle doit être due à quelque déformation ou à quelque autre propriété d’un milieu qu’on n’a jamais décelé.

Toute région de force de ce genre s’appelle un Champ de gravitation.

29. — La nature des champs de gravitation a été considéréejusqu’ici comme uneénigme ; aucune explication plausible n’en avait été donnée. Et cependant c’est un fait remarquable qu’il est possible, dans une région limitée de l’espace, de créer un champ de force artificiel semblable à un champ de gravitalion naturel, à tel point qu’on n’a jamais pu les différencier, malgré toute la précision des expériences. Prenons un exemple.

Quand un ascenseur commence à s’élever, les personnes qui l’occupent perçoivent une sensation particulière, identique à celle d’un accroissement de 8'*5

RELATIVITE

846

poids. Cette impression disparaît dès que le mouvement devient uniforme ; elle est due uniquement au changement de mouvement de l’ascenseur, c’està-dire à son accélération. La machine d’Alwood, souvent utilisée dans les laboratoires pour déter miner la valeur de l’accélération due à la pesanteur, nous donnerait, si nous la transportions à l’intérieur de l’ascenseur pendant le mouvement accéléré, une valeur plus grande. Un peson accuserait également des poids plus forts. En résumé, l’accélération du mouvement d’un ascenseur en montée aurait des effets mécaniques exactement semblables à ceux d’un champ de gravitation additionnel superposé au champ normal.

Et s’il n’y avait pas de champ normal, c’est-àdire pas d’attraction émanée de la Terre, un champ artificiel, produit parun mouvement accéléré, pourrait en tenir la place et produire les mêmes effets locaux.

L'équivalence se voit mieux encore, quand le champ artiûciel créé neutralise exactementle champ de gravitation. Le fait se produit, quand l’ascenseur tombe en chute libre sous l’action de la pesanteur. Alors les personnes qui tombent avec lui ne sentent plus leur poids ; un objet qu’elles lâcheraient de leur main ne tomberait pas plus vite qu’elles, et par conséquent resterait à côté d’elles. Le champ de la pesanteur est neutralisé par le champ artificiel dû au mouvement accéléré de la chute.

C’est l’histoire du boulet de Jules Verne. Dans son roman Autour de la Lune, il raconte les aventures de trois hommes enfermés dans un projectile lancé vers la Lune par un canon monstre. L’auteur s'étend sur les faits amusants qui leur arrivent, quand, parvenus au point neutre, c’est-à-dire au point où l’attraction de la Terre et celle de la Lune se contrebalancent rigoureusement, ils expérimentent que le poids des objets a disparu complètement. Mais le romancier se trompe quelque peu ; en réalité, c’est à partir du moment où ils ont quitté notre atmosphère, que les trois voyageurs perdent entièrement la sensation du poids, et ils ne doivent pas la retrouver dans toute la durée de leur voyage autour de la Lune. L’obus obéissait parfaitement à l’action de la gravitation, à l’action du champ résultant de la superposition du champ lunaire au champ terrestre ; et il en était de même de tout ce que l’obus contenait. Quand un voyageur lâchait une assiette, celle-ci ne pouvait tomber plus vite qu’elle ne le faisait déjà : elle restait donc en équilibre, en l’air, dans le projectile.

En généralisant ces faits, on peut dire qu’il y a équivalence entre unchamp de gravitation et un champ de force artificiel créé par un état de mouvement.

Mais il est essentiel d’ajouter que cette équivalence n’est que locale. Pour l’observateur qui tombe en chute libre vers la Terre, le champ de gravitation disparait dans la portion de l’espace où il se trouve ; mais ce champ reparait partout ailleurs : il semble à l’observateur que la Terre tombe sur lui ; et un corps qui occuperait un lieu symétrique par rapport au centre de la Terre semblerait à l’observateur tomber sur lui avec une accélération deux fois plus grande. Donc, en supprimant le champ de gravitation en un point de l’espace, on l’accentue partout ailleurs.

En d’autres termes, la force est purement relative.

Cependant il faut s’entendre. Equivalence ne veut pas dire identité. Nous trouvons dans le mouvement accéléré un moyen de produire les mêmes effets locaux que ceux de la gravitation : il y a équivalence ; mais l’identité des causes n’est pas démontrée.

Le Relativiste dira que le Champ de gravitation n’a rien d’absolu, que la force est relative, qu’elle

n’existe pas pour l’observateur tombant en chute libre, et qu’elle existe pour un autre observateur. Entendons parlàlaforce mesurée, le champ degravitation mesuré. Evidemment le caractère essentiel d’une région d’espace, entourant de la matière, n’est pas la présence d’un champ de force mesuré ; ce doit être quelque chose de plus complexe. Mais ce quelque chose est distinct du corps qui gravite ; ce quelque chose est la raison d'être de son mouvement. Alors, c’est une force ? Non, le Relativiste ne veut pas lui donner ce nom. — Simple question de mot peut-être ?

Quoi qu’il en soit, c’est l'équivalencecntreunchamp de gravitation et un champ de force artificiel, qui a été le fil conducteur qui a conduit Einstein à la nouvelle formule de la Loi de la gravitation. Nous ne le suivrons pas dans ses immenses calculs. Mais nous pouvons recourir, comme il l’a fait du reste, à ce modèle géométrique qu’on appelle l’Espace-Temps à quatre dimensions ; il nous aidera à exprimer, vaille que vaille, en uu langage un peu imagé, les résultats obtenus par des calculs d’algèbre extrêmement abstraits.

La ligne d’Univers naturelle d’un corps litre. — 30. — Nous avons vu que, si l’observateur est en chute libre, autrement dit s’il suit la courbe naturelle que lui donnela gravitation, le champ de force qui l’entoure immédiatement disparait pour lui. Ce n’est qu’au moment où il serait dévié de cette trajectoire, qu’il aurait la sensation de se trouver au sein d’un champ de force. Laissant de côté le cas des mouvements des corps électrisés, nous voyons que l’observateur ne [.eut abandonner sa ligne propre, que s’il est dérangé par des chocs matériels. Nous pouvons dire alors qu’un corps ne peut quitter cette ligne sans cause visible ; et tout champ de force environnant un observateur résulte de ce que celuici a quitté sa ligne propre sous l’effet d’une pareille cause.

Notre attention se trouve ainsi attirée vers les I.ignes d’Univers naturelles des corps libres. Si elles répondent à une loi de la nature, elles doivent avoir un caractère absolu, et être les mêmes pour tout observateur. — C’est le principe initial de la Relativité.

Or, nous avons trouvé dans l’Univers quadridimensionnel une quantité indépendante de l’obærvateur et possédant une signification absolue : c’est l’Intervalle entre deux Points-Evénements de l’Espace-Temps (n° 9).

Choisissons deux Evénements A et R distants l’un de l’autre : par exemple, A sera la position de la Terre dans l’espace au i" janvier 1800 ; R, sa position au i er janvier 1900 ; ces positions étant repérées par un observateur quelconque. Entre A et R laTerre a occupé des positions intermédiaires ; elles définissent autant de Points-Evénements. Considérons une suite de ces Points infiniment rapprochés les uns des autres ; quand cette suite est continue, elle forme ce que l’on appelle la Ligne d’Univers de la Terre, tracée dans l’Espace-Temps à quatredimensions.

Que le lecteur nous permette d’employer la notation différentielle : appelons dl la distance spatiale qui sépare deux positions infiniment voisines de la Terre ; dt la différence des temps où elle a occupé ces positions ; ds l’Intervalle entre les deux PointsEvénements ainsi définis. Nous connaissons la formule qui lie ces trois quantités (n° 0). ds* — c 2j t i _ dl" En faisant la somme de tous les intervalles clé847

RELATIVITE

848

inentaires tels que ds, nous obtenons l’Intervalle total entre les Points-Evénements A et B, mesuré le long de la ligue d’Univers de la Terre. C’est une opération analogue à celle de l’arpenteur quimesure avec son mètre la longueur d’une route sinueuse.

Quel que soit l’observateur, chacun des intervalles rfsa la même valeur : c’est une conséquence de l’Invariance de l’Intervalle défini en Relativité restreinte. Donc l’Intervalle total de A à B a une signification absolue : il ne varie pas avec l’observateur, alors que varie la longueur totale de la trajectoire, décrite par la Terre dans i’espace à trois dimensions, ainsi que le temps total que dure ce mouvement.

Pour aller de A en B, un mobile pourrait prendre un autre chemin que celui qu’a suivi la Terre ; et l’Intervalle total varierait avec ce chemin. Par exemple, supposons un mobile marchant avec la vitesse de la lumière : il part de A avec la Terre ; faisons-lui faire tous les tours et détours nécessaires pour qu’il rejoigne la Terre en B. Quel est l’Intervalle total de la Ligne d’Univers qu’il a suivie V Cet Intervalle est égal à zéro ; car nous avons vu que l’Intervalle de deux Points pris sur la trajectoire rectiligne d’un rayon lumineux est toujours nul (n° 9), et une trajectoire quelconque peut être décomposée en éléments reclilignes.

Donc, de toutes les Lignes d’Univers possibles qui vont de A en B, toutes celles que pourrait suivre un rayon lumineux ont la valeur minimum zéro. (Nous laissons de côté les Lignes à intervalles imaginaires : aucun mobile ne peut les suivre).

Mais il existe une Ligne pour laquelle l’Intervalle total a une valeur maximum ; car, pour toute ligne, ds ne peut dépassere 7 ; donc la somme de tous les ds, c’est-à-dire l’Intervalle total, ne peut dépasser la somme de tous les cdt.

Or, les Lignes d’Univers ont une signification absolue. Donc tous les observateurs 6'accoideront pour désigner celle qui réalise l’Intervalle total maximum.

C’est cette Ligne là que les Relativistes identifient avec la Ligne naturelle d’Univers suivie par un corps qui se meut librement dans un champ de gravitation.

Et ils formulent ainsi la loi du mouvement : 31. — Tout point matériel se meut, entre un Point-Evénement A et un Point-Evénement B, de façon à suivre la Ligne d’Univers dont l’arc AU (tracé dans l’Espace-Temps à quatre dimensions) réalise l’Intervalle total maximum ; sauf les cas où il subit des chocs d’autres points matériels, ou bien est soumis à des perturbations provenant de forces électromagnétiques.

C’est la généralisation de la loi dite de l’Inertie : Un corps isolé de toute action extérieure se meut d’un mouvement rectiligne uniforme. Dans l’EspaceTemps à quatre dimensions, c’est la ligne droite qui réalise l’Intervalle maximum, quand il n’y a pas de champ de gravitation : on peut le démontrer facilement.

Mais supposons maintenant le cas de la gravitation, et prenons comme exemple le mouvement de la Terre.

Pour un observateur qui serait au centre du Soleil, la Terre décrit annuellement un cercle (plus exactement, une ellipse). Deux coordonnéesd’espace suffisent pour situer la position de la 1 erre dans le plan de cette orbite. Marquons l'écoulement régulier du temps sur un axe perpendiculaire au plan du cercle, et mené par son centre : nous aurons ainsi la coordonnée de temps. L’assemblage de ces trois coordonnées transformera le cercle en hélice. Nous obtenons ainsi, par cette hélice, un diagramme à

trois dimensions, facile à uous imaginer. C’est la Ligne d’Univers de la Terre, ligne naturelle, comme nous l’avons appelée précédemment, parce qu’en la suivant, la Terre tombe en chute libre : rien ne fait obstacle à son mouvement de gravitation autour du Soleil.

C’est cette ligne naturelle qui réalise l’Iuvervalle maximum. (Prenons garde que l’Intervalle n’est pas représenté par la longueur de l’arc d’hélice j car on a la formule hyperbolique :

ds* = c*dt* — dret non pas la formule Euclidienne : ds 2 = cW + <// 2).

Car nous ne sommes pas en Géométrie Euclidienne, mais dans l’Espace-Temps déformé par le voisinage du Soleil, et devenu non Euclidien. Dans ce milieu, la Terre obéit sans obstacle à la loi de l’inertie : elle suit la ligne naturelle d’Intervalle maximum ; de même que dans un milieu Euclidien, non déformé, la loi d’inertie lui fait suivre une ligne droite, d’un mouvement uniforme. Dans aucun des deux cas il n’a fallu l’intervention d’une force.

Ces lignes naturelles, à signification absolue, identiques pour tous les observateurs, sont les Géodésiques du milieu où elles sont tracées.

Une surface plane est Euclidienne ; la géodésique est la ligne droite ; elle réalise la distance minimum entre deux points.

Une surface sphérique est un espace à deux dimensions non Euclidien ; la géodésique est un arc de grand cercle ; elle réalise encore la distance minimum de deux points, distance tracée sur la surface.

L’Espace-Temps à quatre dimensions de la Relativité restreinte est de nature hyperbolique ; sa géodésique réalise l’Intervalle maximum, mais c’est une ligne droite, et c’est pourquoi on dit souvent que cet Espace-Temps est Euclidien.

Enfin l’Espace-Temps déformé par un champ de gravitation est non Euclidien ; sa géodésique est une courbe qui réalise l’Intervalle maximum entre deux Points-Evénements.

Dans tous les cas, la géodésique a une signification absolue ; et c’eslelle que suivent les corps libres, en vertu de la Loi d’inertie, sans intervention d’une force.

En résumé, nous avons ramené l'élude des Champs de gravitation à celle de la Géométrie de l’EspaceTemps non Euclidien. Dans cette géométrie-là, comme dans toutes les géométries, ce sont les propriétés de la géodésique qui donnent le point de départ d’où s’enchaînent tous les théorèmes.

Par conséquent, pour trouver la Loi de la Gravitation, qui doit remplacer celle de Newton, il faut établir les Equations qui caractérisent d’une façon absolue la structure géométrique de notre EspaceTemps.

La Loi de Gravitation dans le vide. — 32. — Il s’agit en premier lieu de formuler algébriquement la structure de l’Espace-Temps, dans les régions où il est déformé par le voisinage delà matière, mais qui sont elles-mêmes vides de matière.

Les Equations cherchées doivent remplir une première condition ; garder leur forme, quel que soit l’observateur, quel que soit son mouvement. — C’est le Principe initial de la Relativité.

Une deuxième condition sera que ces Equations soient vérifiées dans le cas particulier où le champ de gravitation disparait, et où l’Espace-Temps redevient Euclidien. 849

RELATIVITE

8j0

Il est remarquable que ces eon Htions, en apparence si vagues, ont sullipour déterminer la loiiie la Gravitation. Einstein a eu le mérite de résoudre le problème.

Il a établi d’abord les Equations qui expriment que la structure de l’Espace-Tem.is est Euclidienne. C’est l'état d’une région de l’Univers à distance inlinie de toute masse attirante, et [> ! us généralement, de toute forme d'énergie. Celle structure géométri que s’exprime par un groupe de 20 Equations.

De ce premier groupe, Einstein en a dé luit un second, composé de 10 Equations, dont 6 seulement sont réellement distinctes. Elles caractérisent l'état d’une région vide de l’Univers, ne contenant ni matière, ni lumière, ni champ éleetromaguétiqu -, mais située dans le voisinage de ces formes d'énergie. Elles donnent la structure géométrique de l’Univers déformé pir le champ de Gravitation,

Ces six. Equat ; ons sont la loi de la Gravit.ition dans le vide.

33. — Celte loi se présente sous une forme essentiellement différente de celle qu’avait formulée Newton.

D’après la mécanique New Ionienne, on disait :

« Un corps éloigné de toute masse attirante se meut

d’un mouvement rectiligne uniforme ; au voisinage de centres d’attraction, sa trajectoire devien curvigne sous l’action des forces émanées de ces centres. »

Dans la mécanique de la Relativité, il n’est plus question de forces ; on d.ra : « Un corps libre dans l’espace obéit toujours à la loi d’inertie, et suivra une géodésique de l’Univers. Loin de la matière, cet Univers est Euclidien, ella géodésique est une ligne droite ; au voisinage de la matière, l’Univers devient non Euclidieu, et la géodésique aune courbure. »

Ce mot de « courbure » peut présenter à notre esprit une image fausse. La géodésique est courbée, parce que l’Espace-Temps, où elle est tracée, a luimême une courbure. Le plan est une surface Euclidienne, il n’a pas decourbure ; la surface d’une sphère a une courbure. Il nous est impossible de nous imaginer ce qu’est la courbure d’un Espace. El s’il s’agit de l’Espace-Temps à quatre dimensions, il est encore plus irréalisable de construire l’image æ sa courbure. Nous ne pouvons vraiment accorder à la conception de cette courbure que la valeur d’un mot géométrique illustrant une formule algébrique.

34 — Niais il est essentiel de comprendre que, pour le Relativisle, l espace vide de matière n’est pas amorphe ; il a des propriétés physiques, et c’est pourquoi il peut être déformé. Cet espace est vide de matière, au sens où la Physique et la Chimie entendent le mol « matière » ; mais il n’est pas physiquement vide, au sens de néant absolu.

On voit mieux ainsi que le modèle géométrique de 1 Espace-Temps peut avoir une relation naturelle avec une réalité qui nous est incompréhensible ; sa Courbure traduit pour nous certaines propriétés physiques de cette réalité ; mais l’Espace-Temps ne doit pas être confondu avec elle, car il n’a pour sa part qu’un être mathématique.

En tout cas, il ne plaît pas aux Relalivistes de dire que le voisinage de la matière est la cause de la courbure le l’Espace-Temps ; il est plus conformée leurs idées de géométrisation de dire que l’existence de la m-Uière est une conséquence de certaines déformations d’un subatratom universel.

La loi de la gravitation dans la matiîi-e

35. — Les six Equations d’Einstein donnent la loi de la structure de l’Espace-Temps dans le vide. Celte structure détermine les mouvements que pren nent les corps en vertu de leur inertie ; seuls des chocs matériels peuvent les déranger de la ligne qu’ils suivent naturellement et leur en faire prendre une autre (les forces électriques étant exclues). On conçoit donc que les Relalivistes travaillent à déduire toute la mécanique de la seule loi Einsteinienne de la gravitation. Les grandes lois de la Physique, comme celles de la conservation de l'énergie et de la quantité de mouvement, seront de simples conséquences delà structure de l’Univers.

Le calcul a été conduit de la façon suivante.

Quand de la matière occupe l’espace, les premiers membres des six Equations d’Einstein ne sont plus nuls : car, égalés à zéro, i’s expriment que l’espace est vide. Ces premiers membres prennent alors certaines valeurs, qui dépendent de la matière remplissant le vide. Ou obtient ainsi six Equations nouvelles, ayant des seconds membres où sont exprimées la densité et les vitesses des particules de la matière.

Ces six Equations exprim nt la loi de la gravitation dans la matière.

Elles entraînent, comme conséquence, la loi de la conservation de l'énergie et de la quantité de mouvement.

Les lois qui régissent les phénomènes physiques sont donc intimement liées à celle de la gravitation, laquelle n’est qu’une loi de la structure géométrique de l’Univers.

La Physique est ramenée à la Géométrie. Beaucoup de Relativistes y voient même une identification. Pour les comprendre, rappelons-nous que leur Géométrie est la Géom' : trie d’un Espace physique, Espace constitué par an substratum universel, et tout différent de 1 Espace idéal conçu par les Philosophes et fondement de la géométrie Euclidienne.

La loi d’Einstein étant ainsi établie, il reste à la soumettre au contrôle de l’expérience. Une seule discordance pourrait lui être fatale.

Comparaison avec la loi de Newton

38. — D’après la formule de Newton, la force d’un champ de gravitation est proportionnelle à la masse du centre d’attraction et inversement proportionnelle au carré de la distance.

Le sens de cet énoncé est devenu ambigu, puisque masse et distance ont des valeurs variables avec les différents observateurs. Mais cette variation est insensible pour les petites vitesses que peuvent avoir les observateurs. Aussi la loi de Newton a permis d’expliquer et de prévoir les mouvements des astres avec une précision qu’on ne croyait pas pouvoir dépasser.

La loi d’Einstein a une forme essentiellement différente : pourra-t-elle donner à l’Astronomie la même précision ? — Oui, pour une bonne raison : le calcul montre qu’en cherchant une valeur approchée de la loi d’Einstein, on retrouve celle de Newton. Celte dernière n’est qu’une approximation, excellente d’ailleurs, de la première. Donc celle-ci, la loi d’Einstein, s’accorde avec l’astronomie, au moins tout aussi bien que la loi de Newton.

Déplacement du périhélie de la planète Mercure

37. — La loi de Newton permet de calculer une formule différentielle qui exprime la forme de l’orbite qu’une planète décrit autour du soleil. A cette formule, la loi d’Einstein ajoute un terme complémentaire. La valeur de ce terme est insensible pour la plupart des planètes ; mais elle devient appréciable pour celle dont la vitesse est la plus grande, c’est-à-dire pour Mercure, la plus voisine du soleil. 851

RELATIVITE

852

Le périhélie de Mercure est le point de son orbite qui est le plus rapproché du soleil. En tenant compte det perturbations apportées par le voisinage des autres planètes, Laplace avait calculé, d’après la loi de Newton, que ce périhélie devait avancer, dans le plan de l’orbite, d’un arc de 53a secondes par siècle. Or l’observation astronomique a noté une avance de 5 7 4 secondes : il y avait donc li secondes de trop. Mais le terme complémentaire d’Einstein ajoute précisément ces lz secondes. On pourrait presque dire que cet accord est trop satisfaisant.

Pesanteur delà lumière.

38. — D’après la Théorie de la Relativité, l'énergie a une niasse ; or la lumière est un forme de l'énergie, donc elle a une masse. Par conséquent, son passage à travers un champ de gravitation doit modifier son mouvement.

Le champ terrestre est trop peu intense pour que l’effet soit sensible. Mais au voisinage du soleil, il n’en est pas de même. Considérons une étoile située très loin derrière le soleil par rapport à nous. Elle émet des ondes lumineuses, qu’on peut comparer à des vagues roulant sur la mer ; elles deviennent rectilignes à grande dislance du centre d'émission. D’après la loi d’Einstein, le champ de gravitation ralentit la vitesse de ces vagues, tandis qu’il augmente celle d’une planète ou d’une comète. Or, quand le mouvement d’une vague est plus lent à une de ses extrémités qu'à l’autre, le front de la vague exécute comme un mouvement de conversion, et sa direction de propagation primitive change. En mer, ce cas se présente quand l’une des extrémités de la vague atteint avant l’autre une région d’eau moins profonde, car la vitesse diminue avec une moindre profondeur. Alors les vagues, qui au large s’avancent en biais par rapport au rivage, pivotent en se rapprochant de lui et l’abordent de front. Il en est de même quand les ondes lumineuses de l'étoile viennent à passer près du soleil, c’est leur extrémité la plus proche de l’astre qui diminue de vitesse ; le front de l’onde pivote et sa direction de propagation est déviée.

Cette direction de propagation est donnée par ce qu’on appelle le rayon lumineux ; le rayon est perpendiculaire au front de l’onde. Le pivotement de l’onde se traduit pour nous par la déviation du rayon lumineux ; ce rayon nous semblera courbé du côté du soleil.

Dans la Théorie de Newton, le rayon lumineux a une autre nature ; il est composé de corpuscules lancés par l'étoile avec la vitesse de300.ooo kil. par sec. En donnant une masse à ces corpuscules, on peut donc prévoir la déviation qu’ils éprouveraient en traversant le champ solaire. Pour un rayon qui raserait la surface du soleil, le calcul donne une déviation deo'87, causée par l’attraction solaire.

Or la loi d’Einstein annonce une déviation double, 1 75 ; elle est due, non à une attraction, mais à la structure de l’Univers.

Des observations astronomiques ont été faites, au moment d'éclipsés totales du soleil : on pouvaitalors photographier la position des étoiles dont les rayons rasent sa surface. Les résultats semblent donner nettement raison à Einstein.

Pour prévenir une objection, il est bon de remarquer que cette diminution de la vitesse de la lumière au voisinage du soleil n’estpascontradicloire avec l’hypothèse de l’Isotropie de la vitesse de la lumière, point de départ de la Théorie de la Relativité. Car un observateur qui déterminerait expérimentalement la vitesse d’un rayon lumineux en un point près du soleil, la trouverait égale à celle qu’il a sur la

terre, et égale dans toutes les directions : c’est toujours le même chiffre de 300.ooo kilom. La diminution apparaît seulement pour la vitesse définie avec les coordonnées employées dans le calcul, et pour un observateur qui considère l’ensemble du champ solaire cl calcule la vitesse de la lumière dans les différents points de sa trajectoire.

Le déplacement des raies du spectre solaire

39. — La loi d’Einstein a une autre conséquence : un champ de gravitation doit ralentir le cours du temps. Ainsi la vie d’un observateur, dans le voisinage du soleil, s'écoulerait plus lentement que sur la Terre.

Il semble bien difficile d’en faire l’expérience. Cependant on peut trouver à la surface du Soleil des horloges naturelles, et les comparer aux horloges du même genre, qu’on a dans les laboratoires terrestres.

Ces horlogi s sont constituées par les vibrations de la lumière.

Dans la lumière étalée du spectre solaire, on voit toutes les couleurs de l’arcen-ciel. Chaque radiation lumineuse y a sa place, les plus rapides vers le violet, les plus lentes vers le rouge. Par exemple, le fer, qui se trouve dans l’atmosphère incandescente du Soleil, donne dans le spectre solaire une série de raies très nombreuses, qui se rangent d’après la rapidité de la vibration lumineuse qui les produit. On peut comparer les positions de ces raies avec celles des raies que donne la vapeur incandescente du fer dans une expérience de laboratoire. Si le temps est ralenti dans le soleil, les raies du fer dans le spectre solaire seront toutes déplacées vers le rouge.

L’expérience est très délicate, car bien des causes d’erreur peuvent s’y glisser. Il semble pourtant que le déplacement prévu a été réellement observé.

L’Electricité

40. — La Théorie de la Relativité déduit de principes géométriques l’existence de la gravitation et les lois mécaniques auxquelles obéit la matière. Si bien qu’un géomètre, tel qne Riemann, aurait fort bien pu prévoir les caractères essentiels de l’Univers réel. Cependant la nature nous a réservé une grosse surprise : l’Electricité.

Ce n’est pas que les phénomènes électriques ne s’adaptent pas à la Théorie de la Relativité, puisque, historiquement, c’est à eux qu’elle a dû de prendre son essor. De plus, en partant de la loi de gravitation, on arrive à introduire l'électricité ; car l'électricité est une forme de l'énergie, il suffit de l’ajouter à l'énergie de la matière, dans les G équations qu’Einstein a trouvées pour exprimer la loi de la gravitation dans la matière (n° 35).

Sans détailler le mode de cette nouvelle construction, signalons seulement deux résultats intéressants :

10 Une nouvelle loi de conservation est confirmée : celle de l'électricité.

2° L'énergie électromagnétique présente une profonde différence-avec la matière : elle ne contribue pas, comme la matière, à modifier la Courbure totale de l’Univers. La conséquence est que la matière et les électrons, qui la composent, ne peuvent être constitués par de l'électricité seule.

Cependant, après toutes ces découvertes, il restait une grande question à résoudre.

Le champ de gravitation est expliqué parla structure géométrique de lUnivers. Cette structure a été jusqu’ici entièrement déterminée par les données du problème. Mais avec les forces électriques on se trouve en présence d’un nouveau champ, le champ 853

RELATIVITE

85' »

électromagnétique : celui-ci n’a pas sa place dans la géométrie de l’Univers.

Ce serait un grand progrès si l’on pouvait unir, dans une même géométrie, le champ de gravitation et le champ électromagnétique.

Cette fusion a été réalisée par H. "Weyl et Eddinglon.

Voici le principe du développement nouveau de la Théorie.

41. — La Géométrie généralisée, qui constitue l’Univers, est non Euclidienne. Elle est caractérisée par ce fait que, si un observateur cherche par des moyens physiques à transporter une direction, , parallèlement à elle-même, d’un point de l’Univers à un autre, en suivant un certain chemin, la direction obtenue à l’arrivée ne sera pas la même que si on la transporte par une autre route.

Dans la géométrie Euclidienne, au contraire, la direction se conserve : une droite, déplacée parallèlement à elle-même, garde la même direction quel que soit le chemin suivi : c’est un des axiomes d’Euclide.

Cela n’est déjà plus vrai dans l’espace à deux dimensions que forme une surface sphérique. Qu’un arpenteur trace une direction sur une pareille surface, et cherche à la transporter parallèlement à elle-même en un autre point de la surface : le résultat variera avec la roule choisie.

Dans l’Espace-Temps à quatre dimensions non Euclidien, il se passe une chose semblable. Cette Géométrie est déjà largement généralisée. Mais on peut la généraliser davantage, en ajoutant que la longueur, pas plus que la direction, n’est conservée.

(Il ne s’agit pas de la longueur tracée dans l’Espace seul, mais de ce que, par analogie, on peut appeler longueur dans l’Espace-Temps : le temps entre dans la constitution de cette longueur, comme il entre du restedans la nature de la direction dont nous venons de parler).

Tel est le principe nouveau, point de départ d’un développement de la Théorie d’Einstein :

La longueur transpoitée varie avec le chemin parcouru dans l’Espace-Temps.

La loi suivant laquelle se fait cette variation caractérise une structure nouvelle de l’Univers.

En suivant la marche qui avait conduit Einstein à l’explication du champ de gravitation, le Professeur H. Weyl a démontré que cette structure nouvelle de l’Univers expliquait le champ électromagnétique.

Une Géométrie absolument générale de l’Univers est ainsi constituée. Les théorèmes de cette Géométrie donnent l’explication des grandes lois de la Mécanique et de la Physique.

L’Espace fermé

42. — Il s’agit de l’espace à trois dimensions.

L’Espace Euclidien est infini : deux lignes droitesparallèles ne se rencontrent jamais, si loin qu’on les prolonge. C’est l’espace des métaphysiciens ; il peut toujours être conçu, quel que soit l'état du monde physique. Il ne sera jamais question de lui enlever sa propriété d’extension idéale, rectiligne, indéfinie.

Tout autre est l’espace des Relativistcs : c’est un espace physique : la loi d’extension de la matière ; il postule un substralum universel.

Dans sa loi de la gravitation, Einstein donnait à l’Espace-temps une extension infinie dans tous les Eens ; car il supposait qu'à une distance infinie de la matière le champ de gravitation s’annulait et l’Espace-Temps devenait Euclidien ; il fallait donc le supposer infini. Mais en développant sa théorie, il s’aperçut que l’hypothèse d’un Espace-Temps Euclidien à l’infini présentait des difficultés insolubles.

Une première difficulté venait de la théorie électronique de la matière : cette théorie conduit à attribuer à l’Univers une courbure totale constante, et différente de zéro, dans le vide. L Univers ne pouvait donc cire Euclidien nulle part.

Une autre difficulté se rencontrait dans la considération du mouvement de rotation, et en général du mouvement accéléré. A l’infini de la matière, ce mouvement ne peut pas avoir un caractère absolu ; si on éloigne une masse à l’infini de toutes les autres, son inertie devrait s’annuler. — C’est une conséquence des Principes Relativistes. — On ne peut donc supposer l’Espace infini.

Einstein s’est donc vu obligé de modifier la forme qu’il avait donnée d’abord à la loi de la gravitation. A chacune des six équations qui la formulent, il a ajouté un terme complémentaire ; la valeur de ce terme est très petite, mais elle suffit à enlever à l’Univers la possibilité d'être Euclidien.

En partant des nouvelles équations, le calcul met en évidence deux solutions possibles pour la structure de l’Univers. La première est donnée par Einstein, la seconde a été présentée ensuite par l’astronome hollandais de Sitler.

Les deux solutions s’accordent pour conclure que l Espace à trois dimensions est fermé ! La géométrie qui le caractérise est une géométrie déjà connue, celle de Riemann. C’est l’Espace sphérique.

On essaiera peut-être de se représenter, par l’imagination, un espace sphérique. — Chimère ! Une sphère nous montre une surface fermée enveloppant un volume ; l’espace sphérique n’a rien de commun avec ce volume. Les mathématiciens diront que c’est un espace qui limite une hypersphère dans un espace à quatre dimensions, comme la surface sphérique limite une sphère. C’est un espace non Euclidien, fermé et pourtant sans limites.

Ces mots géométriques n’ont de sens, que pour illustrer des formules algébriques. Mais les formules traduisent une réalité extérieure. Les spéculations précédentes ne sont donc pas de purs jeux d’esprit.

43- — H y a une différence entre l’espace d’Einstein et celui de de Sitter. En employant le langage imagé qui résume leurs formules, on peut dire que, pour Einstein, la matière, qui détermine la courbure de l’espace, intervient en produisant des sortes de plissements, par lesquels la forme de l’espace est brusquement changée de distance en distance, de manière que l’espace se ferme en prenant une forme qua^i-sphérique. Au contraire, dans l’hypothèse de de Sitter, l’espace, là où il contient delà matière, a une courbure moyenne constante égale à celle qu’il a dans le vide. L’espace n’est pas quasi-sphérique, mais bien sphérique, avec des rides locales très disséminées, dues à la présence de la matière, rides qu’on peut, si l’on cherche une image, comparer au relief du sol. Ainsi l’espace serait fermé, même s’il n’y avait pas de matière.

Une autre différence plus profonde entre les deux solutions apparaît, quand on considère, non plus l’espace, mais l’Univers à quatre dimensions.

Pour Einstein, l’Univers est courbe suivant l’Espace tridimensionnel, mais il est rectiligne suivant le temps. On retrouve ainsi un Temps absolu d’Univers.

Pour deSitter, l’Univers a une courbure fondamentale dans tous les sens. La courbure du temps 1 les conséquences qu’on en tire deviennent passablement fanlastiques. Nous ne suivrons pas les deux savants dans lesaudacesde leurs théories ; notons cependant que la solution de l’astronome hollandais semble avoir la préférence chez les Relativistes. Entre autres 855

RELATIVITÉ

836

avantages, sa courbure du temps expliquerait, parait-il, un fait astronomique, à savoir que les masses matérielles les plus éloignées de nous, c’est-à-dire 1 s nébuleuses spirales, ont dans l’ens -mble un m Hivernent qai les emporte au loin, avec des vitesses énormes, plus de mille kilomètres à la seconde. Ce s’rail un elTet d’optique, du à la courbure du temps.

Lu Problbms du l’Ethbr

44. — Vers 1860, aucun physicien ne doutait de la réalité de l’Elher. On le considérait comme une subst mce, dillérenle de la matière pondérable, pénétrant tous les corps, remplissant l’espace vide.

« L’Elher, disait William Thomson, n’est pas

une création imaginaire des philosophes spéculatifs ; il nous est aussi nécessaire que l’air que nous respirons ».

L’Ether conçu par Fresnel était un milieu élastique, qui propageait la lumière par de véritables vibrations, comme l’air propage le son.

Avec Her : z et Maxwell, il apparaît de plus comme le substratum des champs électromagnétiques : l’onde électromagnétique comprend, comme cas particulier, l’onde lumineuse.

Lorentz compléta la théorie en introduisant l’électron, ou atome d’électricilé négative. L’Ether reste immobile, mais les électrons se déplacent. Ces mouvements expliquent les phénomènes électromagnétiques et lumineux. L’immobilité, c’est la seule propriété mécanique que Lorentz laisse àl’Ether.

La théorie de la Relativité restreinte a enlevé à l’Elher cette dernière propriété. Car, si l’élher immobile existe, une onde lumineuse qui s’y propige a nécessaiiement une vitesse parrapportà ce milieu ; alors sa vitesse par rapport à un observateur devra varier avec le mouvement de celui-ci. Or c’est contraire à l’expérience : l’Isotropie de la vitesse de la lumière est le point de départ de la théorie de la Relativité. Impossible de considérer l’Elher comme un milieu immobile.

Impossible pourtant de le supprimer. La théorie de la Relativité généralisée en a absolumentbesoin : pour elle, le vide contient quelque chose. Il ne faut donc pas supprimer l’Elher, mais donner une forme tout à fait nouvelle à la notion du substratum universel.

L’espace possède des propriétés physiques ; on peut exprimer ce fait en disant que l’Elher existe. Mais cet Ether ne doit pas être conçu comme étant doué de la propriété qui caractérise la matière : i/ n’est pas constitué par des parties qui puissent être suivies dans te temps. Autrement dit, nous ne pouvons pas placer notre doigt sur un certain point, et dire que « cette partie de l’Elher se trouvait là-bas quelques secondes avant ».

Ce défaut d’identité dans les parties constitutives de l’Elher enlève toute signitication à un mouvement par rapporta lui ; et il paraît vraisemblable que ce soit là la véritable raison pour laquelle aucune expérience ne révélera jamais un pareil mouvement-Ces idées aboutissent logiquement à identilîer l’fither avec l’Univers à quatre dimensions, ce composé d’espace et de temps dont la structure géométrique explique la gravitation et l’électricité. Mettons le mot « Etlier » partout où nous avons dit « Espace-Temps », et nous comprendrons que cet Espace-Temps soit considéré par les Relativistes comme une réalité. (n° SI).

L’éleclron serait un état particulier de la structure de l’Ether, la matière serait composée d’électrons.

43. — Les lecteurs qui seraient déconcertés par ces conceptions étranges, n’ont qu’à se souvenir qu’il y a là énormément de Srmboliime.

Les théories phj’siques ne peuvent avoir la prétention de donner toujours des apparences une explication conforme à la réa’ilé ; elles ne sont souvent qu’un moule analytique dans lequel le physicien essaie d’enfermer les choses. Et le physicien entendra le mol réel dans un sens très différent du philosophe.

Entre la théorie de la Relativité, et la Réalité qui existe indépendamment de nous, il y a cependant nu lien : l’harmonie des conclusions et la puissance de synthèse de cette nouvelle théorie physique doivent bien correspondre à quelque chose de réel. On ne doit pas défendre à l’esprit humain, naturellement soucieux d’atteindre le vrai ontologique, dechercher à se rapprocher de plus en plus de la réalité extérieure. Mais l’interprétation qu’on donnera peut-être un jour des formules d Einstein et de ses collaborateurs sera autre que celle que nous avons esssayé d’exposer.

Sur ce point, il est permis de rester dans une prudente expectative.

BiBLiOGHAmiB. — Les ouvrages et les articles de Revue, traitant de la Uelalivilé, se succèdent si nombreux, qu’il faudrait mettre constamment à jour la Bibliographie de la question. Voici du moins la liste de quelques ouvrages, édités en France, avant kjî5. — A. Einstein. — Théorie de la Relativité restreinte et généralisée. (Trad. : Mlle Rouvière. Gaulhier-Villars, xvn-i >o page :  ;). — L’Ether et la Théorie de la Relativité, (Trad. : M. Solovine. Gaulhier-Villars, îG pages). — La Géométrie et V expérience. (Trad. : M. Solovine. Gaulhier-Villars, 20 pages). — A. S. Eddinglon.

— Espace, Temps et Gravitation. (Trad. : S. Rossignol. J. Hermann, ix-a6a-14g pages). — P. Langevin. —Le Principe de llel’ti -it<.(R.Chiron éd.).

— La Physique depuisvingtan. (Paris, Doin, iga3).

— J. Becquerel. — Le Principe de Rrlat vite, et la Théorie de la Gravitation. (Gauthier- Villars, ix-3^2 pages). — Exposé élémentaire de la Théorie d’Einstein. (Payol). — Champ de Gravitation d’une sphère matérielle. (J. Hermann, 3a pages).

— E. Picard. — La Théorie de lu Relativité et ses applications ùl’Astronomie. (Gaulhier-Villars, i- ; pages). — H. Galbrun. — Introduction à l : Théorie de la Relativité. (Gauthier-Villars, x-/|60 pages). — E Borel. — L’Espace et le Temps. (Alcan). — H. Marais. — Introduction géométrique à la Relativité. (Gaulhier-Villars, 192 pages). — P. Drumaux. — L’évidence de / Théorie d’Einstein. (J. Hermann, 72 pages). — G. Mie. — La Théorie Einsteinienn de la Grai’i <(i « ’o «. (J. Hermann, xn-iao pages). — E. Carton. — Sur les Equations de la Gravitation. (Gauthier-Villars, 65 pages). — H. Thirring. — L’idée de la Théorie de la Relativité. — (Trad. : M. Solovine. Gauthier-Villars, 186 pages). — Max Boni. — Théorie de la Relativité d’Einstein, et ses bases physiques. (Trad. : Finkelstein et Verdier. Gauthier-Villars, xi-33q pages). — L. Bloch.

— Le Principe de la Relativité et la Théorie d’Einstein. (Gauthier-Vil’ars, 4 i pages). — A. Metz.

— La Relativité. Exposé élémentaire de la Relativité, et réfutation des erreurs contenues dans les ouvragée les plus notoires. (E. Chiron. XVIII- 1 56 pages). — H. Weyl. — Temps, Espace, Matière. (Trad. : Juvet-Leroy. Blanchard). — Von Laue. — Théorie de la Relativité. (Trad. Gustave Létang, 2 vol. Gauthier-Villars). — J. Villey. — Les divers aspects de la Théorie de la Relatif ilé. (Gauthier-Villars, JL-96 pages). — E. Barré.

— Exposé général du principe de Relativité et des S57

théories d’Einstein. <E. CMron, 128 pages). — M. l.ecal a publié ona Btbl ogrephie de la Relativité (Bruxelles, îçja’i), contenant l’indication de 3.-70 travaux, écrits en ai langues par 1.176 auteurs différents, et qui appelle chaque jour des compléments nouveaux.

LoUifl PoUQUIST.