Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Règne de Jésus-Christ

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 4 – de « Persécutions » à « Zoroastre »p. 414-417).

RÈGNE DE JÉSUS-CHRIST. — Leprésent article a pour but d'éclaircir certaines idées courantes, en rappelant et groupant les explications déjà fournies en diverses parties de ce Dictionnaire. Partant Je ce fait acquis, que Jésus-Christ, entré en possession de la gloire divine, règne à jamais dans le ciel, on se propose de préciser sa relation à la société humaine sur terre. Deux parties :

I. Le fait de la. royauté terrestre de Jésus-Christ.

II. Le sens de cette royauté.

I. Le fait de la royauté terrestre de Jésus- Christ-

L’attestation de ce fait se lit à mainte page de l’Ancien et du Nouveau Testament Dans les Psaumes, Ps., 11, 8 (trad. Pérbnnks) :

Demande-moi, et je te donnerai les nation » pnur héritage, et pour ton domaine les extrémités de lu teire.

Ps., xliv (lib. xlv), 2-8 :

Un noble chant va jaillir de mon coeur,

c’est à un roi que je dis mon poème ;

ma langue est le style d’un scribe diligent.

Tu es le plus beau des fils des hommes,

la grâce est répandue sur tes lèvres,

aussi Dieu t’a béni à jamais.

Ceins-toi les reins de ton glaive, ô héros ;

il est ta parure et ta gloire.

Bande ton arc, élance- toi sur ton char,

pour la cause de la vérité

et le règne de la justice.

Des merveille* seront accomplies par ta droite,

par tes flèches acérées.

Elles feront tomber les peuples sous tes pieds,

elles perceront au coeur les ennemis du roi.

Ton trône, 6 Dieu, existe à tout jamais ;

c’est un sceptre de droiture que ton scep’re royal :

tu aimes la justice et bais l’iniquité.

Aussi Elohim, ton Dieu, t’a oint

de l’huile d’allégresse, plus que tout autre (roi).

Ps., lxxi (lxxii) :

Dieu, donne ton jugement au Roi

et ta justice au Fils du Roi.

Qu’il gouverne ton peuple avec justice,

et, selon le droit, tes humbles (fi’ièles) !

En ses jours, la justice fleurira,

et une paix profonde, durable comme la lune.

Il dominera de la mer à la mer,

et de la Rivière jusqu’aux extrémités de la terre.

Devant sa face, ses adversaires fléchiront le genou,

et ses ennemis lécheront la poussière.

Les rois de Tarais et des lies apporteront des présents,

les rois de Suba et de Seba offriront un tribut.

Tous les rois se prosterneront devant lui,

toutes les nations seront a son service.

Voir encore Ps., lxxxviii (lxxxix), 4-5 ; 20-10 ; cix(cx) ; cxxxi (cxxxn).

Au témoignage des Psaumes messianiques, les autres Prophètes font écho.

Is.,.. ix., 6-7 : (trad. Condamin).

Un Enfant nous est né,

un Fils nous a été donné,

il a sur son épaule la souveraineté,

et on lui donnera pour nom :

Merveilleux Conseiller,

Dieu fort,

Père ù jamais,

Prince de la paix.

Pour agrandir la souveraineté

et pour la paix sans fin,

sur le trô'.e de David et dans son royaume…

Voir ibid., xi, 2 sqq ; xlv, 23-a4 ; xlix, 6-7 ; lx 18-21 ; 1er., xxxi-xxxiv ; Zach., xiv, 9-16 etc.

Le Fils de l’homme, qui vient, en Daniel (vu, 14), sur les nuées, reçoit puissance sur tous les peuples, nations et langues ; c’est là encore un royaume premièrement terrestre, royaume sans liii, que promettaient déjà au Fils de David les Psaumes et Isaïe.

A ces oracles messianiques, il est juste d’associer les oracles très nombreux qui présentent Iabvé, Dieu d’Israël, comme le roi du peuple élu, recueillant luimême l’héritage chancelant de David ; Dieu des armées, régnant effectivement sur son peuple : /*., vi, 3 ; xxv, 6, etc. Le jour où apparut aux disciples du Seigneur et à l’Eglise la divinité du Christ, tous ces oracles lui devinrent applicables, de plain-pied ; et du même coup, toutes les allusions au règne de Dieu qui se rencontrentdans les Livres Sapientiaux ; ainsi, quand Dieu fait figure de Roi des rois, Sap., vi, 4 ; et plus particulièrement de Roi guerrier, Sap., xvin. 15 ; ces traits, et autres semblables, conviennent à notre Christ — VoirR P. Laghangk, le règne de Dieu dans l’A. T., Rev, Biblique, 1908, p. 36-61.

Les apocryphes bibliques reflètent sur ce point la 817

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croyance d’Israël. Règne du Fils de l’homme, selon te Livre « P/fénocA, xlviii, i-io ; i.xix, 26-29 et passim. Trad F. Martin, Paris. 190',. Règne ilu Fils de David, selon les Psaumes de Salomon ; notamment Ps., xvii. Trad. J. Yitbau, Paris, 1911. L’upocalypli(|iie juive et la théologie rahhinique ramènent souvent de semblables développements, témoignage de l’espérance populaire orientée versuneroyauté effective du Messie en terre. Voir Lagrange, Messianisme chez les Juifs, 111e partie, Paris, 1909.

Jésus-Christ s’est présenté en ce monde comme Koi messianique. Sa carrière terrestre est encadrée entre la question des Mages : « Où est le Roi des Juifs, qui vient de naître ? » [ML, H, a), et l’inscription de la croix : « Jésus deNazareth, Roi des Juifs » (Mt., xxvii, 3 ;  ; Me., xv, 26 ; Le., xxiii, 38 ; lo., xix, lu). Il annonce le royaume des cieux, le royaume de Dieu, le royaume de son Père, qui est aussi son royaume (Luc, xxii, 30J ; ce témoignage, rendu à la vérité, constitue l’Evangile.

Nous n’avons point à redire ici l'économie obser ëe par Jésus dans la revendication de sa dignité messianique. D’abord discrète et voilée, par égard pour les pensées grossières et charnelles des Juifs, cette revendication se fit plus distincte, à mesure qu’avançait la préparation des âmes. Voir art. Jésus-Christ. §§97-110. Ce qui nous intéresse, est ici la teneur du message.

Reprenant la parole de Jean Baptiste, Jésus annonce à brève échéance le royaume des cieux. Mat., iii, a ; iv, 175 V, 3 etc… L’expression, de couleur araméenne, « royaume des cieux », est propre à saint Matthieu, qui la ramène jusqu'à 33 fois ; il y a lieu de croire qu’elle reflète très précisément la parole du Seigneur. D’ailleurs « les cieux » signifient simplement la majesté divine ; cela ressort et du flottement de l’expression en saint Mathieu lui-même et du parallélisme des autres évangiles, qui disent :

« royaume de Dieu ». Royaume descieux, on royaume

de Dieu, signifie l’influence actuelle de Dieu en terre, le progrès de ses desseins miséricordieux pour le salut du genre humain, enfin leur consommation dans l'éternité bienheureuse. Idée très compréhensive, présentée dans les évangiles sous divers aspects et à divers points de son développement.

Les paraboles évangéliques du royaume s’appliquent d’ahord aux destinées présentes et visibles de l’Eglise (Mt., xm : paraboles de la semence ; parabole du levain ; parabole du filet). Mais l’opération invisible de Dieu dans les âmes y est incluse, et parfois vient au premier plan. -W., xii, 28 : « Si c’est par l’Esprit de Dieu que je chasse les démons, le royaume de Dieu est donc venu à vous ». Cf. Le., xvii, 21. Ailleurs, les développements sur le royaume de Dieu ouvrent des perspectives eschatologiques. Mt., v, 3, 10 : « Bienheureux les pauvres d’esprit, parce que le Royaume des cieux est à eux… Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le Royaume des cieux est à eux » ; xvi, ^ ; xxiv, 30-31 ; xxv, 31-40 (sentence du jugement) ; xxvi, 6'i (devant legrand prêtre) ; lo., xviii, 33-3 ; (devant Pilate) ; cf. xix, 1 ', - 2 '- - — Cf. art. Jésus-Christ, § 73-76 ; Bartmann. Da s Himmelreich und sein Konig, Paderborn, igo’i ; Lagrangb. L'évangile selon saint Marc, cxxix-cxxx, Paris, 191 1 ; M. Lbpin, Le Royaume de Dieu dans les Evangiles. Revue Apologétique, t.XIV, p. g14-Q, 33, 15sept. 191a.

L’idée traditionnelle de la royauté davidique demeure présente à l’esprit desécrivainsdu NT., comme le symbole visible de la royauté spirituelle qui doit s'établir en terreet se prolonger éternellement dans le ciel. L’ange a prédit à Marie que son Fils recevrait le trône de David son Père, qu’il régnerait sur la

maison de Jacob à jamais, et que son règne n’aurait pas de fin (Le., 1, 3a. 33). La mère des fils de Zébédée s’attache, avec une ambition trop humaine, à cette espérance mal comprise (Mt., xx, ao-aii ; Me., x, 35to). Le Seigneur lui-même reconnaît la prérogative des enfants d’Israël, appelés les premiers à la lumière de l’Evangile (Mt., viii, 12 ; x, 6 ; xv, 2$) ; cependant, il n’exclut personne du royaume (Mt., xxi, 3 1.43). A l'égard des Pharisiens, l’oracle davidique lui sert comme un argument ad hominem pour confondre l’aveuglement de la haine (Mt., xxii, 4'-'16 : Me, xii, 35-37 ! ^- c> > xx > 4 '-40- Après sa résurrection et l’avertissement énergique donné aux disciples d’Emmaus (Le., xxiv, a. r >), les Apôtres, toujours hantés par la vision d’une restauration politique, trahissent leur impatience par une question naïve :

« Seigneur, est-ce maintenant que vous restaurerez

le royaume d’Israël ? » qui leur vaut une nouvelle leçon (Act., ii, 3a-34). L’effusion du Saint-Esprit leur ouvre le sens des promesses faites à David et les affermit dans la foi (Act. 11, 33-35, coll. Ps., cix, 1., .)/*., xxii, 44 ; Âct. iv, a5-iG, coll., Ps., 11, 1.2., Act., xm, 33, coll. Ps., il, 7). Saint Paul rappelle aux fidèles le triomphe assuré du Christ sur toute puissance ennemie, I Cor., xv, 2^-28 : « Puis viendra la fin, quand il aura remis le royaume à Dieu son Père, après avoir anéanti toute domination, toute autorité, toute puissance. Car il faut qu’il règne, jusqu'à ce qu’il ait mis tous ses ennemis sous ses pieds. Le dernier ennemi anéanti sera la mort ; car Dieu a mis tout sous ses pieds. En disant que tout a été soumis, manifestement Dieu excepte Celui-là qui lui a tout soumis. Et après que tout lui sera soumis, alors le Fils lui-même se soumettra à Celui qui lui a tout soumis, afin que Dieu soit tout en tous ». Avec son Père, Jésus- Christ est glorifié, Hoi des siècles, immortel, invisible, seul Dieu (I Tint., 1, -17. — C* Eph., 1, 32 ; Heb., 1, a. 5. v, 5 ; 1, 8-9 ; 1, 13 ; x, 13 ; 11, 5-8). — Les images guerrières de l’Aï, colorent d’un dernier reflet les allusions de l’Apocalypse à la royauté du Christ, Ap„ 1, 5, G : « Jésus-Christ, témoin fidèle, premier-né d’entre les morts, prince des rois de la terre, nous aime et nous a rachetés de nos péchés par son sang ; il nous a faits royaume, prêtres de Dieu son Père… » — xix, 1 3- 1 6 : « Il portait un vêlement teint de sang, et son nom est : Verbe de Dieu. Et les armées du ciel le suivaient, sur des chevaux blancs, revêtues de lin blanc et pur. Et de sa bouche sort un glaive aigu, pour frapper les nations ; il les régira avec une verge de fer. Il foule la cuve duvin de l’ardente colère duDieu toutpuissant. Et il porte sur son vêtement et sur sa cuisse un nom écrit : Roi des rois et Seigneur des seigneurs. »

IL Le sens de cette royauté. — 1. — Sur le sens de cette royauté, si nous interrogeons la tradition chrétienne, il apparaît tout d’abord que le but en est essentiellementspirituel. Voir saint Cyrille de Jérusalem, Catech., xv, 27-33, P. G., XXXIII, 909-916 ; saint Jean Chrysosto.ie, In loan., (xvm, 36), I/oin., lxxxiii, , P. G., LIX, /J53 ; saint Augustin, Inloan., (xvm, 36), Tr., cxv, 2. P. L. XXXV, 1939 ; saint ("yrii.i.b d' Alexandrie, //1 Ioan., l.XU, P. l>'., LXXIV, 620.621 ; etc. Le Fils de Dieu est venu en ce monde pour rendre témoignage à la vérité et conduire les hommes à son Père. Tout le reste estordonnéàeette fin.

2. —Il apparaît, en second lieu, que le souverain domaine du Christ s 'étend aux choses temporelles, au moins indirectement : car les choses temporelles, étant ordonnées aux spirituelles, en reçoivent leur norme et leur loi. A cette fin, le Christ areçu pleins 819

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pouvoirs de son Père, Mt., xi, 27 : ttthum ^n ita.p&tàh> reC Wonpii //îj…xxviri, 18 : 'Ei : 6r. ; j.h r « r « ' « fbtet’a 'tv clipt/ya x « i Sflri yf ;. — Cf. Van., vii, 14 ; Mal., i, 1 1 : Magnum est nonien meum in Gentibus, dicit Duminus cxercitaum ; après avoir cité ce dernier texte, Déliegimine Principum, 1. 1Il c. 13, saint Thomas ou son continuateur ajoute : « In quo rerbo salis apparel quoddominiumChristiordinatur ad salutem animer et ad spiritualia ordinatur ». — Cf. III, q.5ç, a 4 3. — On peut discuter seulement si la royauté du Christ s'étend aussi directement aux choses temporelles, en sorte qu’il puisse être appelé en rigueur Roi des rois en ce monde ; ce qui est certainement le sens naturel et obvie de l’Ecriture, fa., ix, 6.7 ; Ap.,

I,."1 : i v.f, -/oi-j tCiv pv.vOéwv T ?, i /?, < ;. — XIX, 16 : Baui/eU paatMbi* xac KCpia ttupitm.

La réponse affirmative était déjà celle de saint Jérômh, In ls.,. III, P. L., XXIV, 128 BC : « Nec Juhitare poterit de multipliciSalvatoris imperio etpace eius, quæ non habeat flnem, qui in Psalmis legeril {Ps. t, 11, 8 ; lxxxi, 7)… Principatus autem illius et imperium erit super solium et regnum David, quod post captivitatem Babyloniam fuerat dissipatum, ut cenfirmet illud et corroboret et doceat esse perpetum… ab Incarnalionis tempore usque in sempiternum… » — C’est encore la réponsedefsaintTHOMASJ. De Regimine Principum, 1. 111, 15 : « Vita spiritualis fidelium regnum cælorum vocatur, qria differt in vivendoa regno mundano et quia ad verum regnum ordinatur aeternum, non ad temporale dominium tantum. Ad tollendam igitur suspicionen de cordibus hominum, quod quasi principatum assumpserit ut in mundo dominaretur et hoc esset finis eius, ut aliorum dominorum, vitam abiectamelegit, et tamen "verus erat Dominus et monarcha, quia factus est principatus super humerum eius, ut dictum est per Prophetam… » — Dans le même sens, Suarez, De Incarnatione, Disp., xlviii, s. 2, 9, éd. Paris, 1866, t. XVIII, p. ^68 A : « Dico… habuisse Christum Dominum per se et directe excellensquoddam dominium et potestatem in res omnes creatas e"t super omnes omnium hominum et angelorum actiones… Quia Christus eminenter habet omnem potestatem et dominium quod habent reges temporales, et ideo non soilum in ordine ad linem spiritualem, sed etiarn directe et per se est rex omnium. » Et beaucoup d’autres. Suarez, 1. c. 3, p. 468 A, cite saint AîUonin, Almain, Turrecremata, Navarre. On peut ajouter Vasquez, Molina, Lugo… — Voir A. Stbntrup, De Verbo incarnato, pars II, c. xi, s. 1, Œniponte, 1889.

Si l’on considère que toute puissance relève de Dieu (Rom., xiii, 1), on ne trouvera rien de paradoxal dan » une telle conception, pas même sous la forme oratoire dont l’a revêtue Bossuet : « Celui qui règne dans les cieux et de qui relèvent tous les empires… »

Cependant tous les auteurs ne s’accordent pas à reconnaître cette royauté temporelle du Christ. Tel, le B x Robert Bbllahmin, dans VAiutarium Rellarminianum édité par le R. P. Le Bachklet, pièce 91, p. 599-601, Paris, ig13. Outre plusieurs Pères et docteurs, Bellarmin cite des auteurs modernes qui se sont prononcés contre toute idée de royauté temporelle : Driedo, Corn. Jansenius, Sasbout, Cajetan, Dom. Soto, Franc, de Victoria, Médina, Tolet, Vaientin, Maldonat, Benoit Périer.

Les témoignages des Pères et Docteuis sont discutables. Quant à ceux des modernes, ils donnent prise à une distinction.

Tout le monde s’accorde à écarter l’idée d’une royauté temporelle au sens où l’entendait Pilate : fondée sur un titre humain et revendiquée sur le ter rain politique. Mais une royauté temporelle fondée sur le droit éminent d’unepersonne divine et s’affirmant comme imprescriptible, sans vouloir s’imposer en fait, dépassait de loin l’horizon de Pilate ; et elle s’allie parfaitement à la royauté spirituelle. Le Christ a purevendiquer l’une et l’autre, chacuneà son rang.

On objecte que le Christ, invité par deux frères à partager entre eux leur héritage, se récusa en disait :

« Qui m’a institué juge ou arbitre entre vous ? » —

L’objection se retourne contre ceux qui la formulent. Car assurément le Christ avait tout droit d’arbitrer l’héritage. Mais il a voulu se renfermer dans sa mission spirituelle. Le., xii, 13 |5.

On objecte la parole du Christ à Pilate : « Mon royaume n’est pas de ce monde. » — Le Christ n’a pourtant pas nié que son royaume fût en ce monde, ni qu’il eût sur les trônes de ce monde des droits supérieurs à ceux de tous les monarques. Mais il a tenu à marquer qu’il ne devait rien à ce monde et n’y prétendait rien. Quand on avait voulu le faire roi, il s'était dérobé (/o., vi, 15). L Eglise, dans sa liturgie, raille agréablement les puissants de ce monde, qui prennent ombrage de Jésus :

Crudelii Ht rodes, Deum

Regem venire quid timra ?

Non eripit mortalia

Qui régna dat cæleatia. (Brev. rom., Epiphanie).

C’est là marquer l'éminence de la royauté spirituelle, mais non exclure la temporelle.

On objecte encore que, si le Christ possédait une royauté temporelle, cette royauté a dû passer à son vicaire en terre, le Pontife Romain. Dès lors, le Pontife Romain serait constitué roi des rois, avec les puissants de cemonde pour vassaux. Idée bonne tout au plus pour le moyen âge, mais d’Un archaïsme intolérable. — Cette conclusion ne ressort nullement des prémisses. Carie vicaire du Christ a été investi par lui d’une puissance spirituelle, non du droit inaliénable de sa personnalité divine. Or le droit inaliénable de la personne divine est le seul fondement qu’on puisse assigner au domaine éminent du Christ sur toutes les choses de ce monde.

Précisons. Dieu pourvoit au gouvernement spirituel par le sacerdoce chrétien, il pourvoit au gouvernement temporel par les autorités légitimes. Le régime de la société humaine, sous le Nouveau Testament, n’est pas celui de la théocratie juive, qui concentrait et confondait tous les pouvoirs dans les mains du sacerdoce lévitique. Le Christ a institué le Souverain Pontife son vicaire dans l’ordre spirituel, il institue les gouvernants légitimes ses lieutenants dans l’ordre temporel. La distinction des pouvoirs a pour corollaire ce parallélisme qui, positis ponendis, est absolu. Et de même qu’en instituant le Souverain Pontife son vicaire dans l’ordre spirituel le Christ n’a rien aliéné de son sacerdoce éternel, en déléguant aux princes de ce monde l’administration des choses temporelles il n’a rien aliéné de son essentielle royauté.

Il va sans dire que la concorde des deux pouvoirs, émanés de Dieu à divers titres, est In meilleure garantie d’un ordre social conforme aux desseins de la Providence. La chrétienté du moyen âge était pénétrée de cette idée. D’ailleurs elle n’a jamais perdu de vue la distinction du spirituel et du temporel. Voir ci-dessus les articles Boniface VIII et Pouvoir Pontifical oans l’ordre temporel.

Ces explications marquent en quel sens on peut et on doit parler d’une royauté du Christ dans l’ordre temporel.

4. — Mais, plus que la question de mot — quia pu B21

RELATIVITÉ

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prêter à discussion, — importe la question de piincipe, qui domine tonte discussion.

Le principe, c’est le droit absolu de Dieu et de son Christ à régner sur la société humaine. Contre ce droit, aucun laïcisnied’Etat.ou autre, nesaurait prescrire. Saint Thomas l’a noté, après avoir affirmé l’universelle juridiction du Christ sur toutes les choses humaines (/o., v, aa).Il entend d’ailleurs l’objection de fait : il s’en faut que toutes choses soient soumises au Christ, ou en voie de se soumettre. Et donc le règne universel du Christ n’est pas, tant s’en faut, une réalité de l’heure présente. — La distinction du fait et du droit suffit à faire provisoirement face à l’objection, 111 » q. 50. a. 4 ad. a m : Christo sunt omma subiecta quantum ad potestatem quant a Paire super omnia cecepit (>/'., xxviri, 18) ; nondum tamen sunt omnia ei subiecta quantum ad eiecutionem suæ poteslatis : quod quidem erit in futuro, quando de omnibus voluntatem suam adimplebit, quosdam quidem salvando, quosdam antem puniendo.

Ainsi le Docteur angélique affirme le droit imprescriptible du Christ sur toute créature, quittée reculer dans l'éternité les revendications suprêmes et elfectives de ce droit.

C « texte de saint Thomas a trouvé place dans l’Encyclique Annum sacrum <25 mai 1899), pariaquelle Li : on XIII, à la veille de l’année séculaire, annonçait le dessein de consacrer le genre humain au Sacré-Cœur de Jésus. Le Pasteur suprême s’en autorise pour un geste large, qui déborde son propre bercail. Dès lors, en effet, que tous les hommes appartiennent au Christ à un double titre, et comme ses créatures et comme acquis au prix de son sang, tous aussi appartiennent d’une certaine manière au vicaire du Christ, et peuvent être présentés à Dieu par ses mains. Après avoir expliqué, dans cet acte solennel, cur ipsi infidèles pott-state dotninatuque lesu Christi teneantur, Léon XIII reprit la même leçon l’année suivante, dans l’Encyclique Tametsi futura (1 nov. 1900), et l’appliqua, non plus seulementaux individus, mais aux sociétés : Humanæ Procreator idemque Redemptor nalurae, Filius Dei, rex et dominas est orbis terrarum, potcslalemque summam in homines obtinet ctim singulos lum iure sociétés. Le contexte rappelle Dan., vii, 14 et Ps., 11, 8. — Cf. Thésaurus Doctrinæ Catholicae, éd. Cava liera, n.

79^ -79 5 Au Congrès eucharistique de Lourdes, en juillet 191/1, ces véritées furent rappelées, et le droit royal de Jésus-Christ affirmé éloquemment. Nous renverrons aux pages écrites sur ce Congrès par M. Yves de La. Brièrb, Les Luttes présentes de l’Eglise, IIe série, p. 480-501. Paris, 1916.

Rien ne heurte et ne révolte l’instinct rationaliste, comme cette prétention du christianisme à pénétrer non seulement toute vie privée, mais toute vie sociale. Pourtant, rien n’est plus fondé en Evangile. Devant l’offense publique de Dieu, l’indifférence de la société est une lacune, et sa connivence positive est un désordre. Le chrétien qui, du fond du cœur, dit à Dieu : Que votre rogne arrive », renouvelle on acte de foi à l’ordre voulu par Dieu et s’offre à y entrer pleinement.

Les erreurs contraires sont largement notées dans le Srllalnts de Pie IX. On lira avec fruit l'œuvre doctrinale du Cardinal Pi », grand' champion du règne de Dieu, au siècle dernier ; cette œuvre a été, de nos jours, condensée en un volume : La rorauté sociale de Jésus-Christ, d après le Cardinal Pie ; par le P. Tiiéotime de Saint-Just, O. M. C, Paris, i<ja3. — Voir, dans ce Dictionnaire, les articles Laïcismb, Libéralismb, Syllabus.

A. d’Ai.ès.