Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Papauté (IV. Infaillibilité)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

IV
INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE

I. Sens du dogme.

1° Explication de Vinfuillibililé pontificale d’après

la définition et tes actes du Concile du Vatican. 2" Ce que n’est pas l infaillibilité pontificale.

II. Adversaires db l’inpau.ijbilitb pontificale.

f" catégorie : Ceux qui rejettent tout magistère infaillible.

2* catégorie : Ceux qui rejettent l’infaillibilité spéciale du Pape.

1" Les scliismatiques orientaux. 2" Les gallicans.

m. DÉVELOPPEMENT HISTORIQUE DE LA CONTROVERSE ENTRE CATHOLIQUES SUR L’INFAILLIBILITÉ DU PaPB.

i époque : Les origines. Le grand schisme d’Occident et le.’V' siècle.

a* époque : La décadence de l’anti-infaillibilisme

au -VF’/* siècle.

1° Universités.

a" Théologiens.

3" époque : l.e retour de l’anti-infaillibilisme au

XVII’siècle.

A. l’initiative de Richer. V La théorie du Libellus.

2° Accueil fait au Libellus dans l’Eglise de France, a) Théologiens ; b) Actes officiels.

3° Quels sont les résultats de l’initiative de Richer ? 1423

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B. La Déclaration de 1682.

i » La marche du gallicanisme et la défense de l’infaillibilité pontificale jusque dans les débuts du gouvernement personnel de Louis XIV. a" Les événements de 1663, prélude de ceux de 1682. a) Les circonstances ; b) Les thèses ; c) La déclaration de 1663. 3" La déclaration de 1682 ; et spécialement son 4' article, sur l’infaillibilité du Pape.

Remarques sur le i' article, a) Bossuet s'écarte ici de la formule de la Sorhonne en 1663 ; b) Objection principale de Bossuet contre l’infaillibilité du Pape ; c) Concession faite par lui à l’infaillibilité du Saint-Siège.

! , " Suites de la Déclaration de 1682 : 

t. L'édit royal ; la résistance de la Sorbonne. a. Opposition faite à la Déclaration par d’autres universités et en d’autres pays, surtout sur l’article de l’infaillibilité. 3. Fermeté des Papes. Le roi, en 1693, retire son édit de 1682, qui imposait l’enseignement des quatre articles. — Esprit nouveau qui se montre surtout : a) dans l’affaire de Fénelon à Borne ; h) à l’occasion de la bulle Vineam contre le jansénisme, t^' époque : La crise aiguë des « appelants » et des Parlements de Louis XV, avec set conséquences jusqu’au Concile du Vatican.

A. Ao première lutte contre ta bulle Unigenitus. i" Résumé des faits.

a"" L’idée d’infaillibilité dans cette lutte.

B. Usurpation des droits épiscopaux et royaux par le Parlement de Paris, devenu chef du jansénisme et de V ultragallicanisme (o partir de 1730). Ce que devient en France la doctrine de l’infaillibilité.

1° La première lutte du Parlement avec le roi et les évéques.

2° Les longues intrigues du Parlement pour imposer de nouveau l’enseignement des articles de 1882.

3° Le Parlement attaque l’institut des Jésuites.

4 » L’assemblée du Clergé de 1765 ; sa lutte avec le Parlement et le Roi pour les droits et l’infaillibilité de UEglise.

C. L'écho, à l'étranger, des maximes parlementaires et de la crise ultragallicane sous Louis XV. 1° Hollande.

2 » Russie.

3° Autriche et Allemagne. 4" Italie, i) La République de Venise. a) Le duché de Milan.

3) Le duché de Parme et le royaume de Naples.

4) Le grand-duché de Toscane, a.) Détails préliminaires sur Léopold et Ricci ; b) Les 57 articles du grand-duc sur les réformes religieuses ;

c) Historique du synode de Pistoie ;

d) Assemblée épiscopale de florence ;

e) La bulle de Pie VL.

D. Conséquences de cette crise en France, après Louis XV :

I » Louis XVL. — 2° Révolution. — 3° Première moitié du.XIX' siècle français.

E. Progrès de l’infaithhilisme dans le monde catholique dès le pontificat de Pie IX.

F. Le concile du Vatican.

iv. récapitulation des principales preuves de l’infajllibilitk pontificale, et principale » objec I. SENS DU DOGME

Le 18 juillet 1870, le Concile du Vatican définissait comme « un dogme divinement révélé, que lorsque le Pontife romain parle ex cathedra, c’est-à-dire, lorsque dans l’exercice de sa charge de pasteur et de docteur de tous les clirétiens, et en vertu de sa suprême autorité apostolique, il déGnit qu’une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par l’Eglise universelle, alors, grâce à l’assistance divine qui lui a été promise dans la personne du bienheureux Pierre, il jouit de cette infaillibilité dont le divin Uédempteur a voulu doter son Eglise, quand elle déQnit une doctrine sur la foi ou les mœurs ; et que, par conséquent, de telles déûnilions du Pontife romain sont irréformables par elles-mêmes, et non par le fait du consentement de l’Eglise ». Dknzingbr-Bannwart, n. 1889.

Depuis 1890, on a beaucoup parlé de l’infaillibilité pontilicale. Souvent, soit information superficielle, soit préjugé sectaire, on l’a dénaturée dans les milieux protestants ou incroyants : aussi sufTirait-il de comparer ce qu’ils nous prêtent et ce que nous croyons en réalité, pour faire tomber la plupart de leurs objections contre notre foi ; elles reposent sur un faux supposé. D’autre part, bien des catholiques peuvent trouver, dans la déGnition que nous venons de voir, des espressions techniques qui les embarrassent. Il faut donc, avant tout, fournir une explication exacte de notre dogme, en précisant i* ce qu’est l’infaillibilité pontificale d’après le concile, — 2° ce qu’elle n’est pas.

i* Explication de l’infaillibilité pontificale d’après la définition et les actes du Concile du Vatican. — Parcourons d’abord les expressions principales ou plus dilTiciles de la définition.

a) Qu’est-ce que parler « ex cathedra » ? — Cette locution métaphorique « parler du haut de la chaire (de Pierre) n resterait obscure par elle-même : mais un visage conventionnel des théologiens en a fait depuis longtemps une sorte de formule algébrique commode en sa brièveté, par laquelle sont vaguement désignées toutes les conditions essentielles du suprême magistère pontifical, de celui auquel est attachée l’infaillibilité. Le tout sera de bien désigner ces conditions. Quelles %ont-elles, le concile l’explique lui-même : « c’est-à-dire lorsque dans l’exercice de sa charge, etc. ». — L’expression ex cathedra a été ajoutée à l'énuinération des conditions d’infaillibilité, sur le désir de plusieurs Pères du Concile, qui voulaient maintenir une formule reçue en théologie, et dont l’amendement a été accepté. Acta Concilii Vaticani, dans la Collectio Lacensis conciliorum recentiorum, VrihouTg en Brisgau, 1890, t. VII, col. 356 et 41 I.

Quelles sont donc les conditions d’infaillibilité d’un document pontifical ? — Laissant pour un instant celle qui regarde i) l’objet enseigné, il faut 2) pour 5H/e< enseignant, le Pape lui-même, et, comme disait au Concile l'évêque rapporteur, « le Pape, non en qualité de personne privée ou de docteur particulier, mais de personne publique, c’est-à-dire dans le rapport qu’il a comme Chef avec l’Eglise universelle )>. Acta Conc. Vaticani, Coll. Lacensis, t. VII, col. 399. — (t Mais il n’est infaillible que lorsque par un jugement solennel il définit pour l’Eglise universelle les questions de foi et de morale, n Ibid. Il faut donc encore 3) le mode d’enseignement. « Un mode quelconque ne suffit pas, même quand il exerce sa fonction de suprême pasteur et docteur, mais il faut qu’il manifeste l’intention de définir, c’est-à-dire de mettre fin à la fluctuation des esprits sur une doctrine, en prononçant une sentence définitive elenprésentSinl 1425

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H l’Eglise universelle cette doctrine avec obligation de la tenir (tenendam, c’est-à-dire par une adhésion intéricuri" et ferme ; cf. S. Thom., Ilallae, q. i, à lo). ! lbid., co. tt{. Ailleurs la définition est appelée une sentence définitive et terminative.>, col. 416 ;

« une sentence péreniptoire », col. a88. C’est sur ces

explications du rapporteur que le Concile a voté : de là leur importance capitale. — Les tbéclogiens, avec plus ou moins d’autorité, sont venus ensuite donner des développements et des exemples. Voir surtout le card. Billot, De Ecd., 2' éd., igoS, p. 65(5 sq. ; de Groot, O. p., Summa apologet. de Eccl., 3" éd., 1906, p. 605 sq.

/<) Que t’eut dire cette autre expression deux fois employée : « une doctrine sur la foi ou les mœurs » ?

« Elle énonce Vohjet de l’infniUiliilité (l’espèce de

questions ou de doctrines dans lesquelles le Pape est infaillible), mais seulement d’une manière générale », dit l'évêque rapporteur de la commission, Acta Concilii Vaticani, col. ^16. Déjà dans sa Session m', au cours de son décret, traitant de l’infaillibilité de l’Eglise comme interprète des Ecritures, le concile avait employé cette formule. Reproduisant les paroles mêmes d’un décret du concile de Trente (D. H., 'j86), le concile du Vatican déclarait vrai et obligatoire pour les lidèles tout sens scripturaire tenu par l’Eglise ou par l’unanimité des Pères » dans les choses de la foi et des mœurs appartenant à la structure ( « e(ii/ic « /ionem) de la doctrine chrétienne » (D. B., 1788). Et le rapporteur avait rappelé, auparavant, que lorsque l’on oppose ce qui concerne la foi à ce qui concerne les mœurs, on entend par les choses de la foi » les dogmes qu’on pourrait appeler spéculatifs >', Acta., col. a^o. C’est donc la division actuelle de la doctrine chrétienne en dogme et en morale, en doctrine plutôt spéculative et en doctrine pratique ; ce que le chrétien doit croire (comme la Trinité), et ce qu’il doit non seulement croire, mais encore pratiquer (comme les commandements de Dieu). — Notons que cette formule traditionnelle in rébus fîdei et morum est restrictive et limite l’infaillibilité du Pape ; Acta, col. ^oi.

Mais l’objet de l’infaillibilité du Pape se complète par la phrase qui suit dans la définition du Concile :

« Le Pontife a la même infaillibilité qu’a l’Eglise

quand elle définit » (c’est-à-dire dans un Concile œcuménique). « Par cette phrase, suivant l’exposé du rapporteur, cet objet est déterminé par comparaison avec celui des définitions de l’Eglise ; tellement qu’on doit dire de l’iiii ce qu’on dit de l’autre. » Acta, col. ^ 16. < L’infaillibilité, dit-il encore, a été promise pour garder dans son intégrité, en le développant, le dépôt de la foi (ou des vérités réfélée.^). Mais les vérités qui se rapportent i’i la doctrine de la foi et des mœurs chrétiennes ne sont pas toutes au même degré nécessaires à la garde du dépôt. » fbid., 414. " Quand elle définit les dogmes de la foi (comme révélés), il est de foi que l’Eglise est infaillible (le nier serait une hérésie)… Mais d’autres vérités, sans avoir été révélées elles-mêmes, sont requises i)our bien garder le dépôl, le bien expliquer et le définir eflicacement : ces vérités, où sont compris tout spécialement le.s faits dogmatiques, sont pour l’Eglise, du consentement de tous les théologiens, un objet de définition infaillible, et le nier serait une grave erreur. Mais l’infaillibililé de l’Eglise, quand elle définit ces choses, est-elle de foi, et serait-on nérétique à la nier ; ou bien est-elle seulement déduite de la révélation, et tliéologiquement certaine ? Sur cette différence de certitude, les théologiens sont partagés… Même question peut se poser à propos de l’infaillibilité pontificale, puisqu’elle a même objet que celle de l’Eglise… Mais les Pères de la Commission ont pensé, à l’una nimité, que cette controverse-là ne devait pas être définie, du moins maintenant (à propos du Pape), et qu’il fallait la laisser dans le statu quo. Il s’ensuit nécessairement que notre définition doit être tellement conçue, qu’elle oblige à tenir sur l’infaillibilité du Pontife romain absolument le même objet que l’on tient pour celle de l’Eglise. » Ibid., col. 415. Il s’ensuit aussi que le Pape (comme l’Eglise) applique infailliblement aux erreurs contre la foi ou les nneurs les censures inférieures à la note d’hérésie, et que ce serait une erreur grave de le nier. Ibid., et col. 475. — Voir Lucien Chocpin, Valeur des Décisions… du S. Siège, 2' éd., Paris, 1918, p. 38 sq.

c) Qu’entend on par « infaillibilité » ? — Au concile, tout en écartant certains sens faux de ce mot, comme nous le verrons ci-dessous, on n’a pas insisté sur le sens vrai, parce qu’il était assez connu de tous les catholiques instruits, qui ont toujours et unanimement professé le dogme de l’infaillibilité de l’Eglise, et conçu assez clairement ce que le mot

« infaillibilité » veut dire. Cependant il sera bon de

préciser ce qui, dans cette idée assez claire, peut rester d’un peu confus ; d’autant plus que, dans la question qui nous occupe, cette idée est fondamentale. On peut éviter l’erreur et atteindre la vérité de deux manières fort différentes. Quelquefois, d’une manière purement fortuite et accidentelle, où l’on rencontre le vrai comme par hasard, sans preuve, ou avec des preuves insuflisantes. Je hasarde l’explication d’un fait : il se troue ensuite que j’ai bien rencontré : mon acte intellectuel était sans erreur. On peut donc lui atlril)uer l’inerrance, mais une inerrance de fait, et non pas de droit, parce que rien en moi, quand j’ai hasardé cette hypothèse, ne fondait un droit à la vérité, une nécessité de l’atteindre, une impossibilité d’erreur. D’autres fois au contraire, le sujet évite l’erreur, non point par hasard, mais en vertu d’un principe qui crée en lui une nécessité d’atteindre le vrai, une impossibilité de se tromper. C’est le cas de l’infaillibilité, iner rance de droit : il y a alors dans le sujet ou dans son acte quelque chose qui réclame le vrai, qui rend impossible le faux ; ce qu’indique en latin la comjiosition du mot lui-même : fallt-bilis, qui peut se tromper ; in-fallibilis, qui nepeutpas se tromper.

L' « infaillibilité » peut ne porter que sur un actt passager, considéré en lui-même ; cet acte intellectuel peut avoir une inerrance de droit, à cause de sa perfection individuelle, de sa valeur logique, par exemple de son évidence immédiate, ou de la force (le la preuve qui lui sert de base et qui lui donne sa valeur. On dira alors que cet acte est d’une certitude « infaillible », et le concile de Trente parle ainsi, Sess. VI, can. 16, />. B-, 826. Mais dans le plein sens du mot, le seul qui doive ici nous occuper, l’infaillibilité ne porte pas seulement sur un acte de la personne, mais d’une manière générale sur la personne elle-même. Ainsi parlons-nous de l’infaillibilité de Dieu ou de celle du Pape : avec cette différence que Dieu tient de son essence l’infaillibilité illimitée et alisolne, tandis que le Pape reçoit du bon plaisir de Dieu une infaillibilité limitée et relative : limitée à une certaine matière, c’est-à-dire à la doctrine sur la foi et les mœurs ; relative à une circonstance bien déterminée, à savoir, quand le Pape fait appel à sa suprême autorité doctrinale : alors, mais alors seulement, nous serons sûrs, comme a priori, que sa parole est sans erreur. Et pour nous en convaincre, nous n’aurons pas à étudier la valeur logique des raisons par lesquelles a passé l’esprit du pontife. Ce qui serait nécessaire s’il s’agissait d’une personne quelconque, dont l’affirmation vaut ce que valent ses preuves, n’est plus nécessaire quand il s’agit 1427

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d’une personne à qui une garantie surnatiuellc d’infailliliililé est fittscliée d’i.ne manière re’gulière et constante, toutts les fois qu’elle fait appel à sa suprême autorité doctrinale ; comme cet appel est un fait extérieur et public, il est facile à vérifier, sans entrer ni dans les actes intérieurs de la personne, ni dans une série compliquée de preuves thcologiques ou historiques ; de là, pour tous les fidèles, l’utilité pratique d’un tel don fait à leur chef. Voir Eglisr, col. 1241, nijs.

(/) Le mot Eglise, trois fois répété dans cette définition du concile, a-t-it toujours le même sens ? — Non, et ses divers sens en trois passages différents ne sont pas sans causer quelque obscurité, du moins pour qui ne serait pas familiarisé avec les doctrines et les formules catholiques, naturellement emploj'ées par le concile Pour expliquer ces trois passages ou membres de phrase, nous partirons donc du sens ordinaire de ce terme parmi les catholiques. Par l’Eglise)> ils entendent une société hiérarchique et insiile ici-bas, cf. Eglise, col. 12^8 ; et parmi les sociétés de ce genre aujourd’hui existantes, ils entendent la véritable Eglise, celle qui par ses notes se montre identique à la société fondée par JésusChrist, cf. ibià., coi. 1268 ; laquelle n’est autre que l’Eglise catholique romaine, cf. ibid., col. 1291, 1396, 1297.

Premier passage : « Lorsque le Pape définit… qu’une doctrine… doit être tenue par VEfflise universelle. » Ici, le concile a très justement ajouté l’adjectif « universelle » : car il veut dire admise avec fermeté, par tous sans exception, non seulement par les simples fidèles, mais encore par le clergé, les évêques et le Pape lui-même, obligé à cela en conscience devant Dieu. Dans ce passage, a l’Eglise >' est donc prise (on peut dire) dans son universalité, bien qu'évidemment on n’y considère pas les enfants baptisés n’ayant pas l'âge de raison, qui ne sont pas capables de « tenir une doctrine ».

Deuxième passage : « il jouit de cette infaillibilité dont le divin Rédempteur a voulu doter son Eglise quand elle délinil une doctrine ». Ici le terme < : Eglise » a un sens bien plus restreint que dans le passage précédent. Comme il s’agit de l’Eglise qui définit », on ne peut désigner ici sous le nom d' « Eglise » ceux qui ne peuvent pas définir : or, d’après les principes reçus de tout temps chez les catholiques, ce ne sont pas les simples fidèles qui peuvent définir, ni même les prêtres et le clergé inférieur, ni même un évêque isolé ou quelques évêques, mais cette grande réunion d'évêques associes au Pape, que l’on appelle le concile œcuménique. Ici donc, « l’Eglise » signifie ce concile, où est représentée toute la hiérarchie enseignante, Ecclesia docens ; et ceci supposé, on revendique pour le Pape seul et en dehors du concile, la même infaillibilité qu’ils en concile et qu’il partage alors avec les évêques enseignant et jugeant avec lui.

Troisième passage : t les définitions du Pontife sont irréformables par elles-mêmes et non par le fait du consentement de l’Eglise ». Ceci rejette directement une théorie gallicane qui revendiquait pour x l’Eglise » c’est-à-dire pour l’ensemble des évêques, réunis ou dispersés, le droit d’accepter ou non la définition pontificale : s’ils l’acceptaient, elle devenait infaillible et conséquemment irréformable, n’ayant point cette qualité par elle-même, mais seulement par le fait de cette acceptation des évêques autres que le Pape, acceptation qui était appelée « le consentement de l’Eglise ». Ici donc « l’Eglise a un sens encore un peu plus restreint. C’est toujours le corps épiscopal ; seulement il n’est pas pris avec son chef et en tant que renfermant scn chef, comme il

fallait le prendre tout à l’heure pour qu’il y eût vrai* ment concile œcuménique ; mais il est considéré en dehors du chef, revisant en quelque sorte sa définition, acceptant ou n’acceptant pas celle-ci, lui donnant ou ne lui donnant pas sa valeur.

Aux questions que nous ont suggérées les terme » mêmes de la définition du Vatican, ajoutons-en quelques autres qui achèvent de nous faire saisir la pensée du concile.

e) L’infaillibilité pontificale peut-elle être appelée une infaillibilité « personnelle c ? — Il y a du pour et du contre. Elle n’est pas personnelle quant à sa fin : comme tous les pouvoirs ecclésiastiques, elle tend au bien de tous les fidèles, et non pas à la jouissance personnelle du titulaire. Mais de ce qu’elle est pour tous, il ne s’ensuit pas qu’elle soit en tous : au contraire, faisant partie de la primauté du Pape (Concile du Vatican, sess. iv, e. 4, O- tl., 1882), elle doit résider en lui seul, et en ce sens on pourrait l’appeler (I personnelle ». Encore faudrait-il noter qu’elle n’est pas personnelle pour être attachée à la personne privée, mais au personnage public : en ce sens, ce n’est pas une prérogative de la personne, mais de la fonction. On pourrait d’ailleurs l’appeler « personnelle » pour la distinguer de l’infaillibilité résidant non dans le Pape seul, mais aussi dans les évêques réunis avec lui en concile œcuménique ; ou pour l’opposer à cette idée gallicane, que l’infaillibilité d’une définition du Pape dépend du consentement ultérieur des évêques à cette définition. On est donc en droit de parler d’une infaillibilité « personnelle ». Cependant, à cause de l’ambiguïté que présente cette expression, le concile du Vatican ne l’a pas employée. La question a été discutée au concile ; Acia…, co. 284, 286, et 898, 899. Cf. Gr.vnDERATH, dans l’opuscule Constitutiones concilii Vaticani ex ipsis ejus Actis illustratae, dissert, viii, Frihourg en Brisgau, 1892, pp. 175-177 ; et dans son Uistoire du Concile du Faïican, trad. franc., Bruxelles, 1912, t. III, i" part., chap. ix, pp. 277-280.

f) L’infaillibilité pontificale peut-elle être appelée une infaillibilité « séparée » ? — Cette expression, venue plutôt du camp opposé, n’est pas heureuse. L’enseignement infaillible du pape ne le « sépare » pas du corps de l’Eglise : au contraire, la tête influe alors sur le corps auquel elle est unie, et les liens mutuels n’en sont que plus raCTermis, comme le remarque la commission du concile ; disons donc plutôt que l’infaillibilité appartient au pontife » même en dehors du concile, et sans le concours des autres pasteurs ». Acta, col. 286, sq. A ce titre, on peut l’appeler « distincte », plutôt que séparée : distincte d’une autre infaillibilité qui est celle de l’Eglise ou du concile œcuménique, ainsi que le notait plus lard l'évêque rapporteur de la commission. La définition pontificale, ajoutait-il, est inséparable du consentement de l’Eglise, car ce consentement ultérieur ne peut jamais lui manquer, la Providence de Dieu veillant à ce que l’Eglise ne soit jamais séparée de son chef. Mais que l’on ne fasse pas de ce consentement une condition à laquelle serait suspendue l’infaillibilité de la définition, ou du moins lacertitude que nous en avons ; , 4e<rt, col. 899-^00. CLGranderath, opusc. ci'/., pp. 177, iHo ; Hist. du Concile du Vatican, I. c, pp. 146, 278. Comme condition d’infaillibilité, et sous prétexte de moins « séparer » le Pape et les évoques, quelques Pères du Concile auraient voulu que le Pape, avant de définir, consultât tous les évêques et que le concile exprimât cette condition comme nécessaire. Il est vrai, leur répondait le rapporteur, que le ponlife, ne recevant pas du ciel une nouvelle révélation, doit laborieusement se rendre compte que la vérité à définir est contenue, au moins 1429

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implicitement, dans la révélation ancienne, et employer pour cela des moyens convenables, parmi lesquels se trouve assurément cette consultation des évéques du monde entier, que Pie IX a pratiquée avant de détinir l’Immaculée Conception. Mais si cette consultation est un bon moyen, parfois opportun ou même quasi nécessaire, elle n’est pas nécessaire en toute circonstance, nécessaire strictement et absolument ; le pontife peut arriver au même but par une autre voie, par exemple en prenant l’avis des cardinaux, en consultant les théologiens, en étudiant directement les textes sacrés et la tradition des Pères. Laissons-lui le clioix des moyens, comme il convient à son autorité souveraine, et comme ont toujours fait les papes, pour qui délinir n’est pas chose nouvelle. Bien que le pontife ail là à remplir un devoir de conscience, l’infaillibilité de sa délinition ne doit pas dépendre d’une condition invérifiable pour nous, île sa conscience que Dieu seul connaît et seul peut juger, mais uniquement de l’acte public et olliciel de délinir, acte que Dieu n’aurait pas laissé se produire s’il allirmail l’erreur. Autrement, on aurait beau reconnaître, en théorie, son infaillibilité, elle perdrait, par l’exigence d’une condition dillicile à réaliser ou à vérifier, son ellicacilé pour le bien de l’Eglise, et cette utilité pratique qui est toute sa raison d'être ; Acia, col. 401, sq ; D. B., 1836. Voir Dogme, col. 1 1^3.

g) /.'iii/aillihilité pontificale peut-elle être appelée une infaillihilité « lial/itueUe », un don « permanent » ? — Oui, en ce sens qu’une garantie surnaturelle d’infaillibilité est attachée d’une manière régulière et constante à l’acte pontifical de définir, toutes 1rs fois qu’il se ]iroduit dans la suite des temps. C’est en raison de sa suprême autorité, permanente de sa nature, que le pape possède l’infaillibilité, lors même qu’il n’en use pas ; il j' a beaucoup de papes qui n’ont rien défini, ni jamais parlé à l’Eglise universelle. « L’infaillibilité, dit Sc.HEKBEN, doit être envisagée à la fois comme actuelle et comme habituelle ; non pas, il est vrai, sous la forme d’une habitude (liahitiis) acquise ou infuse, mais sous la forme d’un concours surnaturel prêté par l’auteur même de l’autorité, joint habituellement et essentiellement à l’autorité de la personne, et se révélant selon une loi constante et invariable. » Dogmatique, t. 1, § 3a, trad. franc., Paris, 1897, p. 349. Le célèbre théologien a raison de noter qu’il n’y a pas lieu de s’imaginer, sans nécessité, dans l'âme du pontife, un haliilu.s, une qualité spirituelle qui produirait l’inerrance, à la façon de la vertu infuse produisant son acte. C'était déjà la remarque de Murray, Tract, de Ecclesia. Dublin, 1862, t. II, p. 179.

h) Quel nom et quel caractère devons-nous donner à ce concours ou secours surnaturel, cause de l’infaillibilité? — C’est l’a assistance » divine, qui n’est ni 1' n inspiration » ni la « révélation ». Dieu est l’auteur du livre « inspiré » ; il n’est pas l’auteur des textes pontificaux, même infaillibles. Tout en préservant d’erreur la définition, Dieu laisse au Jiape, dans le choix du moment de jiarler on d'écrire, dans le choix des choses à délinir et de leurs formules, une plénitude de liberté et d’initiative d’où résulte un texte plutôt ecclésiasliiiue que divin, tellement qu’on ne peut pas en attribuer à Dieu la |uilernité avec le titre d’auteur. Aussi le concile du Vatican at-il distingué soigneusement ces detix charismes, et condamné ceiix qui (comme Jahn) voulaient réduire l’inspiration des Ecritures à une simple préservation de toute erreur. Sess. îu, ch. 2, /). /?., 1787. Voir Inspiration de la Biblk, col. 899-901.

Si l’inspiration ne suppose pas nécessairement une

« révélation » faite à l’hagiographe et lui enseignant

des choses nouvelles (Même article, col. 901-904) ; a fortiori l’assistance, don inférieur, ne suppose pas qu’une révélation nouvelle soit faite au Pape. « L’Esprit-Sainl a été promis aux successeurs de Pierre, dit le concile du Vatican, non pour leur révéler et leur faire publier une doctrine nouvelle, mais pour les assister (eo assisleute) et leur faire religieusement conserver et interpréter fidèlement la révélation transmise par les Apôtres, le dépôt de la foi. » Sess. IV, ch. 4, 0. / !., 183ô.

Cette assistance, une du côté de Dieu, est multiiile dans les effets qu’elle produit. Ces effets sont-ils purement négatifs, par exemple, préserver le Pape de certaines idées fausses, ou, s’il les avait et voulait les faire passer dans une définition, l’empêcher de définir, par une direction providentielle des événements ? — Nous répondons que, si l’on considérait seulement la fin principale de l’infaillibilité, c’est-à-dire le bien de l’Eglise consistant en sa préservation d’une erreur qui l’envahirait tout entière, des effets négatifs pourraient atteindre ce but. Toutefois, si l’on considère qu'à certains moments critiques ce n’est pas tout pour l’Eglise d'éviter une solution erronée de la question qui s’agite, mais qu’il y aurait alors, sinon une nécessité, du moins un immense avantage à recevoir de son chef la solution vraie et définitive du problème ; si l’on considère surtout la manière suave et harmonieuse dont In Providence divine a coutume de s’exercer, en s’adaptant à la nature des êtres qu’elle gouverne, on aura peine à croire que l’assistance donnée au pontife ne comporte que des effets négatifs. Car il est dans l’ordre et dans la nature de l’enseignement, que le maître non seulement s’abstienne d’enseigner l’erreur, mais qu’il conçoive et enseigne le vrai. L’influence de l’EspritSaint, du moment qu’on l’admet pour rendre le Pape infaillible, s’adaptera donc à cette nature des choses, et ne se bornera pas toujours à arrêter une définition erronée. Et puis, la grâce divine a coutume de produire des effets positifs et des lumières intérieures, soit dans ceux qui sont chargés de diriger les autres, soit même dans les simples fidèles pour la direction particulière de leur vie ; ceci s’appliquera à plus forte raison au chef suprême et infaillible ; il y aura donc, dans l’assistance surnaturelle qu’il reçoit, des efTels positifs et des lumières intérieures. Parmi ces lumières, écartons une nouvelle révélation, c’est entendu. Mais tandis que le Pape emploie les moyens humains afin d’arriver à résoudre une question embarrassante pour l’Eglise, que de grâces positives et de lumières divines ne peut-il pas recevoir à cet efTet sans qu’il y ait proprement rcvélalionl Une « révélation » au sens propre entraîne dans celui qui la reçoit la certitude absolue que Dieu non seulement agit en lui, mais encore lui atteste quelque chose, et qu’il faut ajouter à ce qu’il dit une foi souverainement ferme. Or le Pape n’aura point cette certitude, quand, pendant son travail, l’opération secrète de Dieu appliquera son intelligence au vrai et l'éclairera ; il croira peut-être arriver à ses conclusions par le jeu normal de ses facultés, ou s’il soupçonne qu’il se passe en lui de l’extraordinaire et du surnaturel, il n’en sera pas certain ; et en fût-il certain, il n’y a pas nécessairemenl là une attestation divine, dans laquelle Dieu demande de le croire sur parole et engage sa véracité. Cf. PALMteni, Tractatus de Boni. Pontifice, a' édil., Prato, 1891, p. 5g5.

i" Ce que l’infaillibilité pontificale n’est pas. — Nous avons dit que les milieux protestants ou incroyants ont souvent dénaturé notre dogme et le dénaturent encore parfois jusqu'à lui substituer de véritables caricatures, des énormités. Il est inté1431

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ressant pour l’apologétique pratique d’en indiquer les principales, avec leur réfutation.

a) L’infaillibilité n’est pas l’impeccabilité. — Les papes n’ont pas été proclamés irréprochables dans leur vie, à l’abri de tout péché ; ce qui serait un défi à l’histoire, et au soin que les papes ont gardé de s’adresser à un confesseur. L’infaillibilité et l’impeccabilité sont deux prérogatives parfaitement distinctes et séparables : la première empêche l’intelligence de tomber dans l’erreur, la seconde empêche la volonté de tomber dans le péché. Ce qui a pu donner occasion à la confusion, c’est que dans certaines langues le mot qui signifie 8 infaillible » peut signifier aussi « impeccable » : par exemple unfehlbar en allemand. En français, c< faillir » peut signifier « pécher », eequi pourrait prêter aussi à confondre o infaillible i> avec « impeccable ». Malgré tout, on n’aurait pas fait la confusion, si l’on avait rélléchi que, dans la langue de l’Eglise, infallibilis ne peut aucunement signifier

« impeccable » : jamais le mot latin fatti n’a eu le

sens de c. pécher », mais seulement celui de « se tromper ». De plus, précisément dans le but d’empêcher cette confusion, le concile a accepté l’amendement d’un évêque : au litre primitif /VeromaHi ponti/icis infaltibilitate, il a substitué : De romani pontificis infallihili magislerio. Un « enseignement infaillible » ne peut signifier autre chose qu’un enseignement sans erreur, n Il faut qu’on voie du premier coup (par le titre) qu’il ne s’agit pas ici de l’impeccabilité du pape dans ses actions, mais de son infaillibilité dans son enseignement. » Acta…, col. ^o6.

b) Vinjaillihililé n’est pas le pomoir de gouverner despotiquement l’Eglise ou même la société civile. — On s’est plaint que la définition de l’infaillibilité avait changé dans l’Eglise la forme de gouvernement ; que, même dans l’ordre politique, elle avait fait du pape le roi des rois, a Les monarques sont les préfets de sa puissance », s'écriait au sénat M. Clemenceau (Journal Officiel, 31 oct. igoa). Mais cette accusation croule par la base, si l’on réfléchit que l’infaillibilité n’est pas un pouvoir de gouvernement quelconque, despotique ou autre ; c’est, comme son nom l’indique, une préservation d’erreur, surnaturellement adjointe au pouvoir d’enseigner, pour lui faire atteindre sa perfection : infallibile magisferium. L’Eglise a un triple pouvoir sur ses fidèles : celui de les sanctifier par les sacrements (o pouvoir d’ordre)'), celui de les gouverner dans l’ordre spirituel ( « pouvoir de juridiction »), enfin celui de leur enseigner la religion et la morale ( » magistère »), Ce dernier pouvoir, malgré sa connexion et son afiinité avec celui de juridiction, en est différent, comme l’a fort bien exposé le cardinal Franzblin, De Eccle^ia, Rome, 1887, thèse v, p. 46 sq. On pourrait avoir un magistère infaillible sans aucune juridiction : au cours de l’Ancien Testament les prophètes juifs, dans leurs révélations et dans l'énoncé qu’ils en faisaient, étaient infaillibles et regardés comme tels, et pourtant ils n’avaient ni le gouvernement politique de leur pays, ni même une place dans la hiérarchie religieuse des prêtres et des docteursde la Loi, et ils ne venaient pas fonderune hiérarchie nouvelle, un nouveau pouvoir de gouverner. Déclarer le Pape « infaillible », n’est donc pas lui attribuer un pouvoir quelconque de gouvernement dans l’ordre temporel et politique ; dans l’ordre spirituel, ce n’est pas changer quelque chose au gouvernement de l’Eglise, ni au pouvoir de juridiction qu’a, par ailleurs, le Souverain Pontife. Il peut déléguer sa suprême juridiction, mais non pas son infaillibilité : et autres différences.

c). — L’infaillibilité n’est pas le pouvoir de déclarer bien ce qui est mal, comme si le Pape se vantait de changer les règles éternelles de la morale. Au contraire, la doctrine traditionnelle, parmi les catholiques, a toujours été de regarder la distinction du bien et du mal comme absolue, invariable et intangible même à la toute-puissance divine. Quand Baius, à la suite des premiers protestants, a fait dépendre de l’arbitraire divin, non pas précisément la distinction du bien et du mal, mais au moins celle des péchés graves et des péchés légers, le Pape Pie Va déclaré que cette distinction ne vient pas du bon plaisir de Dieu, mais de la nature des choses, et qu’il y a des péchés véniels parleur nature même : Condamnation de la 20" proposition de Baius, D.B., 1020. Si les papes ne reconnaissent pas même à Dieu le pouvoir de déclarer bien ce qui est mal, faute légère ce qui est faute grave, comment pourraient-ils logiquement s’attribuer un tel pouvoir ? Leur infaillibilité, telle qu’ils la conçoivent, consiste, non pas à fabriquer à volonté le bien et le mal, le vrai et le faux, mais seulement à reconnaître sans erreur ce qui est objectivement bien ou mal, vrai ou faux. Ce n’est pas chez les papes, c’est chez les protestants et les incroyants que s’est développée l’erreur qui ose nier l’existenceobjective d’une morale, la même pour tous et que nul ne peut changer.

d). — L’inlaillibilité n’est pas l’inspiration qu’ont reçue les écrivains sacrés, ni la révélation qu’ont reçue les ])rophètes — Voir plus haut, col. 1429.

e). — L’infaillibilité, enfin, n’est pas la science universelle, prétention monstrueuse, que nous prête généreusement tel ou tel auteur protestant. Cf. T.VNQUEnRY, Synopsis theologiæ fundamentalis, 10' éJit., 1906, p. 46s. D’abord, l’infaillibilité pontificale est loin de s'étendre à tous les domaines de la pensée. Ensuite, une fois qu’on l’a restreinte au domaine religieux et moral, res fideiet mnrum, il ne faut pas la confondre avec la science infuse, autre es]> « ce de don surnaturel possible, par lequel Dieu donnerait miraculeusement à quelqu’un, tout à coup et sans peine, les mèmescbnnaissanceset les mêmes habitudes de pensée qu’il aurait pu acquérir jiar un long travail : encore moins faut-il la confondre avec une science infuse complète, idéale et parfaitement synthétisée. Peut-èlre des catholiques mal instruits se représentent-ils l’esprit du pontife nageant dans la lumière, contemplant dans une merveilleuse synthèse toute la morale rationnelle, toute la révélation chrétienne avec les innombrables conclusions qu’on en peut tirer, toute l'Écriture et le sens précis de tous les textes, enfin toute l’ancienne tradition. Mais il n’en est pas ainsi. Les conciles et les papes — l’histoire de l’Eglise est là pour le prouver — ont besoin d’enquêtes prolongées, même sur un seul point, et il faut du temps pour que le fruit de ces travaux arrive à la maturité d’une définition. Dieu ne prodigue pas les miracles ; et comme il a créé la raison humaine avec un fond de rectitude naturelle, avec des critères de vérité et des garanties contre l’erreur, il la laisse travailler dans les dépositaires du magistère infaillible, en les aidant au besoin de secours surnaturels de détail, et en les protégeant enfin contre toute définition erronée. La science universelle, si on l’avait, enlèverait toute ignorance ; l’infaillibilité n’enlève que l’erreur, en laissant subsister bien des ignorances et des obscurités dans la pensée. Qui dit ignorance, ne dit pas nécessairement erreur. L’erreur est un jugement faux ; quand on ignore la solution d’un problème, on évitera l’erreur en suspendant son jugement. L’homme, il est vrai, n’a pas toujours cette patience et cette modestie de le suspendre : il juge précipitamment, par imprudence, par présomption ou par 1433

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enlraineinent naturel, et par là il tombe souvent dans l’erreur. Si Dieu laisse parfois le Pape se tromper ainsi pour son compte personnel, du moins ne pernietlra-t-il jamais qu’il délinisse son erreur privée.

Le nombre si restreint de documents pontificaux qui soient sûrement des définitions, dans le cours des siècles et même depuis le concile du Vatican, doit rassurer ces politiques qui ont peur que le Pape, à chaque litige qu’il aura avec les gouvernements, ne définisse à son avantage un point de droit naturel. D’ailleurs, s’il est infaillible en se prononçant sur une vérité révélée ou sur un « fait dogmatique » intéressant l’Eglise universelle, il ne l’est pas sur le

« fait particulier » d’un prince, d’une nation, etc.

(S. Thomas, Quodlib. ix, art. 16). Enlln il ne l’est pas dans les considérants de son jugement, même dogmatique, dans la partie argumentative, ou historique, narrative, qui sert de préambule, mais dans le dispositif, dans la sentence finale, si liée qu’elle soit au reste par une conjonction, ou même dans la pensée du Pape. Ainsi en est-il dans la bulle L’nam sanctani de BoNiFACE VUI, d’après Wernz et autres canonistes ; voir Choupin, op. cit., p. 13 sq. Cf. art. BoNiFACB VIU. — Pour nous catholiques, nous croyons que l’assistance divine l’empêchera d’errer même dans sa propre cause.

De cette confusion entre l’infaillibilité et lascience universelle, provient une objection classique chez les protestants. « Si l’Eglise romaine est infaillible, disent-ils, pourquoi ne publie-t-elle pas un commentaire infaillible de tous les versets de l’Ecriture ? Pourquoi refuser jalousement aux âmes la lumière qu’elle pourrait leur donner en définissant le sens de chacun ? > — CinLLiNGwoRTn, et autres, cilés par MuRHAY, J)e Ecclesia, t. II, p. 36 1, 368, et t. III, p. 54. La réponse est dans ce que nous venons de dire. Notons que cette objection en contredit une autre des mêmes adversaires, quand ils se plaignent que les définitions gênent la liberté de la science chez les catholiques ; nouvelle raison pour que tout ne soit pas défini, et les protestants ne peuvent donc nous reprocher le petit nombre des définitions qui nous jalonnent la roule.

Pour avoir écarté les idées fausses que l’on se fait de l’infaillibilité, nous ne prétendons pas avoir déjà prouvé l’existence de ce privilège. Cependant nous sommes déjà en droit de conclure que, dans son concept, il n’a rien d’exorbitanlni de contraire à la raison, et qu’il est même bien plus raisonnable et plus modéré que la prérogative attribuée par mainte secte protestante à ses fidèles, dont chacun est censé illuminé de nouvelles révélations divines, etconséquemnient infaillible. Entre une pareille prétention et la position catholique, il y a une multiple dilférence, toute à notre avantage. Ils font de tous leurs fidèles autant de prophètes. Pour nous, nous ne reconnaissons pas même au chef de l’Eglise, comme base de son infaillibilité, le don de prophétie ou de nouvelles révélations. Ils multiplient outre mesure les phénomènes anormaux et mystiques, et, en les généralisant, sont forcés de les prodiguer même à des gens sans discrétion, sans prudence, qui abuseront de prétendues révélations soit pour l’extravagance, soit pour le crime, comme l’histoire du protestantisme en fait foi. Nous réduisons, nous, le don surnaturel d’infaillibilité à une personne choisie avec soin et présentant des garanties d’instruction, de bon sens et de prudence. Ils ne fournissent aucune preuve des nouvelles révélations qu’ils supposent, comme le remarquait déjà Luther, quand il demandait aux prophètes anabaptistes de faire des miracles pour prouver leur charisme prétendu. Le Pape, au

contraire, ne peut être mis en demeure de faire des miracles, étant sufiisarament désigné comme infaillible i)ar sa charge même, du moment qu’une fois pour toutes l’infaillibilité a été attachée à cette charge, comme nous le prouverons ; d’où il suit que les fidèles, de leur côté, peuvent aisément découvrir par une marque extérieure l’enseignement infaillible, et grâce à la sécurité qu’il produit, bénéficier eux-mêmes de ce privilège destiné au bien de tous. Quand nous parlons du protestantisme, ce n’est pas seulement à son histoire ancienne que nous faisons allusion. Plusieurs de ces sectes d’illuminés subsistent encore, notamment en Angleterre et aux EtalsUnis ; d’autres se sont fondées récemment, et même en dehors do ces sectes spéciales, beaucoup de protestants attribuentà Ieurs « expériences religieuses » une sorte d’infaillibilité et, sans plus de critique, mettent d’emblée au-dessus de toute objection les suggestions d’origine douteuse qui hantent leur pensée et dirigent leur vie. — Voir Expérience religieuse, col. 1802, sq.

II. ADVERSAIRES DE L’INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE

On peut les diviser en deux catégories, d’après la différente méthode apologétique à suivre avec eux.

! '<= catégorie : Ceux qui rejettent l’infaillibilité du

Pape parce que, plus radicaux dans leurs négations, ils rejettent tout magistère infaillible dans l’Eglise, et aussi bien dans la leur que dans la nôtre. Tels beaucoup de protestants. Plusieurs d’entre eux conçoivent mal l’infaillibilité en général et nous prêtent à ce sujet des absurdités que nous ne disons pas : nous venons de réfuter ces fausses imputations. Cela fait, l’apologiste catholique, avant de chercher à les convaincre de l’infaillibilité spéciale du Pape, devra leur prouver uneinfaillibilité résidantd’une manière plus générale et plus vague dans l’Eglise de JésusChrist. Cette preuve a été donnée plus haut à l’article EoLisB, col. 1244-1246. Cf. Z>ic^ dethéol. cathol., art. Foi, co. 151-158.

3' catégorie : Ceux qui, tout en admettant un certain magistère infaillible dans l’Eglise, rejettent l’infaillibilité spéciale du Pape. Et ici la méthode doit encore varier suivant ce qu’ils admettent : ce qui donne lieu à une subdivision :

1° Les schismatiques orientaux reconnaissent l’infaillibilité des anciens conciles où l’Orient et l’Occident étaient représentés ; mais à dater delà séparation des Eglises, ils n’admettent (au moins pour la plupart) ni chez nous, ni chez eux, aucun magistère vivant et infaillible, pouvant définir et juger les nouvelles controverses sur la foi et les mœurs. Voir Eglise, col. I2(j4-H95 ; et Grecque (Eglise), col. 365-366. La méthode apologétique à suivre avec eux a été donnée dans ce dernier article, col. 385-389.

La théorie des schismatiques orientaux a trouvé des imitateurs dans la fraction de l’anglicanisme qui se ressent du mouvement d’Oxford. On y admet l’infaillibilité des anciens conciles et des Pères ; mais depuis leur temps, plus de magistère vivant qui puisse infailliblement définir, sinon peut-être un concile général après la réunion rêvée et problématique de ces « trois branches de l’Eglise du Christ) : l’Eglise anglicane, l’Eglise grecque, et l’Eglise catholique romaine. On n’admet donc pas, en pratique, de magistère vivanlel infaillible. Voir Dict. de théol. cutli., loc. cit., co. 154, 155, 1 58 160.

2° Les gallicans, bien moins éloignés de la vérité, admettaient un magistère vivant et infaillible, celui du concile œcuménique (composé uniquement d'évêques catholiques, comme à Trente, par 1435

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exemple), ou même le magistère du Pape, quand sa définition est acceptée par tous les évêques catholiques (ceux ijui sont en communion avec la chaire de Pierre, centre de l’unité). Mai » ils niaient l’infaillibilité spéciale du Pape, celle qu’il a en dehors du concile et de tout consentement des évêques. C’est cette infaillibilité, la seule niée par les gallicans, qui est précisément l’objet de cet article. C’est donc le point de vue des gallicans, les objections gallicanes, qu’il nous incombe directement d'étudier et de critiquer ici. — On dira peut-être que la controverse gallicane a perdu son importance, le gallicanisme étant mort au concile du Vatican. Mais quand il serait bien mort, notre apologétique devrait encore reprendre les pièces du procès, si elle veut juslilier le jugement du concile en face de l’hostilité protestante, schismatique et rationaliste ; elle devrait montrer à leurs critiques, à leurs historiens des dogmes, que le dogme de l’infaillibilité spéciale du Pape est renfermé dans les sources anli(iues du christianisme, dans l’Ecriture et dans l’ancienne tradition, comme ses défenseurs le montraient jadis aux gallicans ; sans parler de l’intérêt que présente la controverse gallicane pour l’histoire de l’Eglise et l’histoire de notre pays. Du reste, toute erreur récemment condamnée laisse après elle quelques vestiges et quelques préjugés, et je ne sais quelle facilité de recommencement. Enlin, les gallicans n’ont pas disparu partout, puisque, après le concile du Vatican, un petit nombre d’anti-infaillibilistes, plutôt que d’accepter la délinilion de l’infaillibilité, a préféré sortir de l’Eglise, et qu’il reste encore quelque chose de ce schisme, dit des « vieux-catholiques », Voir Gallicanisme, col. a34- Parmi les anglicans de la

« haute Eglise », plusieurs ont continué le système

gallican, ou ont utilisé ses objections.

Le système gallican, si on le prend dans son ensemble, déborde notre sujet.

Il renferme :

a) One négation de l’infaillibilité spéciale du Pape, que traite le concile du Vatican au cliap. 4 de sa rv* session, D. B., 1832-1840 ; c’est notre sujet.

fc)Des théories sur le gouvernement ecclésiastique, dans lesquelles, en laissant au Pape la première place, on diminue beaucoup son autorité pour augmenter celle des évêques ; point traité au cbap. 3 de la même session, D. B., 1826-1831.

c) Des théories sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat chrétien, que le concile interrompu n’a pas eu letemps d’examiner. En particulier, le gallicanisme refuse aux Papes tout pouvoir, même en des cas extraordinaires, de déposer un roi, comme ils l’ont fait quelquefois. Des quatre propositions de 1682, qui résument la doctrine gallicane, la première roule sur les rapports du Pape et du roi, la deuxième sur les rapports du Pape avec les évêques assemblés en concile général, la troisième sur les libertés de l’Eglise (et du royaume) de France, la quatrième seulement parle de l’infaillibilité pontificale. Voir Gallicanisme, col. igS-ig^.

Nous n’avons donc rien à faire avec ce qu’on a nommé le gallicanisme « politique », concernantles rapports de l’Eglise avec les pouvoirs politiques, mais seulement avec le gallicanisme « ecclésiastique » concernant le droit public interne de l’Eglise (Ibid., col. 198). Et encore n’avons-nous pas à étudier, dans le gallicanisme ecclésiastique, la partie qui regarde le gouvernement de l’Eglise, a. juridiction du Pape dans ses rapports avec celle des évêques : mais seulement la partie qui concerne le suprême magistère du Pape et son infaillibilité, que les gallicans font dépendre de la collaboration ou du consentement des évêques, comme d’une condition nécessaire.

ni. DEVELOPPEMENT HISTOIUQVE

DE LA CONTROVERSE ENTRE CATHOLIQUES

SUR L’INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE

Il existe d’importantes études sur l’histoire du gallicanisme. Mais en abordant ce vaste sujet, les historiens ont été naturellement amenés à y voir de préférence les questions d’un caractère plus extérieur, plus semblable aux questions politiques qui sont familières à l’histoire. Telle est la question de la forme du gouvernement dans l’Eglise et du rôle qu’y jouent le Pape, les évêques, le concile. Telleest, et encore plus, la question des rapports du Pape avec les pouvoirs politiques, et de leur indépendance réciproque. Les liisloriens ont relativement laissé dans l’ombre la troisième des grandes controverses gallicanes, celle qui roule sur l’infaillibilité pontificale, comme étant plus spécifiquement théologique, moins saisissable au grand public, moins directement importante pour les conséquences extérieures et sociales. Nous avons donc à compléter l'étude historique du gallicanisme sur ce point qui est précisément notre sujet, en apportant notre modeste contribution de documents spéciaux. Clit appel à l’histoire sera une plus vivante manière de saisir et d’apprécier le grand mouvement des esprits pendant plusieurs siècles — pour et contre l’infaillibilité du Pape — plutôt qu’un long et abstrait catalogue d’arguments et d’objections. On verra mieux les tristes conséquences de la négation de ce dogme.

" Bpoque : Les origines : Le grand schisme d’Occident et le XV siècle. — Le gallicanisme ecclésiastique ne commence pas, quoiqu’on l’ait dit souvent, à la Un du xm* siècle ou au début du xiv*, avec Philippe le Bel, ce qui n’est vrai que du gallicanisme politique. Voir Gallicanisme, col. a14-a16. Il faut allerjusqu’au grand schisme d’Occident(1378) pour voir les débuts réels du gallicanisme ecclésiastique ; iiirf., col. 219. Ce n’est pas même dans les premières années du grand schisme qu’il commence, du moins quant à la négation de l’infaillibilité pontificale. L’Université de Paris, où il se développe, et Pirrred’Ailly, qui en sera le fondateur, surtout par son disciple Gbhson, fournissent encore en 1 388 un beau témoignage à cette infaillibilité. Pierre d’Ailly fut envoyé alors à Avignon pour défendre devant Clément VII la cause de l’Université contre le dominicain Jkan de Montson. A cette occasion il composa pour le Pape un long mémoire (tractatus), d’après les délibérations de l’Université et en son nom. Ce mémoire nous a été conservé en entier par d’ArgbnTRÉ, Colleciio judiciorum de novis erroribus, etc., Paris 1724, t. I, 2* partie, pp. 75-129, C’està d’Argentré que nous renvoie, pour ce mémoire, Deniflb, Cliartularium universitatis Parisiensis, Paris, 1894, t. III, p. 505. Jean de Montson, dont quelques propositions avaient été condamnées par la Sorbonne et l'évéque de Paris, en avait appelé au Pape, et alléguait comme principal moyen de défense l’incompétence de ses juges, vu qu’il appartient au Pape seul de juger en matière de foi. Pierre d’Ailly dislingue ici entre le jugement suprême qui appartient au Pape, le jugement inférieur etsubordonné qui appartient à l'évéque dans son diocèse, et la censure théologique ou « scolastique », sans autorité judiciaire, qui appartient à la faculté de théologie.

« C’est au Saint-Siège Apostolique, dit-il, qu’il appartient de définir judiciairement, et d’une autorité

suprême, les choses de foi. Nous le prouvons par ce syllogisme : C’est à celui dont la foi est indéfectible, qu’il appartient de définir avec l’autorité d’un juge suprême les choses de foi : or la foi du Saint-Siège 143/

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est indéfectible : donc, etc. La majeure est évidente. La mineure s’impose : c’est de ce saint Siège, dans la personne de l’apôtre Pierre qui devait y présider le premier, qu’il a été dit : Pierre, j’ai prié pour toi, alin que ta foi ne défaille pas, J.uc, xxii, Sa. » Et après avoir renforcé la preuve d’Ecriture par celle des Pères, d’Villy ajoute à son raisonnement spéculatif un corollaire d’actualité : « En conséquence, au début de ce travail, nous déclarons soumettre humblement à ce saint Siège et au Souverain Pontife qui l’occupe, tout ce que nous dirons, afin qu’il le juge et le corrige ; voulant imiter S. Jérôme quand il disait au Saint Père : « [Telle est la foi que nous avons a apprise dans l’i^glise catholique ; si, par hasard, u nous y avons mêlé quelque chose de peu exact, t nous désirons être corrigés et repris par vous, qui

« avez hérité de la foi de Pierre et de son Siège. « D’An-ŒNTHii, 

ibid., p. 76. Rien de plus clair : d’.^illy reconnaît l’infaillibilité spéciale, non seulement " du Saint-Siège » — expression plus vague, — mais encore du Pape. Et quelles qu’aient pu être alors ses opinions personnelles sur l’infaillibilité pontiiicale, le fait qu’il parle ici au nom de l’Université et en résume les débats, explique en tout cas qu’il ne s’éearte pas de la doctrine encore communément admise.

Venons au temps du concile de Constance, et montrons alors la genèse complète du gallicanisme ecclésiastique. Le schisme traînait en longueur, et rien n’avait réussi à éclaircir ni à trancher le problème de la succession légitime : au contraire, au lieu de deux prétendants, on en avait trois. Dans le conllit tumultueux des thèses sur le pouvoir du concile, il y avait un point sur lequel on pouvait généralement s’accorder : c’est qu’au besoin le concile, pour arriver à uuclief incontesté, est au dessus des papes problématiques comme ceux d’alors ; qu’il pouvait donc, s’il était nécessaire, déposer les divers prétendants, et, avec les cardinaux des diverses obédiences, procéder à l’élection d’un pape certain pour tout le monde. De fait, le schisme fut heureusement terminé par l’élection de Martin V ; et dès lors, les théologiens et les canonistes gardèrent l’axiome : Papa dubius, papa nitllus, susceptible d’un sens parfaitement orthodoxe ; cf. Wernz Jus decretaliitm, Rome, 1906, ’2= éd., t. II, n. 618, pp. 355-357.

Mais quelques théologiens de cette époque troublée et violente, frappés de la supériorité que le concile de Constance exerçait, de l’aveu de tous, sur les papes d’alors, ne comprirent pas qu’elle se justiûait seulement par un doute raisonnable sur le fait de la légitime élection de ces papes rivaux, chacun d’eux ayant contre lui une probabilité plus ou moins grande. Ils interprétèrent plutôt les faits par une théorie abstraite de la supériorité du Concile en général sur le Pape en général ; l’énorme distance qu’il y a entre le cas d’un pape douteux et celui d’un pape incontesté, ils la franchirent d’un bond. De là ces conséquences, que le concile est le juge naturel du Pape, et qu’on a toujours le droit d’en appeler du Pape au Concile, comme à un premier supérieur qui peut réformer ou abroger les mesures disciplinaires prises par son subordonné. Et encore, parmi les pionniers du gallicanisme naissant, tous n’allaient pas si loin. Le cardinal d’Ailly lui même, à la lin d’un opuscule écrit à Constance après la déposition de Jean XXlll, en i^i^, concluait que « le Concile général peut en bien des cas juger et condamner le Pape, et qu’on peut en bien des cas appeler du Pape au Concile, c’est-à-dire dans les cas qui menacent l’Eglise de destruction ». Tractatus de Ecclesiae, Concilii generalis, lioniani Ponli/icis et Cardinalium auctoritate ; dans les œuvres de Gerson, édition EUie

Dupin, Anvers, 1716, t. II, col. gag, 960. U ne s’agit donc pas, pour Pierre d’Ailly, d’un pouvoir régulier du concile sur le Pape, mais seulement d’un pouvoir exceptionnel en des cas extraordinaires. Quand les défenseurs de la primauté du Pape alléguaient à Constance les textes du droit canon où il est dit que le Pape ne reçoit pas de loi du Concile, ne lui est pas soumis, ne peut être jugé par lui : « C’est vrai, régulièrement parlant et dans la plupart des cas, répondait d’Ailly ; seulement il y a des exceptions. » Ihid.

Restait un dernier pas à faire pour compléter le gallicanisme ecclésiastique, c’était de prétendre qu’on peut appeler du Pape au Concile, même dans les controverses de foi terminées par un jugement ou « définition » du Pape ; c’était la négation de l’infaillibililé pontificale. Gerson, qui avait succédé à Pierre d’Ailly dans la charge de chancelier de l’Université de Paris, fit ce dernier pas en i 418, vers la Un du concile, dans un opuscule intitulé : Tractatus quomodo et an liceat in causis fidei à Summo Pontijice appellare, seu ejus judicium declinare ; Opéra, éd. citée, t. II, col. 303 sq. — Bien qu’avec quelque ménagement, et en ajoutant à la Un qu’il ne prétend exposer son opinion que pour contribuer à la recherche de la vérité, il prend à partie Marlin V lui-même, pour avoir dit dans une constitution ponliUcale : Niilli fas est a supreino judice, videlicet Apostoliea Sede seuHomano Pontijice… appellare aut illiiis judicium in causis fidei declinare. Après avoir combattu la première partie de cette assertion en tâchant de prouver la supériorité absolue du Concile sur le Pape, Gerson attaque la seconde (sur les causae fidei) comme étant « encore moins soutenable que la première, au jugement de quelques-uns, qui la qualifient d’hérétique et fondent leur dire sur queli |ues principes regardés par eux comme des vérités catholiques ». Voici le premier de ces principes :

« Dans les causes de foi, il faut que le jugement

s’appuie sur une règle infaillible et que le juge suprême, dont on est tenu d’accepter la sentence comme vraiment catholique, ne puisse dévier de la foi : autrement on serait tenu d’adhérer à une chose contraire à la foi. » Ce principe est vrai, mais le suivant est une déplorable négation de l’infaillibilité ponti-Ucale :

« Dans les causes de foi, il n’y a sur terre

aucun juge infaillible, ou qui ne puisse dévier de la foi, si ce n’est l’Eglise universelle ou un concile général qui la représente suffisamment. » Des principes qu’il vient de poser, Gerson n’a pas de peine à tirer cette conclusion pratique : k Dans les causes de foi, une décision judiciaire de l’évëque ou même du Pape, prise à part et en elle-même, n’oblige jamais les Udèles à croire comme vérité de foi ce qu’on y déclare tel, parce que le Pape, ainsi que l’évëque, peut dévier de la foi ; elle oblige néanmoins sous peine d’excommunication ceux qui leur sont soumis à ne pas soutenir extérieurement le contraire de cette décision, à moins qu’on ne voie dans l’Ecriture ou dans un jugement de Concile une raison manifeste de résister. » Ihid., col. 307.

Voilà bien Vaiiti-infaillibilisme, non seulement inconnu à saint Thomas et aux autres grands docteurs de l’Ecole, comme nous le verrons, mais opposé à ce qu’avait écrit le maître de Gerson, Pierre d’Ailly, au nom de l’Université de Paris, comme nous l’avons vu. Un grand érudit en matière théologique, Théophile Raynaud, ne craint pas d’ajouter :

« On pourrait citer pour l’infaillibilité du Pape

tous les théologiens qui ont vécu avant le concile de Constance. C’estseulement à partir de celui de Bàle, que cette vérité a commencé d’être controversée parmi les catholiques. Tous ceux qui out précédé ce 1439

PAPAUTE

1440

temps-là ont enseigné à l’unanimité.que les dclinitions pontilicales, même faites en dehors du concile général, obligent à croire leur objet, et que tout jugement sur la foi appartient ûnalement au Siège apostolique. » Opéra omnia, Lyon, 1665, t. XX (supplémentaire), p. 389.

Quant à l’autorité de Gerson lui-même, si grande qu’elle puisse être sur d’autres terrains, — ce qui explique les partisans assez nombreux qu’elle lit au gallicanisme, — « elle est faible en ce qui concerne la papauté, parce qu’il écrivait au temps du schisme ». Ce sont les paroles du docteur de Sorbonne, André ïyirv AI., De s upreina romani pnniificis potestnte, 2' partie, quest. I, édit. Puyol, Paris, 1877, p. io5. Les mêmes causes d’ailleurs qui diminuent l’autorité de ces premiers « gallicans, à savoir la confusion d’idées qui régnait alors dans les esprits, les circonstances extérieures auxquelles ils pliaient leur pensée, peuvent servir aussi à excuser l’ardeur téméraire de leurs innovations, suivant la remarque d’un adversaire, Thyrse Gonzalrz, général de la Compagnie de Jésus : (i Ils voyaient, dit-il, qu’on ne pouvait arriver à linir le schisme qu’en posant en principe la supériorité du concile sur les papes rivaux, et son pouvoir de les déposer s’ils ne voulaient se démettre par leur propre choix ; c’est donc par un saint zèle, et dans un but excellent, que ces docteurs se mirent à exalter l’autorité du concile, el avec succès. Mais ils s’avancèrent imprudemment, quand ils étendirent ce pouvoir du concile jusqu'à un Pape certain et incontesté, ce qui n'était nullement nécessaire à leur grand but : il leur suffisait de dire que l’Eglise oppressée par un tel schisme a le droit naturel d’en sortir et de pourvoir à son unité par une élection certaine, en déposant des papes douteux qui s’obstinent à garder la tiare. Ils eurent le tort aussi d’ajouter d’autres erreurs, par exemple, que le Pape peut se tromper dans ses délinitions de foi, s’il les fait sans la participation du concile. C’est faux, et ce n'était pas nécessaire à leur but : l’infaillibilité d’un Pape incontesté s’accorde parfaitement avec la supériorité du concile sur des papes douteux. ' De infaUibilitate romani puntificis, Rome, 168g', pp. 596, 597.

Cette négation gallicane de l’infaillibilité pontificale, quel accueil rencontra-t-elle parmi les catholiques ? Loin de prévaloir parmi eux, elle se heurta dès son origine à une opposition qui ne devait plus finir, et à une magistrale affirmation de la doctrine traditionnelle, dont nous donnerons quelques exemples : car il est important de montrer que jamais il ne s’est rencontré un consentement unanime de l’Eglise en faveur de l’anti-infaillibilisme.

En -Vngleterre, Wiclbff, précurseur des prolestants, avait nié, au milieu de nombreuses doctrines catholiques, l’infaillibilité pontilicale ; et les docteurs gallicans, si opposés qu’ils fussent à cet hérésiarque, avaient le malheur de se rencontrer avec lui sur ce point particulier. Le carme anglais Tho.mas NRXXBn, plus connu des théologiens sous le nom de WalDBNsis, nous a laissé un grand ouvrage d’apologétique contre toutes les erreurs de son compatriote et contemporain WiclelT ; il soumit son livre en i^aô à l’approbation de Martin V, qui lui donna les plus grands éloges. On y lit, entre autres passages affirmant l’infaillibilité du Pape : « Tous les orthodoxes recourent au jugement du vicaire du Christ, pour avoir enfin la vérité toute pure… Les Pères de l’Eglise regardent sa décision comme d’une vérité irréfragable… Voilà contre quoi blasphème Wicletï… Ce qu’il veut avant tout dans son hérétique folie, c’est que le Pape n’ait pas un pouvoir plus grand que les autres pour déterminer et approuver les vérités catho liques, pour condamner et démolir les constructions hérétiques. » Et Thomas continue en citant au long les témoignages des Pères : Doctrinale jîdei catholicae, t. I, 1. II, c. 47 ; Venise, 1757, col. /|88.

En Espagne, nous trouvons un dominicain, depuis cardinal, Jean de Tohqi’kmada (plus connu sous le nom latin de Turrecre.mata), qui, docteur lui-même de l’Université de Paris, discuta avec les gallicans au concile de Bâle (i 43 1) ; c’est le premier théologien qui ait composé un « Traité de l’Eglise n — souvent cité dans l’Ecole pour son érudition et sa profondeur, et d’ailleurs intéressant pour l’histoire des controverses de son temps. Il donne ce titre à l’un de ses chapitres : « Que le jugement du Siège apostolique ne peut errer dans les choses de foi et nécessaires ausalut. » Summa de Ecclesia, liv. H, ch. cix ; Venise, 156j, p.252. a II convenait assurément, dit-il, que ce Siège, établi d’en haut comme chaire de l’enseignement de la foi, comme soutien de toutes les Eglises dans les choses révélées et nécessaires au salut, reçiit de Dieu même, dont la Providence ne peut se tromper dans l’accomplissement de ses desseins, un don particulier d’infaillibilité i> — don qu’il prouve ensuite par l’Ecriture et les Pères.

En Allemagne, Gabuikl Bikl, d’un grand renom auprès des théologiens des âges suivants, et qui mourut en 1495 après de longues années d’enseignement dans l’université de Tubingue, a laissé des ouvrages où, si dévoué qu’il soit en général à Ockam, fondateur du nominalisrae, il se garde bien de suivre ses assertions héréti(]ues sur la papauté, ou même les thèses du gallicanisme d’alors. Voir, sur la plénitude de juridiction spirituelle dans le Pontife romain, son Expositio canonis missae, Brescia, 1676, p. 146 ; et son Cominentarius in lili. /T Sentent., dist. xvii, q. 2, Brescia, 1574, p. 564, 569, 613. Il ne traite pas explicitement de l’infaillibilité pontificale.

En Italie, à la fin du x' siècle et au début du xvi', un dominicain, Isidore de Isolanis, est l’auteur d’un ouvrage sur l’Eglise, moins important que celui de Torqueiuada, mais curieux parfois par ses allures mystiques. A cette question : « Le jugement du Pontife Romain est-il irréfragable ? >i il répond : « On doit tenir pour irréfragable le jugement d’un Pape véritable el incontesté, s’exerçant juridiquement dans une matière qui concerne la foi ou le salut du peuple fidèle… Le Pape, comme personne particulière, peut errer ; comme pasteur universel et jugeant les choses de foi, il ne le peut absolument pas ; et cela à cause de l’assistance du Christ. » De imperio militnntis Ecclesiae, Milan, 1617, 1. II, lit. vii, q. 2, sans pagination. — Du même payse ! du même ordre religieux, l’illustre cardinal Cajbtan publie, en 1511, un opuscule sur la comparaison de l’autorité du Pape avec celle du concile. Bien qu’il les compare seulement quant au pouvoir de gouvernement, nous y trouvons sa pensée sur l’infaillibilité lorsqu’il réfute les arguments classiques du gallicanisme. Un de ces arguments, plus Imaginatif que logique, consistait à opposer deux tableaux : d’un côté une Eglise splendide l)ar la multitude et les dons variés de ses membres, l’Epouse surnaturellement ornée par l’Epoux ; — de l’autre un pauvre pape, réduit à sa seule personnalité, inférieur de toute manière ! — Et l’on concluait :

« Est-il possible que celui-ci règne en souverain sur celle-là? » Nous rencontrons déjà ce

procédé en 14'5, dans un document de l’Université de Paris, d'.rgentrb, Collectio, t. I, 2' partie, p. 199, 200. Un siècle plus lard, Gajelan renconlrechezles gallicans le même genre de preuve :

« L’Eglise universelle, disent-ils, ne peut errer, tandis que le Pape peut errer même dans la foi, comme

le reconnaît le droit canon ; donc l’Eglise doit tenir 1441

PAPAUTÉ

1442

les clés la première et d’une manière plus excellente que le Pape, et même elle peut le juger. » On joue sur les mots, répond Gajetan : « Distinguons l’erreur personnelle i/i cret/fnrfo, et l’erreur judiciaire in de/iniendo ; distinguons aussi l’Eglise vraiment universelle, où le Pape est compris, ell’Eglise dite universelle, mais entendue sans le Pape et par opposition à son autorité. S’il s’agit de l’erreur personnelle, certainement le Pape, n'étant qu’une seule personne, peut plutôt se tromper dans la foi que tout le reste de l’Eglise (pris collectivement) : mais ceci est en dehors de la question. S’il s’agit de l’erreur judiciaire sur la foi, alors c’est l’inverse. Enlevez l’infaillibilité du Pape, l’erreur de la communauté tout entière, qui suivrait la sienne, serait pire ; l’erreur du Pape in de/lniendo deviendrait nécessairement l’erreur de toute l’Eglise, de l’Eglise vraiment universelle, comprenant le chef et les membres : puisqu’il appartient au Pape (d’après la tradition) de définir ce qu’il faut croire, pour que tous y adhèrent d’une foi inébranlable. Or il est impossible que l’Eglise universelle erre dans la foi ; donc il est impossible que le Pape se trompe dans un jugement sur la foi, ce qui n’est pas impossible à d’autres (évêques). L’argument se retourne ainsi en notre faveur, et pour le bien général de la foi, le Pape doit être infaillible… Ne nous laissons donc pas tromper par les mots. Dans un jugement sur la foi, ni le Pape, ni l’Eglise, c’est-à-dire le concile général pris en entier (avec son chef), ne peut errer, c’est certain : mais si l’on parle du concile acéphale, je ne trouve rien (qui en garantisse l’inerrance). » Opuscula omnia Thomæ de Vio Cajetani, enise, 161a, tract. I, De anlorilale Papæ et Concilii, c. xi, p. 6. — Un docteur gallican de la Sorbonne, Jacques Almain, fut chargé par le roi de réfuter ce traité de Gajetan ; voir Gallicanisme, col. 224.

Après les livres des grands théologiens d’alors, si nous examinons l’intérieur des Universités, et les incidents qui s’y produisirent au xv » siècle après les conciles de Gonstance et de Bàle, nous voyons bien l’Université de Paris allinner à l’occasion contre divers religieux les principes gallicans sur a Juridiction du Pape et des évêques (cf Gallicanisme, col. aaa) ; mais l’infaillihililé poniiùcale ne semble pas y avoir été mise en cause par aucun incident. Elle le fut en Espagne par lesthèses d’un théologien, Pibkbe d’Osma, qui causèrent grand émoi à Salaraanque où il enseignait, et à Alcala. Les professeurs de ces deux universités déférèrent neuf propositions extraites de ses écrits à l’archevêque de Tolède, primat d’Espagne. Voici la septième : « L’Eglise de la ville de Rome peut errer. » D. B., 'j30. Nier l’infailliljilité de l’Eglise particulière de Rome revient à nier l’infaillibilité spéciale du Pape. L’archevêque examina juridiquement la cause dans un synode de théologiens et de canonistes tenu à Alcala en 1478, où les neuf propositions furent expliquées et défendues par leur auteur et ses quelques partisans, et longuement disculées. On recueillit sous la foi du serinent le suffrage de chacun. A la suite de ce vote, la sentence du prélat condamna toutes les propositions comme hérétiques, erronées, scandaleuses et malsonnantes, d’Argenthr, ibid., p. 299. Pierre d’Osma se soumit, et monta en chaire pour faire son abjuration, que nous avons encore, et à la un de laquelle il déclare

« être de même sentiment que le Siège apostolique, 

ettenirla même foi que le seigneur Sixte, Pape régnant ». SixTR IV, après une enquête sur la procédure et un nouvel examen des propositions par les cardinaux, approuva par une bulle ce qui s'était fait, d’Argkntrk, pp. 300-30a. Il ajoutait sa propre sentence, D. B., ^33.

Tome III.

S" Epoque : La décadence de l’anti-infaillibilisme au XVI' siècle. — Elle s’annonce déjà, même en France, dans la seconde moitié du xv » siècle ; voir Gallicanisme, col. 228. Et il est curieux de voir la Sorbonne prendre la défense de l’infaillibilité du Pape dans la canonisation des saints, d’autant que ce cas particulier de l’infaillibilité pontificale a été parfois plus contesté que les autres. En i/|86, elle condamne maître jEANLAiLLEnà rétracter en public plusieurs erreurs ; entres autres, on lit au procèsverbal de la rétractation : t … Je confesse avoir dit que, si le Pape canonise un saint, je ne suis point tenu de croire sur peine de péché mortel, qu’il soit saint. En quoi j’ai mal prêché, et la révoque (cette proposition) comme scandaleuse, pernicieHse, fausse et hérétique… Et suis tenu de croire au moins pieusement, si le Pape canonise un saint, qu’il est saint. » D’Argknthé, Co//ec<io, t. I, part. ii, p. 31 2. — Innocent VIII félicita la faculté de théologie de son zèle pour l’orthodoxie. Ibid.

La décadence du gallicanisme a lieu surtout au xvie siècle, sous l’influence de diverses causes. La principale est le danger où le protestantisme met l’Eglise, et par suite le besoin qu’on éprouve, même ilans les régions ecclésiastiques atteintes par le gallicanisme, de serrer les rangs et de concentrer toutes les forces autour du chef de la catholicité, ce qui contribue à faire tomber des passions et des préjugés. Dès la révolte de Luther et dans le courant du xvr siècle, l’infaillibilité pontificale (pour nous en tenir striclement à notre sujet) est soutenue comme certaine, souvent même comme étant de foi, par presque toutes les universités catholiques, et la thèse contraire est très sévèrement jugée.

I' Universités. — Nous citerons celles qui étaient situées loin de Rome, en divers pays, pour que leur témoignage soit moins suspect à l’adversaire.

L’université de Gambridge, encore catholique, est représentée par son chancelier, le bienheureux Jean Fishkr, évêque de Rochester, plus tard martyrisé par Henri VIII. Dans un ouvrage où il réfute les articles de Luther condamnés par Léon X en 1620, il attribue au Saint-Siège le jugement définitif des controverses : ad Pétri cathedram pro dirimendis cunlroversiis confugiendum est. Assertionis lutlieranae con/'ulatio, Paris, 1545, 3 %'eritas, p. 10. Plus loin, il montre ainsi à Luther la nécessité de la papauté : « Toutes les fois qu’il s'élève des querelles sur les choses de la foi, des controverses sur le sens des Ecritures, il faut que nous ayons un juge suprême, au jugement duquel on s’en tiendra. Et puis, quand un concile général sera nécessaire, il pourra bien plus facilement être convoqué par ce chef de l’Eglise, aux ordres duquel tous devront obéir ; autrement les évêquespourraient ne pas venir, etc. «  Ibid., art. 25, p. 213. Et comme Luther disait qu’il n’est pas an pouvoir de l’Eglise ou du Pape de faire des articles de foi (D. 11., 767), il répond que sans doule il ne dépend pas d’eux de faire à volonté le vrai et le faux, le révélé et le non révélé, mais que néanmoins « tout ce que l’Eglise ou le Pape nous donne à croire comme article de foi, tous les chrétiens doivent le croire comme tel » : ce qui implique nécessairement l’infaillibilité de l’Eglise ou du Pape pour donner comme article de foi ce qui l’est en réalité. SI ailleurs l'évêque de Rochester insiste plus sur l’infaillibilité du Pape définissant avec le Concile, que sur son infaillibilité en dehors du Concile (par exemple art. 28, p. 2^6), c’est que la première infaillibilité était reconnue de tous les catholiques, tandis que la seconde avait été mise en question par les gallicans : l’apologiste veut donc obtenir avant tout que Luther admette le point le plus indubi.

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table ; car l’hérésiarque, après avoir paru admettre cette infaillibilité du concile (art. 28, D. / ?., ’j68), par une de ces variations qui lui étaient familières, en était venu à la nier (769).

La profession de foi catholique de l’université de Louvain contre les erreurs de Luther, publiée en 82 articles le 6 décembre 1541, nous a été conservée (et commentée en partie) par Ruard Tappkr, chancelier de cette université, célèbre théologien hollandais qui assista au concile de Trente. Le 25’article est ainsi conçu : n II faut tenir d’une foi certaine non seulement leschoses contenues expressément dans l’Ecriture, mais encore celles que la tradition de l’Eglise catholique a transmises à notre foi, et celles qui en matière de foi et de mœurs ont été définies par la chaire de Pierre, ou par les conciles généraux légitimement assemblés » (ici les définitions de » la chaire de Pierre », étant explicitement distinguées de celles des « conciles généraux », ne peuvent évidemment signifier que le suprême magistère du Pape exercé en dehors du concile). Explicationis articulorum venerandæ facuUatis theologiae Lovaniensis tomus 1, Louvain, 1555, p. l^01 sq. — Le 6 décembre 1644, l’université de Louvain renouvelait sous la foi du serment cette solennelle profession faite cent ans auparavant.

La Pologne est représentée par son grand cardinal Stanislas Hosius. Dans un ouvrage très répandu au XVIe siècle et traduit en plusieurs langues, il a commenté la « Confession de foi catholique » qu’un synode d’évêques polonais, en 1551, avait opposée aux envahissements du protestantisme. De nombreux témoignages des Pères, Hosius conclut que dès l’origine du christianisme on a eu recours au jugement de l’Eglise de Rome dans les controverses religieuses et regardé sa foi comme indéfectible. Et il y a pourtant des gens, ajoute-t-il qui préfèrent soumettre leurs écrits à la censure de je ne sais quel maître de Wittenberg, et d’une Église née d’hier, plutôt qu’au jugement de l’Église la plus sainte et la plus ancienne de toutes, à qui les Apôtres Pierre et Paul ont laissé toute leur doctrine en y répandant leur sang, et qui a été regardée comme tellement catholique et apostolique, qu’elle n’est jamais entachée d’hérésie. « Confessio catholicæ fidei, Lyon, 1562, ch. xxviii, p. 1 10.

L’université de Douai exprime sa pensée par l’organe de son plus éminent docteur, le grand controversiste anglais Staplkton. Il commence par distinguer deux opinions extrêmes, celle d’un théologien, Pighius, qui ne veut pas que le pape puisse errer dans la foi, même comme personne privée, et celle des protestants, qui veulent qu’il puisse enseigner l’hérésie, même s’il définit. « Le milieu entre ces deux extrêmes, qui est la vraie doctrine, dit-il, c’est que le Pontife romain, comme personne privée, n’est pas indéfectible dans sa foi, de même qu’il n’est pas impeccable dans ses mœurs ; mais que, comme personne publique, c’est-à-dire quand, consulté sur la foi, il répond et décide en vertu de sa charge, il n’a jamais jusqu’ici enseigné l’hérésie et jamais ne pourra l’enseigner. Cette vérité, qui tient le milieu, est maintenant reçue par les catholiques comme certaine, sinon comme une vérité de foi. Et l’assertion contraire serait erronée, scandaleuse, offensive, mais peut-être pas hérétique. » Slapletoni Opéra, Paris, 1620, t. I, p. 706.

L’université de Salamanque, au xvi’siècle, affirme sa conviction par la voix de ses docteurs. Citons deux dominicains très connus, qui se sont succédé dans sa cathedra primaria, Melchior Cano, et Banez. « On nous demandera, dit Cano, s’il est hérétique d’affirmer que l’Eglise de Rome puisse

dégénérer comme les autres Églises (tombées dans l’hérésie) et que le Siège apostolique lui-même puisse se détourner de la foi du Christ. Voici en deux mots notre réponse. Nous ne voulons pas prévenir ici la sentence de l’Eglise ; mais si la question était déférée à un concile général, cette erreur serait flétrie de la note d’hérésie. » Plus loin il rappelle queles hérétiquess’acharnent.et pour cause, contrece privilège du Pape et que ceux qui le soutiennent contre eux sont regardés comme les vrais catholiques, et il ajoute : « Je ne comprends pas pourquoi certains fidèles aiment mieux favoriser les opinions des hérétiques que celles des catholiques… Quant à nous, suivons donc la doctrine qui est commune parmi les catholiques : elle est sûre, précisément parce que c’est le sentiment commun. « De locis theologicis, t. VI, ch. VII ; dans Migne, Theologiæ cursus completus, Paris, 1889, 1. 1, col. 345, 847. « Dans un jugement public porté sur la foi, dit à son tour Baâez, le souverain Pontife ne peut se tromper. » Et après avoir sur ce point rappelé la tradition des Pères, il conclut : « Je pense donc que cette doctrine doit être tenue comme une tradition apostolique. Et elle serait regardée comme telle par tous les fidèles, si, à partir du Concile de Constance, l’ennemi n’avait semé l’ivraie dans le champ du Seigneur. Jusque-là, les seuls Grecs (schisinatiques) erraient sur ce point ; aussi saint Thomas énumère-t-il cette erreur parmi celles qui sont propres aux Grecs (Opusc. i, sub fin.). Sûrement, si la question était soumise à un concile légitime, la doctrine de l’infaillibilité pontificale serait dèfiniecomme étant la vraie foi et l’opinion contraire frappée d’anathème. » Scholastica commentaria in II’"" 11" S. Thomae. Douai, 1615, q. 1, a. 10, concl. 4, p. 60.

Dans l’université de Paris elle-même, la décadence du gallicanisme Unit par devenir si complète que vers l’an 1600 on cesse d’y soutenir les thèses gallicanes. Voir Gallicanisme, col. 226 ; cf. Puyol, Edmond nicher, Paris 1876, t. I. p. 129. — En France, du reste, n ce qui montre combien les vieilles doctrines (du gallicanisme) avaient perdu de terrain, c’est la Ligue elle-même. Une telle explosion n’a été possible que parce que la France était, en majeure partie, gagnée aux opinions dites alors ultramontaines ». Puyol, ibid.. p. 36, cf. p. 126. Mais les excès de la Ligue et le triomphe d’Henri IV devaient occasionner une réaction, dont la Sorbonne et le clergé subiraient l’influence, et dont les premiers instigateurs furent les parlementaires, invariablement attachés au gallicanisme par son côté politique, souvent même imbus de préjugés protestants ; ibid., p. 20, sq.

2° Théologiens. — De cette même époque (xvie siècle et commencement du xvii’), nous avons déjà cité plusieurs grands théologiens. Avant le concile de’Trente, le cardinal Cajbtan, dominicain (j- 1534) ; pendant le concile, le cardinal Hosius, un des légats ([1579), Ruard Tappbr (-j- 1559), MblcuioR Cano, dominicain (-j- 1560). Jprès le Concile de Trente, et dans le renouveau de théologie qu’il produisit, Staplbton (+ iSgS), Ba.nez, dominicain (71604).

La Compagnie de Jésus, constituée en 1540, apporte un nouvel appoint à un mouvement commencé avant elle. Citons, sur l’infaillibilité pontificale, quelques-uns de ses grands théologiensd’alors : ToLET (-f- 1096), qui a tant contribué à la réconciliation d’Henri IV avec l’Eglise catholique ; Valbntia (7 1608), professeur à l’Université d’ingolstadt ; Bbllarmin (7 1621), dont les Con/rot erses, publiées dès 1586, furent si renommées, et en divers pays tant de fois rééditées à l’époque dont nous parlons, 14'15

PAPAUTE

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qu’elles ont dû notablement contribuer à la décadence du gallicanisme ; enfin Suakbz ({ 1617).

< Le Pontife romain, dit le cardinal Tolet, ne peut errer dans le juijement qu’il porte sur la foi et les mœurs, c’est-à-dire quand il détermine judiciairement ce qu’il faut croire ou ce que la morale dit de faire. Celle conclusion n’est pas une simple opinion : la contradictoire est une erreur manifeste contre la foi. » Enarralio in siimmatn S. Thomae, Rome, 1869, t. II, p. 70. — « Toutes les fois que le Pontife use de l’autorité qu’il possède pour délinir les questions de foi, dit Grégoire de Valence, la doctrine qu’il déclare être de foi doit être, en vertu d’un précepte divin, reçue comme telle par tous les tidèles. Nous devons admettre qu’il use de cette autorité, lorsque dans une controverse de foi il décide en faveur d’une des deuxopinionsopposées, eumanifestanlla volonté d’obliger toute l’Eglise à la recevoir. » Commentarii theologici, Lyon, 1603, t. 111, col. 2^9. Et à propos de quelques auteurs dont la pensée à ce sujet n'était pas assez nette : « S’ils entendent, dit-il, que le Pontife…, comme personne publique, puisse délinir réellement une erreur contre la foi, ils errent euxmêmes très gras’ement en matière de foi. » Ihid., col. a56. — « Que le Pontife… ne puisse jamais définir quelque chose d’hérétique comme devant être cru par toute l’Eglise, c’est la doctrine très commune de presque tous les catholiques », dit le cardinal Bellarmin ; et plus bas, il l’appelle « très certaine » et juge ainsi l’opinion contraire de Gerson : Nous n’osons pas dire qu’elle soit proprement hérétique, parce que nous voyons ses partisans tolérés encore par l’Eglise ; cependant elle paraît tout à fait erronée et approchant de l’hérésie, en sorte qu’elle pourrait à bon droit être déclarée hérétique par le jugement de l’Eglise. » Controf., l. IV, de Rom. Pont., ch. Il ; Œut’res, éd. Vives, t. II, p. 79, 80. — Suarez est encore plus affirmatif, peut-être parce qu’il écrivait dans un temps où la décadence de l’opinion gallicane était devenue complète ; car son ouvrage sur la foi, où il traite de la question de l’infaillibilité pontiflcale, est le dernier fruit de son enseignement et ne fut publié qu’en 1621. « C’esl une férité catholique, dit-il, que le Pontife définissant ex cathedra constitue une règle de foi infaillible, quand il propose avec autorité quelque chose à l’Eglise universelle comme devant être cru de foi divine. Ainsi l’enseignent aujourd’hui tous les docteurs catholiques, et selon moi cette vérité a une certitude de foi. » De Fide, disp. V, sect. 8, n" 4 ; Œuvres, éd. Vives, t. XII, p. 162. Quelqu’unavait voulu esquiver une ancienne définition pontificale, sous prétexte que l’infaillibilité du Pape, définissant en dehors du concile général, n'était pas une vérité de foi. « Cette réponse, dit Suarez, est non seulement bien téméraire, mais encore erronée. Bien qu’autrefois quelques docteurs catholiques aient émis (sur l’infaillibilité du Pape sans le concile) un doute ou une erreur, peut-être sans s’y obstiner, aujourd’hui le consentement de l’Eglise à cette vérité est si constant, le sentiment des écrivains catholiques si unanime, qu’il n’est aucunement permis de la révoquer en doute. » Ihid., disp. XX, s. 3, n* 22, p. 617.

Terminons par le témoignage de saint François DE Sales dans ses Controverses, rédigées à la fin du xvi= siècle. Après avoir parlé de l’infaillibilité de saint Pierre comme chef de l’Eglise : « L’Eglise, dit-il, a toujours besoin d’un cou firmateur infaillible auquel on puisse s’adresser, d’un fondement que les portes d’enfer, et principalement l’erreur, ne puisse renverser, et que son pasteur ne4(^uisse conduire à l’erreur ses enfants : les successeurs donc de S. Pierre ont tous ces mêmes privilèges, qui ne

suivent pas la personne, mais la dignité et la charge publique. » Œuvres, éd. d’Annecy, 18ya, t. I, p. Bo.'j. On sait que « la lecture de la page autographe du saint Docteur, où le Souverain Ponlife est qualifié du titre (le « Conlirmateur infaillible » produisit une impression profonde sur l’esprit des Pères du Concile, et en détermina plusieurs à souscrire à la définition de l’infaillibilité pontificale. » Ibid., Préface des Controverses, p. cxiii.

3' Epoque : Le retour de l’anti-infaillibilisme au XVII' siècle. — Il dérive de deux faits principaux : l’initiative de Richer, et la déclaration de 1682.

A. — L’initiative de Richer

1" La théorie du Libellas. — Cette doctrine de l’infaillibilité du Pape, devenue à la fin du xvi » siècle commune parmi les théologiens catholiques, fut soudain attaquée par un docteur de Sorbonne qui l’avait professée d’abord avec l'énergie d’un ligueur EoMOND RicuER. Sous l’influence des passions politiques et de la réaction contre la Ligue, gagné d’abord au gallicanisme des parlementaires, il en vint à se donner la mission de restaurer le gallicanisme ecclésiastique. Sectaire habile et tenace, il fit servir à ce but sa charge de syndic de Sorbonne, soit par diverses mesures qu’il prit à l’intérieur de la faculté de thôologie, soit au dehors en attaquant ceux qui faisaient obstacle à ses idées, paj exemple, en poussant l’Université et le parlement de Paris à des poursuites iniques contre les jésuites, rendus complices de l’assassinat d’Henri IV, et en intervenant d’une manière scandaleuse dans la solennelle dispute de théologie donnée à Paris chez les dominicains à l’occasion de leur chapitre général en 1611, où figuraient, entre autres thèses à soutenir, l’infaillibilité du Pape et sa suprématie. C’est alors qu’iUit paraître un opuscule anonyme : De ecclesiastica et politica putestate ; voir Gallicanisme, col. 226, 227. Sa brièveté l’a fait surnommer le Libellas.

Richer travailla à une édition de Gerson, écrivit une apologie de Gerson, déclara en 162a n’avoir écrit son opuscule que n pour montrer sommairement quelle était l’ancienne doctrine de l’Ecole de Paris » ; cf. PuYOL, Edmond liicher, t. II, p. 178 sq. Mais en réalité il va beaucoup plus loin que le grand ancêtre dont il se couvre. Ouvrons les œuvres de Gbrson :

« La papauté, dit-il, a été instituée par le Christ surnaturellement et immédiatement, comme une primauté monarchique et royale dans la hiérarchie

ecclésiastique… Quiconque a la présomption d’attaquer ou de diminuer cette primauté… est hérétique, schismatique, impie et sacrilège. » Tract, de statibus ecclesiasticis, au début ; Opéra, éd. Dupin, t. II, col. 529. Le Christ a voulu, dit ailleurs Gerson, que son Eglise fût gouvernée principalement par un seul monarque, de même qu’il y a une seule foi, un seul baptême et une seule Eglise ; en sorte qu’il y ait unité de chef, soit qu’on regarde le chef principal, soit qu’on regarde son vicaire : parce que c’est la meilleure forme de gouvernement, surtout dans les choses spirituelles, pour conserver l’unité de foi, à laquelle tous sont obligés. » Tract, de potestate ecclesiastica, consid. IX, col. 288. Et il ajoute qu’il n’en est pas de même dans l’ordre civil, où il y a plusieurs nations avec une législation spéciale pour chacune, et où une semblable « monarchie universelle » ne conviendrait pas. i Le pouvoir ecclésiastique en sa plénitude, dit-il encore, est formellement et subjectivement dans le seul Pontife romain. » Ibid., consid. X, col. 289. Toutefois, Gerson ajoute que le Concile général a le droit de juger et de déposer le 1447

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Pape en certains cas, et a le droit de prescrire des lois ou règles selon lesquelles la plénitude de la puissance papale doit être modérée et réglée, non pas en soi. puisqu’en soi elle reste toujours la même, mais dans son usage n.

Kicher, au rebours de Gerson, dit « que le régime aristocratique est le meilleur de tous, et le plus convenable à la nature ». Hf ecclesiaslica et politica potestale, Paris, 1611, principe r, p. 5. Il ne nie pas que le Christ ail institué la papauté ; pourtant son Libellas n’est pas très clair là-dessus, et son disciple ViGOR a pu s’y tromper et en faire une instiiution purement ecclésiastique, que par suite l’Eglise pourrait abroger. Enlin, pour Gerson, le Christ a voulu un seul monarque, comme il a ioitlu une seule foi, un seul baptêaie, une seule Eglise, points essentiels dans le christianisme ; pour Richer, le pape n’est point un rouage essentiel. Il distingue entre le chef

« essentiel », qui est le Christ seul, et le chef
« ministériel ». II nie que le Pape soit essentiel à

l’Eglise, sous le beau prétexte qu'à sa mort l’Eglise n’en subsiste pas moins pendant la vacance du Siège ; comme s’il n’en était pas ainsi de toute société où le chef est élu à la mort de son prédécesseur, ce qui ne l’empêche pas de pouvoir être un rouage essentiel, de par la constitution ! Et parce que l’Eglise peut exister quelque temps sans Pape, il s’indigne de ces formules : « Comme l'édifice ne peut subsister sans fondement, l’arbre sans racine, etc., ainsi l’Eglise sans le Pape. » Mais ces formules sont patristiques ; et c’est puérilité de sa part que d’exiger, pour ce qui est nécessaire ou « essentiel » dans l’ordre des choses morales, absolument les mêmes conditions que pour ce qui est « essentiel » dans l’ordre physique ou métaphysique. Quant au titre de chef ministériel » donné au Pape, il a un sens vrai si le mot u ministériel » est employé par rapport eui Christ, dont le Pape n’est que le ministre, le vicaire, le subordonné, tout en étant chef de l’Eglise ; mais il sonne faux s’il est employé par rapport à l’Eglise ou au concile dont le Pape serait le commis et le subordonné, et c’est bien la pensée de Kicher. Cf. PuYOL, op. cit., t. I, p. 503 sq.

Sur la question de l’infaillibilité, qui nous intéresse directement, voici les termes du Libellas :

« L’infaillibilité des décrets appartient à toute

l’Eglise ou au concile général qui la représente, en quoi consiste la nature du régime aristocratique. Ceci est démontré soit par la lumière divine (révélation), soit aussi par la lumière naturelle (raison) puisque plusieurs yeux voient mieux qu’un seul. «  Principe n-, p. 8. — Comme si l’infaillibilité, don surnaturel, suivait forcément la loi des yeux du corps ou en général des connaissances naturelles ! Après cette « démonstration » par la raison, le Libellas accumule des textes qui ne prouvent pas davantage, comme Hebr., v, i. Et Richer de conclure que « c’est au Concile général que reviennent toutes les controverses, comme au dernier et infaillible tribunal, contenant toute la plénitude de la puissance ». Ibid., p. 10.

3° Accueil tait au Libellas dans l’Eglise de France, spécialement sur le point de l’infaillibilité pontilicale.

a) Théologiens. — Si Richer eut pour lui les parlementaires, dont le gallicanisme poli ti(]ue n’avait pas désarmé, et dont trop souvent il sollicita l’intervention, plus que déplacée dans les controverses religieuses ; s’il troubla bien des esprits, il ne put faire triompher ses vues à l’Université de Paris, ni dans l’Eglise de France. Aussitôt paru, le Libellas fut réfuté par divers ouvrages, soit en dehors de la Sorbonne, comme par l’abbé de Beaulieu, aumôQier

du roi, et Pelletier, protestant converti qui compara la doctrine nouvelle avec celle des chefs de la Reforme ; soit par des docteurs de Sorbonne, comme Durand, Bouchek, Dival, Forgemont ; cf. Puyol, ibid., p. 298 sq. Dans une lettre à Casaubon en 1612, le carbinalDupBRRON rappelait que Richer, du temps qu’il était pour la Ligue, avait mis, dans une thèse théologique, les Etals Généraux du royaume audessus du roi, et qu’appliquant maintenant à l’Eglise

« ce levain de vieille doctrine », il soutient encore
« l’excellence du régime aristocratique par-dessus

le monarchique ». Ambassades et négociations, Paris, 1628, p. 61|5. — Chose remarquable, aucun contradicteur ne se plaça sur le terrain de l’ancien gallicanisme, ni ne reprocha à Richer d’avoir dépassé Gerson ; l’ancien gallicanisme était bien oublié. Ce que l’on opposait alors à Richer, c'étaient les doctrines dites « ultramontaines », c'était la monarchie pure et sim[)le du Pape, avec son infaillibilité. Prenons par exemple un des principaux docteurs de Sorbonne, André Duval, que sa science et sa piété iirenl choisir à sain^t Vincent de Paul pour son confesseur. Sans parler de l’Elenclius qu’il oppose au novateur dès 1612, il réfuie Richer et son disciple Vigor en 161 4, dans un ouvrage magistral, où il dit, à propos de l’infaillibilité : « Vigor veut que le Pontife, quand il délinit en dehors du’concile, ne soit pas infaillible, bien qu’agissant comme Pontife : ce qui est absolument faux. » De snprema romani ponti/icis in Ecclesiam potestate, part. II, q. i ; nouvelle édit., Paris, 1877, p. 96. Cette infaillibilité du l’ape sans le concile ne semble pas à Duval être de foi « au moins ce n’est pas évident qu’elle le soit ; mais pourtant elle est absolument certaine et indubitable, puisque le Saint-Esprit assiste perpétuellement le Pape pour qu’il ne lui échappe pas la moindre erreur quand il délinit ». Ibid., p. io5.

Ce mouvement d’opposition à Richer, en particulier au sujet de l’infaillibilité du Pape, continue les années suivantes parmi les docteurs de Sorbonne. Citons l’ouvrage du docteur Maucleh, De monarchia difina, etc., Paris, 1622, où il dit à propos de l’infaillibilité du Pape, que ceux qui l’attaquent « sont hérétiques, schismatiques et impies » ; que les controverses sur la foi doivent être considérées comme terminéespar le jugement du Pontife romain, et que c’est « l’enseignement courant des professeurs de théologie » ; part. II, liv, ch. 4- — Un gallican, l’avocat Fleury, nous raconte que a en 1634 le quatrième juillet, les sieurs Duval, Ysambert, Lescot, Cornet, docteurs régents des collèges de Sorbonne et de Navarre, s’assemblèrent avec quelques autres de leur faction au collège d’Ainville, et formèrent six propositions pour les envoyer dans toutes les universités du royaume comme les senliments de celle de Paris… La première est : Summus Pontifex ex traditione ditina falli non potest nec falsam dicere circa veritatem fidei. » Cf. Puyol, Edmond Hicher, t. II, p. io3, — Nous lisons dans les ŒuiTet de Nicolas Coëffeteau, O.P., conseiller du Hor en ses conseils, et nommé à Vévéché de.Marseille, Paris, 1622, ces paroles qu’il adresse à Jacques I : « Une chose vous semble insupportable en ce sujet : c’est que nous disons que le Pape ne peut errer. Mais, Sire, nous ne l’avons jamais dit de sa personne particulière. Car nous savons qu’il est homme pécheur comme un autre, et partant qu’il peut errer en la doctrine et es mœurs, si on le considère en particulier ; mais en qualité de successeur de saint Pierre, il ne peut rien enseigner de contraire à la piété, il ne peut proposer à l’Eglise aucune pernicieuse doctrine, il ne peut induire les peuples à embrasser une hérésie, vu que notre Seigneur a prié pour la 1449

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foi de saint Pieri’e, uliii qu’elle ne put défaillir. liéponse à l’adxertissement adressé par le Séréntssime lioy de la Grande Bretagne à tous les princes et potentats de la chrétienté ; QBuA’res, p. 359.

Citons enfin un célèbre commentateur de saint Thomas, François Sylvius, docteur et vice-cliancelier de l’université de Douai, et chanoine delà même ville, dans ses Controten^es. publiées en 1638. « Il est de foi certaine, dit-il, que le jugement du Pontife romain dans la décision des choses de foi est infaillible ; tellement que, lors<|u’il définit e.r cathedra, c’est-à-dire lorsque, agiseani comme Pontife, il propose à l’Eglise quelque chose à croire comme de foi, il ne peut en aucun cas se tromper, soit qu’il délinisse avec le concile général, soit (]u’il détinisse sans lui. « Depræcipuis fidei contro^'ersiis, L.IV, q. 2. a. 8 ; Opéra, Anvers, 1714, t- V, p. 313.

b) Actes officiels. — En 1612, le Libellas fui condamné en France comme « contenant des propositions fausses, erronées, scandaleuses, schisraatiqueset hérétiques i>, ^ar deux conciles provinciaux ; l’un en mars, tenu à Paris sous la présidence ducardinal Duperron, archevêque de Sens et primat, dont le siège de Paris était suffragant ; l’autre en mai, tenu à Aix. Le récit des travaux préparatoires et des diverses démarchesqui précédèrentces condamnations se trouve dans Puyol, op. cit., t. I, p. 346-36 1 ; les pièces officielles, ibid., p. 36^, sq. C’est en vain que Richer voulut introduire au parlement un appel comme d’abus de la censure de son livre ; et il fut déposé par la Surbonne de sa charge de syndic la même année ; ibid., p. 873 sq.

En 1617, un autre acte officiel de la Sorbonne vint manifester sa pensée sur les graves questions théologiques soulevées par Richer. L’archevêque de Spalato, Marc Antoi.ne de Dominis, avait passé à l’anglicanisme et venait de publier à Londres son De republica ecclesiastica, où, à l’appui de plusieurs de ses idées, qui étaient celles de Jacques I"'^, il invoquait la Sorbonne elle-même. Ainsi mise en cause, et sur la requête d’Ysambert alors son syndic, la faculté de théologie examina l’ouvrage et en censura 47 propositions « choisies parmi un grand nombre d’autres ». Voir d’Argentré, Collectio…, t. ii, part.II, p. io5 sq ; cf. Duval, De suprema Hum. Pontif. potestale, Paris, 1877. p. 28 sq. Sans doute, l'évêque apostat allait en général beaucoup pins loin que Richer ; et ce dernier pouvaitn'être pasatleint quand on déclarait hérétique cette 6" pi’oposition : <i Monarchiæ formam non fuisse immédiate in Ecclesia a Christo institutam. » Mais quand on déclarait « hérétique dans toutes ses parties » la 11' proposition empruntée à Jean IIuss : « qu’il n’y a pas en l’Eglise d’autre chef suprême ni d’autre monarque que le Christ ; que par ses nomlireux ministres le Christ gouverne parfaitement son Eglise en se passant de ce monarque mortel », — ne réveillait-on pas le souvenir de cet endroit du I.ibellus où le Christ est déclaré » le seul monarque essentiel », où l’Eglise est montrée comme se passant très bien du Pape pendant la vacance du siège ? Quand on rejetait comme une imposture pure et simple contre la faculté de Paris » cette ' proposition de Dominis : « … L'école de Paris est à nous, et en réalitéelle tient pour un pouvoir aristocratique et non pas monarchique » —, cctait en effet une imposture de dire cela de la Sorbonne, ancienne ou nouvelle ; mais Richer, lui, n’avait-il pas proie à cette calomnie contre le corps savant auquel il appartenait, et ne donnait-il pasà l’Eglise » en réalité « uneforme aristocratique et non pas monarchique ? Enfin, quand on censurait comme erronée la 8" proposition visant directement l’infaillibilité de saint Pierre et indi rectement celle de ses successeurs :  ; Pierre déchut presque aussitôt de cette foi qu’il avait eue en confessant le Christ {.Matth., xvi), et ce n’est pas une seule foismais plusieurs, qu’il chancela, même après l'.scension et la Pentecôte » —, le seul fait que l’on choisit parmi beaucoup d’autres cette proposition pour la censurer ne montre-t-il pas que la Sorbonne tenait alors à la doctrine de l’infaillibilité du Pape, attaquée par Richer, aussi bien que par de Dominis ? On peut donc interpréter cet acte solennel de la Faculté dans quelques-unes de ses censures, comme une nouvelle manifestation de la pensée du grand nombre contre le gallicanisme de Richer. Un docteur de Sorbonne se proposait même de publier un livre pour montrer les rapprochements entre les erreurs de Richer et celles de de Dominis ; mais le nonce Bentivoglio l’en dissuada, dans la crainte de pousser au désespoir un prêtre et un docteur. Lettre du 17 janvier 1618, dans Puyol, 1. 11, p. 1 54

En 1620, « un Irlandais ayant soutenu publiquement dans ses thèses Vui/aillibililé du Pape, le docteur Hennequin, richérisle, se plaignit au syndic qu’il eût permis d’imprimer et de soutenir une semblable thèse ; mais le syndic riposta qu’il l’avait approuvée et l’approuverait encore en toute autre occasion. Dans l’assemblée de Sorbonne qui suivit, le syndic Besse se plaignit des richéristes…, lit apporter les registres de la Faculté et lire solennellement deux anciens décrets faits à des époques différentes, conformes de tous points à la thèse récemment soutenue sur l’infaillibilité du Pape… Ces décrets furent approuvés de tous, sans aucune opposition… On a connu en cette occasion la grande faiblessedes richéristes. Si on en fût venu aux votes, pour un mauvais, il 3' en aurait eu dix bons. » Lettres de Rentivoglio du 28 mai et du 3 juin 16ao ; ibid.. p.155-158.

3" Quels sont les résultats de l’initiative de Ricber ? — De son temps, il n’a pu retourner toute la Sorbonne vers les idées gallicanes : mais il est arrivé à en détruire l’union el à la diviser en deux camps. Il n’a pu gagner tout le clergé de France : mais il a rendu au gallicanisme en décadence un commencement de vogue dans les milieux ecclésiastiques.

Vers un avenir plus éloigné, l’influence de Richer a eu un double prolongement :

a) En se faisant l'éditeur et l’apologiste de Gerson, en invoquant à tout propos « l’ancienne tradition » gallicane — combien peu ancienne à vrai dire et combien rapidement déchue, nous l’avons vu —, Richer a travaillé sans le savoir pour un gallicanisme plus modéré que le sien, et qui en 1682 réussira à s'établir en France.

b) Par le caractère outrancier de son gallicanisme personnel, il a préparé les voies aux révoltes et aux essais de schisme qui apparaîtront de loin en loin après lui dans l’histoire, surtout chez lesjansénistes qui ne tardèrent pas à se rallier au richérisme.Ainsi en 1717, quatre évêques jansénistes appellent de la bulle Unigenitus au futur concile, avec adhésion de la Sorbonne, du Parlement et de plusieurs prêtres et laïques : les « appelants » tendent à provoquer un schisme national ; voir Jansénisme, col. Il 7g et Gallicanisme, col. 230. C’est lamême racede jansénistes révoltés et d’ultra-gallicans qui, au commencement de la Révolution, élabore la Constitution civile du clergé et introduit le schisme en France, voir Jansénisme, col. 1184. On comprendra mieux l’influence de Richer en ces occasions, si l’on prend garde à deux points secon<lairesde son système, secondaires parce qu’ilss’y font moins remarquer, mais importants par leurs conséquences. Il laisse une porte ouverte sut 1451

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le presbytérianisme entendu dans le sens du gouvernement de l’Eglise par les simples prêtres, et une autre sur le mulliludinisme ou gouvernement de l’Eglise par les laïques. Mais la preuve de ces deux points nous ferait sortir de notre sujet.

B. — La Déclaration de 1682

Nous examinerons « "par manière do préliminaires, la marche du gallicanisme et la défense de l’infaillibilité pontificale en France, à partir de la réaction contre Kiclier, que nous avons décrite, jusque dans les débuts du gouvernement personnel de Louis XIV (1661) ; 2" les événements de iG63, préludes de celui de 168-2 ; 3 » la fameuse déclaration elle-même, en ce qui concerne l’infaillibilité du Pape ; 4 » ses suites jusqu'à la lin du règne de Louis XIV.

I" La. marche du gallicanisme et la défense de V infaillibilité pontificale jusque dans lesdébuts du gouvernement personnel de Louis XIV.

Nous n’avons pas à exposer ici le grand développement du gallicanisme politique dans la France du xvii* siècle (y compris le clergé), sous l’influence du parlement, de Richelieu et d’autres causes. Sur ce terrain-là, Richer a vu le triomphe de ses idées. Nous voudrions seulement noter un point très important : c’est que legallicanisme politique alors prédominant n’entraînait pas nécessairement le règne de l’autre gallicanisme, le seul qui nous intéresse dans cet article. Ces systèmes, voisins par le nom, portent sur des objets différenls el ne forment pas un seul bloc, comme on se l’imagine trop souvent de nos jours. On peut soutenir l’un sans faire profession de l’autre, attaquer l’un sans vouloir se prononcer sur l’autre : et nous en avons plusieurs exemples à l'époque dont nous parlons.

Premier exemple. Saint François de Sales soutenait l’infaillibilité du Pape, nous l’avons vu. Mais il s’abstenait de soutenir le pouvoir, même indirect, du Pape sur le temporel des rois, pour les déposer, etc. Un magistrat de Bourgogne, son ami, avait publié en 16n un traité Delà puissance légitime des juges séculiers sur les personnes ecclésiastiques. François y blàræ délicatement et sans descendre au détail » tout plein de choses qui lui semblent devoir être extrêmement adoucies » ; mais le sujet même, cette controverse entre catholiques sur les rapports des deux pouvoirs, lui déplaît comme dangereux au temps présent. » Aussi, dit-il, je n’ai pas même trouvé à mon goût certains écrits d’un saint et très excellent prélat (Bellarmin), èsquels il a touché du pouvoir indirect du Pape sur les Princes. » Œuires,. necy, 1908, t. XV, p. g5. Consulté par une femme de magistrat

« sur l’autorité que le Pape a sur le temporel des

royaumes ", il lui montre que cette controverse entre catholiques est dangereuse et inopportune. Ilnelui donne que l’aflirmation générale a de la souveraine autorité spirituelle du Pape sur tous les chrétiens, même princes » et celle de l’obligation mutuelle du Pape et des rois, l’un devant donner le spirituel même au péril de sa vie, les autres l’aider de leur temporel, ibid., p. 191 et suiv. Enfin dans une lettre en italien à un archevêque (1612), pour être mise à l’occasion sous les yeux du Pape, il constate qu’en France « la discussion touchant l’aulorilé du SaintPère surles roiss'étend de plus en plus… La majeure partie des Parlements et des hommes d’Etat, même catholiques, penchent vers l’opinion la moins favorable, ou pour mieux dire la plus contraire à l’autorité papale, l’estimant plus convenable et plus utile à l’autorité royale ». Il voit venir « une lamentable division du royaume » ; quand le roi en prendra | bientôt le gouvernement, « il sera facile au parti hos tile à l’autorité du Saint-Siège de tourner ce prince du côté où il verra quelque apparence d’agrandir ses droits ». Remarquable prophétie de ce qui devait se passer sous Richelieu, el surtout sous Louis XIV. Il conclut « qu’il est expédient pour le moment, d'étouffer ces discussions dans le silence » — même les meilleurs théologiens doivent se taire là-dessus. Ibid., p. 183 et suiv.

Second ejeni^/e. Le docteur Du val et ses partisans à la Sorbonne soutenaient, nous l’avons vu, l’infaillibilité pontificale comme certaine, sinonde foi. Mais en même temps, et sans manquer à la logique où ils étaient passés maîtres, ils évitaient constamment de se prononcer surles questionsdélicates des rapports du Pape avec les rois et les Etats. Ils ne voulaient pas soutenir la thèse du pouvoir indirect, défendue par Bellaimin et jadis prédominante en France au temps de la Ligue, thèse qui n'était pas logiquement liée avec celle de l’infaillibilité pontificale et qui n’avait pasia même certitude. Toutefois, sans la soutenir, et en la regardant comme inopportune et par là même dangereuse, ils ne voulaient pas qu’on traitât d’erreur dogmatique une thèse, qui, hors de France, avait de si nombreux partisans. Aussi blàmèrent-ils la Sorbonne, quand elle fut amenée malgré eux à censtirer comme « erronée et contraire à la parole de Dieu » cette thèse de Bellarmin telle qu’elle était exposée par Santarelli, autre jésuite, dans un livre publié à Rome avec l’approbation du Cardinal-vicaiie et du Maître du Sacré Palais.

Troisième exemple. Richelieu soutenait le gallicanisme politique, soit raison d’Etat, soit conviction personnelle. Mais quand, pour apaiser le mécontentement du Pape, il exigea en 1C27 que la Sorbonne, dont il était proviseur, retirât cette censure de l’ouvrage de Santarelli, et que le parlement ne s’en mêlât plus, le puissant ministre, tout en traitant de

« méchantes et abominables » les doctrines de Santarelli, ajouta qu’il était » non seulement juste, mais

nécessaire d’empêcher le cours d’un si pernicieux livre…, mais par la voie de l’Eglise, en le faisant condamner par une censure authentique, seule capable de calmer beaucoup d’esprits… Vous savez. Messieurs, qu’il y a beaucoup d’esprits mélancoliques, à qui il importe grandement d'ôter tout sujet de penser que le Roi soit mal avec Sa Sainteté, principalement pour un point de doctrine, dont la décision appartient à l’Eglise. » D’Argentré, Collectio, t. 11, 2" partie, p. 255 ; cf. Puyol, t. H, p. 3^3. Ainsi, d’après lui, c’est au Pape qu’il faut s’adresser pour avoir la censure authentique d’un livre, la décision d’un point de doctrine. Bien plus, en 1629. Richelieu composa lui-même une déclaration qu’il fit signer par Richer devant témoins et dans laquelle ce vieux sectaire déclarait se soumettre avec le livre susdit (le I.ibellus), ses propositions, leur interprétation et toute ma doctrine, au jugement de l’Eglise catholique et romaine et du Saint-Siège apostolique, que je reconnais pour la mère et la maîtresse de toutes les Eglises et pour le juge infaillible de la vérité ». D’Argentré, ibid., p.302 ; cf. Puyol, p. 352 sqq. Richelieu tenait donc pour l’infaillibilité pontificale, en même temps que pour le gallicanisme politique. Et la manière dont il réussit adroitement à pacifier la Sorbonne fut précisément de lui imposer à la fois, par une sorte de compromis, ces deux choses non contradictoires. Après la rétractation, du moins extérieure, de Richer, le cardinal ministre réunit dans sa maison les chefs des deux partis opposés, et après avoir obtenu ce qu’il voulait du parti richériste, il demanda à Duval et à ses principaux partisans s’ils entendaient que le Pape eût pouvoir sur le temporel : ils répondirent que non. De fait, ils n’avaient 1453

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jamais prolesse celle thèse ; et vainement les ricliéristes et les parlementaires avaient cherché à les mettre en contradiction avec eux-mêmes : s’ils admettaient l’infaillibilité romaine, leur disait-on, la logique les forçait d’admettre la doctrine enseignée à Rome Ju pouvoir des Papes sur le temporel des rois. Mais il n’y avait pas contradiction, quoi qu’en dise PuYOL (t. 11, p. 358 sq.), parce que cette doctrine u enseignée à Rome » n’avait et n’a jamais été vraiment définie, et qu’on n’admettait l’infaillibilité du Pape que dans ses définitions. Par la même raison, les jésuites ne reniaient pas l’infaillibilitc du Pape, quand, sous la menace du redoutable ministre, ils signèrent un désaveu du livre de Santarelli, ou quand ils renouvelèrent plus tard cette profession de gallicanisme politique ; ibid., p. 280, 30^.

Que Richelieu soit arrivé plus lard à cliercher, même sur la question des rapports spirituels du Pape avec les évoques, des formules du gallicanisme adouci dont il demandait la rédaction à Marca, cela ne prouve pas qu’il y ait une nécessité logique de passer d’un gallicanisme à un autre, mais seulement qu’il y a un danger pratique de le faire, sous l’influence de la volonté excitée par l’intérêt et la passion. Les passions ont, pour ainsi dire, une logique qui n’est pas celle de la raison ; en ce sens seulement, on pourrait pai’lerici de nécessité logique. Le gallicanisme ecclésiaslique est logiquementindépendantdu gallicanisme politique : voir Gallicanisme, col. 197, 198. A plus forte raison, si le gallicanisme ecclésiastique n’est considéré que dans la question particulière de l’infaillibilité pontificale, comme nous le considérons ici ; cf. ibid., exemple de Pierre Pithou, col. 195.

L’infaillibilité pontilicale continua donc, dans le courant du xvii" siècle, à être soutenue même par des docteurs de Sorbonne. Nous citerons deux de ces docteurs, Abelly et Bail, en deux ouvrages qui, de leur temps, et même après eux, eurent une véritable influence, plusieurs fois réimprimés en France el à l'étranger.

Abklly, dans son célèbre manuel intitulé Medulla iheoloffica (Paris, 1651, 1689, etc.), parle ainsi : « De cette doctrine de S. Bernard, commune dans toute l’Eglise, il s’ensuit 1" que toutes les fois qu’une controverse en matière de foi vientà se produire, toutes les fois que surgit une nouvelle doctrine, et qu’on doute si elle est contraire à la foi, le moyen très certain de discerner la vérité et de la séparer de toute erreur, c’est de recourir au Siège Apostolique, où la foi ne peut défaillir. Il s’ensuit a" quelorsqu’en matière de foi il a été défini quelque chose par le pontife romain parlant ej- cathedra, c’est-à-dire, non pas comme docteur privé, mais comme vicaire du Christ et chef de l’Eglise, en observant la forme d’un légilime jugement, soit qu’il s’agisse d’une proposition condamnée comme hérétique, ou d’une vérité définie avec obligation de la croire, alors tous les chrétiens sont tenus d’adhérer à son jugement et d’obéir à ses décrets, de condamner ce que le Siège Apostolique condamne, d’approuver ce qu’il approuve. » Medulla, part. I, traité I, ch. iv, sect. i, §4 ; 14' édit., Cologne, i’jo5, p. 50.

Bail, dans VApparatus qui précède son recueil abrégé ou « Somme » des conciles, publiés à Paris en 1659 el 1672, pose celle question : « Est-il vrai qu’en dehors des conciles généraux il n’y ait aucune définition certaine dans les choses de foi ? — C’est, répond-il, l’opinion de quelques-uns ; elle ouvre le champ libre aux auteurs de nouvelles hérésies, ou à ceux ipii remettent à neuf des erreurs condamnées, et leur permet d’en propager la contagion à travers les Eglises, dès lors que l’on n’admet plus de juge

constitué par Dieu pour les réprimer dans l’intervalle des conciles, et qu’ils pourront toujours opposer cette lin de non-recevoir : Personne ne peut rien définir de certain. Les premiers siècles de l’Eglise n’ont pas vu de concile général ; entre le 4' concile, œcuménique et le 5*, loa ans se sont écoulés ; entre le 5* et le 6 « , 129 ans ; entre leôoet le 7", 109 ans ; entre le ') et le 8=, 120 ans ; entre le 8" et le 1" de Latran, 223 ans ; et depuis le concile de Trente, voilà déjà plus de cent ans. Quelle ruine des âmes, si dans ces intervalles il est permis de penser que les décrets des Pontifes romains sont sujets à l’erreur, comme le disent les fauteurs des derniers troubles de l’Eglise (les jansénistes). Aussi est-il une meilleure opinion, c’est que le Christ a mieux pourvu que cela au bien de son Eglise et à la tranquillité des consciences, c’est que le souverain Pontife parlant ex cathedra des choses de foi ne peut ni se tromper ni nous tromper. » ^'nmnia co « c1710r » iii, Paris, 1672, 1. ! , p. 84. « Et l’on voudrait nous faire croire, dit-il plus loin, que le Pontife est assis sur la chaire de pestilence pour nous enseigner des choses fausses et pernicieuses s » r /es dogme » nécessaires au salut (nous mettons cette restriction aiin qu’on ne dise pas, pour jeter sur nous l’odieux, que nous le prétendons infaillible sur les affaires séculières du royaume). On voudrait nous faire admettre, d’une part, que l’Eglise est infaillible et ne peut recevoir aucun dogme erroné, ce que nous reconnaissons volontiers, — el d’autre part, que le Christ lui aurait assigné un Docteur qui lui enseignerait les pires erreurs. » Ibid., p. 85.

Quant aux évéques de France, ils reconnaissaient encore bien nombreux l’infaillibilité pontificale en 1651, à en juger par la lettre que 85 d’entre eux écrivent à Innocent X pour lui soumettre les cinq propositions extraites par eux du livre de Jansénius. La voici, d’après une traduction officielle :

« Très Saint Père, la foi de Pierre, qui ne défaut

jamais (nunqaani deficiens) désire (postulat) avec grande raison que cette coutume reçue et autorisée dans l’Eglise (solemnis Ecclesiæ mos est) soit conservée, qui veut que l’on rapporte les causes majeures au Saint Siège apostolique. Pour obéir à celle loi si équitable, nous avons estimé qu’il était nécessaire d'écrire à Votre Sainteté touchant une affaire de très grande importance qui regarde la religion. » Après un exposé de l’affaire : « Nous la supplions de vouloir examiner et donner son jugement clair et certain surchacunedes propositions qui s’ensuivent. Votre Sainteté a depuis peu reconnu par expérience combien a été puissante l’autorité du Siège apostolique pour abattre l’erreur du Double chef de l’Eglise (en 1647, voir D. B., n. 1091) ; la tempête a été incontinent apaisée, et la mer et les vents ont obéi à la voix et au commandement de Jésus-Christ. Ce qui a fait que nous vous supplions, T. S. P., de prononcer un jugement certain et assuré sur le sens de ces propositions, auquel qugement) M. Jansénius étant proche de sa mort a soumis son ouvrage, et par ce moyen, de dissiper toute sorte d’obscurité, rassurer lès esprits noltanls, empêcher les divisions et rétablir la tranquillité et l'éclat de l’Eglise. » Recueil des actes, titres et mémoires, concernant les affaires du clergé de France, Paris, T}68, t. I, col. 221 sqq.

On dit qu'à partir de 1652, dans les pièces où il rappelait contre les erreurs des jansénistes la condamnation pontificale, l'épiscopat français employa des formules tellement calculées par son secrétaire Marca, que la valeur infaillible de la condamnation ne parût pas venir du Pape seul, mais du Pape avec l’iidliésion de l'épiscopat catholique. C’est la remarque de PuYOL, qui reproche à dom Guéranger el à 1455

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d’autres défenseurs de rinfaillibilité, d’avoir utilisé ces pièces pour montrer que le clergé de France jusqu’en 1660 était de leur avis ; Edmond itidier, t. I, p. ^4 sq. Si la remarque est juste, du moins elle n’est pas applicable au document épiscupal que nous venons de citer, antérieur à 1652, où Marca ne tenait pas la plume, et où il n’y a pas traces de semblables formules.

En 1Û61, après la mort deMazarin et dans les débuts du gouvernement personnel de Louis XIV, le parlement, le parti ricliériste et les jansénistes menèrent grand bruit autour d’une lUèse soutenue par un jésuite au collège de Clermont à Paris. « Jésus-Christ, disait-il, a accordé à saint Pierre et à ses successeurs parlant ex cathedra la même infaillibilité qu’il avait lui-même. » Ce qui pouvaitêtre pris dans un bon et un mauvais sens. Ensuite la thèse semblait mettre sur la même ligne, comme également certaines de foi divine », l’infaillibilité que possède le Pape sur la

« question de droit » et celle (fort discutée alors)

qu’il a sur la a question de fait » — ; et cela sans distinguer explicitement entre un fait dogmatique et tout autre fait : confusion qui déplut à la Sorbonne, d’après d’Argbntré, t. III, 2' part., p. 302, 303. On en profita pour attaquer en général l’infaillibilité du Pape. Aussitôt Le Tellier, ministre d’Elat, demanda au nom du roi un examen de cette thèse de Clermont à l’archevêque Pibhhb de Marca, qui répondit par un Mémoire confidentiel resté manuscrit. La meilleure copie quenous en ayons, signéeelauthentiquée par le célèbre Baluze, alors secrétaire de Marca, se trouve à la Bibliothèque nationale (mss. fr. 17614), cf. Puyol, op. cit., t. ii, p. 4'|6. L’archevêque insiste sur la question principale, celle de l’infaillibilité du Pape prise en général, et veut renseigner exactement le jeune roi et son ministre sur la place que cette doctrine occupe dans le monde catholique au moment présent, pour que leur politique religieuse soit éclairée et prudente. Les renseignements qu’il donne sont d’autant plus précieux pour notre histoire, que, gallican lui-môme, et ayant écrit en faveur du gallicanisme un livre qui avait été mis à l’index, il n’est pas suspect de partialité en faveur des privilèges pontificaux. que d’autre part, on ne peut lui refuser de vastes connaissances, la curiosité de tout ce qui se disait dans le monde catholique à propos de rinfaillibilité ; enfin qu’il résumait dans ce dernier travail les recherches d’une vie déjà minée par la maladie et destinée à finir dans quelques mois.

Or ce témoignage d’une valeur exceptionnelle présente la doctrine infaillibiliste sous le nom de

« doctrine commune » et il ajoute : a Cette opinion

est la seule que l’on enseigne et l’on embrasse dans l’Italie, l’Espagne et autres provinces de la chrétienté. 1) Et ailleurs : « L’autorité de pouvoir être juge infaillible, parlant ex cathedra en matière de foi, est acquise au Pape par le consentement de toutes les Universités, excepté l’ancienne Sorbonne. Le pape aurait sujet de se plaindre que, lorsqu’il souffre et tolère l’opinion contraire qui est de peude personnes, on ne puisse avoir la considération de souf frir et tolérer l’opinion générale, qui appuie ouvertement ses droits. > (Mémoire, § xxi) « … La plus grande partie des docteurs, non seulement de théologie, mais encore de droit, suivent l’opinion commune et se moquent de celle de l’ancienne Sorbonne. » (§xxni) Observons qu’en théologie et en droit canonique l’opposition d’un petit nombre de docteurs n’empêche pas d’appeler une opinion « commune ». En France même, Marca reconnaît que la doctrine commune garde encore des défenseurs. Même à présent, dit-il, on enseigne cette doctrine dans la Sorbonne ; car le même jour, la' de décembre, lors qu’on disputait au collège de Clermont sur les thèses précédentes, on soutenait en Sorbonne la même thèse en substance, qui est conçue aux termes suivants : Romanus Pontifex conlro^'ersiarum ecclesiasticarum est constitutus judex a Cliristo, qui ejiis definitionibus indeficientem fîdem promisit, etc.

— D’ailleurs, ajoute-t-il, il n’y a là aucun danger pour l’Etat : « Les craintes que l’on veut donner de la doctrine commune sont sans fondement, et n’ont d’autre dessein pour le présent, comme il a paru par les livres écrits et imprimés par les jansénistes, que d'émouvoir l’autorilé séculière sans cause afin de former un grand schisme dans toute l’Eglise. » Enfin, dil-il, « pour conclusion de l’examen de cette thèse on soutient qu’il n’y a rien qui mérite censure, et de plus il importe au service du Roi et à la paix publique de l’Eglise et du royaume, qu’on ne traite point de cette matière en Sorbonne ou ailleurs, d’autant que ce serait faire une injure très sensible au Pape et introduire un schisme, en censurant une doctrine qui regarde la foi, laquelle on tient, pour le moins, probable. »

En face de cette « doctrine commune qui est reçue dans les écoles », il présente « celle qu’on appelle ailleurs (qu’en France) la doctrine des Parisiens, à savoir celle deŒrson, AUiacensis, Almayn, Major et autres ; … celle qui enseigne que, sans les consentements (du corps épiscopal) précédents, conjoints ou postérieurs, les décisions du Pape seul n’obligent point les fidèles à les recevoir comme articles de foi divine. Néanmoins ils ajoutent une maxime constante, qu’en ce cas même, les décrets obligent tous les fidèles à y obéir avec un respect extérieur, en s’abstenanl de parler, écrire ou dogmatiser au contraire, jusqu'à ce que la matière ait été entièreuient éclaircie en un concile général ou parle consentement et acceptation de l’Eglise… Tout ce que l’on a pu obtenir de l'équité des Romains et de l’universalité des docteurs qui les suivent, est de ne point condamner cette opinion comme hérétique ni schismatique, se contentant de la nommer opinion tolérée, comme font Navarrus, Bellarmin, Suarez et autres écrivains du parti contraire. « (Mémoire, §xxv)

— Malgré tout, Marca préfère comme plus probable à son avis et cherche à étayer l’opinion « des Parisiens », tout en avouant que la doctrine commune

« a des fondements assez dilUciles à résoudre ».

C'était l’homme des compromis et des tolérances mutuelles.

Ce mémoire manuscrit de Marca n’a point échappé aux théologiens qui défendirent plus tard la doctrine commune de l’infaillibilité contre la Déclaralion de 1682, comme Thyusb Gonzalkz, De infallibilitate Rom. Pont., Rome, 1689, pp. 388 sqq., 577 sqq ; le cardinal Sfondbate, Gallia vindicata, 170a, p. 786 ; Soardi, De suprema Rom. P. auctoritate, Avignon, 1747, t. I, p. 2a 1. — Il atteignit momentanément son but ; car Le Tellier d’abord, puis le conseil de conscience du roi, adoptèrent l’attitude tolérante conseillée par Marca, qui fut alors élevé de l’archevêché de Toulouse à celui de Paris. Défense fut faite au parlement et à la Sorbonne de s’occuper d’une censure de la thèse de Clermont ; cf. PuYOL, ibid., p. 494. C’est peu après (mars 166a) que Louis XIV, à propos d’un décret d’Alexandre VII favorable à la canonisation de saint François de Sales, écrivait à l'évêque du Puy une lettre, découverte par Gérin dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale, où il parlait dans le sens le plus romain de « l’infaillibilité » du Pape ; Giinm, Recherches histor. sur l’assemblée de 1682, a" édit., Paris, 1870, p. aa.

3' Les événements de 1663, préludes de ceux 1457

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de 1682. — Ces événements sont racontés, d’après les manuscrits <lu temps et les registres du parlement et de la Sorbonne, par le P. Gazkau, Etudes, juin 1869, p. 8^5. Louis.YiV, Bossuet et ta Surhonne en 1663 ; article admiré et utilisé par Gbhin dans sa 2’édit. ; cl’, p. ai. Nous insisterons sur cette période, parce que souvent elle n’est pas assez exactement présentée.

a) Les circonstances. — En août 1662, à Rome, une querelle fortuite entre des domestiques de l’ambassade de France et des Corses de la garde pontilicale, nialheureui incident grossi et envenimé par l’ambassadeur, qui partit de Rome avec éclat elvint en hâte préoccuper l’esprit de son maître, avait exaspéré Louis XIV contre Alexandre "VU, l’avait porté à chasser le nonce, à confisquer Avignon, à préparer une invasion des Etats romains ; voir Gérin, op. cit., p. 3 sqq. Ces violences dans l’ordre purement politique eurent vite un retentissement dans l’ordre spirituel lui-même. Ce qui diminue la responsabilité du roi, alors âgé de 24 ans, dans les fautes commises, ce sont des influences qu’il faut énumérerici, vule rôle néfastequ’elles joneronldans toute la suite des événements : l’inlluence des jansénistes, celle des ministres du roi, celle du parlement.

La secte janséniste en voulait surtout à Rome, et en particulier au Pape régnant Alexandre VII, pour avoir déliiii en octobre 1656 que les cinq propositions antérieurement condamnées étaient bien dans le livre de Jansénius (I>.-B., 1098). Elle en voulait à la Sorbonne qui, la même année, avait censuré et rayé de la liste de ses docteurs le chef de la secte, Aniauld (cf. d’Argenthk, t. UI, i' part., p. 08, 6y), et en 1661 avait approuvé et imposé à tous ses membres la signature d’un nouveau formulaire de foi, rédigé par l’assemblée du clergé de France, et envoyé à la Sorbonne par le roi, où l’on protestait de.sa soumission sincère aux bulles d’Innocent X et d Alexandre VU (17 ; /(/., p. 87). Elle en voulait aussi, sans aucun doute, à Louis XIV, qui, par une déclaration, avait imposé ce formulaire à tous les ecclésiastiques du royaume, et forcé le parlement à enregistrer cette déclaration ainsi que la bulle du Pape, et en pressait l’exécution. Mais voici que le roi, en tournant ses armes contre Rome en 1662, semblaitmellre les jansénistes à l’abri de nouveaux coups, et même leur promettre une revanche : aussi se rapprochèrent-ils de lui pour l’aigrir de plus en plus contre le Saint-Siège. Us avaient su garder une grande influence en plusieurs provinces, et surtout à Paris, et ils excellaient à faire valoir contre Rome les idées gallicanes ou même richéristes qu’ils avaient adoptées.

Les principaux ministres du roi. Le Tellier, Colbert et Lionne, avaient étéles créatures de Mazarin, hostile lui-même à Alexandre VU, et restaient ses imitateurs De plus, chacun d’eux avait un janséniste pour conseiller ; cf. Etudes, I. c, p. 884.

Us garderont le même esprit les années suivantes, d’après la correspondance du i^nce Barokllini. Le conseil de conscience avait été supprimé… Pour régler les alTaires religieuses, Louis XIV consultait Michel Le Tellier, Colbert et Lionne. Selon Bargellini. .., les ordonnances contre les religieux, celles sur l’abrogation de certaines fêtes, les manigances en vue de priver les religieux du droit de voteen Sorbonne, les intrigues pour pousser, par l’octroi dépensions et debénélices, les docteurs de Sorbonne à défendre des propositions contraires à l’infaillibilité pontificale, tous ces méfaits étaient l’œuvre du conseil d’Etat, composé du roi et de ses trois ministres. La politique (de ceux-ci) est nettement gallicane, plus gallicane même que celle de Louis XIV à

cetle époque. » Cauchib, lief. d’Itist. ecclés., Louvain, 1902, t. 111, pp. 982-984. Sur le gallicanisme personnel de Louis XIV, voir Gallicanismci, col. 239-262.

Enfin le parlement, réduit par la royauté à ses fonctions judiciaires depuis les troubles de la Fronde, était prêt à s’en venger sur l’Eglise qu’il haïssait, et à sortir de son rôle pour trancher les questions religieuses elles-mêmes au profit de la couronne. Cette classe de légistes fut toujours en France, suivant l’expression de Guizot, « un terrible et funeste instrument de tyrannie ». Et cela sous couleur de liberté. Comme le clergé français, pendant le grand schisme, s’était appuyé quelquefois sur l’autorité royale pour maintenir ses anciens usages contre les prétentions de papes douteux et contestés, ces usages commencèrent ainsi à s’appeler <i les libertés de l’Eglise gallicane ». Les légistes s’emi)arèrent du terme et l’élondirent à t(mtes les usurpations qu’au nom de la royauté ils commettaienlsur les droiisdu Pape ou du clergé français. GériiN, op. oit, p. 16, 17. Uc là ce mot de Bossubt, à proi)os d’un sermon où il avait parlé des libertés de l’Eglise gallicane : « Je me proposai… de les expliquer de la manière que les entendent les ét’êques, et non pas de la manière que les entendent tes magistrats. » Lettre au curd. d’EsIrées, décembre 1681. De là ces deux interprétations diverses du gallicanisme ecclésiastique, que souvent l’on appelle, l’une gallicanisme épiscopal ou des évêques, l’autre gallicanisme parlementaire ou des magistrats ; voir Gallicanisme, col. 198, sqq ; cf. col. 251.De là enfin co caractère « anticlérical et la’icisateur » du parlement, dont parle Lavisse (Hisl. de France, Paris, 1907, t. VU, 21= part., p. 16). — De plus, en 1663, plusieurs membres du parlement de Paris étaient dévoués au jansénisme, surtout ses avocats généraux Jérôme Bigno ; * et Denis Talon, celui-ci gallican si fougueux, que plus d’une fois ses harangues, allant jusqu’à l’hérésie, avaient été censurées à Rome et à Paris.

b) /.es tltèses. — Si l’on ne tenait compte de toutes ces circonstances, on ne pourrait s’expliquer l’orage que déchaîna en janvier 1663 la thèse bien inoffensive allichée par un bachelier de Sorbonne, Drouet de Villeneuve. On sait que des gallicans extrémistes, surtout à Constance (voir Gallicanisme, col. 608), pour mieux remplacer le magistère infaillible du Pape par celui du Concile, présentèrent ce dernier comme absolument nécessaire pour trancher les controverses de foi et écarter ainsi les hérésies, et qu’en conséquence ils décrétèrent la singulière utopie d’un concile général à réunir tous les dix ans. Contre ces énormités et avec le sentiment commun des théologiens indépendants de toute attache janséniste, la thèse de Sorbonne disait : Concilia f ; eneralia ad extirpandas liæreses, scliismata, et alia toltenda incommoda, admodum sunt utiiia, non tamen absolute necessaria. Ce fut la proposition la plus incriminée par le parlement, avec deux autres plus facilement défendables encore. Le procureur général se précipite au Louvre, et Louis XIV lui ayant demandé ce qui l’amène : « G est pour savoir de Votre Majesté si elle veut que le Pape ait le pouvoir de vous ôter la couronne de dessus la tête, quand il lui plaira. » El il lui montre la bulle de Boniface VIII contre Philippe le Bel, bien étrangère à la question, puisque le parlement n’avait pu relever dans la thèse aucune proposition sur les rapl )orts du Pape et de la suprême autorité teuiporelle du roi, aucune attaque contre le gallicanisme politique. Mais l’impression était faite et la permission d’agir contre la Sorbonne, obtenue. Etudes, Lc, p. 885, 836 ; GKaiN, p. 20.

Mandé par huissier devant le parlement « pour 1459

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rendre raison de ladite thèse », le syndic de Sorbonne, Martin Gbandin, Ihëologien d’un renom bien mérité (comme on peut le constater eu lisant ses Opéra tlieologica, Paris, 1710), n’eut pas de peine à justilier les trois propositions incriminées, que des gallicans modérés eussent pu admettre euxmêmes. Mais l’avocat général, Talon, s'écrie que ces propositions < sont fausses, téméraires et scandaleuses, en quelque sens qu’on les prenne » ! Parcourant toute l’iiisloire ecclésiastique depuis le temps des apôtres, il conclut enfin son réquisitoire en demandant pour le syndic et le bachelier un châtiment exemplaire, en leur attribuant des blasphèmes, et en rappelant aux légistes qu’ils ont pris sous leur protection les canons et les conciles. Là-dessus le parlement rend le célèbre arrêt du 22 janvier 1663, où non seulement il interdit de soutenir la thèse, mais encore « fait inhibitions et défenses à tous bacheliers, licenciés et docteurs et autres personnes, d'écrire, soutenir et disputer, lire et enseigner, directement ni indirectement, es écoles publiques ni ailleurs, aucunes semblables propositions ni autres contraires à l’ancienne doctrine de l’Eglise, aux saints canons, aux décrets des conciles généraux et aux libertés de l’Eglise gallicane et anciens décrets de la Faculté de Théologie de Paris, à peine d'être procédé contre eux ainsi qu’il appartiendra… Et sera le présent arrêt enregistré es registre de ladite Faculté, etc. » d’Akgentbk, t. III, ve part., p. 89 ; cf. Etudes, l.c, pp. 886-889. Ce n’est pas sans une vive opposition, au sein même du parlement, qu’un tel factum fut voté, tant l’usurpation était révoltante.

Après de longues délibérations, la Faculté décida d’envoyer une députation au parlement K pour lui demander respectueusement qu’il daigne s’expliquer, et dire que sa pensée n’a pas été de s’attribuer un jugement doctrinal en matière de foi et de dogmes de l’Eglise, ni de violer les droits de la Faculté, ni d’insinuer qu’un concile général soit absolument nécessaire pour extirper un schisme ou une hérésie quelconque, par exemple l’hérésie pélagienne ou l’hérésie janséniste, dont la condamnation n’exige j)as un Concile général, lequel ne peut être dit absolument nécessaire que dans certains cas seulement ; que si l’on n’arrive pas à conclure ainsi l’affaire avec le parlement, il faudra faire prier le Roi très chrétien par l’illustrissime archevêque d’Auch de sauvegarder à la Faculté le droit qu’elle a et qu’elle eut toujours de proférer son jugement doctrinal sur les choses qui regardent la foi. » d’ArgenTBK, 1. c, p. 87, 88.

Les députés de la Sorbonne furent d’abord reçus par le premier président de Lamoignon. Il leur déclara « qu’il ne fallait pas poser des questions au parlement, si la Faculté ne voulait éprouver sa sévérité ; que d’ailleurs, loin de vouloir s’ingérer dans un jugement doctrinal en matière théologique, le parlement, s’il s'élevait un doute sur la foi, saurait consulter et entendrait d’abord la Faculté, dont il voulait sauvegarder les droits ». Les députés intimidés n’entrèrent à la séance du parlement qu’avec une formule écrite qu’ils avaient fait censurer d’avance par le premier président et les trois ministres du roi, et qu’ils lurent en public : à quoi Lamoignon répondit avec hauteur « que tout sujet du roi devait obéir aux arrêts du parlement ; que s’ils avaient encore besoin qu’on leur expliquât pourquoi avait été interdite la proposition sur les conciles généraux, ce n'était pas dans l’intention d’obliger personne à soutenir qu’une hérésie ne peut jamais être condamnée sans la convocation d’un concile général, puisqu’on sait bien que mainte hérésie a été

condamnée ou même complètement détruite sans concile général. Seulement la coiu" n’a pu souffrir une proposition vague et indéDnie, d’où quelqu’un pourrait conclure que les conciles généraux ne sont nécessaire en aucun cas. Le parlement, ajouta-t-il, a interposé l’autorité du roi pour prohiber, par manière de police, des propositions qui, si l’on venait à les étendre ainsi, contrarieraient l’administration extérieure ou police de l’Eglise, partie principale de la police générale du royaume. » Tel fut le rapport fait par les députés à la nouvelle assemblée extraordinaire de la Sorbonne qui s'était réunie le 15 février pour les entendre. d’Aroentrk, p. 88.

La sommation injurieuse du premier président qui, sous le vain prétexte de « police », avait exigé des théologiens de la Faculté une obéissance passive et immédiate en matière de doctrine, avec l’enregistrement d’un arrêt qui consacrait pour l’avenir l’usurpation, provoqua dans la grande majorité de la Sorbonne une vraie tempête de récriminations. Un des plus jeunes docteurs, Bossuet, alors âgé de 36 ans et déjà grand archidiacre de Metz et prédicateur du roi, se montra l’un des plus ardents, malgré le penchant qu’il professait depuis longtemps vers un gallicanisme d’ailleurs modéré (voir GalliCANis.ME.col. 238). Mais le gallicanisme modéré n’avait rien à faire avec l’incompétence du parlement et ses attentats contre la dignité de la Sorbonne, Gérin, Hecherclies, p. 26, 28, 338 ; Etudes, l. c, p. 896.

Toutefois deux curés de Paris, vétérans de la Sorbonne mais jansénistes fameux, prirent habilement la tête de la minorité de l’assemblée. Ajipuyés par l’influence redoutable des ministres du roi, ils montraient les dangers de la résistance, exagéraient les concessions qu’avait faites le premier président : n’avait-il pas reconnu les droits de la Faculté? (Ju’avait-il réclamé pour le parlement dans l’Eglise, sinon un droit de police extérieure ? N’j' avait-il i>as moyen de s’entendre ? Les moins courageux parmi les défenseurs de la Sorbonne saisirent avidement le compromis qu’on leur offrait, ainsi qu’il arrive dans les assemblées délibérantes. Le syndic Grandin, homme de science, mais non de caractère, ne sut pas être l'àme de la résistance. Il fut enfin décidé, à une faible majorité, que l’on enregistrerait l’arrêt de la cour, à la condition d’y ajouter le rapport des députés et les explications de Lamoignon. Eludes, pp. 897, 898.

Le parlement sut exploiter son triomphe. Son arrêt à peine enregistré, il attaquait déjà une thèse du collège des Bernardins, tout aussi inofl’ensive que la précédente. Quels sont ceux qui rentrent sous la dénomination canonique de proprius sacerdos (D. B., n. 437)? La thèse répondait : « C’est le Pape dans toute l’Eglise, l'évêque dans son diocèse, le curé dans sa paroisse. « Gela revenait à dire, comme le lit observer Grandin, que si le Pape se trouvait à Paris, on pourrait se confessera lui, aussi bien qu'à son curé, pour satisfaire au précepte de la confession annuelle : ce n'éffiit pas là un grand privilège, ni une nouveauté. Il est vrai que la proposition du bernardin ajoutait cette phrase incidente : « Le Pape, qui a la plénitude de juridiction dans toute l’Eglise, tant au for intérieur qu’au for extérieur… » Mais Gerson n’a-t-il pas dit lui-même : » Le pouvoir ecclésiastique en sa plénitude réside dans le seul Pontife romain. » Voir col. 1446. Malgré tout, Lamoignon gronda le syndic comme un écolier. Talon cria à l’erreur, à la destruction de toute la hiérarchie ecclésiastiqueet de toutes les libertés de l’Eglisegallicane. Sur quoi, un nouvel arrêt du parlement déclara Grandin suspendu de son syndicat pendant six mois, avec d’autres peines pour le président de la thèse et le 146 i

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réponJant, Etudes, pp. Sgg-goS ; cf. Gérin, op. cil., p. 30.

c) La déclaration de Î663. — Ce n'était là que la préparation d’une vaste intrig : ue, ourdie par t.e Tellier, ou par son conseiller janséniste le docteur Coequelin, pour domestiquer la Sorboiine et plaire à Louis XIV. Ils entreprennent le malheureux Grandin, abattu et désolé de la suspension de son syndicat, et le menacent de plus grands maux encore, s’il n’apaise le monarque irrité contre lui. On lui laisse entrevoir un moyen de tout sauver, y compris le syndicat : c’est de faire voter par la Sorbonne une déclaration de gallicanisme, tant politique qu’ecclésiastique, qu’elle irait offrir au roi. Grandin rédigerait pour cela un projet de déclaration, et le leur apporterait ; et en compagnie du nouvel archevêque de Paris, Hardouin de Pérélixe, on le discuterait avec lui. Il eut la faiblesse d’accepter. Dans la rédaction qu’il leur soumit, il avait cherché à sauvegarder le plus possible sa conscience et la vérité ; les trois courtisans, que de pareils soucis ne gênaient guère, marchandant longtemps avec lui, lui itiiposérent quelques additions ou corrections, riant ensuite du piège où ils l’avaient fait tomber. Heureusement, ils discernaient moins que lui la portée des formules employées. Voir Etudes, 1. c, pp. go^-goô.

En conséquence, le 2 mai, dans l’assemblée de Sorbonne, Grandin exposa que malheureusement, à l’occasion de deux thèses récentes, on avait jeté des soupçons dans l’esprit du roi sur l’enseignement de la Faculté de théologie, à laquelle on prétait telle et telle doctrine qu elle n’avaitjamais enseignée ; sur quoi il énuméra toutes les doctrines ultramontaines que visait son projet secret de déclaration. d’ArgbnTHii, 1. c, p. 8g, go. Il fallait dissiper ces soupçons par une déclaration faite au roi, ajouta-t-il. Malgré le silence des registres ofliciels, plusieurs docteurs, nous le savons par des témoignages contemporains, réclamèrent qu’on délibérât sur la question en pleine assemblée, comme il était d’usage pour toutes les mesures prises au nom de l.i Faculté ; l’afTalre élait d’ailleurs des plus graves, et son développement inattendu dépassait de beaucoup l’olijet des deux thèses condamnées, qui n’avaient servi que d’occasion et de prétexte. Mais la crainte et la politique l’emportèrent ; comment délibérer en liberté sur de telles questions, après les arrêts formidables du parlement, et en présence de l’archevêque de Paris, proviseur de Sorbonne et représentant ofliciel de l’autorité souveraine ? L’assemblée se borna linalement à choisir onze commissaires, parmi lesquels Grandin, Coequelin et les deux curés jansénistes, pour s’entendre entre eux sur la déclaration à faire au roi ; elle pria l’arclievèque de voir Sa Majesté et de lui demander de vouloir bien conserver à la Faculté ses droits, et rétablir ceux qui avaient été suspendus de l’exercice de leurs fonctions. Etudes, pp. 907, go8. Cf. d'.rgentré, iiiW. Le lendemain, guidés par l’archevêque, les commissaires vont faire hommage à Louis XIV du document signé par eux ; il l’accueille avec plaisir, en daignant se déclarer persuadé que la Faculté ne lui fait pas d’opposiliiui, et qu’elle n’enseigne aucune doctrine contraire aux droits du royaume ; ajoutant qu’il lui en donnera bientôt des marques publiques. L’archevêque, avec des politesses, vient rendre compte en Sorbonne de cette démarche qu’il a faite auprès du roi, et les docteurs couvrent le tout d’une approbation vague et d’un remerciement banal. Bientôt le parlement fait un arrêt pour l’enregistrement de la déclaration, et le roi ordonne que les six articles dont elle est composée soient publiés et enregistrés dans tous les parlements et universités du royaume, avec défense de

lire, dire ou « nseigner rien qui y soit contraire. d’Argentré, p. g2, g3. Le tour était joué. Le texte latin des six articles se trouve chez d’Argentré, p. 90, fltudes, p. gog.

Quel est le sens de ces articles de 1663? Les trois premiers roulent sur les rapports du Pape et du temporel du roi. Cette question, à laquelle on faisait ainsi une si large place, était pourtant étrangère aux thèses condamnées. Mais c'était la plus importante pour le roi. C'était aussi celle où Grandin pouvait faire plus facilement des concessions de principes, puisque la Sorbonne vivait depuis longtemps (même du temps de Duval) en bonne intelligence avec le gallicanisme politique de Richelieu et de Louis XIV ; voir col. 1^52. Ces trois articles ne craignent donc [>as d’allirmer " que la Faculté s’est toujours opposée à ceux qui attribuaient au Pape une autorité quelconque, même indirecte, sur le temporel du roi ; — que la Faculté ne reconnaît au-dessus du Roi aucun supérieur dans les choses temporelles, si ce n’est Dieu, et que c’est son ancienne doctrine, dont elle ne s'écartera jamais ; — que nul prétexte ne peut dispenser les sujets du Roi très chrétien de la lidélité et de l’obéissance qu’ils lui doivent ». Du point de vue historique, Launov a relevé des inexactitudes dans ces assertions de fait : a La Faculté s’est /ok/ohjs opposée », etc., « c’est son a nc(>fi ne doctrine », etc^ (Opéra omnia, Genève, 173ï, t. IV, part. : i, p. ! 26 sqq.)

Aux termes du quatricme article, « la Faculté n’approuve pas et n’a jamais approuvé aucune proposition contraire aux véritables libertés de l’Eglise gallicane ». Ce mot « véritables » est une restriction, et laisse entendre que r(m colporle de fausses libertés que la Sorbonne n’admet point : c’est, au fond, la parole de Bossuet, soutenant les libertés de l’Eglise gallicane « de la manière que les entendent les évéques, et non pas de la manière que les entendent les magistrats » du parlement. Col. 14.58.

Les deux derniers articles concernent les différences fondamentales entre le gallicanisme ecclésiastique et les doctrinesromaines ; c'était en réalité l’endroit délicat de la déclaration. Ils sont très remarquables par leur forme négative ; ils n'énoncent aucun principe, mais ils se contentent de nier un fait :

« Ce n’est pas la doctrine de la Faculté que le Pape

soit au-dessus du Concile général. Ce n’est pas la doctrine ou le dogme de la Faculté que le Pape soit infaillible si nul consentement de l’Eglise ne vient s’ajouter » (à ses délinitions). —Est-il vrai que ces doctrines fussent étrangères à la Faculté? Pour ne parler que de l’infaillibilité du Pape, seule question qui nous intéresse directement, elle avait souvent ligure dans les thèses de la Sorbonne (et même récemment) sans cette clause d’un « consentement de l’Eglise » et c’est ainsi que d’illustres professeurs de la Sorbonne, comme Duval, l’avaient enseignée. Mais ils n’avaient pas prétendu en faire un « dogme », c’est-à-dire une vérilérfe/o/ ; etpuis. c'étaient des individus agissant pour leur propre compte, et « la F^iculté », le corps, n’avaitjamais fait, ç ; enneIeurdoetrine : ainsi l’on avait tort d’en faire « une doctrine d : - la Faculté « — comme était par exemple l’Immaculée Conception, qui sans être un « dogme » était pourtant « une doctrine de la Sorbonne ». Grandin, par sa rédaction, avait donc, sur ce point important, sauvé la vérité et réservé les droits de chacun : et c’est de la sorte qu’il s’explique lui-même dans un Mémoire qui démontre que l’infaillihilité du pape n’est pas de for- L’abbé Fkrbt, qui cite ce manuscrit et l’explication donnée par Grandin, n’aurait donc pas dû écrire que l’article 6 est l’alllrmation de laïc non-infaillibililé du Pape net que ces déclarations 1463

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de 1663 équivalent déjà aux articles de 1O82 (La faculté de théot, de Paris, époque moderne, Paris, 190/1, t. III, p. 377). S’abstenir, comme la Faculté, d’aHirmerrinfaillibiUté, ce n’est pas « aOirmer la noninfaillibilité » ; etil }' aura vraiment du nouveau dans la déclaration <le 1682. Aussi certains membres du parlement se plaignirent-ils de ces formes négatives : voir GÉRiN, op. cit., pp. 31, 82. — Mais cette rédaction, théoriquement inoll’ensive, laissait subsister des inconvénients pratiques : trop souvent cet article fut publiquement exploité dans un sens exagéré, comme si la Sorbonne avait censuré la doctrine romaine ; ce qui explique les efforts du nonce pour faire révoquer ces articles de la Sorbonne, eftorts d’ailleurs infructueux (Féret, ibid., p. 28^). — L’année suivante, du reste, la Faculté se laissa entraîner plus loin, dans la condamnation qu’elle Ut de deux ouvrages tliéologiques.

Le carme Bonaventure de Ste-Anne, sous le pseudonyme de Il Jacqcbs de Vebnant » avait publié à Metz en iC58 la Défense de l’autorité de N. S. P. le Pupe…contreles erreurs de ce temps. Le i" avril 1664, le nouveau syndic gallican et janséniste imposé à la Sorbonne, Antoine dk Bréda, en proposa l’examen. Après la nomination d une commission et ses travaux préparatoires, la Faculté discuta en six assemblées générales, les phrases du livre relevées par la commission et rendit son jugement le 24 mai. — Sur l’infaillibilité du Pape (pour ne considérer que ce point), la Sorbonne condamnait des phrases exagérées au moins dans la fi>rme. d’Argenthé, /. cit., jtp. 101, io3.

Le jésuite espagnol Mathieu de Moya sous le pseudonyme de « Amkdéb Guimknius » venait de faire une nouvelle édition d’un opuscule où il s’appliquait à réfuter les objections des Provinciales contre la morale des jésuites, en faisant appel à l’autorité d’autres moralistes, choisis même parmi les docteurs de Sorbonne : Amndæi Guimenii… opusculum, sin^ularia universæ fere theologiæ nwratis complecteiis, etc., Lyon, iGG^. Le syndic le proposa à l’examen de la Faculté le i" septembre ; après les travaux de laoommission, et la discussion en quatorze assemblées générales, la Sorbonne rendit son jugement le 3 fév. 1665, précédé d’un exorde où, s’abritant sous le nom même d’Alexandre Vil, ennemi de la morale relâchée, elle tonnait volontiers contre le laxisme, et rappelait ses anciennes censures contre les casuistes (D’ARGfiNTRK, p.)o6 et suiv.). Au milieu des 35 censures qu’elle portait contre des groupes d’assertions morales dont plusieurs sont choquantes, mais plusieurs autres aussi sont vraies et ont fini par triompher de la rigueur semi-jansénisle du xvri= siècle, une seule censure relevait deux ou trois phrases de l’auteur sur le Souverain Pontife. Les voici : « La foi nous fait un devoir d’adhérer à la déiinilion du Souverain Pontife dans les questions de foi, et aussi de morale. Dans ces questions l’Eglise ne peut errer, son chef non plus par conséquent… Il est de foi que le Pontife ne peut errer… en approuvant comme conforme à la perfection évangélique ce qui ne l’est pas… La conclusion est si certaine, que la thèse opposée est hérétique, je n’hésite pas à le dire. » Censure de la Sorbonne : « La doctrine contenue et inférée dans ces propositions est fausse, téméraire, contraire aux libertés de l’Eglise gallicane, injurieuse pour les Universités, les facultés de théologie et les docteurs orthodoxes » (d’Arokntrk, p. 113). — La Sorbonne ne censure pas la simple affirmation de l’infaillibilité pontiticale ; car en quoi cette simple affirmation eùt-elle été ï injurieuse pour les facultés de théologie et les docteurs orthodoxes n ? Elle savait bien que presque toutes les universités, presque tous les docteurs

orthodoxes hors de France, et bon nombre en France, partageaient ouvertement cette atBrmation de l’infaillibilité, et s’en faisaient gloire, loin de s’en otTusquer. Ce qu’elle attaque dans les phrases de Guiménius, c’est l’ejagération de la certitude de cette doctrine ; c’est d’allirmer l’obligation pour tous de la soutenir ; c’est de dire qu’elle fût alors a de foi » et que le contraire fût » hérétique ». Exagérer ainsi l’obligation, n'était-ce pas faire une sorte d’injure à tant d’il universités » qui ne voulaient pas aller si loin, qui toléraient la doctrine contraire, — à tant do i< docteurs orthodoxes n qui, vu l’existence de la controverse, ne regardaient pas la doctrine de l’infaillibilité comme étant de foi, ou du moins comme étant obligatoire sous peine d’Iiérésie.' Les illustres professeurs de Sorbonne qui l’avaient soutenue, comme Duval, n’avaient jamais voulu admettre qu’elle fût de foi ; Grandin ne l’avait pas admis. De ce que l’infaillibilité de l’Kglise en général était de foi, on ne pouvait Il inférer » que l’infaillibilité particulière du chef le fût aussi : la première étant reconnue de la catholicité tout entière, la seconde était alors controversée dans une certaine mesure. Guiménius tranchait donc trop sévèrement la question d’obligation, surtout pour un ouvrage de théologie morale, où l’on fait profession de peser très exactement les obligations graves, comme celle de la foi.

Concluons que la Sorbonne, à prendre strictement ses termes, n’a j)as entendu nier la doctrine infaillibiliste, pas plus en 1664 et 1665 qu’en 1663. Aussi ne serons-nous pas surpris de^ la voir en 168j résister à la Déclaration du clergé, nettement anti-infaillibiliste. — Mais s’il en est ainsi, dira-t-on, pourquoi Alexandre VU, s’adressanl à a l'éminente piété du roi », lui demanda-t-il par un bref du 6 avril 1665 la révocation des censures de la Faculté, « si opposées et si injurieuses au Siège Apostolique » — demande que le Parlement, consulté par Louis XIV, lui conseilla de ne pas exaucer (d’Arghntri'ï, pp. I15-ia4)?

— Réponse. En dehors des censures qui ont trait à Pinfaillibililé (voir ci-dessus), d’autres étaient vraiment i opposées et injurieuses » aux droits du SaintSiège. Par exemple, Vernant avait dit du Pape avec grande raison que « les alTaires plus importantes de l’Eglise sont soumises à son jugement, duquel il n’y a point d’appel ». C'étaient là des principes traditionnels toujours soutenus par le St-Siège, même depuis la controverse gallicane ; voir Pie II, D. B., 717 ; LÉON X, 740 ; cf. art. Gallicanisme, col. 266. Or la censure de la Sorbonne dit que ces assertions de Vernant « sont fausses, en tant qu’elles affirment qu’en aucun cas on ne peut appeler du Souverain Pontife ; qu’elles dérogent à l’autorité sacrée des Conciles », etc. (d'.rgentré, p. 102). C'était favoriser, suivant la remarque du bref pontifical, les jansénistes, que Louis XIV avait voulu réprimer, de concert avec Rome (plusieurs d’entre eux en appelaient au futur Concile). — Enlin, indépendamment du plus ou moins de justesse d’une censure, il y a la question du droit de censurer. Or le droit de porter des ceusures sur les choses qui regardent la foi, nulle Faculté de théologie catholique ne peut l’avoir par elle-même, ni de par le pouvoir civil, mais seulement par une concession du Chef de l’Eglise, qui en surveille l’exercice. La Sorbonne n’aurait donc pas dû, sans consulter le Pape, aborder une censure de cette nature, qui visait à déterminer l’autorité même du Pape et dans des circonstances aussi délicates, surtout pour la déterminer contrairement ans. droits du Pape, tels que les entendait la grande majorité des théologiens catholiques passés et présents. Voilà pourquoi le Pontife allait, dans une bulle, traiter cette censure d’acte présomptueux et invalide. 1465

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En eÛ’et, après d’inutiles négociations, Alexandire Vil promulgua, le 25 juin 1665, une bulle où il disait, sans nommer la France ni laSorbonne, qu’une Il censure prcsomptueuse » s’était excreée sur les livres de Vernant et de Guiménius, et s’élait permis d’y condamner « des propositions appuyées sur l’autorité des |)lus graves écrivains et sur l’usage perpétuel des catholiques, surtout en matière d’autorité du StSiège, de juridiction des évêques /), etc. (il n’est pas question d’infaillibilité). On ne pouvait, sans détriment de la religion catholique, laisser de pareilles censures s’établir impunément. En conséquence, sur l’avis d’une commission des plus doctes théologiens et avec le suffrage des cardinaux, le Pape condamnait « dans la plénitude de la puissance apostolique, ces censures comme présomptueuses, téméraires et scandaleuses, et les déclarait sans force et de nulle valeur juridique » —, interdisant, sous peine d’excomnmnication, de les soutenir, de les suivre ou de les alléguer comme valables ; réservant au Sl-Siège le jugement des opinions contenues dans les deux livres incriminés et dans les censures elles-mêmes. Voir le grand Hidlaire romain, édit. Cocquelines, t. V, [lart. vi, Rome, 1762, p. ^S.

Ue cette bulle, le procureur général osa k appeler comme d’abus », et le parlement, par un arrêt du 29 juillel, le reçut appelant, après un grand discours théologique de Talon, et lui ordonna « d’exposer ses moyens de défense dans les trois jours » ; défendant " à tous les sujets du Roi de retenir la liulle, de la lire, publier et débiter >. Une députation de parlementaires vint le i"’août haranguer l’assemblée de Sorbonne, l’encouragea « à continuer toujours avec la même vigueur », la poussa contre le Pape à " cette sainte rébellion qui a toujours été conforme à l’esprit de l’Eglise ». Voir l’arrêt et les discoiu’s dans d’Ahgenthk, pp. 125-133. Mais voici que l’assemblée du clergé de France, alors réunie, résiste au parlement et non au Pape, blâme le réquisitoire de Talon, blâme dans l’arrêt lui-même des termes qui montrent la prétention de « prendre connaissance entière de la doctrine, au préjudice de l’autorité et juridiction épiscopale ». Enfin, dans un mémoire au Roi, elle traite d’< hérétique » cette maxime du parlement u que les princes temporels ont le droit et le devoir de juger et de décider des dogmes de la foi et de la discipline ecclésiastique » ; qu’ils ont « un pouvoir de tout faire, uneéminence d’autorité, non seulement quant à la discipline et au règlement des mœurs, mais encore quant au dogme de la foi et à l’extinction des hérésies > ; telle avait été l’origine du schisme et de l’hérésie de l’Angleterre. Le roi, fort embarrassé, essaya une sorte d’arbitrage entre le parlement et le clergé, puis finit par céder ; il empêcha le procureur général de se présenter au parlement pour donner ses moyens, et le parlement de publier son arrêt. La Sorbonne se garda bien de résister publiquement à la bulle. Louis XIV continua de négocier avec Rome, mais dans un esprit de modération. Un apaisement se produisit. Par deux décrets du St-Ollice, le 21 septembre 1665 et le 18 mars1666(/). B., iioi) Alexandre VII condamna bon nombre de propositions laxistes, parmi lesquelles on en retrouve plusieurs de Guiménius, dont l’ouvrage fut aussi mis à l’index le 10 avril 1666. Tout en donnant une satisfaction légitime aux ennemis de la morale relâchée, le Pape, qui dans sa bulle s’était réserve l’examen des livres incriminés, substituait sa censure à celle de Paris, et affirmait ainsi de nouveau sa souveraine autorité en matière religieuse. Louis XIV € aurait mieux aimé que l’honneur de la condamnation fut demeuré entier à la Sorbonne », mais il laissa publier les décrets de Rome.

Ainsi, sur le terrain de son autorité, le Pape ne fit aucune concession ; le nonce Roberti menaçait des dernières extrémités si l’on publiait l’arrêt du parlement contre la bulle. On céda ; et môme un Becueil de pièces, contenant des tteinargues sur la huile, œuvre anonyme d’Arnauld, etdes Considérations respectueuses sur la bulle, œuvre anonyme d’un autre janséniste l’abbé Boileau, fut condamné au feu par le parlement, le 19 mai 1666. Voy. Gébin, louis A’/V et le Sl-Siège, t. II, p. 16, sqq., Paris, 1898, et la Revue d’hist. eccl., 1903, p. 450-455 ; La visse, IIist.de France, t. VII, a’p., pp. 18-20,

Cet apaisement relatif sur les questions de l’autorité spirituelle et de l’infaillibilité du St-Siège continua les années suivantes, et surtout sous Clément IX ; c’est alors, en 1668, que vint à Paris le nonce Bar-GELLiNi, dont la correspondance avec Rome, étudiée par M. Cauchib, éclaire cette période jusqu’en 1671 {liev. d’hist. eccl., Louvain, t. III, 1902, p. 952 ; t. IV, 1903, pp. 89 sq. et 4^8 sq.).

En 1673, une déclaration du roi prétendit étendre à toutes les Eglises de France le privilège royal de la régale, jusqu’alors limité (voir Gérin, Recherches, p. 37, sq.). Ainsi Louis XIV engageait avec le St-Siège, surtout avec Innocent XI, une lutte qui, n’ayant pas l’infaillibilité pour objet, ne nous concerne que par l’origine qu’elle donna à l’assemblée de 1682.

3" La Déclaration de 1682 : et spécialement son 4e article, sur l’infaillibilité du Pape. — Les trois ministres du roi et le parlement, que nous avons vus, à propos d’une thèse, si soucieux des droits et de l’absolue nécessité des Conciles œcuméniques, ne se gênaient pas pour contredire eux-mêmes cette nécessité et ces droits. De même que les conciles provinciaux avaient été depuis longtemps abolis en France par la politique, de même ils se souciaient fort peu d’un concile général de la catholicilé. Ils préféraient s’appuyer sur ce que l’on appelait « les assemblées du clergé de France ».Ces assemblées quinquennales n’avaient rien de commun, suivant la remarque de Portails lui-même, avec les conciles soit provinciaux, soit nationaux, soit œcuméniques, groupements prévus dans le droit canonique et soumis parles lois de l’Eglise à des conditions bien déterminées, par exemple à celle de l’autorisation du Pape. Le clergé de France figurait dans ses i assemblées » non comme un corps épiscopal, ayant à veiller sur la religion et la discipline ecclésiastique, maisplutôt comme un des trois ordres de l’Etat, en vue d’objets plutôt temporels et politiques, dont le principal était cet impôt que le clergé consentait au roi sur les biens d’Eglise, sous forme de don volontaire (GiiniN, p. 165 sqq). Voilà l’instrument plus commode, plus en main, que l’on se mit à employer contre Rome. Nous voyons une assemblée du clergé en 1680, qui, dans l’alTaire delà régale, prend parti pour Louis XIV contre Innocent XI, et cela sans aucune discussion préalable, sous forme d’une lettre au roi, qu’au dernier moment on leur fera signer (Gérin. cli. m). Nous en voyons une autre l’année suivante, la « petite assemblée de 1681 », composée de prélats qui se trouvaient alors par hasard à Paris, et destinée à préparer la « grande assemblée » de 1681-1682 (Giîrin, ch. iv). Avec quel arbitraire royal furent menées les élections pour la grande assemblée, comment furent triés sur le volet les 36 évêques et les 38 ecclésiastiques de second ordre qui la composèrent, on peut le voir dans Gkrin, ch. v-ix. Ce qu’il nous appartient de noter, c’est leur inconséquence et leur incompétence manifeste dans les décisions qu’ils se permirent de prendre par leur « déclaration ». Ils ne pouvaient 1467

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trancher l’affaire de la régale, dont le Pape était déjà saisi, où il avait certes le droit de juger, de condamner des abus dangereux, et de réponse à l’appel de quelques évêques français persécutés pour la revendication de leurs droits (voir la lettre de Le Camus, évêque de Grenoble, au ministre Le Tellier, dans GÉRiN, p. i 49). Mais supposons, par impossible, leur compétence dans l’affaire de la régale : comment pouvaient-ils grefferlà-dessus un jugement sur l’infaillibilité? La régale n'était pas en ellemême une question de dogme, mais de discipline locale ; et les brefs disciplinaires d’Innocent XI à ce sujet n'étaient pas des délinitions de foi : par quel lien logique ou par quelle nécessité pratique l’assemblée pouvait-elle donc passer de la régale et des brefs du Pape àla non-infaillibilité de ses délinitions de foi ? Qu’avait à faire l’un avec l’autre ? Et puis, l’infaillibilité était une question purement spirituelle, dont la décision ne pouvait avoir de vîileur qui si elle procédait dun concile ; et l’assemblée du clergé n'élaitpas un concile.

Force nous est donc de conclure que ce jugement, rendu en partie sur des questions doctrinales et étrangères à la question du différend réel avec Innocent XI, ne fut qu’une manœuvre politique de Colbert, qui l’imagina (au témoignage de Bossuet), et du roi, qui l’accepta et qui l’imposa à la faiblesse de l’assemblée, soit pour faire fléchir le Pape sur la régale, soit pour le braver et le décourager de l’excommunication qu’il laissait entrevoir. Manœuvre dangereuse autant qu’injuste, car elle emportait la France vers un schisme, qui d’ailleurs ne déplaisait point aux extrémistes. Ce fut l’excuse de Bossuet, chargé de rédiger la fameuse Déclaration : par la modération desa rédaction et par son influence, il travailla sincèrement à retenir les esprits sur la pente du schisme ; ce qui du reste ne le justifie pas de la faiblesse avec laquelle il se prêta à ces manœuvres de la couronne. Voir Giiniv, ch. xi ; Largrnt, dans le Dict. de tliéul. catli, , art. Bossuet, col.ioG^, io65 ; Chénon, Hist. des rapports de l’Egl. et de l’Etat, 2* éd., Paris, igiS, pp. 156, 157.

Voici le i' article : « Quoique le souverain Pontife ait la principale part dans les questions de foi, et que ses décrets regardent toutes les Eglises et chacune d’elles, son jugement n’est pourtant pas irréformable, à moins que le consentement de l’Eglise n’y soit ajouté. » (Pour le texte des quatre articles, voir Gallicanisme, col. 198, 19^ ; texte latin, /?. /?., 1822, sqq ; appréciation dans un documentdutemps, Gbrin, p. 319, sqq.) Voir col. 1427.

Remarques sur le 4' article :

a) Bossuet s'écarte ici de la formule de la Sorhonneen 1663 sur l’infaillibilité. — Cette formule négative ne contredisait pas la doctrine de l’infaillibilité pontilicale : elle ne tranchait qu’un point défait, en disant que cette doctrine n’avait jamais été adoptée par la Faculté (comme corps, quelle qu’eût été la liberté laissée là-dessus aux individus). Un document de 168a confirme encore très clairement ce que nous avons dit là-dessus ; voir Gérin, p. 58 i. Au contraire, Bossuet, dans sa rédaction, ne s occupe pas de ce fait, qui regarde l’histoire de la Sorbonne. Ce qu’il tranche, c’est la question théologique elle-même, la question de droit ou de principe. Il nie que le jugement du Pape, en dehors du consentement de l’Eglise, soir irréformable ; et ce mot irréformable », déjà employé par TertuUien à propos d’une règle de foi, équivaut au mot « infaillible », d’un usage plus récent, comme le remarque la. Defensio declarationis cleri gallicani, 1. VII, ch. r, édit. Lâchât, t. XXII, p. 2. Bossuet était-il autorisé à une telle rédaction ? — Non, car la déclara tion de la Sorbonne avait été prise comme base de la nouvelle déclaration du clergé, qui ne devait en être que lasanctionsolennelle ; le 26 novembre 1681, oh avait nommé une coinniission des six articles de Sorbonne. Aussi Bossuet, ou sou éditeur, soutient-il pour le besoin de la cause « que les articles de la Faculté avaient dit la même chose et exprimé la même pensée que les articles du clergé de France : seulement les évêques réunis en une si majestueuse assemblée crurent de leur devoir d’exprimer leur pensée avec plus de rondeur et de simplicité », ut mentent ruitindius ac siniplicius promerent (Op. cit., .ppendix, 1. III, c. xi, p. 602). Nous disons : Bossuet ou son éditeur, parce que Bossuet n’a jamais publié sa Defensio, comme on sait, et que plus tard, dans le fouillis de ses papiers repris par lui à de longs intervalles, raturés, brouillés, apostilles, un éditeur gallican et même janséniste a choisi, déchiffré et remanié à sa façon ; on dit même qu’une note de Bossuet désavoue cet Appendix, et d’autres parties de la Defensio.

b) Objection principale de Bossuet contre rinfailli~ bilité du Pape. — Il semble bien n’avoir jamais varié sur cette objection, puisqu’on la trouve, non seulement dans la Defensio elle même (ibid.), mais dans cette forme nouvelle de la Defensio, qu’il a nommée Gallia orthodoxa, et qui doit répondre mieux à sa pensée définitive. Le point de départ de l’objection est ceci : « L’infaillibilité du Pape est douteuse. « Pour le prouver, Bossuet n’invoque pas seulement l’article de Sorbonne de 1663, mais l’existence même de la controverse depuis des siècles et surtout la conduite du St-Siège qui reconnaît ce doute, et, avec ce doute, la liberté qui en est la conséquence : indubiis libertas. « Entre gens pieux et orthodoxes, dit-il, on ne s’accorde pas encore sur l’infaillibilité du Pape ; et sans parler des conciles de Constance et de Bàle, des hommes saints et pieux l’ont niée. Et tandis que beaucoup de docteurs privés accablaient ces hommes d’indiscrètes censures, l’Eglise catholique et Rome elle-même s’est abstenue de les censurer ; et voilà trois cents ans que l’on agite cette controverse en liberté de conscience (innoxie). » Gallia orth., n. 97 ; éd. Lâchât, t. XXI, p. 1 28. Rome n’a pas obligé les schismatiques et les hérétiques à croire à l’infaillibilité pontificale : pas plus au concile de Florence pour la réunion des Grecs, qu’au concile de Trente pour les protestants. Un ouvrage de Bossuet, l’Exposition de la doctrine catholique, où il a montré aux hérétiques le St-Siège comme centre de l’unité, mais où il s’est fait une règle de ne pas entrer dans les questions discutées par les théologiens comme celle de l’infaillibilité (n. 21), a été honoré eu 1679 d’un bref laudatif d’Innocent XI, vantant « la science, la méthode, et la prudence « de l’auteur (Defensio, ib., p. 603, sqq. ; Gallia ortliod., n. 98, p. 119, sq.). Bien plus, après l’apparition des articles de 1682, leur doctrine n’a pas été condamnée par le jugement du St-Siège, ni comme hérétique et contraire à la foi, ni sous une moindre censure — même lorsque.lexandre VIII déclarait nuls et invalides tous les actes de l’assemblée du clergé de 1682, et tous les édits royaux confirmatifs. Voir Gallicanisme, col. a66, sq.

Ce point acquis, Bossuet raisonne ainsi : « Cette infaillibilité douteuse ne peut pas être une infaillibilité concédée par le Christ. Car s’il avait concédé l’infaillibilité (au Pape, comme on le prétend), il l’aurait révélée à son Eglise dès l’origine, de telle sorte qu elle ne fùtpas inutileen demeurant douteuse, sans être sullisamment révélée, sans être fondée sur une tradition claire. » Gallia orihod., n" 97, p. 128. La Defensio développe davantage ce raison1469

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nement : « Une infailliliililé douteuse ne peut prétendre à un jugement absolument suprême dans les choses de foi. Bien plus, une infaillibilité douteuse ne peut se concevoir. Que servirait, en elTel, d'être infaillible, si l’on n'était pas certainement reconnu comme tel ? Le Christ ne peut pas concéder à quelqu’un dans son Eglise une telle fonction ordinaire (de juger infailliblement les choses de foi), si cette fonction ne doit pas sertir à son Eglise ; et elle ne lui servira pas, si elle ne lui est pas révélée, révélée au moins de telle sorte que, si la question vient à se poser, cette concession du Christ puisse être définie par les conciles et les Pontifes. Car ce qui n’aurait pas été révélé de la sorte, je ne l’appellerais pas révélé, mais enveloppé. » /.. c, p. 601.

Béponse. — Oui, s’il a investi le Pape d’une telle fonction judiciaire et d’une telle prérogative d’infaillibilité, le Christ, pour que tout cela « puisse être utile », a dû le révéler à son Eglise, non pas avec une évidence qui du premier coup saule aux yeux de tout fidèle, mais du moins « assez clairement pburque cette concession divine puisse être reconnue etdéfinie », — suivant la formule de Bossuet lui-même ; une révélation de ce genre existe pour l’infaillibilité duPape et elleélait « assez claire dans l’Evangile et la Tradition » réunis, pour qu’un concile œcuménique ait pu « la reconnaître et la définir ». Mais Bossuet a trop l’air de croire que, si le Christ avait révélé l’infaillibilité du Pape, rien n’eût empêché de la définir déjà ; et qu’en général si une définition se fait beaucoup attendre, mettons pendant trois siècles, c’est une preuve qu’elle ne viendra jamais, faute de révélation sullisante. c. Si la chose, dit-il, est aussi clairement révélée qu’ils le prétendent, qu’est-ce qui a empêché de la définir ? Voilà trois cents ans que l’on agite librement cette controverse. » Gallia orthod., toc. cit. Il serait facile de trouver dans l’antiquité ecclésiastique des vérités que Bossuet tenait pour clairement révélées et qui n’ont été définies qu’après plusieurs siècles de libre discussion. De même, quand on vit éclore les controverses théologiques sur l’infaillibilité du Pape et sur son autorité par rapport au concile, c’est-à-dire vers la fin du schisme d’Occident, au xv « siècle, le magistère ecclésiastique ne s’est pas pressé de condamner un homme du mérite de Gerson, ni d’autres membres d’une aussi célèbre Université que celle de Paris ; il a laissé le champ libre à la discussion, et n’a pas désespéré de la science ni de la prudence des docteurs. Et de fait, au xvi" siècle, nous l’avons vu, la doctrine aujourd’hui définie commençait à triompher partout, même à l’Université de Paris ; l’accord unanime et constant semblait près de se faire. Malheureusement pour cet accord, au xvii « siècle, en France, les préoccupations nationalistes (d’ailleurs motivées en partie) et plus encore les passions et les intrigues des politiciens arrivèrent à obscurcir de nouveau une question toute spirituelle. L’infaillibilité pontificale retrouva des adversaires non seulement parmi les sophistes entêtés ou les purs arrivistes, mais encore parmi les hommes doctes et pieux, comme Bossuet. Nombre de fidèles, entendant ainsi des évoques et des docteurs catholiques défendre le pour et le contre, ne savaient à quoi s’arrêter ; et, comme il arrive en toute semblable controverse, si révélée que fût en elle-même l’infaillibilité, le doute assez répandu sur cette révélation faisait pratiquement cesser l’obligation générale de la reconnaître et de croire, jusqu'à ce qu’enfin une définition vînt rétablir cette obligation, et d’une manière explicite.

Bossuet a tort aussi de se prévaloir de ce que le St-Sicge s’est abstenu de censurer les quatre arti cles au moment de leur publication, et les années suivantes. Lui-même n’a t-il pas alors reconnu le grand danger d’un schisme avec Rome ? Kallait-il donc que le souverain Pontife, par un coup d’autorité, précipitât peut-être tant d'àmessi mal disposées dans le schisme et dans l’hérésie ? Fallait-il que, pour forcer les gens, et avec si peu d’espoir de succès, à reconnaître son infaillibilité, d’ailleurs devenue pratiquement douteuse et niable sans un péché formel, le Pape exposât la France à perdre ce qu’elle gardait encore de liens avec la cathedra Pétri, à perdre le* vérités les plus certaines et les plus fondamentales sur le centre de l’unité de l’Eglise et la primauté du St-Siège ? La temporisation en face d’erreurs excusables pour plusieurs, la condescendance à l'égard des multitudes dévoyéesparleurs chefs, étaient trop dans les traditions de Rome pour qu’en une circonstance si grave elle pût y manquer. Mais cette temporisation et cette condescendance n’excusaient pas ceux dont les intentions et les agissements étaient coupables ; à Dieu déjuger la sincérité ou l’insincérité de chacun. Cette temporisation de l’autorité suprême n’empêchait pas non plus les partisans convaincus de l’infaillibilité de continuer à la défendre, hors de France, et même en France. Et c’est ainsi qu’une vérité révélée, même pendant la longue période de doute qu’elle peut avoir à subir, ne devient pas « inutile ». Grâce à la Providence de Dieu sur son Eglise, il se rencontre toujours des docteurs pour la défendre et des fidèles pour en garder la foi. A ceux-là du moins, les infaillibles définitions des Pontifes, passées ou présentes, n'étaient pas inutiles ; et cette lumière n’avait pas disparu pour eux. Bossuet aurait dû reconnaître qu’une vérité révélée, rendue « douteuse » par la controverse entre catho liques, n’est pas pour cela vraiment « inutile «.Car il croyait lui-même à l’Immaculée Conception comme à une vérité révélée, la soutenait par d'éloquents discours et ne la regardait certes pas comme une vérité inutile : et pourtant cette vérité, du fait de la controverse, était devenue « douteuse j^ depuis longtemps et n'était pas plus près d'être définie que l’infaillibilité du Pape. En somme, Bossuet semble n’avoir pas eu des idées assez nettes sur le développement du dogme, sur les phases diverses par lesquelles peuvent passer certaines vérités révélées, celles qui furent révélées moins explicitement que d’autres. C’est la conclusion de plusieurs historiens et critiques contemporains ; voir J. Huby, Christus, 2" éd., Paris, 1916, p. 119g, 1200.

Mais Dieu (a-t-on dit de nos jours), s’il eût voulu instituer l’infaillibilité du Pape, n’aurait pu la laisser tomber ainsi, et pour si longtemps, dans la condition douteuse des vérités controversées entre catholiques. Car, d’après ses défenseurs, elle serait trop fondamentale et trop pratiquement nécessaire à la vie de l’Eglise pour pouvoir ainsi s’obscurcir ; la Providence n aurait donc pas pu permettre pour cette institution ce qu’elle a permis pour des vérités qui n’avaient pas cette nécessité pratique, par exemple, l’Immaculée Conception.

Béponse. — On prête ici aux défenseurs de l’infaillibilité pontificale une exagération de sa nécessité, qu’ils ne sont nullement obligés de soutenir. Ce n’est point par de » arguments a priori que nous prouvons notre thèse, comme si la vie de l’Eglise ne pouvait ni se concevoir ni subsister pendant une période un peu longue sans que l’exercice de cette infaillibilité soit reconnu de tous, mais pardes /ex/es positifs d’où il ressort que J)ieu a voulu le Pape comme juge infaillible de la foi ; or Dieu a voulu et révélé bien des institutions très utiles mais non nécessaires à la vie de son Eglise, ou nécessaires en un certain sens. 1471

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mais non pas dans leur exercice continuel. Telle est celle que nous défendons. Pendant les trois ou quatre siècles où elle a été plus ou moins révoquée en doute el librement discutée à l’intérieur de l’Eglise, le magistère ecclésiastique ainsi diminué subsistait et pouvait à la rigueur sullire : soit parce qu’un grand nombre de catholiques, surtout hors de France, continuaient à être convaincus de cette infaillibilité et à profiter des définitions pontiticales du passé, en sorte qu’il y avait toujours pour eux une iniluence de cette grande institution ; soit parce qu’une définition pontificale, de sa nature, n’est pas chose fréquente, et que l’histoire, même aux époques les plus favorables à la Papauté, nous montre ces définitions à longue distance les unes des autres ; soit enfin parce que, si l’on constatait une nécessité certaine de juger quelque controverse de foi sans trop de retard, si une nouvelle hérésie troublait l’Eglise, alors même il restait encore plusieurs moj’ens qui ne supposaient pas reconnue de tous l’infaillibilité que nous défendons. Quels étaient ces moyens ? D’abord un jugement provisoire du Pape, comme sont de fait plusieurs documents pontificaux qui montrent aux fidèles la vérité ou l’erreur, sans prétendre encore juger définitivement et infailliblement la controverse : les gallicans eux-mêmes demandaient pour de tels jugements un respect au moins extérieur ; c'était là déjà une direction. Ensuite, s’il fallait un jugement définitif et infaillible, il y avait le concile œcuménique ; c’est ainsi qu’au temps du gallicanisme le concile de Trente condamna les diverses erreurs des protestants. Enfin, pour avoir un infaillible jugement, il n'était pas même besoin d’un concile, diflicile à réunir. Le Pape, d’après le 4* article de 1682, a « la principale part > dans le jugement des questions de foi, et « ses décrets regardent toutes les Eglises de la catholicité ". Quand même il n’aurait pas l’infaillibilité que nous disons, il doit avoir au moins, d’après cet article, l’initiative qu’il faut pour adresser à toutes les Eglises un décret doctrinal condamnant la nouvelle erreur autant qu’il est en lui ; et si le consentement des évoques delà catholicité vient se joindre à ce décret, alors on sera d’accord sur sa valeur infaillible. C’est de la sorte que Bossuet lui-même regardait comme infaillible la condamnation des cinq propositions de Jansénius par Innocent X, et qu’il regardera comme infailliblela condamnation des propositions de Fénelon sur le pur amour par Innocent XII ; voir Gallicanisme, col. 229. Ainsi, dans cette période transitoire de controverse gallicane, les idées, bien que divergentes, se rencontraient assez toutefois pour permettre au magistère ecclésiastique de fonctionner encore, bien qu’avec beaucoup plus de difficulté et d’inconvénients que si la simple vérité avait brillé dans tous les esprits. Parmi ces inconvénients, il y avait l’imprécision dangereuse de ces paroles du 4 » article : « Le jugement (du Pape) n’est pas irréformable, à moins que ne s’y ajoute le consentement de l’Eglise. » S’agit-il du consentement des seuls évêques, ou exige-t-on aussi celui des prêtres, des fidèles ? d’un consentement des principaux sièges, ou delà multitudedesévêques ? de la totalité afc.so/((e de l'épiscopat, ou d’une totalité approximative, de ce qu’on appelle « Vunuersalité morale » ? d’un consentement exprès, ou seulement tacite chez un grand nombre ? Le vague, c’est ce que reproche à cet article (comme aussi au précédent) M. E. Lavissb, Hist. de France, t. VII, 2* part., 1907, p. 33. Un autre inconvénient, qui nous paraît le plus grave de tous, c’est que le gallicanisme modéré de la déclaration de 1682 traînait après lui une queue détestable et pratiquement diflicile à couper, c'était le gallicanisme

richériste ou janséniste, toujours sur la pente du schisme, habile à pêcher en eau trouble, séduisant pour les natures passionnées contre Rome, ainsi que pour les esprits simplistes que déroutait le système trop compliqué, trop surchargé de compromis, des gallicans modérés comme Bossuet.

c) Concession fuite par Bossuet à l’infaillibilité du Saint-Siège. — Une circonstance fort intéressante de l’assemblée de 1682 fut racontée plusieurs fois par Bossuet lui-même, en présence de graves témoins, à Fénelon qui l’a consignée dans sa dissertation De summi ponti/îcis auctoritate, cli. vii {Œus’res, éd. Xeroux-Gaunie, 1848, t. II, p 10). Gilbert de Choiseul, évêque de Tournai, avait d’abord été choisi pour rédiger la déclaration du clergé. Il l'écrivit et la lut à l’assemblée. Comme il y rejetait, en bon gallican, tout privilège surnaturel exemptant le Siège de Rome d’hérésie ou d’erreur contre la foi, Bossuet lui résista en face, objecta la promesse évangélique, d’après laquelle la foi de Pierre sera indéfectible (en lui et en ses successeurs) ; et il développa éloquerament les textes de l’Evangile, éclairés encore parla tradition des Pères. — Mais, lui répondit Choiseul, si vous admettez l’existence d’une telle promesse pour le Saint-Siège, vous retombez dans la doctrine ultramontaine que nous voulons touscombattre. Votreargurænt prouve trop. — Non, répliqua Bossuet. J’admets que « la foi de ce Siège est indéfectible, mais non pas que ses jugements sur la foi soient infaillibles », ce qui est la thèse ultramontaine. — Indéfectibililé dans la foi et infaillibilité dans les jugements de foi, c’est tout un, repartit l'évêque de Tournai. « Serait-il vraiment indéfectible dans la foi, celui qui pourrait se tromper en déclarant sa foi, laquelle, par hypothèse, est indéfectible ? N’est-ce pas défaillir dans la foi de la pire manière, que de prendre une hérésie pour la vraie foi, et de prononcer par une sentence définitive qu’on est obligé de croire ce qui n’est en réalité qu’une hérésie ? Expliquez- nous donc clairement en quoi votre indéfectibililé difl'ère de l’infaillibilité des ultramontains. » — Alors l'évêque deMeauxen vint à cette explication : u Le Siège apostolique a reçu la divine promesse d'être pour toujours le fondement, le centre et le chef de l’Eglise catholique et, eu cette qualité, de ne jamais devenir schismatique ou hérétique… Plusieurs Eglises d’Orient, après avoir joui de la communion catholique, sont tombées dans le schisme ou l’hérésie ; mais ce malheur ne peut arriverau Saint-Siège ; s’il venait à errer en matière de foi, il ne s’obstinerait pas dans son erreur, grâce à Dieu ; il serait bientôt remis par les autres Eglises dans le droit chemin ; dès qu’il s’apercevrait de son erreur, il la rejetterait… Ainsi il peut se tromper dans ses jugements sur la foi, mais cette erreur serait vénielle, et ne détruirait pas en lui la foi de Pierre. Gardant la volonté très constante d’adhérer à la foi pure de l’ensemble des Eglises en communion avec lui, ce Siège ne joindrait pas à l’erreur l’opiniâtreté qui fait les hérétiques, ne romprait jamais le lien de la communion, serait perpétuellement catholique de cœur et de désir, donc jamais hérétique. » La discussion finie, Choiseul résigna sa fonction de rédacteur de la déclaration ; Bossuet fut mis à sa place, et écrivit aussitôt les quatre articles qui nous sont restés.

Fénelon examine alors cette discussion, et donne la solution vraie en prenant position entre les deux adversaires. Il est d’accord avec Bossuet pour voir dans l’Evangile et la Tradition la promesse faite au Saint-Siège d’une foi indéfectible. Mais il est d’accord avec l'évêque de Tournai pour affirmer que l’indéfectibilité admise par l'évêque de Meaux doit 1473

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conduire nécessairement à rinfaiHibililé qu’il nie ; liossuet ne peut s’ariêler en chemin, sous peine d’illogisme comme le disait Choiseul, ou plutôt d’une fausse exégèse des textes évangcliques et d’un déplacement de la question. Dans son explication dernière, ils’altacbe à prouver que le Pape, errant dans une dclinition, ne serait pas hérétique au sens propre du mot, parce qu’il serait protégé divinement contre l’opiniâtreté dans l’erreur : en d’autres termes, dans ses délinitions il ne lui arriverait jamais d'être hérétique « formel », bien qu’il puisse être hérétique de bonne foi, hérétique « matériel ». Mais la question n’est pas de savoir si le Pape, dans l’hypothèse où il ferait une définition erronée, serait inconscient ou averti de son erreur, de bonne foi ou de mauvaise foi ; ces choses intimes regardent la personne privée, et non la fonction publique. La seule question qui importe à cette fonction, c’est de savoir s’il soutiendrait la foi de tous en définissant une erreur. Bossuel allègue très justement pour le Saint-Siège le texte ut non de/iciat fides tau (/- « <, xxii, 3-2). Mais une erreur contre la foi ne serait-elle pas, dans un jugement solennel du Saint-Siège, une « défaillance dans la foi », — encore qu’elle ne fût pas coupable ? Etpeuton concilier avec ce texte l’hypothèse singulière d’une action de toutes les Eglises pour ramener le Saint-Siège à la vérité de la foi, action f(ue, d’ailleurs, le Chef aurait le privilège de suivre toujours docilement ? N’est-ce pas transformer le Confirma frutres tuos en son contraire : « Sois par tes frères alTermi dans la foi, et réformé dans tes jugements solennels sur la foi ? » Ce qui reste malgré tout, c’est que Bossuet, comparé aux autres gallicans, s’est un peu moins éloigné du privilège.divin de l’infaillibilité pontificale.

4° Suites de la Déclaration de 1 682

I. L'édit royal ; la résistance de la Sorhonne. — A peine les membres de l’assemblée eurent-ils souscrit les quatre articles, que Louis XIV, sur leur demande, signa un édit où il défendait à tous ses sujets d’enseigner ou d'écrire « aucune chose contraire à la doctrine conlenue dans la Déclaration », ordonnait aux professeurs de la commenter chaque année dans les Eacultcs de théologie et de droit, prescrivait même de refuser aux examens les candidats qui ne la soutiendraient pas dans leurs thèses de doctorat ou de licence (mars 1683).

Le parlement se hâta d’enregistrer l'édit ; puis, comptant sur la crainte du roi et sur les intrigues de PiROT, syndic imposé à la Sorbonne, il enjoignit, le a mai, à la Faculté de théologie, par une députation solennelle, d’avoir elle-même à enregistrer la D’claration et ledit royal. Mais les docteurs, au nombre de près de trois cents, voulaient délibérer sur une question si grave, et renvoyèrent leur réponse au 1" juin, jour de leur séance ordinaire. Une lettre du roi prescrivit à Pirot d’empêcher en son nom toute discussion « sur des matières depuis si longtemps décidées » : l’enregistrement pur et simple ! Toutefois les conseillers du roi restaient inquiets du résultat ; plusieurs suggéraient l’idée d’une nouvelle et décisive députation du parlement à la Faculté. Colbert s’y opposa, craignant qu’un déploiement d’autorité ne fît peut-être connaître au Pape la résistance de la Sorbonne ; puis on se repentit de ne lavoir pas fait, quand la Faculté, le i"juin, discuta et n’enregistra rien ; il semblait que (i tout était perdu ». Le roi pensa d’abord à des mesures de rigueur, mais n’eussent-elles pas fait éclater au dehors la division du clergé de France, qu’on tenait à présenter comme unanime pour la

Tome III.

Déclaration ? Aussi, dans une lettre à Colbert, le procureur général de Hablay déconseillait de sévir, et proposait plutôt une nouvelle réglementation du droit (le suffrage en Sorbonne, qui eut enlevé le vote aux docteurs dont on n'était pas sûr. Gérin, ch. XII, pp. 382-088.

Le 15 juin, sur l’ordre du roi, séance extraordinaire de la Faculté : mais au lieu d’enregistrer, on délibère. D’après le rapport <le llarlay à Colbert, plusieurs docteurs proposèrent « de faire remontrance à Sa Majesté sur la dilliculté d’enseigner et de soutenir les propositions du Clergé… particulièrement sur l’article 4'^, qui regarde l’infaillibilité du Pape ; prétendant que l’Assemblée du Clergé tenue en 1655 n’avait pas été dans les sentiments où celle qui se tient présentement se trouve, et plusieurs parlant avec peu de respect de cette (nouvelle) assemblée ». Ghandin lui-même n'était pas pour obéir sans faire des remontrances au roi, et par son attitude courageuse rachetait sa lâcheté de 1663. La majorité voulait que la réponse au roi indiquât soit une désapprobation, soit au moins la neutralité de la Faculté à l'égard de la doctrine des articles ; tout ce que put obtenir le syndic, ce fut de renvoyer au lendemain pour achever la délibération. Sur quoi Harlay conseille à Colbert « de ne point laisser achever demain une chose qui ne peut finir que très mal 11. Aussi, dans la nuit même, Louis XIV envoie de Versailles le marquis de Seignelay, fils de Colbert, pour préparer avec l’archevêque et les chefs du parlement un coup de force. A six heures du matin, nombre de docteurs sont mandés au parlement qui est censé avoir fait la veille un édit pour cela. Apostrophe insolente du premier président ; défense faite aux membres de la Faculté de tenir aucune assemblée jusqu'à ce que le parlement leur eût « prescrit la manière » ; ordre au greffier de Sorbonne d’enregistrer sur l’heure la Déclaration ; lettre de cachet les jours suivants pour exiler huit docteurs en différents coins du royaume : tels furent « les remèdes presque aussi fàcheuxquele mal », dit une mélancolique dépêche de Harlay au ministre Le Tellier. Gkrin, pp. 390-397 ; cf. p. 690.

Dans cette résistance, qui honore la Faculté, ce n'était pas seulement l’atteinte portée par lepouvoir laïque à leur liberté traditionnelle d’enseigner la science sacrée selon leur science et leur conscieiiip, qui excitait leurs réclamations : c'était aussi etsurtout la doctrine qu’on voulait leur imposer, la d, ^ctrine de la Déclaration du fUergé, particulièrement contre l’infaillibilité du Pape, comme il ressort des pièces que nous venons de rappeler. Aussi dans les rapports secrets que Colbert demandait alors sur leurs confrères à ses confidents gallicans et jansénistes, la question de doctrine prime tout : ce qu’on reproche aux docteurs récalcitrants, c’est que celuici est « toutàfait dévoué à Rome, aux jésuites, aux moines » ; celui-là « parle en faveur de Rome », cet autre <c est persuadé des opinions romaine :  ; autant qu’on peut l'être », etc. De même pour les docteurs des collèges et communautés : « Ceux qui demeurent dans le collège de Sorbonne… sont tous unis « dans les sentiments ultramonlains », excepté quatre ou cinq ; tous les professeurs, même les royaux, excepté M. Pirot, syndic de la Faculté, sont dans les mêmes maximes… Ceux de Saint-Sulpice, des Missions El rangères, de Saint-Nicolas qui ont opiné dans cette affaire (des 4 articles) ont été de l’avis des Sorbonnistes. » Op. cit., p. 377 sq., 4"6 sq., 583 : cf. Gi-niN, Une nouvelle apologie du sfallicnnisme, réponse à l’alibé Loyson, 1870, p. 86 sq. Comment concilier tous ces faits avec la légende gallicane, exprimée par exemple dans ces lignes de Bausset : « la Décl ; ir : i1475

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tion de l’Assemblée de 1682 n’éprouva et ne pouvait éprouver aucune opposition en France. Elle ne faisait que conOrmer une doctrine qui dans tous les temps avait été chère à l’Université et à la Faculté de théologie de Paris. » Hut. de Uossnet^ 1. VI. ch. vi. Avec l’opposition de la Sorbonne, mentionnons en passantcelle de l’opinion publiqjie. « La Déclaration du Clergé, dit Legbndue, témoin non suspect, ne fut point d’abord applaudie. Loin de là… Ce snulètement qui était quasi général, produisit des récils piquants où M. de Harlay étaitle plus maltraité. » Mémoires, p. 46. Des chansons circulèrent contre les auteurs de la Déclaration, et en faveur de la Sorbonne ;

« La Sorbonne défend la foi », etc. Louis XIV

se préoccupa de ces couplets. Gbrin, ttecherclies, p. 401, 40î ; cf. p. 597.

Quant à l’assemblée du clergé, si pompeusement commencée, elle fut brusquement congédiée par le roi. Cralgnait-i ! que l’exemple de la résistance donné alors par la Faculté de théologie n’ébranlât et ne divisât une assemblée dont Harlay disait à Golbert : La plupart changeraient demain et de l)on cœur, si on le leur permettait » ? Ou plutôt, les convictions religieuses et le bon sens de Louis XIV reprirent-ils le dessus, à la vue du schisme auquel ses conseillers, ministres et parlementaires, le poussaient ( « Si je les avais crus, j’aurais coiffé le turban »), et vers lequel plusieurs prélats de l’assemblée se laissaient emporter ? Ils avaient reçu le bref du Il avril, ofi Innocent XI déclarait » nuls « les premiers actes de l’assemblée relatifs à la régale, ainsi que « ceux qui pourraient suivre », et reprochait aux prélats d’avoir sacrifié à la crainte leur devoir pastoral, et de n’avoir pas, à l’exemple de leurs prédécesseurs, plaidé la cause sainte devant le roi. Exaspérée, l’assemblée signa, le 6 mai. une protestation au Pape où l’on peut entrevoir la menace du schisme ; elle voulait, avec une lettre d’envoi, faire parvenir cette protestation à tous les évêques de France. Louis XIV l’en empêcha ; le g mai, il suspendit les séances de l’assemblée, et le 29 juin signa l’ordre de dissolution immédiate. VoirGÉRiN, / ?ec, //erc/i(>s, etc., pp. 327-331, 387 ; Lwisse, /iist. de France, loc. cit., p. 36.

2. Opposition faite à la Déclaration par d’autres universil<-s et en d’autres pays, surtout sur l’article de l’infaillihiliié. — Nous devons nous borner à deux exemples : l’un en paj’s annexé, l’autre à l’étranger. L’université de Douai, aussitôt après la Déclaration, envoya une réclamation au roi, et la renouvela à la fin de 168a en ces ternies : n Il y a environ huit mois que le zèle que nous avons poiir le service de Votre Majesté nous a obligéde lui représenter avec tout le respect possible la grande aversion de tous ses fidèles sujets, qui sont dans ces pays réunis à la couronne, de (pour) la doctrine contenue dans la Déclaration du Clergé de France, qui regarde la puissance ecclésiastique. Ils disent que cette doctrine est inouïe dans ces paj-s ; qu’on y a toujours tenu pour des opinions erronées celles qui choquent la primauté absolue et Vin/aillibilité du Souverain Pontife. ..Onnoiis avait assuré que l’intention de V. M. n’était pas d’obliger ses fidèles sujets à soutenir les propositions du Clergé contre leur conscience. Nous n’avons encore pu trouver aucune raison solide pour nous former une conscience qu’il nous est permis d’enseigner lesdites propositions. Nous nous prosternons â vos pieds, Sire, et nous supplions V. M. de nous excuser (dispenser) de soutenir et enseigner une doctrine contraire à celle qui a toujours été reçue dans ces pays et enseignée dans cette université, qui est au péril d’être ruinée si on l’oblige d’entrer dans les sentiments de la dernière Assemblée I du Clergé de France, d’autant que la plupart sem blent mieu^ aimer d’abandonner nos écoles, voire même renoncer à toute promotion et dignité, que de se soumettre à des opinions répugnantes à leur conscience. » GÉRiN, il)., p. 428. — Ce document, traduit en latin et publié dans l’ouvrage intitulé J/aHn.vsa Doctorum, Liège, 1683, a été cité par les écrivains du temps, comme Thvrse Gonzalès. qui nous apprend le rejet par le roi d’une supplique si bien fondée, le courage des professeurs de Douai à suivre leur conscience, la fermeture des cours et l’exil de quelques docteurs (De inf’atlihilitate…, pp. 11-118).

En 1682, comme les quatre articles se col|)ortaient déjà jusqvi’en Hongrie, le primat de ce royaume, l’arehevêque de Gran ouStrigonie, promulgua le 24 octobre un décret dont voici la partie principale : « A l’exemple de nos prédécesseurs, qui en des cas semblables ont proscrit les doctrines nuisibles à la foi, nous condamnons et proscrivons ces quatre propositions ; nous interdisons à tous les tidèles de ce royaume de les lire, de les garder, et plus encore de les enseigner, juscju’à ce que là-dessus se soit prononcé l’oracle infaillible du Siège apostolique, à qui seul appartient, par un privilège immuable et divin, de juger les controverses de foi ; aussi est-ce à lui que très humblement nous soumettons celle lettre, déclaration et décret. » Suivent les signatures du primat, des archevêques et évêques et autres dignitaires ecclésiastiques de toute la Hongrie (Petbhi fy, SacraCnncilia in re^no JJunguriæ celebrata, Vienne et Presbourg, 1742, part. II, p. 43g ; cf. Veith, De primatu et infalliliilitate, Malines, 1824, p. Saô, sq.).

Cette condamnation donna lieu en France à des incidents très significatifs, en irritant les évêques qui avaient été les chefs de l’assemblée du Clergé. Le second président de cette assemblée, l’archevêque de Reims, Le Tellier, fils du chancelier ministre, avoue bien, dans un document secret, « qu’un évêque a l’autorité d’empêcher dans son diocèse qu’on y débite une doctrine qui n’est pas de son goût, quand l’Eglise n’a pas prononcé ». Cependant, si l’on n’a pas le droit de censurer cette censure, il ne faudrait pas la laisser impunie. On pourrait tirer parti d’un mot qui prête « à tourner (cette censure ) en ridicule et à la décrier 1. C’est le mot so/a/n dans la phrase : Ad quam solam divino et immutabili prii’ilegio spectat de coniroversiis fidei judicare. Le parlement pourrait ordonner à la Sorbonne de donner sur celle phrase un avis doctrinal. « Je voudrais de plus, dit Le Tellier, qu’on composât un écrit qui, en expliquant les ignorances et les contradictions de cette censure de Hongrie, établit invinciblement la doctrine des Quatre articles par l’Ecriture et la Tradition… Par les brocards qu’on donnerait au Hongrois, on détournerait d’antres prélats de suivre son exemple. » Gérin, liecherches, p. 4 17. On est peiné de voir le grand Bossuet lui-même entrer dans la voie marquée par cet intrigant : « Nulle censure ecclésiastique, dit-il, n’est venue proscrire notre doctrine. Le premier de tous qui l’ait fait, et qui restera le seul, l’archevêque de Strigonie, se contredit lui-même. Il prononce sur noire doctrine une sentence, un jugement, et il dit en même temps : C’est au 5e » / Siège apostolique qu’il appartient, par un privilège divin et immuable, de juger les controverses de foi. » Gallia oilhodoxa, ri. xi, Œuvres, t. XXI, p. 7. Mais la contradiction que l’on cherche n’existe pas. Quand nos théologiens usent de la formule classique : De controversiis fidei judicare, employée par le primat de Hongrie dans la phrase incriminée, ils entendent un jugement définitif, sans appel etinfail-. lible, qui mette lin à la controverse dans la catholicité ; c’est en ce sens usuel qu’ils prouvent contre les protestants que Dieu doit avoir établi « un juge des 1477

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controverses d. Bosguet, excellent polvniste contre les protestants, ne pouvait pas ignorer par exemple le remarquable traité du célèbre Sorbonnisle Vsam-BBRT : De judice contiov’ersiarum Diaputaliones in jam liât i’Jliomae, Paris, 1648, p. 408. D’autre part, les théologiens catholiques reconnaissent comniunéinent qu’un évéque, dans les limites de sa juridiction particulière, peut porter, au moins en cas de nécessité, une sorte de jugement sur une controverse de foi, mais un jugement provisoire, et sans infaillibilité ; et Bossuet lui-même a usé de ce droit dans son diocèse. Or l’archevêque de Slrigonie n’entendait pas juger autrement, puisqu’il* soumettait au Siège apostolique sa déclaration, son décret », il n’osait même pas employer pour lui-même le mot de

« jugement », peut-être de peur qu’un ignorant ne

prit le mot dans son sens absolu et délinitif. Ouest donc la contradiction » entre le mot so/am et la conduite du prélat ?

Mais le précieux ûlon que les gallicans croj’aient avoir trouvé dans ce mot pouvait s’exploiter dans une autre direction, et ils n’y manquèrent pas. —

« Vous dites : Ad solam (Sedeni aposloticarn) spécial

de contros’ersiis fidei judicare. Et le concile œcuménique, qu’en faites-vous ? Par ce solam, vous excluez sa judicature et son infaillibilité. » C’est pourquoi Le Teliier appelait cette proposition hérétique, o}. tout au moins erronée. Il eût été facile au primai de Hongrie de se disculper. Dans sa phrase, en effet, il ne comparait nullement le Pape avec le concile, dont il n’était pas question dans le contexte, il comparait un siège épiscopal avec un autre. Lui, par exemple, évêque de Strigonie, ne pouvait rendre qu’un décret provisoire et sans infaillibilité : seul, l’évêque de Rome était infaillible dans ses décrets. Il ne pensait pas au concile œcuménique, qui est chose plutôt rare ; et il pouvait conjecturer qu’un jugement de Rome ex cathedra, pour condamner la doctrine des quatre articles, ne tarderait guère à se produire : c’est donc là qu’il se tournait naturellement. Voilà, sur la phrase en question, l’exégèse du bon sens ; mais la passion lit suivre le conseil de Le Teliier, et chercher avidement l’exégèse de la chicane.

Le parlement, sur l’ordre du roi, enjoignit à la Faculté de théologie d’examiner et de censurer la phrase. Mais, pour aboutir à cette censure, il fallut aux docteurs plusieurs mois de délibérations elquarante-cinrj séances. Dan ?, ces longs retards, quiexcitèrent les plaintes du procureur général, nous avons un nouvel exemple de la résistance de la Sorbonne. GÉRiN, p. 4^o, sq. La réponse de la Faculté, même avec les corrections ajoutées de la main do Harlay, ne contient aucune concession à la doctrine de la Déclaration. Il n’y est pas même question de l’archevêque de Strigonie ni de son décret contre les quatre articles, c Le parlement, y est-il dit, a consulté la Faculté et lui a demandé sur une certaine proposition un jugement doctrinal. Ayant fait des réserves expresses pour a sauvegarder les droits du Pontife romain », la Sorbonne ajoute : « La proposition envoyée par le parlement est ainsi conçue : Ad solam Sedem apostolicam divino immutabili privilégia spécial de controversiis fidei judicare. Après un examen très attentif et les réserves faites ci-dessus, voici l’avis de la Faculté : Cette proposition, pour autant qu’elle refuse aux Evêques et aux Conciles même généraux le pouvoir de juger les controverses de foi, qu’ils tiennent du Christ, est téméraire, erronée, contraire à la pratique de l’Eglise et à la parolede Dieu, et renouvelle une doctrine déjà réprouvée par la Faculté. » d’Arokntré, t. III, part, i, p. 147. Telle que l’avait présentée le parlement, c’est à-dire arrachée à son contexte, la phrase pouvait en effet recevoir ce sens attentatoire au droit de juger qu’ont les évêques assemblés avec le Pape en concile général, et, pour autant, être regardée comme erronée. Seulement, ce n’était pas le sens de l’auteur, dont la Sorbonne du reste ne disait rien et n’avait rien à dire. Mais le parlement se donna la satisfaction d’insérer dans son arrêt subséquent le nom de l’archevêque de Strigonie, et d’ordonner, sous des peines sévères, la destruction de tous les exemplaires de son « libelle en forme de censure », et de même pour un autre « libelle » qui était une réfutation des quatre articles par un professeur de l’université de Louvain (d’Argbntré, p.14g). Notons ici l’inexactitude deFÉRET, affirmant que dans cette circonstance c( la Faculté soutint formellement la doctrine de la Déclaration ». Quant à l’autre document qu’il signale en 1682 (la censure portée par la Sorbonne contre le dominicain Malaoola), il n’y était question que de l’indépendance du roi à l’égard du Pape pour son temporel, c’est-à-dire du gallicanisme politique, qui ne nous regarde pas ici, et qui régnait depuis longtemps en Sorbonne.

3. Fermeté des Papes. Le roi, en 16g3, retire son édit de 1682, qui imposait l’enseignement des quatre articles. — Esprit nouveau, qui se montre surtout a) dans l’affaire de Fénelon à Rome ; et b) à l’occasion delà bulle Vineam contre le jansénisme.

Innocent XI, sans prononcer de sentence contre la Déclaration, refusa d’accepter comme évêques deux députés de second ordre qui l’avaient signée : sur quoi notre ambassadeur à Rome lit savoir que les autres évêques nommés ne pourraient demander au Pape leur institution canonique, tant que ces deux autres candidatures n’auraient pas été agréées par lui. Sans faiblir, le Pape maintint son droit de refuser, que le Concordat lui reconnaissait d’ailleurs ; et l’on ne peut raisonnablement s’en prendre à lui de ce qu’en 1688 déjà 35 évêchés étaient vacants, ou gouvernés par des évêques nommés, qui pour cela se faisaient élire grands-vicaires et ne pouvaient recevoir la consécration épiscopale.

Alexandre VllI, élu l’année suivante, signala son court pontificat par une Constitution qu’à son lit de mort il promulgua : elle déclarait nuls et sans force, non seulement les quatre articles et tous les actes de l’assemblée, mais encore les arrêts et édits conflrmalifs faits par une puissance quelconque ; personne n’était tenu d’y obéir (D. H., 13a6). Sachant à quel point les évêques de France dépendaient alors du roi, le Pape ne voyait pas de solution pratique si on ne les dégageait de l’édit royal.

Enlin, sous Innocent XII, le roi chercha sérieusement une entente. Le Pape, sans vouloir « condamner la doctrine de France », tenait essentiellement à « abolir l’acte » anticanonique par lequel l’assemblée de 1682 avait si audacieusement dépassé ses pouvoirs, et à délivrer les docteurs et professeurs en théologiede l’obligation qu’on leur imposaitde signer et d’enseigner les quatre articles. Malgré l’avis de ses conseillers, le roi commença par permettre à ceux des évêques nommés qui n’y avaient pris aucune part, de solliciter à Rome leur institution canonique. Q)ianl aux autres, après bien des pourparlers,

« Louis XIV, toujours plus sage et plus loyal que ses

conseillers, céda enfin », dit Gérin (Hecherches, pp. 489, 490). Le 14 septembre 1698, chacun de ces évêques nommés dut écrire au Pape une lettre dont les termes avaient été convenus d’avance, regrettant vivement sa coopération à l’acte de l’assemblée déclarant « qu’il tenait et qu’on devait tenir pour non avenu (pro non décréta) tout ce qui avait pu passer. pour un décret sur la puissance ecclésiastique et 1479

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l’autorité pontiOcale ». Le même jour, le roi écrivait au Pape : « J’ai donné les ordres nécessaires pour que les clioses contenues dans mon édit du 22 mars 1682 touchant la Déclaration faite par le 'Clergé de France, à quoi les conjonctures passées m’avaient obligé, ne fussent pas observées. » « Cette letlre du Roi Louis XIV au Pape Innocent XII, dilD’AouBssEAU, fut le sceau de l’accommodement entre la cour de Rome et le Clergé de France ; et, conformément à l’engagement qu’elle contenait, Sa Majesté ne fit plus observer l'édit du mois de mars iôSî, qui obligeait tous ceux qui voulaient parvenir aux grades de soutenir la Déclaration…, S. M. cessant d’imposer à cet égard l’obligation comme pendant le temps de l’exécution de cet cdit, et laissant au reste, comme avant cet édit, toute liberté de soutenir cette doctrine. » Œuvres, t. XllI, p. ^23.

La liberté désormais laissée sur ce point explique la conduite de Louis XIV et du haut clergé français en face des jugements doctrinaux des Papes, pendant les vingt dernières années ilu règne. Cet esprit nouveau, qui n’est pas d’ailleurs chez les gallicans modérés un pur abandon de leur doctrine (cf. G.lliCANisME, col. 22g, 230), apparail surtout à l’occasion de deux jugements deRome. celui d’Innocent XII sur Fénelon, et celui de Clément XI sur le jansénisme (Bulle Vineam Domiiii).

a) Jugement pontifical d’Innocent XII sur le livre de Fénelon.

En l(>y7, Fr.NKtoN unnonce au Pape l’envoi d’une traduction latine de ses Maximes des Saints, et ajoute : J’ai cru qu’il fidhiit, en mftrr|uant le juste milieu, séparer le vrai lin faux… Ue savoir si j’ai réussi ou non, c’est à vous, Très Saint Père, à en juger, et c’est à moi à écouter avec respect, conjine vivant et p : trlant en vous, saint i’ierre dont la foi ne manquera j.*nia’s… Je me suis proposé en tout p.>ur modèle 1rs décrets solennels par lesquels le SaintSiège îi condamné les fiS propositions de Michel de Molino8. Fondé sur un tel oracle, j’ai osé élever ma vois. Œuvres^ éd. I.eroux-Gaume, p. 142.

C'était aflirmer en termes clairs la suprême autorité, même doctrinale, et l’infaillibilité du pontife. Or cette lettre, avant d'être envoyée, avait été montrée à l’archevêque de Paris, Noailles, qui l’approuva, età Louis XIV, qui en permit l’envoi. //>., p. 140. « Le Roi trouva bon, quoique ce fiit une espèce de plaie aux libertés de l’Eglise gallicane, remarque d'.Vguesseau, qu’une affaire née dans le royaume n’y fût pas décidée avant d'être portée à Rome. » C'était en etl’et un principe gallican qu’on ne pouvait recourir à Rome qu’après un jugement canonique en France, lequel dans le cas de Fénelon n’avait pas eu lieu. Cf. Griveau, Etude sur la condamnation du livre des Maximes des Saints, 1878, t. I, pp. 66, ^2, j’j.

Les essais de conciliation, favorisés par le désir et les sages lenteurs du Pape, ne purent aboutir, soit trop grandes exigences de Bossuet, soit obstination de Fénelon à éviter toute ombre de rétractation en dehors du jugement de Rome. Le 16 août 1697, dans son nouveau etdéCnitif recours an St-Siège, Fénelon écrivait aunonce : " Je suis prêt à condamner toute doctrine et tout écrit que le Saint-Père condamnera, .'i’il condamnait mon propre livre, je serais le premier, à souscrire sans réserve ni équivoque à sa condamnation. i> Œuires, t. IX, p. 192. C'était reconnaître l’infaillibilité du Pape, quand il juge non seulement les doctrines, mais encore les faits connexes avec la doctrine : formules, expressions, écrits. Jh., p. 198.

Ainsi forcé providentiellement de recourir lui aussi au jugement du Pape, Bossuet réagit contre ses théories de 1682 et de la Defensio Declarationis,

déjà rédigé^alurs. En 1698, il écrit du palais de Versailles au cardinal Spada, ministre du Pape :

« Loin de nous la prétention d’instruire l’Eglise chargée

d rnseigiier les Eglises tuagistrain Ecctesiaruin) : nous désirons qu’elle nous instruise, n Et le pliant <ie mettre son livre aux pieds de Sa Sainteté : « C’est à la chaire de Pierre, ajuute-t-il, que nous devouB apporter tout ce que nous écrivons : à elle de nous stimuler si nous sommes dausia bonne voie, ou de nous corriger si nous sommes tant soit peu dans l’erreur.)iCfe' « f/ es, éd. Lâchât, t. XXIX, p. 321. Doutant de la pleine soumission de Kénelon au jugement de Rome, il écrit en fram^ais au cardinal d’Aguirre ;

« Il a affaire à un roi qui saura bien faire obéir à Sa.Sainteté, et tout l'épiscopat est bien réuni dans cetle soumission… Nous reconnaissons dans la chaire de S. Pierre le

dépôt inviolable de la foi, et la source primitive et invariable des tradition » chrétiennes. » Ihid, , p. 373.

Plus tard, il est vrai, quand à Rome on prend son temps pour examiner et juger, quand on y est mécontent de voir que Louis XIV, sans attendre le jugement, retire à Fénelon et à ses amis leurs charges à la cour, l’archevêque de Paris écrit à l’abbé Bossuet à Rome :

({ Il est bon de commencer à changer de ton, et à faire un peu de peur de ce que les évoque » de France pourriiient faire, si on recule trop… Nous serons obligés déjuger s’ils nejugent point. Faites-le un peu envisager au.x gens sages du pays. » Ib., p. 48â ; cf. 53.^.

Mais ces menaces sont moins le fait du grand Bossuet que de Noailles, qui, en guise de prélude à leur accomplissement, fait signer par des docteiirs de S’irbonne une censure de 12 propositions extraites du livre des Maximes des Saints, puis, voyant le mauvais effet produit à Rome par cet acte, s’en tire par des explicationsdonnées à Paris au nonce a qui prend toutdu bon côté », dit Bossuet. Lâchât, t. XXX, p. 67 sq. ; et les 12 propp., p.61, sq.

Enlin le jugement définitif de Rome est accueilli par une soumission universelle, comme l'écrit Bossuet à son neveu : « Vous pouvez assurer le Pape et les cardinaux que le bref est estimé, applaudi, reçu avec joie par le roi, par les évêques et par tout Paris et toute la cour. » Il note la soumission de Fénelon et de ses amis, les ducs de Beauvilliers et de Chevreuse :

« Nous avons nouvelle qu’il a appris sa condamnation

le 25 (mars 1699), deux heures avant le sermon qu’il devait faire, et qu’il a tourné son sermon, sans rien spéc.fier, sur la soumission aveugle qui était due aux supérieurs et aux oidres de 1. » Providence. J’ai été chez AI. de Beauvil’iers me réjouir avec lui de sa soumission.., Jamais décision du Saint-Siège n’a été reçue avec plus de soumission et de joie. M. de Beauvilliers et M. de Chevr’Mise ont envoyé leur livre des Maximes à M, de Paris, et tout 'e monde les imite, sans attendre que le bref soit publié dans les formes. Cette décision tournera i^ l’honneur du Saint-Siège… Je ne veux non [dus vaincre que trtomplser ; et l’un et l’autre n’appartient qu'à la vérité et à la chaire de saint Pierre. » /i., pp. 3^6, 318 ; cf. le mandement ^ de Bossuet pour l’acceptation du bref.

On peut remarquer que Bossuet lui-même, aux endroits cités, abandonne sa distinction entre le fl Saint-Siège » et « le Pape » pour les jugements doctrinaux, et nomme indifféremment l’un ou l’autre.

b) Jugement de Clément.17 sur les jansénistes et leur « silence respectueux ».

En 1705, en face des menées jansénistes. Clément XI, par la bulle Vineam Domini, renouvela les jugements doctrinaux de ses prédécesseurs sur les cinq propositions de Jansénius et la « question de fait ii, exigea de nouveau la profession de foi, 1481

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réprouva cette nouvelle Uiéorie qu’il suflisait de garder un a silence respectueux » sur ces jug-erænts doctrinaux sans y soumettre son esprit, et qu’on pouvait signer la profession de foi sans y croire. Aussitôt une lettre du roi communique la bulle à l’assenililée du Clergé, alors réunie à Paris, » pour la recevoir el faire recevoir d’une manière uniforme » dans tous les <liocéses du royaume. Le cardinal de Noailles, président, prend les avis et conclut « que l’assemblée accepte et reçoit avec respect, soumission et unanimité parfaite la constitution de N.S.P. (élément XI ». Des lettres sont adressées par l’assemblée au Pape pour le remercier, au roi pour le prier d’ordonner l’enregistrement par le parlement, à tous les évèqjics du royaume pour les prier de faire des mandements sur la bulle « uniformes autant qu’il se pourra », sans « rien ajouter ni diminuer à la constitution ».

Dans le modèle de « mandement unifoi-me » rédigé p.^r l’arclievéqne Colbeit, il est dit : « Pieiie n parlé par la bouche de son digne successeur ; celui qui doit afl’eimir la foi de ses frères a rejelé toutes les nnuTeantés profanes qui pouvaient altérer la vérité et ti-oabler la paix… A CCS causes… nous déduirons par notre présente ordonnance que nous nous conformons au jut^oment que les évêques assemVjlés ont déjà porté, que nous acceptons comme eux avec respect et soumission la constitution du Saint-Siège, et, en nons renfermant ahsolument à leur exemple dans la décision qu’elle contient, nous déclarons qu’on ne satisfaitpoinl [tar le silence respectueux à l’obéissance qui est due aux constitutions des Souverains Pontifes Innocent X et Alexandre VI ! , qu’il faut s’y soumettre intérieurement, rejeter non seulement de bouche raoi> même de coeur et condamner couime hérétique le sens du livre de.lansénius, condamné dans les cinq propositions. » Recueil des actes^ titres et mémoires du Cierge de France^ divisé en douze tomes et mis en nouvel ordre, suivant la délibération de l’assemblée du Clergé de 1705 ; Paris, 1768, t. I, p. 380, sq.

On remarquera l’allusion aux textes scripturaires et traditionnels qui prouvent l’infaillibilité du Pape, l’identification entre le « Saint-Siège » et le Pape régnant, la soumission que l’on professe envers ses jugements doctrinaux, <i sans rien y ajouter ni diminuer » et « en se renfermant absolument dans leur décision », rejetant « de bouche et de cœur » l’erreur qu’ils condamnent ; enfin les bonnes dispositions du roi, qui poussait le clergé vers Rome, et qui veilla à l’enregistrement par le parlement et à l’exécution.

Toutefois, en lisant le procès- verbal de cette assemblée, on s’étonne de voir que l’archevêque de Rouen, Colbert, chef de la commission et rapporteur, avait dit :

La commission a établi pour maxime : ^ que les évêques ont droit, par institulion divine, de juger des matières de doctrine ; 2" que les constitutions des Papes obligent toute l’Eglise lorsqu’elles ont l’-lé acceptées par le corps des p ; tsteuis ; ’i" que cette aeceplati.’n de la part des évêques se fait toujours par voie de jugement. — El l’on a’éîonne encore plus de lire que l’jissemblée a a)iprouvé uManimcment les nmximes établies par measeigneurs les commissaires sur le droit des évêques. Hecueil cité. pp. 382, 383.

Dan ? une soumission au Pape, qui paraît si complète, que vient faire cette déclaration du droit des évêques ? — De plus, le modèle de niandementrédigé par Colbert pour tous les évêques de France débute ainsi :

a Nous avons vu avec une véiitable douleur les efforts que des esprits inquiets ont faits… pour affaiblir l’autorité des constitutions des Souverains Pontifes, qui doivent, après l’acceptation solennelle que le corps des pasteurs en Q faite, être regardée » comme le jugement et la loi de toute l’Eglise. » Ib., p. 403.

Ne semble-t-on pas insinuer que la solennité de l’acceptation par les évêques est une condition d’infaillibilité pour une délinition du Pape ? Ce serait dépasser l’assemblée de i(182, qui n’a point parlé d’acceptation solennelle el se contentait, en bien des cas, d’un consentement tacite. Jager, iJisl. de l’J^gl. caihul. en France, t. XVU, p. 453. — Le Pape se plaignit dans un bref à Louis XIV. 10., p. l^blf, l, bb. — Cf. Gallicanisme, col. a30.

Fénelon, oubliant ses griefs contre Noailles, président de cette assemblée, s’interposa oflicieusement en 1707 pour réconcilier ces évêques avec le Pape, dans l’intérêt de la paix. Ce qui lui donnait à Rome de l’autorité pour plaider leur cause, c’est qu’il tenait au fond pour l’infaillibilité pontificale, comme on le savait ; toutefois, il ne voulait pas l’imposer comme un dogme, et il s’en explique dans une lettre de cette année 1709 au cardinal Fabroni : Le point actuel avec les jansénistes, y disait-il, c’est l’infaillibilité de l’Eglise sur la question même « de fait », et par suite l’obligation de croire à sa définition sur le fait de Jansénius, sans se borner au silence respectueux. Or, si on leur présente l’infaillibilité, non pas de l’Eglise envisagée sous un concept plus indéterminé, mais de l’Eglise romaine, c’est-à-dire du Pape considéré sans les évêques, on les mettra en fureur, et on leur donnera l’occasion qu’ils cherchent de sortir de la vraie question pour se jeter dans une autre, controversée parmi les catholiques eux-mêmes et embarrassée d’arguties. Quant à lui, ajoute-t-il, pour attaché qu’il soit à cette infaillibilité du Pape, il évite d’en parler aux jansénistes et aux protestants. Fknelon, Œuvres, t. II, pp. 60-63. On ne peut qu’approuver cette méthode de polémique. — Rappelant ces principes de la lettre à Fabroni, Fénelon s’adresse à un autre cardinal, Gabrielli, pour dire librement ce qu’il pense des procédés de l’assemblée de ijoô.

Il reconnaît que ces évêques ont bien moins appuyé sur l’autorité du Saint-Siège que leurs devanciers du milieu du XVU* siècle, quand ils reçurent la constiluiion d Innocent X en attestant « ([ue tous les chrétiens sont tenus de donner ni-e obéissance de jugement, tpsius n : ejitis ubsequium, aux décisions doctrinales du Souverain Pontife. C’est dans cet esprit et dans cette foi, concluaient-ils, que nous-mêmes procédons i la promulgation de votre constitution, faite i>ar une inspiration de Dieu, dli’ini Numinis iiistiuetii. Il n’y a pas à discuter ; la seule lecture de la bulle pontificale trnnelie par elle-même toute la question » (cf. h’Akcentré, t. III, part. 2, p. 276 sq).

« Chez les évêques d’aujourd’hui, ajoute Fénelon, ]>lusieurs

n’en sont plus là : soit désir de miner peu a peu ces principes de leurs devanciers (c’est ainsi que le vulgaire les juge), soit simple manque de fermeté eu face des nouveautés (1 : est ainsi que nous les jugerons avec plus de douceur), ils veulent que la bulle ne suffise point par elle-même à définir que le texte de Jansénius est hérétique, mais que cela dépende aussi de l’évidence personnelle… Cotte restriction à sa promulgatioîi, ils voulaient l’insérer dans leurs actes, mais le roi s’y est opposé. De là leur mauvaise grâce à recevoir et à louer la bulle ; de là ces maximes sur te droit Lies ivéïjiies. qu’ils ont fait venir bien à contretemps. Quelle que suit d’ailleurs leur opinion sur l’infaillibilité du Pape, et quand même ils suivraient avec nos gallicans extrêmes l’opinion de Gerson sur l’appel au futur concile, (lerson lui-même n’eut pas permis à<4uelques évêques de s’érigor en juges de ce qui a été jugé par le Pape avec la prétention d’annuler son jugemint ; Gerson lui-même admettait que la sentence du Saint-Siège reste au-dessus de tout, tant que le concile général n’a pas prononcé, et ne laisserait à res évêques que deux alternatives ou juger, mais dans le sens de la définition pontificale, ou en appeler modestement au coneile, mais comme des parties, non comme des juges. » > Œuvres, t. ii, p. 63.

Quant aux maximes vagues qu’ils ont glissécB sur 1483

PAPAUTE

1484

le droit des évéques à juger en matière de doctrine, on peut les entendre dans un bon sens (cf. / Tim., VI, ao, 21), pourvu qu’avec leurs devanciers du temps d’Innocent X ou les entende d’un jug ; ement provisoire, » en première instance », soit avant tout jugement de la question par le Pape, soil après un document pontilical sur lequel les novateurs suscitent de nouvelles querelles qu’il est nécessaire d’apaiser sans attendre l’intervention ultérieure du Saint-Siège. Ce deuxième cas fait plus de dilliculté ; par la décision pontificale, dira-t-on, la cause était finie ; de quel front un évêque vient-il encore la discuter et la juger ? — Sans doute, répond Fénelon, il n’est permis à aucun évêque catholique de remettre en question ce jugement du Saint-Siège, de discuter s’il faut le corriger, ou même le rejeter. Mais ne tirez pas de là cette assertion trop générale, que jamais des évêques ne peuvent juger après le Pape. Supposez que, dans un concile œcuménique, le Pape, arec la grande majorité des évoques si vous voulez, ait défini une question de foi, et que le reste des évêques n’ait pas encore donné son suffrage :

« Certes ils ne peuvent s'écai lei- de re qui déjà est jugé, 

ce serait un schisme, une hérésie évidente… lU d<>ivent soumettre leur eiprit comme les derniers des laïques… Et pourtant, d’a)>tès l’antique usa^e des concile" », ils se serviront de la même formule que les autres : Defin’cus êitbscripsi. n Ils prononceront avec eux une définition commune, UD même jugement.

Fénelon cite encore la formule de plusieurs conciles où les évêques sont dits approuver le jugement du Pape, sacro approhanle concilio. Telle est surtout à Cbalcédoine l’approbation ou confirmation donnée par les évêques à la définition de foi envoyée par saint Léon. Ils n’entendaient point par là nier la force obligatoire ou l’infaillibilité du document par lui-même, ni juger le Pape, mais condamner les erreurs avec lui et à sa suite. Pourquoi donc blàmerait-on nos évêques « de s'être attribué un jugement pour ainsi dire approbatif ou confit matif de la définition pontificale ? » Ibid., pp. 66-68.

On pourrait dire ici à l’archevêque de Cambrai : Autre est le cas d’un concile général où les évêques sont essentiellement appelés à participer au jugement suprême et à définir avec le Pape, — autre le cas d’une définition ex cathedra reçue par des évêques qui ne sont pas réunis en concile général. Dans le second cas, n'étant pas appelés à juger, il doit leur suflire de se soumettre. Mais Fénelon ne nie pas cette différence : au sujet des évêques de 1706, il plaide, non la nécessité essentielle et absolue, mais seulement la convenance qu’ils eussent un jugement après le Pape et avec le Pape : n Aoniie decel, etc. » El, de fait, il était convenable, grâce à des circonstances extrinsèques et toutes particulières au temps et au pays, que le jugement du Pape, bien que suffisant en lui-même, fût accompagné du jugement de quelques évéques, censés rciirésenter l'épiscopat fiançais. Les jansénistes de France, alors ultra-gallicans, et nombre d’esprits plus oji’moins égarés par eux et qu’on pouvait espérer de ramener, n'étaient nullement touchés par la seule définition du Pape, bien au contraire : voir la lettre à Fabroni. Pour promulgvier efficacement le jugement de Rome, il était donc sage, de la part de ces évêques, d’y unir leur propre jugement, si faible qu’il fût en réalité ; et leur cas particulier ne tirait pas à conséquence pour les définitions pontificales en général. Le plaidoyer de Fénelon pour eux ouvrait donc une voie raisonnable et permettait de les interpréter dans un bon sens, quelles qu’eussent été les intentions et les mauvaises dispositions de plusieurs d’entre eux.

— Nous avons tenu à analyser sa remarquable lettre, comme offrant une explication utile pour concilier l’infaillibilité du Pape avec le jugement des évêques a ant ou même après lui, et parce que cette lettre a été souvent mal comprise, à cause de la difficulté de sa matière et de l oubli de son cadre historique. (Jue Home ait tenu compte des suggestionsde Fénelon, nous le verrons par l’accommodement conclu en 1710 entre le Pape et les évêques de l’assemblée de 1705, autre fait bien significatif mais peu remarqué, qu’il nous faut encore signaler.

Sous l’influence du roi, les principaux prélats de cette assemblée, Noailles, Colberl, avec cinq autres archevêques et cinq évêques, signèrent eu 1710 un document explicatif que l’on trouve à la suite du procès-verbal de i 706, ainsi conçu :

Les novateurs, qui abusent de tout, pouvant abuser de quelques expressions du procès-verbal de l’Assemblée de 1705, an sujet de 1 acceptation de la Constitution du Pape ( Vineam Domini], il est à propos, pour prévenir leur mauvaise interprétation, d’expliquer la véritable intention de cette Assemblée ; ainsi nous, comme ayant eu part à toutes ses délibérations, et témoins de tout ce qui s’y est passé, déclarons : 1 » Qu’elle a prétendu recevoir cette constitution dans la même forme et dans les même maximes que les autres Bulles contre le livi-e de Jansénius ont été reçues.

— 2" Que, quand elle a dit que les constitutions des Papes obligent toute l’Eglise, lorsqu’elles ont été acceptées par le corps de> Pasteurs, elle n’a point voulu établir qu’il soit nécessaire que l’acceptation du corps des Pasteurs soh solennelle, poui- que de sembloblis tonstitutions du St-Siège soient des règles du sentiment des fidèles. -— ."î" Qu’elle était très persuadée qu’il ne manque aux Constitutions contre Jansénius aucun-- des conditions nécessaires pour obliger toute l’Eglise, et nous croyons qu’elle aurait eu le même sentiment sur les Bulles contre Baïus, contre Molinos, el contre le livre de M. l’Archevêque de Cambrai, intitulé Maximes des Saints, s’il en eût été fait mention. —, 'i' Qu’enfin elle n’a point prétendu que les Assemblées du. Clergé avaient droit d’exnminer les jugements dogmatiques des Papes, pour s’en rendre les juges et s'élever un tribunal supérieur. Kait à Paris le 10' de mars 1710. a Suivent les douze signatures. Durand de Maili.aise, Les libertés de l’Eglise gallicane, etc., 1771, t. IV, p. 82.

Le ag juin 171 1, le cardinal de Noailles écrivit au Pape dans le même sens. Citons le passage suivant :

i( J’atteste que… lorsque le clergé a dit que les constitutions des Souverains Pontifes, acceptées par le corps de » pasteurs, obligeaient toute 1 Eglise, il n a pas entendu que la solennité de cette acceptation fût une condition nécessaire pour que ces décrets dussent être regardés par tous les catholiques comme de » règles de leur croyance et de leur langage, malgré les grands avantages qui résultent quelquefois de cette solennité dans les lieux où l’erreur est née ; mais il a cru utile de forcer les jansénistes dans leurs derniers retranchements et de leur fermer tous les faux- fuyants, en employant une maxime reconnue par eux comme un principe… Le clergé regarde comme une vérité certaine.. que. relativement b ces décrets (contre Jansénius), on ne peut admettre ni appel ni espérance de changement. »

Clément XI se déclara pleinement satisfait de ces explications, et remercia Loui ? XIV du zèle avec lequel il les avait provoquées. Jagkr, Hist. de IT.gl. cath. en Fr., t. XVII, p. 469. — Ainsi, parmi les évêques français de cette époque, les uns étaient parti-, sans de l’infaillibilité pontificale, les autres, plus nombreux, ou bien se renfermaient volontiers dans un gallicanisme modéré ou du moins étaient forcés de s’y renfermer. La situation allait devenir plus critique après l’apparition de la Bulle Unigeniliis ; Noailles allait tourner à la révolte, sous l’influence de son grand vicaire et de son mauvais génie, l’abbé Boileau, et d’autres jansénistes de son entourage. 1485

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1486

4= Epoque : La crise aiguë des « appelants » et des parlements de Louis XV, avec ses conséquences jusqu’au concile du Vatican.

Niius examinerons : J. la i)reniière Intle contre la bulle L’nigeriiliis, avec dnnger, pour l’épiscopiil français, (l’un schisme avec Rome ; /i. l’usurpalion des droits épiscopaux et royaux par le parlement de Paris, devenu chef du jansénisme et de l’ultragallicanisme (à partir de 1 780) ; C. l’écho, à l’étranger, des maximes parlementaires et de la crise ultra-gallicane, et par suite, diminution des défenseurs de l’infaillibilité dans le monde catholique ; /). les conséquences de la ii ; rme crise en France, après Louis XV ; E. les progrès de la doctrine infaillibilisle dès le début du pontilicat de Pie IX ; F. le concile du Vatican.

A. La première lutte contre la bulle Unigenitus,

arec dani ; pr, pour l’épiscopal français, d’un scliisme arec Hume. — Nous doimerons : 1° Le résumé des faits ; 2° l’idée de l’infaillibilité dans cette lutte.

i" Résumé des faits. — Quanta la composition du livre du janséniste Quksnul : Réflexions morales sur le A’. Testament, et à l’accueil varié qu’il reçut d’aborii, voir Jansknismk, col. 1173, 117^. L’ouvrage contenait, sous des formes habiles et onclueuses, non seulement le baïanisme et le jansénisme, mais encore cet ultra-gallicanisme dérivant de llicher et dont nous avons signalé plus haut le fâcheux développement durant la seconde partie du xvu" siècle, surtout parmi les jansénistes militanls ; de là ces tendances schisnialiques auxquelles Bossuet avait opposé en 1682 son gallicanisme modéré ; voir art. cité, col. 1 176.

C’est Louis XIV lui-même qui sollicite directement une liulle de Clément XI sur le livre de Quesnel : la bulle l’nigenilus paraît en septembre 1713, après un an et demi d’examen de la cause à Home, loc. cit. — C’est encore le roi qui aussitôt groupe dan s une assemblée extraordinaire les prélats alors à la cour, et fait accepter absolument la bulle par une majorité de 40 de ces évcques contre 9, puis en 1714 par la Sorbonne et les autres Facultés de théologie du royaume. On espère gagner la minorité, déjà réduite à 8 ; ces quelques évêques servaient de centre de ralliement à tous les partisans de l’ultra-gallicanisme. La majorité entreprend auprès d’eux d’instantes démarches, continuées après la mort du roi, mais déjà plus difficiles et plus audacieusement déjouées ^ar les tristes ruses de Noailles, le principal des 8 opposants. Voir art. cité, col. 1177 1179.

Ainsi les modérés, avec le roi, continuaient à se rapprocher de Rome. Au contraire les extrémistes s’en écartaient de plus eu plus, et ce désaccord croissant ailait éclater en de graves événements, après la mort de Louis XIV, avec les évêques appelants et le danger d un schisme national.

Quatre de ces évêques opposants, en 1717, appelèrent de la bulle « au futur concile » : nous avons vu que ce genre d’appel était condamné à Rome, depuis le milieu du xvi* siècle au moins, comme a erroné et détestable » (D. B., 717). Ces u appelants » eurent liienlôt l’adhésion des principaux parlenienlaires et de beaucoup de laïques, d’environ deux mille prêtres et moines, et même de la Sorbonne, suivie par plusieurs autres facultés de théologie. La Sorbonne raya de ses registres son décret de 1714, par lequel elle avait accepté avec respect et soumission > labulle L’nigenilus. Pour toute raison, elle dit qu’elle avait enregistré, mais non accepté la bulle. Contre cette mauvaise foi et cette rébellion, plusieurs docteurs, comme le savant Toubnely, firent une opposition énergique ; mais le nombre

l’emporta et priva même ces opposants du droit d’assisler aux assemblées. Jageh, t. XVllJ, p. 7.

Comment cette célèbre Faculté de Paris, si ferme encore en 1682 contre l’anti-infaillibilisme relativement modéré de Uossuel, avait-elle pu en venir à de telles extrémités, 35 ans après ? C’est qu’aussitôt après 1682, ministres du roi et parlementaires comme Harlay s’étaient acharnés à l’épurer et à la domestiquer : par exemple, en faisant retirer le droit de vote dans les assemblées de Sorbonne aux plus sûrs défenseurs du Pape et de l’infaillibilité i>onti(icale, c’est-à-dire à ces docteurs depuis longtemps jalousés, qui appartenaient aux ordres religieux ; et quant aux autres défenseurs de la Papauté, en les menaçant et traquant individuellement de toutes manières, tan-I dis qu’on réservait les faveurs aux docteurs richéristes et qu’on prenait quehiu’un d’entre eux, le plus en main, pour l’imposer à la Sorbonne comme syndic, sanslaisser désormais son électionlibre.Unjour, comme on reprochait à un syndic ainsi imposé, Lrfèvre, d’avoir favorisé une cabale, sa réponse, conservée dans les Mémoires de l’abbé Leoendbe qui l’avait « fort connu », mérite d’être citée comme dépeignant la situation :

n Nous sommes plus à plaindre qu’h hlvnier. dît ingénument le syndir ; la Faculté a toujours été et soru toujours le jouet et 1 esclave des puissances qui la dobiincnt : de la cour, parce que d’un irait de plume elle peut casser tous nos privilèges ; du parlement, parce qu’il le.- ; restreint et les étend coinme il lui plaît ; et [irincipaleinent de l’archevêque (îe Paris, ptirce que la plupart de n^us ne vivant que de prêche, il peut, quand il lui plaira, nous Ater le pain delà main. » — « Quelle pitié, ajoute Legendre, qu’une conipasi-t ie d’ecclésiastiques, qui font serment fie soutenir la vérité jusqu’à refTusion du sang, changent, selon les temps, de maximes et de sentiments, en choses Uiéme les plus graves ! « Mémoires, Paris, ISGo, p. 229.

A l’époque où nous sommés arrivés, un archevêque de Paris ne manquait pas, pour entraîner à l’enoontrede leur conscience lesdocteursdeSorbonne et bien d’autres ecclésiastiques et la’iqucs : c’était Noailles. Appelant » lui-même, il tenait son appel secret, tout en se prêtant à des négociations avec les autres évêques, dupés toujours par sa mauvaise foi. En 1718, Clément XI fait condamner les appels par le SaintOiriee, puis, par son bref Pastoralis, expose à tous les Udèles les indignes procédés des chefs de la secte, et excommunie ceux qui refusent obéissance à la Bulle, « de quelque dignité qu’ils soient, même épiscopale, archiépiscopale ou cardinalice ». Aussitôt Noailles, publiquement cette fois, appelle de ces nouveaux actes pontilicaux, comme de la constitution Unigenitus, au futur concile, tandis que le parlement I)rocède contrôle brel Pastoralis, et demeure désormais constamment hostile aux acceptants et au Saint-Siège.

On peut voir à l’art. Jansknisme, col. 1179, comment le schisme, de plusen plus menaçant, fut évité, grâce aux innombrables démarchesde l’abbé Dubois, et à un accommodement obtenu enfin entre la majorité des évêques et Noailles, qui en 1720 accepta officiellement la constitution l’nigenitus, dont l’enregistrement comme loi du royaume fut eniin arrachée au parlement par les efforts du Régent et de Dubois ; et col. 1180, comment, après une nouvelle intrigue de l’archevêque de Paris, contre laquelle réclama Clément XI avant de mourir, après la nouvelle révolte d’un des premiers évêques appelants, celui de Senez, et sa condamnation et rélégation par le concile d’Embrun (1727) sous Benoit XIII, Noailles, peu avant sa mort (1729), publia un mandement de soumission au Pape. 1487

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2' L’Idée d’infaillibilité dans cette lutte. — l>es mandements de la majorité ]iour la bulle t’ni^'enitiis, un contemporain, Soardi, nous a transcrit de longs extraits, qui font voir l'étal des esprits. Peu d'évêques soutiennent ouvertement l’infaillibilité personnelle du Pape. La plupart, quelle que soit là-dessus leur pensée intime, prennent une position moins irritante pour les adversaires, et qui suffît contre eux.

M. Diî GoLONGUB, év. d’Apt, est des plus infaillibilistes. Dans un-mandement du ao décembre 1717, après avoir cité sur les prérogatives du Saint-Siège plusieurs témoignages bien capables d’impressionner des gallicans et donnés plus haut par nous, celui de Pierre d’Ailly admettant l’infaillibililé au nom de l’ancienne Sorbonne, celui de Marca, et la lettre des évêques de France à Innocent X sur les cinq propositions (voir col. 1436, 1454, 1455), il dit :

« Celte prérogative même (d'être le centre de l’unité) est

une pieiive authentique des deux j » récédentes…, savoir, d'être le juge et l’arbitre de toutes tes questions de doctrine qui 8 élèvent dans le monde clirétien, et d'èti-e toujours pure dans la foi… Toutes les E-.-'îises chrétiennes se font un devoir de porter au Satnt-Sièg"e toutes les nouTeautés en fait de dogme qui naissent dans leur sein ; et si ce trône de Pierre, qui est le centre de l’unité, venait à être infecté de quelque erreur, il n’y a pas de doute qu «  sa corruption se communiquerait aux antres ijui en dériTent et qui y Vont aboutir. On osera peut-être avancer ici que ces novateurs mettent une grande dill'érenre entre le Saint-Siège et celui qui l’occupe ; qu’ils protestent, dans tous leurs ouvrages, avoir un grand respect et une grande soumission j^our les décisions de cet auguste tribunal. qu’ils le reconnaissent infaillîtïle, tandis qu’ils condamnent d’erreur celui qui y est assis. Distinction abstraite, et inventée par 1*'S hérétiques pour éluder leur condamnation. distinction que saint Gyprien n’a jamais connue, juiisqu’i] prétend que ciiaque Eglise est dans son évéque, Ecclesia m episcopo… Distinction condamnée par saint Pierre Damien, qui disait au Pa[ »e ; Vous êtes vous-même ce Siège apostolique, vous êtes l’Eglise romaine : ce n’est pas à cette masse de pierres dont elle est formée, que j’ai recours, mais seulement à celui en qui réside toute l’autorité de cette méiue Eglise.)i Soaudi. Df suprema hiomani Pontificis auctorilair, etc., Avignon, 1717, t. I, p. 190.

Ecotitons maintenant d’autres évêques qui n’attaquent point cette distinction alors à la mode chez les novateurs, ni ne se posent en défenseurs de l’infaillibilité du Pape qui était odieuse à ceux-ci. — Ainsi FiiNELON, fidèle à sa méthode, dans une instruction pastorale du 29 juin 1714, Qui fut très appréciée à Rome, se contente de tourner contre les exigences extrêmes du parti quesnelliste les documents de la tradition pour l’infaillibilité ; telle la formule du Pape HoRMisD.^s ; telle aussi la condamnation du pélagianisme par les Papes, si applaudie par saint Augustin :

« On a envoyé, dit saint Augustin, au Siège apostolique les

actes de deux conciles particuliers d’Afrique sur cette cause. // est venu des rescrits de Rome. La cause est finie. Plaise à Dieu que l’erreur finisse aussi. » Rien n’est plus clair… Avant les rescrits qui viennent de Rome, les deux conciles d’Afrique ne finissaient point la cause ; mais elle fut finie dès que les rescrits de Rome furent venus. Représentons-nous maintenant saint Augustin comme s’il vivait encore au milieu de nous ; supposons qu’il parle à ses faux disciples, comme il parlait aux pélagîens. {( Rome, G lui dit le P. Quesnel, a frappé d’un seul coup cent et

« une vérités (ses 101 propositions) dont plusieurs sont
« essentielles à la religion ; j’offre de le démontrer » 

(/// mrmoire^ Avertissl., p. 13). Taisez-vous, lui répond le Saint Docteur, la cause est finie] pourquoi l’erreur ne l’esl-elle pas aussi ?,.. Si le P. Quesnel soutient encore que les pro|)ositiot18 cond ; ininées sont mot pour mol de saint Augustin et que c’est le censurer lui-même que de flétrir ces propositinns (Ibid., p. 71, '74), le saint Docteur… confondra ainsi ces téméraires écrivains ; O vous qui vous vantez faussement de suivre ma doctrine, apprenez de moi

que je n’en ai point d’autre que celle de l’Eglise. Taisezvous, la cause est finie. Luther et Calvin se sont vantés comme vous de réi'éler mot pour mot ce que j’ai enseigné. C’est le langatje de tous les novateurs. Comment n’abuseraient-ils pas de mon texte, ceux qui abusent avec tant d’artifice de celui des Saintes Ecritures ?.. » : Enfin si le parti crie, comme les pélagiens, qu’on n’a a-^semhlé aucun concile général, que répondra saint Augustin ? « Quoi donc ?

« a-t-on besoin d’assembler un concile, poiir condamner

(( un--" doctrine évidemment pernicieuse ? Comme si aucune (( hérésie n’avait été condamnée sans un concile assem(( blé ! Ne voit-on pas, au contraire, qu’il y a eu très peu fl d’hérésies pour lesquelles on se soit trouvé dans une (( telle nécessité? » [Centra duas eptsi, Pelag. ^Vw. IV, n. 34.)Fknei.ok, Œuvres, t. V, p. 173, 17'i.

On trouve l'écho de cette belle Instiiiciion pastorale dans le mandement donné en fjiS par M. de Mailly, archevêque de Reims, qui fournil de nouA-elIes preuves de l’autorité doctrinale et de la pureté de la foi du Saint-Siège, tirées surtout de la tradition orientale, SoARDi, loc. cit., p. 21 3, 21 4 ; — dans le mandement (1722) du cardinal db Bissy, successeur de Bosstiet sur le siège de Meaux, Ihid., p. 185 ; — etc.

D’autres cniin, comme Languet, alors évêque de Soissons, ne craignaient pas de laisser de côté expressément l’infaillibilité du Pape, pour se retrancher dans l’indéfectibilité du Saint-Siège et sa pureté dans la foi. Cette position, qu’elle fîitjirise par conviction ou seulement orf hominem, était assez opportune dans les circonstances où l’on se trouvait. Ayant alTaire aux extrémistes du parti de Quesnel, qui en venaient par la passion à nier toute prérogative de Rome, c'était un gain de leur en faire admettre au moins quelqu’une, et de montrerqu’ils n'étaient pas raisonnables. D’autre part, après les dcCnitions réitérées de plusieurs Pontifes contre les erreurs jansénistes, quand on renouvelait ces erreurs comme le faisait en réalité Quesnel, ce qui était en jeu n'était plus l’infaillibilité personnelle d’un Pape isolé, c'était vraiment l’indéfectibilité même Un Saint-Siège dans la foi. A défendre celle-ci, on allait donc au plus pressé ; et l’on avait encore l’avantage d’alléguer pour elle des témoignages non suspects aux gallicans. C’est ce que fait Langiet dans son.Second avertissement aux appelants de son diocèse, en 1918.

« C)n s’efforce, dit-il, de vous détacher peu à peu

(de l’Eglise de Rome) par le moyen de ces libelles insolents qui, sous le nom de la cour de Rome », font de cette Eglise des peintures odieuses, qu’ils ont empruntées des calvinistes. Il n’est pas question ici, mes T. C. F., delà faillibilité ou infaillibilité du Pape. Je ne prétends nullement favoriser les sentiments des docteurs ultramontains… mais vous montrer ce que les auteurs les plus attachés à nos libertés, les plus déclarés contre les sentiments des ultramontains, ont reconnu comme des vérités constantes. »

Il cite trois témoins non suspects : 1° Le janséniste Nicole (-f- lôgS). — « Si le Pape, dit Nicole, était tombé dans quelque erreur touchant la foi (ce que le clergé de France suppose possible), s’ensuit-il qu’il pourrait arriver qu’on se séparât avec justice de la communion du Siège de Rome, et que l’Eglise de Rome pourrait devenir hérétique, comme les Eglises de Constantinople, d’Antioche, d’Alexandrie, le sont devenues ? liéponse : Non, la doctrine de ceux qui rejettent l’infailliliilité personnelle du Pape est que Dieu ne permettra jamais que le SaintSiège ou l’Eglise de Rome tombe dans aucune erreur qui lui fasse perdre la foi, et qui la fasse retrancher de la communion de l’Eglise. La raison en est que, l’Eglise devant toujours avoir un chef et n’en 1489

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pouvant avoir d’autre que le Saint-Siège et l’Eglise de Home, qui est le centre de l’unité, il s’ensuit que le Saint-Siège ne sera jamais dans un état qu’il ne puisse plus être reconnu pour cbef : c’est pourquoi l’on voit que, lorsqie Liliérius consentit à l’arianisnie, t'élix prit sa place, et l’Eglise de Home ne suivit point l’erreur de Libère. Ainsi, quoique la qualité du Pape n’empêche pas celui qui la possède de tomber dans l’erreur, elle empêche néanmoins cette sorte d’erreur qui entraînerait avec soi l’Eglise de Rome, et la ferait retrancher de la communion du reste du Corps, ce qui ne peutjamais arriver. » (Nicole ajoute : « C’est la doctrine du cardinal Cusan, de Gcrson et de ceux qui sont les moins suspects d'être trop favorables aux Papes. » Instructions tliéol. et moi-, sur le symbole, t. II, 10' inslr., ch. 7, De l’infaillibilité de l’Eglise. La 1" édit. est de 1 O71.) — 2= témoin, Bossurt. — Languet cite son sermon à l’assemblée de 1682, et conclut éloquemment au triomphe de la chaire de Pierre sur les appelants : « Vous passerez, malgré les appuis qui vous soutiennent, vous passerez, sans (|He cette Eglise éternelle soutire la moindre variation dans sa foi », etc. — 3' témoin, LAiiNOY(-f- 1678). — Il Dans une de ses lettres, où il combat l’opinion de Bellarrain sur l’infaillibilité des Papes, il reconnaît les justes prérogatives de l’Eglise de Rome et l’autorité perpétuelle de la chaire apostolique… ISl. de Launoy répond à chaque texte (des Pères cités par Bellarmin) qu’ils doivent être entendus non du Pape, mais de l’Eglise de Rome et du Siège Apostolique… Ces réponses de M. de Launoy ont été adoptées par plusieurs de ceux qui ont écrit après lui…, par exemple le P. (Noël) Alexandre et le Docteur Dupin. » ScARDi, loc. cit., p. lôosq.

Ces derniers mots de Languet éclairent l’origine de la fameuse distinction gallicane enlrele Papeeile SaintSiège : Launoy en est l’auteur. El c’est probablement à ce célèbre et téméraire docteur de Sorbonne que Bossuet l’avait empruntée, au moins pour un temps, dans sa discussion avec l'é^ôque de Tournai en 16H2. Voir col. 1^72.

Une remarque en terminant. Quand la plupart des évéques défenseurs de la Bulle laissent décote l’infaillibilité personnel le des Papes, pour ne pas efTarouclier les quesnellistes, et présentent comme règle de foi les décisions pontificales en tant que complétées ou promulguées par l’adhésion de l’Eglise ou « du corps des pasteurs », ils n’entendent pas cette adhésion comme un jugemenl positif et. e.iprès de chacun des évêques, ci font une très birge part au consentement tacite. Ainsi Kénelon, Ol’uires, t. V, p. 172.

Les mêmes principes se retrouvent dans d’autres documents jiastoraux du temps sur la Bulle Unigenitus, cités par Sovnni, Op. cit., p. 135, sq. — Ainsi Lakgukt dit que, d’après tous les théologiens de l’Eglise gallicane, « le Pape et le plus grand nombre des évêques ne peuvent dans aucun cas succomber à l’erreur ». — Le cardinal de Tencin, que « la décision de la pluralité des évêques unis au Chef de l’Eglise est une règle de foi ». — L'évêquede Bayonne, que « les promesses de J.-C.. sur lesquelles l’infaillibilité de l’Eglise est fondée, sont faites au nombre notoirement le plus grand, uni au Chef ». — L'évêque d’Angers, Poncet, « qu’un jugement dogmatique émané du Saint-Siège, accepté formellement ou t’tcitement par le plus grand nombre des évéques catholiques, devient un jugement irréformable ». — L’archevêque de Reims, Mailly, que c’est « le témoignage du /)Z » 5 ^/flïfrf nombre des évêques unis à leur Chef qui forme la véritable notoriété d’un jugement de l’Eglise ».

Cependant le parti qucsnelliste chicanait sur le

consentement purement tacite des évéques étrangers à la France. Espérant faire cesser la chicane, deux évêques de la majorité, le cardinal de lîissy et l'évêque de Nimes, entreprirent de constater s’il y avait consentement expri’s. A force de lettres, de recherches et de peines, ils constatèrent cette adhésion ((irmelle de tout l'épiscopat à la bulle, dans l’ouvrage qu’ils publièrenten i-ji, Témoign(igedel’Eglise universelle en faveur de la bulle i< l’tiigenilus » : Jagfr, t. XVIII, p. 36 sq. — Pour tout catholique <incére, consultant de bonne foi le témoignage de l’Eglise dispersée o>i magistère ordinaire de l’Eglise, le fait historique de ce témoignage était aussi clair que possible ; et à cette clarté de fait on n’avait pas le droit d’opposer une idée ou théorie personnelle, car l’infaillibilité de l’Eglise perdrait toute sa valeur pratique pour décider infailliblement les controverses de foi entre catholiques, et manquerait ainsi absolument la lin que Dieu lui a donnée, si l’on pouvait, une fois constaté le témoignage de l’Eglise universelle, faire prévaloir sur lui ses propres idées.

C’est ce que tenta pourtant Noailles, sous l’influence de la secte, dans une longue instruction pastorale du 1/1 janvier 171 9. le plus déplorable des écrits auxquels il ait attaché son nom. Il y récusait le témoignage des évêques étrangers à la France, sous prétexte que leur adhésion ne provenait que d’une croyance aveugle à l’infaillibilité du Pape. C'était subordonner le fait éclatant de leur témoignage unanime, décisif d’où qu’il provînt, à son opinion personnelle que l’infaillibilité du Pape était une erreur ; quand cette opinion personnelle sur une question libre eût été vraie, il n’avait pas le droit d’en faire ainsi le suprême critérium. Contre les 117 évêques français acceptant la Bulle, il disait non moins piteusement qu’ils ne l’avaient pas examinée en concile. Exiger ainsi la forme conciliaire, c'était nier le magistère de l’Eglise dispersée, reconnu par tous les catholiques, même gallicans. — Obéissant aussitôt au même mot d’ordre de la secte pour déplacer la question, la faculté de théologie de Cæn, dans son appel au futur concile, déclara que l’opinion de l’infaillibilité du Pape était une erreur. La Sorbonne elle-même, qui avait jusque-là regardé cette opinion conmie libre, décréta que c'était une doctrine erronée, le ig janvier 1719. En vain le Régent ordonna-t-il de nouveau à la faculté le silence sur les matières controversées : elle n’en tint aucun compte dans les soutenances de thèses. Outré de ce mépris affecté de son autorité, le régent, si indilTérent qu’il fût aux questions religieuses, ordonna en juillet au syndic de la Sorbonne, au doyen et au greffier, de se rendre chez le garde des sceaux avec le registre des déliliérations, et là on raya en leur présence les conclusions contre l’infaillibilité du Pape, et l’on y inscrivit de nouveaux ordres. Jager, loc. cit., p. 53 sq. — Enfin, le 4 août 1720, une déclaration du roi, d’accord avec Rome, défendit de rien dire ou écrire contre la bulle TJnigenitus, ou d’interjeter appel an futur concile, et les appels déjà faits étaient déclarés nuls. Le régent ([ 1738) tint ferme, et dompta, au moins en apparence, les appelants, la Sorbonne et le parlement. Jagbr, loc. cit., p. 63 sq.

Après de nouvelles intrigues des appelants pour tout remettre en question, surtout au début des pontificats d’Innocent XIII et de Benoît XllI, qui ne se laissèrent pas circonvenir par eux ; après un nouveau et magistral exposé du témoignage de l’Eglise universelle et de sa valeur, d’après les principes mêmes de Bossuet, par son successeur le cardinal de lîissY (Instr. pastorale de 1728), — Noailles publia enfin la même année un mandement, où, averti, disait-il, par son âge et la diminution de ses forces 1491

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et ayant bientôt à paraître devant Dieu, il contiamnait le livre de Qiicsnel et les loi propositions o de la manière que le Pape les condamne », avertissait tous ses diocésains « qu’il n’est pas permis d’avoir des sentiments contraires à ce qui a été déQni par la Constitution Viiigenitiis », révoquait « de ca’ur et d’esprit » tout ce qui avait été public en son nom de contraire à sa présente acceptation, défendait d’en faire aucun usage, etc. Jager, p. 54 sq., 89 sq., 187 sq.

Cet acte enfin si clair, de celui qu’ils regardaient comme leur patriarche et leur iirincipal appui, fut un coup terrible pour les quesnellistes. Noailles étant mort en 1729, le chapitre de l'église métropolitaine adhéra solennellement à l’acceptation. La Sorbonne, débarrassée de quelques meneurs, revint de son aberration de douze ans, et chargea huit députés, à la tête desquels se trouvaient Tournely, de faire un rapport. Us déclarèrent qu’après mûr examen ils étaient convaincus que la Faculté avait librement accepté la constitution l’nigenitus en 171 4 ; que tout ce qui s'était fait depuis pour anéantir cette acceptation était contraire à l’ancienne doctrine de la Faculté, détruisait l’autorité et l’infaillibilité de l’Eglise dispersée, etc. Ils conclurent qu’il fallait ratifier les décrets de 1714, recevoir avec respect la Constitution comme un jugement dogmatique de lEglise universelle, révoquer l’appel et rejeter les docteurs insoumis. La Sorbonne, à une très grande majorité, adopta le rapport et ses conclusions, par décret du 1 5 décembre 1739 (d’Argentbk, Colleciio judiciorum, t. III, part, i, p. 184). Les docteurs opposants, présents ou absents, adhérèrent à ce décret, surtout dans les assemblées suivantes ; à celle du ! «  mars, les docteurs intérieurement et extérieurement soumis, votants ou adhérents, montaient déjà à 163 (fhid., p. 173-194), et beaucoup d’autres adhésions vinrent des docteurs qui se trouvaient en province. Une députation de la Sorbonne alla à Fontainebleau, le 10 mai 1730, présenter son décret au roi, et le complimenter de la paix rendue à l’Eglise ; reçue ensuite par le chancelier d'.Vguessean, favorable au jansénisme, elle ne craignait pas de lui dire : « Quelle monstrueuse doctrine. Monseigneur, n’a-t-on pas avancée depuis quelques années, sous le spécieux prétexte d’attachement aux maximes du royaume ! On a soutenu des erreurs capitales, proscrites par l’une et l’autre puissance. " Fkrbt, La faculté de ihéol. de Paris, t. VI, p. 10 i.

Un acte important de Louis XV, et qui explique ces compliments de la Sorbonne au roi, c’est sa Déclaration du ?4 mars 1730- Il y exige avec une nouvelle précision la signature du formulaire d’Alexandre VII, soit pour être promu aux ordres sacrés, soit pour être pourvu d’un bénéfice quelconque (sous peine de nullité) : il faut signer « sans aucune distinction, interprétation ou restriction » qui soit contraire aux constitutions des Papes. Il veut que la constitution Unigenitus, « étant une loi de l’Eglise par l’acceptation qui en a été faite, soit aussi regardée comme une loi de son royaume ; que tous ses sujets aient pour ladite bulle le respect et la soumission qui sont dus à l’Eglise universelle en matière de doctrine ». — Mais le parlement refuse en grand tumulte d’enregistrer la déclaration royale, même quand le jeune roi vient presser l’exécution avec le grand appareil du « lit de justice » ; cet enregistrement forcé est suivi de scandaleuses protestations de magistrats. Devant cet orage, le gouvernement de Louis XV et de son ministre Fleury donne déjà quelques signes d’une faiblesse que le parlement saura exploiter. Picot, Mémoires, t. II, pp. 275-285 ; BocRLON, Les assemldées du clergé et le jansénisme, 190g, pp. 215-2ai. Le texte de

la déclaration royale est dans Lafitrau, en pièce justificative.

B. Usurpation des droits épiscopaux et royaux par le parlement de Paris, devenu chef du jansénisme et de l’ultra-gallicanisme (à partir de 1730). Ce qui devient ea France la doctrine de l’infaillibilité. — Nous aurons à voir, comme principales étapes à signaler :

i" La première lutte du parlement avec le roi et les évcques ; 2" les longues intrigues parlementaires pour imposer de nouveau l’enseignement des articles de 1682 ; 3" le travail de la magistrature pour amener les jésuites à cette doctrine, puis pour les faire supprimer en France en 1764 ; 4° l'"* lutte de la célèbre assemblée du clergé, en 1766, contre le parlement et le roi sur les droits et l’infaillibilité de l’Eglise.

l’La première lutte du parlement avec le roi et les évéques. — La bulle Vnigenitns avait pour elle, non seulement l’unanimité morale de l'épiscypat français, mais encore le roi, qui l’avait déclarée lui de l’Etat. En vertu même des principes de leur gallicanisme politique ou « régalisme », lesparlemeulaires auraient dû se soumettre. N'était-ce pas scms couleur de soutenir les droits de la couronne, qu’ils avaient jusque-là attaqué l’Eglise ? La question semblait donc Unie. Appuyés par la déclaration royale, les évéques ordonnent à leur clergé de signer purement et simplement le formulaire fixé par les bulles pontificales. Quelques curés, appartenant à divers diocèses, refusent d’obéir ; leurs évéques retirent aux délinquants les pouvoirs d’administrer les sacrements et de dire la messe. Le parlement, de plus en plus entêté dans son jansénisme, soutient ces curés en révolte et rend plusieurs arrêts contre leurs évéques, permettant aux curés de se comporter comme si l’interdit était nul. A l’assemblée du clergé de France alors réunie(aoùt 1730), le rapporteur se plaint des messes sacrilèges, des absolutions invalides, et de cette invasion de l’autorité épiscopale par le parlement, qui se mêle aussi déjuger la doctrine religieuse et de condamner des thèses théologiques. L’assemblée du clergé demande au roi que tous ces arrêts du parlement soient cassés ; et de fait, en présence du roi, des arrêts du conseil d’Etat cassent ceux du parlement et font expresses défenses de s’en servir, évoquant au roi et à son conseil l’appel comme d’abus interjeté en faveur de ces prêtres contre leurs évéques. BovRLON, op. cit., pp. 321-228.

C’est alors que 4 » avocats publièrent leur fameux Mémoire, où non seulement le pouvoir des évéques était subordonné au bas clergé et aux laïques, mais encore le pouvoir du roi était attaqué par des principes que personne encore n’avait osé publier. c< Ils y enseignaient, dit Lafitkau, que les parlements ont reçu de tout le corps de la nation l’autorité qu ils exercent dans l’administration de la jxisticc ; qu’ils sont les assesseurs du trùne et que personne n’est au-dessus de leurs arrêts… Ils égalaient en quelque sorte la puiss.nnce des parlements à celle du monarque. Il les associaient positivement à l’empire. Ils semblaient les regarder comme des espèces d’Etats généraux toujours subsistants dans le royaume ; et quoique les parlements n’aient jamais assisté en corps dans ces augustes assemblées composées de tous les états…, et ne puissent tout au plus s’y trouver que dans la personne de quelques-uns de leurs députés, quoique leursdéputésne puissent même y avoir place que dans le tiers état, qui est celui du peuple, nos jurisconsultes ne laissaient pas de déférer aux parlements les mêmes 1*93

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honneurs et la même autorité que poui’raient avoir en France des Etats généraux. C’est pour cela que dans leur mémoire ils appelaient les parlements le Se nat de la j’atioit. » Ilisl. de la Constitut, L’nigeiiilus, Avignon, i^S^, 1. VI, p. 192. — C'était même leur donner une autorité bien plus grande qu’aux Etats généraux, parce que ceux-ci étaient rares et de peu de durée, et que les divers « états » ou classes delà nplion, se faisant contrepoids, y rendaient bien plus diflicile et plus mesuré l’exercice de l’autorité commune de cette assemblée ; tandis que les parlements siégeaient toujours, et que leurs membres, moins nombreux et appartenant tous à une même profession, celle des juristes, pouvaient bien plus facilement se rencontrer dans les mêmes idées, les imposer à toutes les autres classes de la société, et faire des coups d’autorité, comme le montre si souvent la période qui va s'étendre jviscju'à la Révolution française. En somme, dans ce jVémoiie des 'lO avocats, on trouvait déjà « toute la révolution politique et religieuse, en 1780, avant les Etats généroux(dei’j89), avant J.-J. Rousseau, avant Voltaire et le pbilosopbisme «. Bouulon, op. cit., p. 224.

Louis XV, par un arrêt de son conseil d’Etat, supprima XeMémoire comme* injurieux à son autorité, séditieux et tendant à troubler la tranquillité publique i>.

Il obtint des quarante avocats, non pas la rétractation ou la désaveu qu’il avait exigé, mais des

« explications » sur l’autorité rojale, assez satisfaisantes en elles-mêmes, et dont il voulut bien se

contenter. Les cvêques, pour se faire rendre justice à leur tour, ne reçurent du roi qu’un demi-appui, et qui n’empêcha point le parlement de soutenir les avocats et de maltraiter les mandements des évêques contre eux, même celui de l’archevêque de Paris, plus autorisé à relever les erreurs de ses diocésains et qui avait condamné le Mémoire comme « hérétique ». Des libelles de plus en plus odieux continuèrent à attaquer la Constitution Uni^enitus ; si un évéque leuropposait une réfutation, le faible cardinal de Fleury, ce ministre qui ne voulait « pas d’affaires », imposait le silence des deux côtés, et le gain était tout entier pour l’hérésie. Lafiteau, loc. cit., p. 193, sq.

Cet épisode caractéristique nous dispense de signaler bien d’autres semblables détails, dans la suite. Voir le résumé rapide de ces autres faits dans l’art. Galmc.4.nisme, col. 262, 268. Nous n’aborderons pas non plus les prétendus miracles du tombeau du diacre Paris (i ; 131) ni les incroyables extravagances et indécences des Convuhioniiaires, honteux accompagnement de ces « miracles », qui sema la division parmi les jansénistes, et rendit l’hérésie si ridicule au moment même où le parlement en prenait si cliainlement la défense et la direction. Voir Art. Jansénis.me, col. 1181, 1182, et (plus en détail) art. ( ! onvulsionnairbs.

2° Les longues intrigues du parlement pour imposer de nouveau l’enseignement des articles de 1682. — Ce qui vient plus directement à notre sujet, c’est rusuri)ation par laquelle le parlement imposa alors peu à iteuVoOligntion d’enseigner les quatre articles de 1O82, dont le 4'^ refuse au Pape l’infaillibilité, proclamée depuis au concile du Vatican. Pour comprendre le caractère injuste et illégal de ces arrêts du parlement, qui n’ont pas été assez remarqués de nos jours, il faut se rappeler que Louis XIV, dans un accord avec le Pape en 1698, avait retiré son édil de 1682 contraignant avec rigueur à l’enseignement et à la soutenance des quatre articles : voir col. 14"9. Depuis lors, jdusieurs docteurs ou étudiants s'étaient librement attachés à

la doctrine de 1682, c'était légal ; d’autres l’avaient dépassée dans le sens ultra-gallican du richérisme ou du quesnellisme, en vue d’attaquer la Constitution l’iiii ; eniti(s ; enûn, pour réfuter ceux-ci plus facilement, bien des évêques avaient jugé utile de se placer, au moins ad liominem, site terrain du gallicanisme modéré de 1682, invoquant Bossuet, opposant à l’hérésie l’infaillibilité de la bulle pontilicale en tant qu’acceptée par le consentement des évêques, et laissant dans l’ombre la question moins certaine de l’infaillibité personnelle du Pape : voir col. 1488.Mais tout ce mouvement d’idées et de discussions ne changeait rien à la législation de l’enseignement théologique par rapport aux quatre articles : sur ce terrain, les choses en étaient restées au point où les avait mises Louis XIV en 1698. Il avait alors abrogé sa loi de 1682. Le parlement n’avait donc pas le droit de considérer comme existante une loi abrogée, ni de la ressusciter par sa propre autorité. D’ailleurs il eût fallu s’entendre au préalable avec le SaintSiège, puisque ce régime plus favorable à la liberté d’enseignement était le résultat d’un accord entre le Pape et le grand roi, et de concessions mutuelles. — Venons au récit des faits.

La déclaration du 24 mars 1780, faite par Louis XV, était aussi précise et sévère contre le jansénisme que respectueuse de l’autorilé du Saint-Siège et de l’infaillibilité, de ses détlnitions, du moins en tant' qu’acceptées par la presque unanimité des évêques. Forcé par un lit de justice d’enregistrer cette déclaration malgré lui, le parlement, si furieux qu’il fût, n’osa pas de si tôt se montrer oua ertement hostile, comme corps, mais recourut à des attaques obliques, surtout à l’occasion des thèses qui paraissaient.

Dès le mois de mars, une thèse avait été soutenue au collège Louis-le-Grand. Attaquer en même temps le Saint-Siège et les jésuites, quelle aubaine pour le ]iarlcment 1 Ce ne fut pourtant que le iomai suivant, qu’il osa ordonner la suppression de cette thèse, en l’aggravant d’une défense générale.

Il fiiisait « jnhiMlions et défenses aux.lésuites et à tous autres de soutenir aucune proposition contraire aux libertés de ITglise gallicane et notamment au. De’ciara~ tions de ITiGS et de JGS2 sur l’autorité du Pape, la supériorité des Conciles génét’aiti, et autres lUMliérea contenues dans ladite thèse)>.

Cette défense faite à tous de soutenir aucune proposition contraire, entre autres choses, à la déclaration de 1682, accomplissait tacitement la remise en vigueur de Védit de Louis XIV de la même année. l, a forme sournoise de l’opération a pu eu cacher la gravité aux lecteurs moins avertis. Mais le chancelier d’Aguesseau, homme du métier, en vit aussitôt toute la portée, et malgré ses attaches jansénistes et parlementaires, il manifesta du mécontentement : n’allait-on pas trop vite ettropfort ? Le jour même, n’ayant pas encore le texte de l’arrêt, il écrit au procureur général Jolj' de Fleurj' :

o Avouez qu’une condamnation si secrète, si précipitée et pour ainsi dire si soudaine, a dû me surprendre. Il seniit bien difficile que, dans un pays où l’on est sujet à la défiance, on ne soupçonnât qu’une si gramie attention A prévenir la connaissance du gouvernement cache « n ni ; /stère. Mais puisque le tecret a éclaté, je crois qu’il est au moins de votre prudence de ne pas vous exposer aui suites que cet événement poui-rait avoir, s’il y avait des choses, ou dans le discours de M. l’avocat général ou dans larièl. dont le Roi n’eut pas lieu d'être content, et d’en suspendre l’impression jusqu’ft ce que Sa Majesté ait pu voir l’un et l’autre. » Bibl. Nationale, Mas Joly de Fleury, Aris et Mémoire » sur les affaires publiques, vol. 85.

.( Ce mystère, dit GitniN, était la résurrection de l'édit de 1682. t liecherclies historiques, s' édit.. 1495

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p. 511. — d’Aguesseau a reçu la copie de l’arrêt, le 12 mai. De Fontainebleau, il écrit en bâte aux gens du Roi :

« … Sa Majesté, après y avoir fait les réflexions nécessaires, 

m’ordonne de vous faire savoir que, lu cliose étant faite et l’arrêt *i^né, il n’était plus temps d’y penser, mais qu’il fallait au moins eaipêchor que cet î.i-i-êl ne fût crié dans les rues par les colporteurs, p ; irce que cela serait regardé à Rome comme une espèce d’iiisulle. et le Roî ne doute pas que tous ne donniez tous les ordres nécessaires sur ce sujet. Au surplus, S, M. désapprouve entièienieat la thèse dont le parlement a ordonné la suppression ; mais elle me char^’^e de vous dire que, si vous vous étiez souvenus qu’elle aa)t exigé de vous tie ne faire aucune réquisition sur des matières qui peuvent intéresser l’Etat sans avoir pi-is auparavant ses ordres, elle n aurait pas lais/é /fis^er dans votre discours ce tjue uous 1/ avez mis sur ledit de /6 ?2. Vous ne sauriez avoir oublié ce qui vous fut dit, il y a quelque temps, de l’attention quon devait avoir aux engagements que le feu Roi avait pris avec le Pape sur cette matière, sans cesser ce[>endant d’approuver et de soutenir l’ancienne doctrine de France. » Ibid.

Voilà bien Louis XV. Il « n’aurait pas laissé passer ce que l’on a mis dans l’arrêt sur l’édit de 1682 »

— à cause des « engagements pris avec le Pape ». Mais « la chose étant faite, il n’est plus temps d’jpenser » (comme s’il n’était pas encore temps de casser l’arrêt I) : il reste seulement à dissimuler cet arrêt, de sorte que Rome n’en sache rien. En face de celle pileuse faiblesse du monarque, déjà fatigué

« le sa résistance au parlement, les magistrats auraient

bien tort de se gêner, à la première occasion qui leur pornieltra de recommencer, pour mieux assurer ainsi la nouvelle jurisprudence qu’ils viennent d’insinuer sur l’enseignement des quatre articles.

L’occasion était déjà là, sous la forme d’une autre thèse, soutenue en Sorbonne le 8mai par le licencié Hassel. Un arrêt du parlement la condamne (17 mai 1780), et défend « à tousbacheliers, licenciés, docteurs et autres, de soutenir des propositions contraires à l’ancienne doctrine, aux saints canons. aux maximes et ordonnances du royaume… et aux déclarations du 4 août lôGli etédit de mars 108a », etc. Ce petit mot : « et édit » est glissé au milieu du reste, mais insinue plus clairement que cet edit de Louis XI’V a force de loi ; c’est un pas de plus. Dans les Très h imhles supplications qu’elle fait parvenir au roi, la Sorbonne, qui ne songe qu’à se défendre, semble n’avoir pas remarqué la fourberie du parlement ; elle montre la modération de sa thèse sur les questions du jour, alTirme son gallicanisme politique, son attachement

« aux maximes du royaume, aux droits

delà couronne, aux libertés de l’Eglise gallicane et à l’observation de toutes les ordonnances, cdits et déclarations publics pour les maintenir ». Le roi, par son secrétaire, en prend acte, et de nouveau laisse passer l’arrêt qu’il sait injuste, tout en consolant ainsi la Faculté de théologie : « Vous ne devez pas craindre que cet arrêt puisse jamais porter aucun préjudice ni imprimer de flétrissure à un corps aussi éloigné de la mériterque le vôtre. » — Férkt, Lafac. de tbéol. de Paris, t.’VI, 1909, p. 126 sq.

Mais la résurrection de l’édit de 1682. faiteainsià la sourdine, était encore loin de contenter le parlement, soit parce que bien des professeurs ne l’avaient pas remarquée ou enseignaient comme s’ils ne l’avaient pas remarquée, soit parce que d’autres, tout en prenant qiielquf chose de l’édit. ne se crojaienl pas tenus d’en observer toutes les injonctions draconiennes. De là une nou elle tentative du parlement après lin r/iiart desiéch- environ : c’est-à-dire au moment où il luttait avec le plus d’opiniâtreté contre les billets de confession et les refus de sacremenis, in tervenait manu militari pour faire donner l’extrême onclionet le viatique à des appelants et quesnellisles notoires et impénitents, poursuivait les curés qui, par ordre de leurs évoques, leur avaient refusé les sacrements, faisait arrêter ces curés comme tendant à introduire un schisme » et troublant le repos public, mettait à l’amende leurs évêques, poursuivait l’archevêque de Paris lui même, Christophe db Beaumont, comme a auteur du schisme », lui « ordonnait » de faire administrertel ou tel, enfin, dans des remontrances au roi, déclarait qne « les seuls moyens de faire cesser les troubles dans l’Eglise et dans l’Etat résidaient dans l’activité indispensable et continuelle du parlement ». Picot, Mémoires, t. III, i>. 304 sq ; BouiiLON, Les Assemblées du Clergé…, p. 282, sq.Êt ici, art. Jansknisme, col. I183.

Comme toujours, ce fut une thèse qui fournit une occasion telle quelle au dernier coup du parlement, pour s’assujettir déllnilivement l’enseignement lliéologiqne : une thèse soutenueen i^.’ja augrandconvent des Carmes de Lyon par le P. Mairot, religieux de cet ordre. Dans son paragraphe incriminé sur le Pape, il ne défendait pourtant ni le pouvoir indirect sur le temporel des rois, ni l’infaillibilité personnelle : il se bornait à constater un fait évident ; c’est que sur ces deux questions les ultramontains et les gallicans étaient divisés. Il ajoutait qu’  « une définition dogmatique du Pape, proposée par lui à tous les fidèles siib anathemate.quand il s’y ajoute le consentement, même tacite, du plus grand nombre des évêques, est une rcglecertainc etinfailliblede vérité, et que les fidèles doivent l’admettre sans aucune restriction, et en y soumettant leurs esprits ». On ne voit pas ce que le parlement, si fort qu’il fùl en théologie, pouvait reprendre là-dedans. Qu’unerfe’/jtiition du Pape (reco/inoîssni/e à son objet doctrinal ou « dogmatique » cl à ce qu’elle est par lui « proposée à tous » surtout si elle est accompagnée d’un « anathème ") devienne une » règle certaine et infaillible de vérité » quand il s’y ajoute « leconsenlement des évêques », — c’était la doctrine gallicane de 168a ! Que ce consentement puisse être « tacite « et qu’il suffise « du plus grand nombre » des évêques —, c’était la pensée de Fénelon, de Bossuet lui-même, auteur de la déclaration de 1683, et de plusieurs autres évêques de France plus récents, comme nous l’avons vu. Que les fidèles, enfin, doivent à un semblable document, non pas seulement le silence respectueux, mais « la soumission de l’esprit » el « sans restriction », c’est une définition des Papes acceptée par tous les évêques de France avec la bulle Vineam Domini, appuyée alors par Louis XIV, puis par Louis XV (déclaration de 1730). — Malgré toul, dans un arrêt du 26 octobre 1702, visant en particulier cette phrase de la thèse, le parlement « ordonne que ladite thèse sera lacérée et brûlée dans la cour du Palais… par l’exécuteur de la haute-justice… Ordonne en outre (

e…’Eilil de mars //)S2, notamment

les articles f et Vf du dit Edit, seront observés et exécutés selon leur forme et teneur ». Durand db Maillank, les libertés de l’Egl. gallic. prouvées et commentées, 1771, t. V, p. 187, 144. Et t. IV, p. 46, ledit de 1682. — Cf. Picot, Mémoires, t. III, p. 288. Enfin, le 81 mars I7.'>3, suit un arrêt de « règlement » pour presser sévèrement en tout point l’exéculion de l’édit de 1682.

I.e parlement, toutes les chambres assemblées, ordonne n en conséquence, que ceux qui seront choisis pourrn5*igner ta théologie dans tous les collèges de chaque l’niverailé. séculiers ou réguliers, se soumettront d^en^/’ij^ner ta doc^rirtc expliquée dans la Déclaration du Clergé.- Ordonne que le présent sera imprimé, etc. et que copies seront envoyées dans toutes les Facultés et autres écoles de 1497

PAPAUTÉ

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Thëdlogie… et de Droit du res.-îort, pour y être rey : iâlié ; enjoint au l’rocureur Géitt’ral du Hoi de tenir la main à l’exécution dn préï^ent Atrèt. i> fhid., p. 147. Notons quo le ressort du parlement de Paris était immense.

Ainsi l’on serrait habilement les mailles du filet où dès lors l’enseignement tliéologique se trouvait pris ; et cela dans toute la France, car les autres parlements se tirent uu devoir d’imiter celui de Paris dans leurs divers ressorts,.insi s’exidique celle emprise gallicane sur noire paj’S à partir de la seconde moitié du xvm’siècle, plus forte, plus complète et plus persévérante que jamais, inalgré un épiscopat généralement zélé et soucieux de défendre les droits de l’Eglise contre les usurpations et les persécutions, et par là préparant de loin la noble attitude qu’auront nos évêques en face de la Révolution et du schisme constitutionnel. La singulière situation des évêques pendant cette période n’est guère comprise de nos jours, faute de distinguer entre gallicanisme et gallicanisme. La doctrine relativement modérée de 1682 leur était imposée paiides gens qui eux-mêmes allaient beaucoup [dus loin, qui allaient jusqu’au schisme et à la pleine révolte contre Kome ; ils ressuscitaient l’édit de Louis XIV, et ils étaient les premiers à l’enfreindre, et à rejeter le quatrième article du clergé. Cet article déclare au moins implicitement que les définitions pontificales, si elles sont appuyées du consentement de l’Eglise c’est-à-dire des évêques, sont irréformables et infaillibles ; or le parlement de 1763 rejetait avec opiniâtreté les définitions des Papes contre le jansénisme, bien qu’acceptées par tout l’épiscopat hors de France et même en France sous Louis XIV et encore sous Louis XV, et en particulier la bulle Unigenitus. Aussi nos évêques, contraints de se défendre contre le jansénisme révolté et ultra-gallican, trouvaient-ils un bon terrain de défense dans celle doctrine même de 1682 qu’on leur imposait, à laquelle d’ailleurs étaient réellement attachés plusieurs d’entre eux, en attendant que cette dangereuse situation les amenât fatalement à lui être attachés à peu près tous. El ils croyaient être sullisamment en règle avec le siège de Rome, en répétant les fort lielles choses qu’a dites Bossuet sur ce centre de l’unité, et surtout en passant leur vie à combat Ire à leurs propres dépens les révoltés contre les bulles pontificales. Lutte sans issue, par l’entêtement inouï de magistrats schismatiques, prétendant toujours défendre le catholicisme traditionnel du royaume. Celle lutte, les évêques de France étaient bien forcés de l’accepter, mais ils épuisaient là des forces qui eussent été mieux employées ailleurs, par exemple à réfuter ces « philosophes », acharnés à la destruction du christianisme en général, tout en cachant leur jeu avec esprit. On a reproché au clergé d’alors son insuffisance en face de ces nouveaux ennemis, pires que les premiers. Mais à qui la faute’? Pourquoi le parlement, même contre les ordres du roi, se mêlait-il de diriger la liturgie, et ne laissait-il pas les évêques décider en paix, et avec plus de compétence, des sacrements à donner ou à refuser ?

30 Le Parlement attaque Vlnstitut des Jésuites. — fa haute magistrature irai>aille à amener ces religieux à la doctrine de 1689, et finalement les fait supprimer en France (1761-1764).

Le parlement allait se tourner une fois de plus contre les Jésuites, zélés défenseurs de l’infaillibilité du Pape. L’occasion était bonne : le parti des philosojjlies, avec les adeptes qu’avait faits ce parti chez les premiers ministres des princes, les Pombal, les d’.Vranda, les Choiseul, les Tanucci, avait engagé une lutte à mort contre ces religieux. En France, c’est Choiseul, crcit-on, qui, sans se montrer encore, avait

excité le parlement à porter les premiers coups. En avril 1761, l’abbé Chauvelin, conseiller- clerc au parlement de Paris, dénonça leurs constitutions. Le 12 avril 1763, le parlement fit fermer les 84 collèges que les Jésuites dirigeaient dans son ressort. La plu|)art des parlements de France suivirent cet exemple. Sur cette histoire, dont nous ne pouvons retracer ici les détails, nous renverrons à Picot, Mémoires… t. IV ; BounLON, /.es.4ssemblées du Clergé ; Ravigna.v, Clément XIII et Clément.17 F ; Cauayon, Documents incdils concernant lu CompagniedeJésus, l.YlU{18()’j) ; Bkuckbh, La Comp, Je Jésus, Paris, 1919, p. 813, sq. 4" L’Assemblée du Clergé de 1765 ; sa lutte avec le Parlement et le Roi pour les droits et r int’aillibilité de l’Eglise. — Celte assemblée fut la [ilus remarquable du siècle par sa lutte contre le laïcisme usurpateur des parlements el des ministres du roi, lutte pour laquelle elle avait reçu mandat de ses électeurs dans les assemblées provinciales. Elle se distingua par la méthode de ses délibérations, l’énergie inlassable de ses remontrances au roi, et surtout par son Instruction, connue sous le nom d’^-lctes du clergé. Ce document, assez long mais très substantiel, résolvait les questions du moment à la lumière des x^r’ncipes de l’Eglise, sans descendre aux détails d’application ni aux noms propres. Une fois accepté par tous les membres de l’assemblée, il fut, par un usage nouveau, immédiatement imprimé el envoyé à chacun des évêques absei, ts, avec une lettre circulaire lui demandant d’y adhérer ; il y eut en tout 189 adhésions, tous les évêques de France excepté quatre. — Sur la question non seulement das jésuites, mais encore des autres ordres religieux, que le parlement et le philosophisme attaquaient déjà, elle rappelait les mômes principes que venait d’invoquer Clément XIII :

« Celle infaillibilité de l’Eglise universelle, disait l’assendjlée, 

ne s’exerce pas moins sur les règles des mœurs que sur les pi-incipes de la croyance ; le jugement qu’elle porte sur les vérités morales est aussi indépendant des princes et de leurs ministres que celui qu’elle poT-te sur les objets de la croyance (dogmatique). Les instituts re/i^teux, appartenant à la règle des mœurs et à la discipline, sont donc assujettis au pouvoir de l’Eglise… L’Kglise n’a pu déclarer pieux, saint et digne d’éloges qugemenldu Concile de Trente et des Papes sur l’institut des jésuites) ce qui ne l’est pas ; et supposer ijue ce qu’elle a a[>prouvé peut être impie, blasphémateur, contraire au droit naturel ou divin [jugement du parlement sur le même institut), c’est lui imputer un aveuglement que ne permet pas d’imaginer l’assistance promise par J.-C. Le vœu fait aussi partie de la morale chrétienne, el par conséquent le discernement en est réservé à l’Eglise ; c’est à elle qu’il appartient d’en approuver l’objet, d’en examiner les cil-constances, d’en prononcer la nullité ou de dispenser de son exécution… Il ne veut donc être déclaré nul que par ceux qui sont dépositaires de son autorité, et la puissance civile ne peut, sans usurper leurs droits, prétendre anéantir pjir elle-même une promesse qui n’est reçue qu’au nom du Seigneur. » — Sur la question plus générale des rapports de t’Ei^tise et de l’Etat, l’assemblée rappelait la distinction des deux puissances, l’indépeiidance de chacune sur son terrain propre, et ramenait îi sa juste valeur le titre de « protecteur de l’Eglise », reconnu au roi. Voir Gal ! icAMisME, col. 263. — SuT la toi du êilence imposée aux évêques, comme aux jansénistes, par le roi : « L’enseignément e^t le premier devoir des pontifes : il est donc aussi le premier objet de leur indépendance… Cette liberté que (l’Eglise) a su défendre contre la violence des persécutions (dans les premiers siècle^) n"a pu lui être ravie par la conversion des princes ; en devenant ses enfants, ils ne sont pas devenus ses maîtres (Fé.nei.on) : le silence ne peut être imposé à ceux que Dieu a établis poui" ses ortranes. » — Sur la question des refus de sacrements :

« Après l’enseignement, le devoir le plus sacré

des pasteurs est l’administration des sacrements, et c’est aussi le second objet de l’inclépendance de leur mînis1499

PAPAUTÉ

1500

tère : c’est à ses minisli’os que J.-G. u dit d’snsei^’iier et de baptiser ; c’est à eux de déterinÎQer les rlispositioas nécessaires pour recevoir les sacrements ; c’est à eus de juçer si ces dispositions existent… Le refus du plus auguste de nos sacrements ne peut jamais être l’objet de la cûuipéte.ice de l’autorité civile… L’administration des sacrements, pour être extérieure^ n’en est pas moins spirituelle… Le tidèle qui éprouve un refus a, dans la hiérarcbie ecclésiastique, un tribunal toujours ouvert, auquel il peut porter sa plainte contre une conduite qui ne serait pas conforme aux règles de l’Eglise. Si, pour obtenir des biens spirituels, il implore une autorité étrangère, il devient coupable de tous les maux qui peuvent en résulter… Les rois et leurs officiers ne peuvent donc enjoindre de donner les sacrements. » — Picot, ibid., p. ISU, sq., li)’, s(i. ; Bourloî », ibid., p..311, sq.

Dès le 4 septembre, le parlement Je Paris supprime ces Actes du clergé, avec des qualifications odieuses ; le jour même, pour mieux braver l’assemblée, il fait exécuter avec grand scandale, en forçant les portes d’un couvent, un arrêt ordonnant de porter le saint Sacrement à une relig-ieuse de Saint-Cloud, janséniste notoirement impénitente et non absoute, d’après elle-même. Le lendemain il condamne aux flammes, comme « fanatique et séditieuse », la circulaire envoyée par les évoques assemblés aux évêques absents. Contre les Actes, sa grande objection, renouvelée des Appelauts, c’est

  • que les assemblées du Clerg : é « sont purement économiques

» c’esl-à-dire n’ont pour objet que de déterminer la somme d’argent à donner au roi : donc les évêques députés ont excédé letirs pouvoirs en donnant une doctrine. Cette objection, qui sera répétée à satiété, était plaisante dans la bouche d’un parlement qui forçait les gens à tenir et à enseigner la doctrine émanée précisément d’une assemblée du clergé, et celle-là bien moins librement élue, en 1682, que celle de 1765, et bien loin de représenter, comme elle, la pensée générale de l’épiscopat français de son temps. Au reste, on peut concéder que les assemblées du clergé avaient un caractère hybride, et qu’il eùl mieux valu, quand les évêques avaient une doctrine à donner en commun, prendre la forme d’un concile particulier, d’un synode suivant l’usage universel de l’Eglise dès les premiers siècles ; voir col. 1^66. Mais à qui la faute ? Le pouvoir civil, surtout sous Louis XV, ne permettait pas aux évêques de se réunir en synode ; c’était là une de leurs a libertés gallicanes >, sur lesquelles veillaient les magistrats. Il fallait pourtant, sous une forme ou sous une autre, enseigner la <loctrine de l’Eglise ! Et comme disaient les prélats de i-65 dans leur procès- verbal, « le droit d’enseigner et d’instruire ne peut jamais abandonner les évêques ; leur réunion ne fait que donner plus de force à leur enseignement, et cet enseignement ne peut avoir besoin de la permission de l’autorité temporelle m.

Telles furent aussi les idées exposées de vive voix au roi lui-même, le 8 septembre, quand l’assemblée obtint de se rendre en corps à Versailles. L’orateur insista sur ce que « dans un état catholique, la liberté de l’enseignement des pasteurs fait partie du droit public t ; — sur ce que a les assemblées générales du clergé ont toujours été regardées en quelque sorte comme le concile de la nation » et que «. il en est plusieurs, comme celles de 168a et de 1700, qui ont donné des décisions doctrinales, dont les parlements eux-mêmes ont toujours reconnu et souvent réclamé l’autorité ». Il se plaignit des procédés insultants du parlement à l’égard des Actes et de la circulaire, et du scandale de Saint-Cloud. Le roi, touché de si justes représentations, Ct, le 15 septembre, casser les arrêts du parlement par un arrêt du Conseil d’Etat, traité à son tour par les parlementaires

« d’acte aussi illégal dans sa forme, qu’impuissant

pour affaiblir l’autorité et suspendre l’exécution des arrêts de la cour ». — Puis, le 2 octobre, Louis XV ordonne aux évêques de suspendre leur assemblée jusqu’au a mai : peut-être pensait-il amener la paix par cet armistice ; mais les jansénistes l’employèrent à une guerre acharnée de libelles contre les Actes du Clergé, et les évêques à imprimer des réponses, tandis que le parlement de Paris travaillait à empêcher l’adhésion ollicielle de la Sorbonne aux Actes du Clergé, poussait les autres parlements à les condamner, et persécutait les ecclésiastiques qui avaient adhéré. Picot, p. 186 sq. — Vient le mois de mai 1766, et la scène change. Irrités sans doute de ne pas voir l’apaisement espéré, le roi et ses ministres reprennent l’ancien système de frapper sur tout le monde, sans autre résultat que de s’attirer les remontrances des évêques et celles du parlement pas assez satisfait. Le Conseil d’Etat, où manquait l’inlluence du Dauphin mort dans l’intervalle, rend deux arrêts le 24 niai en sens opposé : le premier condamne un violent réquisitoire prononcé contre les Actes au parlement d’Aix ; le second dogmatise sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat, au lieu de laisser ce soin aux évêques de nouveau rassemblés, et dogmatise contre eux, malgré les concessions apparentes à la doctrine des Actes. Exemple :

« Il appartient à VE^tite seule de décider de oe qu’il

faut croire et ce qu’il faut pratiquer dans l’ordre de la religion. .. Mais la puissance tempuretle, avant d’autoriser la publication des décrets de l’Eglise…, a droit d examiner la forme de ces décrets, leur conformité arec let maximes du royaume… Le souverain n’a pas le droit a d’impoær silence aux pasteurs sur l’enseignement de la foi et de la morale évangélique » : mais il a le droit « d’écarter de son royaume des disputes étrangères à la foi… L’autorité spii-itueile peut seule commuer les v<eux, en dispenser ou en relever dans le for intérieur ; mais a puissance temporelle a droit de déclarer abusifs et non valablement émis les vœux qui n’auraient pas été formés suivant les règles canoniques et civiles »… Enfin il était défendu « à toutes personnes de rien entrepren ire, soutenir ou écrire de contraire a « j-/)r//icipcs ci-dessus rappelés…, Sa Majesté imposant par provision un silence absolu sur cet objet, et se réservant à elle seule de prendre, sur i’avîs de ceux qu’elle jugera à propos de choisir incessamment dans son conseil et dans l’ordre épiscopal, les mesui’es qu’elle jugera les plus convenables pour conserver de plus en plus les droits inviolables des deux puissances et pour mettre fin aux disputes relatives aux matières renfermées dans les actes de l’assemblée du clergé I). Picot, p. 201-203. Art. G.^LLICA^ISME, col. 264.

Ce document parle toujours vaguement d’il Eglise », d’i( autorité spirituelle » et évite soigneusement de préciser, comme l’avaient fait les prélats, l’Eglise uniterselle et son infaillibilité : c’était pourtant un dogme que l’on ne pouvait éviter ici ; un dogme qui s’était toujours imposé à la croyance des catholiques, quoi qu’il advînt de [’infaillibilité spéciale du Pape, Le document du Conseil d’Etat laisse ce dogme capital dans l’ombre, et pour cause : si l’on y eût pensé, on eût trouvé monstrueuse, par exemple, cette affirmation :

« Le souverain a le droit d’écarter de son

royaume les disputes étrangères â la foi. » Qui est compétent, sinon [’EgUse infaillible dans la foi, pour discerner ce qui appartient à la foi, et ce qui lui est étranger ?Ei a mettre fin » d’une manière efficace a aux disputes » qui roulent sur la religion et l’Eglise, ce que l’on attribue ici au souverain, n’est-ce pas, dans le monde catholique, le propre d’une autorité infaillible, et qui ait le pouvoir d’excommunier, de retrancher de la catholicité, quiconque n’accepte pas ses décrets ? — Dans un Mémoire adressé au roi sur les arrêts du Conseil, l’assemblée du clergé rappelle le soin qu’elle a pris de ne rien avancer sur les droits 1501

PAPAUTE

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de la puissance spirituelle, que l’on puisse atlai]uer

« sans contrevenir à l’enseignement de l’Eglise universelle

», et elle ajoute :

« Sire.., vous ne voulez pas gêner l’enseignement des

évètpies ; vous ne voulez qu’imposer silence sur tout ce qui vourruit fait r naître des conieslatinns ; muis tout ce que les évêques disent Je contraire aux prétentions injustes des parlements ne sera-t-îl pas regardé comme une occasion de troubles et de contestations P » Elle monli-e aussi combien les magistrats ont outrepassé la doctrine de 16H"J dont ils se réclament. Celle-ci rejetait le pouvoir indirect du Pape sur le temporel, pour établir V indépendance mit' tuelle tles deux puissances, chacune dans son ordre et sur son lerruin. Mais voici que les tribunaux civils détruisent cette mutuelle indépendance, et prétendent avoir pou voir indirect sur le spirituel, qu’ils envahissent (( Les tribunaux suivent aujourd’hui la même marclie f[U’iU ont réprouvée. C est par une suite de ce pouvoir indirect^qno les parlements ont prétendu être en droit d’examiner les jugements de l’Eglise (univei-selle), même avant la publication que les évêques pourraient en faire, comme, si les déciets de l’Eglise, ^ahlbles par eux-mêmes, pouvaient jamais avoir besoin de l’autorisation des princes pour lier les consciences ! » Picot, p. 205, sq.

Nous avons insisté sur cette assemblée de 1765, soit parce que c’est une des plus importantes et des plus honorables pour le clergé de France, soit parce qu’elle sut opposer avec netteté et force l’Infaillibilité de l’Eglise universelle à l’anti-infaillibilisme si outrancier des gouvernants d’alors. Elle comprenait la nécessité de l’union avec le chef de l’Eglise. Avant de se séparer, elle avait écrit une lettre au Pape, le suppliant de nommer une commission d'évêques qui étudieraient l'état des ordres religieux en France, et ap|)liqueraient ensuite les réformes, où besoin serait ; elle fit remettre au roi cette lettre avec prière de l’appuyer à Rome. Mais le roi, manœuvré par sa magistrature, s’en tint à l’idée de nommer sans la coopération du Saint-Siège une commission laïcoecelésiastique de son choix, tant pour déclarer délinitivement ce qu’il fallait penser des rapi)orts de l’Eglise et de l’Etat, que pour entreprendre la réforme des ordres religieux. La lettre de l’assemblée au Pape ne fut pas envoyée, comme le prouve un bref de Clément Xll ! , où il s'étonne de n’avoir appris que par la rumeur publique l’existence de cette commission de réforme ; Bullaire decePape, n. 56^. Nommée par un arrêt du conseil d’Etat, la commission royale comprenait cinq prélats, avec les d'.guesseau, les Joly de Fleury, etc. Sans tenir compte des recommandations du Pape, dont elle ne parla point, elle changea et tailla dans les divers instituts et même dans les canons généraux sur l'état religieux, révérés dans l’Eglise entière, et le fît avec autant de hardiesse que d’incompétence. De là sortit entin un édit du 25 mars 1768, plutôt fait pour détruire les ordres religieux que pour réformer ceux’qui en avaient besoin. Ou y déclarait nulle toute profession faite avant vingt et un ans. On y supprimait, sans recourir à l’autorité ecclésiastique, sans même consulter les évêques diocésains, les monastères non réunis avec d’autres en Congrégation, s’ils avaient moins de quinze religieux de chœur, outre le supérieur. Dans les communautés qui restaient, on relâchait singulièrement les liens sociaux, et l’on facilitait les sécularisations, de manière à inviter chacun à sortir de son état. Picot, p. 213. sq.

La désobéissance au roi, à laquelle nous avons vu s’exercer les parlements de France, prit en 1770, sur un terrain d’ailleurs purement politique, une allure si hardie et si violente, qu’elle attira l’exil à leurs membres, ainsi qu'à plusieurs seigneurs et princes qui les soutenaient, la disgrâce du ministre Choiseul, puis l'établissement de nouveaux tribunaux, connus

sous le nom de « parlement Maupeou ». A cette occasion, le roi lit cesser une criante injustice, qui, malgré les réclamations des assemblées du clergé, malgré même un édit royal, avait clé obstinément maintenue par l’ancien parlement : les prêtres bannis depuis 1756 pour refus de sacrements virent enlin cesser leur exil, et ce genre de persécution ne fut pas repris dans la suite. — Mais nous omettons ce revirement d’ordre politique, sur lequel s’acheva le déi)lorable règne de Louis XV.

L’attitude politico-religieuse du parlement de Paris et même de la haute magistrature, sous Louis XV, est le fait capital d’où dérive, en France et hors de France, tout ce qui nous resle à signaler dans l’histoire de l’infaillibilité, du côté des Etats.

C. L'écho, à l'étranger, des maximes parlementaires et de la crise ultragallicane sous Louis X’V. — Nous signalerons cette induence i’j)en Hollande, 2 ») en Russie, 3°) en Autriche et en Allemagne, 4") et surtout en Italie ?

1°) Hollande. — Le schisme des « Appelants », dont nous avons vu le parlement de Paris prendre la tète, donna lieu au schisme d’Utrecht. Sur cette origine, et sur les relations du schisme d’Utrecht avec les Papes jusqu'à nos jours, voir les informations de l’article Jansénisme, col. n84-1186.

2°) Russie. — Lorsque, sous la pression du parlement, la majorité de la Sorbonne prit parti pour les appelants (voir col. 1485), des Sorbonnistes entreprirent la fusion religieuse de l’Orient russe avec l’Occident latin sur le terrain de l’ultra-gallicanisme, d’ailleurs sans succès. Voir Gallicanisme, col. 281, et les documents dans Fébet, La faculté de théol. de Par/.î, Epoque moderne, t. VI, p. 33l sq.

30) Autriche et Allemagne. — Ce qui avait été essayé par des ultra-gallicans pour le schisme russe, le fut en quelque sorte pour le protestantisme par un.llemand, Honthkim, disciple à Louvain d’un canoniste célèbre mais égaré dans le jansénisme, V..N Esi’KN. Ce fut en efîetsous le prétexte de ramener plus facilement par des concessions les protestants à la véritable Eglise, que Nicolas de Hontheim, évêque auxiliaire de Trêves, publia en 1763, sous lejiseudonyme de <i Fébronius », un livre sur le Pape et l’Eglise, devenu fameux.

Le Cl fébronlanisme », qui n'était ((uc l'échodu gallicanisme le plus avancé, se répandit de plus en plus dans l’empire. L’université de Vienne imposa dès 1769 à tous les aspirants au doctorat de soutenir non seulement les quatre articles de 168'i, mais encore les principes extrêmes des appelants français et hollandais : voir Gallicanisme, col. 281. Cf. Picot, t. V, p. 140, sq. Sur la consultation demandée à la Sorbonne en 1786 par l'évêque de Freisingen en Bavière, à propos des énormités d’un théologien de son diocèse contre les prérogatives du Pape, voir Fkret, loc. cit., p. 164, sq. — Sur la Ponctatiun d’Etns en 1786, où des évêques allemands très influents traitaient le Pape d' « Evêque étranger », voir Gallicanisme, col. 282 ; et Ghknon, dans l'/Iist. générale de La%'isse et liambaud, 1896, t. VII, ch. xvii, p. 835, sq. Cf. Picot, p. 287 sq. Voilà pour les milieux ecclésiastiques. — Quant au pouvoir civil, déjà sous M.RiE Thérèse le fcbronianisræ d’EvBEL, professeur à l’Université de Vienne, qui fut condamné plus tard par un bref de Pie VI (D. B., 1500), inspira des réformes imitées de celles des parlements français ou de la haute magistrature du Conseil de Louis XV : comme de subordonner au plucet royal la publication des bulles et brefs du pape, d’interdire et la profession religieuse avant vingt-quatre ans, et l’augmentation du nombre des monastères. 1503

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L’impératrice lâcha au moins d'éviter une lutte ouverte avec le Saint-Siège. — Mais à partir de sa mort et du règne exclusif de Josupu II son fils aîné (i^So-i^yo), le fébronianisme devint le « josépliisme », qui paraissait marcher vers le schisme d’une iiglise nationale. Sans jamais en référer au Pape, l’empereur « sacristain » règle minutieusement le culte ot la liturgie, donne aux évêques le droit d’absoudre des cas réservés au Pape, soumet leurs mandements à son placet, prétend les faire évéques sans que le Pape conûrme l'élection, enfin délimite les diocèses à son gré. Le voyage de Pie VI à Vienne obtient peu de chose, et pas pour longtemps. Dans samaniede centralisation àoutrance, Joseph II supprime tous les séminaires pour l’instruction et la formation du clergé, et les remplace par cm

« séminaires généraux » à Vienne, Pesf, Fribourg, 

Pavie, et enfin Louvain en 1786 ; ils seront sous la tutelle de l’Université du lieu, et de fait sous la main de l’Empereur. Il abolit toutes les confréries, supprime plusieurs ordres religieux, et dans les autres un grand nombre de monastères, puis s’empare de leurs biens. Ce n'était du reste qu’une imitation des faits et gestes de la commission des magistrats du Conseil d’Etat sous Louis XV et Louis XVI pour la I réforme des Ordres religieux », laquelle avait supprimé en France, sans l’autorisation du Pape et malgré les réclamations des évêques, les Servîtes, les Gélestins et plusieurs autres Instituts, et disposé de toutes leurs maisons et biens.

Vers la lin de la vie de Joseph II, le mécontentement grandit, la majorité des évêques de l’empire résiste et quand l’empereur veut abolir le célibat ecclésiastique, la résistance se généralise. En Belgique, où l’archevêque de Malines, par l'énergie de sa Déclaration doctrinale, venait d’empêcher l'établissement du n séminaire général ï, il } eut un véritable soulèvement. ( ; niiNON, loc. cit-, p. 832, sq. ; Picot, p. Tj ! , sq. ; 170 ; I yg sq. Assez sur Joseph H, personnage très connu.

4°) Italie. — Nous parcourrons rapidement i) la république de Venise, 2) le duché de Milan, 3) le duché de Parme et le royaume de N’aples. Enlin 4) nous insisterons longuement sur le grand-duché de Toscane.

i) La Hépiihlifjue de Venise. — L'édil sur les ordres religieux, rédigé et publié en mars 1768 par les magistrats du Conseil de Louis XV, indépendamment du Pape, fut imité dans cette indépendance et dans plusieurs de ses dispositions, en septembre de la même année, par une ordonnance du sénat de Venise : nul ne pourrait prendre l’habit avant 21 ans accomplis ; le noviciat, les vœux et les éludes de tous les religieux ne pourraient se faire que sur le territoire de la république, etc. Clément XIII réclama et, bien que Vénitien lui-même, ne jjul rien obtenir ; Picot, t. IV, p. 261.

2) Le duché de Milan (appartenant à l’Autriche). — L’impératrice Marie-Thérèse, malgré les remontrances des évêques de Lombardie, auxquels son représentant voulait interdire tout usage d’une bulle de saint Pie V, soutint l’inlerdiclion par un édit d’octobre 1768, 0Il dès le début, suivant la remarque de Picot, on reconnaîtra les principes et le style de nos parlementaires : u Les ordonnances ecclésiastiques qui excèdent les bornes de la /tare spiritu^dité et touchent aux objets temporels, politiques et économiques, ne peuvent, sans le consentement positif du prince, en qui seul réside la souveraine puissance législative pour tout ce qui a rapport à la société civile, devenir obligatoires pour les sujets ; on doit regarder comme nulles et illégitimes toutes celles qui sont dépourvues d’acceptation légal » « , etc.lbid., p. 286.

3) Le duché de Parme et le royaume de Xaples, deux cours bourbonniennes. — A Parme, en l’jôS, sous le jeune duc Ferdinand, on imita naturellement ce qui se faisait alors en France sous le chef de la maison de Bourbon. « On vit un magistrat (le surintendant royai) et ses assistants laïques s’arroger sur les églises, sur les ecclésiastiques et sur leurs biens, un pouvoir arbitraire, porter des décisions sur l’administration des sacrements… On les vit diminuer.et entraver la puissance des évêques, menacer fréquemment de la prison et de l’exil les prêtres qui résistaient à leurs entreprises…, défendre aux ecclésiastiques, aux universités, aux couvents, sans aucune exception, de porter leurs causes, même ecclésiastiques, au Saint-Siège, à moins d’en avoir obtenu l’autorisation de la puissance séculière… On défendait de recevoir aucun ordre ou rescrit du Saint-Siège sans l’ej-ei/HatHr du prince. » Picot, p. 276. — Quant à la cour de A’aples, a elle employait (contre le Pape) mille moyens odieux que Choiseul lui-même ne voyait qu’avec dégoût et mépris. » Ihid., p. 283.

4) Le grand-duché de Toscane. — Il y a lieu de s’y arrêter bien davantage, soit parce que le grandduc Lkopold, qui le premier a troublé cette principauté jusqu’alors paisible, professait ouvertement l’imitation de notre magistrature janséniste, soit parce que son synode de Pistoie résume les dernières formules et la suprême évolution du régalisme janséniste et ultra-gallican à la veille de la Uévolulion française, soit enfin parce que le Saint-Siège a condamné d’une manière très nette les doctrines et les prétendues réformes de ce synode, par la bulle Auctorem fidei.

Nous donnerons : n) Quelques détails préliminaires sur Léopold et son principal instrument, l'évêque Ricci. — /') Les 07 articles ou » points ecclésiastiques » du grand-duc, contenant ses idées sur les réformes religieuses à faire. Leur origine. — c) Historique du synode diocésain de Pistoie. — d) Historique de l’assemblée épiscopale de Florence, oiisont plus sérieusement discutés et mieux jugés les 5^ articles de Léopold. — e) Condamnation par Pie VI de beaucoup d’erreurs et de réformes blâmables du synode de Pistoie.

a) Détails préliminaires sur Léopold et Ricci. — LÉOPOLD, grand-duc de Toscane dès 1^63, frère de Joseph II auquel il devait succéder en 1790 sous le nom de Léopold II, commença avant lui à usurper les droits de l’Eglise. A l’imitation des concordats que venaient de faire plusieurs cours de l’Italie du Nord, des négociations avaient été engagées en Toscane avec Rome : mais un haut magistrat, Rucellai, persuada à Léopold que la voie des concordats était dangereuse, qu’il valait mieux rompre les négocialions, et statuer de sa propre autorité. L’influence de nos parlemenlairesapparait visiblement, soildans cette manière de se passer de Rome en matière religieuse, comme Joseph II le fera à son tour, soit dans l’engouement pour lejansénisine, donl le grandduc se fit bientôt l’introducteur parmi ses sujets, soit enfin dans la lettre qu’en janvier 1780 il adressa aux évêques de ses Etats sur la Police extérieure de l’Eglise ; formule fameuse, empruntée au parlement de Paris, qui l’avait imposée à Louis XV et s’en était constamment servi pour envahir le domaine spirituel. De même la lettre de Léopold donnait des principes sur les ordinations, sur l’adminislrationdes paroisses, sur les tribunaux ecclésiastiques, sur les dévotions, surlesordres religieux, etc. Il y était défendu, entre autres choses, de « porter hors de l’Etat » — c’est-à-dire à Rome — les causes même ecclésiastiques parleur nature.

La même année 1780, il nomma Scipion Ricci 1505

PAPAUTE

1506

évc(|iie dfs deux diocèses réunis de Pisloie el de PiMli). Uicci, dés l’aube de sa vie eeclésiasUque, s'était jelo dans le jansénisme, qui s’infiltrait alors en Ualle sous sa pire forme, celle deQuesnel, des appelants et des parlements de France. Fait évêque par le prince, il d< ! vint iiienlcM son conseiller. Il attira dans son diocèse desjaiisénistes militants de divers points de' l’Italie, et tenait chez lui des conférences où l’on plaidait la cause des appelants français el des scliisraatiipies d’Utreclit. Ua laissé des écrits violents contre la dévotion au Sacré-Cœur, dépeinte alors par les jansénistes comme une idolâtrie. Sous sa plume, QUKSNBL devient n un savant et pieux martyr de la vérité » ; il prend pour B lumières de l’Eglise » îles {fens comme MiisRNGUi, dont l’Exposition de la dactniin chrélieniie, déjà mise à l’Index par Benoit XIV, avait été solennellement condamnée en 1761, avec sa traduction italienne, par un bref de (élément XIII ; des gens comme Gourlin, prêtre appelant, grand soutien de la secte, auteur fécond mais toujours anonyme, chargé de la partie tbéologique des tXouvelle^ l’cclfsiasliques, cette gazette agressive que les évé(|iies de France, au temps oii Louis XV leur imposait au nom de la paix la « loi du silence », demamlèrent au roi de faire taire à son tour ou de supprimer, sans jamais pouvoir l’obtenir, protégée qu’elle était par les magistrats jansénistes du conseil royal. Uicci choisit pour son diocèse le catéchisme de Gourlin, dédié à la reine des Deux-Siciles, el imprimé à Paris avec la fausse désignation de

« Naples », ce qui l’a fait appeler « Catéchisme de

Naples ». En outre, il fonda à Pistoie une ty|)ograpliie destinée à imprimer les plus haineuxpamphlels de la secte contre le Saint-Siège, traduits en italien, alin de combattre, disait-il dans la préface du recueil, a les injustes prétentions de celle Babylone spirituelle qui a bouleversé la hiérarchie ecclésiastique, et menacé l’indépendance des princes i>. Ce recueil eut plusieurs volumes, remplis de brochures alors déjà oubliées en France, de disputes sur des personnes el des faits inconnus en Italie. Etait-ce pour semer en Toscane la discorde qu’il voyait ailleurs ? PiK VI s’edorça en vain de ramener Ricci à la foi catholique et au bon sens. — Picot, iti’rf., p. i 13, sq. ; 441, sq.

6) /. «.s- 57 articles du grand-duc, sur les réformes relijiieuses à faire : leur origine. — En janvier i^S*), Léopold lit un nouveau pas. Il envoya à tous les évcr|ues de ses étals 67 articles, ou « points ecclésiasliques », contenant ses idées, avec une certaine longueur de rédaction, et non sans redites. On les trouvera tout au long dans Mansi, Collectio Conciliorum, nouvelle édit., Welter, Paris 1907, t. XXXVIII, (supplémentaire), col.gggà 1012. Nous examinerons plus bas les prini^i|)aux, en parlant de l’Assemblée de Florence ; et nous verrons alors combien ils dérivent du régalisnie ultra-gallican de la magistrature janséniste de Louis XV.

Le témoignage de l'évèqxie Ricci dans ses./l/e'/nojres conlirme d’ailleurs l’origine française des idées politico-religieuses deLéo|)old, C’est un grand admirateur (mis à l’index) qui nous le fait remarquer, UB Potteh :

(( Il avait extrait tous ses points^ presque article par article, <le VEccU-siastiqne citoyen, publié en France mi coijiinencetnent de l’eflecvescence rcvo ! ulionn ; iire et (^oni Hicci possédait un exertiplnire tout ajostillé de In main du grand-dur. » Dp PoTTrH : Vie et.Mémoires de Scipion de Ricci, Pans. 1826, t. II, p. 210. Pour le témoignage même de lîicci, voir Gflli, Memorie di Scipione de llicci, Florence, 1865, t. I, p. 458 ; Mansi, loc. cit., col. 900.

L’ouvrage français dont Léopold s’est spécialement ins|)ir^ est un in-12, pp. (xx) ^80 ; Bibl. Nat.,

Tome III.

Ld' 3087, sous ce titre : Ecclésiastique (/, ') citoyen, ou Lettres sur les moyens de rendre les personnes, les ctablissementset les biensde l’Eglise encore plus utiles à l’Etat et même à la religion, Londres, 1785.

L' ; iuteuc anonyme est, dit-il,. citoyen et minislie de i’Eglisi' : il écrit en cette double qualité ». Comme on le voit pur ses premièces lettres, il voudrait améliorer le sort ties curés^ qu’il préfère de beaucoup & tous les autres pi'étres, notiiniment aux chanoines et aux moines, « Kst-il nccessairc qu’il existe des religieux ? N’v en a-t-il pas beaucoup trop ? >> (lettrée 9). Pour la comparaison avec les idées du grand-duc, voirencore et surtout les lettres 13 M 17, où l’anonyme expose un « pi-ojet de reforme ». — Il respecte pourlimt la « religion et I'é[>isco|)at », et terraîtie son livre en montrant « l’intérêt du gouvernement à faire respecter la religion »,

Les 57 articles vont servir de thème au synode diocésain de Pistoie, présidé par l'évêque du lieu, Rrcci. Le plan du grand-duc était de s’appuyer tout d’abord sur Ricci seul, dont il était très sur, et de faire passer grâce à lui toutes ses idées. Pour les autres évêques de Toscane, dont il n'était pas sûr, et dont la plupart lui donnait des raisons de craindre, il les mettrait par le synode de Pistoie en présence d’un fait accompli, et, suivant les circonstances, s’elTorcerail d’obtenir leur adhésion, soit par des synodes diocésains chez eux à I imitation de celui de Pisloie, soit par tout autre moyen.

t) Historique du synode de Pistoie, — Le synode diocésain de Pistoie, qui s’ouvrit avec a34 prêtres, des curés surtout — Ricci, dans son mandement de convocation, avait grandement (lalté les curés, — n’a duré que dix jours (septembre 1786). C’est dire qu on n’a pas pu sérieusement examiner ni discuter le vaste progiamræ du grand-duc. On s’est presque borné à approuver de confiance et à signer un travail fait d’avance sur ce programme, maison la partie dogmatique du jansénisme était largement déveloj)pée (toujours eu italien) L’auteur principal était le professeur Tambchini, déclaré promoteur du synode, bien qu'étranger au diocèse et même à la Toscane. Ce travail était divisé en 14 décrets. — Picot, lue. cit., p. a52, sq.

Le premier décret, sur la Foi el l’Eglise, nous intéresse spécialement, parce qu’il traite au long la question de l'/zi/V^/V/iii/i^e, à partir du n'ô ; Mansi, /oc. c/7., col. ioi/t-1017. Après avoir établi deux principes : i)que notre religion est fondée sur une révélation ancienne et immuable, faite ou transmise par le Christ et ses Apôtres ; 2) que, pour parer à l’obscurcissement dps vérités révélées, il faut un magistère vivant, un juge des controvcrses parlant avec infaillibilité, — . Ou reconnaît ici l’idée de Richer, repro<luite par Fébronius : le titre de vicaire deJ.-C. ap|)artient premièrement à tous les pasteurs aussi bien qu'à l'évêque de Rome ; c’est à « Uuit le corps > iiue les pouvoirs ont élé premièrement remis par Noire-Seigneur, en leur imposant toutefois de les transmettre à un pontife unique, qui deviendra ainsi leur mandataire, leur ministre, avec une certaine primante nécessaire au maintien de l’unité, et ainsi leur « chef ministériel ». Ouant au privilège d’infaillibilité, le synode ajoule : « Une telle infaillibilité à juger et à proposer aux lidèles les articles à croire, n’a été accordée à personne en particulier, mais seulement au corps des pasteurs représentant l’Eglise. » C’est la négation de Vinfaillihilité purtivulière du Pape, que nous défendons en plus de celle de l’Eglise unierselle. — Répondant ensuite à une difliculté sur la 1507

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1508

coiicilialion des doux principes établis au début, ils disent qu’assurément, si un jugement de l’Eglise veujiit il contredire la révélation ancienne contenue dans l’Ecrilure et l’antifiue tradition, il serait abusif, et non inl’aillible ; mais que le fidèle n’a pas à craindre de l’Eglise universelle un abus semblable, car

« t>tle même assistance dJTJne, qui assure à l’Eglise le

droit de ne pas errer quand elle inter|iose son jugenïonl sur la doctrine (spi’culative) et sur la morale, lui « ssure aussi et pour la même raison le privilège de n’en pas abuser ; et si cette garantie de sécurité manqu.ut, iious Si-rions également incertains dans notre croyance, et 1 on pourrait se demander toujours, si l’Eglise n’a pas abusé de son autorité, si elle ne s’est pas écartée des véritables sources (de la révélation), qui rendent ses décisions InfaillibU-s. Une telle méthode aboutirait à subordonner les décisions de l’Eglise universelle onx cap ? ices lU au jugement privé de chacun des chrétiens. » Ibid., u. 10, col. 1015.

Oui, « une telle méthode » rendrait illusoire et inutile la nécessaire infaillibilité de l’Eglise universelle. Mais n’était-ce pas précisément la méthode des jansénistes, quand ils subordonnaient depuis si longtemps à leur caprice et à lenr jugement privé la bullo [’ni^enitus, bien qu’acceptée par l’unanimité morale du corps épiscopal, et partant, infaillible décision de l’Eglise universelle ? Le document de Pistoie entrevoit cette grave objection, et s’ed’orce d’y échapper :

« … Tout fidèle, dit il, a l’obligation rigoureuse li’écouter

les décisions de l Eglise universelle, cl de réforuier sa pro[>re croyance quand elle leur est opposée. Mais comment pourra-t-il écouter cette voix et réfornïeT- cette croyance, si les décisions mêmes étaient vagues, eiubrouillées et obscures.’Ce qui doit être proposé à la foi des jieuples, ce qui doit servir comme de base à la sanctification de chacun, doit être clairet déterminé. Une décision incertaine et ténébreuse ne ferait que multiplier les division-^ et les doutes ; et ce serait pécher non seulcmerit conirela religion mais encore contre la logique, d’exiger la croyance à des doctrines dont on ne sa-t ce qu elles sont, ou de con<lamner des erreurs que l’on ne connaît pas encore, ou d’exiger une croyance limitée, respective, indétornîinée, etc. Si un tel cas se présente, les fidèles sonte : i flroit de demande ! - l’explication ; et tant qu’elle ne leurest pas donnée d’une manière précise, ils n’ont aucunement le devoîï’de se déterminer |)ar des décisions aussi iri’éguUères ; qu’ils remontent plutôt, autant qu’on le peut, à la sure doctrine des Ecritures et delà tradition. » Ibtd.^ u. 1-2.

; Mais tous les hérétiques dont nos jansénistes de

Pistoie admettent la juste condamnation par l’Eglise (Mlholique, les Arius, les Nestorius, les Pelage, etc., disaient la même chose qu’eux, pour se débarrasser de leur propre condamnation. « On ne connaissait pas encore assez leur doctrine » quand on l’avait condamnée ; les décrets qui les condamnaient

« étaient vagues, embrouillés et obscjirs » ; ils

n’étaient tenus à rien, tant qu’on ne leur fournissait pas d’(I explication précise » ; en attendant, ils o s’en tenaient aux Ecritures, ou à l’antique tradition >'. Si l’échappatoire avait queli]ue valeur, tous les hérélicpies écliai)[ieraient à leur condamnation, et l’infaillibilité de l’Eglise deviendrait donc illusoire et inutile : ce que ne veut pas le document de Pistoie, qui se contredit ainsi à deux paragraphes d’intervalle. C’est sans raison, d’ailleurs, qu’il exige dans les décisions de lEglise, sur ces questions ardues des mjstères révélés, une clarté, une détermination, une précision d explication qui n’appartient pas à l’inlirmité de notre connaissance ici-bas. L’infaillibilité de l’Eglise n’est pas la parfaite science, ni la clarté absolue ; on ne trovive nullement cette clarté ni cette précision d|ins <( ; » sles décrets des anciens conciles, que les jansénistes vénéraient et tenaient pour règles obliga toires de notre foi (n. g). D’autant plus que la décision de l’Eglise sur une question de ce genre, pour laisser un libre développement au travail futur des exégèles et des théologiens, qui lui est nécessaire ou utile, se borne d’ordinaire à exiger l’adhésion irrévocable à un certain minimum de vérité, respectant la liberté de la science et laissant aux discussions privées les précisions ultérieures, qui ne sont pas encore définies ; d’oii il résulte que la définition reste i( vague et indéterminée ».en tant qu’on la compare aux précisions plus nettes apportées par les explications tbéologiques diverses et parfois opposées, qui restent permises en attendant une décision nouvelle.

Au fond, ces superbes exigences de précision et de clarté parfaite dans les décisions de l’Eglise, quand il s’agit par exemple des mystères de la grâce défendus par les Papes contre Jansénius et Quesnel, portent la marque du rationalisme de l’heure, auquel les jansénistes cédaient de plus en plus, tout en prétendant le combattre.

Bien caractéristique aussi de l’heure que l’on vivait, cette onctueuse déclamation qui vient ensuite sur les

« jours heureux » où l’Eglise ne connaissait encore ni (( les

plaies vives que lui ont faites ces décisions indéterminées », ni le « malheur des temps, permis ensuite parla divine Providence pour réjirenve de ses teriteurs >). Eu cet âge d’or, à l’abri « <lcs perturbations, du despotisme, des incertitudes, des graves innovations », l’Eglise <( cherchait ù enseigner et à persuader, non pas à imposer et à exiger i l’aveugle)>.Etpuis il ne faut pas « abuser du nom d’Eglise. Des décrets sortis d’une église particulière » — 0-1 évite de nommer Uome — - a mis en avant avec des intenlior)s moins pures, tendant à renverser l’antitiue doctrine, imposés par des moyens irréguliers et violents, ce n’est point la voix de l’Eglise. Sabtis ne serait pas moindre, si l’autorité ecclésiastique outrepassait le » limites qui la renferment dans la doctrine et la morale, et touchait aux choses extérieures », oublieuse du cai-actère

« purement spirituel que lui a donné le divin Rédempteur, 

si les [lasti^urs sortaient de ces limites, ils n’auraient plus aucun droit à la divine assistance promi-e, et lents déterminations ne seraient que des usurpations, propres à semer le scandale et la division dans la société. »

A ce mot A’ahus souvent répété, on croit entendre résonner la voix de nos procureurs du roi, lançant un appel comme (Va}>us contre tout mandement épiscopal qui « semait la division » en réfutant un pamphlet janséniste contre les é^êques, ou qui se permettait de rappeler les règles ecclésiastiques du refus des sacrements, chose extérieure.

Conclusion dudécret : « Le saint synode, donc, en reconnaissant la véritable autorité de l’Eglise, rejette solennellement toutes les additions que la passion y a faites dans les siècles postérieurs, persuadé qu’il n’appartient pas à l’Eglise de s’ingérer dans les droits temporels de la souveraineté, établie immédiatement par Dieu lui-même, d El c’est pour « fixer ces frontières » de l’Eglise et de la souveraineté en recourant à une parole « des plus valables et des plus sacrées », que le sj’node adopte « 1rs quatre celi’hres articles du Clergé de France, qui firent tant d’honneur aux lumières et au zèle de la respectable assemblée de 1682 ». Suivent les quatre articles en italien. Encore un écho du parlement de Louis XV, si empressé à ressusciter l’enseignement de 1682 et à l’imposer. — Le décret se termine jiar un exemple vivant des rapports vrais entre l’Eglise et la « souveraineté » et en même temps un hommage rendu à la n piété éclairée du très religieux souverain ». le grand-duc. Jugeant dans sa sagesse qu’une décision de Paul II, insérée dans le droit canonique (Amhitinsac ). « tendait à confondre les deux puissances que J.-C. a voulues absolument distinctes j>, Léopold 1509

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1510

« l’a abolie par son royal motii proprio <lu a8 août

1584 », et on l’en remercie.

Le second décret, sur la Grâce, la Prédestination et les fondements de ta Morale, débute par une assertion ijue Pie VI con laïunera coiuuo hérétique, sans doute parce qu’elle énuivaul à nier la perpétuelle iiifaillihililé de l’Eglise : « Dans ces derniers siècles, un oiisiiurcisseinant^c/it’ra/ s’est répandu (donc dans toute l’Eglise) sur les fériléx les plus importantes île la religion et qui sont la base de la foi et de la morale de J.-C.s Ma.nsi, 1017. Bjssuel aurait proteste, et 1682 est bien dépassé. — Suit le résumé des principales erreurs des jansénistes, attribuées à saint Augustin, suivant leur usage.

Les décrets suivants roulent sur les Sacrements en fléaéraï et irn particulier, du baptême au Mariaqe', avec au cojnpiément sur lu Prirre (publique et pr-ivée, et les dévotions), sur la vie et le bon e^'^niplc ties clercs, sur les C’o^/'*f/-evictî5 eGc11181asli » |ues. et sur les Statuts synodaux ; Ma.nsi, col. I02t>-l()8'i. — Il appartient moins ît notre iujet de nous arrêter à ces décrets, ou aux t^ravos ri-f’ortnes que le synode, ensuite, prie buniblenient le sunvei-ain de ûécider par lui-même (comme l’abolition des fiant^uillles, et d’urie pavlin des empêche. nents du marinj^e, la suppression de certaines fêtes religieuses, le plan de réforme désordres religieux, la octnvocation d’un concile national), sous pi'élexte que ces réformes po.tenl sur la < di-icipline extëi’ieure)> et comme telles « sortt de la compétence de lu souveraineté » : encoi-e une imitation de nos parlements. Ou se borne donc î » jïrésent.*r, surcos divers points, des ((.Mémoires justiticalifs » ; Mansi.coI. Id.S.'^- 1 U>2. Le mémoire sur les ordres religieux est le plus extraordinaire : il demande que Léopold réduise tous les oïdi’es relij^ieux de ses Etats à un seul, qui suivrait la rè'.cle de S. Benoît, mais retouchée r d’après In méthode dévie de ces Mes-iienrs de Port-Koyal ». Simples laïques, ils n’auraient ni église |iul>li(pie, ni ordres sacrés ; tout au plus pourrait-on, dans un monastère, en 0['donrier un ou doux pour servir de chaj)elaiTis aux autres. Ferait des vceux qiu voudrait, avec la pei’mission de l'évêque, leur seul supérieur, mais des vœux annn -Is ; surtout, pas de promesse de stabilité ; un seul monastère par diocèse et pi utét il la campagne. Les religieuses de ! "Ordre pourraient faire des vœux perpétuels, mais pas avant 40 ou 45 ans. Mansi, col. 1098.

Ce synode diocésain de Pistoie, que le parti janséniste décora plus tard ilu nom de « Concile », n’alla p^-.s sans dillicultés. Pour obtenir les signatures, Ricci n’avait rien négligé, concession decaniails violets à tous ses curés, etc. Onze pourtant refusèrent de souscrire. Un chanoine protesta contre l’exigence si précipitée d’une réponse décisive à tant de graves questions ; d’autres ne signèrent que sous condition de l’approbation du Pape. D’ailleurs bien des prêtres avaient été écartés du synode par Ricci comme des opposants notoires, surtout le clergé presque entier de Prato. Aussi convoqua-t il ses prêtres, en avril 178-5, à une retraite pastorale pour les amener à signer tous ; 27 seulement y assistèrent, dont 20 refusèrent de signer ; i’atholic Encyclopedia, New-York, igi 1, t. Xll, p. 1 17 (avec la bibliographie du synode).

d) Historique de l’assemblée épiscopale de Florence^ oii sont plus sérieusement discutés et mieux jugés les 57 articles de f.éopold. — Le grand-duc avait retardé l’impression des Actes du synode de Pistoie ; en 1787, il la permit à Ricci. Il venait de recevoir séparément de chacun de ses évèqiies les observations qu’il leur avait demandées sur ses 67 points : assez contradictoires entre elles, on y voyait toutefois percer un vague désir général de satisfaire le prince. Il en conçut l’espoir d imposer à toute la Toscane les irlées qui avaient eu quelque peine à triompher à Pistoie, et convoqua à Florence les trois archevêques et les quinze évéques de ses

Etals, pour une « assemblée privée » qui pourrait so transformer ensuite en « Concile public et formel ». Elle devait d’abord « déterminer les règlements et formalités à observer dans le Concile national », puis examiner en coniumn les 57 articles. « Les prélats les discuteraient avec la liberté la plus entière », pourraient en proposer d’autres, et Il s’entendraient sur les canons d’un Concile national qui, ainsi préparé, pourrait suivre immédiatement ». Pour arriver à cet heureux résultat, on les exhortait « à se sacrifier mutuellement une partie de leurs opinions personnelles, quand ils le croiraient possible » ; enliu « ce serait un moindre mal d’omettre dans le Concile quelques articles sur lesquels l’assemblée n’aurait pas pu s’accorder, que de les y proposer avec danger de désunion et de scandale ». Picot, t. V, pp. 272-274 ; nu Potter, t. II, pp. 240, 241 ; Mansi, col. 1113-1116.

Cette assemblée de Florence (28 avril-5 juin 1787) ne répr)ndit pas à l’espoir de Léopold : elle fut ta contrepartie et la condamnation du synode de Pistoie. Elle est bien moins connue, ce qui nous force à nous y arrêter un peu ; et i)ourtant le grandduc a pris soin de faire imprimer un volumineux recueil, en italien, de Vllislotrc et des Actes de cette assemblée, Florence, 1788. 7 vol. in-4 «. Le rédaclenr anonyme est l’abbé Tanzini, qui avait assisté à l’assemblée comme conseiller de l'évêque de Colle, un ami de Ricci ; cardiaque évoque avait amené avec lui un ou deux consulteurs ; le prince était représenté par un « commissaire royal », conseiller d’Etat et ministre des linances, qui présidait l’assemblée, aidé par deux « canonistes royaux » et quatre » théologiens royaux », qui prenaient souvent la parole dans lesensdu grand-duc. Les trois premiers volumes du recueil sont une Histoire, d’abord de la situation religieuse en Toscane avant Léopold, ensuite des réformes religieuses opérées par lui pendant son long règne, enfin de l’assemblée elle-même ; une histoire tendancieuse dans toutes ses parties. C’est en somme un panégyrique du prince, et une diatribe contre les Papes, contre leurs défenseurs, et contre leurs bulles condamnant le jansénisme. Les quatre derniers volumes, plus importants pour la véritable histoire, contiennent les Actes officiels de l’assemblée avec quantité de documents, de lettres et demémoires particuliers qui s’y rapportent. Les procès-verbaiix des 19 séances (ou sessions) signés par les trois archevêques et les quatorze ou quinze évêques présents, se trouvent dans le supplément de Mansi t. X.^XVIII, col. 1 1 1 1-1218, suivis de quelques autres pièces principales.

Seuls, les membres de l'épiscopat avaient droit de voter. Des la première séance, le partage des votes, tel qu’il devait généralement durer jusqu'à la dernière, se (it de la manière suivante. D’une part, la grande majorité des prélats volaient pour la tradition et l’orthodoxie, sauf quelques concessions sur des points qui alors paraissaient secondaires et les formules régalistes du temps ; très prompts du reste à reconnaître les idées justes du prince, et à accepter les réformes licites et utiles. D’autre part trois oppos : ints, rarement un ou deux <le plus, appuyaient en général les réformes les plus téméraires et les doctrines les plus contraires au SaintSiège : de cette opposition irréductible, Ricci était le chef.

La II séance commença l’examen des 57 articles du prince. Le 1", roulant sur la terme des synodes diocésains, fut divisé en six parties, olfertes successivement au sulfrage des évêiines. Ils approuvèrent unanimeinenl les projets de Son Altesse R. dans les cinq premières, La dernière, à savoir que les 1511

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prêtres devaient avoir au synode roi. » décisive avec î'évêque (ce qui était une nouveauté sentant le prcsbytéiianisuie), fut rejetée par tous les évéïiues, qui, à part les trois opposants, luainlinrent la voix pureineiU consultative en usage dans l’Eglise. Mansi, col. 1 124, iia5.. '♦ '

Sur l’article 4, où Léopold parlait de « corriger les prières publiques, quand elles-renferment qucl([Ue chose de contraire à la doctrine de l’Eglise ». on observa que ceci ne peut arriver, quand il s’agit de

« prières qui sont dans l’Eglise d’un usage universel », — à cause de l’infaillibilité de l Eglise universelle. Du reste tous se prêtèrent à une certaine réforme du missel et du bréviaire, mais « selon les

règles canoniques ». Et l’on élut, pour diriger cette réforme, à la pluralité des voix, les archevêques de Florence, de Pise et de Sienne. — « L’administration des sacrements en langue vulgaire », soumise par le grand-duc à l’examen des évêques, était une nouveauté si téméraire, queRiccilui-uième proposa plutôt une version italienne du rituel et du poiitilical romains, avec laquelle on composerait un manuel pour faire entrer lo peuple dans l’esprit de la liturgie. Tous furent d accord pour approuver son projet, et pour en confier l’exécution aux trois archevêques ; sess. III, col. 1128-1130.

Dans sonarticle 5, le jjlus intéressantpour nous à raison de notre sujet, le prince, soucieux de voir ses évéques a revendiquer leurs droits originaires, abusivement usurpés par la cour de Home », les invitait à examiner « parmi les dispenses que Rome s’est réservé d’aceorder (et il en citait 12 exemples), quelles sont celles où cette réserve semble empiéter sur la légitime juridiction des évéques ». — lj’archevéi)ue de Pise, quidirigeait les débats, refusa de les engager dans la voie longue, obscvire et épineuse où Ricci prétendait les attirer, et où il eût fallu résoudre tant de questions historiques et théologiques sur ces i droits originaires ». (Juoi qu’il en soit des premiers siècles de l’Eglise, dit-il, la décision de certaines questions, après avoir appartenu dans un temps à l'évêque, a passé au concile provincial, ou pour les choses plus sérieuses au Saint-Siège, qui a pour lui une longue possession de ce droit de dispenser, à laquelle les conciles mêmes de Constance et de Bàle n’ont pas cru pouvoir déroger, ni toutaulrp concile œcuménique : un concile national le pourrait bien moins encore. Puisque le souverain désire que les évéques de Toscane donnent certaines dispenses, on pourrait concilier son désir avec le respect dû au Saint-Siège, en recourant à une solution suggérée par le souverain lui-même dans une circulaire de 1779 : ce serait de demander collectivement à Rome, avec la permission de Son Altesse Royale, la concession de diverses dispenses jugées nécessaires par l’ensemble de notre épiscopat. — Plusieurs prélats défendirent cette si>lution contre des théologieijs royaux, comme plus conforme à l’unité de l’Eglise, et plus rassurante pour les consciences des évéques et des eurés ; et peut-on appeler

« usurpation » ce qui a répondu aux nécessités des

temps, et qui, étant le fait des circonstances, a été consacré enfin parle droit canonique ? Un prélat soutint même, par la preuve évangélique, l’infaillibilité du Pape. — Les opposants, voyant que cette solution l’emportera, se bornent à réclamer que, dans leur lettre au Pape, les évéques lui demandent de « rentier dans l’exercice de leur droit de dispenser ». Mais cette formule, qui insinue ces u droits originaires » que précisément la majorité ne veut pas alUrmer, n’a pas de succès. C’est au fond la formule de 1 archevêque de Pise, un peu retouchée dans sa forme, qui triomphe à la grande majorité

des suffrages. Examinant ensuite en détail les dispenses indiquées par le prince, lagrandemajorité en retranche une, qu’elle ne juge pas utile de demander au Pape, celle qui permettrait de séculariser les religieux ; on s’accorde pour demander toutes les autres, et personne n’en propose de nouvelle à ajouter à la liste. Sess. iv, col. 1131-i 1116.

Par l’article 7, Léopold avait} invité les évéques à

« prescrire une méthode unifopni^d'études ecclésiastiques » aux séminaires, universités,.académies et

couvents, ((ui fût basée « sur la doctrine de S. Augustin i> et à « prescrire les auteurs » répondant le mieux à cette doctrine. Après une discussion assez confuse, tous s’accordèrent à nommer une commission pour proposer à l’assemblée une méthode et un choix d’auteurs. (Jiiaiit à la dillLcile interprétation de « la doctrine de S. Augustin », la grande majorité Ijxa par un vote cette direction générale indiquée par l’archevêque de Florence, « que S.Augustin fût choisi pour docteur, spécialement dans les matières de la grâce et de la préilestinalion, mais en lui ad/oignant son fidèle interprète. S, Tlioinas » : addilion doublement contraire aux jansénistes, en ce qu’elle rejetait leur augustinisme à eux, et leur refusait de bannir la scolastique de renseignement. Sess. v, col. 1138-1140.

Dans l’examen des articles suivants, l’assemblée décida souvent de laisser à la prudence de chaque évêque, suivant les circonstances particulières de son diocèse, des questions que le grand-duc tendait à faire trancher par une loi générale, luathématique et trop rigoureuse, par exemple, de lixer à un minimum de 60 écus de rente le capital nécessaire à rhonnéle subsistance d’un prêtre, que tout candidat devait posséder réellement à litre de patrimoine, pourpouvoir être ordonné à la prêtrise ; — de retarder jusqu'à 18 ans au moins, l'âge absolument exigé pour la tonsure ou l’habit clérical, ce qui était contraire au concile de Trente ; — la suppression radicale des enfants de chœur, même dans les cathédrales : on lit observer que ces enfants fournissaient de bonnes vocations ecclésiastiques ; que les vocations par ailleurs devenaientdeplusenplus rares, qu’elles tendaient à se recruter parmi les pauvres, auxquels il ne fallait pas enlever ce secours donné à leurs enfants, si l’im ne voulait pas les priver du nombre nécessaire de prêtres (Sess. vi, art. 8-12, col. 1142II 46).

Uien d’autres articles du grand-duc, à l’inconvénient de supprimer des usages reçus dans l’Eglise, ajoutaient celui de scaudaliser ou de froisser vivement les lidèles. L’article 2g prohibait toute messe de liequieni chantée, à l’eiceplion d’une par mois, pour tous les morts : c'était priver les liilèles de célébrer avec quelque solennilé les funéraillesou les anniversaires de leurs chers défunts. Et les fondations faites, n’obligeaient-elles pas en justice ? L’assemblée rejeta cette triste innovation (Sess. xi, col. iiCg.sq). — L’articleS^ enlevait tous les ex-vo/o, souvenirs touchants des grâces reçues ; et supprimant toute quête à l'église, n’ailmettait qu’une quête pour les pauvres réléguée à la porte. L’assemblée n’approuva point, tout en laissant à la surveillance des évéques les abus possibles (Sess. xii, col. 1177). — La communion des fidèles n'était prévue qu'à la grand’iuesse (art. 45). L’assemblée loua le fait de communier à la grand’messe du dimanche quand on le pouvait, mais elle déclara, selon la pratique de l’Eglise, pour la commodité des lidèles qui ne peuvent jeûner si longtemps, et pour la fréquence des communions, qu’il est permis de communier même hors de la messe (Sess. xiii, col. 118J). — L’article 50 abolissait toute prédication en dehors 1513

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des prônes et catéchismes du curé, surtout les panégyriques <les Saints. € vaine pompe oratoire sans aucun fruit ». On lit remarquer qu’il ne faut pas seulement instruire, mais encore craouvtiir et convertir ; que les curés n’ont pas tous le don de la parole ; qvie, même à la campagne, il faut parfois un prédicateur extraordinaire, qui serve aussi de confesseur extraordinaire ; que les panéjfjriqucs des Saints, remontant à l'époque des Pères, et intéressants pour les lidèles, deviennent utiles s’ils contien nent, comme en France, une partie d’instruction morale (col. 1 185).

L’article b^, parmi les livres à distribuer graluileInenl à tous les curés pour les aider dans leur ministère, proposait des ouvrages solennellement condamnés par l’Eglise, comme les Uéflexions de Quesnel, VËxposilmn de la docirîrie chrétienne de Mézenguy : et les œuvres des rares évoques jansénistes de France, comme le ealécliisme, de Colberl. évéque de Montpellier, les Instriicliiins de Filz James, évéque de Soissons, et le Itiliiel d’Alet. La grande majorité de l’assemblée remplaça les Réflexions dcQuesnel par les Méclitalions surlfs Evangiles de Bossuet ; le catéchisme de Colbert par celui de Bossuet ou d’un évoque italien ; Mézenguy par une traduction du Catéchisme romai’i. avec Notes ; le rituel d'.-Vlet par le Rituel romain, que les trois archevêques acceptèrent de traduire, avec notes et additions (col. 1190, sq.).

On examina entre autres choses, par ordre du prince, le mémoire par lequel le synode de Pistoie avait justilié le désir royal de supprimer ou de changer certains empêchements dirimants du mariage, en usage dans l’Eglise universelle. D’après les idées régalisles alors si rcpandues.les évêiiues de Toscane faisaient sans doute une part au chef de l’Etat dans la constitution des empêchemenlsdirimants, à raison du pouvoir qu’ils lui reconnaissaient sur le « mariage considéré comme contrat », qu’ils se figuraient réellement et essentiellement distinct du mariage-sacrement. Toutefois, disent-ils, l’assemblée, « soucieuse des respects dus au sacrement qui est uni au contrat, ne se croit [)as autorisée à interpréter les canons du concile de Trente (sur ces empêchements), mais en vue d<i repos des consciences, et de prévenir en pays étranger les doutes qui pourraient s'élever sur la légitimité (des mariages ainsi permis p.-ir le grandduc), le » évêques (de la majorité) supplient humblenient le très pieux souverain que, lorsqu’il jugera bon de réaliser son projet en tout ou en partie, il veuille qu’en 'uu point si délicat on avertisse le chef de l’Egli-e, et que l’on procède de concert avec lui ». Sess. XVI, col. 1206.

Enliu l’assemblée signa une supplique à Son Altesse pour la tenue très prochaine du concile national, avec permission d'élire auparavant quelques-uns des leurs afin de rédiger les conclusions de leurs débats dans une forme plus concise, plus méthodique, et qui put être soumise avec plus de convenance à l’approbation du souverain (Sess. xvii, col. 1208). C’est du commencement de juin i^S’j que datent les dernières séances, marquées par les efforts infructueux d’une faible minorité pour faire revenir l’assemblée sur plusieurs de ses décisions.

Irrité de cette fermetédes évêques, Léopold renonça pour un temps au concile national, et prononça la dissolution de l’assemblée. Il congédia les prélats avec des reproches amers ; voir Picot, Mémoires…, t. V, p. a’j'j, d’après les Nouvelles ecclésiasii'/iies. — Bicci n’avait pas attendu la fin des séances pour faire arracher aux Madones même les plus vénérées de ses deux diocèses leurs manlellini, voiles doul on les couvrait selon l’usage italien pour ne les montrer

qu’aux jours solennels. Et pourtant l’assemblée avait désapprouvé, parmi les articles du grand-duc, cette sup|)ression générale et sommaire, qui, sans nécessité, froisserait certainement le peuple, col. 1166, sq. ; Ricei eut à se repentir de n’avoir pas écouté la majorité. Le 20 mai, une émeute éclate contre lui dans sa ville de Prato ; à la cathédrale, ses armoiries et son trône sont enlevés et brûlés sur la place publi(iue ; le palais épiscopal est envahi, Quesnel et autres livres jansénistes qu’on y trouve, jetés au feu ; on fait recouvrir par les prêtres les images dévoilées. Léopold vengea cette insulte par de durs châtiments. Picot, p. j'^S, sq.

Le récit précédent de l'épiscopat de Ricci est confirmé et complété par la correspondance du nonce de Toscane, conservée aux archives vaticanes, et utilisée par Jules Gbndhy, l’ic VI, xa vie, son pontificat, 1907, t. 1, dernier chapitre. — En 1790, le grandduc succède à son frère.loseph II, raort sans enfants. Instruit par leur double échec en i>olitique religieuse, Léopold II inaugure à Vienne une attitude moins hostile aux évêques et même au Pape, et supprime en Belgique les odieuses institutions du josêpliisme ; il meurt en 1792. Picot, ibid., >. I116, sq. — Le jeune Ferdinand 111. fils de Léopold et son successeur en Toscane, avait exigé de l'évêque de Pistoie sa démission. Picot, p. 419. — Dans sa retraite, poursuivant la propagande de ses idées, Ricci a entretenu une correspondance avec le clergé constitutionnel de France, surtout avec l'évêque Grégoire ; pareillement avec le schisme d’Utrecht. Attiré par Pie Vil, il eut, avant sa mort, sinon une véritable rétractation, du moins une déclaration qui y ressemble. Db Pottbh, Vie et mémoires de Ricci, t. lll. Pièces justificatives. Les éditeurs du supplément de Mansi, Conciles, t. XXXVIII, ne croient pas à une rétractation sincère, col. 997.

e) Condamnation par Pie K/ des principales erreurs du synode de Pistoie ; bulle Auctorem fid<'i, 1794 Une des formes de la propagande de Ricci, démis de l'épiscopat, c'était de faire traduire les Jetés et décrets de son synode eu diverses langues. Déjà des professeurs de l’université de Pavie, ceux qui avaient composé les décrets mêmes du synode, en avaient fait en 1789 une traduction latine, qui fut répandue à travers l’Europe. Pour instruire les catholiques sur un ouvrage devenu dangereux à cause du bruit fait autour de lui par les jansénistes et les philosophes. Pie VI se décida enfin à le juger solennellement et en prévint le grand-duc Ferdinand ; Mansi, ibid., col. 12.'j8. — Convoqué à Rome, où l’on écouterait ses défenses, Ricci se fit attendre, puis donna un prétexte de santé, et ne vint pas. Le Pape, qui, dans l’espoir d’arranger à l’amiable, lui présent, les explications ou rétractations nécessaires, avait tenu en suspens pendant plusieurs mois la bulle de condamnation déjà préparée, la Ut envoyer à tous les nonces en les chargeant de la publier. Voir prologue de la bulle, Mansi, ibid., col. 12O/1. — Le nonce de Madrid, dans sa réponse, dit avec raison : « J’ai admiré la disposition et l’ordre (de la bulle), sa clarté et sa précision dans une si grande variété de matières et de censures… Je déplore qu’on ait prohibé en Toscane l’introduction, la réimpression et la vente de cette bulle. On reconnaît le mal, et on ne veut pas recourir au remède, au grand détriment des peuples et des souverains. » Voir Cknury, op. cit., i>. 481. La cour du jeune Ferdinand lit restait donc hostile au Saint-Siège, comme alors bien d’autres cours. Le roi d’Espagne acceptera solennellement la bulle à la fin de 1900 ; Picot, t. VU, p. 321 sq.

La supériorité de la bulle Auctorem fidei sur les 1515

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précédentes condamnations romaines d’erreurs semblables consiste en deux points surtout. — i" Elle applique à cluiqne article sa censure spéciale. IniioC( nt X l’avait fait pour les cinq propositions de Jansénius ; mais quand on avait une longue liste d’articles à condamner (Baïus, Quesnel, etc.), on y ajoutait une liste de censures ou « notes », sans déterminer d’ordinaire quelle note répondait à tel article : c'était la condamnation in gloho. 2° En face de sectiiires qui insinuaient leur pensée sous des phrases ambiguës, d’apparence dévole, sons des lambeaux de S. Augustin détournés de leur sens, il fallait préciser le sens condamné, et limiter la condamnation au sens malsain irtsinué. Par ce procédé plein de modération, dit le prologue de la bulle, on arrivera mieux à ramener les âmes dans l’unité et la paix, < S’il reste des sectateurs obstinés du synode, ils ne pourront plus, fauteurs de nouveaux troubles, tirer à leur parti, sur des ressemblances purement verbales, des écoles Ibéologiques qui, sous des mots semblables, attestent qu’elles n’ont pas la même pensée, ni les associer injustement à leur juste condamnation. D’autres, qui par inconscience et simple préjugé gardent encore une trop bonne idée du synode, ne pourront se plaindre, puisque la condamnation ne tombe que sur des erreurs dont eux-mêmes se proclament très éloignés. » Ces déterminations exactes renversaient d’ailleurs par la base l’objectioli que nous avons vue dans le premier décret de Pistoie, que les jugements doctrinaux de Home, parce qu’ils sont vagues et indéterminés dans leur objet, n’instruisent pas : d’où ils voulaient conclure que ces décrets n’obligent pas la conscience des fidèles. — Mansi, col. 1263.

Gomme spécimen du procédé, citons deuxarlicles, qui, par leur matière, ont traita notre sujet :

N" 12. « Les décisions en matière de foi rendues dans ces derniers siècles, le synode les représente comme des décrets émanés d’une Eglise particulière ou d’un petit nombre de pasteurs, sans un appui d’autorité sulPisanl, propres à corrompre la pureté de la foi et à exciter des troubles, imposés par la violence, et qui ont fait des blessures trop récemment encore. Ces assertions, si l’on prend le sens qu’elles insinuent par leur rapprochement (complexité acceptae), sont fausses, captieuses, téméraires, scandaleuses, injurieuses pour les Pontifes romains et pour l’Eglise, dérogeant à l’obéissance due aux décrets du S. Siège, schismatiques, pernicieuses, erronées pour le moins. » Voir col. 1508.

N" 85. « Quiconque connaît tant soit peu l’histoire ecclésiastique (dit le synode) devra reconnaître que la convocation d’un Concile national est une des voies canoniques pour terminer dans l’Eglise les controverses religieuses des nations respectives, n — Cette proposition — entendue dans le sens que les controverses de foi et de morale, soulevées dans une Eglise particulière quelconque, peuvent être vraiment terminées par un concile national en vertu d’un jugement irréfragable ; comme si l’inerrance dans les questions de foi et de mœurs appartenait au concile national — est schismatique, hérétique. »

Le même prologue de la constitution Auctorem fiJei nous révèle le grand travail d’où elle est sortie, et ses quatre diverses étapes. Dans les trois premières, on ne fit que suivre l’exemple de Clément XI pour la bulle Unigenitus : voir Bainvei., Etudes, juin 1912, p. 800. — I" étape : examen initial du synode de Ricci par quatre évêques, aidés de théologiens. ? » étape : examen plus approfondi par une commission de plusieurs cardinaux et évêques, où quantité de passages sont extraits, collalionnés entre eux, discutés ; puis chacun des membres transmet

son suffrage à Pie VI, de vive voix et par écrit. Us concluent tous à la condamnation générale du synode et censurent, chacun avec plus ou moins de sévérité, un grand nombre de propositions. 3" étape : examen de ces suffrages par le Saint-Père, i' étape : sous sa direction, se fait un dernier et important travail de compilation et de rédaction, pour déterminer et orJonner quelques chefs principaux, auxquels on rapportera les erreurs que Ion tient à relever à travers le verbiage du synode. Chacun de ces chefs, ou erreurs maîtresses, sera représenté par un ou plusieurs passages typiques, choisis en propres termes dans les Actes et décrets ; on lui appliquera la note ou les notes qu’il mérite. Mansi, col. 1262.

Le dernier travail est attribué à Geroil ; Moroni, Dictionnaire, t. LUI, p. 2r)4. Quoi qu’il en soit, le cardinal Gerdil a été en 1800 l’apologiste de la bulle contre le seul évêque qui ait alors écrit pour la défense de Uicci, Mgr Solari, « évêque-citoyen » de Noii en Ligurie, qui agit aussi sur le sénat de Gênes pour empêcher la publication de V Auctorem fidei. Son ofiuscule, édité en 171)6, est anonyme, mais il avoue lui-même en être l’auteur dans une lettre aux évêques constitutionnels de France, en 1801 ; Mansi, col. 997. — Les écrits de Gerdil (en italien) pour défendre la bulle sont résumés en français, avec quelques documents à l’appui, dans les Analecla juris pontiftcii, K^série, Rome, 1855, p. 626 sq. ; 3' série, 1858, p. 1432 sq.

La bulle Auctorem fidei, à cause des longues perlurbations qui suivirent, n’a pas été assez connue en Erance. Aujourd’hui même, les catholiques trouveraient dans cette infaillible décision, traduite et commentée, la lumière sur plus d’une erreur circulant encore. Dans VEnchiridion de Denzinoer-BannWART, n. I 501 sq., on ne trouve ni le prologue de la constitution, ni avant chaque article condamné la citation de l’endroit du synode d’où il a été tiré ; voir cela dans Mansi, t. XXXVIII, col. 1261 sq, en seréSérAJil&uxvdes et décrets de Pistoie qu’il a reproduits col. loii sq.

I.'épi’ogue de la bulle regarde spécialement notre sujet. PieVI y condamne « l’adoption très vicieuse n par le synode de Pistoie, de la Déclaration de 1687, adoption bien pire que la Déclaration elle-même.

« Car, dit-il. malgré les Papes qui l’ont désapprouvée, le synode la comble d'éloges ; bien plus, il

l’adopte par un acte solennel, et l’introduit insidieusement dans un décret intitulé « De la Foi », où il se sert des quatre articles pour résumer et comme sceller ce long décret, ce qui est faire une grave injure à l’Eglise de France, en lui attribuant le patronage des erreurs dont il est plein » ; D, II., 1598, sq. — En effet, le synode de Pistoie avait ajouté que les quatre articles, qu’il citait en entier, pouvaient « servir de conclusion à tout son chapitre sur la foi, et de sceau final aux vérités qui y sont enseignées ». Mansi, col. 1016. D’ailleurs, le clergé de France n’avait jamais prétendu que les quatre articles fissent partie « de la foi ».

D. Conséquences de cette crise, en France, après Louis XV, jusqu’au milieu du XIX' siècle. 1° Louis XVI. — Voir cet article. 2° Révolution. — Voir cet article. 3" Première moitié du xix' siècle français.

a) Napoléon. —.^la mort de Robespierre, la Convention vote la séparation de l'église constitutionnelle et de l’Etat, et établit la liberté des cultes, mais très restreinte et déUante à l'égard de la véritable Eglise.

La révolution de fructidor renouvelle les persécutions, suivie de celle de brumaire qui donne des 1517

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espérances. Dans celle silualion précaire, en somme, l’Eglise a repris beaucoup de force par sa propre vitalité ; et l’on peut parler de la « Restauration du culte en France avant le concordat », avec l’abbé Sicard, qui allègue de nombreux faits à l’appui. L’ancien clergé de France, t. III, liv. VI, p. 401, sq.

Sur le Concordat de 1801, œuvre bienfaisante ; sur les articles organiques inspirés par Talleyrand et rùdigés par Portails, ajoutés au Concordat par le pouvoir civil, et maintenus malgré les protestations du Pape, d’après les traditions ultragallicanes des légistes qui prenaient ainsi leur revanche, voir larticle Concordats, t.l, col. 638, 63g, et bihtiograpliie, col. 649. — Sur l’opposition que lit au Concordat une minorité d’anciens évéques émigrés, voir GaixioaNrsMB, t. II, col. 282. — On trouve, avec des détails historiques, une appréciation théologique de la constitution civile du clergé, du concordai napoléonien, des articles organiques et du schisme anticoncordalaire de la « Petite Eglise >, dans une notice, Conipendium ltistoricum, elc., insérée par Mionk dans son Tlieolngiæ cursus, 1841, t. VI, col. i ig’j sq. ; l’auteur de la notice est Bouvier, évéque du Mans, gallican modéré, qui d’ailleurs rend justice à Pie VI et à Pie VU.

Après la publication du Concordat (avril 1802), le nouvel épiscopat est contraire à l’infaillibilité du Pape ; car le premier consul choisit naturellement, comme plus complaisants à son pouvoir et à ses projets, des évêques des diverses teintes du gallicanisme. Après avoir lutté surtout contre la prétention consulaire d’attribuer aux constitutionnels une bonne minorité des sièges, Rome se voit contrainte, par Bonaparte, toujours menaçant de tout rompre, d’en accepter une dizaine, pris parmi les plus modérés ; à peine si on la laisse exiger une rétractation de ces prélats schismaliques ; à peine si elle obtient d’eux, par la garantie d’un intermédiaire, une soumission équivoque au chef de l’Eglise. Mais deux ans plus lard, venu à Paris pour le sacre de l’empereur, Pie vu réunira ces évêques, les gagnera par sa touchante bonté, et obtiendra d’eux une rétractation complète et une réelle soumission ; par là unira le pernicieux schisme de la constitution civile, désormais sans évêques, les autres prélats constitutionnels ayant donné leur démission sur l’ordre du premier consul au raomentdu Concordat. — Pourle prétendu concile national convoqué par Napoléon en 181 i, voir tous les documents dans Acta et décréta conciliurum recentiiiruni, Collectio Lacensis, Herder, 1878, t. IV (Gallia), col. I243, sq.

L’enseignement de l’infaillibilité du Pape était d’ailleurs prohibé dans les séminaires par le 24' des 5^ articles organiques : « Ceux qui seront choisis pour l’enseignement dans les séminaires, souscriront la.déclaration faite parle clergé de France en /6"S2 ; ils se soumettront à y enseigner la doctrine qui y est contenue ».

h) I.a Restauration et la monarchie de Juillet, l, Essais de concordat sous Louis XVIII. — Sur le nouveau et meilleur concordat de juin iSi' ; , conclu entre Pie vu et Louis XVIII, et qui amendait les articles organiques, voir Concordats, col. fiSg. Il fut mal reçu par les Chambres, qui plus tard acceptèrent un autre projet,.lors Pie VU remania déiinitivenient les limites des diocèses de France, portés à 80, et les relations entre métropolitains et suffragants. Bullarii romani continuatio, Prato, 1862, t. VU, a" part., pp. 2300-2302.Telle est la « convention de 1832 », qui fut exécutée. Le pouvoir civil s’en tint là, et laissa désormais dans l’oubli le concordat de 1817, où était inscrite l’abrogation du concordat napoléonien. Celui-ci subsista donc, mais malheureusement avec

les articles organiques, arsenal que les divers régimes, pendant toute la durée du xix" siècle, ne manquèrent pas d’utiliser plus ou moins.

2. L’infaillibilité du Pape sous la Hestauralion et le Gouvernement de juillet. — Plus d’une fois les ministres de Louis XVIII écrivirent aux évéques pour faire tenir et enseigner dans leurs séminaires la Déclaration de 1682. Us se heurtèrent à quelques résistances cpiscopales. Ainsi M. Laine, ministre de l’intérieur, s’attira en 18 17 des réponses bien motivées de Mgr d'.viau, archevêque de Bordeaux, héroïque et saint prélat. M. de Corbière, en 182^, reçut une ferme réponse du même ; le cardinal db ClehmontToNNERRE, ; irclievêque de Toulouse, dont un mandement, réclamant la suppression des articles organiques, venait d'être supprimé par le conseil d’Etal, ne daigna pas répondre au ministre, et donna semblable direction à plusieurs évoques qui le consultaient ; voir ces pièces dans La France et le Pape, 1849, par un ancien vicaire général (Mgr Villbcourt), pp. 561, et 566-569. Cf. Gallicanisme, col. 233. Mais la grande majorité des évêques céda. Beaucoup d’entre eux, par vénération pour le grand siècle et surtout pour Bossuet, restaient attachés à la fameuse Déclaration, et de bonne foi, d’autant plus qu’ils en connaissaient moins l’exacte histoire. Nombre de séminaires suivaient le manuel de Bailly, qui rejetait les théories jansénistes, mais soutenait en l’aggravant le gallicanisme de 1682, sans parler d’un grand rigorisme en morale, qui en 1852 lit mettre ce manuel à l’Index ; Dbgebt, Hist. des séminaires franc., t. 11, p. 272.

Des professeurs de séminaires, contraints à l’enseignement des quatre articles, remarquaient avec raison (à l’encontre des circulaires ministérielles) que jamais l’assemblée de 1682 n’avait présenté ces articles comme étant de foi, ni Louis XIV exigé la croyance intérieure (tenir ces articles) mais l’enseignement extérieur ; qu’on n'était pas obligé de les enseigner comme des vérités théologiques certaines, ou ayant pour elles l’assentiment unanime de la catholicité, mais comme des opinions théologiques préférées en France, rejetées en beaucoup d’autres Eglises, ce qui était un fait évident, surtout quand il s’agissait du 4" article sur rinfailliitilité du Pape ; ni tenu de les enseigner dans le sens pervers et abusif qu’y ont attaché les légistes et les gallicans extrêmes, mais dans le sens modéré de leur auteur, Bossuet. En restant dans ces limites, ils se croyaient en règle avec le chef de l’Eglise, qui n’avait point fait de son infaillibilité un article de foi, et qui n’avait pas censuré la doctrine de 168a, mais cassé et annulé les actes d’une Assemblée incompétente pour juger de telles questions. Villecourt cite les curieux raisonnements d’un de ces professeurs, ibid., p. 508 sq. ; cf. 567.

Voilà pour l’enseignement. Quant à l’adhésion intérieure de bien des prêtres à la doctrine de 168a, des consciences inquiètes consultèrent la S. Pénitencerie, qui répondit le 17 septembre 1820, que Rome n’avait jamais censuré cette doctrine ; Bouvier, Institut’iones theoL, Le Mans, 1820, p. 474- — O" consulte de nouveau en 1831 : peut-on absoudre les ecclésiastiques tenant celle doctrine ? — La S. Pénitencerie répond que « la Déclaration de 1683 a été désapprouvée par le Saint-Siège, et les actes de cette assemblée cassés et déclarés nuls ; mais aucune censure théologique n’a été infligée à la doctrine contenue dans cette Déclaration ; rien n’empêche donc d’absoudre les prêtres qui de bonne foi et par conviction adhèrent à cette doctrine, si par ailleurs ils semblent dignes d’absolution ». — Le solliciteur revient à la charge… « Il semble que les prêtres en 1519

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1620

question, ayant lu avec soin les décrets d’Alexandre VIII el la bulle Aitctorem fidei de Pie VI, ne peuvent nullement être dans la bonne foi reijuise par la S. Coiifjrégation en 1820 et 1831… « — La Pénitencerie réitère sa réponse, et ajoute : « Les prêtres dont il s’agit peuvent cire ilans la bonne foi, et il est juste que le confesseur les croie quand ils allU-ment leur bonne t’ol, à moins que les circonstances, dans un cas particulier, l’amènent à juger autrement. » Voir les textes dans Bouix, Triidatiis de Papa, 186g. t. ii, pp. 256-258j les commentaires qu’il y ajoute ont un peu de cette exagération que l’on remarque chez quelques autres zélés défenseurs des droits du Saint-Siège, quand ils parlent des anciennes condamnations romaines de la Oéclaralion de 1682. Voir Gallicanisme, coll. 266268, surtout sur Alexandre Vlll et sur la bulle Auctnrom fidei, et notre résumé de l'épilogue de cette bulle, col. 1516.

Lamknnais avait commencé en 1819 une campagne contre le gallicanisme. En 1826, tandis que le sacre de Charles X et autres mesures en faveur de la religion étaient présentés par les libéraux comme un complot de la « Congrégation » et un triomphe du

« parti prêtre », le violent polémiste les présentait, 

lui, comme une tendance à asservir l’Eglise, comme une coopération du roi à un essai de schisme et d’Eglise nationale, — tout cela parce que la magistrature de Paris, trcsindépendantedu gouvernement, avait dit dans un arrêt que la Uéclaralion de 1682 était toujours loi de l’Elut, et parce que Mgr Frayssinous avait renouvelé pour les prolesseurs des séminaires l’obligation <renseigner les tpiatre articles. Les articles de 1682 étaient pour Lamennais un n système athée », tendant à « anéantir la société humaine ». Cette outrance irrita et les libéraux et le gouvernement, et le clergé gallican qui reprocha à l’auteur de l’Essai sur l indifférence ses erreurs philosophiques et tbéologiques. Presque seuls, les jeunes prêtres battaient des mains. Ce clergé de l’avenir rendait quelque espoir à Lamennais, découragé par le silence de Lkon XII, qu’il eût voulu conduire ; > une condamnation de la Déclaration de 1682 ; cf. Paul DuDON, l.itmennais el le Saint-Siège d’après des documents inédits, 1 911, pp. 33-43 ; 60 sq. Bientôt les pamphlets de ce prophète des temps nouveaux, à force d’attaquer le gouvernement et le vieux clergé, tournèrentau libéralisme révolutionnaire. yfc(V., pp.' ; 2-80. — D’autre part. les évéques gallicans n’avaient jamais cessé d'être attachés au Pape, comme Bossuet luimême ; plusieurs, en causant avec le nonce, renonçaient de bon cœur aux trois derniers articles de 1 682 (y compris le quatrième, contre l’infaillibilité pontificale), désireux seulement de garder le silence sur le premier : le pouvoir du Pape sur le temporel des rois heurtait trop les idées françaises. Ihid., p. 82.

Quand commence la monarchie de juillet, Lamennais a moins à exagérer pour représenter le nouveau régime comme un système antireligieux ;.mais que lui oppose-t-il ?Le droit de révolte, la liberté absolue de la presse, le principe de la séparation de l’Eglise et de l’Etat ; il craint moins le désordre et l’anarchie menaçante, que les abus de pouvoir dans les gouvernants, civils el même ecclésiastiques. Il donne à ces thèses un grand retentissement en fondant VAvenir. Mais ce n’est point ici le lieu de parler de ce journal fameux, ni du pèlerinage de Lamennais à Rome, ni de sa soumission première à l’Encyclique sous l’influence de ses disciples, suivie de fot mules inquiétantes et enûn de sa suprême révolte. Jliid., p. 110 sq., 213 sq. Disons seulement que GuéGOIRB XVI, paternel envers un génie dévoyé mais parti de bonnes intentions et méritant, n’avait relevé de ses erreurs que les plus dangereuses dans l’ordre

pratique, et sans te nommer, et à la Un d’une longue encyclique où le Pape n’avait pas ménagé les adversaires, ceux que Lamennais avait justement combattus. Ihid., p. 18g sq., 381j sq.

Notons aussi que le mouvement lancé par lui pour l’infaillibilité du Pape contre les gallicans fui heureusement continué par bien des disciples, célèbres ou obscurs, conscients ou inconscients, du puissant initiateur.

c) La seconde liépithlique et le second Empire. — Ce que nous avons à en dire rentre dans la section suivante.

E. Progrès de la doctrine infaillibiliste dans le monde catholique dès le début dn pontificat de Pie IX. — Ce progrès tient surtout à deux causes nouvelles. La première est la dévotion croissante des lidèles à la Papauté, grâce aux qualités personnelles de Pie IX el à ses malheurs : elle est très connue, et plusieurs documents que nous aurons à citer eu rendent témoignage. La seconde cause, assez ignorée el pins ellicace, c’est l’action de l'épiscopat, soit dans les conciles profinciaujc, rélîtblis sous l’induence de Pie IX, soit dans les grandes réunions rt'évêques à Home en quelques circonstances solennelles. Ces groupements passagers d'évéques, et surtout les décisions prises par eux, sont des événements ecclésiastiques qui, malgré leur importance réelle, n’intéressent pas le grand public. El pourtant, c’est eux qui expliquent historiquement la délinttion de l’infaillibilité pontificale au concile du Vatican, dont tout le monde a parlé el parle encore. Sans ces actes épi scopaux, déroules au cours dn Ion g règne de Pie IX, on ne peut comprendre, dans le grand Concile, cette majorité d'évéques demandant à traiter la question de l’infaillibilité, qui n'était pas dans le programme, et arrivant à la délinir. On va chercher une explication boiteuse dans les passions des membres du Concile, dans des articles de jcmrnaux, nu même dans une pression pontificale qui aurait enlevé aux évéques la liberté nécessaire, et qui n’a existé que dans l’imagination du schismaliqne Docllinger. Et l’on néglige la cause réelle el profonde, la certitude de l’infaillibilité pontificale chez un grand nombre des évéques, acquise longtemps avant le Concile, augmentée encore par le spectacle des malentendus et des confusions d’idées de la minorité et de ses partisans an dehors ; sans oublier la grâce du SaintEsprit, qvii a son heure dans tous les Conciles œcuméniques. — Sur les diverses espèces de conciles, voir Conciles, col. 588 à 5gi.

i" I.e rétablissement des conciles provinciaux en France, — L’Allemagne avait déjà repris des assemblées d'évéques, mais hors la forme conciliaire. La France eut une certaine initiative pour le rétablissement des conciles provinciaux en Eurofie, el c’est pourquoi nous commençons par elle (tout en donnant la palme aux Etats- t’nis : i" concile prov. de Baltimore en iSag ; voir Coll. Lacensis, t. VII, col. lOO.S).

En mars 18^i, Mgr Affrk, archevêque de Paris, pour s'être cn’endu par lettres avec ses sulTragants, fut blànié par le ministre des cultes au nom dn /<= article or « anii/ue. ainsi conçu : « Aucun concile national ou métropolitain, aucun synode diocésain, aucune assemblée délibérante, n’aura lieu sans la permission expresse du gouvernement. » Il protesta contre l’extension inouïe que le ministre donnait à cet artiete déjà odieux par lui-même, et envoya sa protestation à Mgr SiBouH, évêque de Digne, en le consultant làdessns. L'évêque, dans sa longue et savante réponse, non seulement l’appuya, mais prit la défense des 1521

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conciles proi’inciau.r, comme nécessaires àl’Eglise, el altaqHa les articles organiques, celui-là surtout, puis puMia sa lettre en opuscule, avec les pièces connexes, Uijfne, 184A. — Trois ans après, dans ses Inutiiiitiiiiis diocésaines, t. II, Mgr Siiîouh exprimait l’esp’iir ilu rélHblisseinent de ce s co : oilrs en France par le nouveau Pa|)e, dont on applaudissait alors les généreuses rélornies pour le gouvernement temporel de ses Etals et la prospérité de Rome ; un mot de Pie IX, dans la présente dispusilion des esprils, disail-il, ferait plus iiour ressusciter les conciles pi-ovinciaux, que les décrets de l’antiquité chrétienne et du concile de Trente. L'évêque en écrivit même au Pape, en lui envciyant son livre. Survint la révolntion de it)48, qui rendait les conciles et plus faciles et plus désirables ; la nouvelle république proclanmil le druit de réunion, et devant un avenir nouveau, les évêques français éprouvaient le besoin de se consulter ; tellement que Mgr Sibour, devenu archevêque de Paris à la mort glorieuse de Mgr Aft’re, en arriva même, avec douze évèiiues alors présents à Paris, à l’idée d’un concile national. Dans une lettre collective de février 1849, respectueuse et tilinle. ils demandèrent au Pape ce concile « plénier » que lui seul pouvait convo(|Ucr, et un légal pour le j)résider. — A cette lettre, reçue dans son exil de Gaëte, Pie IX réiioiidit par un bref très affectueux, le 17 mai. Un concile plénier, toutefois, risquerait de traîner trop en longueur, ou même d'être interrompu, par des temps si troublés ; et puis, le Pape ignorait ce qu’en pensaient tous les autres évcques français, qui dans leurs lettres incessantes ne lui en avaient jamais exprimé le désir. Des conciles f/royinciiiii.r, oui ; Pie IX encotirageait vivement tous les métropolitains de France à en convoquer. Voir ce bref, avec la lettre qui l’a occasionné, et plusieurs des détails précédents, dans Act-i et décréta Conciliorum recentiarum, Colleciio I.acensis, 1878, t. IV, col. 3, ou dans Mansi, t. XLIII, 1910, col. 461 sq.

A la réception de ce bref, les métropolitains de France se tirent un devoir de préparer les futurs conciles provinciaux. Mgr Sibour, le premier, convo(}ua le sien, pour septembre 1849 Le nouveau ministre des cultes, M. db Falloux. pressenti par lui, jugea que les articles organiques étaient périmés, que les évêques pouvaient user de la liberté générale de réunion ; il promit, si on leur disputait cette liberté, de la soutenir à la tribune. Mais à la veille du c mcile de Paris, le gouvernement commence à s’inquiéter. En l’absence de Fallouxmalade, sescollègues, craignant la presse, envoient l’un d’eux à Mgr Sibour. Entouré alors de ses sulîragants, parmi lesquels était Mgr Dupanloup, évêque élu d’Orléans, l’archevêque reçoit l’envoyé, qui l’assure que si les métropolitains, pour être en règle avec l’article 4, demandent chacun la permission de réunir leur concile provincial, elle leur sera immédiatement donnée. Sibour évita de créer un précédent pour les conciles et de reconnaître au pouvoir civil le ilroit d’intervenir : il ne demanda aucune permission ; au contraire, il attaqua avec force devant l’envoyé les articles organiques. Après délibération, les ministres publièrent le lendemain ce décret au Moniteur : « Par raison d’utilité générale, les conciles sont perm s pour l’année 18/ig. » Collectio Lacensis, ibid., col. 5 sq.

Mais pourquoi les conciles provinciaux avaient-ils été si longtemps supprimés ? L’archevêque le dit dans son discours d’ouverture : « Il j' a plusieurs siècles que, par un déplorable vertige, les conducteurs des peuples se sont efforcés d’entraver l’Eglise… Ils la divisaient pour l’affaiblir ; ils la séparaient autant qu’ils pouvaient de ses chefs… Us redou taient surtout ces réunions oii elle répare ses forces, corrige les abus, fortifie sa discipline, et par l’action de son admirable hiérarchie, resserre les liens de son unité. Cette Assemblée est une preuve vivante que les temps sont changés, el que plus de sagesse règne dans les conseils de ceux qxii président aux destinées de la patrie. » Jhid., col. 89.

Dans les décrets de ce concile de Paris, nous voyons tout d’abord, basée sur le texte célèbre de S. Irénée et sur le décret œcuménique de Florence, une déclaration sur le Pape, et notamment sur les définitions pontificales, modèle qui sera librement reproduit i)ar les autres conciles provinciaux de France :

« Nous professons luules el chacune des Constitutions dogmatiques du Saint-Siège Apostolique…

Nous déclarons et enseignons qu’elles n’ont pas besoin de la sanction séculière, pour cire reçues par tous comme la règle de ce qu’il faut croire. » Ibid., col. II.

Une déclaration ou semblable ou encore jibis expressive, de l’infaillibilité du Pape, se trouve dans les décrets des trois autres conciles de 1849 : Reims, ibid., col. io3 ; Tours (célébrée Rennes), col. 353 ; Avignon, col. 819 sq. — De même dans les décrets nomtireux de 1850 :.lbi, ibid., col. 407 ; Lyon, col. 467 sq ; Bordeaux, col. 576 sq ;.Sens, col. 876 sq ; Aix, col. 965 sq ; Toulouse, col. io31 sq ; Bourges, tenu à Clermonl, col. 1091 sq. Rouen, col. 623, est plus faible dans l’affirmation des pouvoirs du Pape, probablement à cause de l’extrême brièveté de tous ses décrets. — Auch, le seul retardé jusqu’en iS51, n’est pas moins explicite que ses devanciers.

Plusieurs de ces conciles provinciaux, Avignon, Lyon, Bordeaux, Aix, Toulouse, regardent comme dogmatique et obligatoire » la bulle Auctorem fidei de Pie VI, la première qui condamne les erreurs modernes dont ils se préoccupent ; ils « réprouvent toutes les erreurs qu’elle réprouve », se « soumettent à ses décisions ». Ils savent bien pourtant qu’avant eux elle n’a jamais obtenu le « consentement 1) ni de l'épiscopal français, ni de l'épiscopat en général ; qu’un grand nomlire d'évêques l’ont ignorée, sinon rejetée. Ces conciles abandonnent donc le 4° article de 1682, et implicitement admettent Viiifailltbilité du Pape, en dehors même du consentement de l'épiscopat.

Mais, qui plus est, cette infaillibilité est explicitement soutenue par les Pères du deuxième concile de la province de Reims, convoqué à Amiens en 1853 par le cardinal Gousset, qjii autrefois dans sa Théologie avait soutenu le gallicanisme modéré, et en était revejiu. Au chapitre v do leurs décrets, ils aprohilieni absolument dans les églises, séminaires el œuvres d’enseignement de leurs diocèses » cette oi>inion que > les jugements solennels du Souverain Pontife, proférés ex cathedra dans les questions de foi, sont par eux-mêmes réformables, et que leur irréformabilité dépend de quelque sanction extrinsèque. » Ibid, , col. 168.

Parmi les provinces ecclésiastiques de France, seules les grandes provinces de Reims et de Bordeaux eurent la facilité de recommencer tous les trois ans leur concile provincial, et s’y crurent obligées par le concile de 'Trente. Seules elles continuèrent ces conciles sous Napoléon iii, jtisqu'à l'époque où l’empereur, entraîné |)ar Gavour à approuver et à soutenir par la pnsse l’invasion piéinontaise d’une partie des Etats du Saint-Siège, changea d’attitude envers les callioUquesetsurtoutenvers lesévêques, qui s'étaient posés nettement en défenseurs du pouvoir temporel de Pie IX, dans tous les conciles que nous venons de citer. — Toutefois, en 1867, le cardinal Donnbt, 1528

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archevêque de Bordeaux, après la graudc réunion d'évêques au Valican, dont nous parlerons, rappelait à ses sulTraganls ce grand mouvement des évoques vers Rome, les paroles favorables du ministre <lcs cultes à cette occasion, d’anciennes promesses de l’empereur sur laliberté des conciles provinciaux, enfin les convoquait à un 5 « concile qui se tiendrait A Poitiers au début de 1868. Ibid., col. ^gS. — Cette tentative hardie eut un plein succès et une grande portée doctrinale. Sans parler d’une magnifique déclaration sur le pouvoir temporel du Pape, le concile anirmaitl’i/i/<7 ; //ifcf71/e' punttfi.cale, en reproduisant la récente déclara.lion des 500 évéques réunis à Rome : « Nous n’avons rien tant à cœur, que de

« roire et d’enseigner ce que Vous-même croyez et

enseignez, et de rejeter les erreurs que Vous rejetez… » avec allusion à l’Encyclique Quanta cura, cette parole ex cathedra du Pontife ; Collectio Laceiisis, ibid., col.SoiJ. Cf. 835, etc.

A cette époque, c’est-à-dire deux ou trois ans avant le Concile œcuménique, de graves théologiens constataient l’immense progrès accompli sur la question de linfaiUibilité. — Patrice Mirrav, tout en constatant que la doctrine contraire de 1682 (art. 4) n’avait pas encore été censurée à Rome, observait que « presque tous les bons catholiques en étaient revenus », etque « la soutenir ouvertement approchait de plus en plus de la témérité ». Il citait la défense de l’enseigner portée par le concile de Ueims de 1853. Il estimait que « la doctrine de l’infaillibilité pontificale, très répandue dans l’Eglise bien que non encore définie, était immédiatement révélée, et donc définissable comme vérité de foi, et sa contradictoire passible d’une condamnation d’hérésie. » Tractiiius de Ecclesia, Dublin, 1866, t. 111, p. 783. — En 1868, Dominique Bouix, cité plus haut, donnait les mêmes conclusions. — Clément SchraDKn, d’une grande érudition, professeur de théologie à Louvain et surtout à Vienne, enfin à Poitiers, ajoutait à la série déjà décisive des témnigna< ; es ancens pour l’infaillibilité, la prein’e récente que fournissait, soit le fait même de la définition de l’Immaculée Conception, soit ensuite les conciles provinciaux, surtout ceux de l’Autriche, où il résidait alors ; De unitate romana. Vienne, 1866, t. II, p. 350 sq., 318 sq.

Ajoutons les mandements des évoques après l’Encyclique Quanta cura. On y trouve beaucoup d’aflirmations de l’infaillibilité du Pape ; voir de nombreuses citations françaises. Coll. Lacensis, t. VII, col. 1009 sq, avec citations d’autres évéques du monde.

2° /.e rétablissement des conciles provinciaux (ou pléniers) dans le reste du monde. — Au déclin du gallicanisme en France, correspondait le déclin du joséphisme et du fébronianisme dans les pays qui en avaient le plus souffert. De Gaëte, en 1849, Pie IX avait exhorté les métropolitains de la confédération germanique, de même que ceux de France, à rétablir les conciles provinciaux, arrêtés par le pouvoir civil depuis bientôt deux siècles. Les principaux obstacles au désir du pape furent levés par le Concordat qu’il fit a-v ec François-Joseph en 1855 ; Tarlicle 4 stipulait la liberté de convoquer et de tenir des conciles profinciau.r et de publier leurs actes. Collectio Lacensis, t. V, col. g5 et 383, 996, IÎ22 sq. — Ces conciles furent très infaillibilistes, nous le montrerons très rapidement.

Le premier en date (1858) convoqué en Hongrie par le primat de ce royaume, pour sa province de Strigonie, atteste que ce royaume de Marie fut transporté de joie quand l*ie IX, par la bouche infaillible de Pierre, a. proclamé comme un dogme

de foi l’Immaculée Conception ». Ibid., col. 34. —

« Dans les choses de foi et de mœurs on a toujours

cru sans le moindre doute que Pierre parlait par la bouche du Pontife. Nous en faisons profession d’autant plus volontiers, que l’exemple de nos saints prédécesseurs nous y invile… Nous aimons à nous rappeler cet archevêque de Strigonie qui, avec tous les autres prélats de Hongrie, condamna les quatre articles du clergé gallican de 1682, l’année même, comme détestables pour des oreilles chrétiennes et en interdit la lecture et l’enseignement. » Ibid., col. 39. Voir ci-dessus, col. li’jô.

En Autriche, le concile de Vienne (1858) parle aussi de la soumission de la province à la définition de Pie IX ; ibid. col. 144- H cite, sur les successeurs de saint Pierre, les mêmes textes que nos conciles français ; ibid., col. 147 sq.

En 1860, le cardinal archevêque de Cologne rend à cette ville, après trois siècles d’intervalle, un concile provincial ; ibid., col. 281. Les décrets doctrinaux de Cologne, œuvre de premier ordre contre les erreurs dogmatiques du temps, expliquent déjà en détail ce que le concile du Vatican, avec une autorité plus haute, décrétera dix ans après sur la révélation et la foi, et embrassent même le dogme entier avec ses principaux mystères, tâche que n’a pu réaliser le Concile œcuménique si vite interrompu. Or on lit au chap. xxiv : Le Pontife Romain… est le père et le docteur de tous, et dans les questions de foi, son jugement est de soi irréformable », formule opposée (en note) aux articles de 1682. Ibid., col. 312.

En 1860 aussi, le concile provincial de Prague dit, par exemple : « Faisons profession d'être unis à Pierre par l’intermédiaire de Pie IX son successeur… Ayons recours à cette chaire de Pierre, dont Pie IX a hérité, où se conserve sans altération la tradition des Pères, et où nous devons aller chercher ce qu’il faut croire, ce qu’il faut penser, ce qu’il faut tenir. » Ibid., col. liib.

En 1863, le concile provincial de Colocza en Hongrie s’exprime ainsi : De même que Pierre était… le maître irréfragable de la doctrine de foi, pour qui le Seigneur même a prié afin que sa foi ne défaillit pas.., de même ses successeurslégitinies dans la chaire romaine… gardent le dépôt delà foi par leur oracle souverain et irréfragable. En conséquence, ces propositions du clergé gallican de 1682, publiquement proscrites alors par… tous les évêques de Hongrie, nous les rejetons pareillement, nous lesproscrivons, etc. i> Ibid., col. GaS.

En 1865, voici la déclaration du concile de la province d’Ulrechl, en Hollande : « Nous croyons sans l’ombred’iin doute que le magistère du Pontife Romain, en ce qui concerne la foi etles mœurs, est in/a(7/ii/e… Son jugement dans les questions de foi est irréforwable{en opposition à la thèse gallicane de 1682)… Tout ce qu’il condamne et proscrit, nous le condamnons et proscrivons et ordonnons à tous nos fidèles de le tenir pour réprouvé et proscrit. » Ibid., ch. vii, col. "jbè sq.

En 1862, les catholiques d’Angleterre avaient eu leur premier concile provincial de Westminster, peu après le rétablissement de la hiérarchie par Pie IX. On y lit ces mots si nels : a Nousreconnaissons comme fondement de la foi véritable et orthodoxe celui que Jésus-Christ luiiuème a voulu poser : l’inébranlable chaire de S. Pierre, la sainte Eglise de Rome, mère el institutrice (niagistrn) de tout l’univers. Tout ce qu’elle a une fois défini, par le fait même nous le tenons comme certain. » Coll. Lacensis, t. III, col. 920. C’est à ce concile, convoqué par WiseMAN, que Newman prêcha son admirable sermon, 7"Ae second Spring ; ibid., col. 910, sq. 1525

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En 1850, l’Irlande avait eu à Tliuiles un concile plénier, présidé par un de ses archevêques, légal de Pie IX. La déclaration de ce concile sur la règle de foi est calégorique : « Tout ce que l’Eglise romaine propose à croire de foi divine, nous le croyons du fond du cœur et devons le croire ; tout ce qu’elle rejette et condamne, nous le rejetons et condamnons ; en conséquence, toutes les erreurs que les Pontifes Romains ont proscrites comme contraires à la foi, novis les proscrivons, et ferons tous nos efl’orts pour que dans nos diocèses on n’en trouve pas trace. » Ibid., col. 775.

Au Canada, en 1857, 1a nouvelleprovince ecclésiastique de Halifax, par son concile, fait une semblable déclaration ; ii/flî., col. 735. — Le i^concile provincial de Quél)ec, tenu en 1851, avait reconnu « que la foi de Pierre, qui vit et préside dans son propre Siège et donne la vérité à ceux qui la cliercbtnt (S.Pierre Chrysologue), n’a. jamais défailli et n’aura jamais de dé/’ailtance jusqu’à l » lin des temps…Nous adhérons donc de toute notre âme à toutes les constitutions dogmatiques du S. Siège…, et nous déclarons et enseignons que tous les fidèles doivent les tenir, comme une rè ;  ; /e de foi », etc. Ibid., col. 61 1. — En 1868, le IV » concile de Québec renouvelle cette déclaration, et ajoute : « Nous adhérons particulièrement aux constitutions apostoliques où tous les pontifes, de Pie VI à Pie IX noire Père, ont condamné les erreurs modernes ; surtout à rEnc}’clique de 186/1 accompagnée du Sjllabus. » Ibid., col. 707.

Un concile a des colonies anglaises, hollandaises et danoises aux Indes occidentales » (Antilles el colonies voisines) se réunissait dans Pile de la Trinité, dans le courant de 1854, et comme couronnement de ses décrets suppliait Pie IX de « définir e.r cathedra la Conception immaculée de Marie, comme un dogme de foi que ions doivent tenir ».

Un concile provincial d’.'Vustralie, en lî’ôf), dit, à propos de la délinition de l’Immaculée, dont on ressent partout les heureux effets : « Nous reconnaissons el professons que Pierre a parlé par la bouche de Pie, et nous adhérons de tout cœur à la doctrine proclamée par fctre irréfragable jugement. » Ibid., col. io8/|.

En 1862, se réunissait à Baltimore un concile plénier des Etats-Unis, six archevêques et aS évêques. Leur 1" décret reconnaît le Pontife Romain comme

« père et docteur de tous les chrétiens, o Leur profession

de foi « à la doctrine de l’Eglise de Rome, reçue des Apôtres et toujours lidèlement gardée », s’étend à cette doctrine « entière, telle qu’elle a été expliquée [)ar les conciles a-cuméniques, surtout à Trente, et par les con.^titiitions des Pontifes ». Ibid., col. 145. — En 1855, le VIII* concile provincial de Baltimore, dans son i"^’décret, présente ainsi la récente définition de l’Immaculée Conception :

« Pierre a parlé par la bouche de Pie ; par ce solennel

jugement du Siège Apostolique, la cause est finie. k Ibid., col. 161. — En 1 856, cette phrase est répétée par le l" concile de la Nouvelle-Orléans, ibid., col. a3g. Et le II"concile., de la même province, en 1860, afilrme « l’autorité infaillible du Siège Apostolique », col. 266. — En 1858, le ]]<> concile provincial de Saint-Louis écrit à Pie IX : « Puisque vous êtes assis sur la Chaire de S. Pierre, Pasteur et Docteur de l’Eglise universelle, nous venons à vous comme à la colonne de la Vérité, et au juge infaillible en matière de foi et de mœurs. » Ihid., col. 820. — Et la même année, le IX^ concile de Baltimore lui écrit que les maux épargnés à l’Eglise par la divine institution du suprême magistère du Pape se coraiirennent mieux aux Etats-Unis que partout ailleurs, parce qu’on y touche du doigt les misères doctrinales du

protestantisme : audace inouïe des novateurs, de leurs négations et inventions ; énormités accueillies comme des progrès, comme le début d’un âge d’or ; sectes innombrables, dont on voit tous les jours quelqu’une naître ou mourir, /hid., p. 176. Enfin, en 1866, se réunit dans la même ville le Ile concile plénier des Etals-Unis, 7 archevêques el 87 évêques. Ils renouvellent la profession de foi faite par le ! <’concile national à toutes les définitions des Papes ; ibid., col 409 Dans ces conciles américains, on note un filial attachement à la personne de Pie IX ; des réclaraalions énergiques pour son pouvoir temporel menacé ; des appels à la charité de leurs Eglises pour le secourir, quand ses ressources financières baissent par l’annexion injuste d’une granile partie de ses Etals ; on n’oublie pas ses bienfaits passés, ses généreuses aumônes pour les missions, les fondations qu’il a faites à Rome pour les séminaristes américains. — Voir, par exemple, une lettre très caractéristique des évêques dii Ile concile de New-York, en 1860, au clergé el aux lidèles de leurs diocèses. « En libres citoyens américainF, et en catholiques ayant droit à l’indépendance de leur Chef », ils jugent sévcre.Mient le double jeu des puissances européennes, leur connivence avec les complots de Mazzini et des sociétés secrètes contre la Papauté, leur partialité et leur inconséquence qjiant au droit des populations aux insurrections contre leur souverain, insurrections que ces pouvoirs excitent ou favorisent dans les Etats de l’Eglise malgré tant de réformes utiles de Pie IX comme souverain temporel, et qu’ils écrasent quand elles se produisent, non sans motif, dans leurs propres Etats. /Iiid., col. 278, sq.

Dans V Amérique lutine, d’ailleurs tyrannisée alors par la franc-maçonnerie, il n’y a guère à citer que le II’concile provincial de Quito, dans la république de l’Equateur, en janvier 1869. Les Pères recommandent instamment au clergé et au peuple le ^yllabus de Pie IX « comme une règle sûre el (>ifaillible àe doctrine ». Coll. Lacensis, t. VI, col. 436. Ils décident d’exprimer an Pape « leur désir très ardent de voir enfin définir cette doctrine, que le Pontife est infaillible quand il définit e.r cathedra les dogmes de foi et de mœurs », 11’décret, ibid., col. 444. Dans leur lettre synodale, parmi « les vœvix qu’ils roumetlentau jugement de sa Sainteté », ils proposent que <i soit dans le Concile général (alors tout proche), soit en dehors du Concile par le seul Pontife, son autorité infaillible en matière de foi el de mœurs soit définie comme un dogme très certain et révélé de Dieu ». Ibid., col. 446. Ils ajoutent même une raison iVoppoi tunité pour liàter la définition : « Tout est à craindre de la pari des hommes pervers, et pour longtemps ; il peut donc arriver que désormais la convocation des Conciles généraux devienne presque impossible, nous en voyons déjà pour celui-ci les immenses difficultés. Il sera donc utile el presque nécessaire que la chrétienté puisse demander au Pontife Romain el recevoir de lui a^ecune fui très ferme, selon les vicissitudes des temps (et les transformations des erreurs), ce qu’il fanl croire el faire dans l’ordre du salut ». Ibid., l, tt’). — C’est la principale raison que l’année suivante, au Concile, le cardinal Manning devait opposer puissamment aux inoppiirtunistcs.

En Italie, nous ne citerons (car il faut nous hâter) qu’un seul concileprovincial, celui de Ravenne, plus ancien, en 18ô5. Au chap. iii, sur la foi et la doctrine, il disait déjà : « Bien que l’Eglise, prise au sens où nous venons de la définir ( « le corps des évêques qui adhèrent au Pontife Romain comme à leiirchef »), porte sur les controverses de foi el de 1537

PAPAUTE

1528

mœurs nn jugement suprême el le plus solennel de tous » (c’est le cas du Concile œcuménique, où ils jugent avec leur chef), o lui même toutefois, comme Doclcui' de tous les chrétiens, par lequel Pierre parle et juge etc., peut à lui seul trancher les controverses par une sentence absolument iriéformahle, et les tranche ainsi quand il délînit ex cathedra. Ses constitutions, indépendamment de la sanction d’un pouvoir quelconque, ont vine telle force j » roy7 ; e, qu’elles sont rcgie de ce qu’il faut croire, et faire, et qu’elles ohl geiit réellement tous sans excei)tion. non seulement devant l’Eglise (au for extérieur) ma is encore rfcenn^A/ip » (dans leur conscience) ». Ibid., col. i^.'i. — On ne peut allirmer plus explicitement la doctrine quisera délinie au grand Concile, quinze ans plus tard.

3" Les grandes réunions d'évêques à Rome. — Aux conciles provinciaux, ajoutons un autre genre de groupements épiscopaux, les assemblées à Rome d'évêques de toute nation en trois circonstances solennelles, et les témoignages de leur pensée commune sur l’inf lillihilité pontilicale.

1) La premit’re de ces circonstances fntla définition de l’Immaculée Conception, en 1854. Pie IX avait in ité assez longtemps d’avance, pour y assister quand elle pourrait avoir lieu, les cardinaux étrangers et près de quarante évêques des diverses nations, comme ses liotes ; et bien d’autres évéqnes vinrent alors à Rome de leur propre mouvement. Le Pape les consulta tous ensemble, au Vatican, à propos de la bulle déjà préparée ; il y eut (pialre réunions, où assistèrent d’abord au moins 80. et ensuite lao évêques. Ihid.. co. 829 sq., 833. Ces assemblées d'évè(pies fournirent d’utiles remarques, notamment sur la manière de présenter les arguments scripturaires pour le privilège de l’Immaculée, indiqués dans la bulle : on en tint compte dans sa rédaction délinitive ; ibid., 831.

Mais un incident surtout nous intéresse. Deux évêques. l’un italien, l’autre frança-s. demandèrent

« s’il ne conviendrait pas de mentionner dans la

bulle non seulement le désir, mai'^ encore le jugement de l’Episcopat, ce qui donnerait à la délinition une plus grande autorité extrinsèque et servirait à réfuter les objections que les incrédules ne manqueraient pas de faire ». Mais l’assistance n’approuva point cette addition, et un évêqiie répondit au nom des autres : u Nous n’avons pas été convoqués à un concile : nous ne sommes donc nullement dans le cas où, d’après le droit ecclésiastique, nous aurions à porter un jugement dogmatique. Comment donc mentionner dans la bulle un jugement qui n’aura pas été porté '.'Et pviis, dans quel butinterviendrail le jugement des évêques ? Pour faire connaître la foi de nous tous ? Mais, sans parler de notre présence ici, qui à elle seule suffirait à montrer nos senti ments, la foi de l’Episcopat au privilège de Marie n’est-elle pas surabondamment prouvée par nos répoi ses au Saint-Père, qu’il a pris soin de faire imprimer ? » Ibid., col. 83a. Il faut se rappeler ici que Pie IX avait écrit de Gaëte. en 18^9, à chacun des évêques du monde catholique, leur demandant de lui répondre avec soin sur la dévotion de leurs fidèles à l’Immaculée Conception, et surtout sur leur propre pensée à ce sujet, sans négliger de faire invoquer le Saint Esprit par des prières publiques. Or, en 1854, il avait déjà reçu 603 longues réponses épiscopales, et il les lit imprimer en neuf volumes, dont il distribua des exemplaires aux évêques qui venaient à Rome : et 546 de ces réponses supjiliaient le Pontife de définir le plus tôt possible, par un jugement du Siège Apostolique, a Conception inimacnlée de la 'Vierge. Ibid., col. 8a8,

Revenons à l’assemblée de Rome el à l'évêque interprète du sentiment commun, qui Unit ainsi sa réplique : oSi le Pontife seul prononce la délinition, suivie par l’adhésion spontanée de tous les Udèles, son jugement, par le fait même, démontrera le don d’inerrance que le Christ a octroyé à son Vicaire, en même temps que la suprême autorité de l’Eglise enseignante. Si l’on fait, au contraire, intervenir le jugement des évêques dans la délinition, non seulement on n’obtiendra pas le même avantage, mais le S. Siège semblera flatter des opinions surannées et depuis longtemps mat famées dans l’Eglise (les opinions gallicanes). Soj’ons donc reconnaissants envers le sage Pontife qui, i)0ur le bien de toute l’Eglise, a décidé de prononcer seul la définition qui comble nos désirs. » Ibid., 833.

2) La deuxième réunion d'évêques eut lieu pour la solennelle canonisation de nombreux martyrs japonais, en iSOa.Pie IX venait d'être spolié d’une grande partie de ses E’ats ; devant les appétits croissants de la Révolution, on se demandait s’il pourrait rester à Rome. D’après la loi ecclésiastique, les évêques compris dans une certaine zone devaient venir à' Rome avant toute canonisation projetée, pour donner là-dessus leurs suffrages avec les cardinaux présents, et, quand il y avait lieu, assister aux fêtes ; la coutume était d’inviter avec eux les autres évêques d’Italie. Mais cette fois on ]>révoyail l’impossiliilité d’avoir un nombre convcnal)le d'évêques italiens : la plupart étaient comme retenus captifs par le gouvernement usurpateur ; d’aulresne pouvaient pas quitter leur troupeau en des temps si troviblés. Pie IX. magnanime et confiant en la Providence, eut l’heureuse inspiration de faire inviter par lettre, en janvier 1862, chacun des évêques du monde catholique à venir ]>rendre part aux déli’bératioiis du mois de mai sur la canonisation, puis aux fêtes. Aussilôt la |ire^se hostile, aidée par les furieuses déclamations du parlement de Turin, accuse le Pontife de noirs complots contre l’unité et la liberté de l’Italie, et pousse les princes à interdire à leurs évêques le voj’age de Rome ; du reste, sans succès. Ibid., col. 851-854.

Ce qui nous intéresse pour le moment, ce n’est pas la fête magnifique de la canonisation, avec une immense aflluence d'évêques de tous pays : c’est leur adresse au Saint-Père préparée et signée par eux chez le cardinal Wiseman (ibid., col. S^g), puis présentée par eux au Vatican, le lendemain de la fête, et lue en leur nom par le doyen du Sacré-Collège. Cette adresse roule principalement sur le pouvoir temporel du Pape, dont ils affirment ensemble, comme ils avaient déjà fait séparément, la légitimité, l’institution providentielle el la nécessité. Mais elle contient aussi une assez claire adhésion à Vinfailliliilité pontificale : » Nous venons unanimement déclarer… que du fond de l'âme nous adhérons à tout ce qu’un autre Pierre a enseigné… Vous êtes pour nous le maître de ta saine doctrine, le centre de l’nnié, la lumière indéfectible préparée au.x nations par la divine Sagesse… Quand vous parlez, c’est Pierre que nous entendons, quand vous commandez, c’est au Christ que nous obéissons. » Ibid., 883. Et vers la fin : « En présence de Marie, à qui en ce lieu même vous avez décerné solennellement le titre d’Immaculée, … en présence de ces saints, qui viennent d'être inserils par lOtre jugement suprrme au catalogue des habitants du ciel…. nous, Evêques, pour que l’impiété ne feigne pas de l’ignorer ou n’ose pas le nier, nous condamnons les erreurs que fotis ave : condamnées », etc. — Celte adresse est signée de plus de 260 cardinaux et évêques : unlrè » grand noiùbre de la France, un bon nombre de 152 »

PAPAUTE

1530

l’AUematïne, de r.Viigleteire et de ses colonies lointaines, des Elals-Unis, de l’Espagne, malgré ses troubles et ses révolutions d’alors, de la nelgique, de l’Orient ; relativement moins de l’ilidie, du l’ortngal, de l’Amérique latine. Les évêques qui n’avaient pu venir à Home adliéièrent par Ictlre à la déclaration, malgré les cris et les injures de tous les partisans de la révolution italienne. Ihid., 890.

3) Eniin.pour le cenlenairedu martyre de S. Pierre et de S. Paul (2g juin 1867) et pour la canonisation de nombreux saints à cette occasion, l’ie IX invita de nouveau, six mois à l’avance, chacun des évêques du monde catholique. Ihid., 891. Ils vinrent cette fois encore plusnombreux etile plus diversesnations, y compris l’Italie, le Portugal, les divers rites orientaux, etc. Le.26 juin, le Pape les réunit et leur annonça son projet de convo([uer un concile œcuménique à la première occasion favorable, Cullectiti Lac, t. VU, col. io31. Le i" juillet, canlinaux et évêques venaient présenter une adiesse à Pie IX. Ils rappellent et renouvellent leur déclaration d’il y a cinq ans. Ils saluent <i comme un présage d’avenir meilleur, cet amour envers lui des lidèles de toute nation, prêts à sacritier jusqu'à leur vie pour l’honneur du S. -Siège, et ce profond respect des âmes catholiques, recevant avec bonheur les oracles de la Chaire de S. Pierre, et se faisant gloire d’y adhérer pur l’assentiment le plus ferme ». Enfin ils accueillent avcr joie l’annonce de ce grand Concile, dont Dieu lui a inspiré l’idée. Celte adresse est signée de plus de 540 cardinaux et évêques : ibid., col. io36, sq.

F. Le Concile du 'Vatican

Il termine, par sa déGnition de l’infaillibilité, cette longue controverse entre catholiques, dont nous avons retracé l’histoire. La délinitiou a été expliquée au début de notre article, d’après les Actes mêmes du Concile. Si l’un veut un coup d'(eil d’ensemble sur<'j » ; es les opinions gallicanes, pour discerner, de celles qui restent plus ou moins probables et facultatives, celles qui ont été condamnées soit dans ce concile œcuménique, soit ailleurs, on le trouvera à l’art. Gallicanisme, col. 268 à 272. — Sur la notion d’iycuinénicité, voir Concilks, col. 5gi à Sgi. — Sur l'œuvre entière du Concile du Vatican pendant ses quelques mois, un rapide sommaire, ibid., co. 614. Ajoutons seulement une bibliographie :

1" Documents relulifs au Concile. — Le recueil le plus complet est l'œuvre des PP. Schnebmann et GnANDKRATH, S.J., publiée par celui-ci en 1892. C’est le VU" volume de la Colleclio Lac en si s. î^ous en donnerons un sommaire, qui aidera à s’orienter dans l'énorme in-folio. — Den.x' parties. — Les Actes et décrets du Concile, avec ceux <lu Pape qui ont /î/éterfe' immédiatement le Concile (convocation, etc.), forment la [tr^niièrr et princi/iale partie (500 colonnes), légalisée parla signature de l’arehivisle du Vatican. — Tout le reste forme un immense Appendice, divisé à son tour en deux parties :

l) « Documents srnodaii.r t examinés au Concile, ou émanant des évêques comme Pères duConcile. — Nous signalerons :

a) Deux « schémas » (ou projets) (e décrets dogmatiques, préparés avant le Concile, surtout par FranZELiN, avec de savantes notes exiiliralives. — Au premier, la doctrine catholique » dans ses principaux mystères, et la foi qu’elle demande, est exposée et défendue « contre les erreurs modernes du rationalisme », col. 507 à 553. Ce schéma, utile à consulter, fut rejeté au Concile comme trop surchargé de ina.lière et d'érudition, et linalement remplacé par la collaboration de Mgr Dechamps, de Mgr Pib et de

Mgr Martin de Paderborn, aidés de leurs théologiens, Mgr Cay et le P. Ki kutgen, dont le 1" travailla spécialement au piologae, et le second aux c7) « / ; i<res et canons.hewT œuvre, plus claire et plus simple, fut, après les corrections opérées par de nombreux amendements, votée à l’unanimité et conlirmée par le Pape à la m" session (ou séance solennelle). C’est la Constitution Dei Filius, col. 2^8, sq. — Le second schéma, De licclesia Cliristi, exjjlique en 15 chapitres la nature et les propiiétcs de l’Eglise, et les défend contre l’hérésie, le schisme, les doctrines fébrouiennes, etc. Le chap. xi roule sur « la primauté du Pontife Romain », mais on ne traite pas son infaillibilité. Ainsi Uomea évité de poser elle-même la question. Aussi, quand de nombreux pétitionnaires eurent obtenu de l’introduire, on dut ajouter à ce chap. xi un complément sur l’infailiihilit : > : complété, de la sorte, il devint plus tard, grâce à d’autres pétitions, le chapitre i" de VLJglise et de fait le seul que l’on ait eu le temps de voter à la iv » Session ; c’est, après tous les amendements, la Constitution Pustor aeterniis, col. I182 sq. — Cf. 16111710.

h) Les schémas de décrets disciplinaires, préparés avant le Concile par des évêques et d^s canonistes. Bien que discutés et amendés au Concile, ils n’arrivèrent pas à terme. Col. G^i-ôg’i. < ; f. i^/Sg-i^/JG.

c) Les procès-verbaux très sommaires des 8g

« congrégations générales », où furent discutés tous

ces schémas dogmatiques et disciplinaires. (Ces séances (éneraies : i. en ce qu’elles réunissaient tuas les Pères, différaient des spéciales, où délibéraient quelques-uns ; 2. en ce que le public n’y était pas admis, elles dilïéraient des Sessions, ou séances solennelles.) Co. ^oy-^G/i.

d) Divers postulats (pétitions ou mémoires), présentés au Concile avant ou pendant sa tenue par des évêques ou groupes d'évéques, col. 'j68-ioo4. Cf. 7^17- '7^2. -- Plusieurs des mesures ou réformes ainsi demandées ont été depuis réalisées i)ar les Papes : par exemple, saint Joseph patron de l’Eglise ; saint François de Sales Docteur (Pie IX) ; condamnation del’ontologisme, revision de l’Index (LkonXIII) ; question du mariage chrétien (Liio.N XllI et Pif, X) ; extension et études des grands séminaires, réforme du bréviaire (Pie X) ; codilication du droit canon (Pie X et Hknoit XV). — Signalons ce qui regarde l’iiifaillihilit' ;  : — les nombreuses pétitions d'évéques pour la délinilion ; pour que cette question vienne, et vienne à temps ; avec les contre-pétitions de la minorité, qui juge la délinition inopportune ; col. 923-993. On ajoute l’adhésion finale de tous les évêques opposants, plus ou moins prompte, après le décret conciliaire, 993-1004.

a) « Documents historiijues » autres que les précédents ; ils n’ont pas un lien //Hmérf/(i< avec le Concile, et n’y sont pas discutés par les Pères. La [)lupart montrent l’action du dehors et l’agitation dans tous les milieux à l’occasion du Concile ; l’attitude syrapatliii|ue, indifférente, ou plus souvent hostile des princes et de leurs ministres, des sclii'^maliques orientaux et des protestants auxquels Pie IX avait écrit avant le Concile ; les polémiques entre catholiques dans les journaux, brochures, livres, etc. — L’infaillihililé y tient une grande place. — Deux sections principales :

P/'emière section. Documents sur la préparation romaine du Concile, soit éloignée, soit prochaine. Création d’une commission centrale directrice, et de cinq commissions spéciales qu’elle dirigera, et dont on prend les membres soit à Rome, soit à l'étranger. Délibérations sur les méthodes à suivre, etc. Col. loiS1109. — Cette section (et une bonne partie de la 1531

PAPAUTE

1532

suivante) emprunte beaucoup à l’ouvrage, si riche de documents, de Mgr Ckcconi, Histoire du conc. du Vatican (ou plutôt de ses /7re7/m ! /iai/e5) ; trad. fr., Paris, 1887, 4 vol. 8°.

Seconde section. Documents sur les mou’ements religieux el politiques excités à l’occasion du Concile l’H diiers milieux :

a) Milieux non catholiques : Orientaux non unis, col. 1 1 10-1 123. — Protestants, 1123-11^6 ; cf. 1809. — Libres penseuis et leur « anti-concile », maçons, ia54-i aôy.

b) Milieux catholiques : Polémiques et manifestations diverses avant et pendant le Concile : En France, 11 46- 11 76. Suite : 1259-1306 ; 1316-147 i. — En Allemagne : 1 i^S-iigg. Suite : 1471-1512. — En Angleterre : 1513-1517.

c) Altitude et action des gom’ernements, surtout en France et en Allemagne. Col. 11991263. Suite : lo^ô1607 ; 17151738 (après le Concile).

2° Récits historiques sur le Concile.

a) Histoire étendue et complète. — La plus exacte, puisée aux archives du Vatican, est l'œuvre de Ghandkratii, IJist. du Conc. du Vatican, 3 forts volumes, le dernier édité en 1903 par le P. Conrad Kincii ; trad. fr., Bruxelles, Dewitt, igoS-191 3, 5 vol. 8", et 6' vol. supplémentaire. Appendices et Documents, 1919. La question de Vin/aillitiilité occupe tout le tome lU (trad. fr., IV et V vol.).

//) Jiécit sommaire. — Un récit substantiel, exact el concis, est donné par le P. KincH, en anglais, dans la Cntholic Encyclopedia de New-York, art. Vatican Couiicil (i '4 colonnes),

c) Récits apologétiques. — Les fausses idées circulant sur le Concile en Angleterre inspirèrent au cardinal Manning son Histoire i’raie du Con : ile du Vatican, 1877, d’abord parue en articles dans une grande revue de Londres ; trad. fr., Paris (et Bruxelles), s. d., I vol. 8'. L’infaillibilité y esilrailée pp. 60-81, et pp. 90 136 (lin du livre). — Pour l’instruction des catholiques d’Allemagne, où l’on attaquait le caractère t’raioient œcuménique du Concile, un récit de toute la procédure (en regard d’autres conciles généraux) depuis la convocation, la composition des commissions et les divers règlements, jusqu’aux débats des congrégations générales el au vote linal de l’infaillibilité, fut écrit en 187 t par le secrétaire général du Concile, Mgr Fbssler ({ 1872), Le Concile du Vatican, trad.fr., Paris, 1877, i vol. 8°. — Pour la France, si^rnalons (malgré des erreurs plus ou moins excusables). Emile Ollivikr, L’Eglise et l’Etat au cow. du Vat., Paris, 1879, 2 vol. 8" ; il rem-t au point certains préjugés contre le Concile. Et, plus court et plus exact, l’ouvrage du P. Gustave Neyron, L. ' gouvernement de l’Eglise, Paris, 1919, Appendice, Le concile du Vatican et son œuvre, pp. 258-323.

IV. _ RÉCAPITVLATION DES PREUVES DE L’INFAILLIBILITÉ DU PAPE, ET DES PRINCIPALES OBJECTIONS.

1° Les preuves scripturaires reposent sur deux textes principaux.1/^, xvi, 17sqq. et /^c, xxii, 31-32, étudiés ci-dessus, col. 1 334- 13*^7.

Pour la tridition des Pères, voir col. 1372-1388.

Il convient d’aji>uter ici quelques notes pour constaler la lidélité de la théologie scolastiqua, en son ftge d’or, à cette antique tradition.

a) S. Thomas. Déjà, traitant du gouvernement de l’Eglise et "le sa fnrm-^ monarchique, il parle en passant de 1 infaillibilité : « Il faut que tons les âdèles soient d’accord sur la loi. Mais sur les ch'>ses de foi il s'élève

des controTerses, et par le désaccord des opinions 1 Eglise serait divisée, si elle n'était sauvegardée dans son unité par la sentence d’un seul, n Et il cite les textes ci-dessus do S.Vlaltliieu et de S. Luc ; Sifnima coni. Cent., 1. IV, cil. 76. — Il traite directement et cl.iirement de l’infaillibilité du pape dans &.Summa theol., lia llae, q, 1, a. 10, passage le plus connu. — Et dans VOpnscule VII, De symbûto apostotorum, éd. de Parme, t. XVI, p. 148, il conclut du texte de S. Matthieu que (( seule l’Egliæ de Pierre (auquel, diins la dispersion des apôtres, est échue l’Italie) a élé toujours ferme dans la foi, tandis qu ailleurs la foi manque, ou est mêlée de beaucoup d’erreurs ; rien d'étonnant, puisque N.-S. a dit à Pierre : J’ai prié pour toi, afin que la foi ne défaille point ». Un passage semblable se trouve dans son Commentaire de S. Matthieu, cii, XTi. sur les mots : Super hanc petram. — Ibid., t. X, p. 155.

C’est donc sur nos deux textes d’Evangile et leurs déductions logiques, ainsi que sur des faits et sur la tradition générale et constante venue jusqu'à lui, que le S. Docteur base le privilège du Pape. Que dans son opuscule Contra errores Græcorum il cite quelque texte de Père grec aujourd’hui regardé comute apocryphe, cette polémique moins heureuse en faveur de l’infaillibilité n’e>l point le fondement de la croyance de S. Thomas, mais un accident négligeable. — Les témoignages du saint ont été discutés, pendant le concile du Vatican, par le Dominicain BiANcHi. De constîlutinne rnonarchica Ecctesiæ et de tnfatlibiUtale R. Pontificis juxta S. Thomam, etc. Rome 1870 ; voir surtout p. 35 sq,

b) S. B0N.VVENTUKE a été étu lié de même par le Franciscain Louis de Gastkoplamo. Sernphlcns Dncfor Honaventura, etc., Rome 1874. Il rappelle son rôle au IP Concile de Lyon, p. 3*) sq, î'31 sq. Au témoignage de Sixte IV, il (( présidait le Concile i) c’est-à-dire les séances privées, préparait les décrets, était l'àme de la grande assemblée. Chargé par Grégoire X de ramener à l’unité les évêques grecs et Michel leur empereur, il a eu sa j » art dans la profession de foi que Michel Paléologue souscrivit alors et envoya au Pape, où il est dit, à propos de la primauté do l’Eglise de Rome sur toutes les autres, que « s’il s'élève des controverses sur la foi, c’est à son jugement de les défînii' ». D. B., 466 ; témoignage invoque pour l’infaillibilit'^ pontificale par le Concile du Vatican, D. B., 1834. .jnutons deux témoif^nages directs du Saint. S')n plus célèbi-e ouvrage, dans la lutte eng.igée par l’Université de Paris contre les Ordr-es mendiants, est le long mniateur » universitaire, c’est de reprendre en sous-œuvre le livre de Guillaume de St-Amour, condamné par le St-Siège une quinzaine d’années auparavant. Si, du temps d’un sacerdoce figuratif, dit-il, il était interdit sous la peine la plus terrible de s'écarter de la sentence du grand prêtre (Dénier., xvii, 8-1-) — H ; plus forte raison, maintenant que la figure a fait place à la vérité et que le Cbrist, dans l’abondance de ses grâces, a donné îi son vicaire la plénitude de la puissance, c’est un mal intolérahle de dogmatiser contrairement à sa définition en matière de foi ou de mœurs, en approuvant ce qu’il réprouve, en rebâtissant ce qu’il détruit, en défendant ce qu’il condamne, )> Opéra S. B.ïnavent.. éd. critique de Quaracchi, t. VIII, p. 235. — D^ns le prologue d’un autre Opuscule, Expositio super regulam FF. Minorum, il dit contre les mêmes adversaires : « Quand le Souverain Pontife 'léclare ^pi’il a confirmé cette Règle parce qu’elle est pieuse et bonne, ils sont impies ceux qui, s'écartant du jugement du Siège.ipostolique, disent que cette Règle ne peut être observée, et par conséquent contient quelque chose d’impie. Garce sont des h'^rètiques et des scbismatiques)) etc. Tome cite', p. 392. Cf. Ludov. DE Castropl., op. cil., p. 343 sq.

2" Objections

i) Récapitulation des nombreuses objections touchées au cours de cet art’cle.

A. — Beaucoup d’objections proviennent de fausses idées sur la nature ou l’extension de l’infaillibilité définie en 1870.

a) On l’exagère en la confondant avec des privilèges d’une autre nature, ou plus grands, ou même exorbitants. — En réponse, nous avons énuméréces privilèges si différents, et montré par les Actes 1533

PAPES D’AVIGNON

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mêmes du Concile ce que l’infaillibilité n’est pas ; voir col. i/|31, sq.

h) On exagère son extension, en ne remarquant pas toutes les conditions restrictii’es mises dans la délinition conciliaire pour déterminer le cas où le Pontife parle ex cathedra et est infaillible. — En réponse, nous avons énuméré et précisé ces conditions, d’après le sens théologique des termes et les Actes même du concile, col. i^a^.sq. — C’est contre une telle exagération que Mgr Fessler, évêque aulricliien et secrétaire général du Concile, écrivit en 1871 une brochure, qui eut en Allemagne de bons résultats, comme d'éclairer l’illustre Mgr Hefele et de l’amener à se soumettre publiquement à la délinition du Vatican ; /ai vraie et la fausse infailtiliilité des Papes, Irad. fr., Paris, iS^S. C'était la réponse à un ouvrage du D ScnuLTK, où ce professeur de Prague avait amassé une foule d’anciens documents ou actes pontificaux, de préférence ceux qui étaient désagréables pour tel pays ou tels princes (comme la déposition de deux empereurs d’Allemagne), et ameutait ainsi les esprits contre l’infaillibilité délinie au Vatican, prétendant qu’elle couvrait tout cela, et même les opinions privées et bizarres de certains Papes, et forçait les consciences à faire sur tout cela des actes de foi. Mgr Fkssler, en libérant là-dessus les consciences avec approbation du Pape et de l'épiscopal, excita dans le camp opposé à l’infaillibité un concert de cris d’indignation, a Et pourquoi ? dit-il. Parce que j’ai osé soutenir que la délinition du concile du Vatican n’a aucunement l'étendue ni la portée presque sans bornes que ses adversaires voudraient lui attribuer… L’ennemi a besoin de se créer d’abord des moulins à vent pour les comljattre ensuite comme d’effroyables géants. » Préface de son autre ouvrage déjà cité. Le concile du Vatican. Ce prélat a pourtant commis en passant une erreur sur l’objet secondaire de l infaillibilité ; voir L. CnouPiN, cité par nous, col. 1 426.

c) On a exagéré enfin parfois la clarté, la précision désirable dans une délinition pontificale, et qui s’y trouve plus ordinairement ; on avait pour but de rejeter les condamnations des Papes, par exemple contre les jansénistes, sur les matières obscures et dilliciles de la grâce (voir ce que nous avons remarqué sur le synode de Pistoie, col. 1607, 1508) — ou de se plaindre quand on voit les théologiens, les canonisles liviscs entre eux sur le sens d’un document pontilical, ou même sur sa valeur (est-il ex cathedra '). Ainsi qu’on le fit remarquer au Concile, on aurait pu appliquer les mêmes critiques à bien des décrets des Conciles œcuméniques les plus respectés ; et en face d’une controverse sérieuse sur le sens ou la valeur d’un document pontilical, on aura à appliquer les mêmes règles pratiques qui sont usitées depuis longtemps pour les documents conciliaires, alin de savoir s’ils obligent à croire.

B. — On a objecté que les conciles œcuméniques sont nécessaires, et que la définition de l’infaillibilité pontificale les rend inutiles, changeant ainsi la constitution de l’Eglise. — Voircette dilTiculté expliquée au Concile par le rapporteur,.Icta, col. 897.

Jié/ionse. a) Les conciles n’ont pas une nécessité absolue, et ne sont pas dan-i l’Eglise un élément constitutif ordinaire, bien qu’ils soient très utiles, et parfois relativement nécessaires : voir Conciles, col. f)o’j-610. — Nous avons vu, sur leur nécessité, l’exagération des parlementaires, se mêlant de condamner des thèses de théologie, col. 1.158, sq., ^|53.

h) La définition de iS’jo n'ôte aux Conciles ni leur utilité, ni leur nécessité relative « Ils ne sont pas nécessaires pour connaître la vérité, disait le rapporteur, mais pour réprimer les erreurs. Quand les erreurs grandissantes mettaient la chrétienté en

péril, alors l’Eglise catholique leur a opposé le jugement le plus solennel. Oi' le jugement le plus solennel, en matière doctrinale sur la foi et les mœurs, est et sera toujours le jugement du concile œcuménique, où le Pape juge avec les évêques du monde catholique, ses assesseurs au même tribunal. » Jeta, ibid.

<) Mais on insiste, en disant que, le Pape déclaré infaillible, les conciles généraux ne seront plus libres, et les évêques ne seront pas de vrais juges.

— Le rapporteur répond qu’ils seront libres comme auparavant, surtoutquand le Pape n’a fait paravance aucune délinition dogmatique sur la queslion, et leur laisse ainsi pleine et entière liberté de juger. Et même dans le cas d’une définition préalable du Pape, ils peuvent avoir encore un vrai jugement avec une certaine liberté, comme le prouve le fait du IIP concile de Constantinople, précédé par la lettre dogmatique d’Agathon, Ibid. — Du reste, le cas est semblable, quand un Concile est obligé de juger de nouveau une question déjà jugée dogmatiquement par un autre concile œcuménique, et ramenée par des hérétiques sous des termes un peu différents. — Voir aussi ce que nous avons dit, avec Fénelon, sur lejugement des évêques, le Pape s'étant déjà prononcé, col. 1^83, sq.

C. — On a objecté ce fait, que la Providence ait permis que la doctrine de l’infaillibilité fût librement disculée et librement niée dans l’Eglise pendant tant de siècles : fait inexplicable, si cette doc^ trine (comme le disent ses défenseurs) était non seulement révélée, mais à la base de tout magistère infaillible dans l’Eglise, et de toute conservation de la foi. — C’est la principale objection de Bossuet, renouvelée de nos jours. — Voir col. 1^68, sq.

D. — On a objecté, comme contraires à l’infaillibilité, les textes de nombreux théologiens (nousmême avons cité Stapleton, col. 1^43, etc.) d’iNNor.KNT III lui-même et du droit canonique, admettant que le Pape peut être liérétit/ue. — Béponse : Il s’agit du Pape comme personne privée, et non pas dans une définition ; voir col. 144' Sans doute, il existe une opinion de Picnius au temps du concile de Trente, et plus tard de Bellar-MiN, estimant que la Providence n’a jamais permis et ue permettrci jamais cette faute dans un Pape, même comme personne privée. — Mais c’est là une pieuse croyance qu’il ne faut pas confondre avec 'e dogme de l’infaillibilité pontificale. Au concile du Vatican, le rapporteur se plaignit que la minorité attribuât à la commission l’intention de vouloir faire définir cela ; il cite les paroles de Bellarmin lui-même, qui dit de l’opinion émise pour la première fois par Albert Pighius : Probabile est, pieque credi potest. tandis qu’il appelle notre doctrine de l’iufaillibilité iiontiUcale seiitentiam contniunissimani et veram (voir col. 1445). Acta, col. lob, 406.

2. Ohji’Ltions historiques les plus connues.

Elles sont traitées en d’autres endroits du Dictionnaire. Voir articles Galilée. HoNonius. Libère. Orioénismk. Vigile.

Stéiibane Harent, S. l.