Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Panthéisme

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

PANTHÉISME — Intuoductio.n. — Définilion générale ; le panthéisme des poètes et celui des philosophes. — L’essence du [)anthéiyDie : le panthéisme vulgaire et le panthéisme snvant. — De la uiéthode à suivre dans la discussion du panthéisme ; les deux tâches qui nous incomhenl, — Division de l’article.

PiiBMii^RB 1-ARTiB ! EXPOSE DU PANTHÉIS.ME

A. — Le panthéisme historique : deux systèmes types :

I. — Le panthéisme intellectualiste : Spinoza.

a) L’existence de Dieu ; — b) les modes ; — c) les attrihiits ; — d) rapports des modes aux attributs ; — c) parallélisme des modes.

II. — Le panthéisme dialectique : Flchte.

Caractère des phih>sophies dialectique » ; — l’essence de la philosophie de Fichte.

B. — Le panthéisme en général.

Sa nature ; — ta relation avec la morale ; — sa relation avec lu religion ; le modernisme immanentiste.

nBVXiÈMKVAHTjB : IlÉFUTATIONDU PANTHÉISME

A. — Héfulation de l’argumentation panthéistique.

1) Argument tiré de la notion d’rtr-e.

2) Argument tiré de la nécessité d une opposition pour explifpier la conscience.

1, Du grec Tràv Otot, , Le mot Panthéiste a été introduit par John Toland [M(i-l’Z'l) dans son ouvrage Socininnifnt truly siaici { 1705), mais le mot t^anihéisme a été employé poui' la première fois par son adversaire Fay, dans sa Defensîo religionis (1701)}.

3) Argument tiré de ce que l’iiifiiii ne peut se comprendre lui-même.

4).rguuient tiré de ce que l’Inlini doit être Tout.

5) Arf^ument tiré de la notion de personne.

B. Réfutation de l’assertion panthéistique. I. — D’un premier genre de réfutation.

[Argument tiré des caractères opposés du fini et de l’infini.)

H. — Réfutation plus générale.

(Argument lire du fait de la responsabilité, comme

impliquant la subsistence individuelle.) a) Première forme de l’argument. 6) Autre forme du même ai-gument.

III. — Remarques et explicatii)ns.

1) L’argument contre le ponthéiame et la possibilité de II ncarnation.

2) Le mèuje argument et la possibilité de la Trinité.

C. Le panthéisme et l’orthodoxie.

BlBLIOGHAPHlE.

DÉFINITION GBNÉRALB DU PANTHÉISME. Le rANTHÉl » ME DES FOÈTKS ET GBLUI DUS rUILOSOl’HKS

Le panthéisme peut èlre défini d’une manière générale et encore provisoire : 1a doctrine qui admet i’unité ou, ce qui revient au même, i’ideulilé du monde et de Dieu.

Laissons de côté ce que nous appellerons le panthéisme des poètes. Nullement préoccupé de se prouver ni même de s’expliquer, le panthéisme des poêles, qui est celui de tous les rêveurs, ne vise guère qu'à s’exprimer. Il n’implique pas de théorie raisonnée ; il consiste dans le sentiment vague qu’une même poussée de vie anime l’homme et la nature, que toutes les essences sont fraternelles, qu’intimement lié dans ses parties l’univers fait un tout, et qu’il est le Tout.

On trouve des formules de ce panthéisme chez un grand nombre de poètes modernes, chez V. Hugo, Lamartine, Vigny, Leconte de Lisle, la Comtesse de Noailles. — Les vers suivants sontassez caractéristiques :

« Mon àme, abîme-toi dans le couchant vermeil…

Je suis eu tout ; mon souille est dans ce vent <jui fuit ; Mon sang déborde et coule aux veines de ces plantes, Et j’entends mes vieux pleurs, dans ces sources dolentes ; , 1'eiitends mon futur rire.^u chant de ces pinsons, Et c’est ma chair qui va lleurir sur les buissons ! Victoire ! Je n’ai plus rien d’humain dans mon être. L’Ame de l’univers immense me pénètre Comme le grain de sable et l'étnile des cieux ; Je suis une parcelle intégî'ule des dieux : ' Je me sens éternel et juste… etc … »

(Jean Rameau. La Lyre haute.}

Au regard de la raison, le panthéisme des poètes. n’e.riste pas. Un voudrait pouvoir dire qu’il n’existe pas non plus en lui même et que c’est calomnier l’homme que le représenter pensant avec autre chose que sa pensée. Malheureusement ce panthéisme irrationnel existe, et des âmes en meurent. Seulement, comme il exerce son action non par le moyen d’arguments, maisàla manière d’un charme, par l’incantation de ses images, il n’est pas plus susceptible d’examen (lue de réfutation. On 1 eut combattre son influence en opposant à sa fausse beauté la beauté réelle de la vérité ; quant à discuter avec lui, il ne saurait en être question : ce serait le sommer de fournir ses [ireuves, tout au moins d'énoncer avec précision ses thèses ; s’il le faisait, il ne serait plus lui-même : nous aurions en face de nous ce que nous appellerons le panthéisme des philosophes.

Celui-ci est dès lors le seul qui doive nous occuper. 1305

PANTIIF.ISME

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Le panthéisme des philosophes se présente sous deux formes. L’histoire nous les révèle, mais on peut les déduire a priori. — En efl’et, la sorte d’unité dont ratlirmalion constitue le panthéisme, i>eut être obtenue de deux manières : on peut ou ramener Dieu à la nature, ou ramener la nature à Uieu.

Suivant le sens dans lequel s’ojière la réduction, elle a des portées bien différentes. Dans le premier cas, c’est la nature qui lise l’attention ; c’est dans l’univers matériel qu’on voilla réalité par excellence. Dès lors, idenlilier Dieu au monde, c’est atiainer Dieu au niveau du monde : de ce point de vue, impossible d’avoir de Dieu une idée spirituelle… Mais si Dieu n’est pas conçu comme un esprit, il n’est pas conçu du tout. On peut garder le mol ; il n’a plus de sens. C’est donc par abus qu’un panthéisme obtenu de cette manière retient le nom de panthéisme ; il est à strictement parler un athéisme. Tel fut le monisme des stoïciens ; tel est encore, et nécessairement, tout matérialisme.

Dans le second cas au contraire, c’est au concept de Dieu que l’esprit s’attache. Défini pour lui-même, Dieu est considéré comme l'être absolu, l'être nécessaire, dont un caractère essentiel est la spiritualité. Dès lors, identifier le monde à Dieu, c’est é/ever le monde au niveau de Dieu… C’est pexil-être nier le monde, au moins virtuellement ; ce n’est pas nier Dieu.

Ce panthéisme est le véritable panthéisme ; il est le panthéisme tout court ; il est très particulièrement le panthéisme moderne.

L’bssknce du panthéisme. Lb panthéisme vulgaire et lb panthéisme savant

Avant d’entreprendre l'étude de ce panthéisme, le seul qui nous intéresse, nous allons essayer d’en déterminer de plus près la signification.

Le panthéisme philosophique, disons-nous, est la doctrine qui ramène le monde à Dieu, qui identifie le monde à Dieu. Mais une telle prétention a-t-elieun sens ? Si on admet (comme selon nous peut le faire, et le fait en réalité, le panthéisme), le cai acicre matériel du monde et le caractère sj>irituel de Dieu, proclamer l’identité du inonde et de Dieu, n’est-ce pas affirmer l’identité des conlraciietoires et, par conséijuent, ne rien dire ?

Dans cette question, lieaucoup pourraient être tentés de voir déjà une réfutation du panthéisme : cette question ne comporterait pas de réponse ; le panthéisme se condamnerait en se formulant. Pour nous, qui voulons ici nous en prendre non i> ; is seiiIcnienl à une erreur, mais à une « doctrine », cette ([uestion préalable ne saurait avoir qu’un elVet, celui de nous amener à distinguer dans le panthéisme des philosophes un premier panthéisme que nous appellerons le panthéisme vulgaire, et un autre panthéisme qui sera à nos yeux le pnnlliéixme savant.

Le panthéisme vulgaire est celui que la dilliculté signalée prend au dépourvu, qui n’a pas dans ses principes mêmes de quoi lui faire face : ce panthéisme-là, très répandu, et qui mérite certainement qu’on le tue, n’a presque pas besoin qu’on le réfute.

Le p.mthéisme savant est celui qui se targue d'être en règle avec le principe de contradiction et qui, implicitement ou explicitement, a une réponse, au moins un essai de réponse, à la question. En fait, le panthéisme savant recourt pour s’expliquer (chez .Spinoza explicitement, chez Fichle, Hegel, Schopenhaiier implicitement) à la distinction de la nature et de la subsislence '.

1, Le mot aab.^istence est employé ici pour désigner l'être qui s’appurlicnt, qui a uueciisteiice à soi.

Deux thèses, qu’on trouverait à peu près textuellement chez Spinoza, rendent compte de » a position :

Première thèse : Dieu et le monde sont réellement distincts comme natures.

Seconde thèse : Le monde n’a pas de subsistenceà part de Dieu ; il subsiste en Lui et par Lui. Dieu et le monde ne sont pas réellement distincts comme subsistants '.

S’il y a dans l'énoncé du panlhéismeainsi présenté une contradiction, du moins elle n’est plus grossière ; le panthéisme en se formulant ne s’est pas détruit.

De la première thèse, il n’y a rien à dire : elle est nôtre. Twute l’erreur panthéistique est dans la seconde. L’opposition du Panthéisme et du Théisme véritable est ainsi très nettement marquée ; et le problème que nous avons à résoudre se pose ainsi : y a-t-il un Subsistant unique, de nature spirituelle, en qui existe tout ce qui existe, ou y en a-t-il plusieurs ?

Db la MÉTHODE A SUIVRE DANS LA DISCUSSION DU PANTHÉISME. Les DEU.V taches qui nous INCOMBENT

Quelle est la méthode dont il convient d’user pour tirer au clair une telle question ? — D’une manière générale, une thèse n’a que deux moyens de s'établir, elle le fait a posteriori ou a priori. — Le panthéisme peut-il étayer sa prétention sur l’expérience ? Y a-t-il songé? Quand bien même on pourrait citer (et on le peut) une multitude de témoignages, semblant prouver que, dans une sorte d’extase, des âmes privilégiées ont pris conscience de leur identité avec Dieu, ce n’est pas sur des documents de ce genre, sur des révélations particulières, que l’on roussira jamais à fonder une doctrine digne de ce nom. Un I)anthéisme à base empirique ne saurait être rien de plus qu’un panthéisme pour le peu])le. Aussi bien, aucun grand philosophe n’a pris le change. Ce n’est pas sur une expérience, même appelée « mystique », que s’appuient les théoriciens du panthéisme : c’est sur un raisonnement. Ils procèdent a priori. — Pour eux, établir le panthéisme, c’est essentiellement établir, non point ce fait : « le monde et Dieu ne font qu’un », mais cette nécessité : « il est impossible que le monde et Dieu ne soient pas un, il est impossible qu’il y ait deux subsistants ».

Pour réfuter le panthéisme il faudra donc commencer par nous placer sur son terrain. Nous aurons à miner ses arguments. Ce sera notre première tâche. Cette tâche accomplie, une conclusion ressortira : il n’est pas démontré qu' une pluralité de subsistants soit impossible. Cette conclusion est toute négative. Bien jdus, non seulement elle est négative, mais elle laisse encore la porte ouverte à de nouvelles tentatives, à de nouveaux arguments : il faudra donc la compléter. Ce sera notre seconde tâche. Celle-ci consistera à établir directement la vérité contraire au panthéisme, en démontrant que « le monde et Dieu sont di’ur Sul’sistants ».

De même que nos adversaires, nous 71e disposons pour cette démonstration que de deux méliiodes, la niélhode a priori, et la méthode a posteriori. La I)remière est bien tentante. Est- elle possible ? Estelle applicable ? — En 1 e.spéce, elle ne saurait consister i|u’en ceci : convaincre d’absurdité la formule même du panthéisme. Mais cela, pomons-nous espérer le faire ? — « Plusieurs natures, un seul subsistant », telle est la formule du panthéisme ; pouvons-nous dire qu’en elle-même elle enferme une contradiction ? non, sans doute, car, s’il en était autrement, ce n’est pas seulement du panthéisme

1. On Hirait, en adoptant In terminologie éqiu^'oque et malencontreuse de Spinoza ; comuie substances. 1307

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que l’impossibilité sérail manifestée, mais encore de l’Incarnation. Pour le catholique, il y a deux natures dans le Clirisl, et deux natures qui s’opposent, l’une composée et linie : la nature humaine, l’autre simple et inûnie : la nature divine, mais il n’y a qu’un subsistant, la seconde Personne de la Trinité.

Ce cas particulier va nous aider à déterminer avec plus de précision encore le sens de la doctrine panthéistique. Ce que la théologie affirme de l'âme et du corps de Jésus-Christ, le panthéisme l’affirme de tons les esprits et de tous les corps. Dieu ne se serait pas incarné une fois, dans une nature d’homme, et librement ; il serait incarné dans l’univers, et il le serait nécessairement, rien ne pouvant subsister qui ne soit divin, et Dieu ne pouvant rien produire qu’il ne le produise en soi-même. Or il faut reconnaître que, si l’incarnation de Dieu dans un corps a été une fuis possible, son incarnation dans l’univers l’est aussi.

Dès lors, ce n’est pas, entrele panthéisme et nous, d’une question de droit qu’il peut s’agir, mais d’une question de fait. Il faut renoncera le combattre par une argumentation a priori. Nous aurons seulement à montrer, nous appuyant sur des caractères certains de l’univers, que ces caractères étant ce qu’ils sont, il est en conséquence impossible que l’unii’crs soit dis’in. — Pour se référer à ce que nous savons de notre monde, notre démonstration du dualisme n’en sera pas moins rigoureuse.

Division du l’artiglb

Dans une première partie, nous exposerons la doctrine du panthéisme. Nous la décrirons d’abord sous la forme précise qu’elle a revêtue en deux systèmes que nous prenons pour types : celui de Spinoza et celui de Fichte ' ; nous l’envisagerons ensuite en elle-même, dans ses traits généraux. (A. Le panthéisme historiipie ; B. le lanthéisme en général.)

La seconde partie sera consacrée à la Réfutation ; et comme il ne sullil pas pour ruiner le panthéisme de montrer qu’il n’est pas prouvé, mais qu’il faut encore établir qu’il est faux, dans un premier chapitre, nous détruirons Si-s arguments, et dans un autre, sa thèse même. (A. Réfutation de l’argumentation panlhéistique ; B. réfutation de l’assertion panthéislique.)

Premièrb partie : EXPOSÉ DU PANTHÉISME

A. — Le panthéisme historique : deux systèmes types

I. — Le panthéisme intellectualiste. — Spinoza

Plus préoccupé du bien agir que du bien penser, Spinoza n’a construit une métaphysique que pour y

1, Le système de Spinoza est sans conteste l’expression la plus tranche et la tentative de démonstration la plus rigoureuse du panthéisme : c’est conlre lui, dans la suite, que ])ortera principalement notie efl’orl. — Le système de Fichte implique essentiellement le panthéisme : c est ce que nous montrerons ; mais ù rencontre de ce que l’on croit souvent, il n’en est pas une exposition directe. Ce système est d’ailleurs si complexe en lui-même, que ce sera assez pour le but que nous avons ici en vue, d’en faire saisir le aens général et la portée. — Nous ne dirons rien des systèmes de.Schelling et de Hegel qui lui sont apparentés ; c’est que, pour en présenter un aperçu qui iùt par lui-même intelligible, il nous eût fallu entrer dans de longues considérations, totalement étrangères à la question du panthéisme, — ce que déjà nous n’avons pu complètement éviter à propos de Fichte. On trouvera sans doute, avec nous, que la place de tels « exposés » n’est pas dans ce dictionnaire.

appuyer une morale. Son ouvrage principal s’appelle Ethique. S’il y a donné à ses raisonnements une forme qu’il voulait être rigoureusement géométrique, c’est pour se justilier à lui-même une doctrine qu’il avait admise d’emblée, dès que, sous la pression d’une intense vie intérieure, il était arrivé à la concevoir. Mais ici les sources psychologiques du Spinozismene nous intéressent pas plus que ses sources historiques ; nous nous contenterons donc d’en développer les thèses essentielles, dans leur enchainemenl, et sous la forme d’ailleurs la plus impersonnelle possible. Indépendamment de la critique qui en sera faite dans la partie de cet article consacrée à la Réfutation, nous signalerons, en cours de route, les vices d’argumentation et les erreurs fondamentales du système.

I. — L’existence de Dieu.

Les assises de la métaphysique spinoziste sont constituées par trois propositions :

Première proposition : /-'£<re est.— C’est dans le fait de sa pensée, c’est dans sa pensée actuelle elle-même, que Descartes pensait trouver l'être. Détour inutile. L’existence de l'être n’a pas besoin d'être constatée pour être allirmée. Ce que Descartes disait du Parfait, que son existence est impliquée dans son essence, il faut, par un nouvel argument ontologique plus radical et plus profond, le dire de l'être. L'être (et le mot qu’emploie Spinoza est le mot équivoque de substance) l'être est, l'être existe ; cette proposition est évidente, car elle est tautnlogique. Dire : l'être est, c’est dire : l'être est être ; l’attribut ne diffère pas du sujet ; que peut-on exiger de plus ? Le contraire serait : l'être n’estpas ; proposition absurde qui se détruit elle-même. Ainsi, pour allirmer que l'être est, il n’y a pas à sortir de l'être ; l'être de l'être est l'être lui même. Et d’ailleurs si l'être n'était pas, on ne pourrait jamais dire de lui qu’il fût, car on ne saurait rien lui attribuer qui ne soit lui-même '.

1..fin de serrer de plus près la lettre même de la docti-ine spinoziste, établissons ici le raisonnement de .Spinoza en nous appuyant, non plus sur le concept d'être, mais sur le concept équivalent de substance. Nous allons, retrouver la mén^e forme d’arj.'umentotion. Détinissons la substance k ce qui est intelligible par soi)>, autant dire ;

« ce qui existe par soi ». De cette définition, arbitraire

mais légitime comme toute délinition nominale, il suit que, si la substance n’existe pas, elle n’existera jamais. Comment ])ourrail-il en être autrement ? Créée, la substance connoterait un créateur, elle ne serait donc plus intelligible par elle-même, elle ne serait plus la substance dont nous parlons. — Jusqu’ici noua n’aurions rien à^ reprendre au dire de Spinoza : une fois admis le sens conventionnel du mot substance, le reste suit. Mais Spinoza ne se contente pas de la conclusion que nous venons de tirer. Pour lui, de ce que la substancee » t conçue comme » ce qui existe par soi », il s’ensuit qu’elle existe réellement. Poursuivons donc avec lui : Si la substanre, telle que nous l’avons définie, n’existait pas, elle serait impossible, puisqu’il n’y a pas de milieu pour elle entre exister de toute éternité et n’exister jamais. Cela revient à dire que si la substance n’existait pas comme être, elle n’existerait même pas comme essence ; or, ells existe comme essence (son concept, en d’autres termes, n’est pas absurde) ; donc elle existe comme être.

En raisonnant de la sorte. Spinoza joue, sans le vouloir, sur le double sens des mots possible et impossible. Une chose peut être impossible parce qu’elle est contradictoire en elle-même (impossibilité intrinsèque), et elle peut être impossible, parce qu’il est impossible qu’elle ait jamais ce qui la ferait être (impossibilité extrinsèque). La substance que définit Spinoza est possible, accordonsle. mais d’une possibi’ité intrinsèque ; si elle n’existait pas, elle serait impossible, mais d’une impossibilité extrinsèque. Celte impossibilité ne détruit pas cette possibilité ; — on peut donc voir dans la substance une esatnce sans 1309

PANTHEISME

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Deuxième proposition : L’Etre est infini. — Cette proposition est également évidente et au fond également taïUologique. Dire : « l'èlre est Uni, l'être est imparfait », ce serait dire : l'être n’est pas purement et simplement ; il est et n’est pas. Or on ne peut dire : l'être n’est pas ; mais seulement : l'être est. Donc l'être est inlini '.

Troisième proposition ; L’Etre est absolument unique '-. — S’il y avait un autre être, univoque à l’Etre, celui-ci communiquant dans le genre avec lui, participerai ! l’Etre au lieu d'êlre lui-même l’Etre, et il serait Uni, ce qui est contre l’LypotUèse. — Ainsi il n’y a pas d'êtres en dehors de l’Etre. Le mot être, appliqué aux choses multiples que nous présente l’expérience, n’est pas uiiivo(iue, mais équivoque. Il en est de lui comme du mot chien appliqué à l’animal aboyant et à la constellation.

JI. — Les Modes.

Que ferons-nous cependant de tout ce qui parait exister, de ce que le sens commun appelle « les êtres », de tout ce qui nous entoure, et de nous-mêmes, considérés comme composés d’un corps et d’une âme ? Dire que tout cela n’est pas, ce serait aller contre l'évidence, car enfin une chose est, dès qu’elle est donnée… Les choses existent donc ; mais, multiples, mobiles. Unies et en ce sens contingentes, nous ne pouvons dire qu’elles sont l’Etre ; elles sont au contraire réellement distinctes de l’Etre, lequel est unique, immobile, infini, nécessaire. Reste donc qu’elles existent, mais dans l’Etre et par l’Etre, c’est à dire (pour donner à l’Etre son véritable nom) en Dieu et par Dieu, unique Subsistant. A.insi se trouve expliquée la présence du monde en face de Dieu : dans le monde et par le monde, c’est encore Dieu qui existe sous une forme spatiale et temporelle, comme il existe en soi sous une forme d'éternité ; il est l’Etre unique, mais il a deux natures : une nature

voir en elle uu étre^ — et l’argument de Spinoza ne porte pas..u fond, il a le vice même de l’ar^^ument ontologique, dont il ne se distingue qu’en apparence.

1. l>lte démonstration renferme une pétition de principe. On doit pou voii' dire ; l'être est et n’est p ; is. Cette formule n’est inadmissible que s’il s agit de l'être infini, de l'être qui n’est qu'être..Mais s’il existe un être fini (et un tel être est précisément ce qui est en question), c’est son caractère même d'être compoié d'être et de non-être ; et ce caractère n’a rien do contradictoire en soi, car on ne dit pas que l'être fini en tant qu’il est n’est pas, mai ; * qu’il n’est pas en tant que fini. — On reconnaîtra là l’atBrmatinn pure et simple de ce que les scolasliques entendent par la fameuse distinction d’essence et d'être. Spinoza, qui re.ploite ailleurs, n’a pas vu qu’ici elle sutlisait è ruiner son argument,

2. Cette troisième proposition est capitale ; c’est avec elle que nous entrons vraiment dans le panthéisme, La démonstration qui la soutient peut également se formuler en faisant appel à la notion de substance. — Posé, dironsnous, la notion de Substance, celle-ci doit-être unique, car s’il y avait d’au ti’es substances univoques ?i elle, elle ne seiait pas intelligible par soi, mais par la notion générique de substance ; ou encoi-e il faudrait faire entrer dans sa définition ce par quoi elle diffère des autres, c’est-à-dire la définir en fonction des autres, à quoi par définition même elle répugne. Nous touchons ici l’erreur radicale lin Spinozisme ; elle consiste en ce qu’il méconnaît Verisience d’un moyen terme entre l nnivocité et l'étjnii’ocilê. Le mot être ne saurait être univoque, s’appH-^uer exactement de la même manière à l’Infini et au Fini : Spinoza a raison ; mais il ne saurait non plus être équivoque : Spinoza a tort. — tec St Tlioinas et la philosiphia perennis^ nous soutiendrons que le concept d'être rapporlé à l’Infini et nu Ft"i est un concept analoi^ue : ce qui suffit ft ruiner l’argument principal, et même l’unique argument, du panthéisme.

sans bornes, par quoi il est soi ; une nature limitée, par quoi il est l’univers.

Comment maintenant désigner les choses, si le mot être n’a pas de pluriel ? L’ancienne scolastique nous offre un mot assez approprié : elle appelait mode ce qui n’est ni ne peut être en soi mais est nécessairement dans un autre et par un autre. — Nous dirons que les choses sont les modes de Dieu.

Combien y a-t-il d’espèces de choses ? L’expérience nous en fait connaître deux, car, extérieure et intérieui-e, elle nous montre des corps et des esprits : il y a donc deux espèces de modes, {'étendue et la pensée.

III. — Les attributs.

Les modes vont nous aider à pénétrer plus avant dans la connaissance de Dieu. Nous savons déjà qu'étant infini et d’ailleurs n'étant qu'être. Dieu est nécessaire, simple, immuable, éternel, souverainement indépendant. Mais dire cela, ce n’est pas encore définir Dieu d’une manière positive, énoncer ce qu’il est en lui-même, exprimer sa nature, son essence. Aussi bien a-t-il une nature, une essence ? Strictement, non ; il est : son essence est d'être. Si l'être avait une essence, il serait limité. Pourtant nous ne pouvons nous empêcher de vouloir concevoir Dieu. Nous avons besoin de nous le représenter comme essence, car en tant qu'être il reste pour nous une abstraction, — Ce besoin est légitime, mais il faut ne le satisfaire qu’avec discernement : Nous pouvons prêter à Dieu itne essence, mais à une triple condition :

1. — à condition d’allirmer que l’essence deDieune se dislingue pas de son être, qu’elle lui est formellement identique, qu’elle est donc seulement «e qui en exprime pour nous la richesse ;

2. — à condition que, quelle que soit l’essence sous laquelle nous concevions Dieu, cette essence soit toujours infinie autant qu’elle peut l'être, c’est à dire infinie dans sa ligne. Toute autre a attribution » serait illégitime ;

3. — mais comme une essence, même infinie dans sa ligne, est toujours Unie simpliciter par le fait même qu’elle est une essence, il faut encore ajouter : à condition d’attribuer à Dieu, non pas une seule essence, mais une infinité d’essences. La finitude des essences est alors corrigée par l’inlinilude de leur nombre.

Afin de rejoindre la terminologie de Spinoza, désignons ces essences, ces natures, par le terme très significatif, après ce que nous avons dit, d’attributs ; nous pouvons alors définir Dieu : L'être dont est alfirmable une infinité d’attributs Unis infinis '.

Mais quels attributs en particulier afiirmeronsnous de Dieu ? car il est bien clair qu’autre chose est savoir que Dieu en a une infinité, autre chose pouvoir les nommer tous. Nous ne pouvons attribuer expressément à Dieu que les essences, les natures, les manières d'être, que nous connaissons ; or celles-ci, comme on a vii, sont au nombre de deux : il y a cette manière d'être, cette nature d'être, qui s’appelle V Etendue, et cette nature d'être qui s’appelle la Pensée. Puist[iie Dieu a toutes les natures d'êlre, il a celles-là : Dieu est Etendue, dirons-nous, et il est Pensée ; ce sont là deux de ses attributs.

IV. — Rapports des modes aux attributs.

Les modes nous ont fait connaître les attributs, mais ils s’en distinguent. L'étendue qui est un mode est multiple, ce sont les corps, et cette étendue-là est réellement distincte de l’Etre divin, puisque l’Etre

1, Finis en tant qu’ils désignent une perfection ; infinii en tant que, cette perfection, ils l'épuiscnt. 1311

PANTHÉISME

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est simple ; elle est réellement distincte par conséquent de l’attribut « Etendue », puisque cet attribut à sou tour est identique à l’Etre et simple comme lui. Nous pouvons donc dire sans contradiction : ûetis est I es extensa, IJeiis est omnino finijitex. — De même : autre est la pensée qui est un mode, autre la pensée qui est un attribut. La pensée qui est un mode est multiple, ce sont les âmes, et les âmes sont réellement distinctes de leur être, de l’Etre divin ; par contre, la pensée qui est un attribut est simple et unique comme l’Etre même.

Enlin les modes, ou choses particulières, peuvent être considérés de deux points de vue, en tant qu’ils sont tels ou tels, et eu tant qu’ils existent, dans leur essence et dans leur existence.

Du ])remier point de vue, à titre d’idées (comme dirait Platon), d’essences logiques, les choses viennent nécessairement de Dieu. Sans doute Dieu n’a pas à les produire, puisqu’il n’est pas question de leur existence, mais il faut que Dieu en soit la raison et la source. Les choses comme essences, viennent de l’essence de Dieu, comme les propriétés du triangle viennent du triangle, c’est-à-dire par un processus logique. Elles sont le développement, 1’  « explication )i de la nature divine : l’un pose le multiple qui l’etpriiue, comme une vérité pose l’inlinie série de ses conséquences.

Maintenant, comme Dieu n’a pas qu’une seule essence, qu’une seule nature, qu’un seul aLtril)ut, mais qu’il en possède au contraire une infinité, et comme il doit y avoir autant d’espèces d’êtres linis, autant de modes, que d’attributs, il faut dire qu’en dehors de l’univers dont nous faisons partie, et qui n’est l’eipi-ession que de deux attributs divins, l’Etendue et la Pensée, il y en a une infinité d’autres dont nous n’avons aucune idée. — Si nous connaissions directement les attributs de Dieu, nous en déduirions les clioses, les séries et types de choses, nous en dériverions par un processus logique tous les mondes existants ; bien plus, comme un processus logique est un processus de nécessité, nous déduirions tout ce qui se passe et se passera jamais dans tous les mondes. Mais, des attributs de Dieu, nous ne savons rien a priori^ nous remontons à eux par les modes qui nous les manifestent, et c’est pourquoi, pour le dire en passant, nous croyons, mais à tort, à la contingence’.

Ce que nous venons de dire des choses en les considérant du point de vue de leur nature, il faut le dire aussi d’elles du point de vue de leur existence. Même sous ce rapport le monde doit venir de Dieu ; il n’existe que parce que Dieu l’a produit dans l’être… Sans doute, il ne peut s’agir d’une action transitive, par laquelle Dieu poserait une existence eu dehors de la sienne ; nous avons vu que cela répugne ; mais il reste que par un acte immanent Dieu donne aux choses d’exister, en les recevoni en lui-niôuie, en les soutenant par son Etre, en les animant de sa Vie. Pour autant, on dira tout de mèuie que Dieu les crée, puisqu’il les fait être.

V. — Parallélisme des modes.

Faisons encore un pas. Les attributs de Dieu sont

1. Le luol contingence a deux sens : il y a la contincence absolue, caraclère de ce qui, coiisifiôré en lui-même, aurait pu no pas être : de ce point de vne, le monde. ]>nur Spinoza, est contingent, car (il le dit expressénient) son essence n’est pas son existence ; — et il y a la contingence lelalive, caractère do ce qui, consiiiéré par rapport à sa cause, aurait pu encore ne pas èti-e : de ce xioinl de vue, le monde pour Spinoza, ni dans son ensemble ni dans ses détails, n’e « t contingent, car il découle nccessaîrenient de Dieu.

adéquatement distincts, car l’étendue est concevable sans la pensée, et réciproquement. Les séries qui découlent des attributs sont donc aussi distinctes entre elles. D’aulre i>art, l’étendue, attribut de Dieu, n’est autre que Dieu même, et il faut dire la même chose de la pensée. En traduisant parallèlement des attributs parallèles, les séries modales traduisent donc le même… il doit y avoir dès lors une correspondance stricte entre cliaque stade de leur développement : partout où il y a un corps il doit y avoir une âme : Umnia quam^’is diversis gradibus unimata taineît sunt : et corps et âme doivent se développer d’une manière concordante, le corps exprimant à sa façon les états de l’àme, et l’âme les états du corps. Cet accord est ce tju’on appelle l’union de l’âme et du corps ; la traduction des étals de l’un par l’antre est ce qu’on appelle percer/ion.

II. — Le panthéisme dialectique : Fichte

Sous le nom de panthéisme dialectique, on peut ranger les systèmes de Fichte, de Schelling et de Hegel. La démonstration du panthéisme n’est pas leur objectif direct ; mais le panthéisme est essentiellement impliqué dans leurs prétentions et dans leurs résultats.

Ce que ces philosophes se proposent, c’e-t d’expliquer l’univers. Mais expliquer l’univers, c’est expliquer le Savoir, c’est expliquer la Pensée, car l’univers n’est rien, selon eux, qu’une représentation de la Pensée, dans la Pensée, pour la Pensée. — Quant à la Pensée même, elle est comme le lieu de tout ce qui est, on mieux : l’unité formelle de tout ce qu’elle contient, par conséquent à la fois des pensées et des corps individuels. Mais alors expliquer la Pensée, c’est luettre en évidence l’unité de son contenu, c est montrer que tous les éléments de l’univers sont tellement liés les uns aux autres qu’il siifBt que l’un quelconque soit posé i)our que le soient tous les autres.

Pour ce faire, la philosophie dialectique substitue aux éléments de l’univers tels qu’ils nous sont donnés dans l’expérience les idées ou concepts que novis pouvons y faire correspondre : c’est de ce inonde logique, analogue à celui dont Platon doublait le monde réel, qu’elle s’occupe : unifier et déduire les êtres devient pour elle, unifier et déduire les idées, car l’être, c’est l’idée rendue visible, l’idée réalisée,

— et l’idée, c’est l’être rendu intelligible, l’être rationnalisé.

El comme il y a deux manières principales de chercher à enchaîne ; - toutes les idées, il y a essentiellement deux sortes de Dialectique : l’une qiii consiste à dériver toutes les idées d’un même principe, l’autre qui consiste à les ramener toutes à un niême terme. — Le i)remier processus est celui de Fichte, le second celui de Hegel. Le processus de Sclieiling est intermédiaire. — Fichte part de l’Esprit, mais de l’Esprit impersonnel, et il descend de l’idée de l’iSsprit aux idées des choses. — Hegel part de l’idée d’être, mais prise à son plus extrême degré de pauvreté, et remonte de synthèse en synthèse, en traversant toutes les idées, jusqu’à la synthèse dernière qui, prise en elle-même, est à la fois l’Unité de toutes les Idées, le Tout, et l’Esprit.

Nous ne suivrons pas les philosophies dialectiques dans leurs déductions, car il faudrait trop de développements pour rendre ces déductions intelligibles ; aussi bien il importe peu, car, réduites même à ce qui en constitue le sens général et l’inspiration d’ensemble, ces philosophies laissent déjà voir leur caractère panthéistiqne, donnent le moyen de faire éclater leur vice intrinsèque. Il nous suffira de le 1313

PANTHÉISME

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montrer sur un exemple particulier en prenant pour type le système de Fichte'.

1. Idéalisme et dogmalisme. — L’existence de l’univers implique à la fois et indissolublement un représenté et un représentatif, la Chose et l’Esprit. Expliquer l’univers, c’est expliquer ces deux, éléments en rendant compte de l’un à partir de l’autre, et de cet autre à partir de soi. Qu’il faille essayer de dériver la Chose de l’Esprit et non inversement, c’est ce qu’on croit pouvoir établir par un certain nombre de considérations, mais ce qu’ici, pour abréger, nous supposerons acquis^.

La doctrine qui part de l’Esprit pour expliquer l’univers, appelons-la idéalisme par opposition à celle qui part de la Chose et que nous appellerons dogmatisme.

Sous le nom de choses entendons non seulement les corps, mais tout ce qui est objet d’expérience, toal ce qui est donné, par conséquent les consciences individuelles elles-mêmes, lesquelles, en tant que perçues, sont des objets comme les autres et doivent être expliquées par l’Esprit. Et sous le nom d’esprit, entendons ce qui s’oppose à la chose, par conséquent ce qui n’est pas donné, mais ce à quoi quelque chose est donné, le Représentatif non représenté, le Moi sans non-moi, le Moi pur.

2. La tâche de l’idéalisme. — L’idéalisme ne peut se contenter d'énoncer cette proposition : l’Esprit a produit l’univers. — Ce serait présenter l’univers et sa relation à l’Esprit comme un fait. Mais dire qu’on est en face d’un fait, c’est dire qu il n’y a rien à comprendre, qu’il n’y a qu'à « constater >> : tout fait comme tel est toujours en marge de l’intelligible. Or, c’est, pense-t-on, l’essence de la mentalité proprement philosophique de vouloir tout comprendre et d’affirmer que tout doit pouvoir être compris ; a philosophie ne connaît pas de n faits ». Loin donc de poser ce que l’on pourrait appeler le fait de la création, l’idéalisme va essayer de rattacher l’univers à l’Esprit par un lien a priori. En d’autres termes, il va s’efforcer de montrer que posk l’esprit et 30N ACTIVITÉ, L’uNivEits s’ensi’it, — et tel univers, composé de tels éléments, à savoir celui-là même qui, indépendamment de notre volonté, se déploie autour de nous dans l’espace et dont, à titre de réalités empiriques, nous sommes nous-mêmes une partie s.

1. L’exposé qui suit est entrait d’un article plus étendu, paru dans les Recherches df science religieuse, janviertnnrs liM9, sous ce tilre : I.e sens panthéistique de la Dialectique idéaliste chez Fichte. On la divisé en paragraplies et on l’a complété par des remarques critiques.

2. Cf. article cité.

3. Kemarquons que dans ces lignes, le panthéisme est déjà viri-nelU-ment affirmé trois fois :

îy — En ne voulant pus reconnaître l’existence de faits qui ne soient que des faits, l’idéalisme décrète l’impossibilité de toute coTitinr^ence, car une réalité contingente est précisément une réalité dont on ne peut établir qu’elle doit être : elle est, mais elle aurait pu ne pas être. Or nier la contingence, c’est déjà virtuellement nier tout ce qui pourrait se distinguer de Dieu, c’est poser Dieu comme 1 être unique, c’est affirmer le panthéisme.

2/ — En affichant la prétention de vouloir tout comprendre, en f>rofessant que notre pensée ne doit nulle part rencontrer de l’ojiuque, l’idéalisme fuit secrètement de notre pensée irit arrive à déterminer les lois particulières auxquelles la Nature est soumise. — De même, c’est en vertu d’une nécessité interne que l’esprit (et entendons l’esprit en soi, l’esprit en général), c’est en vertu d’une nécessité interne que l’Esprit se représente l’espace ; mais c’est parce qu’il le veut bien, qu’il découpe des figures dans cet espace et par là rend possible la géométrie ; ainsi la géométrie tient sa forme, de l’espace qui est une construction nécessaire ; et son contenu, des Ggures qui sont une construction arbitraire.

Par le moyen de la philosophie et des sciences particulières, l’esprit doit pouvoir retrouver l’univers, le reconstruire en pensée et par là même l'élever à l’intelligibilité. Quand il aura tout tiré de lui-même, l’esprit pourra dire qu’il a tout compris,

4. Le panthéisme, principe et fui de l’idéalisme.

— Si l’existence de l’univers est une suite nécessaire de l’existence de l’Esprit, ce ne peut être que parce que l’Esprit a été contraint de le produire et de le produire tel qu’il est. Il nous faut donc concevoir l’Esprit comme soumis dans son activité à des lois rigoureuses, identiques d’ailleurs à sa nature même, et en vertu desquelles soient comme prédéterminées en lui toutes ses productions *. — Grâce à ces lois,

l’Esprit, c’est-à-dire de celle de Dieu, l’idéalisme postule déjà, au moins comme hypothèse, que l’univers est aussi nécessaire que Dieu même, qu’il fuit partie de l’essence divine, ce qui est encore le panthéisme.

La première affirmation est réfutée, comme on le verra plus loin, par l’existence de la liberté, ou ce qui, en l’espèce, revient au même, de la contingence. — La deuxième, celle qui déifie notre pensée, est contredite par l' « xpérience, laquelle ne révèle que trop nos limites : l’on peut dire fque le système de Fichte, lequel devi’aît jjrouver cette affirmation par son Buccès, contribue lui-même, itar sa faillite, à la réfuter, — car il n’arrive pas à supprimer les faits, — Entin, la troisième affirmation, celle qui pose la nécessité de la création, relève d’une i'éfntalion a/ï/turi, car il est absurde et par conséquent impossible que la création soit nécessaire. (N’oir le développement de ce dernier p ;)int dans la suite de cet article ; col, loio.)

1. Conception indispensable à l’idéalisme dialectique, et qui fait morne le fond de sa doctrine : Dieu,.^elon lui, est contraint de produire le monde, de créer une nature qu’il assume ; mais conception contradictoire, du moins pour qui se fait de Dieu une idée juste : si Dieu est souve 12 1315

PANTHEISME

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el à condition de régler sur elles noire activité logique comme elles ont réglé son activité créatrice, il doit nous être possible de retrouver l'œuvre à liarlir de l’ouvrier. Nous sommes du moins en possession d’une métliode pour cette déduction. Mais comment découvrir leslois de l’esprit aiin d’appliquer notre méthode ?

Ou pourrait crqire que la chose est facile. Ces lois ont dit forcément s’exprimer concrèlement et comme se projeter dans les faits qu’elles conditionnent ; l’Expérience étant leur œuvre doit nous parler d’elles : il n’y a donc, semble-t-il, qu'à les dégager de l’univers qui les réalise. — Travail analogue à celui qui consisterait à rechercher, dans les raisonnements tout faits d’une géométrie, les lois do l’esprit qui les a faits. Kautn’a pas eu d’autre but ni d’autre procédé lorsqu’il s’attachait à déduire les catégories. Mais cette manière de faire ne saurait nous contenter. On peut bien de la sorte mettre en évidence un certain accord entre l’esprit et la chose, mais on ne manifeste pas une dépendance. — Supposé d’ailleurs qu’on pût ainsi rattacher à l’esprit l’essence des choses, assurément on n’y peut rattacher leur existence. Œs lois découvertes a /<o5/<? ; iori peuvent bien en elïct, à la rigueur, témoigner qu’une chose doit être telle ou telle, si elle est, mais non pas, absolument, qu’elle doive être. L’expérience des choses restera donc inexpliquée, elle sera acceptée comme une donnée, avec tous les caractères irrationnels de ce qui n’est qu’un fait : et cela est intolérable.

Pour assurer l’intelligibilité de l’Univers, les lois de l’Esprit doivent être saisies par nous dans leur source, en elles-mêmes, ou pour mieux dire (car une loi en soi est une conlradielion dans les termes), dans l’Esprit qu’elles déterminent, en tant que cet Esprit agit sous leur contrainte.

Gela est possible, mais à une condition : c’est que notre esprit soit identique à l’Esprit, car alors notre activité logique coïncidantavec son activité créatrice, n’eu étant pour ainsi dire que la doublure abstraite, nous n’aïuvms qu'à penser pour savoir, pour voir et saisir sur le vif, comment II pense.

/.'identité foncière de notre moi empirique, iiidividué, oersonnel, el du Moi absolu, transcendant à toute multiplicité, — tel est le postulat fondamental de l’idéalisme dialeptique : sans lui, impossible d'^avancer<.

D’aulre part, ce postulat a ceci de particulier que si, comme on croit pouvoir le montrer, il éclia, ppe à toute réfutation, il échappe aussi à toute preuve. Rien contre lui, rien sans lui ; mais aussi rien pour lui. Sommes-nous dans une impasse ?

Une simple remarque va nous faire sortir de cet embarras. Ce que nous demandons à ce postulat, ce n’est pas d'être une base pour une construction : il faudrait qu’il fût une certitude ; mais, un point de départ pour une déduction : il su/fil qu’il [luisse être une hyputli’ese. S’il n’est pas absurde, il le peut. Or, nous avons supposé accordé qu’il ne l’est pas.

Gomme hypothèse, ce postulat sans doute est en l’air ; mais le succès lui donnera ou tort ou raison. L'épreuve sera sa preuve. Consentons que l’idéalisme

raineineiit indépendanl, si on -f oit en lui ce qu’Aristote et la philosophie péL’ipàleticienne appelaient un Acte pur, il est impossible de la soumettre à la nécessité de produire du fini, car, à ce compte, il ne se suffirait pas à luimême, il ne serait pas souverainement indépendant, il serait acte pur et ne le « erait pas. — C’est là à notre sens ce qui réfute péremptoiicnient le panthéisme de Fichle. 1. Ici éclate le paulhéisme jusqu’ici latent : par l’affirmation qu’un vient de lire, le moi humain se proclame expressément identique au Moi absolu, l’homme se fait Dieu.

reste en suspens non seulement quant à sa valeur, mais quant à sa possibilité même, jusqu'à la (in de la Déduction. Si celle-ci parvient à s’achever, si elle rejoint les choses à partir de l’esprit, si l’a priori recouvre l’a posterwri, si les idées viennent exactement se placer sur les faits, le succès même nous justifiera : le panthéisme comme hypothèse nous aura conduit au panthéisme comme vérité.

5. Des lois de l’Esprit. — Maintenant, notre hypothèse ne nous servirait de rien si par hasard, nous examinant nous-mêmes el les démarches de notre esprit, nous arrivions à découvrir que notre esprit n’a pas de lois, car, s’il n’a pas de lois, V Esprit n’en a pas non plus el, si l’Esprit n’a pas de lois, le inonde n’est pas nécessaire. Ce n’est pas seulement le moyen de la déduction qui nous échappe, c’est son objet même.

Heureusement pour l’idéaliste, le cas est irréel. Notre activité intellectuelle a des lois, elle ne produit pas ses concepts au hasard ; libre de s’appliquer à ce qu’elle veut, elle n’est pas libre de penser comme elle veut. Tout le monde peut en faire reij)érieuce. Pour prendre un cas infiniment simple, essayons par exemple de nous représenirr deux cotés d’un triangle et l’angle compris : Il ne tiendra i>as à nous que surgisse dans noire conscience le troisième côté, déterminé en longueur et en direction, sans que nous y puissions rien changer. Il y a une logique de la Représentation, et elle est inllexible. — Que ])ar ailleurs notre esprit produise aussi à propos des mêmes choses des idées qui, n'étant pas liées en système, n’olïrentpas le même caractère de nécessité, c’est ce qu’on ne nie pas. Mais il sullil qu’il y ait pour noire esprit un mode d’activité qui échappe au libre arbitre, soit rigoureusement prédéterminé, pour que l’hypothèse d’une identité foncière entre notre esprit et l’Esprit ne soit pas vaine, el que la méthode de l’idéalisme puisse être essayée.

6. A’ature de lu Dialectique. — Cette méliiode, comment la mettre en œuvre pratiquement ? Gemment, en fait, exploiter l’activité nécessaire, les lois inéluctables, de notre esprit ?

Il ne faut pas songer à procéder de l’extérieur, comme si les lois de l’esprit pouvaient être connues en dehors de leur application ; c’est seulement en s’atlachant à penser qu’on peut découvrir ce qui s’impose à ])enser. Le tout est donc de trouver un premier objet, à partir duquel, confié au jeu rigoureux de ses propres lois, notre esprit détermine (au sens du verbe allemand, hestimmen) un autre objet, puis, à partir de ce nouvel objet, encore un autre, et ainsi de suite, comme il lui sulhl de penser l’essence du cercle jxmr en voir surgir les propriétés. S’il est réellement l’Esprit, et si le panthéisme est la vérité, il engendrera de la sorte et dans leur enchaînement nécessaire, tous les phénomènes objectifs dont se compose l’univers.

Qu’on ne se méprenne pas d’ailleurs sur le sens de celle reconslruction. Il s’agit d’une reconstruction tout idéale, toute logique, et qui n’a rien par consé(pient d’une ellicacité créatrice. L’opération que l idéaliste exécute est analogue à celle du mathématicien qui reconstruit un nombre à partir de ses facteurs premiers ou qui retrouve le dessin d’une courbe par la vertu de son équation : déterminer a priori par des calculs l’existence et la marche d’une planète, ce n’est ni la produire ni la moutoir. Ajoutons, pour achever d'éclairer le sens de la dialectique idéaliste, que si, dans la reconstruction de l’Expérience, noire esprit va, synthétiqueinent, d’un élément à l’autre, cela tient à sa nature, à sa structure, laquelle leforce d’aller des parties au tout. Mais l’Esprit n’a pas ces procédés : il est au-dessus 1317

PANTHEISME

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du multiple sous toutes ses formes. — De là il suit que c’est une grave erreur d’interprétation de faire intervenir le temps dans le procès dialectique, connue si l’ordre de déduction était un ordre de genèse ; la logique, une histoire ; et l’Idéalisme, une cosmogonie. Uans les Uauteursmétaphysiques où se place l’idéalisme, le temps n’existe pas : on est au-dessus de lui. Cesi en descendant que la dialectique, en cours de route, le rencontrera, c’est-à-dire l’engendrera logiquement et à sa place, comme un des éléments du Tout.

^. l’oint de départ de la Dialectique. — Poursuivons : il faut que le premier objet que s’assigne notre esprit ne soit pas différent du premier objet qu’a eu l’Esprit : autrement les deux activités auraient beau être foncièrement identiques et également nécessaires, leur développement (si l’on peut dire) ne coïnciderait pas. Quel sera-t-il donc ?

On peut établir par trois voies différentes et dont a convergence est déjà significative, que ce premier )bjet ne peut être rien d’autre que l’Esprit lui-même.

1. — D’abord, l’essence même de notre entreprise ionsistant à essayer de rattacher l’Univers à l’Esprit, le rejoindre l’Univers à partir de l’Esprit, comment 'Esprit pourrait t-il ne pas être notre premier objet ?

2. — Ensuite, notre premier objet, celui dont la considération doit nous amener à poser tous les autres, le pouvant lui-même être posé en vertu d’un autre, loit être un absolu. Autrement nous aurions au >oint de départ de la déduclion un principe qui, levant être expliqué et ne l'étant pas, serait encore m fait, un pur fait, un donné sans donnant, quelque hose d’iniiitelligé ; toute la déduction en serait irrénédiablement viciée. Mais être un absolu, c’est ne élever de rien, être posé en vertu de soi, être posé lar soi. Or telle est la délinition même, l’essence atime de l’Esprit. Nous allons y revenir.

3. — Enfin, l’objet premier de notre esprit ne peut, lous l’avons vu, être autre que l’objet premier de l’Esirit. Or l’Esprit étant par hypothèse ce qui est au prinipe de tout, l’origine à la fois effective et dialectique, 'origine en soi et l’origine pour nous, de l’Univers, 1 ne saurait avoir d’autre premier objet que luiaèrae. C’est nécessairement en fonction de soi qu’il lose nécessairement le reste.

8. L Esprit. — Les raisonnements que nous venons le fekire nous fixent un point de départ : ils ne nous e donnent pas. Nous savons que la dialectique doit larlir de l’Esprit, mais encore faut-il avoir atteint Esprit pour en partir, et ce n’est certes pas dans exiiérience qu’il doit tout entière fonder, que nous louvons espérer le saisir.

Parsa nature il ne relève que d’une intuition, mais l’une intuition pure et intellecluelle. Ivant était fort 'pposé, semble-t-il, à toute intuition de ce genre, nais ce n’est qu’en apparence. L’intuition intellecuelle qu’il repoussait était une intuition séparée, et (ui fût censée porter sur un être.. Or, une telle inuition est, en effet, impossible ; nous n’avons pas de onnaissance objective qui soit pure d'éléments senibles, et aucun être ne nous est donné que dans et )ar l’expérience, c’est-à-dire comme une chose. Mais ien n’empêche de concevoir une intuition inlellecuelle qui, d’une part, ferait corps avec l’intuition ensible, en serait inséparable, n’en pourrait être légagée que par abstraction, et qui, d’autre part, ne lorterait pas sur un objet, sur un être, mais sur m acte.

Le kantisme est si peu hostile à une intuition de e genre qu’il en suppose partout l’existence. Pour le parler point de l’Analytique transcendantale qui » sl inintelligible sans elle, n’est-ce pas dans l’intuition

d’un acte absolu que consiste pour Kant l’expérience du Devoir ? On ne fait qu’expliciter la doctrine de la Critique en disant que, par la conscience de l’impératif moral, nous saisissons confusément, et projetée d’ailleurs sous la forme d’un idéal à réaliser, l’action catégorique et absolue qui ne pose pas un objet, mais se pose elle-même. Or nous savons que tel est l’Esprit. On arrive au même résultat par une autre voie.

Noua pensons l’Esprit, car nous pensonsune pensée qui se pense, un sujet qui est son objet. Si nous n’arrivons pas à surmonter la dualité de la pensée pensante et pensée, ce n’est pas que l’unité de l’Esprit nous échappe totalemeut, c’est que notre pensée est finie ; de là vient qu’ayant toujours besoin d’un objet à quoi s’opposer, elle le suscite dans l’effort même qu’elle fait pour se dépasser ; le sujet n’est plus luimême, il est objet quand il s’est atteint La pensée

de la pensée, unité parfaite du sujet et de l’objet, est pour nous une limite, limite indéfiniment reculante, mais qui n’est telle que parce qu’elle est d’abord un principe ; pour que la Pensée se cherche en nous, il faut qu’elle se soit trouvée en soi ; notre effort même pour nous dépasser témoigne que l’idéal nous est immanent : nous connaissons l’Unité absolue puisque nous y tendons.

Enfin il y a une manière plus rigoureuse encore et plus technique de mettre en évidence le fait que nous portons en nous l’idée, et l’idée véritable, de l’Esprit.

Pour manifester ce que recèle en soi toute pensée, partons d’une proposition quelconque, mais absolumentcertaine, indiscutée et indiscutable ; et demandons-lui « le nous livrer, par une abstraction proo-ressive qui la vide autant qu’il est possible de le faire de tout contenu déterminé, la vérité la plus générale qu’elle enferme, celle qu’enferme par conséquent toute proposition.

Pour abréger, partons de cette proposition déjà très épurée et que tout le monde accorde : A est A. — Entendons-nous bien : nous ne savons rien de A, et nous ne nous en préoccupons pas. Ce n’est qu’un symbole. Nous disons seulement que A est A, sans affirmer aucunement que A soit ou ne soit pas. Ce qui est posé par cette vérité, au degré d’abstraction où nous la prenons, ce n’est donc pas A, mais seulement une certaine relation conditionnelle en vertu de laquelle il apparaît comme de toute évidence et nécessité que 5/ A est A, il est A. — La vérité est cette position conditionnelle elle-même. Uous sommes déjà loin de A etnous n’avons plus à nous en occuper. Son rôle est fini.

Considérons maintenant cette position conditionnelle ». Elle est elle-même — et c’est cela qui est remarquable — absolument posée. Elle ne dépend pas et ne peut pas dépendre d’une autre, elle est à elle-même sa propre vérité, elle est position absolue, auto-position. Si on demande en edei pourquoi A est A s’il est A, il n’y a qu’une réponse possible : parce que s’il est A, il est A. — Ainsi cette vérité se pose et se garantit elle-même. Mais une vérité qui se pose et s’engendre elle-même, n’estellej)as comme le fantôme ou la projection logique de ce qu’on appelle parfois la « Vérité subsistante », c’est-à-dire l’Esprit ?

Ainsi dans n’importe quelle proposition vraie nous voyons se profiler l’ombre de l’Esprit. C’est quand, à force d’abstraire, nous avons vidé de tout contenu l’une quelconque de nos vérités, que se manifeste à nous la Vérité pure et simple, on plutôt la vérité de la vérité, c’est-à-dire l’Esprit. Quiconque pense et tire au clair ce qu’il pense, saisit par là même qu’il pense l’Esprit.

Au point où nous sommes arrivés, nous possédons 1319

PANTHÉISME

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tous les éléments qui peuvent faire comprendre la nature, le sens exact, de l’idéalisme absolu ; en même temps, son caractère nettement panthëistique doit éclater aux yeux. Suivre l’idéalisme dialectique dans sa déduction n’ajouterait rien à ce que nous avons besoin de savoir'.

g. Résumé. L’essence de l’idéalisme absolu. — Il nous reste, pour terminer cet exposé délibérément circonscrit, à en résumer brièvement les idées essentielles :

L’idéalisme, tel du moins qu’il nous apparaît, se présente avec un but nettement délini : établir qu’au moins en un sens le monde est Dieu, en établissant que poser Dieu, c’est nécessairement poser le monde. — Son point de départ est Dieu même en tant qu’Esprit, Action absolue. Unité parfaite, confusément présent à notre pensée ; — sa méthode est de montrer que l’Esprit pense nécessairement le monde, et par là même nécessairement le produit en soi ; — son procédé, de se substituer à l’Esprit et de refaire à partir de lui, a priori et en idée, ce qu’il est censé faire réellement et nécessairement.

Le procédé de l’idéalisme acquiert un sens, du fait qu’on pose en hypothèse l’identité de notre esprit et de l’Esprit, par conséquent de notre activité logique et de son activité productrice ; et l’hypothèse à son tour doit acquérir une vérité, du fait que le procédé réussit, que l’a jiriori rejoint l’a posteriori, et que des deux activités supposées foncièrement identiques les résultats, en elîet, coïncident.

Le Panthéisme comme thèse, démontré jiar le succès d’une déduction fondée sur le Panthéisme comme hypothèse : en ces quelques mots tient, selon nous, l’essence de l’Idéalisme absolu.

B. — Le panthéisme en général

Sa nature. Résumé de ce qui précède — Quelque forme qu’il alfecte, lorsqu’il cherche à se produire comme doctrine, le panthéisme philosophique consiste toujours en l’affirmation de deux thèses essentielles dont l’explication même varie à peine d’un système à l’autre : Dieu et le monde sont réellement distincts connue natures, il ne sont pas réellement distincts comme êtres. — Pour le réalisme spinoziste, il y a vraiment deux natures, la natura naturans ou nature incréée, et la nalura naturala ou nature créée. Dieu est en soi et il est en nous, il existe comme indépendant et il existe comme incarné ; mais son incarnation dans le monde qu’il crée est rigoureusement nécessaire ; cela, en un double sens : d’abord hypothétiquement, parce que, selon Spinoza, si Dieu crée, il doit assumer ce qu’il crée, rien ne pouvant subsister que dans et par l’Etre ; ensuite absolument, parce qu’il ne peut pas plus dépendre de Dieu que le monde existe ou non, qu’il ne dépend des prémisses d’un syllogisme, qu’en sorte ou non leur conclusion.

Pour l’idéalisme allemand, qui ramène toute nature àla pensée ou, comme nous dirions plutôt, à la connaissance, Dieu est la Pensée qui pense, le monde est la Pensée pensée. Il n’y a qu’une Pensée, éternelle, infinie mais cette pensée ne se saisit pas immédiatement comme telle ; incapable de s'épuiser ellemême d’un coup, elle multiplie les réflexions partielles d’elle-même sur elle-même, et se produit ainsi, autant de fois, comme conscience. Nous nais 1. Il doit être en effet apparu sulBsanimeDt. au cours de cet exposé et si l’on se reporle aui notes, que quoi qu’il eu soit de la manièie dont l’idéalisme « xécute ou s’efforce d’exécuter son programme, il a déjà dans son but, dans ses posInlaU. dans sa méthode, de quoi le faire juger — et condamner.

sons quand la Pensée se réfracte et se brise ; nous sommes cette Pensée même, en tant qu’elle ne se comprend que partiellement. Ainsi, distincts les uns des autres dans la mesure même où nous sommes constitués par une connaissance exclusive, telle qu’est la connaissance sensible avec ses points de vue différents, nous sommes un et identiques dans la mesure oii, par la raison, chacun de nous pense ce qui est pensé par tous : comprendre que 2 et 2 font /( et eiunprendre qu’on le comprend, c’est (toujours d’après le panthéisuie) au-dessus du temps et de l’espace se poser et se saisir comme Pensée une en soi et une en tous.

Sa relation avec la morale. — A première vue, il doit sembler que le panthéisme, en niant la responsabililé individuelle, en introduisant partout le déterminisme, rende superflue et même contradictoire la tentative d’instituer une morale. En fait, les panthéistes, Spinoza en têle, se sont préoccupés de formuler une règle des mœurs. Ils déduisent de l’identité même de l’homme avec Dieu des principes de conduite pour l’homme ; ils disent, par exemple :

« Ce que l’homme est en réalité, il doit tâcher de l'être

aussi en apparence ; abolissant par le renoncement, l’abnégation, la charité, ce qui le constitue à part des autres, chacun doit s’efforcer de s’idenlilier à tous, afin que, de plus en plus, la multiplicilé des phénomènes reflète l’unité de l'être. »

Nous n’avons pas à exposer les morales inventées parle panthéisme. Que ces moralesprésentent beaucoup d’analogies avec celle que prêche la christianisme, cela peut expliquer la séduction qu’elles exercent sur des âmes fjéncreuses ; il n’y a rien là qui puisse accréditer le panthéisme : on sait que de prémisses fausses on peut Icgitimementconclure des propositions vraies. — Le parallélisme apparent des deux morales, panthéistique et chrétienne, s’explique d’ailleurs facilement : du point de i' »e des conséquences et de l’interprétation pratique, il n’y a pas grande différence entre ces deux affirmations que pourtant sépare un monde : l’homme doit faire le dieu (principe de la morale panthéistique), l’homme doit imiterDieu (principe de la morale chrétienne).

Ce que nous voulons seulement noter ici, c’est la transposition radicale que le panthéisme est obligé de faire subir à la notion de morale, pour lui donner un sens. Il est clair que, le déterminisme étant posé, il devient impossible de parler d’une morale impérative. Proposer aux hommes un rfeioir, faire appel à leur bonne volonté, comme s’il dépendait d’eux d'être bons ou mauvais, c’est là ce qui est interdit au panthéiste. A la morale impérative il est dès lors amené à substituer une morale purement normative. Désormais, ce dont il s’agit, c’est uniquement de définir ce qui est conforme ou non conforme à la raison. Faire connaître l’idéal et, par l’intermédiaire de l’idéal, agir sur les volontés comme on agit sur un mobile, tel est le but de Spinoza, quand il rédige son Ethique. Ce faisant, il reconnaît deux fois l’existence du déterminisme, d’abord en s’avouant luimême déterminé à écrire ce qu’il écrit pour le plus grand bien de ses semblables ; ensuite, en escomptant le déterminisme même pour les entraîner du côté de la raison. Ceux qui seront déterminés par l’idéal, c’est-à-dire ceux que l'éthique de Spinoza aura convaincus, seront heureux, et s’ils comprennent adéquatement cette éthique, ils seront même déterminés à s’estimer heureux. Les autres, sur qui le Bien est sans efficace, ne peuvent être tenus pour responsables de leur résistance, on ne doit pas les blâmer, mais on peut les mésestimer. Ou plutôt : quiconque comprend les véritables rapports des 1321

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choses sera déterminé, non à les blâmer, mais à les méseslimer ; ilsont (les natures d’esclaves, puisqu’ils subissent un autre attrait que celui tle la raison.

On le voit, si le panthéisme échappe en morale à la conlrailiction, par trop forte pour être vraisemblable. Je vouloir commander à qui ne peut obrir, ce n’est ([u’en transformant radicalement la conception même delà morale. Sa morale n’en est pas une. Nous ne dir(ms donc pas : le panthéisme se détruit lui-même parce que, en contradiction avec ses principes, il enseigne une morale ; mais nous dirons : il se détruit, parce qu’il détruit la morale.

Sa relation avec la Religion. — Le modernisme immanentiste. — Que de la thèse essentielle du panthéisme on puisse déduire une conception des rapports de l’homme avec Dieu et, en ce sens, une religion, rien d'étonnant ; mais celle religion doit forcément, on peut en être sûr a priori, èlre radicalement dilTcrente de la religion chrétienne, être totalement incompatible avec elle. — Un a pourtant fait, ces derniers temps, un elTort immense pour exposer la religion du panthéisme avec les formules de la religion chrétienne, on s’est livré à un travail de re-interprélation des dogmes, on a transposé et transformé les vérités de foi… Le résultat de cette laborieuse falsification a été une contre-façon blasphématoire de la religion révélée : et c’est le modernisme, c’est l’immanentisme.

Dieu, selon cette conception, est immanent à l’homme, non pas en ce sens qu’il lui donne d'être et d’agir, ce qui serait très orthodoxe, mais en ce sens qu’il est livi-même la substance et l’activité de l’homme. Nos pensées, suivant le modernisme, ne sont pas nôtres, ou elles ne le sont que dans le monde des apparences ; elles procèdent d’une source subîonscienle, elles viennent de notre Moi profond, qui est le Moi divin. — Par ailleurs Dieu, en nous, ne fait pas que disperser sa pensée à travers le prisme du temps, il cherche, malgré l’obstacle qu’il s’est donné, à se saisir lui-même comme Dieu, et, autant que possible, à s’expliquer comme tel lui-même à lui-même. Ce travail de Dieu en nous, cet elTorl de la divinité pour s’exprimer par nous est ce que, suivant l’immanentisme, on doit appeler la Révélation. Subconsciente la plupart du temps, éloufTée et comme opprimée par la mase de concepts ou d’images qu’elle doit soulever pour se faire jour, elle réussit parfois à faire irruption dans la conscience ; l'àræ alors se sent envahie par un Ilot de pensées dont elle ignore la source, elle a l’impression que ce n’est pas elle qui pense, mais qu’on pense en elle et par elle… c’est l’inspiration proj’hétique.

"Tout homme, d’après le Modernisme, porte en lui-même la Révélation ; mais ce n’est pas en tout homme qu’elle devient consciente ; et quand elle est devenue consciente, ce n’est pas en tout homme qu’elle parvient à se traduire assez pour devenir communicable. Un homme plus que tous a laissé à travers soi transparaître le Dieu, c’est Jésus-Christ. — Dieu, il l'était, mais comme l’est chacun de nous ; seulement nous le sommes sans le savoir, il l’a été en le sachant. Le message divin, il ne l’a point gardé pour lui, il a interprété à l’aide de symboles, d’images, d’allégories, l’Expérience dont il était le bénéliciaire. La valeur de son enseignement tient à ce qu’il exprime cette Kxpérience : voilà pourquoi il doit rester lettre morte pour qui ne porte pas en soi de quoi le comprendre et l’interpréter ; mais pourquoi aussi il est éminemment évocateur d’expériences, analoguesà celle dont il procède.

A raison de sa richesse unique, transcendante, la Révélation du Christ a été reconnue par un groupe

1 d’hommes pour le type et la norme de toute Révélation ; on a consacré, canonisé, les formes sous lesquelles elle s’est produite : ce qui a créé une orthodoxie. Les expressions qui ont servi à traduire la Révélation par excellence q^l dès lors, aux yeux de ce groupe (l’Eglise), constitué le critère de toutes les révélations ultérieures. C’est en vériliant qu’elles peuvent se couler sans effort dans le moule des formules certainement inspirées, que les révélations privées s’assurent d'être véritables Révélatious. Ainsi, du point de vue personnel, l’expérience, que le modernisme appelle mystique, celle expérience est tout : les mots qui la traduisent ne sont rien : niais du point de vue social, et par conséquent religieux, ce sont les mots qui importent, car ils restent le seul garant de l’authenticité des Révélations et de leur accord. Qui a émancipé l’esprit se doit d'être un conservateur intransigeant de la lettre.

Deuxième Partie : RÉFUTATION DU PANTHÉISME

A. — Réfutation de l’argumentation panthéistique

L’argumentation panthéistique, dépouillée de ce qu’elle doit chez les philosophes à l’esprit de système, et traduite dans la langue de tout le monde, peut se ramener à quelques chefs. Elle consiste en un certain nombre de raisonnements élémentaires qu’il nous sullira d’exposer et de réfuter pour faire apparaître sur quels fondements illusoires se dresse le panthéisme.

Premier argument

Exposé — Il est impossible de concevoir l'être comme multiple, car lorsqu’on a dit : « l'être est », on a tout dit ; et comme il n’y a pas de milieu entre l'être et le non-ctre, il faut que cela même qui semble, en raison de sa multiplicité, distinct de l'être, soit l'être ou ne soit pas. — Ou encore : Posé qu’il n’y a qu’une idée d'être, c.-àd. posé Vanité à tous égards de celle idée, il s’ensuit son unicité. Qu’est-ce qui multiplierait l'être ? On conçoit que la matière prime multiplie la forme, car elle lui apporte quelque chose ; mais à l'être on ne peut rien ajouter qui ne soit luimême.

Réfutation. — Nous avons cherché à donner à l’argument panthéistique toute sa force ; c’est malgré nous, si sa faiblesse éclate aux yeux. Dire qu’en face de l'être pur et simple il n’y a que le non-être, c’est poser arbitrairement l’unicité de l'être, et la poser par simple affirmalion, non par raison ; car c’est la question, de savoir s’il faut tellement séparer l'être et le non-être qu’ils ne puissent entrer en composition. S’il répugnait à l’esprit de penser l'être autrement que comme être, le non-être serait en effet exclu délînitivement de l'être. Mais s’il est possible, comme déjà le voulait Platon, de mélanger l'être et le non-être, de dire d’un être qu’il est ceci et qu'17 n’est pas cela, l’alternative qu’on prétend nous imposer, ou d’identiher purement et simplement le multiple à l'être, ou de le reléguer au néant, cette alternative est illusoire. Il y a un moyen terme : en face de l'être qui est purement et simplement, il y a place pour l'être t]ui est et qui n’est pas, c’est-àdire pour le Fini.

Aussi bien, nous concédons volontiers pour notre part, et bien que cela fasse discussion dans l’Ecole, que si l’on admet Vanité à tous égards de l’idée d'être, il faut admettre son unicité. Car si l’idée d'être est réellement et simplement une, elle est en effet immultipliable. Mais ce que nous nions absolument, et ce qu’on ne peut prouver, c’est que 1323

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l’idée d'être soit une comme on le dit. Elle est au contraire, en vérité, simpliciler multiple : il y a autant d’idées d'être que d'êtres et d’apparences d'êtres. L’unité que l’idée semble avoir, et qu’elle a en réalité quand nous pensons par elle plusieurs êtres, est une pure unité dinalof ; ie, c’est-à-dire une unité proportionnelle (Voir la Théorie de l’Analogie, si importante pour la réfutation complète du panthéisme, à l’article Diku [P. Gabrigou-Lagbange], col. I0I2 à 1016 ; cf. aussi article Agnosticismb [P. Ghossat], col. 38 sqq.)'.

Second argument

Exposé. — Il est impossible de concevoir Dieu sans le monde. Car si Dieu est, il est conscient ; or nul être ne saurait être conscient, c’est-à-dire se saisir comme soi, sans se distinguer d’un autre, et même s’y opposer. Il n’y a nulle part de lumière si nulle part il n’y a de l’ombre. Pour se poser, il faut s’opposer. La réflexion ne peut s’opérer qu’en vertu d’un choc en retour ; c’est en étant ramené à soi et comme rejeté sur soi après une rencontre avec l’Autre, que l’esprit peut arriver à s’atteindre. Immobile et simplement en soi, l’esprit serait inconscient. Le non-moi est nécessaire au moi pour qu’il se saisisse comme soi. Mais de là il suit que, s’il est absurde de concevoir Dieu comme ayant été à un certain moment inconscient, il est absurde de le concevoir comme ayant été à un moment sans le monde. Le monde est sa contrepartie nécessaire, la condition même de son existence. —.près cela, si l’on veut dire que le monde émane de Dieu, on le peut, mais à condition de signifier par là qu’il en résulte, non comme une création temporelle, mais comme une suite logique, essentielle ; ce qui suffit au panthéisme.

Réfutation. — Cet argument repose sur une thèse absolument fausse, celle qui fait de l’existence d’un non-moi une condition d’existence pour le moi. Sans doute, et c’est là ce qui fait l’apparente force de la preuve, la réilexion chez nous ne s'éveille qu'à la suite d’un contraste, d’une opposition ; elle est repliement et suppose au moins un certain effort d’expansion, une initiative contrariée. Ce sont là desdonnées que la psychologie moderne a mises en bonne lumière et que nous ne songeons pas à rejeter. — Mais nous ne sommes pas pur esprit, el les conditions de l'éveil mental, les conditions de lo conscience chez une intelligence comme la notre, ne peuvent être légitimement regardées comme les conditions de la conscience en général.

La véritable manière d’envisager les choses est exactement inverse. A se placer au point de vue de l’esprit, il n’y a pas à expliquer par un recours à quoi que ce soit d’autre que lui la conscience qu’il a de soi : elle se déduit immédiatement de ce qu’il est. L’esprit, étant simple par nature, est complètement et parfaitement identique à lui-même, à l’inverse du corps dont une partie n’est pas l’autre ; or c’est tout un, de dire que l’esprit est identique à lui-même, qu’il est en soi, et de dire qu’il es.i pour soi '.

— Qu’est-ce en effet que connaître ? — C’est posséder en soi l’intelligible comme tel. Or, qui possède mieux l’intelligible, que ce qui, étant soimême intelligible, n’a rien d’interposé entre soi et soi, mais est parfaitement soi-même ? — Ainsi

1. Nous traitons nous-nième cette question dans le travail où nous reprenons, avec plus de (iéveloppements. lo sujet de cet article. Voir Pnnthéisme. Beaiicliesue, 1922.

2. c( Redire ad essentinm snara nîbil aliud est quum rem subsi stère in ^eipsa. Forma eni 01, in quantum perficit materiam dando ci esse, qnodani modo supra ipsam eflunditur ; in quantum vero in se ipsa habet tsse, in se ipsam redit. »

l’Esprit, tout esprit en tant que tel, est conscient d soi. — Dès lors, s il y a un problème, il est exacti ment inverse de celui que se proposait le panthéisme étant donné Vtaçril humain, expliquer comment il fait qu’il n’ait pas toujours et immédiatement cor science de soi. — C’est pour expliquer V inconscienc chez un moi spirituel, qu’il faut recourir à un nor moi, à quelque chose du moins qui s’oppose l’esprit… En l’espèce, il ne seraitpas bien malaisé d montrer que, si l'àme humaine est naturellemer endormie, si elle a besoin d'être éveillée à la con : science d’elle-même, c’est parce que, à la différence d l’esprit pur, elle n’est pas complètement et parfaite i ment en soi, étant dans la matière et pour 1 1 matière.

Troisième argument

Exposé. — L’esprit infini ne peut, Justement parc I qu’il est infini, s'épuiser lui-même en se eonnaissani force est donc de le concevoirou comme progressai indéfiniment dans la conscience qu’il a de soi, o comme prenant sur lui-même une multitude infini de vues partielles. Si l’on choisit la première hypc thèse, tout invite à voir dans l'évolution de noti univers l'évolution même de la conscience divine on a de notre monde toujours en travail une vv intelligible dès qu’on y reconnaît l’effort d’un Die qui cherche indéfiniment à s'égaler ; le Multiph qui est l’apparence, est rendu compréhensible, de qu’on y voit l’expression développée de l’Un, qi est la réalité. — Si l’on opte pour la second hypothèse, on obtient une explication très claire d l’existence de moi multiples ; un moi individut n’est rien d’autre que l’Esprit en tant qu’il pren partiellement conscience de ce qu’il contient l’homme est la forme sous laquelle Dieu se connaîl Dans les deux cas (et ils ne sont i)as nccessairemen distincts), c’est le panthéisme.

Réfutation. — Un esprit qui n’a pas de soi-mêm une conscience immobile, qui doit se chercher, bie plus, qui est condamné à ne se jamais trouver com plètement, un tel esprit, essentiellement entaché d

« puissance », ne peut absolument pas être ce qu’o ; 

appelle un esprit infini. Un esprit infini est un espri parfait, ou, ce qui revient au même, un Acte pur aucun progrès n’est intelligible dans ce qui n’es qu’Acte.

Si l’esprit parfait ne pouvait s'épuiser d’un coupei se connaissant, il ne faudrait pas, même alors, lu accorder du temps pour le faire, ni chercher ui remède à son état : il vaudrait mieux déclarer qu^ le concept d’esprit parfait est un concept.contradic toire. Mais on ne le peut. En vérité l’esprit inlin n’a pas de peine à se comprendre, car il est simple et son acte de connaissance <|Ui est lui-même, es nécessairement simple comme lui. L’infinité de perfection n’est pas l’infinité de quantité : quand on c compris cela, de l’argument dont nous parlons, il ne reste rien.

Il faut cependant prévoir une instance. Le panthéiste dira : en argumentant contre moi commt vous le faites, vous m’interprétez d’une manière sim pliste. Loin de moi la pensée de mettrede la ûnitudf au cœur de l’infini, de la puissance dans l’Acte pur mais vous admettez vous-même, sans croire voiii contredire, que l’Infini a pu, en Jésus-Christ, se soumettre à un développement temporel, prendre de soi-même une connaissance successive ; or, tout ce que je dis, c’est que l’incarnation de Dieu, non dans un homme mais dans l’homme, est essentielle à Dieu, est pour lui une nécessité, comme, selon vous, c’est une nécessité pour le Père d’engendrer le "Verbe… 1325

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La réplique est aisée : notre première réfutation garde toute sa valeur, car elle ne procède pas précisément de ceci, que Dieu ne pourrait se voir lui-même à travers une forme humaine et dans le temps ; elle procède de ce principe certain, que l’esiiril purfail rloit se suffire parfaitfineut à liiimi’iiip. Qu’il puisse créer du lini et même l’assumer en le créant, en sorte que ce fini soit encore divin, nous ne voyons là rien de contradictoire ; mais que Uicu se trouve clans la nécessité de créer du fini et dans la nécessité de l’assumer, sous peine, pour Lui, de n’être pas soi, voilà ce qui selon nous, de toute évidence, fait l’inlini lini, subordonne le Parfait à l’imparfait, entache de puissance l’Acte pur. — Il n’v a qu’une nécessité admissible en Dieu, c’est celle qtti’lc lie à lui-même : les trois personnes de la Trinité étant la nature divine elle-mênie, une et indivisée, la nécessité pour Dieu d’être trinc n’est pas une nécessité antérieure ou exiérieure à Lui, elle est la nécessité ptfur Dieu d’être Dieu, et c’est tout.

Quatrième argument

Exposé. — L’inlini n’est infini que s’il est tout. S’il y a quelque chose en dehors de l’inlini, on jiourrait l’ajouter à ce qu’il contient, on pourrait augmenter l’inlini, ce qui est absurde.

Réfutation. — S’il sutlisaitqu’il existàlun étrelini et un èlreinlinipour qu onffit en droit deconcevoir leur sontmc, l’ari ; umcnt précédent serait irréfutable, car il nous acculerait à cette alternative, ou d’admettre que l’Infini peut grandir, nu d’admettre qu’une somme pexit n’être pas supérieure à chacune de ses parties. M. lis s’il est impossible de parler de somme, si Dieu et le monde ne font pas deux êtres, l’argument tombe de lui-même. Or pour envisager la possibilité d’un rapprochement du Fini et de l’Intinisous la catégorie de nombre, on.peut se placer à deux points de vue :

1* Au point de t’iie réel. — La question est alors celle-ci : puisque toute addition consiste en la répétition d’une unité, est-il possible de trouver poxir le Fini et l’Infini un concept parfaitement propre qui valant pour l’un et pour l’autre, tienne lieu d’unité ?

— Il semble que oui. Ce concept, n’est-ce pas le concept d’être ? Mais c’est là une grosse erreur. Posé en effet que le mot être signifie le concept parfaitement propre à Vlnfini, il faut trouver un autre mot pour désigner le Fini ; car assurément le Fini n’est pas l’Infini, et si l’inlini est être, le Fini est non-être. Ainsi, à parler en prenant les concepts selon tout le sens qu’ils comportent objectivement, une seule anirmalion est légitime : Dieu est, le monde n’est pas. Mais alors Dieu et le monde ne font pas deu.c cires, et Dieu plus le monde c’est flnfini plus zéro.

2" Au point de vue abstrait. — Ce n’est qu’en s’é'rfvant par les degrés d’une proportion à UTi concept analogue qu’il est possible de trouver l’unité ca|)able de représenter à la fois le Fini et l’Infini. Mais le nombre sous lequel on arrive alors à les ranger est un nombre abstrait, celui que l’Ecole aiipelle transcendantal. Or rapprocher le Fini et fiiilini dans un nombre abstrait n’a plus aucun inconvénient, n’entraîne aucune conséquence absurile ; car le concept d’être, qu’on leur applique alors d’une manière oommmie, fait abstraction, an sens cxpUcile nà on le prend, des modes qui le réalisent ; et ainsi ce n’est toujours pas le Fini comme tel qu’on ajoute à l’inlini comme tel.

De toute façon, la dilïicullé qu’on tire contre l’existence distincte du Fini et de l’Infini, de la conception de leur somme, cette dilliculté n’existe pas ; car une telle somme est inconcevable.

I Cinquième argument

Exposé. — Un Dieu infini ne saurait être qu’impersonnel. Qui dit personne dit limitation et par conséquent Unitude : une personne s’oppose à d’autres personnes, ou au moins à des choses : c’est un être recueilli en soi et qui se possède par exclusion du reste. Niez ce qui borne la personnalité, elle se répand sur tout et du coup s’évanouit ; ce qui était personne devient impersonnel ; or tel est nécessairement l’être sans borne, Dieu.

Réfutation. — Cette manière d’argumenter tend moins à démontrer le pantUcisræ qu’à établir l’athéisme. Un Dieu impersonnel est un Dieu qui n’existe pas, c’est l’iiumanilè ou la nature ; danstous les cas » c’esl une abslrælion. Bien des gens qui se disent panthéistes ne sont en effet que des athées. Aussi cet argument ne nous intéresse qu’indirectement. — Toute sou apparente force est en ceci, qu’il fait état de la finitude comme si elle était essentielle au concept de personne. Or il faut sans doute reconnaître que la finitude est un élément dont nous ne pouvons nous passer chaque fois que nous voulons nous représenter la personne humaine, la seule dont nous ayons une connaissance directe ; mais c’est la question même, de savoir si le concept propre à la personne /lumiu/ie est runique concept possible de la personne, ou si la perfection qu’il désigne ne répugne pas à se trouver quelque part, dégagée de toute imperfection ; — en sorte qu’après avoir reconnu que Dieu ne saurait être une personne de la même manière que nous, on puisse encore dire qu’il est personne selon un mode analogue au nôtre I.

Restreindre le concept de personne à sa signification univoque, c’est évidemment s’interdire d’en faire usage pour Dieu, mais en vertu d’une pétition de principe’.

B. — Béfutation de l’assertion panthéistique

Nous avons à établir directement, positivement, la contradictoire de l’assertion panthéistique ; il nous sufiira pour cela de prouver que « l’homme n’est pas Dieu « , car si l’homme n’est pas Dieu, l’univers dont l’homme fait partie ne l’est pas non plus.

D un premier geure de réfutation. — L’entreprise est séduisante, de vouloir détruire l’assertion panthéistique en montrant non seulement qu’elle est fausse, mais qu’elle est en elle-même et de tout point de vue alisurdc. Il semble qu’en arrêtant le panthéisme au nom de la métaphysique, au lieu de l’arrêter au nom de l’expérience, on en triomphe plus complètement el qu’il soit mieux réduit en poussière si l’on a prouA é qu’il répugne à la Raison, que si l’on a seulement prouvé qu’il répugne aux Faits. De là, une manière de le réfuter qui consiste à montrer la contradiction oà l’on tombe quand on identifie l’infini et le fini, le parfait et l’imparfait. — Cette manière de réfuter le panthéisme est excellente contre un certain panthéisme, le seul que connût le moyen âge ; il la faut garder. Mais dirigée contre la forme plus subtile du panthéisme que nous avons

1. La philosophie arrie à démontrer que Diiu est personnel la t"i nous ren^tigne dnvanlage : elle précise qu’en Dieu il y a trois personnes. L’on peut dire ean* aucune ineïaotitiide : Dieu est personnel ; mais ce n’est qu’.i In la^eur(lune correction sous-enlcnduc, et en usant d’un à peu (irès pour lequel il convient rl’ëlrc indulgent, qu’on peut alBrmer : nDieu est personne » ou surtout « Dieu est une personne ». 1327

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appelée, en nous référant aux modernes, le panthéisme (les pliilosophes, cette rél’utalion, sans perdre sa valeur, se trouve perdre son ol)jet. On a vu que Spinozn distingue expressément la nature incréée et la nature créée, les « attributs » de Dieu et ses

« modes ». Des remarques analogues doivent être

faites au sujet de Fichte, et même de Hegel, dont il devrait être entendu une fois pour toutes qu’il n’a jamais soutenu l’identité des coniradicloires. — Enlin, il faut prendre garde qu’à vouloir pousser la sorte d’argumentation dont nous parlons conime si, en tous cas, d’une distinction réelle de natures on pouvait conclure à une distinction réelle d’êtres, on ne va à rien de moins qu’à nier virtuellement le mystère de l’Incarnation. Dès qu’il s’agit de Jésus-Clirist, nous sommes bien en présence d’un être qui concilie dans son unité le lîni et l’inlini, d’un Iwinme qui est Dieu : c’est donc que l’iiomme-Dieu est possible ; s’il est possible une fois, il est possible des millions de fois.

Conditions d’une réfutation plus générale

Elle devra consister à prouver directement que. contrairement à ce qu’atfirme le panthéisme, l’homme et Dieu ont, en fait, des subsistences réellement distinctes ; ou encore, ce qui revient au même, que l’homme étant ce quil est, il est impossible qu’ilsoit Dieu.

Pour être parfaitement exacte, la preuve que nous avons en vue devra de plus être telle que ne soit pas niée par elle l’absolue possibilité d’un être en plusieurs personnes (mystère de la Sainte Trinité) ou d’une personne en plusieurs natures (mystère de l’Incarnation). Autrement, elle porterait plus loin qu’il ne faut et trahirait un vice intrinsèque.

Vue générale de l’argumentation contre le

panthéisme. — Le fait capital sur lequel on peut, comme sur une base sûre, édilier la doctrine du Théisme, est l’existence de la liberté, telle qu’elle se manifeste en chacun de nous.

Les hommes, dirons-nous, pris individuellement, sont libres, et cette liberté, en les rendant responsables, fait de chacun d’eux un a réel sujet d’attribution » par rapjiort à certainsaumoins de leursactes. Or ce fait est inconciliable avec la thèse panlbéistique. Cette thèse est donc fausse. — Bien plus : ce fait bien compris, rapproché de certaines autres vérités, implique la thèse théistique : cette dernière thèse est donc vraie.

Nous n’avons pas à prouver ici la majeure de cet argument ; l’existence de la liberté et de la responsabilité individuelles est un fait qui a déjà été solidement établi ailleurs’(voir art. Liberté). La réfutation proprement dite est tout entière dans la mineure : c’est elle seule strictement que nous avons à démontrer ; nous le ferons par un argument susceptible d’être présenté sous deux formes.

Première forme de l’argument

Posé la liberté en vertu de laquelle nos actes nous sont réellement imputables, — le panthéisme qui voudrait à la fois rester ce qu’il est et tenir compte de ce fait, n’a qu’une ressource : d’une part il doit, pour être fidèle à lui-même, ne point cesser d’affirmer que c’est Dieu et Dieu seul qui agit dans les créatures libres, soit A, B, C. Mais d’autre part, il doit, pour faire droit au fait en question, dire que si

1, Nous reprenons nous-mêm « ce sujet dans le Iravail plus développé que nous consacrons au panthéisme (cf. op. cit.).

Dieu agit en A, c’est en tant qu’il est lui-même A ; que s’il agit en B, c’est en tant qu’il est lui-même B ; elainsi de suite… Car de la sorte seulement, on peut admettre que A, B, C soient, chacun pour soi, responsables.

Maintenant, ti être responsable » ou, en termes plus généraux, être par rapport à quelque acte c( sujet réel d’imputation », qu’est-ce donc ? C’est évidemment avoir été de cet acte le principe indépendant ; celui qui a pris sur soi de le produire ; qui, à ce tilre et en ce sens, est par soi la cause qu’il est. Mais pour être cause par soi, il faut de toute nécessité avoir une existence à soi : car il ne saurait y avoir quelque indépendance dans l’agir où il n’y a nulle indépendance dans l’être. Cela revient à dire que, pour être « sujet d’imputation », la première condition est d’être en soi. Comme d’autre part, être en soi, ou avoir une existence à soi, est cela même que l’on appelle « subsister » (du moins lorsqu’il s’agit d’une subsislence absolue), la même vérité peut s’exprimer de la manière suivante : tout sujet j d’imputation est comme tel un subsistant.

Nous pouvons continuer. Du fait qu’on reconnaît en A, B, C des auteurs responsables, des « sujets », on reconnaît donc aussi qu’ils subsistent. A est un subsistant, B est un subsistant, C est un subsistant… Mais on ne dit pas nécessairement, — du moins le panthéisme peut se flatter de le croire, — que A, B, C fassent ensemble trois subsistants. Pour rester lui-même, après avoir tenu compte du fait de la responsabilité individuelle, le panthéisme n’a encore qu’à dire : Et ces trais qui subsistent sont en réalité le même subsistant, c’est-à-dire Dieu sous trois formes différentes.

Apres avoir mené le panthéisme à ce point, il nous faut donc le poursuivre et le pousser le plus loin possible dans ses propres voies.

Soit donc la thèse panthéistique telle qu’elle vient d’être obtenue.

Nous disons : de deux choses l’une,

OU BIEN,

en même temps qu’il le fait agir sous les apparences de l’homme, le panthéisme refuse à Dieu toute activité propre : Dieu immanent aux êtres A, B, C, n’agirait pas et ne pourrait agir en tant que Dieu ; il n’agirait qu’en tant que A, B, C. — Mais alors, il faut dire que Dieu comme Dieu n’est pas un subsistant. Loin d’exister en lui-même, il n’existe qu’en A, B, C. En soi, il est une abstraction, ce qu’est l’Humanité à part des hommes. Et alors peu importe que les houmies soient un ou plusieurs subsistants ; nous pouvons avoir affaire encore à un monisme’, mais du panthéisme proprement dit il n’est plus question, /l s’est détruit lui-même pour faire place à l’athéisme.

OU BIEN, au contraire,

le panthéisme reconnaît à Dieu une activité propre en dehors de celle qu’il est dit exercer à travers les hommes ; en ce cas le panthéisme ne peut plus se contenter de dire : « par rapport aux actes de A, c’est Dieu qui est sujet d’imputation, mais en tant qu’il est A », et ainsi de suite… Il doit ajouter : « H y a des actes par rapport auxquels c’est encore Dieu qui est sujet d’imputation, mais cette fois en tant qu’il est Dieu ».

Du coup. Dieu lui-même, Dieu comme Dieu, apparaît comme l’un des sujets d’imputation et l’on peut dire avec vérité : « Dieu comme Dieu est subsistant. » Dès lors la question devient intéressante de savoir

1. Ce monisme, on va d’ailleurs le rencontrer et le réfuter en examinant le second membre de l’allernative. (

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PANTHEISME

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s’il se peut agir d’un seul et unique subsistant, considéré tantôt comme Dieu, tantôt comme A, tantôt comme B, ou s’il faut reconnaître autant de subsistants réellement distincts que de sujets apparents d’imputation. Nous sommes à la croisée des routes.

Que doit dire le panthéisme de ces divers « sujets d’imputation », pour continuer à tenir compte du fait de la responsabilité tel qu’il se présente ? Le panthéisme ne doit pas, ne peut pas, se contenter de reconnaître que A est sujet d’imputation par rapport à certains actes ; il doit encore concéder que A n’est pas sujet d’imputation par rapport à certains autres actes, à savoir par rapport aux actes de 15 ; que A n’est donc pas le sujet d’imputation qu’est B ; et, si l’on préfère cette formule qui a l’avanta^ie de faire voir que nous sommes toujours dans la perspective panthéistique : que Dieu, en tant que A, n’est pas Dieu en tant que B. Le panthéisme doit dire la même chose de chacun des divers sujets d’imputation, et en particulier de Dieu en tant que Dieu. Or cela revient à reconnaître que les divers sujets d’imputation s’excluent comme tels les uns les autres. S’ils s’excluent comme tels, ils sont comme tels réellement distincts entre eux ; il n’y a pas un sujet d’imputation qui revêt plusieurs formes ; il y a réellement plusieurs sujets d’imputation. Mais s’il y a plusieurs sujets, il y a, en vertu de tout ce qui précède, plusieurs Subsistants : Dieu subsiste, le monde subsiste, et le monde et Dieu font deux subsistants.

Ainsi le Panthéisme qui veut tenir compte du fait de ta responsabilité se détruit lui-même et fait logiquement place au théisme.

Confirmation de l’argument. — A interroger l’histoire de la philosophie, on constate que les doctrinaires du panthéisme ont tous nié la liberté humaine. C’est qu’en efl’et, reconnaître la liberté humaine, c’eût été reconnaître dans les créatures de véritables i sujets d’imputation » et par conséquent de véritables êtres, distincts entre eux et distincts de Dieu. — L’accord des panthéistes confirme la valeur de notre argument.

Autre forme du même argument

Nous avons abouti ù une thèse qui est tellement conlradicloire de celle du pjinlliéisme qu elle peut sembler-, par un autre excès, opposer à l’absolu qui est Dieu un autre absolu qui serait le uionJe. Quelqu’un pourrait nous dire : On voit si bien que le monde est pliysiquenunt distinct de Dieu, qu’on ne Ti.it plus comrænl il continue à tout moment de lui devoir l’être et l’aijir. — Pour mettre en lumière cet autre aspect de la vérité, il nous faut donc maintenant, après avoir marqué l’indépendance du monde à l’égard de Dieu, manifester sa dépendance et concilier les deux : il suffira pour cela de donner à la même argumentation un tour légèrement différent.

Partons encore de l’assertion même du panthéisme, puisque c’est elle qu’il s’agit de faire éclater. Posons que Dieu seul est être, que Dieu seul est cause. — Dieu agit donc en A et par A, en B et par B, et ainsi de suite, AetB étant des apparences humaines dont nous essayons de nier qu’elles existent en elles-mêmes (Thèse). Par ailleurs, l’expérience, une expérience incontestable et que la raison garantit, nous apprend que A et B sont comme tels et chacun pour soi responsables (Fait). — En rapprochant ce fait de cette thèse et en essayant de retenir de la thèse tout ce qui peut s’accorder avec le fait et cela seul, nous obtenons la formule suivante : Dieu a^it à travers A et à travers B (expression de la Thèse panthéistique ) mais de telle sorte que l’imputabilité de l’action^ au lieu de remonter jusqu’à lui, s’arrête véritablement, réellement, en À et en B (expression du

Fait d’expérience)… Or il suilit de bien considérer cette formule pour s’apercevoir qu’elle n’a plus rien de panthéistique. La seconde partie corrige la première, et à elles deux, elles expriment à la fois la dépendance réelle et la réelle indépendance des créatures. Si les créatures agissent, c’est bien en elTet, suivant la doctrine catholiqjie, parce que Dieu agit par elles et en elles ; aucune action créée n’est possible sans un concours divin, un concours qui soit, non pas seulement un accompagnement et une aide, mais un principe et une source. — D’autre part, si les créatures sont responsables, c’est que leur action, tout en étant celle de Dieu, est véritablement et proprement la leur. Ainsi les créatures subsistent par Dieu puisque leur action vient de lui, et elles subsistent en soi, puisque leur action est à elles, — ce qui est la doctrine même du théisme.

Remarques et explications

i) L’ahgoment contriî le panthéismk et la possi-DiLiTÉ DB l’Incarnation. — La responsabilité étant le caractère de l’être qui, maître de son action, peut se la voir imputer, il est clair qu’une étroite solidarité relie la liberté à la responsabilité. Un être libre peut seul être responsable, et tout être responsable est un être libre. — Si dans l’argument contre le panthéisme, nous avons expressément fait état delà responsabilité plutôt que de la liberté, c’est qu’il s’agissait pour nous de partir d’un attribut essentiellement personnel : or, la liberté est rfe soi un caractère de la nature ; seule, la responsabilité est essentiellement un caractère de la personne, en ce qu’elle implique un sujet d’imputation. — Nous savons par la foi qu’en Jésus-Christ la nature humaine ne se possède pas ; elle est libre, et par elle le Verbe est libre comme homme ; mais elle n’est pas formellement responsable, car les actions que le Verbe produit par elle ne sont imputables formellement ([u’au Verbe. Qui pèsera ces considérations verra que l’argument pour prouver la subsistence de la nature humaine en chacun de nous ne porte que sur nous. Il détruit l’erreur du panthéisme, mais il respecte la vérité de l’Incarnation.

2) L’argument contre lb panthhisme et la possibilité DE L.i. Trinité. — Quelqu’un pourrait dire, argumentant contre nousarf liominem : la distinction des personnes, la multiplicité des subsistences ne suflît pas à ruiner le panthéisme ; car on pourrait concevoir que la nature divine fût une, bien qu’en plusieurs personnes ; ce serait encore le panthéisme, et il n’y a là aucune absurdité manifeste puisque, selon vous, la Trinité existe où le cas se vérifie. — A l’objection qui se présenterait sous cette forme, la réponse est aisée : il n’y a aucune parité dans les deux cas : la nature qui appartient au Père n’a rien qui l’empêche d’être celle qui appartient au Fils ni celle qui appartient au Saint-Esprit ; mais la nature qui se manifeste dans l’homme ne peut pas être la même que celle de Dieu, parce que la première est finie et que la seconde est infinie. — Ce mode d’argumentation, que nous avons reconnu sans portée quand on veut l’employer contre les formes subtiles du panthéisme, a toute sa valeur contre l’objection actuelle ; et il est en lui-même si clair, si éviilent, si indiscutable, et à vrai dire, si indiscuté, que nous ne croyons pas utile d’insister.

On pourrait donner à l’objection une forme plus spécieuse. Au lieu de parler de nature, parlons d’être. Comment le principe, sur lequel se fonde l’argumentation que nous avons opposée au panthéisme, et suivant lequel toute personne revendique comme telle un être à soi, exclusif, incommunicable, comment ce 1331

PANTHÉISME

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principe n’esl-il pas contredit par le mystère de la Sainte Trinité, puisque, selon ce dogme, nous croyons à trois personnes qui ne sont qu’un être ?

U nous fallait soulever, pour être complet, cette difliculté théologique, mais on comprendra que nous ne fassions ici qu’indiquer la solution qu’elle comporte.

Qu’on le remarque bien, dans l’argument contre le panthéisme, nous avons eu soin d'énoncer le principe dont l’objection fait état, en limitant expressément son application aux subsistences absolues. Subsister, disions-nous, quand il s’agit d’une subsistence absolue, c’est avoir un être à soi, exclusif. Or sous cette forme, le principe est évident ; il constitue presque une définition. On en déduit qu’il ne peut y avoir une seule existence pour plusieurs personnes, puisque l'être serait alors à la fois exclusivement jirupre à chacune et commun à toutes, ce qui est contradictoire. Mais les personnes que la Révélation nous enseigne à reconnaître en Dieu sont, de par le même enseignement, des subsistences relatives ; elles sont de pures Uelations. Or comme telles, elles ne revendiquent pas un être propre, un être à part, car, comme telles, elles ne revendiquent pas d'être. Si elles sont réelles, et elles le sont infiniment, si (comme l’on dit) « elles posent de l’absolu », ce n’est pas du tout, en etTet, d’après la doctrine des plus grands théologiens, en vertu de ce qui les constitue Personnes, c’est-à-dire Relations, mais en vertu de leur identité avec la nature divine. Dès lors il n’y a pas contradiction à ce que l’Etre (comme la Nature avec laquelle il s’idenli(ie), soit commun aux trois personnes de la Sainte Trinité : il peut appartenir à toutes, puisqu’il n’est la propriété exclusive d’aucune'.

C. — Le panthéisme et l’orthodoxie

L’incompatibilité radicale, l’opposilion absolue du panthéisme et de l’orthodoxie est une chose évidente. Après tout ce qui a été dit dans le cours de cet article, nous n’avons pas à y insister. Il nous reste seulement à signaler les différents documents dans lesquels le jianthéisme a été expressément condamné par l’Eglise.

1. — Le Syllabus de 1864, n" i (Denzinger-Bannwart, n » 1701), condamne la proposition suivante :

« Nullum suprcmum, sapientissimum, providentissimumqueNumendivinum existitab hacrerura universitate distinctum, et Deus idem est ac rerum natura

et idcirco immutationibus obnoxius, Deusque reapse fit in homine et mundo atque omnia Deus sunt et ipsissimam Dei habent substantiam ; ac una eademque res est Deus cum mundo, ac proinde spiritus cum materia, nécessitas cum libertate, verum cum falso, bonura cum malo et juslum cura injusto. « 

Ce qui est expressément désigné, et donc ce qui est directement condamné, dans ces lignes est la doctrine qu’on entend généralement sous le nom de panthéisme. C’en est la forme la plus répandue et partant la moins savante ; mais par delà celle forme poimlaire, c’est le panthéisme savant lui-même qui, indirectement, est condamné, car la distinction que celui-ci professe plus ou moins explicitement d’admettre entre Dieu et la Nature, n’est pas celle que le Syllabus exige, puisqu’elle laisse place à cette allirmalion que le Syllabus rejette : « omnia Deus sunt ».

2. — Dans le bref <i Eximiam tuam » adressé le 15 jviin iS.'i’j au Cardinal de Geissel sur la doctrine

1. Pour plus de ciéveloppement, voir par ex. Billot, De Deo el uno trino. II, p. 80 sqq., 104 sq. Rome, 1903. Cf. S Thoma » in I D 26, q.2, a. 2.

de Giinther, Pie IX rappelle la doctrine catholique Il de supreraa Dei libertate a quavis necessitale soluta in rébus procreandis » (Denzinger, n" 1656) ; et dans le 5' canon de la 3" session du Concile du Vatican (Denzinger, n" 1805) on lit cet anathème :

« Si quis Deum dixerit non voluntate ab omni necessitale libéra sed tam necessario créasse quam necessario aniat seipsura, A. S. n C’est la condamnation

explicite de la doctrinepanthéistique(Spinoza, Fichte) suivant laquelle l’exislence du monde découle logiquement et par conséquent nécessairement, de celle de Dieu.

3. — Dans le 3* canon de la même session, le Concile du Vatican s’exprime ainsi : « Si quis dixerit unam eaniJemque esse Dei et rerum omnium substantiam vel essentiam, A. S. « (Denzinger. n° 1803.)

Ce canon trouve son commentaire dans le texte de la Constitution dogmatique, laquelle porte ([ueDieu

« cum situna singularis, simplex omnino et incommulabilis snbstantia spiritualis, pracdicandus est

re et essenlia a mundo distinctus, in se et ex se beatissimus, et super omnia quæ præter ipsum snnt ot concipi possunt inelTabiliter excelsus » (Denzinger, n" 1782). Ici, l’aflirmation d’une distinction re et essenlia entre le monde et Dieu a pour résultat de fermer toute échappatoire au panthéisme. Elle implique qu’il ne sullit pas pour être orthodoxe de distinguer deux essences et comme deux natures : l’une, la natura nalurans, qui serait infinie ; l’autre, la natura naturata, qui serait finie ; mais qu’il faut encore distinguer physiquement ces deux natures, en sorte qu’elles fassent réellement deux êtres, — pour autant qu’on peut employer à propos de Dieu et du monde !e nombre « deux ».

4. — Le 4' canon est plus explicite encore : i' Si quis dixerit, res finitas tum corporeas tum spirituales, aut saltem spirituales, e divina snbstantia émanasse aut divinam sulistantiam su.i manifestatione vel evolutione fieri omnia aut denique Deum esse ens universale seu indeCnilum quod sese determinando constituât rerum universitatem in gênera, speeies et individua dislinctam, A. S. » (Denzinger, n' 1804.) Ce canon enferme la condamnation explicite du panthéisme sous les diverses formes que nous avons décrites.

5. — Enfin l’encyclique Pascendi contient à la fois une description détaillée et une condamnation expresse du panthéisme spécifiquement moderniste (immanentisme), c’est-à-dire du panthéisme en tant qu’il se présente comme interprétation de la Vérité catholique.

LITTÉRATUnE

Benedicti de Spinoza Opéra, Edition Van Vloten, 1895, 3 vol. — Olùivr.'s de Spinoza, Trad. Saisset, t. il et III. Charpentier, 1872.

Fichte, Œuvres complètes, éditéesparson fils Emmanuel Hermann Fichte (i 834- 1 846) et Choix des principales œuvres, par Fritz Medious (1900-1913). Lire pour commencer : Sonneniclarer Bericht an dus grossere Publicum liber das eigentliche Wesen der neuesten Philosophie (Dans la petite édition, t. iii, p. 547 et sqq. ; dans la grande édition, t. II, p. 325 sqq.) ; — Ersie Einleitung in die Wissenschaftslehre (Dans la petite édition, t. Ill, p. 1 sqq. ; dans la grande, t.I, p. 420 sqq.). Ces ouvrages n’ont pas été traduits. Passer ensuite aux divers exposés de la Wissenschaftslehre.

Sur Spinoza : Delbos, Le problème moral dans la philosophie de Sjiinoza, Alcan, 1898 ; — l.e Spinozisme (cours professé à la Sorbonne en 1919). Lecène, 1333

PAPAUTE

1334

Oudin, 1916. — A. Rivaud : Lés notions d’essence et d’existence dans lu philosophie de Spinozn, Alcan, 191O.

Sur Ficlile : Xavier Léon, La philosophie de Fichte, Alcan, 1902 ; — Recherches de Science religieuse, janvier-mars 1919, Aug-. Valensin : Le sens panthéisliqtie de la Dialectique idéaliste chez Fichte ;

— Sir Frédéric PoUock : Spinoza hts life and philosophy, London, Duckwortb, 1912.

Sur le panthéisme en général : Garrigou-Lagrange : Dieu, son existence et sa nature, Beauchesne, 1920 ;

— Serlillanges : Les sources de la croyance en Dieu, Perrin, igoS ; — Ilontheim : Institntiones Theodiceae, Herder, iSgS ; — Aug. Valensin : /'anthéisme, Beaucbesne, 1922.

Auguste Valensin, s. j.