Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Paix et guerre

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

PAIX ET GUERRE. — I. Fondements du droit international chrétien. — A. L’Evangile. — B. L’Eglise primitive. — C. Enseignement de saint Augustin. — D. Enseignement de saint Thomas d’Aquin. — E. Enseignement de Vitoria et de Suarez. — F. Enseignement actuel des Ecoles catholiques.

II. Théorie catholique du droit de guerre. — A. Juste guerre et justice vindicative. — B. Conduite des hostilités. — G. Dénouement des hostilités. — D. Théories contredites par la synthèse catholique. — E. La responsabilité des consciences dans une guerre injuste. — F. Vertu providentielle de la guerre.

III. Théorie catholique de l’ordre juridique international. — A. Sens et position de ta question. — B. Chrétienté du Moyen âge. — C. Equilibre des Puissances. — D. Régime de la Sainte-Alliance. — E. Concert européen. — F. Solidarité d’intérêts du monde contemporain. — G. Œuvre des Conférences de la Haye (1899-1907). — H. Sanctions internationales. — I. Œuvre du Traité de Versailles (28 juin 1919). — 3. Paix et Démocratie. — K. Paix et Nationalités. — L. Participation du Saint-Siège. — M. Conclusion.

Indications bibliographiques.

I. — Fondements du Droit international chrétien

A. L’Evangile.

La doctrine morale de l’Evangile est un message de paix et de réconciliation. Au nom du Père qui est dans les cieux, la paix divine et surnaturelle est apportée au fond des âmes ; une fraternité surnaturelle est établie entre tous les hommes, devenus, sans aucune distinction de races, les enfants adoptifs de Dieu. Des préceptes et des conseils d’une beauté sublime marquent les règles chrétiennes de la charité fraternelle, du pardon des injures, de l’amour des ennemis. La conséquence évidente d’une telle doctrine morale, dans un monde où elle serait observée comme elle devrait l’être, serait de faire régner la paix, la justice, la charité entre les divers peuples de la terre, comme entre les individus et les familles. Le genre humain, nonobstant la multiplicité légitime et nécessaire des nations et des langues, deviendrait une immense famille au sein de laquelle régnerait à jamais la fraternité du Christ.

Cette doctrine évangélique ne comporterait-elle pas, pour les disciples de Jésus-Christ, l’interdiction universelle et absolue de tout recours à la force des armes, la condamnation péremptoire de toute espèce de guerre, offensive ou défensive ? Pas plus aux Etats et aux peuples qu’aux simples particuliers, il ne serait permis, en aucun cas, de tirer le glaive du fourreau, car Quiconque fait usage de l’épée périra par l’épée (Matth., xxvi, 02). On ne pourrait donc pas parler d’un droit chrétien de paix et de guerre, puisque la paix serait seule légitime et que la guerre serait absolument proscrite, en toute hypothèse, par le Code divin de la morale chrétienne.

A différentes époques, pareille interprétation de l’Evangile fut soutenue par des sectes mystiques et illuminées. De nos jours, elle a été propagée par Tolstoï avec un succès prestigieux. Elle donne lieu à de singulières évocations de renseignement de Notre-Seigneur par les théoriciens de l’humanitarisme maçonnique, révolutionnaire et socialiste.

En réalité, l’interprétation dont nous parlons repose sur un énorme contresens, dont fait justice, non pas seulement la Tradition catholique, mais une saine exégèse rationnelle et critique des textes de l’Evangile. Le contresens consiste à transporter dans l’ordre social et politique les préceptes ou conseils d’ordre purement moral et religieux que donne Jésus-Christ pour la sanctification des âmes. Avec la même méthode, on exclura, au nom du Sermon sur la Montagne, la propriété, les tribunaux, tous les organes d’une société hiérarchique, non moins que la guerre et le service militaire. Mais on méconnaîtra, en même temps, la signification authentique et profonde du message évangélique, qui enseigne aux âmes le secret d’une rénovation morale et intérieure par le détachement, le sacrifice, tout en adaptant l’essor extérieur du royaume de Dieu ici-bas aux exigences raisonnables et hiérarchiques de la société humaine, aux conditions mêmes de la vie présente. Le langage et l’attitude de Notre-Seigneur font clairement comprendre qu’il tenait pour légitime, pour nécessaire, de respecter les institutions et les lois de l’ordre social, de rendre à César ce qui est à César, tout en réservant à Dieu seul le domaine mystérieux et plus élevé qui n’appartient qu’à Dieu.

Le recours éventuel à la force des armes, et, par conséquent, l’existence des institutions militaires, compte parmi les nécessités raisonnables qui, dans les conditions de la vie présente, peuvent s’imposer 1259

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à la société civile en vue du bien commun. L’Evangile de Jésus prétend tellement peu contredire cette vérité qu’il admet positivement la légitimité morale de la profession même des armes. Ainsi que l’ont remarqué tous les commentateurs catholiques, lorsque Jean-Baptiste, plus rigoureux cependant que le Sauveur pour imposer à ses disciples la rupture avec le monde, est interrogé par des soldats de l’Empire romain sur ce qu’ils doivent faire en vue d’obéir à Dieu, il ne leur répond pas : « Déposez votre épée, quittez le service de César, interdisez-vous de répandre le sang ; humain en aucune circonstance. » Mais il leur prescrit simplement, dans l’exercice normal de leur métier des armes, les lois universelles de l’honnêteté morale. « Abstenez-vous de toute violence et de toute fraude et conientez-vous de votre solde » (Luc, III, 14).

Ceux-là commettent vraiment une lourde méprise qui croient découvrir dans l’Evangile, fût-ce dans le Sermon sur la Montagne et dans le précepte spirituel de l’amour des ennemis, une réprobation absolue de la guerre et de la profession des armes, ou encore la réprobation absolue des tribunaux et de la profession de magistrat.

B. L'Eglise primitive.

La question a été méthodiquement étudiée par des érudits impartiaux (en dernier lieu, Mgr Batiffol, M. Vacandard, M. Vanoderpol), et les conclusions de leur enquête ne laissent place à aucun malentendu. Pendant les trois premiers siècles de l’Eglise, bon nombre de chrétiens servirent dans les armées romaines, sous les Césars païens, quoiqu’ils n’y fussent communément astreints par aucune obligation légale. Les chrétiens qui se crurent tenus en conscience d’abandonner l'état militaire ou de n’y pas entrer ne furent jamais qu’une très faible minorité. Lorsque les Pères de l’Eglise détournent les chrétiens d’adopter la profession des armes, c’est pour leur conseiller un genre de vie qui favorise davantage la pratique de la piété et de la perfection surnaturelle. C’est plus spécialement pour leur éviter certains périls graves d’idolâtrie ou d’apostasie qui pouvaient se présenter dans les légions de la Rome païenne, surtout aux époques de persécution. Mais ce n’est aucunement parce qu’une incompatibilité radicale existerait entre la profession du christianisme et la légitimité de toute participation éventuelle à la guerre ou la légitimité de toute espèce de recours à la force des armes.

Origène, à vrai dire, s’avance assez loin dans cette voie. Il ne formule pourtant pas de thèse universelle et absolue. Tertullien lui-même, devenu montaniste, quand il déclare, avec son emportement habituel, qu’un chrétien ne peut sans forfaiture choisir la carrière militaire, Tertullien ne tire pas argument du précepte évangélique de l’amour des ennemis et du pardon des injures, mais de telle ou telle coutume alors en usage dans les armées romaines, coutume que Tertullien considère (très à tort, d’ailleurs)comme entachée d’idolâtrie (cf. Adh. d’Alès, La Théologie de Tertullien, p. 414-416, 420, 477).En cours

Le seul écrivain ecclésiastique dont les œuvres nous soient connues et qui, dans l’antiquité chrétienne, ait formellement soutenu la thèse de la réprobation absolue de la guerre et du métier des armes, au nom de la vérité chrétienne et catholique, est précisément un auteur réputé pour ses inexactitudes, ses exagérations, ses surenchères de doctrine. Il s’agit de Lactance. Son opinion, contraire à la doctrine couramment admise et pratiquée de son temps, ne manifeste pas plus la croyance authentique de l’Eglise que, par exemple, vers 1830, quelque violente brochure de La Mennais en faveur de la Séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Enfin, lorsque l’Empire fut gouverné par des Césars chrétiens, lorsque disparut, pour les officiers et soldats, la question des coutumes païennes, la question du péril spécial d’idolâtrie ou d’apostasie, tout désaccord disparut également au sujet du droit des chrétiens à embrasser la profession des armes : droit qui suppose manifestement la légitimité possible, la licéité morale de l'état de guerre en certaines circonstances.

Dureste, les docteurs des premiers siècles ne furent pas amenés à discuter en détail les problèmes qui font, pour nous, l’objet du Droit international chrétien, ni les conditions qui pouvaient rendre une guerre légitime devant la conscience des chrétiens. Mais le fait de ne pas regarder comme illicite le métier militaire en tant que tel, équivaut à reconnaître qu’il pourra devenir, dans tel ou tel cas déterminé, honnête et juste d’avoir recours à la force des armes. L’Eglise primitive, nul ne le conteste, avait en particulière horreur l’effusion du sang. Elle ne tenait cependant pas toute guerre pour nécessairement coupable.

C. Enseignement de saint Augustin.

Dans plusieurs de ses écrits, notamment dans la Cité de Dieu, saint Augustin aborda certains problèmes de droit naturel, de philosophie morale et sociale, que, nous l’avons dit, les autres Pères de l’Eglise n’avaient généralement pas eu lieu de traiter avec quelque ampleur : et, particulièrement, le problème de la paix et de la guerre. Les principales considérations émises par le grand docteur doivent être indiquées ici : car, sur la guerre comme sur tant d’autres sujets, les idées de saint Augustin ont fourni la moelle, la substance des meilleures théories doctrinales qui, i)lus tard, furent méthodiquement élaborées parles maîtres de la pensée catholique au Moyen Age et dans les temps modernes.

La matière comporterait de riches développements, que l’on trouvera dans l'étude de M. Paul Moncbacx sur : saint Augustin et la Guerre. Contentons-nous d’analyser un fragment delà Cité de Dieu (livre XIX, chapitres vii, xii, xiii et xv. P. L., tome XLI.col. 634, 637, 640, 643), oix l’on trouve les doctrines les plus fondamentales et les indications philosophiques les plus suggestives.il sera loisible de ramener à quatre chefs l’enseignement de saint Augustin à propos de la paix et de la guerre :

D’abord, il y a des guerres qui sont justes. Ce sont celles qui tendent à réprimer, de la part de l’adversaire, une entreprise coupable. Iniijuitas partis adwersæ jusia hella ingerit gerenda sapienti.

Mais la guerre doit être considérée comme un remède extrême, auquel on ne recourt qu’après avoir reconnul'évidente impossibilité de sauvegarder autrement la cause du bon droit. Fût-elle juste, en effet, la guerre détermine tant el de si affreuxmalheurs, mala tam magna, tam horrcnda, tamsæva, qu’on ne peut s’y résigner que contraint par un impérieux devoir.

Quant au but légitime de la guerre, ce ne sera pas précisément la victoire, avec les satisfactions qu’elle apporte. Mais ce sera la paix dans la justice. Ce sera le rétablissement durable d’un ordre public dans lequel chaque chose soit remise à sa juste place. Tout le monde connaît les admirables définitions que saint Augustin, dans ce passage, nous donne de la paix et de l’ordre : Pa.i omnium rerum tranquillitas ordinis. Ordu est parium dispariumque rerum, sua cuique loca tribuens, dispositio.

Enfin, les malheurs de la guerre constituent ici-bas l’un des châtiments du péché. Même quand la défaite humilie ceux qui avaient pour eux le bon droit, il faut regarder cette douloureuse épreuve comme voulue de de Dieu pour punir et purifier le peuple des fautes dont lui-même doit s’avouer coupable. Omnis Victoria, 1261

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cum etiam malis protenit, dh-ino jiidicio victos hunriliat, vel emendans peccata, vel pitniens.

Cette dernière allégation est toute proche de ce qu’il y a de juste et de résistant dans les vues audacieuses de Joseph de Maistre sur la vertu proxidenlielle et expiatrice de la guerre. Quant aux idées de saint Augustin sur les conditions morales de la légitimité de la guerre, elles seront à la base des enseignements que donneront, à propos du droit de paix et de guerre, les théologiens et philosophes scolastiques.

Dans ce domaine, les idées de saint Augustin sont des vues de droit naturel, de philosophie rationnelle, dont on retrouve les éléments chez certains sages du paganisme, notamment chez Cicéron, mais qui, chez le grand docteur chrétien, prennent une cohérence, une noblesse, une lucidité nouvelles, dans le rayonnement de la vérité catholique. Le R. P. Marcel Chossat (La Guerre et la Paix d’après le Droit naturel chrétien, p. 60, 67) montre avec justesse la continuité de la doctrine, depuis l’antiquité jusqu’à l’âge moderne, par une chaîne de transmission lidèle dont saint Augustin fut le plus brillant anneau. Il s’agit du concept de juste guerre : « Au troisième livre De la République, Cicéron s’applique à réfuter cette opinion que l’injustice est nécessaire au gouvernement de l’Etat. Sien au contraire, conclut-il, la République ne fleurit et ne prospère que par la justice. Les actes de l’Elat n’échappent pas à la loi morale, ils doivent respecter toujours la loi naturelle. Pour être permise, la guerre doit être juste. Et c’est de ce troisième livre De la République que saint Augustin et Isidore de Séville ont tiré leurs célèbres déûnitions de la « juste guerre », que recueillit le Décret de Gratien et que s’approprièrent tous les théologiens, de saint Thomas d’Aquin à Suarez, et, à leur suite, Grotius. »

D. Enseignement de saint Thomas d’Aquin. — Saint Thomas d’AijuiN, dans la partie de la Somme théologique où il étudie les vertus chrétiennes, la Secunda Secundae, est amené à traiter des actes et des pratiques contraires à la vertu théologale de charité : notamment de toutes les formes de luttes, de discordes publiques ou privées. C’est ainsi qu’il aborde le problème de la guerre, auquel il consacre un chapitre entier, la question quarantième.

L’article premier est le plus intéressant de tous : car il contient la doctrine de saint Thomas sur le fond même du problème, c’est-à-dire sur la licéité morale de la guerre. Comme toujours, l’article est d’une extrême brièveté, mais d’une profondeur et d’une précision de doctrine, d’une netteté de langage vraiment digne du Docteur angélique.

Saint Thomas énonce les trois conditions qui rendent légitime en conscience le recours à la force des armes :

1’Que la guerre soit engagée, non par de simples particuliers ou par quelque autorité secondaire (ceci contre les guerres privées de l’époque féodale), mais toujours par l’autorité qui exerce dans l’Etat le pouvoir suprême ;

2" Que la guerre soit motiiée par une cause juste ; c’est-à-dire que l’on combatte l’adversaire à raison d’une faute proportionnée qu’il ait réellement commise (d’où le problème de la juste guerre dans les cas où apparait l’impossibilité certaine de donner aux conflits internationaux une solution pacilique qui satisfasse aux strictes exigences du droit) ;

3" Que la guerre soit conduite avec une intention droite : c’est-à-dire en faisant loyalement effort pour procurer le bien et pour éviter le mal dans toute la mesure du possible (il’où le problème delà conduite de la guerre, avec les règles que lui impose la morale chrétienne, et le problème de la juste pai.r).

Ces trois principes, posés nettement par saint Thomas, seront commentés avec ampleur dans les écoles de théologie catholique, surtout par deux grands docteurs espagnols du seizième siècle, François de Viloria et François Suarez, qui étudieront les applications multiples, iëcondes, souvent délicates de la doctrine de saint Thomas.

A la même doctrine de saint Thomas, une confirmation, indirecte mais éclatante, est donnée, d’autre part, dan.s les bulles pontilicales, dans les décrets conciliaires du Moyen Age, à propos de la paix de Dieu, puis de la trêve de Dieu, ainsi que du règlement pacilique et arbitral des conflits entre royaumes. Documents qui, par leur concordance, traduisent la pensée authentique de l’Eglise, l’esprit général de son enseignement, au sujet des questions morales concernant le droit de paix et de guerre. On discerne par là plus nettement combien, dang ses lignes essentielles, la doctrine constante des écoles théologiques mérite le nom de théorie catholique de la juste paix et de la juste guerre. La pratique des Papes et des Conciles corrobore et accrédite l’enseignement des docteurs, dont saint Thomas met lui-même en relief les trois principes fondamentaux.

E. Enseignement de Vitoria et de Suarez. — Le Dominicain François de Vitoria (-{-1549) fut le principal initiateur du mouvement de renaissance philosophique et théologique à l’Université de Salamanque et dans toutes les Espagnes au temps de Charles-Quint. Le traité De Jure iielli, qui fait suite au traité De Indis, eul pour occasion le grave cas de conscience soulevé par les guerres et les conquêtes des Espagnols dans les Indes occidentales : dès les premières lignes du De Jure Jfielli, François de Vitoria indique clairement la position du problème. L’ouvrage précédent a établi que le seul titre au nom duquel les Espagnols puissent raisonnablement acquérir et conserver leur domaine colonial des Indes est le droit de la guerre. Il convient, à présent, d’examiner en quoi consiste ce droit de la guerre, quelle en est la valeur morale et à quelles conditions il [)eut s’appliquer légitimement. Le principe de la licéité de la guerre et l’étude de chacune des trois conditions formulées par saint Thomas constituent la matière essentielle de l’ouvrage. La première partie est intitulée : Quelques questions principales. La deuxième partie est consacrée aux problèmes concernant la guerre juste, et la troisième partie examine h’.' ! choses permises dans une guerre juste.

Nonobstant quelques vues contestables, quelques thèses vieillies, le De Jure Belli, de François de Vitoria est un excellent manuel de droit public chrétien au sujet de la paix et de la guerre. Il mérite de rester ou de redevenir classique dans les écoles de théologie catholique.

A son tour, le Jésuite François Suarbz (-j- 1617), l’illustre théologien contemporain des règnes de Philippe II et de Philippe III d’Espagne, qui résuma les doctrines de lancienne scolastique dans une synthèse lumineuse et puissante, a exposé méthodiquement les principes du droit de paix et de guerre d’après la morale catholique. Sans parler des chapitres substantiels qui touchent à ce problème dans le second livre De legibus, la dissertation De Bello se trouve dans le traité des vertus théologales, De Fide, Spe et Caritate, où l’auteur commente la Secunda Secundæ de saint Thomas.

La critique des difTércnles solutions philosophiques et théologiques est conduite ici, (^nnme partout chez Suarez, avec autant de loyauté que d’ordre et de solidité. Le De liello de Suarez doit être rapproché du De Jure Belli de son devancier Vi’ioria. Les deux traites dilTêrcnt quant à la physionomie et 1263

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aux allures, quant à la luanicre d’envisager telle question complexe. Mais, sur le fond des choses, la théorie est parfaitement identique. Désormais, l’enseignement philosophique et théologique se trouvera, au sujet du droit de paix et de guerre, fixé ne varielur, à peu près intégralement. Cette question demeurera l’une de celles où l’on observera le moins de divergences appréciables entre théologiens ou canonistes catholiques des différentes écoles.

L’unique problème doctrinal qui demeura, quelque temps encore, débattu entre docteurs catholiques fut de savoir si une guerre ne pourrait pas être objectivement juste des deux côtés à la fois et si le droit des belligérants ne pourrait pas être alors rattaché à la justice commutative plutôt qu'à la justice vindicative. Nous aurons lieu de constater plus loin que, malgré l’autorité de Molina et de Tanner, l’opinion de "Vitoria et de Suarez demeura incontesta blement prépondérante, chez les docteurs catholiques, sur ce point comme sur tous les autres.

Dans le domaine du droit public chrétien, le nom de Suarez garde une autorité exceptionnelle. Le R. P. Chossat n’a pas eu tort de reproduire le témoignage significatif de Paul Janet, dont V Histoire de la Science politique dans ses rapports « irc la morale contient l’appréciation suivante : « L'écrivain [du seizième siècle] dans lequel on peut le mieux étudier le mouvepient intérieur de la scolastique depuis le treizième siècle, le plus grand nom de riîcole dans la théologie, la philosophie, le droit n.iturelet politique est le Jésuite Suarez. Sa méthode, ses autorités, ses opinions, tout nous prouve qu’il s’est attache à suivre la tradition beaucoup plus qu'à innover… Ses principes sont élevés et profonds. Il ne paraît pas se servir de la science comme instrument de domination. C’est un homme à'école et non de parti. U représente la grande tradition du Moyen Age. lien a la droiture, la sincérité, la passion logique. C’est le digne élève de saint Thomas d’Aquin. »

F. Enseignement actuel des Ecoles catholiques. — Au dix-neuvième siècle, l’enseignement du droit chrétien de la paix et de la guerre, avec une théorie de l’Ordre juridique international, fut donné par le Jésuite Taparelli d’Azeglio dans son grand Essai théorique de Droit naturel.

La Collection des Actes du Concile du Vatican (Schneeman et Granderath) contient un postulatuni adressé au futur Concile par quarante Pères qui demandent la définition des principes de la morale chrétienne sur le droit de paix et de guerre. Un autre postulatuni, rédigé à Constantinople par le synode patriarcal des Arméniens unis, se rapporte au même projet, auquel est adjoint le plan d’un tribunal de justice internationale dont la direction appartiendrait au Saint-Siège (Colonnes 86 1 à 866).

Les préoccupations résultant de l'état de paix armée et des menaces de guerre universelle qui en étaient la conséquence, les tentatives d’organisation juridique internationale et le travail de codification des lois de la guerre qui s’accomplirent aux deux Conférences de I.a Haye, en 1899 et en 1907, ramenèrent un certain nombre de catholiques, ecclésiastiques et laïques, du vingtième siècle à l'élude méthodique des théories du droit de paix et de guerre élaborées par les grands théologiens du passé. L’enseignement doctrinal de saint Thomas d’Aquin, de François de Vitoria, de François Suarez sollicita de nouveau l’attention et la sympathie des esprits avides de principes fermes et de solutions cohérentes. La tradition, un peu oubliée, des doctrines catholiques du droit de paix et de guerre ss renoua

sans effort partout où le problème fut sérieusement abordé.

Ceux-là mêmes qui ne partagent pas toutes les tendances intellectuelles de M. Vandhhpol rendent hommage aux services exceptionnels que rendit à la cause du Droit international chrétien ce travailleur modeste et consciencieux. M. Vanderpul traduisit en langue française tous les principaux textes des théologiens et canonistes du Moyen Age et du seizième siècle dans un recueil paru en 191 1. Puis, il publia, en iijia, une solide étude sur i.a Guerre det’ant le Christianisme, avec traduction française intégrale du Z>e y » /e iîe//( de François de Vitoria. C’est pareillement à l’initiative de M. Vanderpol qu’est due l’apparition du volume /.'Eglise et la ^((erre, datant de 1912 et contenant huit études substantielles, parmi lesquelles noi'.s citerons : Les Premiers Chrétiens et la guerre, par Mgr Batii’i'ol ; Saint Augustin et la guerre, par M. Paul Monck.vux ; et, tout particulièrement, la Synthi’se de la Doctrine théologique du Droit de guerre, par M. Tanqlerby. Le problème de la licéité morale de la guerre était résolu par M. Tanquerey dans les termes mêmes qu’avaient adoptés Vitoria et Suaiez. Au sujet des règles morales à observer dans la conduite de la guerre, M Tanquerey adhérait chaleureusement aux conventions internationales de La Haye, où il reconnaiss. iit, à juste litre, une exacte et heureuse interprétation des principes du droit naturel, en harmonie avec les conditions matérielles et morales de la civilisation contemporaire.

Durant la grande guerre de 1914-1918, ce même problème du droit chrétien delà i>aix et de la guerre fut étudié avec plus d’ampleur, approfondi avec plus de méthode, parun plus grand nombre de théologiens catholiques, qui, vu les circonstances, trouvèrent un accueil beaucoup plus attentif dans des milieux beaucoup plus étendus. Nous signalerons à la bibliographie : le U. P. Marcel Chossat et d’autres rédacteurs des Etudes, le R. P. Ciiiaudano, le R P. Janviiîr, le R. P. Pégcrs, M. l’abbé Miciibl, M. l’abbé UiviÉKE, M. l’abbé Charmetant, M. l’abbé Rouzic, M. le chanoine Gaudcau, et nous nous garderons bien d’omettre le vénérable évêque de Nice, Mgr Cuvi’ON. Par ses écrits publics des jours de guerre, par sa correspondance avec les autorités allemandes d’occupation en Belgique, le cardinal Mercimi donna aux thèses catholiques du droit de paix et de guerre une illustration magnifique.

Aux théologiens de profession, il faut joindre un jurisconsulte laïque de grande autorité, M. Louis Le Vvr, auquel nous sommes reilevables d’un excellent ouvrage de philosophie du droit intitulé : Guerre /uste et juste paix. D’ailleurs, les positions doctrinales demeurèrent identiques à celles des travaux publiés avant 1914, identiques aux thèses de François de Vitoria et de François Suarez, fondées elles-mêmes sur les traditions de saint Augustin et de saint Thomas, sur les principes immuables du droit naturel. L’immutabilité du droit naturel explique la conformité remarquable de la théorie des docteurs catholiques sur la paix et la guerre avec les conceptions juridiques des plus sages parmi les théoriciens non catholiques du droit international. Ces derniers, généralement, sont tributaires du grand ouvrage De Jure Belli et Pacis dédié au roi Louis XIII par le protestant hollandais Hugo Grotius, qui, sur beaucoup de points capitaux, s’inspire des mêmes principes que Vitoria et Suarez : les règles de la droite raison que Dieu a profondément gravées dans la nature de l’homme et la nature des choses ; et ce droit naturel, éclairé à son tour par la longue expérience de la sagesse antique et de la sagesse chrétienne. 1265

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D’autre pai-t, les enseignerænls et les démarches du Pape BrnoIi XV, durant toute la grande guerre, ont nettement orienté le travail des théologiens catholiques vers le problème de la solution paciQqne et arbitrale des conflits internationaux et, plus généralement, vers le problème de l’organisation juridique internationale. Les projets ambitieux de « Société des Nations », lancés par divers groupements étrangers ou hostiles au catholicisme, adoptés avec éclat par le président Woodrow Wilson, projets qui ont trouvé leur formule, plutôt médiocre, dans le traité de Versailles, du 28 juin 1919, remettaient en honneur, tout en la défigurant, une conception chère à la Papauté romaine, la conception de ce système catholique du Moyen Age où Auguste Comte salua un jour « le chef-d’œuvre politique de la sagesse humaine ». Benoit XV ne manqua pas de s’inspirer des glorieuses traditions historiques du Saint-Siège. Il réclama la substitution d’un régime de droit au régime de l’équilibre matériel des forces politiques et militaires. Il revendiqua l’arbitrage obligatoire, la réduction générale et proportionnelle des armements, la constitution d’une cour internationale de justice, munie de sanctions appropriées à sa tâche. Il convia, par le fait même, les docteurs des Ecoles catholiques à étudier’.out ce que contiennent d’utile, de viable les projets et systèmes actuels de « Société des Nations », pour faire écarter les chimères et les utopies malfaisantes, pour faire appuyer les solutions heureuses et fécondes, pour montrer surtout combien le succès d’une telle entreprise exigera la puissance morale de l’idée religieuse et le concours maternel de l’Eglise du Christ.

Après avoir exposé la théorie catholique du Droit de guerre, il nous faudra donc exposer la théorie catholique de l’Ordre juridique international. C’est la réunion de ces deux synthèses doctrinales, théorie de la guerre et théorie de la paix, qui constituera, dans sa complexité harmonieuse, le Droit international chrétien.

II. — Théorie catholique du Droit de guerre

A. Juste guerre et justice ^’indicative. — D’après la théorie traditionnelle des docteurs catholiques, la guerre ne pourra être moralement honnête et licite qu’au nom de la justice vindicative. Le recours légitime à la force des armes devra toujours avoir pour but de repousser (ou de prévenir) une injuste agression, de faire échec aune entreprise gravement coupable et d’en punir les auteurs.

Il faut donc qu’il y ait eu, de la part de l’adversaire, violation grave et certaine d’un droit authentique et certain.

Il faut, en outre, que l’adversaire se soit obstinément refusé à terminer le conflit d’une manière équitable par les voies pacifiques : négociations directes et amiables, médiation d’une tierce puissance, arbitrage International.

Mais, lorsque les choses en sont venues à ce point, la puissance provocatrice se trouve sujette aux répressionsde la justice vindicative. S’il existe une cour internationale de justice, armée du droit d’arbitrage obligatoire, munie de sanctions internationales, la guerre accomplie par les Etats qui se conformeront, contre la puissance provocatrice, aux arrêts de la Cour internationale aura indubitablement le caractère d’une exécution militaire par autorité de justice.

Mais, en l’absence d’une autorité temporelle dont les Etats rivaux seraient eux-mêmes justiciables, c’est-à-dire si la Cour internationale n’existe pas ou n’est pas en mesure de fonctionner, la puissance provocatrice devient, par le fait même de son crime

contre le droit d’autrui, ratione delicti, justiciable de la puissance injustement provoquée ; les chefs temporels de la nation qui a subi l’injustice deviennent légitimes représentants de Dieu pour punir la coupable et lui imposer une juste réparation de la faute commise.

L’Elat (ou le groupe d’Etats)’/(// a juste guerre sera donc en droit de repousser par la force des armes l’injuste agression de l’adversaire : Vim vi repellere oninia jura perniiltunt. Il sera en droit également, pourvu qu’il dispose de forces lui donnant des chances très sérieuses de succès, de prendre lui-même l’oITensive armée sur le territoire de la puissance adverse qui lui a causé un injuste dommage et s’est refusée persévéramment aux réparations paciûques.

Au pouvoir suprême de la nation gravement et obstinément lésée, s’appliquera en toute rigueur, à l’égard de la puissance coupable, le texte fameux de saint Paul sur le droit de glaive et la justice vindicatiTe : Ce n’est pas en vain que le prince porte l’épée, étant ministre de Dieu pour tirer vcni^eaiice de celai qui a fait le mal et pour le punir (Honi., xiil, 4) B. Conduite des hostilités. — Une fois les hostilités engagées, celui qui ajuste guerre pourra user en sûreté de conscience des moyens habituels de violence et de contraintedestinés à réduire l’adversaire, à briser sa force d’attaque et de résistance, à lui imposer les conditions et réparations conformes aux exigences de la justice. Mais ce droit de nuire à l’ennemi en guerre ne saurait être illimité. Il y a des violences que leur inutilité ou leur cruauté, leur déloyauté ou leur immoralité interdit rigoureusement de jamais employer, quelque graves qu’aient été les crimes de la puissance adverre. Les violences directes et sanglantes de la bataille doivent être épargnées à la population non combattante et employées exclusivement contre les armées ennemies, qu’il importe de repousser ou de détruire, de capturer ou de désarmer. Les destructions matérielles ne I doivent jamais dépasser ce qu’exigent rigoureuse-I ment les opérations militaires, au lieu de ravager méthodiquement le pajs et d’y multiplier les désastres irréparables. A un titre tout spécial, il faut épargner les institutions et les monuments de l’art, de la charité, de la religion.

Ces différentes obligations morales, concernant la I conduite de la guerre, se fondent sur le droit naturel, en même temps que sur l’esprit de charité chréj tienne. Mais la mesure exacte des choses permises I ou défendues subira quelques variations d’après les ] temps et lieux, les coutumes et les mœurs, l’état de j la civilisation. De nos jours, le problème est résolu par décision contractuelle. Tous (ou presque tous) les Etats de l’ancien et du nouveau monde sont signataires des conventions internationales de La Haye (1907), qui déterminent avec une précision, une lucidité, une sagesse remarquables les lois delà guerre sur terre et sur mer ; les moyens licites et illicites de nuire à l’ennemi ; les égards dus à la population civile, aux blessés, aux prisonniers, aux monuments religieux et artistiques ; les règles du droit des gens au sujet des parlementaires, au sujet de l’occupation des territoires ennemis, au sujet de la cessation ou de l’interruption des hostilités. La stricte observation de ce règlement international est à la fois une obligation tirée du respect des contrats, et une obligation tirée du respect de la loi morale, de l’honnêteté naturelle, dontlecontrat n’est ici que ladéclaration juridiipie etl’adaptation précise aux circonstances concrètes.

Lorsque l’on voudra pousser plus loin, dans de futures conventions internationales, le discernement 1267

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des moyens licites et illicites de nuire à renneini, un principe de droit naturel qui serait de natiire, non pas à trancLer tous les cas litigieux, mais à suggérer bon nombre de solutions fermes et utiles, nous parait être le prin « ipe suivant : est illicite l’emploi de tout moyen de destruction qui ne peut produire que par accident un résultat militaire. Fondée sur la nature des choses, cette règle interdirait le bombardement aérien des centres de population civile, ou leur bombardement par pièces à très longue portée, car de tels bombardements ne peuvent habituellement atteindre que la populationnon combattante, et n’atteindront que par exception fortuite les seuls objectifs qu’il soit légitime de bombarder : casernes, ouvrages fortiliés, dépôts de munitions ou de ravitaillement militaire. La règle susdite est toute voisine de celles dont s’inspirèrent manifestement les rédacteurs des conventions de La Haye. Puisque la guerre demeure toujours une perspective possible, il y aura lieu d’en reviser et d’en perfectionner les lois contractuelles, à la lumière des expériences tragiques de la grande guerre.

Le principe des représailles est pareillement conforme aux exigences du droit naturel, si toutefois l’on entend le terme de représailles dans la rigueur limitative de sa signification juridique. Les représailles sont des actes de violence, interdits par les lois ordinaires de la guerre, que pourra employer, au cours même des hostilités, le belligérant qui a juste guerre, pour contraindre, grâce à une terreur salutaire, l’autre belligérant à cesser désormais de commettre les grades i’iolations du droit de la guerre dont il » ; 'est rendu notoirement et obstinément coupable. En de leUesconditions, lesre^resai//es deviendront moralement licites, mais ne pourront jamais consister dans l’emploi de n’importe quel moyen de nuire à l’ennemi, sans en excepterles plus cruels ou les plus immoraux. Certaines choses demeurent défendues en toutes circonstances par la loi naturelle comme par ll’esprit chrétien. Mais, au nombre des choses que prohibent à bon droit les lois ordinaires de la guerre, il en est plusieurs, comme l’emprisonnement de telle catégorie d’otages ou la destruction de tel monument civil, qui ne violent pas, de soi, les exigences absolues de la morale et qui peuvent devenir temporairement légitimes, à titre de représailles, pour faire cesser des abus ou-des scandales pires encore (Cf. Louis La Fdr, Des représailles en temps de guerre, Paris, 1919).

Avec les représailles, qui ont lieu durant les hostilités, il ne faut pas confondre les sanctions, qui, dans la conclusion d’une juste paix, devront correspondre aux plus énormes violations du droit commises pendant la guerre. Si les auteurs vraiment responsables de ces crimes peuvent être identifiés avec certitude, nul doute que de telles sanctions constituent la revanche de la loi morale, selon les exigences manifestes de la justice vindicative.

C. Dénouement des hostilités. — Lorsque l’Etat (ou le groupe d’Etats) qui a juste guerre aura remporté la victoire sur la puissance adverse, il lui imposera une paix conforme au droit.

Non pas en écrasant l’ennemi vaincu et en lui appliquant jusqu’aux dernières limites la loi du plus fort, mais en restaurant la tranquillité de l’ordre. Les droits du vainqueur dans une juste guerre peuvent se résumer ainsi : reprendre à l’adversaire tout ce que celui-ci a usurpé indûment ; imposer des réparations matérielles pour les destructions accomplies et des sanctions pour les crimes commis ; exiger une contribution financière pour indemnité des lourdes dépenses de la guerre ; prendre possession de certaines forteresses et de certains territoires, à litre de

châtiment pour les violations du droit et à titre de garanties contre de nouvelles tentatives belliqueuses et injustes. On rétablira ainsi chacun et chaque chose à sa juste place par une juste paix.

La théorie catholique du droit de paix et de guerre ne recule pas devant cette conception du dénouement de la guerre par voie de justice vindicative. Vitoria, Suarez et les autres théologiens ne réprouvent indistinctement ni toute espèce d’annexion oiide conquête, ni, à plus forte raison, toute espèce d’indemnité. Le belligérant coupable et vaincu subira, par autorité de justice, des contraintes pénales plus ou moins analogues à celles que subirait un particulier justement condamné par les tribunaux pour lésion grave du droit d’autrui. De même que le particulier serait légitimement privé, par sentence du juge, de quelque chose de sa fortune ou de ses droits individuels, de même, le belligérant coupable et vaincu sera légitimement puni d’amende, et, par quelque aliénation de territoire, subira une légitime atteinte à son « droit (normal) de disposer de lui-même ». Par rapport à ce droit, et dans la mesure équitablement prescrite, il sera juridiquement forclos, selon l’heureuse expression de Mgr Landrieux, évêque de Dijon.

L’esprit de charité chrétienne interviendra, d’ailleurs, pour prescrire la modération dans l’usage de la victoire, pour en limiter les conséquences aux résultats politiques ou économiques rigoureusement nécessaires à la restitution de l’ordre et du droit, pour exclure les exigences abusives ou superflues qui causeraient sans nécessité des haines irrémédiables et prépareraient de nouvelles causes de guerre pour l’avenir.

La paix chrétienne est une œuvre de justice, mais non pas une œuvre de vengeance. Elle ne saurait être confondue avec une consécration païenne de tous les caprices orgueilleux et de toutes les convoitises rapaces de la force victorieuse.

D. Théories contredites par la synthèse catholique.

— Il ne sera pas besoin d’expliquer comment la théorie catholique du droit de paix et de guerre exclut toutes les conceptions du recours à la force des armes où la guerre est considérée comme ayant sa raison d'être en elle-même et sa justification dans la victoire, indépendamment delà justice de la cause. Conceptions qui sont la négation formelle ou équivalente de la sainteté du droit. La force prime le droit ; ou encore : la force engendre le droit ; ou même : la force manifeste le droit ; autant de sophismes détestables qui érigent la loi du plus fort en règle suprême des rapports entre les peuples et qui méconnaissent l’essence de la moralité, au point de proposer à la société civile le même idéal qu'à une bande de brigands.

Une autre conception, pourtant moins inadmissible au premier abord, est pareillement interdite aux gouvernants de l’Etat par les règles théologiques du droit de guerre. C’est la conception qui fait du recours à la force des armes un moyen juridique de dirimer une question litigieuse. Deux nations, par exemple, sont divisées par un grave conflit d’intérêts politiques ou commerciaux. De part et d’autre, le droit est douteux, le différend se prolonge, s’envenime. On ne parvient à tomber d’accord sur aucune solution pacilique. La guerre est alors déclarée, avec cette clause, tacitement acceptée chez les deux adversaires, que la question de droit sera délinilivement tranchée par la force des armes au prolit du vainqueur. Il n’est pas douteux que cette conception, dérivée du paganisme antique, ait été souvent admise avec une entière bonne foi dans beaucoup de pays chrétiens.

Les théologiens catholiques, avec François de Vitoria et François Suarez, présentent les guerres entre1269

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prises d’après ce principe comme des guerres objectivement injustes, et injustes des deux côtés à la fois. C’est que la guerre est, de par sa nature niênie, essentiellement inapte à trancher une question de bon droit, essentiellement inapte à dirimer une question litigieuse en montrant tiui avait raison et qui avait tort. Bien plus, la guerre est tout autre chose qu’une solution inoirensive, comme pourrait être le tirage au sort ou une partie d'échecs. La guerre déterminera nécessairement des ruines, des violences, l’abondante efTusion du sang humain. La guerre est un lléau d’ordre physi(]ue et d’ordre moral. II serait donc insensé, il serait coupable de déchaîner volontairement pareil fléau pour mettre un terme à un mal beaucouj) moins grave, tel que l’absence de règlement d’une question de politique internationale dans laquelle les droits en présence sont branlants et douteux. Nul pouvoir humain ne peut honnêtement, licitement, recourir au terrible moyen de la guerre sans y être contraint par un impérieux devoir de justice. Ce principe moral est tenu à Ijon droit povir évident s’il s’agit de sacrilier une seule vie humaine. Nous ne pensons pas qu’on puisse le tenir jiour moins obligatoire ou moins clair s’il s’agit de sacrilier, par la guerre, tant de milliers de vies humaines et de causer le malheur de tant d’innocents.

Quelques docleui’S catholiques, avec Molina et Tannbk, sans admettre la funeste théorie que nous venons d’exclure, ont cru cependant qu’une guerre pouvait être objectivement juste des deux côtés à la fois. Dans ce cas, le droit de guerre, chez l’un et l’autre belligérant, se rattacherait à la justice commutative et non plus à la justice vindicative. Et voici comment. Par hypothèse, tel Etat possède des droits authentiques et légitimes sur un territoire qui est, de fait, occupé par une autre puissance. Mais cette autre puissance estime de bonne foi être elle-même en droit authentique et légitime de conserver le territoire. On recourt finalement à la force des armes. L’Etat qui possède le territoire en litige prétend faire usage du droit de légitime défense et lepoinser une agression injustifiée. La puissance adverse combat pour recouvrer, au nom de la justice commutativc, la province qui lui appartient, mais non pas pour châtier, en vertu de la justice vindicative, un détenteur de mauvaise foi, présentement coupable d’une faute grave. De la sorte, la guerre serait, de part et d’autre, objectivement légitime, comme un procès où chacune des deux parties agirait de bonne foi et où chacune des deux thèses se réclamerait d’apparences sérieuses ou d’arguments plausibles. Cette conception diminuerait le nombre des guerres objectivement injustes et augmenterait le nombre des belligérants qui combattraient dans des conditions conformes aux exigences du droit.

Néanmoins, l’ensemble des théologiens catholiques parait avoir écarté ce point de vue et demeure fidèle intégralement à la tradition de François de Vitoria et de François Suarez. Même dans 1 hypothèse qui vient d'être décrite, il semble que la guerre ne sera objectivement juste que d’un seul côté. Il faut admettre, en effet, que la puissance qui entendait recouvrer le territoire n’aura pas déclaré la guerre sans avoir tente, d’abord, de faire aboutir sa revendication par des moyens pacifiques : négociations directes, ou plutôt iirocédure arbitrale. Si les titres produits par la partie plaignante établissent vraiment que son droit sur la province est authentique et certain, l’autre Etat cesse, par le fait même, d'être détenteur de bonne foi, il est tenu d’obtempérer à une revendication reconnue légitime, on, tout au moins, de se prêter à une composition équitable. S’il n’y consent pas, il se rend coupable d’une injustice grave, et la guerre qui

s’ensuivra sera formellement injuste de son côté. Au contraire, si les titres produits par la partie plaignante ne démontrent chez celle-ci qu’un droit contestable et douteux, le doute devra profiter au possesseur, melior est conditio possidenlis, et la partie plaignante ne pourra, sans se rendre elle-même coupable d’une injustice grave, déclarer la guerre pour recouvrer jiar la force le territoire contesté. Dans l’un et l’autre cas, la guerre sera juste de la part de l’un des deux belligérants et objectivement injuste de la part de son adversaire.

La vérité de la doctrine paraît exiger que l’on maintienne le principe de saint Augustin : Iniquitas partis adi’ersne jusla bella ingerit gerenda sapienti ; principe répété en termes plus catégoriques jjar saint Thomas : liequirilur causa justa ; ut scilicet illi qui iiiipugiiaiilur, jjroj)leraliqnaiii culpam impuguationem mereinilur. Ce qui revient à dire, avec François de Vitoria et François Suarez, que toute guerre juste est, objectivement parlant, une mesure de justice vindicative, déterminée par une faute grave de l’adversaire.

E. l.a responsabll’té des consciences dans une guerre injuste. — On ne peut méconnaître la complexité des problèmes de droit international ni l'étrange, la déconcertante diversité d’aspect qu’ils prennent selon qu’ils sont envisagés d’un côté ou de l’autre de chaque frontière. U ne faut pas nier qu’en bien des cas deux Etats rivaux ont recouru à la force des armes avec la profonde conviction, de part et d’autre, de repousser une provocation injuste, d’obéir à une nécessité impérieuse, d’avoir pour soi le bon sens et le bon droit. Bref, la guerre pourra souvent paraître légitime des deux côtés à la fois si l’on examine, non plus la valeur objective des motifs de rupture, mais l’estimation subjective, psychologique et morale de chacun des deux adversaires au sujet de la guerre qu’il provoque ou qu’il subit. Cette considération de fait sera d’une haute importance pratique aux yeux du moraliste.

Le cas de conscience sera, d’ailleurs, beaucoup plus diflicile à résoudre pour les gouvernants ou les législateurs qui ont le terrible pouvoir de décréter le recours aux armes que pour les olliciers et soldats conviés à prendre les armes en vertu de leurs obligations militaires.

Ofliciers et soldats exécuteront leur consigne, prendront part à la guerre dans l’intention droite d’agir en vue du bien commun et de se dévouer jusqu’au sang pour leur patrie. Olliciers et soldats présumeront raisonnablement que les gouvernants qui leur enjoignent de prendre les armes obéissent euxmêmes à des motifs justifiés, impérieux ; motifs dont l’autorité compétente, surtout en des circonstances aussi redoutables, n’est pas tenue de rendre compteù ses inférieurs. Des cas tout à fait exceptionnels de flagrante et monstrueuse injustice dans la déclaration ou la conduite de la guerre pourront seuls retirer à la conscience du combattant l’excuse subjective de la bonne foi.

Nous parlons de la bonne foi de l’oflicier ou du soldat dans la participation normale aux opérations militaires : car la bonne foi pourra devenir impossible et la conscience pourra dicter (quel qu’en soit le risque tragique) le refus catégorique d’obéir, s’il s’agit d’actes de cruauté, d’injustice ou d’immoralité, qui seraient prescrits par une évidente violation des lois de la guerre, du droit international, de la morale publique et privée. Ici, lit conscience individuelle de l’oflicier ou du soldat deviendra yi/^e beaucoup plus directement responsable que dans l’appréciation des causes générales et de la légitimité morale de la guerre elle-même. 1271

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Quant aux chefs d’Elal et aux législateurs, ils auront la très grave obligation de conscience de ne jamais provoquer la guerre et de ne jamais se prononcer en faveur de la guerre, tant qu’ils n’auront pas acquis (à tort ou à raison), après mûr examen, la conviction sérieuse et rélléchie que la puissance adverse s’est rendue coupable, contre leur patrie ou les alliés de leur patrie, d’une violation grave et certainedu droit, et que, par l’échec des moyensd’accommodement amiable, la guerre est devenue le seul moyen possible d’en obtenir réparation. C’est la disposition que le Docteur Angélique réclame (du belligérant qui a juste guerre) sous le nom d’intention droite.

Les règles Ihéologiquesimposentdonc auxhomræs d’Etat l’impérieux devoir moral de ne pas se demander uniquement, à l’heure d’engager une guerre, s’ils disposent de forces assez importantes pour avoir chance de la terminer avec succès, mais de se demander, avec une rigueur plus grande encore, s’ils ont un motif assez grave, assez décisif, pour légitimer devant Dieu cette effroyable extrémité qu’est lelïusion du sang humain par la guerre.

F. Vertu providentielle delà guerre. — Toutes les explications doctrinales sur les conditions de la juste guerre ne suppriment pas le problème philosophique posé devant les âmes qui réfléchissent par l’existence même d’un fléau tel que la guerre. C’est l’un des aspects les plus troublants du problème plus général de l’existence du mal physique et moral sur la terre.

Comment le Dieu très bon et très saint laisse-t-il s’accomplir d’aussi affreuses catastrophes ? S’il ne peut les empêcher, où est sa toule-puissance ? Si, pouvant les empêcher, il les permet néanmoins, où donc est sa sagesse, où donc sa bonté ?

Les philosophes chrétiens répondent à juste titre que, si Dieu permet ici-bas le mal, sous quelque forme et à quelque degré que ce puisse être, Il ne le permet que comme une épreuve miséricordieuse et sahilaire, toujours en vue d’un bien d’ordre plus élevé. Qu’il s’agisse des cruautés sanglantes de la guerre, ou qu’il s’agisse de la maladie et de la mort, de la peste et de la famine, des crimes et des scandales, de chacune des douleurs et de chacune des hontes de la condition présente, toutes ces choses font partie de notre épreuve morale d’ici-bas. Epreuve dont l’amertume constitue précisément la noblesse et la grandeur. Epr « ue qui nous oblige à opter entre la raison et les sens, entre le devoir et le caprice, entre le bien et le mal. Epreuve qui pose le sacrilice plus ou moins douloureux, plus ou moins tardif, des biens périssables de la terre pour condition méritoire à la conquête des vrais biens spirituels dont la valeur est impérissable. Epreuve austère et sublime qui, dans l’ascension laborieuse vers l’immortalité, fait monter l’àme humaine par les défilés sombres vers les sommets glorieux : per angusta ad augusta.

Sur cette solution philosophique du problème, la doctrine révélée de Dieu projette une lumière plus intense. Les trois dogmes du péché originel, de la Rédemption par le Christ et de la communion des saints aident à mieux discerner à la fois la raison d’être, la vertu méritoire et surnaturelle, le caractère fécond et divin de notre épreuve morale. Le dogme du péché originel nous apprend que les douleursetles désordres de notre condition présente résultent d’une déchéance primitive, causée par la désobéissance même de l’homme à l’égard de son Créateur et de son Père. Le mystère de la Réilemplion nous permet de transfigurer notre épreuve ])ar l’union avec le sacrifice du Calvaire et par l’expiation libératrice de nos

péchés publics et privés. Le dogme delà communion des saints nous enseigne la réversibilité sur les pécheurs des œuvres saintesaccomplies parles justes et l’ollraude magnanime des souffrances imméritées des justes pour le salut des coupables. Les catastrophes douloureuses d’ici-bas prennent alors une valeur privilégiée pour aider les âmes croyantes dans la marche vers l’éternelle lumière par la voie royale delà Croix.

Mais ce quiestvrai de chacune des calamitésde la vie présente devient plus spécialement vrai de l’effusion du saug humain par la guerre. Quelque criminelles que puissent être, en effet, les passions qui ont rendu nécessaire l’appel à la force des armes et qui trouvent dans la guerre elle-même tant d’occasions détestables de s’assouvir, il ne faut pas nier que la guerre peut posséder une valeur toute privilégiée d’expiation et souvent aussi de régénération morale et sociale.

Il y a une magnifique part de vérité dans les considérations brillantes, audacieuses et paradoxales que Joseph de Maistrb met dans la bouche de son sénateur russeau septième Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg. La guerre atteint, en effet, une horreur tragique, l’épreuve de la guerre prend une extension, se répercute par de lointains et douloureux contrecoups qui n’apparaissent pas au même degré dans les autres calamités publiques. La liberté humaine joue dans la guerre un rôle autrement considérable que dans n’importe quelle catastrophe plus ou moins analogue. La guerre met directement en action des sentiments très nobles, très profonds et très généreux de l’ordre tuoral ; elle les exalte, les surexcite jusqu’à leur énergie la plus intense.

Voilà pourquoi la guerre crée une atmosphère où l’œuvre de Dieu peut s’accomplir avec une exceptionnelle splendeur ; où la ferveur religieuse peut retrouver toute sa puissante fécondité ; où peuvent s’épanouir, sous l’action intérieure de la grâce divine, les hautes vertus chrétiennes qui sauvent les âmes et transfigurent les peuples.

C’est donc très particulièrement dans la guerre que se réalise l’expiation rédemptrice des fautes commises par les individus etles sociétés. Justes et pécheurs subissent ensemble la cruelle mais sanctifiante épreuve, et la dette plus lourde des coupables est I acquittée au centuple par le religieux héroïsme des meilleurs d’entre leurs frères. C’est encore dans la guerre et par la guerre que les nations (si elles savent compren dre et veulent profiter)peuvent recueillir les bienfaits divins d’une providentielle épreuve ; et, grâce à la pratique de l’effort et du sacrifice, grâce à de viriles leçons de sens patriotique et de discipline hiérarchique, trouver le secret de leur grandeur et de leur régénération à venir.

La méditation du croyant ne s’égare pasquandelle discerne, au milieu des horreurs tragiques de la guerre, l’exercice de la miséricorde divine et l’accomplissement d’un admirable dessein d’amour.

m. — Théorie catholique de l’Ordre juridique international

A. Sens et position de ta question. — La doctrine à la fois rationnelle et chrétienne du droit de guerre suppose essentiellement que la guerre est légitime lorsqu’elle devient le seul moyen possible de défendre ou de restaurer le droit injustement violé. Mais, avant que le recours à la force des armes soit rendu indispensable, il faut que tous les moyens de résoudre équitablemenl le confiitpar des voies pacifiques aient été d’abord employés avec le désir loyal d’aboutir, et que, par suite de l’obstination coupable de l’un des adversaires, les solutions amiables aient été 1273

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irrémcdiablerænt inefficaces et inope’rantes. Avant d’admettre l'éventualité de la guerre, on est strictement tenu en conscience de faire tout le possible pour rc’gler le condit grâce aux tractations diplomatiques, à la médiation des tierces puissances ou à l’arbitrage international. Telle est, nous l’avons dit plus haut, la condition requise, en vertu de la nature même des choses, pour que l’un des belligérants puisse avoir ensuite juste guerre.

Un problème d’importance souveraine sera donc celui de l’organisation des rapports internationaux, pour la solution paciljque des conflits qui surgiront entre les dillérenls Etats. Comment peut-on concevoir et, historiquement, de quelle manière cherchal-on à réaliser une procédure quelque peu ellicace pour le maintien de la paix et la sauvegarde permanente du droit parmi les peuples ? La question mérite examen, soit pour apprécier avec justice les institutions du passé, récent ou lointain, soit pour préparer dans l’avenir, aux règles du droit international et à la paix du monde entier, de meilleures garanties. C’est le problème fondamental en matière de Droit chrétien de la paix. C’est le problème de l’Organisation juridique internationale.

Il convient dépasser en revue les solutions qu’il a reçues à travers les siècles depuis l'époque où la dislocation de l’Empire romain, sous la poussée des invasions barbares du cinquième siècle de notre ère, marqua pour jamais le terme de cette Pai.r romaine qu’avaient saluée avec amour l’Antiquité païenne et l’Antiquité chrétienne. Des nations et des cités indépendantes, souvent ennemies les unes des autres, toujours rivales, portées aux sanglantes querelles d’ambition politique ou d’intérêts matériels, auront peu à peu succédé à l’unité majestueuse de cette organisationromaine etméditerranéenne qui soumettait à un seul gouvernement et à une seule législation tous les peuples, occidentaux ou orientaux, du monde alors connu et civilisé. Désormais, il n’y avait plus d’Empire universel. Pourrait-on cependant faire surgir, enti’c les peuples divers, quelque unité nouvelle, d’ordre moral, social, juridique, pour sauvegarder la paix du droit, la tranquillité de l’ordre, conformément aux principes delà moi’ale et à l’esprit du christianisme ?

B. Chrétienté du Moyen Age. — L’Europe chrétienne du Moyen Age, particulièrement au douzième et au treizième siècle, réalisa un effort mémorable d’organisation juridique internationale pour le règne de la paix selon les exigences du droit. L’organisation demeura toujours précaire et inachevée. Son efficacité ne fut jamais que partielle et relative. L’histoire n’enregistre cependant aucune tentative du même onlre qui ait abouti à des résultats d’une aussi haute valeur morale et sociale. Auguste Comte déclare très noblement, au tome cinquième du Cours de Philosophie positive (édition de 1867, p. 281), qu’il voudrait communiquer à tous « la profonde admiration dont l’ensemble de ses méditations philosophiques l’a depuis longtemps pénétré envers cette économie générale du système catholique du Moyen Age, que l’on devra concevoir de plus en plus comme formant jusqu’ici le chef-d'œuvre politique de la sagesse humaine ».

Le système reposait sur la collaboration étroite, sur la compénétration, mais non pas sur l’identité on la confusion, de la hiérarchie spirituelle et de la hiérarchie temporelle : l’Eglise catholique romaine et l’Europe féodale.

Le pouvoir ecclésiastique, exercé par le Pape et les évêques, le pouvoir séculier de l’Empire, des royaumes, des seigneuries et des cités, demeurent distincts en droit et en fait. Mais ils se compénètrent intime ment. Les princes elles magistrats civils sont admis comme tels, et avec honneur, à une collaboration qui ne paraîtrait pas aujourd’hui compréhensible à beaucoup d’actes et de délibérations concernant les all’aires de l’Eglise. Les hauts dignitaires ecclésiastiques et religieux « ont, en même temps, des seigneurs féodaux exerçant des prérogatives de suzeraineté séculière. La Papauté romaine unit à son pouvoir direct sur les matières religieuses un pouvoir indirect sur les matières civiles où la conscience est engagée ratione peccati et, en outre, un grand nombre de prérogatives de suzeraineté féodale. D’où résulte, pour le Saint-Siège, une haute magistrature de suprême arbitrage, connexe avec sa mission spirituelle et acceptée par le droit public de la société chrétienne.

De même que les assemblées politiques accordent une large part à l'élément ecclésiastique, les assemblées conciliaires accueillent les représentants du pouvoir séculier. Maint concile du Moyen Age prononce sur des questions que, de nos jours, nous regarderions comme appartenant plutôt à la compétence d’un Congrès diplomatique.

Les décrets des Papes et des Conciles font peu à peu prévaloir dans le droit public de chacune des cités, de chacun des royaumes de l’Europe chrétienne, un cerlainnombre de règles uniformes qui tendent à mettre un peu d’ordre et de justice dans la vie internationale.

L’arbitrage ou la médiation des Papes ou des hauts dignitaires ecclésiastiques empêchera ou abrégera, par des moyens de droit, bon nombre de conflits sanglants. La proclamation du principe de la paix de Dieu, puis l’institution (beaucoup plus réelle et eiricace) de la trêve de Dieu, la réglementation du droit d’asile et des immunités ecclésiastiques, parviendront indubitablement à restreindre les calamités de la guerre, à en exempter certains temps, certains lieux, certaines catégories de personnes et de biens, au nom de la législation commune qui s’impose à toutes les puissances de la Chrétienté.

L’influence de l’Eglise ennoblira et humanisera le métier même de la guerre, en lui donnant, par la chevalerie, une consécration religieuse avec un très haut idéal moral, celui que développe éloquemmenl saint Bernard dans l’admirable Liber ad Milites 'l’empli. Les croisades pour la libération du Tombeau du Christel des peuples chrétiens de l’Orient seront les guerres, déclarées justes en leur principe, où les Papes et les Conciles convieront les princes et les peuples catholiques en leur enjoignant défaire trêve à leurs discordes intestines.

Lorsque les droits de la religion et de la morale, lorsque les lois communes qui protègent l’ordre et la paix de la société chrétienne auront été l’objet de transgressions scandaleuses et obstinées, les Papes et les Conciles disposeront de sanctions spirituelles universellement redoutées, l’excommunicaliop etl’interdit, et même, si la chose devient indispensable à la restitution de l’ordre, de sanctions temporelles, comme l’appel adressé au suzerain du coupable ou à d’autres princes catholiques. Appel qui leur enjoindra, par devoir de conscience religieuse, de se faire les exécuteurs d’une juste sentence et de tirer l'épée pour l'œuvre sainte de la revanche du droit.

N’oublions pas les conditions historiques où se développa le système cal holique et médiéval de législation internationale, de magistrature internationale et de sanctions internationales pour la sauvegarde de la justice et du droit parmi les peuples. La Chrétienté comprenait exclusivement l’Europe centrale et occidentale : le schisme byzantin lui avait ravi l’Europe orientale, et l’on ignorait alors plus ou moins

complèlement toutes les autres parties du monde. Non seulement le domaine géographique de la Chrétienté était relativement restreint, mais les populations qui l’habitaient à cette époque constituaient ensemble une même unité morale et sociale, dont le monde contemporain, malgré tant de causes puissantes d’unilication, est loin d’olïrir l'équivalent.

Il y avait, entre tous les peuples de la Chrétienté médiévale, unité complète de croyances religieuses et d’obédience ecclésiastique. L’influence du catholicisme dirigeait les consciences, pénétrait profondément la vie individuelle et collective, tendait à former chez tous les peuples chrétiens, nonobstant leurs diversités multiples, un ensemble d’aspirations identiques, nous dirions volontiers une âme semblable. On professait le même dogme, on participait aux mêmes sacrements, on obéissait à la même autorité religieuse. Partout, les écoles théologiques, philosophiques, juridiques ou littéraires, partout la législation même de la cité temporelle et la législation de la cité spirituelle parlaient la même langue universelle, la langue de l’Eglise, qui colportait en chaque pays les mêmes formules, les mêmes concepts, les mêmes directions de la pensée. Dans ce milieu relativement homogène, une organisation sociale, commune à tous les peuples, avec un pouvoir international d’ordre législatif, judiciaire et coercitif, put se constituer (à quelque degré) et apporter au droit ])viblic de l’Europe chrétienne mainte garantie précieuse.

Etpourlanl, combien l’eflicacité duremède demeura partielle et relative ! Combien de fois l’intervention (les Papes et des Conciles ne fut-elle pas impuissante à empêcher l’horrible elfusion du sang ! Combien de fois l’intervention de la Papauté romaine eu faveur de la morale et du droit ne rencontra-t-elle pas la rébellion insolente, armée, longtemps victorieuse, des princes ou des peuples prévaricateurs ! Que l’on consulte simplement la table des matières d’une histoire de l’Eglise ou de l’Europe à la plus belle époque du Moyen Age, au douzième et au treizième siècle : et l’on verra le nombre de guerres fratricides entre peuples chrétiens que ne parvint pas à conjurer l’organisation catholi(fue de la Chrétienté médiévale…

En un mot, l’histoire de la Chrétienté nous paraît deux fois instructive : et par les magniliques institutions que l’Eglise fit naître et grandir pour la sauvegarde de la paix conforme au droit, et par le caractère précaire et imparfait des résultats qu’elles obtinrent, nonobstant un ensemble exceptionnellement heureux de conditions morales et sociales pour favoriser leur succès. On peut en conclure à la fois combien est enviable et combien est difficile à réaliser, surtout dans un monde agrandi et divisé de croyances non moins que d’intérêts, l'établissement e// » cace d’une législation internationale, d’une magistrature internationale et de sanctions internationales.

C. Equilibre des Puissances. — Quand le développement politique des grands Etats modernes eut brisé les cadres féodaux et internationaux de la Chrétienté du Moyen Age, et surtout quand le protestantisme eut déchiré l’unité de croyances religieuses et d’obédience ecclésiastique qui avait fondé l’unité morale et juridique de l’ancienne Europe chrétienne, la formule politique qui, peu à peu, fut dégagée et adoptée pour règle suprême des relations internationales fut le principe fameux de l’Equilibre des Puissances.

Conception dont l’histoire indique la portée originelle. L’Equilibre européen fut, en effet, consacré par les traités de Westphalie, qui terminèrent la guerre de Trente ans (24 octobre 16^8). Les puissances catholiques et protestantes coalisées contre les Habsbourgs avaient obéi chacune à des motifs par ticuliers en prenant part au conflit durant les périodes palatine, danoise, suédoise et française. Mais tous les belligérants de cette coalition avaient pour objectif commun de faire échec à la suprématie européenne de la puissante Maison d’Autriche-Espagne qui, par l’accumulation de ses domaines et de ses héritages politiques, pouvait imposer éventuellement ses exigences dictatoriales à n’importe quel Etat de l’Europe. On était en face d’une puissance dominatrice qu’il fallait combattre, qu’il fallait désormais contenir, balancer, équilibrer, en vue de garantir la sécurité de tous.

Cette préoccupation donnera naissance au système politique de l’Equilibre européen. Pour sauvegarder l’indépendance de chacun des Etats de l’Europe, on ne devra permettre à aucun d’entre eux de posséder une prépondérance telle qu’il ne puisse être facilement contenu par les autres puissances, dans le cas d’une entreprise ambitieuse ou abusive de sa part. C’est l’aspect initial et négatif du système. La théorie s’achèvera dans la suite et prendra le caractère d’une règle positive. Les principaux Etats de l’Europe sont censés représenter, par eux-mêmes oupar le groupement de leurs alliances, des forces à peu près équivalentes, qui s'équilibrent, se balancent mutuellement, se font contrepoids. L'équilibre des forces étant le gage de la paix européenne et de la sécurité de chaque Etat, aucune rupture de cet équilibre ne saurait être tenue pour admissible. A tout accroissement extérieur de la puissance d’un grand Etat européen, devra correspondre une extension équivalente de chacun des autres grands Etats, de manière à conserver moralement intacte la balance et la proportion des forces respectives.

Telle sera la conception qui régira le droit international de l’Europe durant le dix-septième, le dixhuitième et le dix-neuvième siècle. De même que la politique d'équilibre se sera exercée en faveur de la France et de ses alliés aux traités de Westphalie contre la prépondérance de la Maison d’Autriche, elle s’exercera plus tard à rencontre de la suprématiefrançaisesouslerègne personnel de Louis XIV. La politique de l'équilibre interviendra dans chacune des coalitions européennes qui seront dirigées contre la Révolution française, contre Napoléon I"' et dans les divers remaniements territoriaux qui correspondront à chaque traité de.paix au lendemain de chaque coalition. La politique de l'équilibre aura pareillement son rôle dans les partages de la Pologne, puis, beaucoup plus récemment, dans les partages successifs de certaines fractions de l’Empire ottoman, dans plusieurs partages de domaines coloniaux et dans la répartition des zones d’influence en Afrique et en Extrême-Orient. A la veille de la grande guerre de igi^, le système qui était censé protéger la paix européenne, en contrebalançant la force de la Triple-.lliance par la force (tenue pour équivalente) de la Triple-Entente, constituait une application mémorable de la politique d'équilibre, inaugurée en 1648 aux traités de Westphalie.

Le système peut être considéré, soit comme une recette politique, soit comme la règle souveraine du droit public. Dans le premier cas, on dira : la politique de l'équilibre ; dans le second cas : le principe de l'équilibre,

La politique de l'équilibre est une recette qui a manifestement sa raison d'être depuis la disparition de l'édifice social et juridique de la Chrétienté du Moyen Age. Recette qui fut souvent dictée par des considérations impérieuses de nécessité ou de sécurité politicpie. Recette qui pourra garantir à l’ordre européen d’appréciables avantages, dès lors qu’elle

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sera complétée, ennoblie par le i-especl de considérations supérieures de droit et de justice. L’équilibre réel des forces peut rendre longtemps dilUciles certains attentats contre la paix internationale. Il j>eut donner à l’Europe et au monde quelques gages de tranquillité précieuse dans le labeur séculaire et le développement historique de chaque peuple.

Mais que l’on n’aille pas ériger cette recette politique en doctrine juridique, sous le nom Ae principe de l’équilibre. Que l’on n’érige pas en maximes de droit public les solutions empiriquesdonnées en 16/|8 aux problèmes européens par les négociateurs des traités de Westphalie. Peu de théories jnridiques méconnaîtraient aussi radicalement les caractères essentiels du droit, que la théorie d’après laquelle l’équilibredes puissances aurait la valeur d’une règle adéquate, d’un principe qui se suffirait à lui-même : en un mot, deviendrait la formule souveraine de l’ordre international.

Non seulement l’équilibre des puissances pourra ne donner à la paix européenne que des garanties précaires, souvent fallacieuses (l’histoire des premières années du vingtième siècle suûirait à illustrer cette vérité) ; mais ce système, dès lors qu’il ne serait plus conditionne dans ses applications par le respect absolu de principes d’ordre plus élevé, pourra servir de prétexte à des réglementations parfaitement abusives ou absurdes. Il pourra même servir de justilication prétendue à mainte iniquité monstrueuse.

Les Etals qui se sont, à diverses reprises, partagé l’ancien royaume de Pologne par quotités proportionnelles ont commis ce détestable attentat en respectant avec une correction édifiante le principe d’équilibre. Dans chacun des congrès tenus depuis trois siècles par les puissances européennes, il serait facile de relever les innombrables échanges, trocs, marchandages de provinces et dépopulations, accomplis en contradiction avec le bon sens ou avec la morale et le droit, pour appliquer le principe sacrosaint de l’équilibre politique de l’Europe et du monde.

Le caractère immoral du principe d’équilibre, considéi-é comme règle suprême du droit des gens, apparaît à ce résultat constant que les frais des opérations compensatoires décrétées prr les diplomates des grands Etats sont inévitablement supportés par les puissances plus faibles. Dans cette voie perverse, les tractations internationales prennent quelque analogie avec les exploits d’une bande de brigands, dès lors que ce sont des brigands de haut vol qui exercent leur art avec les formes exquises de la courtoisie diplomatique.

Le principe d’équilibre portera donc toutes les mêmes tares indélébiles que les diverses morales de l’intérêt. Comme elles, ce principe dénaturera le caractère essentiel du devoir et du bien. Comme elles, il justifiera de scandaleuses violations de la justice et du bon sens, il autorisera de cyniques marchandages au détriment des faibles ou des maladroits, il sera l’excuse apparente et décorative des entreprises odieuses delà raison du plus fort. En un mot, faire de l’Equilibre des puissances la règle suprême des tractations internationales, ce sera ériger un droit prétendu qui sera la négation du droit.

D. llégime de la Sainte-Alliance. — Le traité qui porte réellement le nom de Sainte-Alliance est un pacte de caractère purement moral et d’allure mystique, par lequel les souverains de Russie, d’Autriche et de Prusse, auxquels presque tous les autres souverains de l’Europe allaient marquer leur adhésion, prenaient, en date du 26 septembre 1815, l’engage ment mutuel de s’inspirer dans leur gouvernement des doctrines évangéliques de paix, de justice et de charité sous l’égide du Sauveur des hommes, Jésus-Christ, Fils de Dieu. Ce pacte servit ensuite de symbole pour désigner l’organisation permanente que les monarques de la Restauration donnèrent à la politique européenne par les travaux du Congrès de Vienne et les traités de 1815. Nous désignerons donc, sous le nom usuel de régime de la Sainte-Alliance, le statut et le directoire européen organisé par les diplomates des grandes puissances victorieuses au lendemain de la chute de Napoléon 1er.

L’Angleterre, l’Autriche, la Prusse et la Russie avaient contracté, le i’? mars 1814, la promesse réciproque de poursuivre « dans un parfait concert » leur guerre de coalition contre la France impériale, jusqu’à ce que « les droits de la liberté de toutes les nations » aient obtenu leur sanction légitime. Aucun des quatre Etats alliés ne négocierait séparément avec l’ennemi. Aucun ne déposerait les armes

« avant que l’objet de la guerre, nmtuellenient convenu

et entendu, n’eiit été atteint ». La paix ne serait conclue que d’un commun accord entre les quatre puissances contractantes, et, dans le futur traité, celles-ci aviseraient aux moyens de « garantir à l’Europe et de se garantir mutuellement le maintien de la paix " ; elles aviseraient notamment à se prémunir < contre toute atteinte que la France voudrait porter à l’ordre de choses résultant de cette pacilicution ». Après bien des péripéties, ce pacte devait avoir, au moins en partie, la réalisation qu’avaient désirée ses auteurs.

En effet, le dernier des traités de 1815, celui du 20 novembre, décide que les quatre confédérés de l’alliance de Chaumont, Angleterre, Autriche, Prusse, Russie, demeurent unis d’une manière permanente pour veiller à la stabilité de l’ordre de choses établi en Europe par les récents protocoles et pour décider les interventions diplomatiques on militaires que les circonstances rendraient opportunes. L’article 6 prévoit même la périodicité des congrès européens : Pour… consolider les rapports intimes qui unissent aujourd’hui les quatre souverains pour le bonheur du monde, les hautes parties contractantes sont convenues de renouveler à des époi|ues déterminées, soit sous les auspices immédiats des souverains, soit par leurs ministres respectifs, des réunions consacrées aux grands intérêts communs et à l’examen des mesures qui, dans chacune de ces époques, seront jugées les plus salutaires pour le repos et la prospérité des peuples et pour le maintien de la paix de l’Europe. »

Les congrès d’Aix-la-Chapelle (1818), de Troppau (1820), de Laybach (18ai) et de Vérone(1822) seront l’exécution normale de ce dispositif du traité de Paris, organisant un directoire européen, qui aura pour méthode la politique d’intervention et pour I)rogramme la sauvegarde de l’ordre public en Europe.

Quel ordre public ? En théorie, le statut européen est censé avoir pour base et pour règle idéale le principe delà légitimité, c’est-à-dire le respect des gouvernements consacrés par la tradition historique de chaque pays. En pratique, il aura pour objet le maintien des traités de 181 5, interprétés eux-mêmes selon les convenances politiques des i>uissances dirigeantes.

Du point de vue de l’organisation des rapports entre Etats, ce régime du directoire européen, au temps de la Sainte-Alliance, est l’institution politique et juridique qui, dans toute l’histoire de l’Europe moderne, se rapproche davantage du système permanent de juridiction et de sanctions internationales 1279

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que l’on instituera, cent ans plus tard, sous le vocable de Société des Nations. La seule ditférence essentielle réside dans le principe juridique à sauvegarder : légitimité des gouvernements ou droit souverain des peuples. L’organe directeur sera constitué, en 1815, parle groupe des grandes puissances européennes à l’exclusion de toutes les autres. Il sera constitué, en 1919, par la délégation delà totalité des grandes et petites puissances, mais avec voix prépondérante pour les quelques grands Etals qui auront conduit la coalition victorieuse.

Le directoire européen de la Sainte-Alliance aura une existence éphémère. Le régime est trop fragile pour résister au choc brutal des événements contraires. Lesinterventionsrépressives seront fréquemment abusives ou incohérentes : elles nuiront à la popularité du régime jusque chez les partisans de la Restauration européenne. En 1818, l’admission de la France de Louis XVllI, représentée par le duc de Richelieu, dans le directoire européen détendra la solidarité politique qui avait longtemps existé, contre la France elle-même, entre les confédérés de l’alliance de Chaumont. Puis, la diversité des problèmes qui se poseront en chacun des pays de l’Europe manifestera peu à peu l’antagonisme profond des intérêts, des sympathies, des aspirations politiques de l’Angleterre, de l’Autriche, de la Prusse, de la Russie, pour ne pas parler de la France, dès lors qu’un extrême péril commun ne les rassemble plus dans une entreprise commune et urgente.

Le désaccord s’accusera, au sein du directoire européen, à propos de l’opportunité de chaque intervention diplomatique ou militaire, et quelquefois à propos du principe lui-même des solutions de droit que requiert telle ou telle affaire pendante. En pareil état de cause, le directoire européen cesse d’être et de pouvoir être le régulateur permanent de la politique internationale en Europe. A plus forte raison, cessera-til de régir les affaires européennes quand la Révolution de juillet en France, la proclamation de l’indépendance de la Belgique, l’insurrection de la Pologne auront porté, dès 1830, un coup mortel à l’a’uvre politique et diplomatique des traités de 181 5. Puis, les événements qui se succéderont de 1848 à 187 1 vont constituer l’unité italienne et l’unité allemande et créer (bien avant les traités de 1919) une Europe toute dilTérente de celle qu’avaient organisée les hommes d’Etat de la Sainte-Alliance.

Mais le régime européen de 181 5 demeure une expérience utile. Car il nous montre comment peut fonctionner un système de juridiction et de sanctions internationales. Il nous montre aussi comment le système peut s’alfaiblir et se dissoudre quand les circonstances politiques viennent à détendre, puis à briser l’étroite union qui avait d’abord rassemblé, contre un ennemi commun et redouté, le faisceau des puissances dirigeantes.

N’oublions pas les leçons que suggère aux hommes du xx" siècle l’histoire diplomatique de la Sainte-Alliance,

E. Concert européen. — Après 1830, il ne sera plus question du directoire européen de la Restauration, celui de 18 15 et de 1818. Mais, dans bon nombre de circonstances graves, les principales puissances de l’Europe se concerteront de nouveau pour adopter en commun et imposer à autrui des résolutions collectives qui, sans répondre à un système cohérent et déterminé d’organisation politique, deviendront les formules ollicielles et successives du droit international. Ce sera le Concert européen, tel qu’on le connut de 1830 à ig14 Au temps de la Sainte-Alliance, existait une organisation internationale qui était censée répondre elle même à certains principes permanents de droit public : politique d’intervention pour le maintien de la légitimité en Europe. Le concert européen, après 1830, prétendra bien sauvegarder la paix et l’équilibre entre les Etats européens, mais uniquement par des solutions de fortune, si l’on peut dire : en d’autres termes, par des compromis variables et empiriques au milieu des forces et des prétentions rivales. Plus de règle permanente, bonne ou mauvaise. Nous parlons sans aucune ironie en remarquant que le concert européen fut dépourvu de tout ce qui aurait ressemblé à une boussole.

Le principe de la légitimité cesse d’être l’axe du droit public. Mais on ne lui substitue aucun principe ferme comme règle directrice. Tantôt le concert européen ratiCera, encouragera ou tolérera certaines applications du principe des nationalités ; tantôt il comprimera, au contraire, ce mouvement des nationalités renaissantes vers l’indépendance et l’unité nationales ; et alors il agira en vertu de considérations tirées de l’équilibre européen oti des convenances souveraines des puissances assez fortes pour imposer à autrui leurs exigences politiques. La politique d’équilibre, nous l’avons précédemment établi, ne constitue pas un principe juridique et s’accommode des interprétations les plus contradictoires, dès lors que n’existe aucune règle lupérieure pour en diriger les applications diplomatiques. On s’en aperçoit lorsque l’on considère les diverses solutions données par le concert européen aux conflits internationaux du dernier siècle.

Le principe d’intervention semblera, au premier abord, partager la disgrâce de la légitimité monarchique et de l’ordre européen de 1815. On voudra lui substituer le principe de non-intervention qui interdirait à chaque Etat de se mêler des affaires litigieuses des autres puissances, res inter alios acta, et consacrerait l’éparpillement européen, l’indi idualisme international. Ce principe aurait eu pour conséquence logique de supprimer le rôle et l’existence môme du concert européen. De fait, la constitiition de l’unité italienne et celle de l’unité allemande se sont accomplies comme si le concerteuropéen n’avait pas existé. Mais la conception contraire continua de subsister et de régir une partie des actes importants de la vie internationale. Chaque congrès ou chaque conférence par où s’alfirma le concert européen supposait, chez les hautes parties contractantes, le droit (réel ou prétendu) d’intervenir diplomatiquement ou militairement dans les affaires litigieuses que l’on voulait résoudre. Le règlement d’un grand nombre d’affaires européennes ou extra-européennes, ottomanes et balkaniques, africaines et asiatiques, par le concertdesgrandes puissances, constitua un indiscutable retour au principe d’intervention. Les résultats territoriaux de certaines guerres, par exemple en 1878 (Bulgarie), en 1897 (Grèce), en 1913 (Macédoine et Albanie) furent modifiés profondément par l’intervention comminatoire de puissances qui n’étaientcependant pas belligéranteset qui agissaient par le moyen et sous l’estampille du concerteuropéen. Avec un incomparable éclectisme, la diplomatie contemporaine admet à la fois le droit d’intervention et le principe de non-intervention, sans qu’on puisse discerner comment s’accomplit la synthèse des deux méthodes.

Le concert européen est, non pas un véritable organe de direction, mais, en quelque mesure, un organe régulateur de la vie internationale. D’abord il procède cérémonieusement à l’enregistrement officiel de certains faits accomplis. En outre, il peut ménager les amours-propres, arrondir les angles, 1281

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dans les cas où quelque puissance doit subir un écheo ou une déception politiiiue : au lieu d’obtempérer à Vitltiniaium impérieux d’un Elut rival, cette puissance obtempérera aux suggestions amiables et courtoises du concert européen.

Ue par sa nature même, le congres ou la conférence diplomatique aura une tendance marquée aux solutions conciliatrices, cciuilibristes, qui sauvegarderont quelque temps la paix européenne et pourront empêcher les griefs mutuels de devenir inexpiables. Lapropension babituelleduconcerteuropéen sera plutôt défavorable au vainqueur qui a le tort de trop grandi, l, par conséquent, de mettre en péril la sécurité d’autrui. Le concert européen sera, par destination, le rempart de l'équilibre européen : à cet égard, il rendra parfois d’appréciables services.

Néanmoias, le c. ncerleuropéen, pas plus que l'équilibre européen, ne constitue vraiment une garantie eUicace et suffî.'^ante de l’ordre moral et juridique parmi les Etats souverains. Il faut qu’une règle supérieure soit r' ; connue, qui mesure les applications légitimes de la politique d'équilibre et dirige fermement les décisions du concert européen. Sans quoi le concert européen pourra homologuer, en ses protocoles solennels, les plus énormes violations du droit, de même fpie la politique d'équilibre pourra s’en accommoder avec une idympienne sérénité. Ce qui frappe dans la série des protocoles diplomatiques élaborés (en iS.'io, iS^i, 1856, 1867, 18-8, igoS, igiS) par le concert européen est le caractère contradictoire de leur dispositif en des matières d’importance considérable (intégrité de l’Empire ottoman, émancipation des nationalités danubiennes ou balkaniques). Visiblement, le conci-rt euro^iéen subit l’action des influences prépondérantes et variables, il consacre avec une égale inconscience des principes opposés, il est dépourvu de toute conception permanente et cohérente qui soit, h ses yeux, la formule objective du droit.

Le recrutement du concert européen ne désignerail guère cette inslitution pour être l’organe d’un ordre juridique confirme aux exigences supérieures de la morale. Le concert européen est constitué, en effet, par le syndicat des grandes puissances qui s’adjugent la direction suprême des affaires internationales à l’exclusion des autres Etais et en obligeant ceux-ci à suivre, bon gré mal gré, leurs décisions impéralives autant que cérémonieuses. Fondé sur la distinction entre grandes et petites puissances, le concert européen a ponr résultat de soumettre habituellemo- les petits Etats aux caprices des grands et de m' urer les conquêtes territoriales ou les dévelop 3nts politiques despuissances de deuxième zone jirès les intérêts, les convenances et les cal.~uls. puissances de preuiière zone. L’horrible iin i.-iglh) des affaires balkaniques est imputable, pour une part sérieuse, au concert européen, par lequel les grandes puissances exercent leur tutelle collective sur les petits Etats considérés comme des enfants mineurs ou des iils prodigues. Les puissances de deuxième zone, n’ayant pas voix au chapilie et n’ayant pas la force sullisanle pour désobéir au syndicat des puissances de première zone, n’ont qu'à subir avec une humble résignation les amertumes de leur destinée, quel que soit le déni de justice dont elles puissent être victimes. Leur revanche, à certains jours, sera de profiter des querelles des grands Etats et de provoquer dans la charpente de l'édilice européen quelque formidable incendie.

Concluons que le concert européen n’offrait aux Etats et aux peuples ni règle permanente d’ordre juridique, ni ferme garantie du droit de tous. Des

Tome m.

transformations importantes et profondes étalent hautement désirables dans les organes, les méthodes et les sanctions du droit des gens.

F. Solidarité d’intéifH.s du monde contemporain. —

Si le monde contemporain offre le spectacle de compétitions politiques ou économiques dont la gravité, la complexité, l'àpreté même surpassent celles de tous les différends analogues qu’ait enregistrés l’histoire, on doit avouer que les conditions générales de la civilisation moderne tendent à créer entre les peuples une certaine uniformité d’existence, une dépendanceel une pénélrati<m d’intérêts qui étaient inconnues jusqu'à ce jour et qui ont leur inévitable contre-coup dans la vie internationale.

Uniformité d’existence par suite de la rapidité toute nouvelle des moyens de transport et d’information, par suite également de la facilité des échanges commerciaux. Dans tous les pays de l’Europe, dans tous les Etats de l’ancien et du nouveau monde, y compris l’Australasie et l’Extrême-Orient, l’habitation, le vêtement, la nourriture, les affaires, la vie publique, la presse, les distractions, les sports présentent, malgré la différence profonde des climats, des races, des croyances, des idées, une ressemblance déplus en plus générale, grâce à la diffusion de plus en plus étendue des mêmes usages extérieurs, des mêmes besoins sociaux, des mêmes engouements et des mêmes fantaisies.

A l’uniformité relative d’existence matérielle, correspond la solidarité, ou, comme on dit volontiers, l’interdépendance économique. Les exigences cora[>lexes de la consommation, de même que le développement de l’industrie et les applications de la science, font que tous les pays du monde, quel que soit leur éloignement géographique, ont plus ou moins besoin les uns des autres pour l'échange de leurs matières premières ou de leurs produits manufacturés. Une crise industrielle ou commerciale survenant à San Francisco, à Melbourne, à Hong-Kong, aura sa répercussion, peut-être fort grave, sur le marché de Bristol, de Marseille, de Hambourg.

A plus forte raison, un l>locus réciproque que, dans une grande guerre, chacun des deux groupes de belligérants tâchera, selon ses moyens, de faire subir au groupe ennemi aura pour effet, dans le monde entier, même durant la période qui suivra la cessation des hostilités, de causer une perturbation profonde, une rupture douloureuse de l'équilibre économique.

On ne peut méconnaître la' multiplicité des liens créés entre les peuples par la solidarité commerciale, par l’interdépendance agricole et industrielle, non moins que par l’uniformité croissante du cadre extérieur de la vie.

Aussi, durant la dernière période du iix" ticcle et et les quatorze premières années du xx", les conditions nouvelles dont nous parlons avaient-elles déterminé un progrès digne de mémoire dans le droit international, tant privé que public.

Ce sont des conventions adoptées par dix, vingt, trente puissances de l’ancien et du nouveau monde qui ont établi un régime de concordance entre les lois respectives des différents pays pour assurer partout le respect de droits et d’intérêts identiques. On trouvera une copieuse énumération de ces conventions internationales dans les articles a8j à 296 du traité de Versailles (28 juin 1919). Conventions postales, télégraphiques, radio-télégraphiques ; conventions concernant les chemins de fer, la navigation, les douanes et péages ; conventions prohibant le travail de nuit pour les femmes (1906), réprimant la traite des blanches (190^, 1910), et le colportage des écrits pornographiques (1910), concernant la

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procédure du mariage, du divorce, de la tutelle des mineurs (1903, 1906, 1909). Il faut y joindre les conventions relatives à la propriété industrielle (188l3, 1891, 1900), à la propriété littéraire et artistique (1886, 1908), et beaucoup d’autres protocoles internationaux du même ordre. Bien plus, en 1910, deux conférences diplomatiques ont élaboré l’unilication internationale du droit, c’est-à-dire l’adoption par chacune des parties contractantes d’un texte législatif rigoureusement uniforme en matière de lettres de change, de billets à ordre et, en matière de droit maritime, à propos de l’assistance et du sauvetage.

Uniformité des lois répondant à l’uniformité des usages et des intérêts, des besoins et des mœurs.

Au même ordre de tendances et de préoccupations se rattache, dans la zone plus périlleuse du droit de paix et de guerre, l’œuvre juridique des deux conférences de La Haye, réunies en 1899 et en 1907, giùce à la très noble initiative du tsar Nicolas II.

G. Œiivre des Conférences de la Haye {1899 et , 1907). — Nous avons parlé plus haut de la remarquable codilication, opérée à La Haye, des règles internationales de la guerre sur terre et sur mer, des droits et devoirs de la neutralité, des lois concernant les prisonniers de guerre et des lois concernant l’occupation militaire du territoire ennemi. Codilication pleinement conforme aux principes et à l’esprit du Droit international chrétien. Il faut maintenant analyser l’œuvre juridique des conférences de La Haye en vue du règlement pacifique des conllils internationaux par les voies de médiation et d’arbitrage ; en d’autres termes, l’étal de l’organisation juridique internationale à la veille de la grande guerre de igi^.

La convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux détermine la procédure qui régira la médiation ou les bons offices d’une tierce puissance (même au cours des hostilités), afin d’amener un accord équitable entre les parties en litige : une ouverture en ce sens ne pourra jamais être considérée par aucun belligérant comme un acte peu amical. La même convention organise une cour permanente d’arbitrage, composée de représentants de toutes les puissances contractantes, au jugement de laquelle pourront être soumis de bonne foi les litiges internationaux. La cour désignera les juges constituant le tribunal d’arbitrage qui dirimera paciliquemenl le conflit par les moyens de droit. C’est un premier pas dans la voie des garanties juridiques de la paix entre les peuples.

De 1899 à igitt, une douzaine d’affaires litigieuses furent soumises à la cour permanente d’arbitrage de La Haye, qui sut faire agréer, dans chacun des cas, une solution équitable el pacilique. Parmi les questions à résoudre, il y en avait deux, tout au moins, qui motivaient de réelles inquiétudes pour la paix européenne : l’arbitrage de 1912, entre la France et l’Italie, à propos de la saisie des vapeurs Cartluxge et Maiiouha, et surtout l’arbitrage de 1909, entre la France el l’Allemagne, à propos des déserteurs de Casablanca.

Dans les cas de ce genre, de même que dans les litiges de droit international privé, chaque Etat comprend et admet sans trop de peine l’immense avantage que lui assure l’observation d’un coele international de règles juridiques, et, en particulier, le recours loyal à une procédure d’arbitrage. On sera vraiment trop heureux d’éviter le risque formidable d’une guerre européenne en acceptant de bonne grâce une solution conciliatrice, rendue possible par l’existence même d’institutions tutélaires du droit international.

Mais l’allreuse expérience de ig14 nous apprend

où s’arrête l’efficacité de la garantie. Quand il s’agira de conflits politiques ou économiques dans lesquels de puissantes nations croiront (à tort ou à raison) qu’un redoutable danger menace leur sécurité, leurs intérêts, leur honneur, ce ne sera plus à la sagesse d’autrui et aux garanties juridiques de l’arbitrage qu’elles accepteront de recourir. D’autres instincts plus profonds, depuis l’instinct de conservation jusqu’aux ambitions et aux calculs des gouvernants, jusqu’aux exigences économiques, aux aspirations et aux passions nationales des peuples, imposeront quelquefois le recours implacable à la force des armes, contrairement aux stipulations les plus claires, mais un peu platoniques, d’un droit international qui possède lies juges, mais qui, jusqu’à présent, ne possédait pas de gendarmes.

Dans le domaine international comme dans le domaine civil, il n’y a pas de loi véritable s’il n’existe pas de sanctions pour la défendre. Toute règle qui impose une contrainte onéreuse sera inévitablement et scandaleusement violée si l’on ne peut mettre, en temps utile, la force au service du droit.

Le problème capital, en matière de règlement pacilique des conflits internationaux, est le problème des sanctions. Faute d’avoir trouvé des sanctions efficaces, on rendra illusoires les plus belles conventions d’arbitrage dans les circonstances où, de fait, éclatent les grandes guerres, c’està-direquanddescauses profondes opposent, entre peuple et peuple, la violence des passions ou l’àpreté des intérêts.

La question des sanctions du droit international est elle-même connexe avec la question de l’arbitrage obligatoire, si l’on tient conqtte des conséquences qui résultent logiquement de l’introduction de l’arbitrage obligatoire dans le code contractuel des Etals civilisés.

L’Acte final de la deuxième conférence de La Haye (18 octobre 1907) contient, en faveur de cette réforme, une déclaration catégorique dont nul n’a le droit de méconnaître l’importance : « La Conférence est unanime à reconnaître le principe de l’arbitrage obligatoire. » Elle espère que ce principe pourra se traduire un jour par des obligations formelles et juridiques pour tous les Etals du monde civilisé. Elle formule également un vœu unanime en faveur de la réduction générale et proportionnelle des armements el charges militaires qui pèsent si lourdement sur les nations contemporaines.

Quant à la cour permanente d’arbitrage international de La Haye, sa compétence ne s’étendrait qu’aux litiges qui lui seraient librement déférés par les Etats en conflit. L’arbitrage n’était que facultatif. Les puissances contractantes ne prenaient elles-mêmes aucun engagement de recourir à la procédure de médiation ou d’arbitrage. Elles se contentaient de déclarer que la chose leur paraissait atile et désirable et que le recours aux solutions juridiques serait appliqué en tant ijue les circonstances le permettraient. Le fonctionnement des commissions internationales d’enquéten’étailraême prévu que pour les litiges internationaux n’engageant ni l’honneur ni des intérêts essentiels et provenant d’une divergence d’appréciation sur des points de /ait. Evidemment, l’écart était considérable entre la théorie et la pratique, entre la thèse et l’hypothèse.

Comme pour mieux souligner le contraste, la conférence de i()Oj juxtaposait au document consLitutif de la cour permanente d’arbitrage établie à La Haye le projet d’une future Cour de Justice arbitrale, qui serait compétente de plein droit pour évoquer d’ellemême à sa barre chacun des conflits internationaiix dont, une fois pour toutes, la connaissance lui aurait été déférée par stipulation préalable et conlrac1285

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tuelle. On prcligurait ainsi l’organisation juridique de l’arbitrage obligatoire.

Pourquoi les diplomates et jurisconsultes rassemblés à La Haye durent-ils se résigner à un tel écart entre l’amplitude avouée de leurs désirs et le caractère modpï.le et limité des réalisations accomplies ?

Parce que plusieurs plénipotentiaires avaient reçu de leur gouvernement consigne impérative de refuser leur adhésion à toute organisation elfective et actuelle de rar))itrage obligatoire. La réforme n’était pourtant réalisable que moyennant l’adliésion unanime des principaux Etats de l’Europe et du monde. Or, sur quarante et une puissances qui intervinrent dans les tractations de 1907, à La Haye, touchant l’iirljitrage obligatoire, il y en eut trente-trois qui donnèrent leur sulTrage au projet et huit qui, pour dilférents motifs, refusèrent de contracter en ce sens aucun engagement formel. La liste des huit puissances dissidentes est curieuse à relire aujourd’hui : Alleniagne, Autriche-Hongrie, Bulgarie, Turquie, auxquelles il faut joindre la Grèce et la Roumanie, et même (ce qui déconcerte davantage) la Belgiiiue et la Suisse. Bizarres rencontres de l’histoire diploniati <jue !.insi fut mis en échec le projet concernant l’iirbitrage obligatoire. Pas d’arbitrage concevable s’il n’existe, à la base de l’institution, un accord unanime déterminanlles obligations et engagements réciproques.

A vrai dire, on peut se demander siles trente-trois puissances qui eurent le mérite d’appuyer cette motion de leur suffrage se rendaient compte exactement de ce que comportait, pour devenir une réalité sérieuse, l’institution de l’arbitrage obligatoire. On en doute discrètement quand on constate que nul projet de sanctions internationales ne fut adjoint au projet de Cour de Justice arbitrale. Quelle efficacité aurait un texte prescrivant l’arbitrage obligatoire, à l’égard d’une puissance qui, en raison des ambitions de ses chefs ou des passions nationales de son peuple, contreviendrait délibérément aux règles du droit international, refuserait de soumettre le litige à la Cour de Justice arbitrale (ou d’en accepter les arrêts) : en un mot, ferait appel abusivement et injustement à la force des armes ? Le cas n’était pas même prévu. Alors, comment prétendre que, légalement et juridiquement parlant, l’arbitrage fiit obligatoire ? Existet-il une obligation effective et légale, s’il n’existe pas de sanction effective et légale ?

Par suite de l’absence d’un système cohérent de sanctions internationales, le projet d’arbitrage obligatoire, tel qu’auraient voulu rado[iter trente-trois (sur quarante-el-une) des puissances représentées à la conférence de La Haye en 1907, ne serait pas demeuré beaucoup moins platonique, pas beaucoup moins inopérant, dans les cas réellement graves de danger de guerre, que le régime plus timide d’arbitrage facuUatif qui put seul réunir l’unanimité des plénipotentiaires et constituer la règle olDcielle du droit international.

Il faut donc reconnaître que, si remarquable qu’elle fût sans contredit, l’œuvre juridique des deux conférences de 1899 et de 1907 demeurait essentiellement inachevée.

Ce seront les terribles expériences de la grande guerre de 191^-1918 qui imposeront entin à tous les esprits sérieux la nécessité absolue d’organiser des sanctions internationales pour donner une valeur réelle à un système quelconque d’arbitrage obligatoire.

H. Sanctions internationales. — L’autorité la plus haute qui ait revendiqué cette transformation décisive du droit international est l’autorité du Pontificat romain par le Message historique du le^aoùt 1917,

où le Pape Benoit XV offrait à tous les belligérants sa Médiation diplomatiijue. Il faut citer les paroles mêmes du Pontife :

Le point fondamental doit être qu’à la force matéiielle des ai’mes soit substituée la force morale du droit : d’où un juste accord de tous pour la réduction simultanée et réciproque des armements, selon des règles et des garanties à établir, dans la mesure nécessaire et suffisante au mointien de l’ordre public en chaque Ktat ; puis, en aub* sfitutitin des armées, l’institution cte l’arbitrait’, aec sa boute fonction pacificatrice, selon des norints à concerter etdes sanctions à déterminer contre l’Etat qui refuserait, soit de soumettre les questions internationales à l’ar" bitruge, soit d’en accepter les décisions.

Les diverses sanctions concevables sont réductibles à trois espèces distinctes : sanctions morales, économiques et militaires.

Les sanctions morales consisteraient dans la flétrissure jiublique que la juridiction suprême d’arbitrage international infligerait à toute puissance qui aurait gravement violé les prescriptions du droit international et, en particulier, qui aurait fait appel à la force des armes au lieu de recourir à la justice arbitrale ou d’obtempérer à la sentence n’yulière de la cour d’arbitrage. Les mœurs des pays civilisés pourront donner comme conséquence à cette flétrissure publique certaines exclusions portées dans la vie sociale et mondaine contre les représentants de l’Etat provocateur, certaines mises en quarantaine qui auraient quelque analogie avec l’excommunication ecclésiastique.

Lea sanctions économiques consisteraient dans la rupture aussi complète que possible des relations commerciales avec les puissances violatrices dudroit et condamnées à cette peine par jugement de la cour suprême d’arbitrage. Malgré des infractions considérables et inévitables, par désobéissance avouée ou fraude tolérée, un blocus économique, même très imparfait, qu’il soit continental, maritinje ou sousmarin, détermine de graves embarras de toute espèce pour le pays qui en est l’objet, surtout quand il s’agit d’une nation en état de guerre et ayant comme telle à opérer au dehors des achats exceptionnels. Si donc l’arrêt de la cour d’arbitrage, traduisant la réprobation morale du monde civilisé contre les puissances violatrices de la pai.x et du droit, détermine contre elles un certain boycottage économique, réduit (s’il ne tarit pas totalement) leurs importations etleurs exportations dans un pareil moment, la sanction économique deviendra redoutable. A côté des risques ordinaires de la guerre, les Etats qui auront contrevenu aux règles de l’arbitrage devront, en outre, suliir un dommage sensible d’ordre matériel, louchant à leur bourse et à leur ravitaillement.

Le dommage pourra qu^quefois atteindre les proportions d’une catastrophe. La perspective de ce péril supplémentaire rendra moins enviable le recours injustifié à la force des armes. Grâce à une sanction efïective sur le terrain économique, une garantie sérieuse, parfois même une garantie très puissante, aura été donnée au règlement pacifique des conflits entre Etals rivaux. Un progrès authentique aura été réalisé par le droit international.

.près les sanctions économiques, les sanctions militaires. La cour suprême d’arbitrage aurait le droit de requérir juridiquement l’intervention armée de certains Etals non encore mêlés au litige, pour précipiter la défaite de la puissance qui aurait déchaîné la guerre en contrevenant aux obligations du droit international. Ce serait alors une sorte d’exécution par autorité de justice. L’homme d’épée deviendrait (dans toute la force du terme) 1287

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ministre de Dieu pour le bien, ministre dé Dieu jiuur tirer vengeance de celui qui fait le mal.

Dans riiypothèse d’une réduction générale elproportionnelle des armements, opérée sous le contrôle rigoureux des commissions internationales, la guerre à prévoir n’aurait pas les extensions formidables et désastreuses de celle qui vient de bouleverser le genre humain tout entier. Les forces militaires de chaque nation seraient exactement limitées à une fraction déterminée de ce qu’elles étaient sur le pied de paix à la veille de la grande guerre de ig14 : et cette diminution considérable des effectifs, accomplie partout à la fois, selon une proportion et une méthode identiques, permettrait de libérer désormais les peuples contemporains de la charge exorbitante du service militaire obligatoire universel et de la charge non moins exorbitante et ruineuse de nos budgets militaires en temps de paix (( ; 7 ; ieV(sansparler de ceux du tempsde guerre). l, es ellectifs à prévoir pour l’application éventuelle des sanctions militaires du droit international ne seraient donc jias analogues à ceux de la mobilisation géante que le monde vient de subir, mais nous ramèneraient [irobablement à ceux des armées européennes du xvii^' et du xviu' siècle.

Quoi qu’il en soit des elfectifs de l’avenir, l’institution juridique de sanctions militaires comporterait, pour certaines puissances, l’obligation de prendre part à la guerre, uniquement pour oljcir à la cour d’arbitrage et pour sauvegarder le droit international, tk' serait la consécration inattendue, mais i)éremploire, de l’enseignement doctrinal de Pie IX, réprouvant, dans l’allocution consistoriale Nofos et /xntt ; , du 28 septembre 1860, et dans la pi-oposition soixante-deuxième du Syllahus, le principe (alors sacro-saint) de non-intervention. Le nouveau droit jiublic de l’Europe et du monde comporterait, au contraire, le devoir d’intervention.

Cette menace d’intervention armée de plusieurs puissances non mêlées au litige, qui, sur requête de lajuridiction inlernationale, viendraient combattre les puissances violatrices du droit et précipiter leur défaite, pourra faire reculer les gouvernements et les peui>les qui seraient portés à tenter quelque entreprise injuste contre le bien d’autrui et contre la paix du monde. Dans la tendance réiléchie des Etals contemporains à envisager favorablement de telles perspectives, on doit saluer un noble espoir de progrès jiour le droit international, en conformité avec la morale chrétienne et les traditions catholiques.

Néanmoins, ne tombons pas dans l’illusion enfantine de ceux qui croiraient à la certitude de la ])aix universelle et perpétuelle, parce que tous les Klats du monde auraient promulgué, pour la sauvegarde du droit international, un système cohérent de sanctions morales, économiques ou militaires. Du fait que le Code pénal serait magistralement rédigé ou que la police et la gendarmerie seraient supérieurement organisées, on aurait quelque naïveté à conclure que, désormais, il ne pourrait plus jamais se commettre, et même se commettre impunément, ni vol ni assassinat. Les passions humaines seront toujours les passions humaines. Dans l’ordre international plus encore que dans le gouvernement intérieur de chaque pays, les sanctions du droit deiuenr<ront. en bien des cas, inopérantes et seront ajipliquétts d’une manière plus ou moins gravement déiectueuse.

Les sanciiiins mnrales, nonobstant leur incontestable valeur, n’arrêteront pas toujours une grande l)uissance belliqueuse qui veut à tout prix déclarer la guerre et qui se croit assez forte pour réussir

dans son injuste entreprise. Bien plus, si l’injustice vient à obtenir l’immorale consécration du succès, l’opinion d’une grande partie des hommes et des l)euples applaudira au succès et ne manquera pas de donner un loutautrenom à l’injustice triomphante.

Les sanctions économiques seront excellentes, pourvu que leur application soit sérieu.se et générale. Or, il est à craindre qu’elles soient souvent l’objet de contraventions désastreuses. Il existe aujourd’hui entre les peuples une si étroite solidarité dans le domaine économique, que la cessation des rapports commerciaux avec un Etat dont on est le client ou le fournisseur (pour des échanges importants) constituera, en bien des cas, un dommage matériel et Unancier non moins nuisible à la puissance qui rompt les rapports qu'à l’Etat provocateur que l’on voudrait punir. Ce sera donc réclamer un bien gros sacrilice, au nom de la justice internationale, que de notifier aux Etats fournisseurs et clients notables de la puissance violatricedu droit l’obligation juridique de cesser leurs importations commerciales chez les ressortissants de cette puissance et d’arrêter par des mesures prohibitives l’exportation des produits agricoles et indistriels de la nation frappée d’interdit. L’arrêt de la cour d’arbitrage qui édicterait pareille mesure ne se heurterait-il pas à la désobéissance formelle, ou simplement au mauvais vouloir de plusieurs d’entre les gouvernements qui auraient à en urger le l)lus sérieusement l’exécution ? La fraude, tolérée ou encouragée avec plus ou moins d’elirontcrie, ne risquera-t-elle pas de rendre illusoire l’application, si juste et si désirable, des sanctions économiques de l’ordre international ?

Et que dire des sanctions militaires ? l’ius encore que pour les sanctions économiques, on peut se demander si elles ne sui)posent pas, chez les gouvernants de la cité temporelle, un zèle bien pur et bien généreux pour la sainteté du droit. Certains exemples récents n’encourageraient qu'à demi l’espérance de voir les Etats du monde contemporain se transformer en chevaliers de la première Croisade.

Il est vrai que plusieurs grandes puissances du nouveau monde sont entrées en guerre cuntre l’Allemagne, durant l’année 1917, avec la préoccupation dominante de faire triompher les principes de la justice et les règles du droit international. Toutefois, aucune des interventions armées dont nous parlons ne se serait vraisemblablement produite si les EtalsUnis et autres Républiques des deux Amériques n’avaient subi de lourdes pertes matérielles par le fait de la guerre sous-marine, n’avaient eu à venger la mort d’un grand nombre de leurs nationaux, n’avaient été bafoués dans leur honneur national par l’attitude de l’Allemagne devant leurs protestations énergiques et réitérées. Ces puissances entrèrent en guerre après avoir été cruellement provoquées.

Le régime des sanctions internationales exigerait cejjendant que chacun d’entre les Etats fùl disposé à intervenir parles armes quand bien même il n’aurait été victime lui-même d’aucun dommage ni d’aucune olfense. Lasupréme juridiction internationale devrait ])ouvoir obtenir de chaque puissance dont l’intervention semblerait requise piir le bien comnmn, qu’elle acceptât de courir les risques, toujours onéreux, toujours redoutables, de la guerre sur terre ou sur mer, pour défendre et restaurer le droit. A en juger par ce que nous apprend l’histoire et par les événements politiques et internationaux du temps présent, l)areille chevalerie ne peut être attendue avec certitude, et dans la généralité des cas, de la part des gouvernements de ce monde : ils ont coutume de s’inspirer, avec un moins transcendant idéalisme, 1289

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des calculs utilitaires de l’égoïsme sacré. Aussi, l’etticacilé des sanctions militaires du droit international nous parait-elle, non pas purement et simplement irréelle, mais quelque peu probléinati(iue.

Rien n’autorise à ijrédire le retour de l’âge d’or et à croire que les hommes de demain vont être essentiellement différents de ceux d’hier, essentiellement meilleurs. Les poètes seuls ont le droit de s’écrier :

Magntis ab intégra sæclorum nascttur ordo.

Les mêmes passions profondes du cœur humain font qu’à toutes les époques les conditions morales de notre épreuve terrestre demeurent substantiellement identiques, mais à des degrés divers, tant pour les sociétés que pour les individus. Ce n’est pas en ce monde que sera jamais réalisée la paix universelle et perpétuelle.

Et pourtant, il faut mulllplier, avec métliode et persévérance, les garanties du droit international. Il faut rendre aussi sérieuses que possible les sanctions morales, économiques, militaires du droit des gens. Elles pourront avoir leur elllcacilé au moins partielle : ellicacité répressive en certains cas, edicacité préventive en d’autres cas. Ce sera déjà un résultat d’une grande valeur pour le maintien de la paix en ce monde et la sauvegarde de la justice chrétienne parmi les peuples.

Jamais on ne libérera le genre humain de la mort et de la maladie. Personne n’aura le droit d’en conclure qu’on doive regarder comme impossible ou inutile toute espèce de progrès de la médecine et de la chirurgie.

. OKavre du Traité de Versailles (iS juin 1919).

— Les vingt-six premiers articles de ce traité ont pour objet « le pacte qui institue la Société des Nations ».

La Société des Nations aura pour membres originaires les trente-deux Etats (anciens ou nouveaux) qui furent en guerre contre l’Austro-Allemagne, auxquels sont invités ù se joindre immédiatement les treize Etats demeurés neutres durant la grande guerre. La majorité des deux tiers de ces quarante-cinq puissantes sera requise pour l’admission ultérieure de l’Allemagne, de ses alliés et des Etats nés ou à naître de la décomposition de l’ancien Empire de Russie, dès lors que ces diverses puissances auront fourni les garanties nécessaires.

L’action de la Société s’exerce par trois organes essentiels : une.sserablée, un Conseil, un Secrétariat permanent.

Dans l’Assemblée générale, dont la périodicité n’est pas déterminée, chaque puissance disposera d’une seule voix et ne pourra compter plus de trois représentants.

Le Conseil, qui se réunit au moins une fois par an, se compose normalement de neuf membres. Cinq d’entre eux seront les délégués respectifs des « principales Puissances alliées et associées) (Etals-Uuis, Empire britannique, France, Italie, Japon), qui remplissent exactement aujourd’hui le même rôle que, dans l’élaboration des traités de 1815 et dans le directoire européen de la Sainte-Alliance, jouèrent les quatre gr.md^i Etats par lesquels avait été conduite la coalition contre Napoléon ! <’(Angleterre, Autriche, Prusse. Russie). Aux cinq représentants des puissances <lirigeantes, seront juxtaposés, dans le Conseil exécutif de la Société des Nations, quatre représentants des autres Etats, sur désignation de r.-Vssemblée générale. Provisoirement, les quatre puissances qui auront ainsi un représentant au Conseil seront la lielgique, le Brésil, l’Espagne et la Grèce. Sauf en matière de procédure, où la majorité suifira, toutes les décisions de l’Assemblée et du Conseil

devront être prises à l’unanimité des suffrages. La première réunion de l’Assemblée et la première réunion du Conseil auront lieu sur la convocation du l)résident des Etats Unis d’Amérique.

Le Secrétariat permanent est établi au siège de la Société, c’est-à-dire à Genève. U aura pour chef un secrétaire général nommé par le Conseil avec l’approbation de la majorité de l’Assemblée. Tous les bureaux internationaux déjà constitués, toutes les commissions de contrôle international déjà en exercice seront désormais rattachés à cette organisation nouvelle, qui centralisera la totalité des institutions ollicielles d’ordre international du monde contemporain. Les représentants et agents de la Société des Nations jouiront des privilèges et immunités diplomatiques. Les bâtiments et terrains occupés par les services et les réunions de la Société seront inviolables, en vertu du privilège d’exterritorialité dont jouissent pareillement les ambassades, légations et consulats.

La Société des Nations reconnaît que « le maintien de la paix exige l.i réduction des armements nationaux au minimum compatible avec la sécurité nationale et avec l’exécution des obligations internationales imposées par une action commune ». La formule est volontairement un peu élastique et un peu vague, mais le principe est posé. Quant èrapplication, quele Conseil de la Société des Nations doit préparer, et dont les modalités seront soumises à l’examen et à la décision des diverses puissances, elle apparaît encore comme assez lointaine et légèrement problématique. La rédaction de l’article 8 du traité, qui concerne ce problème délicat, laisse une impression plulùl confuse. Au sujet de la réduction des armements et de la fabrication du matériel de guerre, on discerne que tout reste à étudier et à résoudre, avec des diincultés peut-être inextricables, d’autant que le traité admet la nécessité de « tenir compte de la situation géographique et des conditions spéciales de chaque Etat ». Du moins, les Etals participant à la Société des Nations prennent-ils l’engagement réciproque « d’échanger de la manière la plus franche et la plus complète tous renseignements relatifs à l’échelle de leurs armements, à leurs programmes militaires, navals et aériens et à la condition de celles de leurs industries susceptibles d’être utilisées pour la guerre ». Faute de toute réalisation actuellement possible, les puissances contractantes se donnentou se promettent ainsi un témoignage de bon vouloir. N’en diminuons pas, mais n’en exagérons pas non plus l’importance.

Les Etats compris dans la Société des Nations

« s’engagent à respecter et à maintenir contre toute

agression extérieure l’intégrité territoriale et l’indépendance politique présente de tons les membres de la Société ».

Le Conseil de la Société des Nations, en présence de toute menace de guerre, même si elle n’affecte directement aucun membre de la Société, devra se rassembler pour aviser aux mesures qui seraient propres à sauvegarder eflicacement la paix du monde.

S’il s’élève, entre des Etals participant à la Société des Nations, un différend susceptible d’entralnerune rupture, ils s’engagent à le soumettre, soit à la procédure d’arbitrage, soit au jugement du Conseil de la Société. L’arbitrage sera exercé par la juridiction que pourront choisir les parties en litige ou par la juridiction a prévue dans les conventions antérieures ». La cour permanente d’arbitrage international constituée à La Haye, en iSçijet en lyo^, n’est donc pas supprimée. L’article i.’i du traité prévoit cependant la création d’une « Cour permanente de Justice internationale », dont la compétence 1291

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parait devoir être plus étendue que celle de la juridiction acliiellement existante à La Haye.

L’arbitrage devient obligatoire en ce sens que chacune des puissances conlraclanles se déclare tenue, nous l’avons dit, de déférer le conllil, soit à une juridiction d’arl, )itrage, soit au Conseil lui-même de la Société des Nations. Les mêmes Etats conviennent également « qu’en aucun cas ils ne doivent recourir à la guerre avant l’expiration d’un délai de trois mois après la sentence des arbitres ou le rapport du Conseil ». Ce rapport devra être établi dans les six mois à dater du jour où le Conseil aura été saisi dudifréreiul. i

Lorsqu’il y aura eu sentence arbitrale, « les mcm- j bres de la Société s’engagent à exécuter de bonne i fol les’sentences rendues et à ne pas recourir à la | guerre contre tout membre de la Société qui s’y conformera. Faute d’exécution de la sentence, le Conseil propose les mesures qui doivent en assurer l’effet …

Lorsque c’est le Conseil de la Société des Nations qui aura charge de dirimer le litige, les solutions adoptées par le Conseil seront formulées dans un rapport, u Si le rapport du Conseil est adopté à l’unanimité, le vote des représentants des parties ne comptant pas dans le calcul de cette unanimité, les membres de la Société s’engagent à ne recourir à la guerre contre aucune partie qui se conforme aux conclusions du rapport. » Mais quand l’unanimité n’est pas obtenue, ou quand le Conseil reconnaît que le différend porte sur une question laissée à la compétence exclusive de l’une des parties, les méthodes de solution pacifique sont épuisées ; la guerre pourra légitimement survenir après un délai de trois mois.

« Les membres de la Société se réservent le droit

d’agir comme ils le jugeront nécessaire pour lemainlien du droit el de la justice. »

Dans l’hypothèse où l’Assemblée générale aurait été saisie du dill’érend, l’autorité décisive reconnue à un vote de l’unanimité du Conseil sera reconnue à unvotede 1’.assemblée réunissant le suffrage des neuf Etats représentés au Conseil et la pluralité des autres (à l’exclusion, en chaque cas, des représentants des parties).

L’article 16 cnumère les sanctions internationales à édicter contre tout membre de la Société des Nations qui aura recours injustement à la guerre, au lieu de se conformer aux procédures arbilraleset pacificatrices des articles précédents. La puissance violatrice du statut international est, par le fait même,

« considérée comme aj’ant commis un acte de guerre

contre fous les autres membres de la Société ».

Voici les sanctions économiques : tous les Etats participant à la Société des Nations s’engagent à rompre immédiatement avec la puissance provocatrice

« toutes relations commerciales ou financières, 

à interdire tous rapports entre leurs nationaux et ceux de l’Etat en rupture de pacte et à faire cesser toutes communications financières, commerciales ou personnelles entre les nationaux de cet Etat el ceux de tout autre Etat, membre ou non de la Société ». La formule est péremptoire. Nous avons dit pourquoi il est douteux que la réalité puisse toujours répondre intégralement à une formule aussi absolue.

Voici maintenan t les sanctions mi litaires : « Le Conseil a le devoir de recommander aux divers gouvernements intéressés les elîectifs militaires, navals ou aériens par lesquels les membres de la Société contribueront respectivement aux forces armées destinées à faire respecter les engagements de la Société. » Le ])aragraphe suivant insiste sur les diverses formes de coopération que peuvent et doivent se prêter les diverses puissances de la Société

des Nations au cours de la lutte commune contre la puissance violatrice du droit. En outre, l’Etal en rupture de pacte pourra être exclu de la Société des Xations par vote unanime du Conseil : ce sera une sanction morale, en même temps que juridique, une manière d’excommunication.

Ce qui est défectueux dans l’énoncé des sanctions militaires est l’imprécision des mesures prévuespour l’exécution arméepar autorité de justice. Tout devra être décidé après que l’injuste agression aura déjà eu lieu, quand l’adversaire sera entré en campagne, sans aucune organisation préalable et permanente des contingents militaires dont pourra disposer la Société des Nations. En de telles conditions, la sécurité promise au droit de tous et à la paix du monde semblera précaire et même un peu dérisoire. C’est à bon droit que la délégation française aurait voulu faire subir à ce dispositif une transformation sérieuse. Mais, sous rinfiænce du président "Wilson, l’amendement proposé par les délégués de la France fut malheureusement écarté par la Conférence de la Paix. On doit marquer ici l’une des plus inquiétantes lacunes du traité de Versailles.

L’article 17 prévoit le cas d’un conflit où l’un des Etats en litige n’appartiendrait pas à la Société des Nations, et même il’un conflit où aucun des deux adversaires ne lui ai.parliendrait. Une procédure juridique est instituée pour aboutir, fût-ce en iiareille hypothèse, à un règlement pacifique dont les méthodes seraient analogues à celles des procédures envisagées précédemment.

L’article 22 donne au problème de la Société des Nations tout un ensemble d’extensions absolument imprévues. La Société des Nations reçoit la tutelle passablement épineuse de tous les anciens domaines coloniaux de r.llemagne et de tous les territoires soustraits à la juridiction de l’Empire ottoman. Cette tutelle comprendra trois degrés inégaux selon le degré de civilisation et de développement social des populations indigènes. Mais par qui sera exercée, en fait, la tutelle dont la Société des Nations reçoit, en principe, l’investiture’? Elle sera « déléguée à certaines puissances développées, qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position géographique, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter : elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de l.a Société ».

Les mandataires adresseront à la Société des Nations leur rapport annuel sur l’accomplissement de la gestion politique qui leur est confiée. Le rapport sera soumis à une commission compétente qui devra donner elle-même avi Conseil de la Société u son avis sur toutes questions relatives à l’exécution des mandats ».

En réalité, cette institution des nia/i</a/s coloniaux de la Société des Nations paraît bien être une fiction diplomatique pour accorder les résultats tangibles et politiques de la grande guerre avec l’idéologie wilsonienne. Diverses puissances victorieuses reçoivent la souveraineté ou le protectorat de territoires conquis sur l’Allemagne ou sur l’Euipire ottoman. Toutefois, comme il est entendu que l’ère des annexions, des conquêtes et des impérialismes est close pour jamais, la tutelle de tous les domaines à régir est dévolue nominalement à la Société des Nations, qui est censée déléguer elle-même à titre précaire, le fardeau de sa propre tâche aux puissances partageantes. C’est un nouvel exemple, d’ailleurs assez piquant, qui s’ajoute à la liste déjà longue des euphémismes plus ou moins hypocrites où excella toujours la diplomatie internationale.

La théorie du mandat n’est, d’ailleurs, pas sans 1293

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inconvénient possible. Elle donne au Conseil de la Société des Nations le droit d’interférer dans le gouvernement du pays protégé en rappelant au mandataire qu’il a, non seulement des comptes à rendre, mais encore des consignes à recevoir. L’article 33 énumére précisément un certain nombre de principes à suivre dans l’exercice du mandat colonial. Si jamais il prend fantaisie à tel ou tel membre du Conseil de provoquer des incidents de ce genre, on verra reparaître, au milieu de l’aréopage des puissances dirigeantes, les contestations irritantes, voire insolul)les, auxquelles ont souvent donné lieu dans le passé les contrôles inlernalionaux, répondant à des situations mal définies. Or, rien ne serait plus " périlleux que de semblables conflits pour les destinées d’un organisme naissant, comme la Société des Nations, auquel tant de tâches redoutables et laljorieuses sont déjà dévolues.

Résumons-nous. La Société des Nations, institiiée par le traité de Versailles, est une tentative utile et méritoire d’organisation juridique internationale. Elle marque un progrès sur l’œuvre des conférences de La Haye dans la voie où étaient engagées les éludes et les réformes du droit international, à la lumière de tragiques catastrophes. Elle édicté (en principe) la réduction générale et proportionnelle des armements. Elle rend obligatoire, en cas de conflits internationaux, le recours aux solutions pacificatrices. Elle établit un système juridique de sanctions internationales contre les violateurs de la paix et du droit parmi les peuples. De même que la cour d’arbitrage de La Haye, la Société des Nations instituée en 1919 s’adapte aux cadres existants de l’ordre international et compose son Assemblée générale et son Conseil directeur de délégués diplomatiques de chacune des puissances souveraines ayant adhéré au pacte constitutif. Elle ne prétend pas constituer, selon la stupide chimère que francsmaçons et socialistes exaltent sous le nom de Société des Nations, un sur-Etat, un gouvernement universel superposé aux gouvernements nationaux, avec un Parlement international élu au suffrage universel des hommes et des femmes par tous les peuples du monde. Les règles du bon sens n’ont pas été enfreintes.

Par contre, la rédactiondu pactede 1919 est défectueuse et confuse. Elle paraît traduire en français un texte anglais et formule certainement une pensée, une conception anglo-saxonne. On n’y retrouve pas l’admirable ordonnance logique, la lucidité française des textes de La Haye, rédigées principalement par Louis Renault. Si l’on veut aller au fond des choses, on devra constater que la procédure de règlement paciûquedes conflits internationaux est étrangement compliquée, peu conforme aux exigences de la psychologie des peuples qui, dans l’exaspération de leurs passions nationales, ont envie de recourir aux violences guerrières. Aucune mesure pratique n’est prescrite ni même suggérée pour accomplir sans tarder la réduction générale et proportionnelle des armements : on se contente d’annoncer que des commissions internationales vont étudier les voies et moyens. La formule des sanctions économiques est tellement sommaire et absolue qu’elle dit trop pour être praticable. La formule des sanctions militaires dit, au contraire, beaucoup trop peu et ne fournit au maintien de l’ordre international aucune assurance actuelle et consistante : 1e fait est d’une telle évidence que, le jour même où fut signé avec l’Allemagne le traité de Versailles, l’Angleterre et les Etats-Unis ont reconnu la nécessité de signer un autre traité avec la France pour garantir celle-ci contre une agression possible de la puissance alle mande. Contraste qui n’est pas sans ironie et constitue le plus significatif des aveux. Les prescriptions du texte de 1919, relatif à la Société des Nations, ressemblent un peu à des étiquettes décoratives qu’on aurait collées sur des caisses restées vides. Il y a encore du travail pour l’avenir… Fala viam invenicnt.

On voit donc que la Société des Nations, telle que l’a organisée le traité de Versailles, mérite à la fois des éloges pour l’elTort méritoire qu’elle réalise et de sérieuses critiques pour l’aflligeante médiocrité du résultat obtenu. Médiocre en sa rédaction, médiocre en son dispositif, grevé dune lourde et dangereuse hj’potbêque par l’invention bizarre des mandats coloniaux, le pacte constitutif de la Société des Nations porte en lui-même bien d’autres causes de fragilité que celles qui se rencontrent fatalement, sur un pareil terrain, dans les grands échafaudages internationaux.

Plus loin, nous marquerons les lacunes de l’œuvre du traité de Versailles au point de vue religieux et catholique.

J. Paix et Démocratie. — Beaucoup de prophètes croient pouvoir prédire au statut international de 1919 une merveilleuse longévité, en raison du triomphe universel de la Démocratie, qui rendrait à peu près impossible désormais le recours aux violences de la guerre.

Quelle est la valeur de cette prédiction ?

Le terme de démocratie désigne l’organisation politique qui accorde à l’ensemble des citoj’ens, ou à leurs représentants élus, un rôle prépondérant dans la confection des lois et dans le contrôle des actes du pouvoir. H ne paraît pas douteux que cette tendance triomphe aujourd’hui, mais à des degrés divers, dans le régime gouvernemental, républicain ou monarchique, parlementaire ou plébiscitaire, de tous les pays du monde. Voyons dans quel rapport se trouve la démocratie avec la stabilité de la paix entre les peuples.

Le régime démocratique ne favorise pas les guerres longuement prévues et préparées. Il assure une influence dominante sur la marche des affaires à la masse des petites gens, préoccupés avant tout do leur tranquillité immédiate et fort étrangers par nature aux lointains calculs de haute politique qui pourraient multiplier les occasions de conflits et de guerres. En outre, l’organisation démocratique de l’Etat se prête beaucoup moins que l’organisation autocratique et aristocratique au développement de la puissance militaire. Comparez la France et l’Allemagne en 1911^. La prépondérance universelle de la démocratie constituera donc souvent un obstacle d’efficacité réelle à la folie des armements, à l’entraînement excessif de quelques-uns vers les aventures guerrières.

Toutefois ne concluons pas trop vite à l’incompatibilité radicale de la guerre défensive, et même offensive, avec le régime démocratique.

Si les démocraties demeurent étrangères aux calculs de haute politique qui sont propres aux dynasties et aux patriciats, les peuples démocratiques ont cependant, comme les autres, leur instinct national avec ses passions ardentes, ses aspirations profondes, ses susceptibilités irritables. Les peuples démocratiques possèdent, comme les autres, la préoccupation acrimonieuse de leur intérêt commercial ou industriel, qui se heurte à la concurrence économique ou à la politique douanière de certains peuples rivaux.

Que survienne une circonstance qui exaspère les intérêts menacés, qui provoque la colère de la foule ou exalte l’enthousiasme national : et, malgré 1296

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tous les pactes et protocoles de la Société des Nations, la déniocrutie révoltée bouillonnera et défer lera en tempête, poussera d’impétueuse » clameurs de guerre, menacera et débordera ses gouvernants temporisateurs, improvisera la guerre nationale, avec toutes ses inexpériences, mais avec toutes ses inexpiables fureurs. On acceptera les lourdes charges de la levée en masse, on votera les crédits militaires, on réclamera des canons et des munitions. Puis, on se battra intrépidement, poussé par In même passion profonde qui, sous tous les régimes, rind possible l’exaltation et l’abnégation farouches (les jours de guerre.

Néanmoins, dans ces brusques soulèvements populaires d’enthousiasme guerrier, n’y aurait-il pas quelque chose d’artillcicl, qui répondrait à un plan concerté, non par la démocratie elle-même, mais par des groupes riches et influents qui (pour un motif ou pour un autre) seraient intéressés à susciter la guerre et à y précipiter le peuple entier ? L’hypothèse est de toute vraisemblance ; à une condition toutefois : c’est que les hommes qui poussent à la guerre et exploitent plus ou moins artiflciellerænt telle et telle circonstance favorable, puissent faire appel à une anxieuse préoccupation d’intérêt matériel ou moral, à une réelle et ardente passion de haine ou d’enthousiasme, qui couve déjà dans l’àræ du peuple et qui, brusquement exaspérée, jaillisse de la foule anonyme comme une llamme puissante pour tout embraser autour de soi.

Quant au fait même de l’initiative concertée de quelques personnalités résolues, tirant adroitement parti de telle occasion opportune, en vue de porter à leur paroxysme les aspirations ou les fureurs de la multitude, on ne peut guère s’en étonner. Hien de moins anormal dans les mœurs politiques de la démocratie.

Au cours de la grande guerre, telle fut la méthode suivie par la minorité belliqueuse qui détermina la violente commotion populaire d’où résulta l’intc’rvention armée de l’Italie en igib. Telle fut la méthode encore que suivit le groupe dont le principal membreétail Lord NorthclilTc, propriétaire du Times et du Ddily Mail, et qui arracha aux résistances du parlementarisme britannique l’organisation sérieuse du comité de guerre et le vote du service militaire obligatoire et universel. Telle fut la méthode suivie avec un art plein de nuances par le président Wilsou pour rallier peu à peu l’unanimité morale de l’opinion américaine à l’idée de la guerre avec l’Allemagne et appuj-er sa politique de chef d’Etat belligérant sur l’adhésion rélléchie du peuple des Etats-Unis.

Ce sont là des exemples empruntés aux démocraties policées du nouveau nxonde ou de la vieille Eurojie. Nous nous abstenons de parler des jeunes démocraties nées du démembrement de l’Empire russe : ni leur politique intérieure ni leurs rapports mutuels ne suggèrent, à coup sur, l’image radieuse de la paix perpétuelle…

Que l’on ne considère donc pas l’éventualité de la guerre comme nécessairement exclue parle triomphe, même généralisé, du régime démocratique dans le monde contemporain.

K. Paij : et Nalionalilés. — Une autre espérance de paix universelle et perpétuelle est fondée un peu prématurément sur le triomphe du principe des nationalités, que voudraient consacrer à jamais les négociateurs des traités de 1919 dans leurs statuts territoriaux d’Occident et d’Orient.

L’erreur incontestable des diplomates européens de 1815 avait été de s’inspirer presque uniquement des mélliodes de la politique d’équilibre, sans se

préoccuper de ce que pouvaient être les âmes, les traditions, les aspirations de la plupart des peuples dont ils avaient disposé souverainement. On n’avait guère consulté d’autre règle que les convenances ou les caprices, les calculs ou les ambitions des grands Etats. Le résultat fut une construction artiflcielle et fragile, que renversèrent de fond en comble les poussées violentes du sentiment national au dixneuvième siècle.

Aujourd’hui, ne peut-on pas espérer la disparition de ces causes douloureuses de discordes entre peuples et peuples, maintenant que la paix du monde prend pour formule lapplicalion universelle du principe des nationalités, avec proclamation du « droit des peuples à disposer d’eux-mêmea a ?

La raison de tenir pour douteuse pareille conception optimiste de l’avenir, est que le principe des nationalités est fort loin de constituer une cause nécessaire de paix. Il restera toujours beaucoup plutôt une occasion de querelles internationales du caractère le plus irritant.

On se tromperait lourdement si l’on croyait reconnaître dans le principe des nationalités une règle claire, certaine, incontestable, du droit public, et surtout une règle à laquelle devraient être universellement sacriliées toutes les autres considérations morales, historiques ou juridiques qui peuvent intervenir raisonnablement dans la détermination des frontières ou la distribution des souverainetés.

M. Henri Hauser n’a pas eu tort d’écrire en 1 j16 : (1 Le principe des nationalités, qui est la base de la guerre actuelle, est le type de ce qu’on peut appeler une fausse idée claire. » Au premier abord, en effet, on admet sans peine que les groupes de poiiulation formant une nationalité distincte doivent normalement posséder une organisation politique qui leur soil piopre : indépendante ou autonome. Mais rien n’est plus difficile à déterminer avec précision que ce qu’il faut entendre, dans la réalité historique et concrète, par une nationalité.

Aucun des signes proposés comme caractéristiques ne concorde avec la totalité des exemples connus. Chacune des formules imaginées par les apôtres du système vient se heurter à des contradictions éclatantes. Ni la religion, ni la race, ni le cadre géographique, ni la langue même ne constituent le support nécessaire et distinctif de la nationaliié.

Les théoriciens actuels invoquent un principe spirituel, un phénomène de conscience nationale, un vouluir-vivre collectif. Notion qui a sa haute valeur, mais qui comporte des applications essentiellement mouvantes et donnera toujours lieu à de » applications ligitieuses.

Le fait permanent, incontestable, est que les antagonismes politiques fondés sur les aspirations contradictoires des nationalités rivales (chacune réclamant comme sien tel rameau de population, tel territoire, tel littoral) ont un caractère de violence et d’âpreté beaucoup plus inexpiable encore que les antagonismes fondés sur les ambitions des dynasties ou des impérialismes.

Pour no citer que des peuples éloignés des frontières de la France, nous délions les hommes d’Etat [ces lignes sont écrites au mois d’août 1919] de jamais trouver une formule de paix qui élimine délinitivement, au moyen du principe des nationalités, toutes les causes profondes de con Hits nationaux existantes aujourd’hui : entre les Italiens et les Yougoslaves, entre les Albanais et les Hellènes, sur la côte orientale de l’Adriatique ; entre les Autrichiens, les Hongrois, les Yougii-Slaves, lesRoumains et les Bulgares dans le bassin du Danube ; entre les Grecs, les Yougo-Slaves, les Bulgares et les Ottomans 1297

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dans la ïlirace et la Macédoine ; entre les Polonais et les Tcliéeo-Slovaques en Haule-Silésie ; entre les Polonais et les Ruthènes en Galicie et en Uk"aine ; entre les Allemands, Polonais, Lettons, Finlandais, Lithuaniens, Grands-Russiens et Petits-Russiens aux conlins du monde slave, du monde germanique et du monde Scandinave. Et ne disons rien de la liquidation de l’Empire ottoman d’Asie.

La cojiférenee delà Paix(oùIescaleuls de grandes puissances ne sont, d’ailleurs, pas très différents de ce qu’ils furent en 1815) s’évertue à trouver des solutions pacillcatrices. Elle s’aperçoit que le travail est un peu ardu. Et une chose, tout au moins, est unaniuieuient reconnue comme induhitatjle : c’est que le nouveau statut international fera beaucoup de mécontents ; peut-ctie même aboutira-t-il à mécontenter tout le monde à la fois. Nul ne le conteste : après comme avant la signature des traités de paix avec l’Autriche, la Hongrie, la Bulgarie, la Turquie et les anciens vassaux de l’Empire russe, il y aura des doléances anières, des réclamations tenaces, des agitations plus ou moins impétueuses, fondées sur des interprétations ou applications contradictoires du principe des nationalités.

Trêve aux formules fallacieuses ! Le principe des nationalités pose encore plus de problèmes qu’il n’en résout. Il tend à passionner les conflits plutôt qu’à les apaiser, il répand à travers le monde les semences de guerres futures. Il apporte un obstacle redoutable au succès de l’œuvre de paix et d’organisation juridique internationale que voudrait légitimement garantir la Société des Nations.

L. Participation du Saint-Siège. — Four procurer à l’ordre juridique international, que menacent tant de périls, une garantie de dural>le stabilité, il faut lui donner une haute et souveraine consécration d’ordre moral et religieux dans la conscience des peuples.

On peut et on doit faire pénétrer de plus en plus profondément dans les idées, dans les mœurs, dans les préoccupations générales du monde contemporain le principe du règlement pacilique et arbitral des conflits entre les puissances, la notion, l’estime, le respect des règles du droit des gens, avec leurs lois et sanctions internationales. On doit faire régner, dans les rapports mutuels des peuples, les préceptes de la morale divine, avec l’esprit de justice et de charité. On n’opposera évidemment pas, de la sorte, une barrière infranchissable aux entreprises audacieuses et injustes, dont la possibilité (même après la réduction générale et proportionnelle des armements ) réclamera toujours que les nations restent en mesure de repousser la force par la force et de mettre la force au service du droit. Mais on pourra, faute de mieux, créer un état d’esprit, une ambiance, une atmosphère, fjui favorise l’œuvre de la Société des Nations, et qui rende pratiquement plus dilliciles, plus rares, j plus dommageables à leurs propres ailleurs les violations graves de la loi des nations.

Or, i)our parvenir à un tel résultat, le concours du Pontife de Rome est le plus enviable et le plus indispensable de tous.

Plus que personne au monde, le Pape est désigné pour être le messager, l’arbitre, le législateur de la paix et du droit parmi les nations. Il a pour mission religieuse d’être le Pasteur universel des ànics. Il garde le dépôt de la doctrine évangélique de paix, de justice et de charité. Les écoles théologiques dont il est le suprême docteur, donnent, depuis de longs siècles, un enseignement lumineux, cohérent, sur le droit de paix et de guerre. Les institutions du catholicisme lui permettent d’agir piofondément sur la formation morale et intellectuelle, sociale et spiri- î

tuelle, de plus de doux cents millions de consciences humaines. A travers les siècles, le nom de la Papauté romaine demeure associé, dans l’ordre du règlement arbitral des conflits entre les peuples, dans l’ordre même de l’organisation juridiijue internationale, à l’elTort le plus magniflque et le moins inefficace qu’ait enregistré l’histoire.

En même temps que sa juridiction spirituelle, le Pontife de Rome possède une souveraineté temporelle, non plus territoriale, mais personnelle, qui, aujourd’hui même, est diplomatiquement et aulhentiquement reconnue en droit international. A ce titre, il est normal que les représentants diplomatiques du Pape viennent siéger dans les assemblées internationales oii délibèrent les rei)résentants diplomatiques de toutes les puissances contemporaines : surtout lorsque, comme dans la Société des Nations et la Cour suprême de justice et d’arbitrage international, l’objet de ces institutions est de garantir la paix dans la justice entre les nations. Objet tout particulièrement en rapport avec la mission distinctive, le rôle historique et les préoccupations constantes du Souverain Pontillcal romain.

Non seulement le Pape commande à plusieurs millions de sujets spirituels dans chacun des Etats du monde entier, mais il n’est inféodé à aucun système d’alliances, à aucune combinaison politique, diplomatique ou économique. Il n’est étranger nulle part. En tous pays, les catholiques le reconnaissent pour leur Pasteur, leur Docteur et leur Père, tandis que les non-catholiques d’intelligence droite saluent dans sa personne une puissance morale dont l’autorité, sans égale ici-bas, est digne d’égards, de respect, voire de vénération.

Peut-on contester de bonne foi que le Pape soit, plus que personne, à sa juste place dans les assises diplomatiques et judiciaires delà Société des Nations ?

Imaginons que Léon.I1I ait été représenté à la première conférence de La Haye en 1899 et Pie X à la deuxième en lyo^. Les règles tulélaires du droit international, telles qii’elles furent alors promulguées, auraient bénélicié du prestige moral et sacré que leur eût garanti la collaboration, l’adhésion personnelle du Pontife de Rome. Les articles essentiels des conventions de iSijg et de IQ07, concordant parfaitement avec les règles théologiques du droit de paix et de guerre, auraient été vraisemblablement pronmlgués, synthétisés, commentés, à titre de normes obligatoires de la morale des nations, dans quelque document [lontilical adressé à l’Eglise universelle. Les mêmes principes de la morale et du droit auraient été, en chaque pays du monde, inculqués à des millions de consciences croyantes par la prédication ecclésiastique, par l’enseignement théologique et catéchétique. C’est ainsi que l’ont été, depuis trente ans, les applications les plus importantes des doctrines traditionnelles sur la justice et la charité aux problèmes actuels du capital et du travail. Personne ne contestera que cette intervention de la Papauté dans le domaine social ait introduit, au milieu îles redoutables péripéties de la guerre des classes, un puissant élément de pacilication en vue du règlement équitable des questions ouvrières. Entre les nations rivales, de même qu’entre les classes sociales en conflit, le Pape doit apparaître comme le docteur des droits et devoirs de tous, le médiateur auguste de la paix de Dieu.

En matière de morale internationale, l’altitude adojjtée par la Papauté romaine n’aurait probablement pas été sans provoquer, comme dans d’autres domaines, l’émulation des Eglises dissidentes et des groupements non chrétiens. De la sorte, il y aurait eu de hautes influences religieuses, intellectuelles 1293

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et sociales qui, partout à la fois, se seraient exercées le plus cnergiquenient possible, à faire connaître, comprendre, respecter et ol)éir le Code nouveau et conlracluel de la loi des nations.

Il n’est donc pas chimérique de croire que la collaboration de Léon XllI et de Pie X aux deux conférences de La Haye aurait contribué, directement et indirectement, à rendre plus auguste et plus efficace cette grande œuvre de pacification fondée sur le droit. Il est bon de rappeler que le grand jurisconsulte Louis Renault Ut libeller, à La Haye, le protocole du règleuient paci(ique des conlUts internationaux de manière à rendre possible la collaboration ultérieure du Saint-Siège aux travaux de la cour permanente d’arbitrage inlernational. A la formule qui prévoyait uniquement la convocation et l’admission des litats, il lit intentionnellement substituer le terme de Puissances, parce que, depuis la chute du pouvoir temporel, la Papauté n’est ])lus un Etat, mais demeure indubitablement une Piiisfance.

Pour les mêmes motifs, nous considérons comme indispensable la participation du Saint-Siège à l'œuvre actuelle de la Société des Nations. Durant la grande guerre, Benoit XV a été l’apôtre infatigable et désintéressé de la paix, de la justice et de la charité entre les peuples en armes. Il a réalisé avec un incontestable succès un admirable elTort pour atténuer partout les horreurs de la catastrophe en faveur des blessés, des prisonniers, des détenus civils, des populations envahies, des régions dévastées. Dans son message pacificateur du mois d’août igiy.ila solennellement formulé (avec plus de précision que ne l’avait encore fait le président Wilson) les principes essentiels de l’organisation juridique internationale, notamment le principe de l’arbitrage obligatoire, le principe des sanctions internationales, le principe de la réduction générale et proportionnelle des armements : bref, chacun des articles fondamentaux que les négociateurs du traité de Versailles devaient promulguer un peu plus tard dans le Pacte (assez médiocrement libellé) de la Société des Nations.

La collaboration elTective de la Papauté romaine pourra donner aux nouvelles institutions juridiques de l’organisation naissante (et combien fragile !) quelque chose de l’autorité morale, du prestige et de la solidité qui leur seront absolument nécessaires et que nulle autre consécration ne sulTirait à leur garantir.

La société contemporaine posséderait-elle et connaîtrait-elle trop de forces moraleset sociales qui militent en faveur de l’ordre, delà justice, de la charité, du respect loyal de tous les droits ? Pourquoi la plus haute puissance morale et religieuse dumondeentier, la messagère traditionnelle de la paix de Dieu, serait-elle la seule que l’on ne convierait pas ?

M. Conclusion

L’organisation juridique qui assurera par des lois et des sanctions internationales une garantie meilleure du maintien de la paix entre les divers peuples du monde a besoin d'être protégée contre les causes profondes qui tendront sans cesse à énerver son ressort et à désagréger ses institutions.

Il ne faut pas renouveler l’expérience du Concert européen depuis 1830, organe dépourvu de tout principe de direction, appareil enregistreur de solutions contradictoires, ni même du Directoire européen delà Sainte- Alliance, qui avait tiré toute sa solidité d’une coalition politique et guerrière et qui se disloqua peu à peu, lorsque les intérêts divergents s’alTirmèrent entre les confédérés de la veille, après le danger disparu.

Il ne faut pasdavantage fairedu principe deVEquilibre des Puissances la loi unique ou suprême de l’ordre international : ee qui serait commettre un sophisme désastreux.

Par contre, on ne devra jamais oublier la part de vérité que contient non pas le principe, mais lapolilique de l'équilibre. La balance ou l'équilibre des forces rivales est une « recette politique » fondée sur l’expérience, une considération raisonnable et prévoyante dont il serait téméraire de ne pas tenir compte. Un bon statut territorial est nécessaire pour mettre les puissances provocatrices dans la salutaire impuissance de troubler, selon leurs caprices de domination, la paix de l’Europe et du monde. Un certain équilibre maintenu entre les principaux Etats pevit contribuer à rendre moins fragile l’organisation juridique internationale.

Mais cette légitime considération de l'équilibre devra toujours être coordonnée à d’autres considérations non moins nécessaires, subordonnée à des princii)es d’ordre plus élevé.

Sans trouver jamais de formule simple et adéquate qui résolve toutes les complexités du réel, il faudra faire droit aux « justes aspirations des peuples », tenir compte des nationalités renaissantes, comme aussi des traditions reconnues salutaires et légitimement consacrées par l’histoire. Toutes choses dont la synthèse réclame un grand elTort mutuel de conciliation et d'équité C’est le domaine des compromis, réclamés par l’intérêt général, et où s’exerce l’art diplomatique des grands négociateurs.

Onaurasurtoutle devoir deconduire les tractations internationales d’après Iisrègles imprescriptibles de la morale i>ublique, telles notamment que la fidélité aux engagements, l’observation des contrats, le respect sincère du bien et du droit d’autrui : en un mot, le sens de la justice et de l'équité. Règle supérieure dont Dieu même doit être reconnu comme l’auteur et le garant suprême. Dans l’ordre international non moins que dans les autres domaines de l’activité morale, une même vérité suprême s’imposera au genre humain :.S ; le Sei^'neur ne bâtit pas la maison, ceuxlà tratailtent en ain qui prétendent la construire.

Quant à l’organisation juridique internationale, qui porte maintenant le nom de Société des Nations, sa tâche sera de découvrir les voies et moyens d’une réduction générale et proportionnelle des armements, pour libérer les peuples contemporains du poids exorbitant des charges militaires, sans que cette réforme salutaire aboutisse à aucune duperie périlleuse.

La Société des Nations devra travailler à rendre effective et viable la procédure des sanctions morales, des sanctions économiques, des sanctions militaires, qui protégeront, contre de coupables entreprises (toujours possibles), la paix des peuples et le droit de chacun. Dans ce domaine des sanctions internationales, tout est encore à étudier et à organiser. De là dépendra la valeur pratique du nouvel édifice.

Il est indispensable que la collaboration de la Papauté romaine apporte aux lois et sanctions internationales une garantie dont rien ne saurait compenser l’absence. Garantie fondée sur le prestige moral et religieux que pareil patronage vaudrait à l'œuvre de la Société des Nations devant des centaines de millions de consciences humaines.

Selon les enseignements que suggère l’exemple mémorable de la Chrétienté du Moyen ^g’e, maisavec les adaptations que requiert l'état moral et social du monde contemporain :

une organisation juridique internationale, fondée sur des engagements contractuels permanents et réciproques entre puissances souveraines, 1301

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armée de sanctions morales, économiques, militaires,

accomplissant son œuvre avec le concours maternel de l’Eglise romaine,

tel serait le couronnement sniirême de la doctrine catholique sur les devoirs mutuels des nations

et sur l’unité fondamentale du genre Inimain.

Le Code qui décrira el sauvegardera les droits et devoirs de tous les peuples du monde, enfants d’un même Père céleste, tenus aux mêmes règles ellicaccs de paix, de justice et de charité chrétienne, constituera le Droit international chrétien.

Indications bibliograpihqubs

(Publications contemponiines antérieures

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Yves db la Brièrk.