Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Monachisme

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

MONACHISIME. — Le monachisme est la forme sous laquelle la vie religieuse se manifeste durant les premiers siècles de l’histoire de l’Eglise et une bonne partie du moyen âge. On retrouve en lui tous les caractères essentiels de cette vie, auxquels les fondateurs des Chanoines réguliers, des Ordres mendiants, des Clercs réguliers et des Congrégations modernes ont ajouté des pratiques et des tendances motivées par leur lin spéciale. Nous traiterons donc sous ce titre et du monachisme proprement dit et de ce qui le continue dans les formes diverses que la vie religieuse a prises.

1. Origines. — Luther, Calvin et, en général, tous les réformateurs du xvi" siècle ont, à la suite de WicLKi", nié les origines divines du monachisme et, par le fait, de la vie religieuse. Ce n'était, à leurs yeux, qu’une institution humaine, imaginée au IV' siècle et aux périodes suivantes par les Antoine, les Basile, les Benoit ; elle n’avait rien à voir avec ; Jésus-Christ ni avec son Evangile. |

Cette assertion ne résiste pas à l'épreuve de la critique. On voit par la vie de saint Antoine et par celle de saint Pachome que, loin de créer un état nouveau, ils ont été les disciples d’hommes, menant déjà ce genre de vie et se réclamant eux-mêmes de toute une tradition. Ils ont contribue pour une part très large au développement du monachisme ; ils ne l’ont pas institué. C’est une opinion généralement admise.

Pendant les trois premiers siècles, il y eut, dans un certain nombre d’Eglises, des chrétiens et des chrétiennes qui, seuls ou par groupes, se vouaient à la recherche de la perfection et pratiquaient des vertus que l’on ne demandait pas au.'c simples fidèles, la chasteté parfaite, la pauvreté, l’obéissance par 1 exemple. Les premiers chrétiens de Jérusalem en 3 étaient tous là (Jet., 11, 44, 45 ; iv, 34-37 ; v, i-ii). Cette ferveur primitive diminua. Les parfaits ne furent bientôt qu’une exception. On les rencontrait parmi les femmes sous le nom de vierges, l’irgines, et quelquefois de vein’es. On reconnaît les hommes sous les noms de continent.'), d’eunuques, de confesseurs, ou d’a5cè(es. C’est ce dernier nom qui sert présentement à les résigner. Leur présence est signalée par saint Ignace, saint Justin, Athénagore, Tertullibn, saint Cyprien, Clément d’Alexandrie.

Mais d’où viennent ces ascètes ? Quelques-uns alTecteiit d’y voir une adaptation au christianisme de l’ascétisme pa’ien ou juif. Le paganisme eut. en elTet, ses ascètes. Le géographe Strabon parle, d’après IMégasthène, Aristobule et Onésicrite, desBrachmanes et des Garmanes qu’Alexandre le Grand rencontra dans l’Inde (Géographie, 1. XV, c. lix-lxvi). Mais on ne trouve Jiucune trace de l’influence de ces philosophes ascètes et de leur genre de vie sur l’Asie occidentale et l’Egypte. Il n’y a aucune relation à établir entre saint Siméon Stylite et les ascètes qui auraient occupé le sommet des colonnes du temple de Hiérapolis. Preuschen et, mélineau ont vainement tenté de rattacher saint Pachome aux reclus du Sérapéum de Memphis. Alexandre Bertrand n’a pas réussi davantage à faire sortir les monastères irlandais du v^ et du vi « siècles de communautés druidiques converties. Les traits communs que l’on 8Ô1

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voil chez les vestales et les vierges sont tout extérieurs ; il n’y a pas eu d’influence réciproque. La même observation s’impose au sujet des ascètes chrétiens et de certains philosophes ascètes païens. Toutefois les moines d’Egypte qui écrivirent sur la vie monastique et ses devoirs prolitèrenl des enseignements des Néoplatoniciens d’Alexandrie, parmi lesquels l’ascèse était en honneur, et de certains philosophes grecs. Les maximes deSsxTius, popularisées par la traduction de Kufin, sont sorties de cette école. Saint îsiL ne craignit point de paraphraser le Manuel d’Epictète pour l’éililication de ses moines du Sinaï. Le christianisme prit dans l’ascèse néoplatonicienne tout ce qui lui était assiuiilable.

Les Juifs eurent leurs ascètes ; les Thérapeutes et les Esséniens sont les plus connus. Philon décrit le genre de vie que les premiers menaient, dans son traité De la v/e contemplative. Ei’skhk et Cassien les ont pris pour des moines de l’Eglise primitive d’Alexandrie ; c’est à tort, car rien ne permet de voir en eux des disciples de saint Marc. On ne voit aucune trace de l’influence que cette institution aurait pu exercer sur le monachisræ égyptien. Les Esséniens formaient une colonie d’ascètes juifs dans les parages de la mer Morte. Il y a des traits communs entre eux et les disci ;)les du Sauveur. Mais certaines ressemblances dans les pratiques extérieures ne suffisent pas pour conclure à une influence et surtout à une influence d’origine.

Les disciples qui s’attachaient à la personne du Seigneur, après avoir renoncé à tout, voilà les véritables ancêtres des moines. Les textes de l’Evangile, qui rapportent les conditions imposées par Jésus-Clirist à qui voulait le suivre, sont précisément eeix que l’on allègue pour établir les origines évangéliques de la vie religieuse. Les plus caractéristiques se trouvent au chap. xix de S. Matthieu. Les disciples formaient autour du Sauveur, avec les apôtres et les saintes femmes, une communauté véritable. Un instant dispersée par les événements de la Passion, elle se reconstitua après Pâques. Elle était réunie au Cénacle, " le jour de la Pentecôte. Les nouveaux fidèles, en s’y adjoignant, contractèrent ses habitudes. C’est ainsi que l’Eglise primitive de Jérusalem prit le caractère indiqué plus haut.

II. L’ascèse. — Le monachisine sépare l’homme du monde pour lui faciliter l’union avec Dieu ; il lui impose une lutte continuelle contre ses appétits inférieurs, dans le but de rendre son âme plus libre. Cette lutte s’elTectue par tout un ensemble de pratiques ; et elle est réglée par une doctrine. On donne le nom d’ascèse ovi d’ascétisme à ces pratiques ou à cette doctrine. Ses lois essentielles sont formulées dans la Bible et commentées par les interprètes de la tradition.

L’ascèse oblige dans une certaine mesure tous les chrétiens. Mais les religieux, en raison de leur obligation de tendre à la perfection, s’y adonnent avec lUus de générosité pour leur avantage personnel et pour l’édification commune. Ce caractère essentiel de la vie religieuse semble plus accentué chez les moines des premiers siècles et leurs héritiers directs ; on le retrouve aussi dans les divers ordres qui ajoutent une fin particulière à la poursuite de leur propre sanctification. Les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance caractérisent toujours l’ascèse monastique ; chaque famille religieuse leur donne pour complément les pratiques de mortification et de pénitence qui lui sont propres. La fidélité à les suivre contribue pour une part très large au succès de ses œuvres d’apostolat et de charité. C’est par ce moyen surtout que ses membres se maintiennent

dans l’esprit de leur état. De là l’importance qu’elles ont aux yeux des saints fondateurs d’ordres. Les ordres les plus actifs n’échappent pas à cette condition. Le clergé séculier, se rendant compte du prestige que les moines devaient à l’ascèse, leur a emprunté quelques-unes de leurs pratiques, telles que la séparation du monde par un habit spécial, la célébration de l’office divin, et, à certaines époques, la vie en coiumun. L’influence des moines n’est pas étrangère à la législation de l’Eglise latine sur le célibat des clercs.

C’est parmi les moines et les religieux des divers ordres que l’ascèse a recruté ses maîtres les plus autorisés. Cassikn a fait passer dans ses Conférences et dans ses Jnstitutionsle meilleur de l’enseignement oral des solitaires égyptiens. Les recueils connus sous le nom de Verhn seniontm, jipoplitliegniata Patriim, les vies de saint Antoine, de saint Pachome, de saint Ililarion et de quelques autres les complètent. Les œuvres de saint Isidorr de Péluse, de saint Nil du Sinaï et de saint Jean Climaque sont exclusivement ascétiques. Les biographies monastiques de TuÉoDORET et de Jean Mosch ont le même caractère. Dans ses règles, saint Basile se préoccupe avant tout de la formation spirituelle des disciples ; il en est de même de saint Benoit. Les Morales de saint GnÉGoiHE le Grand, son Liber pastoralis et les récits édiUanls contenus dans ses Dialogues, s’ajoutèrent à la littérature ascétique des moines orientaux. On peut dire que l’Eglise en véculjusqu’à l’âge d’or de la scolastique.

L’ascèse alors ne fut point modifiée essentiellement ; mais elle participa aux progrès de la philosophie et de la théologie. Saint Grégoire, Cassien, et les Pères restèrent néanmoins les maîtres incontestés. Dès lors chaque ordre religieux eut son école spéciale. Ceux iqui furent fondes ou restaurés dans la suite n’échappèrent pas à cette nécessité de leur vie. A peu près partout, l’école dérive d’un maître, qui n’est pas toujours le fondateur. L’école ascétique dominicaine part de saint Thomas d’Aijuin ; celle de l’ordre de saint François, de saint Bonaventure, auquel on peut ajouter DuNS Scot ; celle des Carmes a pour docteurs sainte Thérèse, et saint Jean de LA Croix. L’école de la Compagnie de Jésus sort des Exercices de saint Ignace et celle des Rédemptoristes, des œuvres de saint Alphonse de Liguori.

Le développement de cet enseignement ascétique dans les ordres religieux se confond avec leur histoire. On le suit dans Ijur histoire littéraire, dans l’histoire de leurs œuvres apostoliques et dans l’histoire de leurs saints. Il s’est manifesté chez quelques-uns d’entre eux par des pratiques de piété que l’Eglise leur a empruntées pour les étendre aux fidèles. L’usage de la confession comme moyen de formation spirituellevient des moines. La récitation du rosaire est d’origine dominicaine. Les Franciscains ont mis en honneur le chemin de la Croix. Les Carmes ont propagé la coutume de porter le scapulaire. On sait la part qui revient aux Jésuites dans l’importance donnée aux retraites annuelles ou mensuelles et à la méditation quotidienne.

III : Sainteté. — Le monachlsme se recommande par le nombre et les mérites des saints qu il a produits. Il s’agit ici des saints dont les vertus héroïques ont été officiellement reconnues par un jugement de l’Eglise ou par un culte liturgique. Cela est manifeste pour les premiers siècles de son histoire, les quatrième, cinquième et sixième, comme pour les périodes suivantes. Les diverses familles religieuses, qui ont toujours vu dans les saints leur meilleur sujet degloire et d’édification, ont publié les 803

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vies de ceux qui leur appartiennent. L’énumération des recueils, où elles sont réunies, est par elle-même un hommage rendu au raonacbisme et à sa fécondité surnaturelle. Les Bénédictins ont le Menolugmm beiiediclinum de Bucelin, Weldkirk, 1655, in fol. ; le Marlyrologium Sanclonan ordinis saticti Benedicti de Dom Hugues Menard, Paris, 1629, in-8* ; les Acta Sanctorum Ordinis sancti Benedicti de Luc d’Acheby et Mabillon, neuf volumes in-fol. Paris, 1660-1701, et Venise, lySS-i^^o ; l’Année bénédictine de la MÈUE DE Blémur, Paris, 1667, 7 vol. in-4’. Plusieurs des ordres ou congrégations, qui suivent la règle bénédictine, ont eu leurs recueils hagiographiques. C’est, pour les Gamaldules, le Catalogus sanctorum et beatoruni ioliiis ordinis Camaldulensis de TaoMAS DE MiNis, Florence, 1605, 2 vol. in fol. ; les Vile de Sanlie Beati del ordine de Camaldoli de Silvano Razzi, Florence, 1600 ; pour les Vallombrosiens, le Catalogus iirorum illustrium congregalionis Vallis-Umbrosae de Vbnance Simio, Rome 16y3 ; pour les Cisterciens, le Fasciculus Sanctorum ordinis Cislerciensis de Henriqubz, Bruxelles, 162^ et Cologne, 1631, 2 vol. in-fol., son Menologium cisterciense, Anvers, 1630, in-fol. et le Mcnologe cistercien, pair un moine de Tymadeuch.

Les Franciscains ont le Martyrologium Franciscanum d’ARTHUR du Moustier, Paris, 1638, in-fol., souvent réédité depuis et le Menologium de Hueber, Munich, l6y8. Les Prémontrés, les Aatnles et Vita Sanctorum ordinis Præmonstratensis de Van den Steerk, Anvers, 1626, et les Sacræ litaniæ Beatoruni ordinis Præmonstratensis, de Tong-Tamines, 1893. Les Ermites de saint Augustin le Martyrologium augustinianum de Maigret, Anvers, lôaS, et le Panthéon augustinianum de.rpe, Gènes, 1709. Les Dominicains ont le Martyrologium ordinis Prædicatoruni de Sicco, Rome, 1687, in-fol., et V Année dominicaine, qui est en cours de publication. Il y a, pour l’ordre du Garmel, le Décor Carmeli religiosi in splendoribus sanrtorum et illitsirium religiosorum et monialium du P. Puilipi-e de la Sainte-Trinité, Lyon, 1665, in-fol., et le Ménologe du Carmel du P. Ferdinand de Sainte-Thérèse, Lille, 1879, 3 vol. in-8. Le Jésuite Tanner publia un Menologium Societatis Jesti, Munich, 1669 ; repris en sous-œuvre et complètement transformé par d’autres, notamment par le P. de Guilhkrmy, Paris. Pour les autres ordres ou congrégations, l’hagiographie ou la biographie pieuse se confond avec leur histoire. Leurs membres, qui s’imposent à l’attention par une sainteté éminente, ont presque tous été l’objet d’une monographie. Ceux qui sont familiarisés avec la littérature hagiographiquesaventque les religieux y figurent en très grand nombre. On fait une constatation semblable en parcourant la listedes personnages béatifiés ou canonisés par l’Eglise romaine.

IV. La science. — Le moaachisme n’a jamais eu une fin scientifique. L’examen des faits amène cependant à conclure qu’il favorise généralement les aptitudes de ses membres pour les travaux intellectuels. On les a vus réussir de préférence dans les éludes religieuses, qui concordent mieux avec leur vocation. Ils n’ont pas exclu de parti pris les études profanes.

Au IV’et au v’siècle, les monastères d’Orient et d’Occident n’ouvrirent point d’école proprement dite, mais les hommes qui avaient fréquenté avec succès les écoles du monde romain s’y trouvèrent fort à l’aise pour se donner une culture religieuse. Ce fut le cas de saint Bamlk, de saint Grégoire de Nazianze, de saint Jean Chrysostome, de saint Jérôme et de saint Augustin ; qu’on le remarque, ils

ont reçu le titre de Docteurs de l’Eglise universelle. L’Eglise a, dans la suite, ajouté d’autres noms aux î leurs. Ce sont presque tous des noms de religieux : 1

saint Grégoire le Grand, saint Jean Da.mascènk, saint BEDE, saint Pierre Damibn, saint Anselme, saint Bernard, saint Thomas, saint Bonaventurb saint Alpuonse de Liguori ; saint François de.Sales, qui ne fut pas religieux, a fondé l’ordre de la Visitation.

Durant les premiers siècles, les solitudes de l’Egypte, de la Palestine, de la Syrie et de l’Asie Mineure furent habitées par de nombreux écrivains ecclésiastiques ; ils se sont exercés un peu dans tous les genres. Tous n’avaient pas reçu une formation dans les écoles romaines. Saint Epiphane, par exemple, et saint Ephrem, qui avaient embrassé la vie monastique dès leur jeunesse, eurent tout à apprendre parmi les moines. Ce rie sont pas les seuls. Les études sont restées en honneur dans de nombreux monastères orientaux. En Occident, les monastères devinrent, par la force des choses, presque les seules écoles. On faisait profession de n’y cultiver que les sciences sacrées. L’exclusivisme fut moins radical qu’on n’est généralement porté à le croire. C’est grâce à cela que les œuvres de l’antiquité classique nous ont été conservées.

Les monastères de l’Irlande et de la Grande-Bretagne se tirent remarquer par leur application aux éludes. L’activité intellectuelle dont Charlemagne se fit le promoteur fut dirigée tout d’abord par Paul Diacre, un moine, et par ALCuiN, qui vécut longtemps de la vie des moines, au point de se faire prendre pour l’un d’entre eux. Leur œuvre fut continuée surtout dans les monastères. C’est à l’ombre des cloîtres que furent ouvertes les écoles monastiques des x* et XI’siècles. Les chanoines réguliers jouèrent un rôle important dans les écoles cathédrales et autres, qui furent le berceau des Universités du moyen âge. Les Dominicains, les Franciscains, les Augustins enseignèrent avec éclat dans ces Universités. L’enseignement oral ne leur suffit pas plus qu’aux religieux de la période précédente. On doit aux uns et aux autres des ouvrages nombreux, où sont traités les sujets les plus divers. Il en fut ainsi durant tout le Moyen Age.

La découverte de l’imprimerie et la Renaissance généralisèrent les études. Les laïques y prirent davantage goût. Les clercs n’en eurent donc plus le monopole ; cependant les religieux s’y adonnèrent comme par le passé. On sait le rôle joué par les Jésuites. Us eurent des émules. La production scientifique fut ainsi très abondante dans la plupart des ordres jusqu’au moment de leur suppression. Ils ont recommencé, au xix’siècle, dès qu’ils ont pu se restaurer. Les limites de cet article ne permettent pas de donner des noms ; il y en aurait trop. Presque tous les ordres ont leur histoire littéraire ; on y trouve les preuves manifestes de leur activité scientifique.

L’enseignement des enfants a sollicité de tout, tenips leur zèle. Mais on ne les voit organiser des collèges guère qu’à partir du xvi’siècle ; ce fut la grande œuvre des Jésuites. Les Bénédictins suivirent leur exemple, en Autriche et en Bavière surtout. De nouvelles congrégations furent fondées avec le but direct de l’enseignement. Saint Joseph de Cala-SANS fonda les religieux des écoles pies ; saint Jean-Baptiste DE LA Salle, les Frères des Ecoles chrétiennes ; César de Bus, les Pères de la Doctrine chrétienne ; etc. Il y eut pour les filles les Ursulines de sainte Angèle de Mérici, les religieuses de Notre-Dame de la bienheureuse de Lesto.vac, etc., etc. Les congrégations enseignantes se sont multipliées au xixe siècle dans tous les pays. 865

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Qu’il exerce son activité intellectuelle dans une école ou dans un travail personnel, le religieux est guidé parles principes de sa vie ascétique. Il s’occupe en moine. Son enseignement et ses œuvres scientifiques sont le fruit de sa vie religieuse. Plus il mène cette vie avec ferveur, plus, dans une certaine mesure, les fruits sont abondants. Le relâchement de la discipline a pour conséquence inévitable l’abandon des études. Ce lien étroit qui unit la science et la vie religieuse fut contesté au xvii= siècle par l’abbé de Ranck. Mabillon n’eut aucune peine à lui prouver qu’il était dans l’erreur. Pour les maîtres de l’ascèse traditionnelle, l'étude alimente l’oraison et fournit l’occasion d’accomplir le précepte du travail et d’exercer une charité très élevée, celle qui s’adresse aux esprits.

V. L’apostolat. — La vie monastique ou religieuse crée et développe chez ceux qui l’ont embrassée les aptitudes pour l’apostolat. C’est un fait. Les moines d’Orient s’y adonnèrent. Mais ils furent dépassés par leurs frères d’Occident. Saint Martin, qui est leur type, évangélisa les campagnes des Gaules avec ses disciples. C’est par les moines que le paganisme fut extirpé des pays que les Francs occupaient au vi' et au vii « siècle. Us entreprirent vers la même époque la conversion des peuples païens de la Grande-Bretagne, des pays du Nord et de l’Est. Cette évangélisation se poursuivit en Bavière, en Saxe, en Bohème, en Hongrie, en Prusse, en Pologne, dans la Frise et les Pays Scandinaves ; ils allèrent jusqu’en Islande et au Groenland. Les Bénédictins, les Cisterciens et les Prémontrés y travaillèrent tour à tour ou simultanément. Pendant ce temps, les Basiliens évangélisaient les Bulgares, les Ruthènes, les Russes.

Les ûls de saint François et de saint Dominique étendirent vers l’Orient le domaine de l’Evangile. Ils allèrent à la conquête des âmes dans les pays ouverts à la civilisation au xvi" siècle. Les Jésuites et presque tous les ordres religieux en firent autant. Les religieux sont encore les ouvriers ordinaires de l’Evangile en pays de mission. Des congrégations nombreuses ont été créées à cette lin dans le courant du XIX* siècle. On sait quel précieux concours les missionnaires apportent au progrès de la civilisation.

Les aptitudes apostoliques du religieux s’exercent encore dans la lutte contre l’hérésie. Ce sont les Dominicains et les Franciscains qui ont mis à la raison des hérétiques du xiii* et du xiv* siècle. Les protestants n’eurent pas d’adversaires plus redoutables que les Jésuites et les Capucins.

VI. Œuvres de charité. — La charité, qui est une vertu chrétienne, reçoit dans le monachisme un développement qui a pour conséquence des œuvres aussi variées qu’utiles. Durant les premiers siècles de leur histoire, les moines s’y adonnèrent. Leurs œuvres d’assistance se groupent autour de l’hospitalité donnée aux voyageurs, des secours distribués aux indigents et de l’assistance accordée aux infirmes. Les hôtelleries monastii(ues rendirent les plus grands services durant le.Moyen âge. On bâtit, à partir du vin » siècle, le long des routes qui menaient à Rome, des monastères spécialement destinés à recevoir les pèlerins venus de la Grande-Bretagne. Les grands pèlerinages de Jérusalem et de saint Jacques de Gompostelle (xi'-xiv* siècles) nécessitèrent un développement de l’hospitalité religieuse. Les abbayes existantes ouvrirent dans leurs dépendances des asiles pour les pèlerins. On créa de nouveaux instituts, à la fois hospitaliers et militaires, dans le

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but de les héberger et de les protéger. Les Hospitaliers de saint Jean de Jérusalem, connus plus tard sous le nom de chevaliers de Malte, sont les plus célèbres. Il y eut en Gascogne et dans le Nord-Ouest de l’Espagne des fondations du même genre. L’abbaye canoniale de Roncevaux fut le centre d’un service hospitalier considérable. L’hôpital d’Aubrac fut fondé pour l’assistance des pèlerins. Les religieux s’occupaient un peu de tous les voyageurs. L’hospice du Saint-Bernard, sur les montagnes qui séparent la Suisse de l’Italie, a été créé, à cette fin, par saint Bernard db Mbntuon. Le dévouement chrétien des religieux eut une manifestation éclatante dans la fondation des Frères pontifes de saint Bénézet, qui construisirent des ponts sur le Rhône.

Les hôpitaux, destinés aux malades ou aux orphelins, eurent dès les iv', v' et vi* siècles, en Orient comme en Occident, des moines pour les servir ; de grandes abbayes, telles que celle de Fontenelle au viii= siècle, eurent des asiles où leurs habitants soignaient des infirmes. Ces institutions charitables prirent un grand développement à partir du xi* siècle. On fonda un peu partout des Ilôtels-Dieu. Leur service était assuré par des religieux et des religieuses, qui suivaient généralement la règle de saint Augustin. Leurs communautés étaient presque toujours indépendantes les unes des autres. Quelquesunes formèrent cependant de véritables congrégations, celles du Saint-Esprit de Montpellier et de Saint-Antoine de Viennois par exemple. Mais à partir du XVI' siècle, il se fonda des congrégations spéciales chargées de l’assistance sous toutes ses formes, soit dans les hôpitaux, soit à domicile. Plusieurs eurent des saints pour fondateurs : saint Jean de Dieu, saint Camille de Lellis, saint Jérôme Emilien, saint Vincent de Paul. Ces institutions se sont multipliées au cours du xix' siècle. On peut dire que toutes les misères matérielles ou morales ont une famille religieuse destinée à les soulager. Leurs membres s’adonnent à ce service dans un but de sanctification. Le travail, que nécessite l’assistance, sort directement de la vie religieuse.

Les incursions des Maures sur les côtes de la Méditerranée provoquèrent la fondation de deux congrégations religieuses, qui prirent à tâche la rédemption des captifs emmenés en Afrique par les Barbares. Saint PisnnE ?^olasque fonda celle de Notre-Dame de la Merci, saint Ficlix de Valois et saint Jean de Matha celle de la Trinité. Là encore, le service à rendre provient d’une préoccupation ascétique. Longtemps avant les fondations du xiii" siècle, des moines prenaient intérêt au rachat des captifs. C'était une œuvre de prédilection de saint Grégoire le Grand. Les abbayes du vii= siècle suivirent son exemple.

Les règles monastiques ont toujours imposé le travail, parce que le moine est tenu de gagner sa vie et parce qu’il lui faut faire pénitence. L’accomplissement de ce devoir religieux a eu pour conséquence immédiate la transformation des campagnes qui entouraient les abbayes, elles sont devenues de puissants moyens de colonisation. Cela commença au vi « siècle pour continuer jusqu’au xiii". Les Cisterciens se firent remarquer par le fonctionnement de leurs granges, ou fermes exploitées par des convers. L’apostolat des monastères bénéficiait largement de leur action civilisatrice. On ne saurait trop le répéter, le travail du religieux, réglé par l’obéissance, sanctifié par la pensée de plaire au Seigneur, procédait de sa vie ascétique elle-même. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les règles des divers ordres, les ouvrages de spiritualité d’après lesquels Ils formaient leurs

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pensées et leurs sentiments, et les vies soit de leurs fondateurs soit des saints et bienlieureux, en qui on peut reconnaître leurs types authentiques.

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J. M. Besse, O. S. B.