Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Moïse et Josué (II. L'oeuvre)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique

II. L'œuvre de Moïse et de Josué

149. — On voudra bien se souvenir, ici autant ion i>lus qu’ailleurs, du but nettement apologéte de notre travail. Il n’entre pas dans notre plan de raconter par le détail l’histoire de l’exode et de la nquète de la Terre Promise. Bien plutôt : suppoal connues les grandes lignes de l'œuvre de Moïse de Josué, nous nous proposons d’insister sur les inls qu’il importe davantage de signaler, soit à son des dillicultés, objections et systèmes dont ont été le point de départ, soit à cause de leur portance intrinsèque.

1° Les Hébreux en Egypte

L50. — Le texte sacré nous raconte d’abord comment, xédés de Joseph et attiz'és par lui, Jacob et ses fils reiil le chemin de l’E^rypte et s’y établirent (Gen., x, xvii, ?-36, XXXIX, 1-XLTii, 12). Mais de plus il nous donne cerrxes précisions. Jacob partit avec tout ce qu il possédait Ti, 1) ; Jacob et ses fils prirent aussi leurs troujieaux

: e3 biens qu’ils avaient acquis en terre de Canaan (xlvi, 

. La fauillie l’taitau complet ; Jacob emmenait avec lui iils, lâs lilsde ses fils, ses filles et les filles de ses fils, un mot toute sa descendance (xlti, 6^, 7). Le nombre 1 « fils J’Israiil » qui descendirent en Egypte et qu’on se it à catulo. ; uer (xlti, 8-25) était de soixante-six, sans upter It s femmes des fils de Jacob. Qnand le père et ses icendants eurent i-ejoint Joseph et ses fils, ils se trouent soixante-dix (xlti, 26, 27). On notera, si l’on veut, ï catalogues et évaluation numériques remontent à P,

; c’est aussi ce document sacerdotal qui insiste (vers. 6, 

iur la migration de toute la famille patriarcale- Mais audra remarquer aussi que, d’après J ou au moins JE, aél se mit en chemin avec tout ce qu’il avait (vers, 1). Des opinions récemment formulées tendent à mettre en lie ces données et nous amènent à nous poser les deux îstions suivantes : Les enfants d’Israël sont-ils récllent venus en Egypte ? Y sont-ils tous venus ? ISl. — A. Les enfants d’Israël sont-ils réellent venus en Egypte ? — a) Pour l’intelligence des inions que nous avons à critiquer, il est nécessaire rappeler comment les lils de Jacob se distribuent treles diverses femmes du patriarche. On distingue ?H.. xLvi, 8- « 5 ; cf. Gen., xxix, 31-xxx, 2 !) et xxxv, 26) : les /ils de Hacliel, Joseph et Benjamin ; les î de Lia, Ruben, Siniéon, Lévi, Juda, Issachar et bulon ; les fils de llala, servante de Rachel, Dan Nephthali ; les /ils de Zelpha, servante de Lia, Gad Aser. Au regard de beaucoup de critiques, ces ms sont purement patronymiques et, dans l’hisre des Uls de Jacob, il faut savoir lire celle qui ncerne l’origine des triljus qui portent leurs ms. Une autre opinion tend à gagner du terrain.

! st qu'à l’origine ces diverses tribus, bien que

ur la plupart venues des mêmes régions, étaient liées les unes des autres, vivaient très indépennles les unes des autres, s’ignoraient les unes les très. Loin d'être primitive et toute naturelle, nité est factice et elle n’est pas antérieure à David, elle n’est pas son œuvre propre ; le caractère de Ite unité est si nettement artificiel qu’elle n’a survivre au règne de Salomon. Loin donc qu'à

ses débuts, l’histoire d’Israël ait été marquée par ces mouvements d’ensemble que les soutiens de l’unité ont ensuite imaginés, chaque tribu a d’abord vécu son histoire propre ; c’est même par la combinaison des souvenirs particuliers à chaque clan que l’on est arrivé plus tard à retracer le tableau d’une histoire générale. Il ne faut donc pas être surpris, si nombre de critiques mettent le séjour en Egypte, puis l’exode, au compte de quelques tribus seulement.

158. — i) Hugo Winckleb' est beaucoup plus radical. La seule tribu qu’avec lui on rencontre sur la voie des migrations sinaïtiques est celle de Juda. Mais elle n’est jamais allée en Egypte. La donnée traditionnelle est née de la confusion du mot Misraim qui désigne l’Egypte et du mot Musru qui désigne en gros la région d’Edom-Séir et le pays situé sur la côte orientale du ^vadi el-'Araha et du golfe élanitique (vid. supr, , H9, e). C’est dans le Mnsru qu’il faut cherclier le séjour primitif de Juda. C’est là qu’il a grandi, s’alliant et sefusionnant avec diversestribus nomades des mêmes déserts : CalébitesouCénézéensQenizzites (Num., XXXII, 12 ; -los., xiv, 6-15 ; xv, 1319 ; Jud., I, 13-15 ; iii, 9, 11), Cinéens ou Qénites (A’Hm., XXIV, 21, 2a ; 1 Sam., xv, 6 ; xxvii, 10 ; xxx, 29), Yerahmélites (I Sam., xxvii, 10 ; xxx, 29), etc. C’est de là que Juda est monté en Palestine. C’est de là aussi que Yahweh l’a accompagné, soit qu’il eût été son Dieu dès l’origine, soit que la tribu principale l’eût emprunté à tel ou tel des clans qu’elle s’associait. — c) Ces idées ont pris une jjlace de plus en plus grande dans les articles ou i)arties d’articles que T. Iv. Cheïne a fournis à VEncyclopædia Biblica. Mais c’est dans les dernières publications du professeur d’Oxford- que la folie yérahmélienne a atteint son paroxysme. Toute l’histoire d’Israël trouve son explication dans Yérahméel, dans les déserts et les dieux du négéb, toute l’histoire, jusqu'à la période d’Esdras et de Néhémie ; les noms les plus fameux de l’histoire universelle, Cyrus, Darius, Artaxerxès, sont corrigés, dénaturés, remplacés, pour témoigner plus éloquemment en faveur de cet axiome.

133. — (/) On pourrait s’appu3'er sur ces abus pour essayer une réfutation par l’absurde. Mais cène serait ni juste, ni exact. Il cstmême probable qu’on ne doit pas opposer une fin absolue de non-recevoir à l’hypothèse générale d’après laquelle le nom de Misraim =z Egypte aurait été parfois dans la Bible substitué à celui de ilusur. En certains cas, en effet, ce dernier terme serait en situation, aussi bonne, sinon meilleure, que l’Egypte. Par exemple les liens qui rattachent avec le négéb les épisodes concernant Agar inviteraient à traiter cette dernière comme une esclave musrite tout aussi bien que comme une esclave égyptienne (Gen., xvi, 3). De même la femme d’Ismaël, habitant du désert de Paran (Gen., xxi, 21) et ancêtre de nombreuses tribus arabes, pourrait être une musrite, et non une égyptienne. — e) Mais qu’on le remarque bien. Dans

l.Ct. H. WiNCKLER, Geschiclite laræli in Ein : eldarsiellungen, Teil î, siirtoutles titres Uber die Einivanderung der Isræliten in Palàsiina et Die davidische Einheitsidce bri den Propfteten iiiid dif^ gleichzeitigen Zeugen, I. Die Sage vont.iufenihalte in Agypien : — Sur le Musru en général, cf. : Le même. Alttestamentlic/ie Untersuchungen : Musri, Mâsâr,.Misraim (p. 168-174) ; Eberhaid Sceiraiiek, Die Keiliuschriftcn und dasAUe Testament, 3' éd. (H. Zi.mMERN et H. Wi.nckler), p. 145-148, 212-213 : Alfred JebeMivs, Das.ilte Testament im Lichie des Alten Orients, p. 155-156.

2. Cf. T. K. Cheyne, The traditions and belle fs ofancieni Israël, a ne^v study of Gencsis and Exodus ; — The veil of hebrew histury, a further attempt to lift it, 1913 ; — Fresh voyages on unfrequented waters, 1914, 779

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ces exemples et dans la plupart de ceux que l’on pourrait alléguer, ou bien l’on n’a que le seul mot .}Iisraïm, oii bien l’on manque de détails circonstanciés. Tout autres sont les récits de l’exode. Ici, tout est précis et les détails concrets abondent qui nous ramènent dans la vallée du Nil et au royaume des pharaons. Les données sont à ce point déterminées que, non sans vraisemblance, on en a pu prendre argument pour établir que les récits ont été composés à répoque même des événements qu’ils racontent. Si donc il y avait ici confusion, il faudrait reconnaître que non seulement on a perdu le souvenir du Miisur, que non seulement on lui a substitué un autre nom, mais encore qu’on a élaboré une conception géographique et historique qui nous en écarte complètement. Or il est impossible d’assigner une date compatible avec une pareille transformation. Ce ne peut être évidemment celle des événements eux-mêmes et il est à propos de se rappeler que les tenants de cette hypothèse ramènent volontiers jusqu’au temps des Juges et de David l'époque à laquelle les Judéens et leurs alliés ont quitté le r)égéb pour venir habiter larégiond’Hébron. Apartirde David, les confusions, qui auraient été à la rigueur possibles durant la période obscure qui suivit Moise, deviennent de plus en plus difficiles à imaginer. Le Miisur prend dans l’histoire une place de plus en plus grande précisément jusqu'à ces dixième-huitième siècles, au cours desquels les critiques placent la composition du Yaht' isie et de VElohiste. D’autre part, il faut faire disparaître le nom de l’Egypte et le souvenir des épisodes qui s’y rattachent, non seulement diiPetiiateuqiie, mais encore de nombreux textes prophétiques dans lesquels on les rencontre (cf. Jni., ii, lo ; ni, i ; iv, lo ; v, a5, 26 ; ix, 7 ; Os., 11, 16, 17 [Vulg. 14, 15] ; XI, I, 2 ; XII, 10, 14 ; XIII, /t-6 ; etc.). L’opération réussit toujours, mais au préjudice des procédés et méthodes que l’on y met en œuvre. Il faut donc retenir que les Israélites sont allés dans le véritable pays de Misraïm, c’est-à-dire dans le royaume des pharaons.

134. — B. Mais les fils de Jacob r sniit-ils tous allés.' — a) Il est encore des critiques qui font à cette question une réponse alTirmative. E. Renan' admettait que l’immigration des Beni-Isracl s'était faite en deux coups. Le premier groupe, celui qu’on devait appeler le clan des Joséfel on les Beni-Josepli, devait toujours, à raison de ses initiatives, garder vis-à-vis de ses frères des airs de supériorité ; il apparaît comme doué d’une culture supérieure. Etablis en Egyple ou plus exactement dans les environs de San, au pays de Gessen, les Joséphites s’j- développent. Mais, loin d’oublier leurs frères, ils les appellent près d’eux, peut-être à l’occasion d’une famine ; bientôt tous les Beni-Jacob sont dans l’empire des pharaons. On lit de même sous la plume de C. Piepenbring - :

« Nous pensons… que les ancêtres d’Israël ont réellement fait un séjour en Egypte, qu’ils y ont été opprimés, qu’ils ont réussi à secouer ce joug… Nous

croyons historiques le séjour des Israélites et leur oppression en Egypte, parce que la délivrance de la servitude d’Egypte est le fait capital de toute l’ancienne histoire d’Israël, comme l’attestent, non seulement les légendes de VExode, mais encore d’autres passages nombreux et, en partie, fort dignes de foi. De là nous pouvons conclure que les récits de la Genèse qui se rapportent à Joseph reposent sur un fonds historique… Une tribu…, après avoir souffert

1. Cf. Ernest Renan, ///5/0/rtf du peupie d’Israël, tome I, surtout cliap. x. Les Ileni-lsraî-I en Egypte.

2. Cf. C. PiEPENBRi.'SG, Histoire du peuple d’Israël, p. l’i-15.

de la malveillance d’autres tribus parentes, a immigré dans ce pays et y a prospéré ; [elle] fut rejointe là par des tribus sœurs, leur accorda sa protection e) acquit ainsi sur elles la suprématie. » Cari Cornill professe des idées sensiblement analogues.

155. — ^) Il y aurait plus d’une critique de délai à faire sur la manière dont ces théories sont présen tées ; au moins sauvegarilent-elles la substance de données bibliques. Il en va tout autrement avec le : systèmes dont nous avons à parler. Beaucoup d’his toriens d’Israël n’admettent aujourd’hui le séjour ei Egypte que pour un groupe de tribus. On remarquer ; d’ailleurs que, parmi ces dernières, celles qui se rat tachent aux servantes Bala et Zelpha n’attirent qui secondairement l’attention. Volontiers on les traiti comme étant à l’origine plus ou moins contaminée par le sang étranger (Wkllhausbn-) ; volontiers 01 les regarderait comme des tribus cananéennes, con quises d’abord, puis assimilées par Israël. Au rcgan de Wellhausen^, le long séjour en Egypte pourrait n convenir qu'à la tribu de Joseph. La tribu de Benjs min, pareillement rattachée à Rachel, aurait pri naissance en Canaan, mais seulement après l’immi gration ; tel serait le sens de l'épisode raconté Gen XXXV, 16-20. Quant aux tribus dérivées de Li (Ruben, Siniéon, Lévi, Juda, Issachar, Zabulon), i n’est pas sur qu’elles soient allées en Gessen ; il es fort possible que ce soit de leur séjour oriental (d Musrii) qu’elles aient tendu la main aux Cls d Rachel, avec lesquels elles auraient ensuite contracl les liens de l’unité future. Le voyage (d’après la Bible le retour) de Moïse du pays de Madian en Egypt (, Ex., IV, 18-31 ; cf. II, 15-j2) trouverait en cette hypt thèse une explication facile. Comme on s’en douti c’est le rôle fait à Joseph dans la Genèse (Gen xxxvii-l) qui sert de base au système de Wellhausen d’autre part, la théorie expliquerait et les prêtez tiens des tribus descendant de Lia à un âge plu avancé et celles de Ruben à l’hégémonie. Enfin toute ces vues sont dominées par un postulat ; l’unité di tribus ne remonte pas aux origines du peuple d’I raël. Wellhausen toutefois la regarde comme ant rieure à la conquête de la Palestine propremei dite.

156. — c) Le même postulat est à la base du sy tème de Bernard Stade '.Mais, d’après lui, ce sont li tribus issues de Lia qui se sont établies dans le dése de Gessen et qui ont connu les années de servitud En revanche, celles qu’il faut rechercher au Sud d négéb, ce sont celles que l’on présente comme issui de Rachel ; elles y vivaient en union intime avec h bédouins madianiles, formant avec eux une sorte ( confédération et honorant le même Dieu. C’est pri d’elles que Moïse, échappé d’Egypte, s’est réfugic’est dans le négéb qu’il a eu la vision de Yahwe c’est de là qu’il est retourné en Egypte proclamer, a nom de son nouveau Dieu, la délivrance de se peuple ; c’est là qu’il est revenu à la lëte de ce de nier ; c’est là, autour de Cadès, que s’est réalise l’union nationale. B. Stade paraît préoccupé, € énonçant cette théorie, de tenir compte des liei qui unissent Moïse avec l’Egypte et de ceux qui rattachent à la tribu de Lévi (issue de Lia).

157. — </) Une autre théorie, qui gagne aujou d’hui de la faveur, est beaucoup plus radicale. a) Nous rentrons en contact avec les idées chères

1. Cf. Cari HeinrichCoKMLL, Getehichle des Volkeshrai p. 39-40.

2. Cf. J. WELLiiAL’StN, Isrælitische und jiidische Ge chichte, ô* éd., p. 16.

3. Ibid.

4. Cf. B. Stade, Die Entstehung des Volkes Israël, 3 « ée p. 10-13. 781

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Hugo WiNCKLEn. Les tribus qui sont à la base de l’unité Israélite viennent toutes du même réservoir de peuples, sans doute des bords occidentaux du golfe Persique. Mais elles ont suivi des voies assez différentes. L’une d’elles, celle qui portera le nom de Juda, est d’abord venue se lixer dans le négéb ; elle y a rencontré les tribus nomades dont plusieurs fois déjà nous avons parlé et s’est unie avec elles. A l’une d’elles elle a emprunté le nom de Yahweli. — ; 5) Au regard de H. Winckler, nous l’avons vu, c’est dans le négéb que cet élément du futur peuple de Dieu aurait vécu jusqu’à son entrée en Canaan. Ceux qu’effrait un pareil radicalisme et un tel dédain des textes, Léon CAnTi, par exemple, mettent la pénétration et le séjour en Egypte au com[)te de ces groupes du négéb : ils auront, en se réfugiant en Gessen, suivi une voie que les bédouins de la péninsule sinailique ont toujours suivie et suivent encore volontiers. D’ailleurs, autour de Juda, plusieurs de ces auteurs groupent volontiers les tribus de Siméon et de Lévi ; pour autant, le rôle attribué à Moïse y trouve son explication. En revancbe, l’histoire de Joseph attirant tous les fils de Jacob en la terre des pharaons n’est qu’une superbe fantaisie destinée à donner plus de relief à l’un des principaux éléments de l’Israël du Nord. — /) Revenus au négéb après la sortie d’Egypte, Juda et ses alliés y séjournent à nouveau un certain temps. Mais ce n’était pas en vain que, dans le pays de Gessen, ils s’étaient initiés à la vie sédentaire ; ils en avaient subi le charme. Aussi du négéb jetèrent-ils bientôt un regard de convoitise sur les régions plus fertiles de la montagne d’Hébron. Ils y montèrent directement à une époque que plusieurs des tenants de cette opinion maintiennent en relation avec les temps mosaïques-, mais, d’après H. Winckler, à l’époque même de David’. Ce dernier n’était pas le jeune élu que nous présente la Bible (l Sam., XVI, i-13), qui fait brillamment son apprentissage à la cour de Saiil (I Sam, xvi, 14-23) et dans la vallée du Tcrébinthe (I Sam., xvii). C’était un aventurier, un chef de bandes, assez vraisemblablement un chef calébile (on allègue, à l’appui de cette théorie, v. g. I.Sam., xxv, où David épouse la veuve du calébite Nabal). Sa première œuvre fut l’unification des Calébites et des Judéens, auxquels il assura la possession du Sud de la Palestine. — 5) Mais ses exploits aboutirent à un résultat plus vaste. La Palestine du iS’ord était occupée, en dehors de ce qui restait de Cananéens, par un groupe puissant de tribus apparentées à Juda ; c’étaient les tribus Israélites, celles qui plus tard constituèrent le royaume schismatique. Ces clans y étaient directement arrivés de l’Est ; comme Juda, ils venaient de l’Orient, de la Chaldée. Longtemps ils avaient séjourné, non pas sans doute en Harran ou Mésopotamie, comme certaines traditions le laissent entendre (Gen., xi, 2882 ; XXIV, 4, 10 ; XXVII, 43 [ces textes sont de J] ; xi, 31, 32 et xxv, 20 [d’après P]), mais plutôt au désert des B nè{y] Qédém{Gen., xxix, i, d’après E), situé au delà de la Transjordane et des rivages orientaux de la mer Morte (cf. Jtid., vi, 33 ; viii, 10 ; etc.)’. De là ils étaient progressivement passés en Canaan. Peu à

1. Cf. Léon Gart,.4u Sinaï et dans l* Arabie (dans le BiilU-tin de la Société Neuchâteloise de Géog XXIII, 1914, p. 1-524J, Appendice, p. 513 sv.

2. Cf. Léon Cart, op. cit., p. 516-519.

3. Cf. Hugo WiM’.KLER, Geschichle Isræh in Einzeldarsiellun !

; en. Teil I, p. 24-28.

4. Cf. Eiluar.l Metek und Bernhard Lutiieb rælitfn und ihre Ifac/ibarstumme, 1906, p. 242. auas-i, bien qu’il soit moins précii et moins ex Hugo WiNC.KiEK, Geschichte…, I, p.l3 sv., 30, 126

ST., 156 ST.

Pétrée

rapliie.

Die Is — Voir

plicite,

ST., 134

peu, sous l’influence du sang et pour la nécessité de la défense, ils s’étaient rapprochés les uns des autres ; au temps de Débora et de plusieurs autres Juges, ils avaient formé des unités, toujours transitoires, mais de plus en plus compactes. David fut assez heureux pour les conquérir et leur imposer sou hégémonie.

— i) Une pareille fusion n’allait pas alors sans l’unité religieuse. Le culte judéo-lévitique de YahweU supplanta chez les Israélites du Nord ceux des élohim variés auxquels ils rendaient leurs hommages ; une croyance et des pratiques cultuelles communesachevèrent l’œuvre d’unification déjà réalisée sur le terrain politique’.

158. — ~) A l’appui de cet étrange système, on allègue d’abord le vieux cantique de Débora (Jud., v). Les tribus du Nord y sont mentionnées : la plupart sont louées pour leur empressement à répondre à l’appel aux nrmes{Jud., v, 14, 15a|Ephraim, Benjamin, Machir, Zabulon, Issacliar], 18 [Zabulon, Nephthali ) ; d’autres sont blâmées pour leur indolence {Jud., V, 15h, 16, 17 [Ruben, Galaad, Dan, Aser]). Mais sur Juda le silence est complet, ainsi que sur Lévi et Siméon : tandis qu’au regard de Wellhausen^, ces deux dernières tribus n’existaient déjà plus, L. Cart^ préfère penser qu’à l’instar de Juda, elles étaient complètement en dehors du champ de vision de l’héroïne. Ces trois tribus n’appartenaient pas au groupement Israélite, elles habitaient encore le négéb ; on sait que dans la suite le lien le plus étroit fut conçu entre les territoires de Siméon et de Juda. Le silence qui frappe dans le cantique de Débora est constant dans le livre des Juges (Jud., iii, 7-1 1 est additionnel). — i) On se plaît à relever ensuite quelques indications sporadiques renfermées dans V Ilexatetique. Isolé de son contexte très tendancieux, le récit àeNnm., xxi, ai-aS » nous montre Israël conquérant sur Séhon les territoires orientaux compris entre l’Arnon et le Yabbok ; c’est qu’Israël vient de l’Est. D’ailleurs le roi amorrhéen va à sa rencontre dans le désert, c’est-à-dire vers les steppes des B’né[) Qédém. Ce texte, où il n’est pas question de Moïse, n’a rien à voir avec l’exode traditionnel. Débarrassés des innombrables retouches de D^, les éléments fondamentaux de /os » é(E, document Israélite) fournissent des renseignements qui convergent dans la même direction. Ils présupposent (/o5., Mil, 30, 31b ; XXIV, 35) une conquête de Sichem, une alliance conclue à Sichem, avec promulgation de lois et d’ordonnances. Or c’est à cette même conquête que fait allusion Gen., xlviii, 22, la reportant ainsi en pleine période patriarcale ; de cette mainmise sur Sichem, on peut rapprocher ce que dit Jud., i, 22-26 de la prise de Béthel par les Joséphites, non encore divisés en Ephraïmites et Manassites. Ces traits divers concourent à nous montrer la Palestine centrale conquise par les tribus du Nord’. — 6) Il n’y a pas d’ailleurs à distinguer entre deux invasions, l’une remontant aux patriarches, l’autre postérieure à Moïse. Une telle distinction n’est autre chose que le résultat des nombreuses retouches faites aux documents primitifs. Il serait assez facile de discerner les principales d’entre elles. Celles d’abord qui ont mis Josué, auquel on fait l’honneur de la conquête, en relations si intimes de dépendance, puis de succession, avec Moïse. Celles surtout qui ont trait à l’arche. A l’origine, r<i arche d’^'/o’Ai’m « (expression la plus fréquente dans I Sam., iii-vii et II Sam., vi-xv) n’était autre

1. Cf H. WiKCKLEB, GfscviVA/e…, p. 29-42. J. Cf..1. WELLUnvszTt, Isrælilische…, p. 37.

3. Op cit., p. 487-491.

4. Pour toute cette argumentation, cf. L. Cart, np. cit., p. 49C-50 : î. 783

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chose qu’un emblème religieux des Israélites du Nord, propre au sanctuaire de Silo, et elle n’avait peut être aucun rapport avec Yalnveh. Mais quand, après la conquête, David l’introduisit dans son tabernacle (Il Sam., vi), d’où elle devait passer dans le temple de Salomon, elle devint naturellement l’arche du Dieu judéen ; elle fut, par une conséquence facile à prévoir, mise en relation avec le Sinaï et Cadès'. — Enfin on tient compte des données de divers documents extrabibliques. On relève d’abord ce que les lettres de Tell el-Amarna nous disent des Habirii qui, peut-être attirés par les Hittites et les Àmorrbêens, envahissent la Palestine au temps d’Aménophis IV, c’est-à-dire au quatorzième siècle. L’identitication est adoptée de ces Ifabiru, non pas strictement avec les Israélites, mais avec ces envahisseurs araméens auxquels se rattachaient les Hébreux du Nord. On remarque d’ailleurs que, parmi les endroits auxquels se fixent ces immigrants, Artahipa, roi de Jérusalem, signale le pays de Sichem^. La mention de Jacobel et de Joséphel sur la liste des peuples soumis par Thoutmès III (1501-1447) attire pareillement l’attention ; il y faudrait voir deux noms de localités de la Palestine centrale pi'ès desquelles les Hébreux s’installèrent et qui servirent ensuite à en désigner les groupes principaux 3. Enlin il y a le fameux texte de la stèle de Ménephlah I (vers 1220). Au milieu de diverses allusions à des succès militaires, notamment à la prise d’Ascalon et de Gézer, on lit : .( Israilu, ses gens sont peu de chose, sa demeure n’existe plus ». C’est une allusion évidente à la présence d’un pouvoir Israélite en Palestine au temps du successeur de Rarasès II ' et nul doute qu’avant d'être si profondément atteint, ce pouvoir avait eu le temps de s'établir et de se fortilier.

159. — e) Nous ne pouvons indiquer dans le détail les formes diverses que peut revêtir cette théorie, la manière, par exemple, dont, avec une très ample documentation, Wilhelm Erbt* la présente. Mieux vaut en tenter une appréciation : — « ) Tout d’abord le postulat général sur lequel s’appuient ces systèmes ne s’impose nullement à notre créance. Un peuple peut se former de deux manières. Par la fusion de tribus auparavant distinctes, étrangères les unes aux autres ou n’ayant entre elles que des rapports lointains de consanguinité. C’est ainsi que les Cinéens ou les Génézéens ont pu s’introduire au désert parmi les Israélites. Mais un peuple peut aussi bien se former par le développement progressif, rapide parfois, d’un clan important ; les usages du désert actuel fournissent des analogies s. Il n’y a rien qui répugne en soi dans l’idée de l’unité primitive des tribus Israélites. — /3) Bien plus, cette unité primitive s’impose à l’histoire. Elle n’est pas seulement attestée par tels ou tels documents concrets. Il faut reconnaître, et les tenants de l’opinion contraire en font l’aveu, que, sous leur forme actuelle, tous les documents qui sont à la base de Vllexateuque témoignent en ce sens. — /) Sans doute on peut objecter que l’union des deux groupes, judéen et Israélite, a été assez éphémère ; on peut ajouter

1. Cf. H. WiNCKLEK, Gcschichtc…, I, p. 29-30 35-38, 59-66, 69-70, 70-77.

2 Cf. H. WmcKLER, Getchichte…, I, p. 16-21.

3. Cf. Léon Cart, AuSinaï.,.., p. 503, avec renvoi à Max Mui.LBR, Asien und Europa nach AUàgyptiscken DenkmdUrn, p. 162-164.

4. Cf. Ed. Mkter, Die UræHlen…, -p. 249, 251 sv., 281 sv.

5. Wilhelm Erbt, Die Hebrær, Kanaan im Zeitalter der hebrdisc/ien Wanderung und hebràiacher Slaatengriindungen. 1906.

C, Cf. p. Antonin Jaussen, Coutumes des Arabes aupays de Moab, notamment le chap. 11, La tribu.

qu’elle n’a jamais été parfaitement harmonique, qu’au temps des Juges, de Saiil et de David, on voyait poindre les germes des dissensions qui devaient aboutir au schisme. Il n’en est pas moins vrai que tous les documents qui parlent de ces désaccords insistent sur la fraternité primitive ; de part et d’autre, en Israël et en Juda, se manifeste le regret de la rupture ; de part et d’autre, les visions prophétiques mettent au rang des espérances celle de la restauration de l’unité antique. Or une telle unanimité de témoignages est inexplicable dans l’hypothèse d’une union qui aurait duré, tant bien que mal, pendant quelque soixante-dix ans seulement ; elle est surtout inexplicable si la réuuion éphémère n’a été réalisée que par la violence de la conquête et par une volonté jugée abusive et tyrannique. — 15) Il y a plus : les documents sont aussi unanimes en faveur de l’unité religieuse primitive qu'à l'égard de l’unité sociale et politique. On sait de reste que l’unité religieuse durable est de toutes la plus difficile à réaliser. On peut obtenir, il est vrai, une adhésion temporaire au culte extérieur du vainqueur ; mais, quand la conti-ainle aura disparu, les vaincus retourneront d’instinct aux usages nationaux qu’ils n’auront pas eu le temps d’oublier ; il faudrait une série de générations avant que la religion imposée de l’extérieur prit pied dans les âmes. David pouvait introduire l’arche d’Elôbim dans le tabernacle de Yaliweh et en changer le vocable ; mais cette mesure elle-même n’allait qu'à indisposer contre le culte judéen ceux qu’il avait dépossédés de leur palladium. En tout cas, ce n’est pas au bout de soixante ans que ces Yahwistes malgré eux se seraient à ce point attachés au Dieu de Juda qu’ils en gardent à jamais le souvenir. C’est pourtant ce qui est arrivé. Ils ont pu retourner à leurs pratiques cultuelles d’origine suspecte ; mais à tout jamais ils ont retenu le nom de Yahweh ; plusieurs siècles après la sécession, ils ont compris les prophètes Elle et Elisée, même le judéen Amos, quand ceux-ci leur parlaient de Yahweh et de ses exigences. La vigueur de David ne suffit pas à expliquer cette fermeté d’adhésion ; moins encore l’intervention de la qénite Jahel, aux côtés de Débora, pour contribuer, avec l’appui de Yahweh, son propre Dieu, au salut d’Israël (/(/(/., V, itt ; cf. iv, i^-aa) ! …

160. — £) Pareils souvenirs de l’unité primitive supposent que cette unité a des racines plus profondes qu’on ne se plait à le dire. Il faudrait des arguments très forts et très précis pour ébranler cette conclusion ; or ces arguments n’existent pas. Le silence du cantique de Débora au sujet de Juda trouve son explication toute nalm-elle dans les difficultés que cette tribu éprouva à s’installer parmi ses montagnes arides. D’autre part, les mêmes documents qui sont unanimes à faire venir du Nord les Israélites le sont pareillement, dans leur état actuel, à distinguer une double phase de migration. Les Abraharaides ont d’abord séjoiirné en Canaan à la façon de peuples encore nomades, attirés déjà sans doute par la vie sédentaire, mais ne s’installant pas encore à proprement parler ; les tribus vivaient d’une vie propre, assez isolée, ne constituant en aucune manière ce que l’on appelle une nation. Mais les fils d’Israël sont revenus ensuite sous la conduite de Moïse et de Josué ; ces tribus étaient alors plus étroitement unies, elles constituaient un peuple et elles étaient à la recherche d’une patrie. Entre ces deux invasions, les textes placent ic séjour de tous les fils d’Israël en Egypte. — ï) Inutile de l’ajouter. L’unanimité est pareille quand il s’agit de l’unité religieuse primitive : c’est le même Elohim que les patriarches adorent avant de descendre en 785

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Egypte. El ce Dieu des pères, les descendants sont d’accord, après les tbéopbanies du Sinai, pour le révérer sous le nom de Yaliweb et sous le sj nibole de l’arche. On n’a pas le droit de méconnaître la valeur de témoignages aussi explicites dans leurs dépositions. Il faudrait, d’autre part, des raisons tout à fait majeures pour préférer à de telles données celles que pourrait fournir un lambeau de texte, isolé de son contexte : on doit y regarder à deux l’ois avant d’admettre, ou bien que les rédacteurs ont méconnu le sens des documents qu’ils utilisaient, ou bien qu’ils en ont volontairement altéré la portée.

161. — ) Nous retiendrons que tous les fils de Jacob, moralement parlant, sont venus en Egypte. Nous n’avons pas, en dehors de la liible, de témoignages explicites à ce sujet. Jlais on l’a souvent remarqué : ce que nous savons de la situation de la vallée du Nil au temps des Hyksos éclaire admii-ablement les récits bibliques. Rien d'étrange à ce qu'à cette époque, des tribus sémitiques, poussées par la famine, descendent en cette vallée qui fut l’un des greniers principaux du monde antique. Tout naturel, d’autre part, l’accueil qu ils reçoivent des pharaons leurs congénères ; et, si ces derniers accordent aux Hébreux le séjour du pays de Gessen, ce n’est pas avec un parfait désintéressement : ils ont toutavantage à poster aux marches orientales du royaume, des sujets reconnaissants qui, en cas d’alerte, seront des veilleurs attentifs et, au besoin, des défenseurs dévoués. Il n’est pas jusqu'à l’histoire de la brillante carrière de Joseph qui n’ait reçu des documents hiéroglyphiques les lumières capables de l’expliquer. — 0)En adoptant cette conclusion, nous n’avons pas la prétention de dire que toutes les diflicultés disparaissent comme par enchantement. La présence de Jacobel et de Joséphel sur la liste de Thoutmcs III indiquerait, si ces noms avaient quelque rapport certain avec les Israélites, que des clans hébreux se trouvaient en Palestine entre la date présumée de la descente en Egypte et celle de l’exode. Quand ces découvertes furent publiées pour la première fois, des apologistes catholiques recoururent, pour expliquer ces textes, à l’hypothèse de plusieurs exodes, dont l’un antérieur à Moïse et contemporain d'.hmès I'. Il serait peut-être aussi simple d’admettre que tel ou tel clan de la famille de Jacob ou même de la tribu de Joseph ne descendit pas dans la vallée du Nil ; la Bible signale seulement les enfants qui naquirent à Joseph après son arrivée à la cour du pharaon. On pourrait aussi penserque, pendanlle séjouren Gessen, tel outelgroupe restreint aurait eu la nostalgie de ses montagnes. .ussi obscure que celle de Jacobel et de Joséphel est la question des Habira. Leur idenlilieation avec les Hébreux soulève toujours des dillicultés et est objet de controverses. Tel texte assyrien, récemment étudié par le P. Scheil, serait plut6t favorable à la thèse de la distinction- ; en tout cas, les Habiru y

1. Cf. Fr. DE MooR, L’E^yptoJo^ie et la Bible dans La Science catholique, 1897-1898, p. 899-920, 1058-1078 surtout 899-920.

2. Cf. V. Scheil, Les Habiri au temps de Rim-Sin (Notules, dans la Rei/ue d' Assyriologie, XII, 1915, p. 114 sv.). Ces llablri, mentiontiéB en un texte provenant de Larsa et de six cents ans antérieur h l'époque de Tell-el-Amarna, paraissent avoir été, à l’origine, une peuplade élamite, kassite ou ba. » -mésopotamienne. Ils servaient dans les milices de la dynastie élamite de Larsa ; on les employait sans doute aussi dons les contrées lointaines de l’Ouest où la suprématie des monarques orientaux devait se maintenir avec plus ou moins d’autorité, grâce à la présence de quelques troupes armées. Il resta encore possible que, conformément a l’opinion de H. Winckler, ce nom.

apparaîtraient plutôtcomme des émissaires à la solde des Babyloniens, en vue de troubler la Palestine et de créer des embarras aux pharaons. Aussi bien, si l’on est favorable à l’identilicalion, on n’en pourra rien tirer contre la descente de toutes les tribus en Egypte ; il y aura plutôt lieu d’examiner quel rejaillissement cette thèse peut avoir sur la discussion touchant la date à attribuer à l’exode. Il en faut dire autant de la mention d’Jsraitu sur la stèle de Ménepbtah I.

S" La sortie d’Egypte

192. — A. D’après la Bible. — Les données bibliques sont ici de nouveau fort claires..près la mort de Joseph et de tous ceux de sa génération (Ex., i, fi ; J), les Israélites connurent encore de longs jours de prospérité (Ex., I, / ; P) sous des pharaons qui leur étaient favorables. Mais survint ensuite un roi qui ne connaissait pas Joseph ; son avènement fut pour les Hébreux le point de départ d’une terrible persécution [Ex., i, 8-10, l’j* 201), J 12, 15-22*, E ; 13, 14*, P). Cependant Dieu préparait en Moïse le libérateur de son peuple [Ex., ii, 1-10, E). Ce (ils de Léïi [Ex., il, 1 ; E) fut vivement affecté par le spectacle de la misère de ses frères [Ex., ii, 11-14 ; J ou E). A la suite de divers incidents et pour échopper à la colère du pharaon, il se retira au pays de Modian ; il y entra en relations avec un prêtre, Kaguel selon le récit yabwiste [Ex., II, 18 ; à moins que, d’après Num., x, 29, il ne faille corriger ; Hobab 61s de Hnguel [Rt’uél]], Jelbro (i’ilMrô) selon le récit élohiste (Ex., iii, 1 ; iv, 18 ; xviii, 1, 2, 5 6, 9, 10, 12) ; il épousa une de ses filles [Ex., ii, 15-22 ; J) ! Son séjour en.Madian se prolongea et le pharaon oppresseur mourut (£'i-., ii, 23a5< ; J). A cette occasion les cris de détresse des Israélites montèrent plus pressants vers le ciel [Ex., II, 23a : i-25 ; P). Or, comme Moïse conduisait le troupeau deson beau-père (( deri-ière le désert » ['ahar hammid^bûj), il arriva à la montagne de Dieu, à l’Horeb {Ex., iii, 1 : E). Là eut lieu l’apparition divine en forme de flamme, du milieu du buisson. Dieu confia à Moïse la mission de délivrer son peuple ; en même temps il lui révéla son nom de Yaliweb, multiplia les signes les plus capables de le réconforter, lui donna à lui-même le pouvoir d’en accomplir et de se servir à cette fin de son bâton. Moïse retourna vers son beau-père et obtint de lui la permission de revenir en Egypte. Sur le chemin du retour, il eut h affronter la colère de Yahweh ; en arrivant, il rencontra son frèie Aaron qui venait au-devant de lui. Tous deux se présentèrent au phaiaon ; s’appuyant sur l’autorité de Yahwob, ils lui demandèrent de permettre aux Israélites de se rendre au désert, à trois jours de marche, pour célébrer une fête en l’honneur de leur Dieu. Mais le roi s’endurcit et rendit plus terrible encore le sort des Israélites (J ; Ex., iii, 2-4a, 5, 7, 8*, 16-20* ; iv 1.14a-^ 19, 20a, 24-26, 29*, 30b, 31a ; v, la*, 3, 5-23 : vi, 1. — E ! £a-., III, 1, 4b, 6, 9-15, 21, 22 ; iv, 17, 18, 20b [21-23]', 27, 28 29*, 30a, 31b ; y, 1*, 2, 4. — P ; Ex., vi, 2-30 ; vii, 1-13). Il ne fallut rien moins que les dix plaies pour avoir raison de sonobstinotion{J : Ex.. vii, 14, 15a, 16, 17*, 18, 21a. 24 25, 26-29 [Vulg. viii, 1-4] : viii, 4-llao : [Vulg. 8-15a..], 16-28 (Vulg. 20-32] ; IX, 1-7, l.i-2 ! , 23b, 24, 25b-30, 33, 34 ; x, 1-1 1, 13b. 14a, j-19, 24-26, 28, 29 ; xi, 4-8 ; xii, 21-23, 27b, 29, 30. — E : Ex., VII, 15b, 17b*, 20*, 23 ; ix. 22, 2.3a. 25a 35a ; X, 12, 13a, 14a « , 20, 21-23, 27 ; xi, 1-3. — Rd : Ex., xil, 24-27a._P : £j-., vii, 19, 20a*, 21b, 22 ; ïiii, 1-3, 11* [Vulg. 5-7, 15], 12-15 [Vulg. 16-191 : IX, 8-12 [Glose ; 31, 32 : Rp. : 35b] : [Kp. : xi, 9, 10] ; xii, 1-20, 28). Après celle qui atteignit les premiers-nés, le pharaon lui-même invita les Israélites à quitter le pays, lis partirent aussitôt, au nombre de six cent mille, sans compter les femmes et les enfants, sans compter non plus une grande multitude de gens de toute sorte qui monta avec eux ; ils avaient séjourné quatre cent trente ans en Egypte. Leurs premières stations furent Ramsès, Socotb, Etham h l’extrémité du désert, Pbibahirotb près de la mer. Cependant le pharaon se ravisa et se mit à la poursuite des Hébreux. Grande fut

d’abord ethnique, soit devenu, dans la suite des temps, appellatif.

1. Quand elle n’indique pas les particularités de la Vulgate, la paienlbèse à crochets signale ou bien les éléments rédactionnels, ou bien les attributions douteuses. 787

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leur détresse ; mais Moïse étendit son bvton sur la mer et les Israélites y passèrent k pied sec. Les eaux rcTinrent ensuite sur elles-mêmes et engloutirent les Egyptiens qui s’étaient aventurés dans le lit de labime. Moïse composa un chant d’action de grâces que Marie, sa sœur, interrompait par des refrains de délivrance |J : Sx., m. 31, 32, 38 ; XIII, 21, 22 ; xiv, 5-7’*, 10’, 11-14, ly, 20a, 21a ?, 24, 25 27a ! b, 30, 31. — E : Ex., xii, 33, 36, 39 ;.iii, 17-19 ; .iv 5-7* 10*, lôai, 16aa, 19a, 20 » ;.w, 20, 21.— Rd : Ex., Iii’3-l(j’— P : XII, 37, 40-42, 43-51 ; xiii, 1, 2, 20 ; xiv, 1-4 8 9, 10b-., 15*, 16a.î.l8, 21a « b, 22, 23, 26, 27a », 28, 29. R : Ex., XV, 1-19)1.

163. — B. Moïse. — a) Le pays où séjournèrent les Israélites dans l’empire des pharaons, porte deux noms ; il s’appelle pays de Gessen (Gvsén ; Geii., XLV, lo ; XLvi, 28, 34 ; XLVii, I, 4, 6, 27 ; Ex., viii, 18 [Vulg., 22] ; IX, 26 ; tous textes de J) et pays de Ramsès (Geii., xlvii, ii ; £.r., xii, 3-j ; ^’um., xxxiii, 3, 5 ; textes de P). Les Septante ont généralement traduit’éré.^ gôsén par yf, Ti^iu ; deux fois ils ajoutent un complément : -/fi Fctsu’Ap « /3ïa ? (Gen., xlv, 10) ou’Apx, îty. (Gen., xlvi, 34) ; deux fois ils remplacent par y.v.d’'Hp’^uj T.on-j (Gen., xlvi, a8, 29) ; une fois enfin ils ont la leçon conciliatrice z^S' 'Vp’M>j tto/iv lii -/vj’Px/ii^-ir : (Gen., XLVI, 28). Les détails fournis par le texte biblique au sujet de Gessen sont peu nombreux, mais caractéristiques. C’est moins un pays de culture que de pâturage (Gen., xlvi, 34 ; xlvii, 6, 1 1) ; il est, par conséquent, situé au delà des terres atteintes par les inondations du Nil, bien qu’une branche du Ueuve en soit assez rapprochée (^.r., 11, 3-io). C’est une région assez distante de la résidence du pharaon et de Joseph, donc éloignée du centre du royaume (Gen., xlvi, 28, 29) ; elle est située à la frontière orientale (E.T., xii, 87 ; xiii, 20 ; xiv, 2) et les Egyptiens n’y habitent guère (Gen., xlvi, 34’^). On y trouve les villes de Pithom et de Ramsès (A’.r., I, II). En ajoutant à deux reprises le complément’Apx^ixi, Wpcrîiy., le traducteur grec avait probablement en vue le nome d’Arabie que les auteurs anciens mettent constamment en relation avec celui de Bubaste ; la traduction i près d’Héroopolis », véritable traduction par équivalence, nous ramène au même endroit ; de même, les premières stations des Israélites à leur départ (Ex., xii, 87 ; xiii, 20). Enlin la découverte de Pithom (Héroopolis) parM. Naville(1883) apporte sur le sujet une lumière définitive. Pithom correspond au Tell el-Maskhuia actuel, dans tyâdi Tumilat, sur la voie ferrée de Zagazis ; (Bubaste) à Ismaïlieh. Nul doute que tel ne soit en gros le site du pays de Gessen-.

164. — by Dans cette région, nous l’avons dit avec la lîible, les fils de Jacob connurent, sous les Hyksos et les rois-pasteurs, des jours heureux. Il en fut autrement à partir de l’époque où.hmès, le fondateur de la dix-huitième dynastie, entreprit de libérer la vallée du Nil de la domination étrangère ; les Asiatiques immigrés devinrent suspects aux pharaons, ceux-là surtout qui, établis près de la frontière orientale, pouvaient être plus facilement soupçonnés de faire le jeu des ennemis. De là, à défaut d’une expulsion violente, les vexations de toutes sortes auxquelles les Israélites furent en butte. Sans doute les corvées dont parle la Bible étaient le sort ordinaire des étrangers, de ceux-là surtout que l’on traitait en prisonniers de guerre. Mais les Israélites, qui n’avaient pas perdu le souvenir de leur ancienne

î. La répartition en documents, que nous somnïCB loin de donner pour certaine, est conforme à celle de Cari Steueknagel, Lehrbuch…

2. Cf. Kr. M.-J. Lacrasge, L’itinéraire des Israélites du pays de Gessen aux bords du Jourdain, dans Revue lîiàli’que, 1900, p. 63 st., surtout p. 71-80. L’auteur ne démontre pus ces idenlilications, il les suppose acquises.

indépendance, firent monter leurs gémissements vers le ciel. Le ciel les entendit. Dieu leur envoya Moïse.

168. — c) On ne saurait entreprendre de traiter ici tous les points de détail qui, dans la vie du grand législateur, intéressent l’apologétique, de chercher, par exemple, à rendre compte des particularités que la Bible a relevées touchant son enfance (Ex., 11, i-io). Une constatation plus importante est à faire. On ne traite plus aujourd’hui l’existence de Moïse comme étant seulement « très probable », ainsi que le faisait E. Rbnan’. Les critiques qui comptent sont unanimes à reconnaître la nécessité d’un personnage de très grande envergure à l’origine de la nationalité Israélite et du Yahwisme. Ceux-là mêmes qui réduisent à si peu de chose les groupements de tribus qui montèrent de Cadès déclarent ne pouvoir s’en passer. Il en est de même à plus forte raison de ceux qui rattachent au Sinaï la fusion de tous les éléments qui devaient constituer le peuple d’Israël. Le nom de Moïse (Moséh) est égyptien ; c’est un indice sélieux touchant le lieu de sa naissance. On ne fait plus guère difTiculté de le rattacher à la tribu de Lévi (cf. Ex., II, vi, E ; i, 16-20, P) ; son rôle dans l’établissement du culte de Yahweh, qui sera l’apanage de cette tribu, confirme cette donnée du texte sacré. D’autre part, on reconnaît assez volontiers que le séjour de Moïse près de la fille du pharaon favorisa son éducation, qu’il participa en quelque manière à la culture intellectuelle de la haute société égyptienne (cf. Act., VII, 22) ; on ne songe plus en tout cas à le traiter comme un illettré, ne sachant ni lire ni écrire. Enfin les critiques se montrent moins sceptiques que jadis touchant l’existence et le rôle d’.aron.

166. — 1/) Le premier fait qui attire l’attention est ce voj’age de Moïse au pays de Madian au cours duquel il reçut sa mission et la révélation du nom de Yahweh. Sur cette mission et cette révélation, cf. J. ïouzARD, Juif (Peuple), dans Dictionnaire apologétique de la foi catholique, lome II, col. 1565-1651, surtout 1600-1603. Nous nous bornerons ici à quelques observations en rapport avec certaines opinions en cours. Nous savons que le nom de Madian a désigné, au moins à une époque donnée, le pays qui s’étend sur la côte orientale du golfe élanitique. Est-il nécessaire d’admettre que Moïse soit allé jusque-là ? On pourrait d’abord remarquer que, d’après diverses données bibliques (cf. Gen., xxxvi, 35 ; xxxvii, 28, 36 ; IViim., XXII, 4, 7 ; xxv, 6-18 ; xxxi ; Jud., vi-viii), les Madianites apparaissent comme des bédouins pillards qui poussent leurs migrations en diverses directions et parfois très loin. Mais on peut arriver à une plus grande précision. Le beau-père de Moïse est qualifié tantôt de Madianite (Ex., 11, 16, J ; iii, i, E ; A’um., X, 29, J) et tantôt de Cinéen-Qènite (Jud., i, 16 ; IV, II) ; c’est un indice ([u’il y a entre ces deux tribus une affinité étroite, celle au moins qui relie un clan à une tribu plus étendue. Or des textes nombreux placent le séjour des Cinéens-Qênites dans le négéb de Juda (Jud., i, 16 ; I Sam., xv, 6 ; xxvii, -10 sv. ; XXX, 29 sv. ; etc.). C’est peut-être en cette région que Moïse a rencontré le prêtre de Madian. — () Une autre remarque est plus importante. Il ne résulte nullement des textes que le lieu où Moïse a reçu sa vision fut au pays de Madian. Dans le récit élohiste (Ex., iii, i), la montagne de Dieu ou Horeb est « au delà du désert » ou » derrière le désert » (peut-être : à l’occident du désert), d’une certaine manière sur le chemin du retour en Egypte, comme l’indique Ex., iv, 27. Le rédacteur qui a fusionné J et E a du trouver une indication pareille dans le

1. E. Reman, Histoire…, I, p. 159. 789

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Yahwisle à propos du buisson ; c’est thi moins ce qui explique le mieux les rapprochements qu’il a établis. Des critiques pensent d’ailleurs que le buisson se trouvait, lui aussi, sur la voie du pays de Gessen ; ils lisent, en elJ’et, Ex., iv, ig, 20 (24-26) entre E.r., II, 2lja « , et Ex., III, 2 (dans les Septante, E.r., 11, aS »  » est répété avant Ex., iv, 19). Les textes, par conséquent, ne favorisent aucunement l’iiypolbcse d’après laquelle la montagne des révélations divines aurait été au pays de Madian (ou de.yii.^ui), aurait été un sanctuaire en vue dans ces régions.

167. — /) Il n’y a de même aucun appui dans les textes pour cette autre hypothèse selon laquelle Woïse aurait emprunté aux Madianites ou aux Cinéens-Qônitcs le nom et le culte de Yahweh. On l’ait état d’un certain nombre de données dignes à la vérité d’être soulignées. Il est incontestable qu’en sa fuite Moïse entre en relations avec les Madianites, relations si étroites qu’elles seront consacrées par un mariage ; il convient même de noter que ces rapports s’établissent avec le sacerdoce madianite (E.v., 11, 16-22, J). Ces relations ne demeureront pas purement personnelles ; lorsque Moïse retournera au désert à la tête de son peuple, elles aboutiront à des liens durables avec les enfants d’Israël. Le récit inachevé de iV ; // »., x, 2g-32, J, semble Iciuoigner en ce sens à propos des Cinéens-Qênites ; en tout cas des textes tels que Jud., i, 16 ; IV, II, 17-22 ; V, 24-2^ tendent à faire accepter cette interprétation ou du moins à faire retenir les conséquences qui en découleraient. D autres passages (fos., XIV, 6-15 ; XV, 13-iij ; Jud., i, 12-15) nous montrent d’autres tribus du rtégéO, les Céuézéens-Qenizzites (Galébites), entrant à leur tour dans l’unité Israélite. Il y a plus : certaines de leurs attitudes, certaines manières de parler (i’j-., xviii, y-12, E ; iVum., x, 29-82, J ; /o.s., xiv, 6-12) imiteraient à regarder ces tribus comme connaissant Yahweli et pratiquant son culte. On remarquera toutefois qu’en serrant de près les textes, on découvre qu’ils n’ont pas une portée aussi précise ; si, par exemple, ces bédouins parlent eux-mêmes de Yabweh, c’est en s’adressant aux chefs d’Israël et apparemment par déférence pour eux. Ce n’est pas qu’à prendre les choses en soi, il ne puisse y avoir des atlinités entre la religion des Madianites et celle des fils d’Israël. Madian est fils d’Abraham par Cétura (Gen. xxv, 2) ; par Eliphaz, ûls d’Esaii, Cénez, l’éponyme des Conézéens-tjenizzites, se rattache à son tour à la famille patriarcale (Gen., xxxvi, 11). Rien d’impossible à ce que, eux aussi, ces lils du désert aient (idèlement gardé le souvenir de l’Elohim du père des croyants ; à ce titre, le Dieu des Madianites aurait pu dire à Moïse qu’il était le Dieu des ancêtres (ISx., iii, 6, E) communs. Mais rien ne sert de s’arrêter à ces possibilités ; les textes ne se prêtent pas à ces interprétations. La scène du buisson et de l’IIoreb est racontée comme un événement imprévu, subit. Il se pourrait que l’appellation de « montagne de Dieu » (Ex., iii, i) évoquât l’idée d’un sanctuaire qui, d’abord païen et peut-être consacré au dieu Sin (lune), fût devenu, sous un nouveau vocable plus rapproché du monothéisme, cher aux bédouins du négéb ou de la péninsule sinaïtique. Rien toutefois n’autoriserait à voir dans le passage fameux de l’Exode le récit d’une initiation à la religion et au culte des Madianites. Les paroles de Dieu à Moïse témoignent nettement que la préparation à la révélation du nom de Yalnveh s’est opérée au sein des tribus Israélites elles-mêmes, que c’est parmi elles qu’il en faut rechercher les antécédents. Ce qu’il y a de plus spëciliquerænt nouveau, c’est la révélation du nom sous lequel ce Dieu veut être honoré des flls d’Israël, c’est une

manifestation plus précise de la personnalité et des attributs de ce Dieu.

168. — C. I)ii pays de Genen au delà de la mer Itoiif ; e. — Eclairé par les révélations dont il avait été favorisé, soutenu par son patriotisme, secondé par son frère. Moïse revint en Egypte pour alfranchir son peuple. Malgré l’obstination du pharaon, malgré certaines difficultés que les Israélites eux-mêmes lui suscitèrent, il aboutit à faire sortir ces derniers de la maison de servitude. — a) Nous ne* reprendrons pas la discussion si savamment contluite par A., MAM.oN(art. Egypte, dans Dictionnaire apoloiiétiquc (/( la fui catholique, tome I, col. 1301-1343) sur la date de l’exode. On sait que la diversité des opinions provient en partie des ressemblances qui existent entre les vicissitudes des dix-huitième et dix-neuvième dynasties égyptiennes. La première a pour point de départ un acte vigoureux d’Ahraès pour rétalilir l’autorité nationale et traditionnelle sur la vallée du Nil ; elle atteint son apogée lorsque Thoutmès III impose avec une irrcsistiljle énergie le joug égyptien à l’Asie antérieure, y compris la Palestine ; la décadence commence avec Amènophis III et se consomme avec Amènophis IV. U y a plus d’un trait de ressemblance entre Ahmès et le pharaon restaurateur Harmhabiqui inaugure la dix-neuvième dynastie, entre ïhoutmès 1Il et Séti I ou Ramsès II, entre Amènophis III et Ménephtah. Toutefois ni Ramsès II n’agit avec autant de vigueur que ïhoutmès III, ni surtout Ménephtah n’est faible comme Amènophis III. En comparant ces deux dynasties, on arrive à cette conclusion que Thoutmès III et Ramsès II se présentent sous les traits qui caractérisent le pharaon oppresseur des Hébreux, Amènophis III et Ménephtah dans les conditions qui expliquent la facilité relative de l’oeuvre de délivrance. S’il était établi que les Jlabiru sont identiques aux Hébreux, on serait presque nécessairement amené à placer l’exode sous Amènophis III et l’entrée en Canaan sous Amènophis IV. A défaut de la certitude voulue touchant cette identification, il faut prêter attention à ce qui est dit des Israilu sur la stèle de Ménephtah. Ils y apjjaraissent comme un peuple déjà lixé en Palestine de la même manière que tous les autres dont parle le vainqueur. D’auire part, l’importance qui est attachée à leur déroute ne permet guère de songer à un petit groupement demeuré en Canaan lors de la descente de Jacob en Egypte, moins encore à quelques émigrés ayant quitté la vallée du Nil avant Moïse. Aussi l’hypothèse qui rendrait plus facilement compte de la situation serait celle qui placerait lexode à la lin de la dix-huitième dynastie. Arrivés en Canaan sous Amènophis IV, les Israélites auraient eu le temps de s’organiser et de grandir avant d’inspirer des inquiétudes au successeur de Ramsès 11. Ce n’est pas tout. Dans cette perspective, la lin de la période des Juges correspondrait facilement au temps de la vingtième dynastie ; on s’explique alors que les derniers juges et les premiers rois aient autant à lutter avec les Philistins dont la présence en la Sepliélah est attestée pour l’époque de Kauisès III. Il faut aussi le noter, la lin delà dix-huitième dynastie constitue un cadre admirablement adapté au récit de la sortie d’Egypte. Fatigués de la tyrannie de Thoutmès ill, excités par Moïse, les Israélites ne pouvaient que trouver tout naturel de profiter de la faiblesse d’Amènophis III pour se soustraire à une autorité qui les avait exaspérés. En même temps ils ne quittaient pas l’Egypte sans un but précis, ainsi qu’on se plait quelquefois à le dire. Ils n’étaient pas dénués d’informations sur ce pays de Canaan dans lequel leurs pères avaient séjourné ; ils savaient en quel état 791

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792

d’éniietlement et d’anarebie il se trouvait ; ils ne pouvaient manquer de le regarder comme une proie facile que les pharaons alfaiblis ne les empêcheraient ni de convoiter ni de conquérir. L’occasion étrjt propice ; ils se laissèrent sans trop de difficulté convaincre de la nécessité de la saisir ; ils se préparèrent au départ.

169. — /’) Il n’entre pas dans le plan de cet article de procéder à l’identilication minutieuse de leurs étapes successives. Nous indiquerons seulement l’opinion qui tend à s’accréditer parmi les catholiques touchant l’endroit où se lit la traversée de la mer Rouge. Les documents indiquent les étapes suivantes : Ramsès (Ex., xii, 3^, P ; Num., xxxui, 3, P), Sukkôlh (Ex., XII, 3^, P ; xiii, 20, P ; Nitm., xxxiii, 5, P), Elham (Ex., xiii, 20, P ; Num., xxxiii, 6, P), Pihahirôlh (Ex., xiv, 2, P ; Num., xxxiii, 7, P). Ranisès était à un endroit où l’on pouvait choisir sntre la voie de la côte et celle du désert, sans ioute non loin de San. Or Yahweh ne conduisit pas les enfants d’Israël par le premier de ces chemins [Ex., XIII, 17, E) ; par conséquent, ils ne se dirigèrent pas vers la Méditerranée, vers El-Qantara. Ils suivirent l’autre route et les stations de SukkôtU et cl’Elham les amenèrent aux confins du désert (Ex.,

XIII, ao, P ; Num., xxxiii, 6, P) ; c’était l’itinéraire normal et l’on peut penser qu’il passait à El-Djisr, au N’orddulac Timsali. Mais Yahweh les lit changer de direction, si bien que le passage par Pihahirôlh a ious les caractères d’une contre-marche ( ! ^x., xiv, 2, P) destinée à préparer la manifestation de la gloire livine (Ex., xiv, 3, 4, P)- Or Pihahirôth se trouve iutre Migdol et la mer, en face de Baalsephùn (E.r.,

XIV, 2, P ; Num., xxxiil, 7, P). Ils campèrent donc ievant la mer (Ex., xiv, 2, 9, 16, 21-23, 26-30 ; xv, 1, 4, 8, 10 ; cf. I.S., xLiii, 16 ; Li, 10 ; Lxiii, 11 ; Ps. LXVI, 5 ; Lixviii, 13, 53 ; cxiv, 3) ou, comme on dit ailleurs, devant la mer des roseaux (Yam siip^ : Ex., xiii, 18 ; XV, 41 22 ; Deui., II, i ; Jos., 11, 10 ; iv, 23 ; xxiv, B ; cf. Ps. cvi, 7, 9, 22 ; cxxxM, 13, 15). Personne, ou à peu près, ne doute qu’il s’agisse de la mer Rouge. Mais, à réi)oq Lie de l’exode, « la géographie du temps de la dix-huitième dynastie nous montre la mer Rouge remontant, quoique par des jiassages à peine continus et par conséquent à peine inondés, jusqu’aux environs de Pithom ou Héroopolis, qui donna son nom au golfe » (Lagrange). C’est dans cette région, peut-être au Sérapéuni, entre le lac ïimsah et les lacs Amers qu’aurait eu lieu le passage’.

170. — c) La principale difficulté de ce contexte provient du nombre des émigranls ; et cette difficulté s’accroît singulièrement quand on songe que quarante ans durant, cette multitude énorme devra vivre dans les steppes arides du SLiiaï. « Le total des personnes de la maison de Jacob qui vinrent en Egypte était de soixante-dix. » (Gen., xlvi, 27, P). Au bout de quatre cent trente ans (Ex., xii, 4°. P), l^s Israélites s’étaient singulièrement accrus. Us sortirent au n nombre d’environ six cent mille piétons (mâles) sans compter les enfants « (Ex., xii, 3j^, P[JE, ?]) ; cette donnée est conûrmée par Num., xi, 21, J[ ?]. Le texte ajoute d’ailleurs qu’une grande foule composée d’éléments hétérogènes, comme il s’en pouvait trouver près de la frontière, s’adjoignit à eux (Ex., XII, 38, J). On connaît, d’autre part, les deux recensements du Code sacerdotal, le premier aboutissant (Num., i, /J6) à six cent trois mille cinq cent cinquante hommes en état de porter les armes, sans compter les lévites, les femmes et les enfants ; le deuxième aboutissant (Num., xxvi, 51) dans les

1. Fr. M.-J. Lagraxce, L’itinéraire…, surtout p. 71 81. La citation ci-dessus reproduite provient de la p. 7b.

mêmes conditions au total de six cent uu mille sept cent trente. Beaucoup de commentateurs ont remarqué combien il est difficile d’admettre qu’un si grand nombre d’Israélites — en tout plus de deux millions

— ait pu vivre même dans le pays de Gessen, à plus forte raison dans le désert de Cadès. La difficulté, il faut le reconnaître, est des plus graves. La critique textuelle n’offre pas d’éléments de solution, puisque les nombres en question sont les mêmes dans les textes et les versions. La critique littéraire serait peut-être plus accommodante. On pourrait par exemple, faire appel au caractère schématique, artificiel, du Code sacerdotal, aux exagérations à tendances midraschiques de certains remaniements qui y ont été faits après coup, aux amplillcalions et déformations de certaines traditions qu’il a insérées sans que ses auteurs se prononcent sur leur valeur ; il serait d’ailleui-s peut-être juste de noter qu’il s’agit ici de détails n’atteignant pas la substance des faits. Cette hypothèse aurait pour complément assez naturel celle de retouches harmonistiques faites après coup à YElohiste ou au Yahwisie (Ex., XVI, 37 ; Num., X, 2O. Mais a-t-onle droit de s’avancer de pied ferme sur un terrain aussi brûlant ?

3" Dans la péninsule sinaïtiqne

171. — A. Données bibliques. — Si l’on fait provisoireiueut abstraction des incidents secondaires qui y sont rattachés, des législations multiples qui y sont insérées, le récit du voya ; ^e des Israélites au travers de la péninsule du Sinaï, se laisse, dans l’état actuel du texte, résumer comme il suit : — a) Au sortir de la mer Rouge, les émigranls marchent trois jours dans le désert de Sur (sûr}, arrivent à Alara (mârâh}, puis à Elim (’e[y] ! îm : Ex., xv, 22-2fia [JE], 27 [P] : 25b serait de E, 26 de Rd). D’Elim ils vont ou désert de Sin (sin), qui est entre Elim et le Sinaï (Ex., XVI, 1, P). — b) Du désert de Sin, suivant les marches réglées par Yahweh, ils viennent à Rophidim {r’p^’id^im : Ex., zyi, , P). Dans ce contexte est raconté le miracle des eaux de Massah [massà/t] et Méi-ibuh [tn’n’b^’âh], h un endroit où se trouve un rocher qui ©si en Horeb (Ex., xvii, Wi-1, J et E ; noter le vers, fia ».), D autre part, en connexion explicite avec Raphidim est mise la victoire des Israélites sur Amalec (Ex., xvii, S-lfi, E). — c) La suite du récit suppose, ou bien que Raphidim est la montagne de Dieu (cf. xvii, 6aa), ou bien que, par une nouvelle marche sous-entendue, on y est arrivé. C’est, en effet, d la montagne de Dieu (Ex., xviii, 5) que Moïse reçoit la visite de Jétliro, son beau-père (£j’., x’iii, 1-27 ; surtout E. avec « juelques traits de R). De fait, on dit ensuite, d’une manière expresse, que de Raphidim les Israélites sont venus au Sinaï où ils sont arrivés au début du 3’mois après la sortie d’Egypte ; ils campent dans le désert vis-à-vis delà mont.igne (Ex., xix, 1, 2^^ p ; ^b. Ej —, i) Le séjour du Sinaï (Ex., xix — Xum., i, 10), si fécond au point de vue delà constitution de la nation israélile, se prolonge jusqu’au 20 du 2= mois de l’an 2 de la sortie d’Egypte (Num., x, 11, P). Quand tous les préparatifs ont été prévus et réalisés, Israël se met en marche au signal donné par Yahweh lui-même. On dirait d abord que d’un trait il arrive au désert de Paran (pà’rân ; iXum., x, 11, 12, Ps). Toutefois on s’aperçoit bientôt que les premières stations sont : Thabéera (tab'êrâh : A’ « m., xi, 1-3, E), Qibroth-Haltaava (Qib^’rdt Uatla’<^vah ;.Vnm., xi, 4-34, surtout J avec traits empruntés à E), Qaséroth (HHérot^ ; I’um., xi, 35, J), enfin Paran (Num., xii, lC[Vulg., xiii, 1], J). — e) La suite immédiate du récit (Num., xiii-xiv ; très composite, JEP) donnerait à entendre que déjà l’on est à Cadès ; c’est du désert de Sin (sin), en effet, que les espions parlent pour explorer Canaan (Num., xiii, 211’[Vulg. 22^], P), Ils reviennent, il est vrai, dans le désert de Paran (.Vum., xiii, 26a [Vulg. 27a], P) ; mais on sait que le désert de Sin, où se tfouve Cadès. n’est qu’une région du grand désert de Paran ; d’ailleurs le texte ajoute expressément que le lieu du retour des espions est Cadès (A’wm., xiii, 26a [Vulg. 27a], P). C’est dans le désert de Cadès que les Israélites, à la suite de faiîs sur lesquels nous reviendrons plus loin, paraissent être condamnés à errer pendant quarante ans 793

MOÏSE ET JOSUÉ

[Num., xiv, 31 [E ?], 34 [P.’J), laque semblent se produire les incidents et se développer les législations dont il est question Num., xv-xix. Néanmoins c est seulement avec I’um, XX, la-x (P) que nous voyons les Israélites arriver au désert de Sin dans le premier mois, que nous apprenons {.Vk/h., xis, la ?i>, E) que le peuple séjcuirna i Oadès et que Mûrie, sœur de Moïse, y mourut. Suit (jVk/ «., xx, 2-13, E et P) le miracle des eaux de Méribah. Après quoi se préparent les étapes qui de Gadès conduiront Israël dans les plaines de Moab, — f) On ne saurait dissimuler les heurts que produisent en ces récits la juxtaposition et la combinaison des divers documents. Mais il est deux points d’une absolue certitude. Dans les récits actuels, les Israélite » n’arrivent à Cadès qu’après être passés au Sinaï. D’autre part, le Sinaï se trouve dans la partie méridionale et montagneuse de la péninsule. — g) Jusqu’à ces derniers temps, aucun doute ne s’était élevé sur les grandes lignes de cet itinéraire. On discutait seuleoient au sujet d’identifications locales parfois très difficiles ; on se demandait si, dans le massif méridional, c’était le Serbdloue Dj’ébcl Miisa ou le Safsâf qui avaient servi de marcbcpied à Yahweh. Mais des opinions se sont récemment produites auxquelles il nous faut prêter quelque attention.

l’78. — B. Les opinions des critiques. — C’est une idée à peu prés courante dans l’école de Well-BAUSBN, que les Israélites sont allés directement de l’Egypte à Gadès sans passer par le Sud de la péninsule sinaïlique. — a) Un argument d’ensemble domine cette théorie. C’est que, dans le cas où les fils de Jacob quittaient l’Egypte pour s’acheminer vers la Palestine, telle était, à défaut du chemin de la côte méditerranéenne, la voie normale pour s’approcher de la frontière à conquérir. C’est que tel était aussi l’itinéraire tout indique au cas où, sans un but ultérieur, les Israélites eussent simplement voulu échapper à la servitude, regagner le désert, c’est-à-dire peut-être leur point de départ et leur séjour primitif. Le détour par le massif méridional ne correspond à aucun itinéraire rationnel. — b) Du voyage conduisant directement les émigrants de l’Egypte à Cadès, les critiques prétendent retrouver les traces dans les récits eux-mêmes. D’après Ex., iii, 18, E [ ?], Yahweh, du milieu du buisson, invite Moïse à demander au pharaDU la permission de faire, à la tête des Hébreux, un voyage de irais jours pour aller sacrifier à l’endroit même de l’apparition. De fait (Ex., v, 3, J), Moïse présente cette requête au roi qui refuse de l’accueillir. Mais, à la suite du passage de la mer Rouge, on voit les Israélites marcher trois jours dans un pays sans eau, c’est-à-dire dans le désert (Ex.,

XV, 22*’, JE). Cette indication a pour suite Ex., xvii, i(JE), qui de nouveau nous remet dans un désert sans eau. C’est alors que prend place le miracle de la source de Massah-Méribah (Ex.. xvii, 2^--j, JE). Ce miracle serait identique à celui de la source de Méribah qui est racoi.té A’um., xx, 2-13 (i" », 3^, 5, gaab.^ g*, iiaby^ de E ; le reste de P) et explicitement localisé à Cadès. — c) Nous aurions donc déjà un doublet. Il y en a d’autres : celui de la manne (Ex.,

XVI, 2-36, et Num., xi, ! -çj), celui de l’adjonction des anciens à Moïse pour le jugement et le gouvernement du peuple (Ex., xviii, 13-26 [E]et Num., xi, lo25 [J, sauf 1 1*, 12, 14, 16, 17, a4*, a5, qui se rattachent à Ej). Il est clair que ces doublets ne se rapportent en chaque cas qu’à un seul et même événement, que tantôt les documents primitifs (J, E, P ; ila pour la manne et les anciens), tantôt les rédacteurs (RJE ; les eaux de Cadès) ont placé en des contextes et en des cadres locaux différents. Dans les deux hypothèses, ces doublets attestent des variations touchant l’itinéraire des Hébreux au désert.

173. — d) Le premier itinéraire conduisait directement les Israélites à Cadès (Wellhausen’, Bernard

l.Cf. J. W’ellhaushn, hrælitische…, p. 13-14 ; Prolegomena zur Geschichte Iiræls, 3 » éd., 1899, p. 357-359.

Stadb’, Bruno Bæntsch^, Edouard Meyeh-’). C’ctail celui de J’que M. Raymond Weill’, par exemple, reconstruit comme il suit : E.r, , xv, 22 (en ajoutant : et ils arrivèrent à Cadès) ; Num., xx, 1 » " ; Ex., xvii, ib ?, 2 » « [= Num., XX, S""], aa.-’J, b^, ù^, jab » ; XV, 25 : Après trois jours de traversée dans un désert sans eau, on arrive à Cadès. Ici non plus il n’y a pas d’eau ; le peuple s’en prend à Moïse qui leur en procure par une opération miraculeuse dont le détail a disparu des éléments de J’qui nous ont été conservés ; on donne à l’endroit, à la source, les noms symboliques de Massah et Méribah. Le peuple lit à Gadès un long séjour pendant lequel Yahweh, en même temps qu’il l’éprouvait, lui donnait une législation. Cadès apparaît ainsi comme un sanctuaire ; qu’auparavant il fût, ou non, consacré à un autre dieu, il est considéré, au temps de Moïse, comme le sanctuaire de Yahweh. Moïse en est le prêtre. En effet, Gadès n’est autre chose que le sanctuaire du buisson ardent de J. Par sa lutte avec Yahweh (Ex., IV, 24-26), Moïse a acquis des droits sur ce lieu dont la vision (éléments de J dans Ex., iii, 2-6) lui a révélé le caractère sacré s.

174. — e)Mais, bien que sans rapport avec la législation, le Sinaï avait sa place dans la tradition primitive (Wellhausen f"). Gadès n’était qu’un sanctuaire secondaire, le pied à terre de Yahweh pour ses relations avec son peuple ; la demeure f’ivine véritable, c’était la montagne sainte, le Sinaï. Cette subordination de Cadès par rapport au Sinaï a trouvé son expression dans la relation établie entre Moïse, prêtre de Cadès, et le prêtre de Madian ou du Sinaï, son beau-père (Weill’). — /) Dans J’, c’était Yahweh qui, du Sinaï, venait à Gadès 8. Déjà toutefois on trouve dans le Yalnviste des traits qui nous montrent le peuple à la montagne sainte (Ex., xix, 18, 20, à lire 20= » -(- 18-)- 20). Il faut donc admettre que J2 conduisait les Israélites au Sinaï ; mais tout porte à croire que le voyage était intercalé dans le séjour^ Cadès. Il va de soi que, du moment où les fils de Jacob allaient au séjour principal de la divinité, le prestige de ce dernier allait nuire au sanctuaire secondaire. D’une part, l’œuvre législative allait être rapprochée de la montagne sainte ; de l’autre, le séjour propre de la divinité tendrait à devenir le but du voyage’.

175. — g) On admet assez volontiers chez ces critiques que VElohiste est plus récent que J-, bien plus, qu’il s’en est inspiré. Or tandis que, dans J, Yahweh donne rendez-vous au buisson, autrement dit à Cadès (Ex., ii, 18), c’est à sa montagne, à l’Horeb, que, dans E, Dieu appelle les Israélites (Ex., iii, 1, 12). Par

1. Cf. B. Stade, Geschichte…, 1, p. 129-134 ; Die Enlstrhung des Vol/ces fsrnel, p. 12 8V. ; Stade, au moins dans son Histoire (cf. p. 132, note 2), se défend de rodierchcile véritable emplacement du Sinaï. Mais les allées et venues des tribus ont pour théâtre le Nord de la péninsule, même jusqu’au Musiir.

2. Cf. Bruno Bæntsch, Exodus-Leviticns-Numeri l’iberseizt und erhîàrt (dans Uandhomnientar zurn AUen Te.’?(o~ ment, de W. Nowack), p. 139 (cf. p. l’i, 18, etc.).

3. Cf. Ed.MiïTEii et Luther, Die hrælilen…, p. (ÎO-VI.

4. Cf. Raymond Wfill, Le séjintr des Israélttes au désert et le Sinaï dans la relation primitlee, V ri’oltiiiùn du texte bibUcjue et la tradition c/iristiano-nwderne, p. fJ9-77.

5. Cf. R. Weill, Le séjour …, ç..56-r, 9 ; Ed. Mfter et U. Luther, Die Isræliten…, p. 62 et 3-fi. 56-59.

6. Cf. J. Wellhausen, Isrætitische…, p. 13-14. On notera d’ailleurs que, contrairement à R. Weill, J. Wellhausen identifie le Buisson avec le Sinaï.

7. Le séjour…, p. 77-89. Cf. Ed. Meyek, Die Isræliten. .., p

8. Cf. J. Wellhausen, Isrælitische…, p. 14, note I. — Prnlegomena…, p. 349 (où il allègue Deut., xixiii, 2).

9. Cf. R. Whill, te séjour.., p. 89-94. 795

MOÏSE ET JOSUE

796

conséquent, pour r^/ovivie.l’Horebqui, d’après nombre de critiques, est identique au Sinaï de J, sera l’endroit vers lequel les Israélites s’achemineront au sortir de l’Eyyple. Sans doute, E retiendra Cadès que lui impose" la tradition. Mais Cadès n’aura plus qu’une importance secondaire ; ce sera simplement l’endroit d’où l’on monte en Palestine. C’est cette intrusion de la montag-ne de Dieu avant Cadès qui a été le point de départ de tous les remaniements opérés dans les données de J’, l’occasion des doublets. U faut, dans ces bouleversements, voir une œuvre progressive, commencée par E, puis continuée d’abord par le rédacteur de JE. L’auteur du Code sacerdotal aurait encore renchéri en deux manières. D’abord par la multiplication des détours et des stations qui conduisent d’Egypte à Cadès en passant par le Sinaï (c’est le nom qu’il garde pour la montagne divine). Ensuite par la substitution au nom de Cadès d’expressions plus vagues, désert de Paran, désert de Sin (cf. pour l’identilication de ces termes, Num., XXXIII, 36 ; Num., xxvii, 12-14 = Deut., xxxii, 48-51) ; il se pourrait que des préoccupations d’orthodoxie l’eussent porté à diminuer l’importance du sanctuaire du négéb (Welluausen’, Weill’-). —’0 L^i localisation de Cadès ne présente plus aucune diflicullé ; l’identilication avec l’oasis de’Ain Qadeis, d’une manière plus générale avec toutes les oasis qui se groupent en cette région, est aujourd’hui reconnue unanimement. Si, même considérées dans leur ensemble, elles sont absolument insuflisantes pour assurer le ravitaillement de deux millions d’émigrés, on peut dire qu’elles permettent d’envisager le séjour prolongé d’un campement déjà considérable.

176. — ( Mais où se trouve le Sinaï ? Notons d’ubord que beaucoup de Cl itiques admettent l’identité réelle, supposée pur E, del’Horeb avec le Sinaï de J’-, l’identité de l’un et de l’autre avec le Sinaï de P. Ils ue se préoccupent, en conséquence, que de lu localisation du Sinaï. D’aucuns, nous lavons dit, le placent sur la cûle orientale du wâcli el-’Araba, ou du golfe élaidtique : Bkke^ qui, en 1878, l’identifiait avec leDjéht’l en-A’ur ; Wellhausen*, qui d’hilleurs n’attache qu’une importance secondaire à cette localisation ; Moore’, qui plus tard aura des hésitations ; Bæntsch ^, etc. Telle sera l’opinion de plusieurs de ceux qui traiteront le Sinaï comme un volcan et verront dans les récits de VExode la description d’une éruption ; telles sont, avec des nuances diverses, les théories de lï. Gunkfl", H. Gi ; kssman ! < * et Ed. Meyeu^. — j) La théorie de Von Gall’" est plus complexe. Le Sinaï de J serait distinct de l’IIoreb de E et du Sinaï de P. Dans Ex., xiii, 17, 18, le récit élohiste conduit évidemment les Israélites vers le Sud, sur la côte orientale du golfe de Suez ; l’Horeb est donc dans le massif méridional de la péninsule. De son côté, le récit sacerdotal reprend la même marche pour conduire le peuple à son Sinaï (IVum, , x.vxiii, 10, 11). En revanche, le Sinaï de J est à l’Est du golfe élanîtique. Ces divergence » s’expliquent sans doute parce que, d’une part, les jiadianites, avec lesquels le Sinaï est en relation, avaient leur berceau et centre principal à l’Est d’Ayaba

1. Cf. J. Welluausen, Prolcgomena…, p. 370.

2. Cf. M. WniLL, Le séjour…, -p. 109.

3. Cf. C. T. Beke, Origines biblicæ or Researchet on Primcval Uistorij, 1834 ; Mount Sin ai a Volcano, 1873 ; Discovery of ilie Irue Moiuit Sinaï. 1873 : Discoueries of Sinai in Arabia and of Madta71, ’ih~&.

4. Cf. J. Wellhausem, l’rolegomena…, ^. 359, note 1. .5. Cf. Rev. George F. Moohe, A critical and excgeii’cal Commentary on Jtidgfs^ 1895, p. 140, 179. G. Cf. lIugoBAEXTSCH, A’xodus…, p. 138-140.

7. Cf., au sujet de H. Gv.nkel, Deutichc Literatwzeitung, 1903. p. 3058.

8. Cf. H. GuESSMAXN, Mose und leine Zeit, 1913, p. 192 ST., 409 sv.

9. Cf. Ed. Meteb, Die hræliten…, p. 60, 69-70.

10. Cf. Von Gall, Aliisrælilische KuUstàiten (dans Beihefle zur Zeiiaclu ift fiir die alltestameniliehe Wissemchaft], p. 1-37.

et parce que, d’autre part, un de leurs clans avait émigré au Sud de la péninsule. — A) D’autres auteurs toutefois ont tendance h rapprocher le Sinaï de Cadès. Ils font volontiers état de deux textes : Jud., v, 4, 5, qui met le séjour primitif de Vahweh (peut-être explicitement le Sinaï) en relation avec Séir d Èdom, dont on retient l’emplacement ii l’Ouest du w’âdi cl-’Araba : Veut., xxxiii, 2, qui met en corrélation le Sinaï, Séir, le mont Paran et Mérihath-Cadés (leçon du grec pour 2a.i). Déj^ Gkàtz’plaçait le Sinaï BU Djébcl’Arâif, au Sud de’Ain Qadeis. D’autres songeraient au massif de Séir ou d’Edom : Greenk-, Dill-MANN ^, S.MEND ^ ; SAycE^, qui d’ailleurs place assez étrannement le passage de la Mer Kouge au golfe d Aqaba ; WiNCKLEK^, qui adoptera ensuite une autre opinion ; MOOKE*. D’autres se contentent d’une situation générale près de Cadès, Holzingek^, Chetne^.

177. — l) Il faut noter la seconde théorie de WiNCklek’*^. Le Sinaï de 1 ancienne tradition est en rapport avec les Qénites du négéb ; Deut., xxxiii, 2, le met en relation avec Edom. Il est donc situé d’abord au Sud de Juda, mais à l’horizon visible de Juda ; dans la suite toutefois et à mesure que les perspectives se développeront, il reculera de plus en plus vers la partie méridionale de la jiéninsule. Dans cette conception du Sinaï qui se déplace, est plus ou moins implicitement renfermée l’idée d’une montagne irréelle et mythique. La pensée de Winckler év(due en ce sens et rattache à cette conception la distinction des deux sommets Uoreb et Sinaï. Le concept d’une montagne mythique est particulièrement cher îi Raymond Veili- ", qui raj)plique nu Sinaï de J, à l’Horeb de E. au Sinai de P. qui ne font qu’un. C’est le séjour principal du Dieu dont Cadès est le sanctuaire secondaire : dépendance exprimée, et dans la filiation du sacerdoce de Cadès (Moïse) par rapport à celui de Sinaï (prêtre de Madian ou du Sinai), cl par la ressemblance entre le mot t’néh, buisson (de Cadès), et le nom yahvviste et sacerdotal de la montagne [Sinai), Dès lors, il ne peut être question poui’le Sinai d’une localisation précise. Il est situé derrière Codés, en Séir, en Paran. Il n’est pas loin de Cadès et de la Palestine, puisqu’un dieu doit toujours être près do son peuple, il est derrière l’horizon immédiat d’Israël, à une distance idéale de trois jours, selon l’évaluation de J’-, que l’on trouve reproduite par E ( !  !) dans Num., x, , ’^ ; îa I- ; mais il est dans le désert où on ne pénètre pas. L’IIoreb de l’Elo/iiste, situé entre l’Egypte et Cadès, esttout aussi indéterminé et Weill n’admet pas qu’Ex., xiii, 1718 soit à entendre d’un voyage vers le Sud de la péninsule. En revanche, l’épisode de la victoire de Raphidim

1. Cf. H. Gkatz, Monalschrift fiir Geschichte und Wissenicltaft des Judenlhums, 1878, p. 327-360.

2. Ci. Baker Gkken, The Hebrew Migration from Egypt, 2 « éd., 1883, p. 138 sv., 170 sv.

3. Cf. DiLLMANN, Exodus, 1880 ; Exodus und Leidiicus, 3- éd., RïSSEL, 1899, p. 31.

4. Cf. R. Smend, /-e/irirucA der altteslamentliclien Religionsgeschichle, 2* éd., 1899, p. 35, note 2. Le Sinaï ; Horeb) est à l’Ouest du pays de Madian (situé à l’Est du golfe Elanilique), donc vers Séir.

5. Cf. A. H. Sayce, The early History of tke IJebrens, 1897, p. 188-189.

6. Cf. H. Wi.NCKLER, Das Nordarabische Land Musn in den Inscliriften und der Bibel, dans Altorientalische Fnrschungen, 1 (1893), p. 24-30, 337-338 ; — Musri, Meluhha, Ma’iii, dans Mitteilungen der Vorderasiatische Getellschaft. 1898, fasc. 1 et 4.

7. C’est du moins ce qui peut résulter de G. F. MooBE, Exodus, dans Encyclopædia Biblica, II, 1901, col. 1443 (voir surtout parag. v).

8. Cf. H. HoLziNGEB, Exodus (dans Kurzer Jland-Comnienlar zum Alten Testament, de Karl Makti), p. 65 66.

9. Cf. T K. C11EYNE, Moses, dans Encyclopædia Biblica, m, surtout col. 3208 (n" 5).

10. Cf. H. Wi.NCKLKH, Sinai’and Horeb, dans Encyclopædia Biblica, IV, col. 4629-4543, surtout col. 4638-4641 (n"’14-17). Au point de vue du concept mythique (astral, cosmologique), voir col. 4629-4633 (n"’1-6).

11. Cf. R. WtiLi.. Le séjour…, p. 36-40, 50-55, 77-80, 94-104, 109-114.

12 A cet endroit, E transcrit J- : « Ils partirent de la montagne de Dieu pour un chemin de trois jours… », mais il supprime le nom de Cadès, terme du retour du voyage au Sinaï, inséré par J- dans la tradition de J’. 79 :

MOÏSE ET JOSUÉ

708

(Ex., XVII, 8-16) nous ramène vers le séjour d’Amalec, c est-à-dire vers le né^éb et Cadès. Mais il y a Mara et Elim, qui semblent indiquer U[i vojajfe vers le Sud !.. La direction paraît d’autant mieux marquée que Wcill, à la suite de Meyer, s’a|qiuie sur des comparaisons d’Ex., x, 23-27 avec de » teites d’auteurs ]>rol’anes pour idcntiGer Mara-ELim (ils en font une seule localité) avec l’oasis et la palmeraie de ïor. Il ne faut pas céder ii cotte illusion : la mention de Maïa-Elim en ce contexte a une tout autre raison d’être. Au huitième siùcle, quand VEluhiste écrivait, l’oasis de Tor était un lieu de cures miraculeuses où affluaient de nombi-eux pèlerins. Gomme on y venait d’Israël, l’auteur du récit éprouva le besoin d’attribuer à « Yaliweb qui guérit » (£x., xv, 26) l’origine delà source bienfaisante. Il ne tr-ouva pas d’autre moyen que de inettreMara-Elim sur le cbemin suivi par les Hébreux, précédés de leur Dieu, au sortir de l’Egypte. Sans doute, au point de vue géographique, le crochet était extraordinaire, puisque l’iloreb est près de Cadès. Mais le narrateur, grvce à l’extrême indigence de ses connaissances topographiques, trouvait cela tout simple. Non moins floltuutes étaient les notions du rédacteur sacerdotal, bien que son texte jjaraisse de tous le plus précis. Comparant la liste de

; Yum., xxxui, avec les éléments antécédemment fournis

par P, Weill conclut : <c On voit que cette liste de Nombr., xxxiii.qui est considérée en général comme appartenant à une couche tardive de P, est partout d’accord avec les détails acceptés ou introduits par P et donnés par lui d’autre part, et que toute son originalité consiste dans lintercalation d’un nombre considérable de stations que le récit antérieur ne tonnait pas. Il est inutile de dire que toute tentative de locolisation géographique, ici, serait absurde ; le rédacteur qui inscrivait ces noms àla 61e avait de tout autres préoccupations que celles de savoir s’ils correspondaient à une réalité quelconque’. » 178. — m) La plupart des critiques esliment que c’est l’itinéraire direct qui correspond à la vérité historique. De ce chef, Cadès acquiert une importance extraordinaire. De par son nom même (ÇiZi/cs), c’est un sanctuaire, et il y a lieu de croire que, longtemps avant l’époque mosaïque, c’était pour les bédouins du désert un lieu de prière et de pèlerinage. L’objet sacré était une source ; dès le temps des patriarches, elle s’appelait Source du Ju^ement(’Ain Miipâi ; Gen., XIV, )) : preuve que l’endroit revêtait un caractère sacré bien avant l’exode. C’est cette même source que désignent les noms, de sens analogue, de Massah et Méribali, « eau d’épreuve », « eau de décision 11, et il est possible que ces vocables remontent à un lointain j)assé. Les récits qui les concernent sont nettement étiologiques et ont pour but d’expliquer ces noms. Mais les explications varient. Ici, c’est Yaliweh qui tente son Fidèle et querelle avec lui (Dcut., xxxiii, 8, lo ; cf. A’uin., xx, 12, 13[P]) ; là (Ex., XVII, i--], JE), c’est le peuple qui tente Yaliweh ou Moïse. Cadès, c’est donc le sanctuaire de la source, le sanctuaire des décisions. C’est aussi le sanctuaire de l’oracle, de Viiiim et du tummim (Deut., xxxiii, 8^). C’est là que Moïse trouve accès ; là que, selon les uns, en contact avec la confédération du Sinaï, il est initié au culte du vieux dieu,

1. Cf. R. WiuLL, Le séjour…, p. 111. Nous ne ferons que mentionner l’opinion de L. Gart (cf. L. Cart, Au Sinaï et dans l’Arabie Pétrce,.Appendice : La Géographie de l’Exode, à partir de la paije 373 ; voir surtout : p, 378, 384-385, 386, 387, 418-420, 430-431, 441-442, 451-460). Il rejette l’idée d’un itinéraire ]iriinitif allant directement d’Egypte h Cadès. Tous les itinéraires portaient : Egypte, Sinaï ou Horeb, Cadès. Il distingue entre le Sinaï et l’Horeb. Le Sinaï, qui n’est autre que le buisson {s’néh). esl près de Cadès, ainsi que l’indiquent IJeut., wiii, 2 et Jud., V, 4, et coriespond peut-être au D/é/>éi Maqraon au Djébél Muwcilleh. Quruit à l’Ilorel), il n’est pas ptrè.s de Cadès ; il est plus an Sud, à trois jours de marche {Num., x, 33), k onze journées d’après lo Dcutéronome (D-| qui suit d’ordinaire E [Deul., i, 2) ; l’histoire d’Elie (I Reg., XIX) suppose aussi une longue distance. LeSinaï de P est pareillement dans le massif du Sud.

peut-être qènite ou madianite ; là que, selon les autres, il substitue au culte d’un élôhim imprécis celui de YahweL qui lui est apparu dans le buisson. C’est là qu’il reçoit la législation qui présidera à la formation de son peuple, là pareillement qu’il recueille ces ordonnances et ces moyens cultuels dont il léguera le dépôt aux héritiers de sa fonction, les Lévites. Cadès est le véritable berceau de l’unité nationale et religieuse d’Israël.

179. — C. L’itinéraire des Israélites au désert.

— Il faut bien se garder d’accepter sans contrôle les théories que nous venons d’exposer. — o) Il est incontestable que le chemin normal pour aller d’Egypte à Cadès ne comporte pas le long détour jiar le massif méridional de la péninsule du Sinaï. Seule une raison spéciale peut expliquer un pareil crochet. Mais précisément les documents qui jiarlent de l’Horeb et du Sinaï donnent cette raison. Laissons de côté, par égard pour la mentalité de certains critiques, ce que la Bible nous dit de la révélation et de la convocation divines (lix., iii, 12, E ; iii, 18, J). Il reste que la réputation d’un sanctuaire vénéré explique très adéquatement une telle déviation d’itinéraire ; or, quand Moïse revint en Egypte, le Sinaï-Horeb avait pour lui ce caractère et à un degré éminent. — b) Il faut ajouter une deuxième remarque préliminaire. Il ne convient pas de s’attacher à des théories qui vont à l’encontre des données les plus claires et les plus universelles des textes, si on ne peut les élayer qu’avec des arguments d’une probabilité très tenue. Or, d’une part, la question de l’antiquité respective de J et de E admet encore, dans le monde des eritii|ues, des solutions très variées ; beaucoup d’exégètes diraient que les deux conclusions ont sensiblement les mêmes chances de certitude ; la thèse de l’antériorité de E est soutenue par des personnalités imposantes. D’autre part, si l’on peut, avec quelques vraisemblances, reconnaître en J la présence de plusieurs couches successives, il est, dans la plupart des cas, tout à fait délicat de vouloir les séparer : qui oserait regarder comme délinitive la reconstitution de J" telle que H. Weill, par exemple, nous la représente ? C’est là pourtant l’un des éléments les plus fondamentaux du système.

180. — c) Que si maintenant l’on aborde les arguments positifs, on voit qu’à leur tour ils prêtent le liane à de sérieuses contradictions. Ainsi en est-il de celui qui repose sur le voyage de trois jours. Il est, en effet, impossible de démontrer avec certitude que le terme de ce voyage soit Cadès. Dans Ex., m, 18, c’est au Buisson que Yahweh fixe le but de ce pèlerinage ; mais l’identité du Buisson et de Cadès est loin d’être prouvée, loin d’être admise par tous les critiques. De même, le contexte actuel d’£-<-., XV, 22 n’a aucune relation immédiate avec Cadès, et le lien avec Ex., xvii, i^ n’est rien moins qu’évident. Quand on sort de l’Egypte au niveau du Sérapéum, nombreuses sont les directions dans lesquelles on peut, trois jours durant, errer dans le désert, sans eau potable. Mais il y a plus. La distance de trois jours ne se présente pas comme une distance précise. D’une part, la mention de cet itinéraire a pour but d’obtenir plus facilement du pharaon la permission de quitter l’Egyjite ; elle n’est donc pas nécessairement exacte. D’autre part, elle peut être une évaluation générale et plus ou moins symbolique. EnGn il est capital de noter que la distance réelle qui sépare la mer Roug^e de Cadès est, en ligne directe, non de trois, mais de plus de sept jours. Il n’est donc nullement prouvé que le voyage de trois jours mène directement à Cadès.

181. — d) SI nous parlons d’une évaluation 799

MOÏSE ET JOSUE

800

symbolique, ce n’est pas que, pour nous, les documents évoluent autour de données vagues, plus ou moins mythiques. Loin de là. Les indications concernant Cadès, le Sinailloieb, les stations, correspondent à des entités réelles et précises. Quelle que soit la date de la composition des documents, on ne saurait arguer, en vue d’une conclusion opposée, de l’ignorance de leurs auteurs. Au neuvième siècle ou au huitième, par exemple, les écrivains de Palestine avaient toute facilité de connaître par eux-mêmes, par les récits des pèlerins ou des bédouins, les sites dont ils parlaient. La péninsule du Sinai, qu’il s’agisse du désert ou du massif méridional, était accessible à tous et parcourue dans toutes les directions. Il y a quelque naïveté, par exemple, à prétendre que XElohiste ne se rendait pas compte du site de Mara-Elim-Tor par rapport à Cadès. Sans doute, il eût été, aussi bien que le bédouin ou le fellah de nos jours, incapable de lixer sa science topographique sur une carte ; mais, comme le bédouin de nos jours, il était en mesure d’exposer un itinéraire, d’énumérer les stations, de les décrire, de dire la durée des étapes qui les séparent ; il n’eût pas mciue sans doute commis la bévue de R. Weill qui ideutitie le désert de Sin (sin) entre Elîm et le Sinaï (Aj-., XVI, i) et le désert de Sin (sin) qui est autour de Cadès (IS’um., xx, i)’. On peut, en conséquence, regarder les données des documents comme se rapportant à des réalités concrètes. De même les relations qui peuvent exister entre le Sinaï et Cadès ne sauraient être traitées comme des relations d’ordre purement logique.

18â. — e) Il faut d’abord rappeler (virf. supr. 166, e) que le Buisson de J et la montagne divine de E sont eu dehors de Madian, sur le chemin du retour en Egypte. Rien n’indique, nous l’avons vu (l’/rf. supr. 186, rf), que le Madian où Moïse a rencontré le prêtre soit à l’Est du golfe d’Aqaba ; c’est plutôt au iiégéb, au pays des Cinéens-Qênites qu’il faut penser. Mais dût-on situer le Madian en Arabie, qu’on ne serait nullement obligé d’y mettre le Sinaï, dont le caractère volcanique n’est par ailleurs nullement démontré. D’autre part, nous croyons à l’identité topographique du buisson et de la montagne de Dieu. Admettons que l’on puisse formuler des réserves sur la compétence du rédacteur RJE ; il est en tout cas impossible de lui attribuer gratuitement une erreur sur les données les plus fondamentales des récits qu’il amalgame. Si, dansiT.r., iii, il a fondu étroitement les données relatives au buisson et celles qui concernaient la montagne de Dieu, c’est évidemment que, par leur teneur même, les deux documents présentaient ces quantités comme identiques. De cette constatation, une autre conséquence découle : c’est que le buisson n’est pas à Cadès. Nulle part cette équation n’est établie et ce que nous venons de dire de l’identillcation du buisson et de la montagne la rend impossible. Dès lors le voyage de trois jours perd toute attache avec Cadès ; quel que soit le sens dans lequel on le veuille entendre, il est en relation avec le buisson, avec la montagne de Dieu, avec le Sinaï. — /) Les critiques tiennent que les itinéraires de E et t’e P placent l’Horeb et le Sinaï avant Cadès ; c’est, en effet, de toute évidence. D’autre part, on n’a que des lambeaux de textes pour appuyer l’hypothèse d’après laquelle J^ mettrait le vo.yage au Sinaï pendant le séjour de Cadès, tandis que J’ignorerait complètement ce voyage. Au lieu de donner crédit à des constructions aussi chancelantes, n’est-il pas plus rationnel de faire fond sur les textes clairs des documents en même temps

1. R. Weill, Le téjour…, p. 110.

que sur la manière dont les a interprétés le rédacteur qui les a combinés ensemble ? On est ainsi amené à penser que toutes les sources anciennes, J aussi bien que E et P, i)laçaient le Sinai-lloreb avant Cadès et cela avec un sens très précis des réalités. On est ainsi amené à conclure que tel fut en effet l’itinéraire suivi par les Israélites.

183. — ^)Si nous attachons une valeur au témoignage des rédacteurs pour nous faire une idée des lignes fondamentales des documents, il ne nous en coûte pas pour autant de relever des méprises de détail dans l’utilisation des sources, U est fort possible qu’il y ait de véritables doublets. Les noms de Massah-Méribah (Ex., xvii, 1-7) et de Méribah (Xuin., XX, 2-13) peuvent désigner la même source et les récils se rapporter au même fait. Des critiques distinguent dans chaque récit l’inlluence de plusieurs documents (J et E dans Ex., xvii, 1-7 ; E et P dans Num., XX, 2-13). Il se peut que chacun des auteurs situât le miracle de la source d’une manière un peu différente par rapport à Cadès ; il est possible aussi que les noms fussent divers (Massah dans un document, Méribah dans les autres). Le rédacteur aura pu voir deux faits alors qu’il n’était question que d’un seul, il a pu hésiter sur la manière de les situer ; la mention de l’Horeb, Ex., xvii, 6, aura pu être ajoutée pour préciser les rapports de l’un des récils avec son nouveau contexte ; l’addition aura d’ailleurs été assez maladroite puisqu’au chap. xvii, on n’est pas encore à la montagne de Dieu. Des raisonnements analogues pourraient être faits au sujet des récits concernant la manne et les anciens. D’ailleurs de tels dédoublements ne sont pas sans exemples faciles à constater. On sait que saint Marc place la guérison de l’aveugle de Jéricho à la sortie de la ville (.Marc, x, 46), saint Luc à l’arrivée de Jésus dans la cité(i » c., xviii, 35), que saint Mathieu parle de deux aveugles à la sortie de la ville {Math., XX, 29-80) ; des commentateurs n’ont pas hésité à voir eu ces textes les récils de trois miracles différents. — h) Pour conclure, nous nous attachons donc à l’itinéraire : mer Rouge, Sinaï-Horeb, Cadès’.

184. — D. Le Sinaï. — a) Le Sinaï-Horeb n’est pas, nous 1 avons vu, identique à Cadès ; rien n’indique qu’il soit en son voisinage immédiat. Il faut d’abord le reconnaître : les raisons tirées de ce qu’un dieu doit habiter à portée de son peuple tiennent d’autant moins qu’au regard de ceux qui les font valoir, Yahweh aurait à Cadès un sanctuaire et séjour véritables, quoique secondaires. — b) D’autre part, les textes de Dent., xxxiii, 2 etJud., v’, 4, 5 n’ont point la portée qu’on leur attribue. Dans le second, où le mot Sinaï (vers. 5) n’est peut-être pas authentique, Débora, parlant des marches de Yahweh pour venir au secours des siens, en met le point de départ en Séir-Edom ; mais, pas plus à ce sujet qu’à propos à’Hah., iii, 3, on ne peut faire état de l’absence du mot Sinaï pour conclure à l’identilication du Sinai avec le massif de Séir ; il serait plus juste de dire que, pour Débora, l’étape de Cadès avait une importance qu’on ne lui donne pas ailleurs. Le texte de Deut., xxxiii, 2 est beaucoup plus explicite. Le point de départ des marches de Yahweh est désigné par les noms Sinaï, Séir, mont de Paian, Méribath (Méribolh )-Cadès. Or rien ne prouve que ces termes soient synonymes ; il est beaucoup plus naturel d’y voir la désignation des étapes successives avant que le Dieu n’ait rejoint son peuple. En tout cas, on ne peut opposer les données, toujours un peu vagues,

1. Cf. Fr. M.-J. Lagrance, Le Sinaï biblique, dans flecue biblique, 1899, p. 369-392, snrtcut p. 379-389.

de ces textes poétiques à celles que peuvent fournir des récits circonstanciés.

188. — f) Or, bien que moins nombreux pour cette partie du voyage, ces textes existent. Nous avons d’abord le récit de JE dont il serait peut-être imprudent de vouloir séparer les éléments. Il nous fournit les étapes : désert de Sur (Ex., xv, aa), Marah (Ex., XV, 23), Elim{Ex., Ti, 27)', liaphidim{Ex., xvir, 8). Cet itinéraire nous reporte vers le Sud de la péninsule. Qu’on l’identilie avec le nâdi Gharandel on avec l’oasis de Tor, la palmeraie d’Eliiu témoigne en ce sens ; on n’en rencontre pas de pareille sur le chemin qui mène directement de la mer Rouge à Cadès. Des critiques prétendent que le récit du combat contre Amaîec n’est pas à sa place, qu’il se rattache au cycle de Cadès, que le nom de Raphidim y a été ajouté après coup et sous l’inlluence de P (cf. Ex., xvii, i). L’argumentation ne nous paraît pas décisive. Il est vrai que le centre des Amalécites était dans le négéb, non loin de Cadès ; mais on n’est pas autorisé à nier qu’ils ne lissent des razzias dans le Sud de la péninsule, qu’ils ne s’y trouvassent un peu chez eux ; la venue d’un groupe d'émigrants qui leurdisputeraient leurs ressources était de nature à les inquiéter et à leur faire prendre une altitude hostile. On remarquera que le défaut général des opinions que nous étudions provient de ce que leurs auteurs, se conlinant dans la critique littéraire, ne se préoccupent pas assez d’en contrôler les résultats par les réalités objectives. M. Wbill, par exemple, tient un tel contrôle pour une faiblesse'. — (/)Soit au cours des récits de l’Exode et des Nombres, soit dans la grande table de Nain., xxxiii, attribuée à une couche secondaire, le Code sacerdotal, reconnaissable à son slyle très caractéristique, nous fournit les stations suivantes : le désert [Etham] (Nuni., xxxni, 8) ; Marah (Num., xxxiii, SI") ; Elim (Num., xxxiii, 9) ; campement près de la mer Rouge (Num., xxxiii, 10) ; désert de Sin, qui est entre Elim et le Sinaï (Ex., xvi, i ; Num., xxxiii, 1 1) ; campements indiqués par Yahweli (Ex., xvii, 1), qui sont Duplica et.4tus(iVum., xxxiii, 12, 13), Kapilidim (Ex., xvii, i ; Num., xxxiir, i/|), désert du Sinaï (Ex., xix, 1, 2 ; Num., xxxiii, 15). Avec les stations de Mara et d’Elim, cet itinéraire nous ramène, comme celui de E, vers le Sud de la péninsule ; la mention du campement près de la mer Rouge, que l’on peut maintenir malgré certaines difficultés de critique textuelle, prouve que, sur le chemin, on retrouve la côte orientale du golfe de Suez. — e) Nous n’avons pas de raisons de nous attarder ici à l’identiQcation des stations 3. Notons qu’on fait d’ordinaire coïncider le désert de Sin avec la plaine maritime de 'Ain.Markha. Mais, tandis qu’on plaçait volontiers Raphidim à Voasis de Férân, des auteurs aussi compétents que le P. Lagrange songeraient plutôt au Debbet er-Hamleh, au pied du Djébél et-Tih. Les derniers détails de l’itinéraire sont modifiés en conséquence.

186. — f) En toute hypothèse, on arrive au Sinaï. C’est une question secondaire, en comparaison de celles que nous avons abordées, que de savoir s’il faut identilier la montagne avec le Serbâl ou avec le Djébél Mùsà. Nous n’entreprendrons pas de discussion à ce sujet. Les arguments d’ordre purement topographique ne permettent pas de résoudre le

1. C’est une idée assez particulière a Steuernagel que de rattacher Ex., xv, 27 à P.

2. Cf. Le séjour, p. 22, 23.

3. On peut lire à ce sujet tous les commentaires, à quelque école qu’il » appartiennent. Cf. aussi Fr. M.-J. L.vCKA.XŒ, L’itinéraire des Israélites du pays de Gessea aux bords du Jourdain, 1° article, dans lleiue Biblique, l’JOO. p. 63-86. 1 >

Tome m.

problème. De part et d’autre, on a des sommets imposants, dignes de servir de piédestal à Yahweh ; de part et d’autre, on a des emplacements (plaine er-Iiàha au pied du Djébél Mùsà : wâdi 'Aleyât et wâdi Férân au pied du Serbâl) favorables à un campement considérable et prolongé. Les documents historiques tendent à prouver, au dire de bons juges, que les traditions anciennes sont en faveur du Djébél Mùsà ; l’antiquité voyait dans les environs du Serbâl le site de Raphidim et le lieu du combat avec Amalec'.

187. — g) D’après les évaluations du Code sacerdotal (et. Ex., XIX, I et.V « m., x, 1 1), le séjourauSinaï dura près d’un an. De toutes les étapes du voyage, ce fut de beaucoup la principale. Il nous sullira de résumer ici ce que nous en avons dit ailleurs (cf. Ji’iF (Peuple) dans Dict. Apolog. de la foi catholique, tome II, col. 1565 à 1651). C’est au Sinaï que, dans son premier voyage, Moïse était entré en relation avec Yahweh ; c’est là qu'à son tour le peuple participa à la manifestation de la majesté divine. Une alliance fut solennellement contractée entre les tribus et Yahweh. D’ailleurs les tribus qui se rattachaient à la famille de Jacob n'étaient pas seules en présence. Lorsqu’elles avaient quitté l’Egypte, une multitude bigarrée s'était attachée à elles (Ex., xii, 38, J) ; on y voyait sans doute des descendants d'.-Vsia tiques, immigrés ou prisonniers de guerre, établis en Gessen comme les Israélites ; il pouvait y avoir aussi des Egyptiens. Ailleurs on parle du ramassis de peuple qui était au milieu d’Israël (Num., XI, 4> J). Or l’alliance conclue avec Yahweh devait avoir pour complément l’union intime de ces divers éléments en une fédération, disons mieux, en une nation. De la permanence de cette union le gage serait avant tout la permanence de l’alliance avec la divinité ; il fallait que les événements qui se déroulaient eussent un grand éclat et une grande pussance pour que leur inlluence et leur souvenir puissent sulhre à grouper, malgré certains heurts et certaines dissensions, des éléments aussi disparates. — h) Aussi bien avait-on posé la base d’institutions destinées à perpétuer les effets de ces grandes théoplianies. De là la première ébauche de la législation sociale qui allait régir le nouveau peuple ; de là la première organisation de la vie religieuse, dorainéepar la personnalité de Yahweh, Dieu unique, jaloux et moral ; la première réglementation du culte autour d’un sanctuaire portatif qui abritait l’arche ; la première institution d’un sacerdoce et la reconnaissance du privilège de la tribu de Lévi. — Bref, les lils de Jacob étaient arrivés au Sinaï à l'état de dans qui avaient conscience de leur parenté, mais poursuivaient encore chacun leur voie propre ; ils en devaient partir en forme de peuple 2.

188. — E. Cadès. — a) Les documents présentent de nouveau des difficultés, quoique d’un ordre plus secondaire ; les uns sont fragmentaires à l’excès ; d’autres ont subi de sérieux bouleversements. JE, dans lequel nous hésitons toujours à opérer des dissections, fournit les données suivantes : départ de la montagne de Yahueh (Num., x, 33), marche de trois jours en vue de trouver un lieu de repos ((61rf.) ; il n’est nullement dit ni insinué que cette marche conduise à Cadès et elle est d’ailleurs topographiquement insuffisante. Il est tout naturel de penser qu’elle mène à la station iminédiateiiient mentionnée dans la suite, ou à une station dont le nom aurait

1. Cf. Fr. M.-J. Lagra.ngf, Le Sinai l>ibliqut dans Revut Biblique, 1899, p. 369-392, surtout p. 389-392.

2. Cf. les commentaires et Fr. M.-J. Lacramge, L’itinéraire…, 2* article, dans Revue Biblique, 1900 p 273280. '^'

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disparu des textes. Les stations suivantes sont : TItubéera {, itm., xi, i-3, E [ ?|), Qlhrolh-Hatlaava (iVuni., XI, 4-34 ; surtout J [ ?]), Ilaséroth (Num., xi, 35, J), désert de Paran (Niim., xii, 16 [Vulg. xiii, i], J [ ?]), où l’on se trouve à Cadès (/V » m., xiii, 26 [Vulg., i^], E L’?] ; cf. XX, i".’, E [ ?]). — II) Pour cette partie de l’itinéraire, le Deatéronume (D-) nous fournit un renseignement. Il y a onze jours depuis l’Horeb, par le chemin de la montagne de Séir, jusqu’à Cadès-Barné (Dent., i, 2) ; c’est en traversant un désert vaste et affreux que, parti d’Horeb, on se dirige vers la montagne des Amorrhéens et Cadès-Barné (Dcul., I, 19). — c) Au cours des récils, le Code sacerdotal ne renferme que deux indications : désert de Paran (IVum., xiii, 3 [Vulg, 4]), désert de Sin (A’» H^., xx, t^’^). Mais il nous fournit d’amples détails dans le catalogue de Ntim., xxxiii. Malbeureusemenl cette liste a subi des bouleversements. Les vers. 16-35 signalent dix-neuf stations entre le Sinaï et Asiongaber ; on va ensuite d’Asiongaber à Cadès en une étape (vers. 36). Or le site général d’Asiongaber est connu ; c’est aux environs d’Aqaba, au fond du golfe élanitique, d’où il est impossible d’aller d’une traite à Cadès. D’autre part, le Deuléronome (Diitt., 1, 2, 19 ; 11, 1-8 ; D^) présente très nettement l’ordre Sinaï-Cadès- Asiongaber. On remarquera enlln que, tandis que P fait moui’ir Aaron au mont Hor (Num., xxxiii, 38), D^ le fait mourir à Moséra (Deut., X, 6). On peut penser que les deux traditions ne présentaient pas de variantes fondamentales ; Hor et Mosérali seront donc deux points très rapprochés l’un de l’autre, loin d’être très distants comme le catalogue le suppose. Ces diverses considérations doivent entrer en ligne de compte pour un essai de restitution du texte. Le plus souvent on adopte l’ordre suivant : Num., xxxni, 30^, départ de Hesraona ; 36’% désert de Sin, qui est Cadès ; 3^, départ de Cadès, mont Hor ; 38-40 (mort d’Aaron ; un trait de l’épisode du roi d’Arad) ; 4’^. départ du mont Hor ; 30, Moséroth (= : Moséra de D’-'). Que si cette restitution est fondée, on n’a plus « jue quatorze stations entre le Sinaï et Cadès, et l’on peut songer à un itinéraire assez direct.

189. — d) Lidentilication de Cadès est ferme (cf. 131, Ç). Les Hébreux devaient faire un long séjour dans l’oasis et les déserts environnants. Dans le Deuiérunome, oii^are d’abord de longs jours (Z>e « <., I, 34-46 ; II, )> puis de quarante ans (Dent., 11, ’j), dont trenle-luiit employés à contourner le mont Séii (netit., II, 14 ; cf. vers. i). Déjà JE connaît ces quarante ans, au cours desquels les Israélites feront paître leurs troupeaux dans le désert (Num., xiv, 33, E [ ?]). Le Code sacerdotal mentionne à son tour les quarante ans (Num., xiv, 34) passés dans le désert de Paran (A’/(m., xiii, i-3 [Vulg. 2-41, 26* [27=’]), dont le désert de Sin, où se trouve Cadès (Num., xx, i, 22 ; xxxiii, 36) n’est distinct (Num.,.xiii, 31 [Vulg. 22]) que comme une région qui porte un nom spécial. Chaque document présente ainsi des variantes de détail, mais la donnée générale est constante : les Hébreux demeurent longtemps autour de Cadès.

— e) Sans doute cette prolongation de séjour, contraire au but premier du voyage, ne s’explique que par un contretemps dont nous aurons à parler dans la suite. Mais Cadès était favorable à cet arrêt. Les tribus retournèrent un peu à la vie nomade et durent se dissocier à nouveau pour conduire leurs troupeaux dans les diverses directions de ces vastes solitudes où les lieux de pâture sont maigres et peu nombreux. Mais le système d’oasis, dont’Aïn Qadcis peut être regardé comme le centre, formaitun pointde ralliement très favorable. Aujourd’hui encore, il y a en toute cette région des champs

cultivés ; les ruines des temps byzantins attestent qu’avec plus de méthode, on arrivait jadis à de meilleurs résultats. A l’époque des Hébreux, des groupes pouvaient demeurer avec plus de fixité autour de ce centre, cultivant les terres arrosées, étendant artificiellement l’irrigation, s’aecoutumant à nouveau à la vie sédentaire, attirant en même temps leurs frères pour des rendez-vous plus ou moins réguliers.

190. — /) Aussi croyons-nous que Cadès a eu, dans la vie d’Israël au désert, une importance beaucoup plus considérable qu’on ne le dit d’ordinaire. Au Sinaï, le point de départ de la nouvelle vie nationale avait été posé sur des bases précises ; mais c’est à Cadès que l’on commença de vivre cette nouvelle vie. 11 était infaillible que la mise en pratique des principes posés et des mesures prises au pied des saintes montagnes n’eût pour conséquence la nécessité d’y introduire de nombreuses précisions. Le récit biblique l’indique lui-même pour quelques cas (iVum., xv ; xviii ; xix), mais il est fort probable qu’il faille songer à en augmenter le nombre. Ceux qui ont coordonné les divers codes qui se ratlachent à la péninsule sinaïtique n’avaient aucun intérèl à distinguer minutieusement ce qui avait été promulgué à la montagne de Dieu et ce qui avait été ajouté à Cadès. Rien n’empêche, par exemple, de penser que, dons le Code de l’alliance (Ex., xx-xxiii), à côté d éléments remontant au Sinaï, à côté d’additions plus récentes, il y ait un nombre assez notable de prescriptions portant le reflet d’une première adaptation à la vie semi-sédentaire et agricole que l’on menait à Cadès.

— ^’) Si nous ne nous faisons illusion, c’est à Cadès que l’unité nationale s’est puissamment alTermie. Dispersées pendant de longues périodes dans les ouadis du désert, les tribus venaient y reprendre conscience de leur unité. En même temps, d’autres clans se joignaient à Israël : celui des Cinéens-Qêniles (selon l’indication probable de Num., x, 2932, J ; cf. Jud., I, 16), celui des Génézéens-Qenizzites (cf. Jos., XIV, 6-15 ; xv, 13-19 ; Jud., i, 12-15), etc. — h) Le centre de ce commun rendez-vous était le sanctuaire. Le nom même de Cadès indique que le lieu de culte était fort ancien ; ses origines pouvaient être plus ou moins pures. Mais, à l’arrivée de Moïse, il devint le lieu de culte du seul Yaliweh ; le tabernacle portatif, placé sans doute près de la source et abritant l’arche, en fut l’élément principal. Là des interprètes de Yahweh faisaient valoir, avec une précisiontoujourscroissante, ses exigenceset ses volontés, les liens qui lui rattachaient tous les ûls de Jacob, la nécessité de maintenir ces liens pour perpétuer l’unité nationale. Le culte à son tour évoluait, notamment à l’occasion des grandes panégyries annuelles. Les droits du sacerdoce se trouvaient précisés, à mesure que les circonstances l’indiquaient et non sans quelques heurts et contestations (cf. Num., xvi ; xvii). En même temps, les essais de vie agricole entraînaient des adaptations nouvelles du droit alors assez généralement en vigueur dans le monde sémitique. Nous oserions presque employer cette formule à l’allure ecclésiastique : le séjour à Cadès fut comme le noviciat de la vie nationale dont la règle avait été promulguée au Sinaï’.

4° Vers les plaines de Moab

191. — Nous en avons fini avec les questions les plus délicates, on pourrait dire les plus scabreuses.

1. Cf. les commentaires et Fr. M.-J. L.46kange, Le Sinai biblique, duas Reçue Biblique, 1899, p. 369-3y2, surtout p. 372-378 ; — Ain Kedeis, dans Hevue Biblique, 1890, p. 440-451. Voir aussi : C. Léonard Woollet-T. E. Law-RENCP, The Wilderness of zin {.4rc/iæologlcal Report], Annual 1914-1915 du Palestine Exploration Fund. 805

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Les diflicultés qui demeurent sont, ou secondaires, ou relativement aisées à élucider. Aussi ne prendrons-nous en considération que la principale d’entre elles, après un exposé des particularités de l’itinéraire tel que le présente la Bible.

19â. — K. L’itinéraire. — a) Une question préalable se pose : A quoi bon le long détour parla Transjordane, alors qu’à Cades on était aux portes de la Palestine ? On sait pourquoi les fils de Jacob n’ont pas pris le chemin de la mer (Ex., xiii, 17) : les Cananéens, qui occupaient encore la Sepkéiah au temps de la sortie d’K^ypte, conslituaieiit une puissance avec laquelle on pouvait redouter d engager le combat ; dans la suite d’ailleurs, les Israélites devaient reconnaîtra leur infériorité en rase campagne. Mais pourquoi retarder la pénétration dans la montagne et l’entrée en lutte avec les Amorrhéens ? Le i-écit de, Vum., xiii-xiv est la réponse topique à cette difficulté. Dès l’arrivée à Cadès, Moïse, guidé par Yahweli, songe à monter directement en Canaan et c’est pourquoi il fait explorer le pays {.Vum., XIII, 1-20 [Vulg. 2-31 : l-17a, p ; le reste, JE]). .Mais, à l’exception de Caleb, les espions donnent au peuple une impression défavorable et décourageante [Num., xiii, 21-J3 iVulg. 12-ik : il, 25, 26a", 32, F ; le reste, JE ; 23, 24, 2^, 28% 30, 31, 33. probablement de E]). De là une mutinerie du peuple, ciiâLiée par la condamnation à un séjour prolongé dans le désert et par quelques mesures plus terribles encore [ ?fuin., iiv, t-39 : la’y., 2, 5-7, 10, 26-2 », 34-38, P ; le reste JE ; 22-24*, 25b, 30, 31. probablement do E). Toutefois le peuple se ravise et, malgré .Mo’ise, se décide à tenter un etl’ort quiaboutità une défaite iXum., XIV, 40-45, E [mention des Amalécites et des Cananéens, HJj. Telle est la raison pour laquelle le peuple ne monta pas en Palestine, pour laquelle il demeura si longtemps dans le désert de Sin. — b) Si, au moment d’en partir, il se décida à allonger démesurément son parcours, ce fut sous i’influencede raisons impérieuses sur lesquelles les itinéraires nous renseigneront. Ils sont plus nombreux pour cette partie du voyage que pour les précédentes ; mais ils ne sont pas tous complets, ni en parfait état.

193. — c) Un trait que l’on attril>ue volontiers au YahuHste est la victoire sur le roi d’Arad (Xum., xxi, 1-3). .Nous aurons à y revenir ; disons, pour le moment, qu’il s’agit d’une tentative de pénétration qui, malgré le succès des Israélites, n’a pas de suite immédiate. — d] C’est une question parmi les critiques de savoir s’il faut attribuer au i’a/inusie une section d’itinéraire avec stations. Il s’agit dans l’espèce de Deut., x, 6, 7. que tout le monde regarde comme étranger à son contexte iictuel et qui, à l’aison de frappantes affinités de style, est rattaché à.um., xxi, 12-20. Tandis que divers critiques attribuent ces deux fragments à E, d’autres sans plus de précision à JE, que d’autres encore les décomposent entre J et E, le P. Lagrange, s’appuyant sur la mention du Litre den Guerres de Yahiveh’, les attribue à J. Les stations mentionnées sont : Béeroth-Bené-Jafian ; Mosér^, où mourut.aron ; Gadgad : Jrtébatha [Deut., x, 6, 7) ; ouadi Zared (IS’um., xxi, 12) ; L’autre cêtè de VArnon, dans le désert, sur la frontière amorrhéenne (Kum., xxi, 13) ; Béer (y/irn., xxi, 16) ; diverses autres stations (^i^m., xxi, 19 ; , qui aboutissent à la vallée qui est dans la plaine de Moab (um., xxi, 20). — e) L’itinéraire élohiste est très fragmentaire. On part de Cadès l.Xum., xx, îaib). Des messagers sont envoyés au roi d’Edom pour obtenir la permission de traverser son pays ; il s’y refuse et accompagne son refus d’une démonstration hostile (.V « m., XX, 14-2 ! a). Israël se décide alors à contourner ce territoire en allant vers le golfe clanitique { ?fum., XX, 21’J ; xxi, 4a :  ; suit [4b-9] l’épisode du serpent d’airain). Peut-être faut-il attribuer à E l’arrivée dans le désert qui est en face de Moab à l’Orient (i’um., xxi, 11b). Le récit de la victoire remportée sur Séhon l’Amorrhéen {ium., XXI, 21-30) lui appartient sûrement quant à ses lignes principales, peut-être aussi celui de la campagne contre Og de Basan (Num., xxi. 33-35 [ou bien Rd]|. Enfin, par delà l’épisode de Balaam, la dernière étape de Seltim (Num., XXV, ta), en face de Jéricho. — f) Le Deutéronome (D’-l nous fournit ici une série d’étapes assez précités : après le long séjour à Cadès (Deut.. i, 46), le détourvers le golfe élariitique. le long de la montagne de Séir, pour ne pas violer la frontière des Edomites [Deut., ii, 1) ; avec la

1. Cf. Fr..M.-J. Lagrange, L’itinéraire…, 1" article, dans Refue Biblique, 1900, p. 63-SG, surtout p. 66, 67.

même préoccupation, on remonte d’Elah et Aeiongaber dans la’arûbâh (n’ddi el’Araba, Deut., il, 2-8a [interprétation de sa d’ ; n)i-ès le grec, qui seul présente un sens acceptable ]) ; détourvers le désert de Moab (Deut., ii, Sb) ; avec la préoccupation de ne pas violer la frontière de ce dernier pays, passagedaasleouadi Zared (Deut., ii, 9-13) ; avec la préoccupation de ne pas violer 1* territoire d’Ammon et lassurance de vaincre les.morrhéens, passage de l’Arnon (Deut., il, 16-25) ; victoire sur Séhon l’Amorrhéen {Deut., Il, 26-37), puis sur Og de Basan (Deut., iii, 1-7) ; occupation du territoire par les Rubénites, les Gaditv’S et plusieurs clans de Manassitcs (Deut., iii, 12-17) ; arrivée et séjour dans la vallée, vis-à-vis de Beth Pliogor (Deut., III, 29). — g] Les éléments de l’itinéraire sacerdotal qui sont renfermés dans le récit du voyage et que leur style, toujours très caractéristique, permet de reconnaître sont peu nombreux : de Cadès au mont 1/or (Num.,

XX, 22) ; départ du mont Hor (Num., ixi, 4aK) ; arrivée à Oboih [Num., XII, 10) ; d’Oboth à Jeabarim (Num., xxi, llb ?) ; les plaines de Moab, au deli du Jourdain de Jéricho (Num., XXII, 1). Après que l’on y a rétabli 1 ordre primitif, le catalogue de Num., xxxiii présente les indications suivantes : de Cadès au mont Hor (37) ; départ du mont Uor (41a), Moséroth (30b ; cf. Deut., x, 6) ; de Moséroth à .isiongaber par Bené-Jaacan, llor-Gadgad, Jétébatha (et. Deut., X, 7), Hébrona (31-35) ; d’Asiongaber, mr Sabnona, Phunon, Obol/i (d. Num., xxi, 10), Jeabarim (cf. Num.,

XXI, 11), Dibon-Gad, Helmoii-Deblathaïm, monts.ibarim en face du Nébo, jusqu’aux plaine » de Moab (’.4rbôt^^ Mù’àb) en face du Jourdain de Jéricho (41b-48) ; campement près du Jourdain, depuis Bellisimotli jusqu’à Abel-Setiim, dans les plaines do Moab (49).

194. — A) On ne saurait méconnaître les variantes de détail qu’une étude attentive fuit découvrir en ces divers catalogues. Un certain nombre d’entre elles, surtout quand il s’agit d’omissions, sont dues aux rédacteurs ; c’est à eux, par exemple, que, selon toute vraisemblance, il faut attribuer la suppression de la victoire sur Séhon dans le Yalnùste et le Code sacerdotal : ils ont voulu éviter les surcharges et les repétitions ; d’autres différences tiennent à la teneur des documents eux-mêmes. Mais si Deut., x, 6, 7 + V’((m., xxi, 12-20 appartiennent à J, si l’on a le droit de se servir de D’- pour combler les lacunes de E, il devient évident que, pour les lignes générales, l’accord est aussi parfait qu’on peut le rêver. — i) En partant de Cadès, on contourne le mont Séir et on arrive au golfe élanitique. On remonte ensuite le ti’ddi et Araha ; la station de P/tunonforme un point de repère précieux depuis que, dans une de leurs caravanes, les Dominicains de l’Ecole Biblique de Jérusalem ont découvert dans ce ouadi le site très caractéristique de FénaiiK Au Sud de la mer Morte, un détour introduit les Israélites dans le ouadi Zared (u drfi el Ifésii). frontière méridionale de Moab. Par ce pays de Moab, ou plutôt par le désert qui l’entoure à l’Orient, ils arrivent aux frontières du royaume amorrhéen. La victoire de Jasa sur SéLon ; la défaite de Og, qui aurait pu les surprendre par derrière ; la prise de possession de ces deux territoires leur permettent de descendre en toute sécurité les pentes de la grande vallée et de venir s’établir dans la plaine de la rive orientale du Jourdain ; ils y attendront le moment favorable pour pénétrer en Canaan-.

198. — B. Les tribus méridionales. — Nous entendons par tribus méridionales celles qui devaient occuper le Sud de la Palestine, à savoir Juda et Simcon ; d’aucuns y ajoutent celle de Lévi, au moins avant qu’elle ne disparût de la liste des clans attachés au

1. Cf. Fr. M.-J. Lagrange, Phounon (Num., xxxiii, 42) dans Reçue Biblique, 1898, p. 112115. Cf. Cleb.mont-G„-NEAU, L’L’dil bi/zantin de Bersabée, dans Reçue Biblique, 1906, p. 412-432, surtout p. 427-428.

2. Cf. avec les commentaires, Fr. M.-J. Lagrange, /.’/iinéraire. .., 2" article, dans Reçue Biblique, 1900 p. 280287 ; 3 » article, ibidem, p. 443-449. 807

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sol. Beaucoup de critiques ont des vues très particulières sur l’entrée de ces tribus en leurs séjours.

19Q. a) Le point de départ de ces théories est le

fragment jahwiste A’uin., xxi, i-3. On y lit qu’Israël venait (ou entrait) par le cliemin d’Atharim et que le roi d’Arad, au iiégéb, voulut s’opposer à sa marche. L’entreprise échoua d’abord (vers.i) ; Israël fut vaincu et on lui fit des prisonniers. Israël lit alors vœu, pour le cas où Yahweh lui accorderait le succès, de dévouer les villes à l’anathème (vers. 2). De fait, après la victoire, on extermina les villes et leurs habitants (vers. 3) et on appela l’endroit Hormah (Anathème). Le chemin d'.tharim est inconnu, mais le négéb et Arad (aujourd’hui Tell Arad, à 80 km. 1/2 au Nord-Nord-Est de Cadès, à 30 km. au Sud d’Hébron) sont des quantités précises. Il s’agit, eu conséquence, d’une tentative faite par Israël en vue de pénétrer par le Midi dans la montagne d’Hébron. Le contexte général place cet essai après la station du mont Hor ; mais le lien du récit avec ce qui l’entoure est assez làclie.

197. — h) Cet épisode ne doit pas être traité isolément. Il faut, en premier lieu, en rapprocher le récit de.Yiim., xiv, 40-45, que les critiques attribuent volontiers dans son ensemble à JE. Il s’agit d’une tentative analogue à la précédente, mais qui aurait pris place presque aussitôt après l’arrivée à Cadès et le retour des espions. Accomplie malgré Moïse et en dehors du secours divin, elle eut une issue fatale ; l’Amalécite et le Cananéen qui habitaient la montagne taillèrent en pièces les enfants d’Israël et les poursuivirent jusqu'à Horma (même nom que xxi, 3). — c) U faut encore établir le rapprochement avec Jud., I, 1-17, qui, dans ses lignes générales, est traité comme provenant du Valut iste. C’est après la mort de Josuéel, d’après le contexte d’ensemble, on est dans la plaine du Jourdain. Les enfants d’Israël sont réunis et consultent Yahweh pour savoir quelle tribu montera la première à la conquête du territoire qu’elle doit occuper (Jud., i, i). Juda est désigné ; il s’adjoint Siméon (vers. 2, 3). Montant vers les batteurs, il remporte un premier succès sur Adonibésec, sans doute dans les environs de Jérusalem (vers. 4-7 [le vers 8 serait additionnel ; cf. vers. 21 et II ^(lHi., V, 6-9]). De Jérusalem on descend vers le Midi (vers. 9). Juda, ou plus exactement Caleb (les CaléiDites ; cf. Jos., XIV, 6-15 ; xv, 13-ig) s’emparent d’Hébron et de Dabir (ed-Dùhariyé (?] ; vers io-15). Avec les flla de Juda, les Cinéens-Qênites montent aussi de la Ville des Palmiers vers le désert de Juda qui est au négéb d’Arad (vers. 16) ; dans leurs luttes contre les Cananéens, Juda et Siméon arrivent jusqu'à Séphaath (vraisemblablement6"e/>a17a, à 35 km. au Xord-Nord-Est de Cadès, à 60 km. au Sud-Ouest d’Arad) ; ils les taillent en pièces, détruisent la ville et lui donnent le nom de Horma (vers.17 ; cf. -Vh/ »., XIV, 45 ; XXI, 3).

198. — d) Si l’on se contente de lire les textes tels qu’ils se présentent, il semble qu’on est en présence de trois faits distincts : tentative de tout le peuple, dès l’arrivée à Cadès, en vue d’entrer en Palestine par le Midi, issue fatale ; tentative renouvelée par tout le peuple après la station de Hor et aboutissant, après une période d’angoisse, à une victoire, dont d’ailleurs on ne prolite pas ; occupation de la montagne d’Hébron et du négéb par les tribus de Juda et de Siméon venues de Jéricho avec les Calébiles et les Cinéens.

199. — e) Toutefois la présence du nom de Horma dans les trois récits a souvent attiré l’attention des critiques et en a porté un certain nombre à n’y voir que la description de plusieurs phases du même

événement. Ceux qui attribuent à J les traits principaux de A’iim., xiv, 40-45 ' et Num. xxi, i-3, sont à peu près nécessairement amenés à conclure qu’il y a eu deux tentatives par le Sud, l’une aboutissant à un échec, l’autre Unissant par un succès ; Stbuernagel, qui attribue le premier texte à E, se rallie quand même à cet enchaînement des faits'*. — /") D’autres, tels que Babntscii, poussent plus loin l’analyse de Num., XIV, 39-45. Ils distinguent d’abord des restes d’un récit élohiste (39^, 40ab « /, 41"", 4^, 4'i, 45"'") qui se termine à la défaite de Horma. Les autres éléments sont de J ; il faut les rattacher à xxi, i, qui leur fournit une conclusion dans le même sens pessimiste que celle de VEloliiste. Les deux traditions placeraient ainsi la première tentative dès l’arrivée à Cadès. Seul toutefois le Yahwisie {?i’um., xxi, 2, 3) aurait gardé le souvenir d’une seconde entreprise couronnée de succès. Si l’on s’en tenait à Num., XXI, 2, 3, il semblerait que ce succès suivit l'échec d’assez près ; en tout cas, on pourrait croire que l’anathème des villes et de leurs habitants eut pour conséquence une installation dans le négéb. Mais déjà cette hypothèse se concilie assez dillicilement avec les malédictions prononcées contre les Israélites à l’exception de Caleb (I’um., xiv). Aussi Bæntscu se demande si la tradition n’aurait pas généralisé en faveur de tout Israël un succès remporté par les seuls Calébites-Cénézéens '. — g) Mais il y a Jud., i. Ici l'établissement est placé après la mort de Moïse et de Josué et c’est du Nord que Juda, Siméon, Calébites et Cinéens viennent dans la montagne d’Hébron et le négéb ; dans ce contexte, la victoire racontée A’um., xxi, 2, 3, n’aurait pas eu de résultat durable. Des critiques, il est vrai, attachant une grande importance ày » (/., i, 16, se sont demandé, à la suite de Stkuehnagel->, si la Ville des Palmiers (i’r hatt’mârîm), au lieu d'être identiliée avec Jéricho (comme dans Deut., xxxiv, 3 ; Jud., iii, 13 ; 11 Chron., xxviii, 15), ne devrait pas l'être avec Thamar du négéb (aujourd’hui Kurnub [?] ; cf. AcXLvii, 19 ; XXVIII, 28). Si c'était du négéb que Juda (Siméon) et les Cinéens fussent montés vers la Palestine et eussent pris le point de départ de la campagne qui aboutit à la victoire de Horma (Jud., i, 17), on pourrait aisément conclure que Jud., i, 16, 17 et Nuin, , XXI, 3, 3, se rapportent exactement au même fait. Mais le contexte de Jud., i, est tellement contraire à cette interprétation que Steuebnagel se borne à admettre la pénétration par le Sud pour quelques groupes seulement. D’autres préféreraient dire que l’occupation consécutive à la victoire racontée yum., XXI, 2, 3 fut transitoire ; Bæntscb convient que tel est bien le sens suggéré par le contexte, mais qu’il ne se laisse pas déduire du texte. Pour d’autres, tels que Wellhausen, le vœu dont pai’Ie JYum., xxi, 2, n’a vraiment été exécuté qu’après l’invasion par le Nord (cf. Jud., i, 17) ; mais

1. Cf. J. Estlin Cakpe.nter et G. HahfokdBattehsbt, The Uexaieucfï according lo tite Hevised Version arrangea in its constituent documents by metnbers of ihe Society of Hisiorical Theology, Oxford, edited wiiti Introduction, Noies, Marginal Références and Synoptical Tables ; t. II, Text and Notes, ad loc.

2. Cf. Cari Stelebsacel, ievriuc/i…, p. 167.

3. Cf. Steueknagel, Die Einwanderung der Itrælatiimme in Kanaan, 1901, p. 70 sv.

4. Cf. B. Bæmtscii, Exodus-Lei^iticus-Xumeri tibersetzt^ und erkliirt (dans Handhoninientar zum.ilten Testant fnt de W.Nowack", à propos de.Xum., xxt, 1-3. Cf. W. Nokack, Richier.Ruih ubersetzt und rrKUiri (dans Handhommrntar zum Alten TestamentdQ W. Nowack), à propos de Jud., i, 16, 17.

5. Cf. Cari Steuernagei., ievriucA…, p. 166-167.

G. Cf. Cari STBUEHi- « Ai, EL, Die Iiinianderung…, p. 73-77. 809

MOÏSE ET JOSUE

810

alors il faudrait réduire autant que possible la distance qui sépare entre eux les événements '. Dans ce cas, Nuin., xxi, 3, serait, ou bien une anticipation de Jiid., 1, i-i^, ou encore (No WACK-, BuDDF)un résumé destiné à remplacer Jud., i, 1-17 après qu’il fut violemment détaché de Num., xxi, 2, auquel il faisait d’abord suite.

500. — /i) La théorie aujourd’hui la plus en faveur est peut-être celle à laquelle Bakntscu ' paraît en définitive donner sa préférence. Nous aurions vraisemblablement dans ces textes l'écho de deux traditions. L’une, élohisle, représentée par les éléments principaux de Aiim., xiv, 3g-45, n’aurait connu que le désastre de Horma, mais l’aurait étendu à tout Israël ; c’est que, d’après cette tradition, l’entrée de toutes les tribus en Canaan se fait par l’Est. L’autre tradition, yahwiste, aurait sans doute, sous sa forme actuelle, repris cl mis au compte de tout Israël l’ccliec de Cadès raconté par E et l’invasion par l’Est. Mais sous sa forme première, telle que Jud., i nous la laisse entrevoir, cette tradition ne se serait d’abord intéressée qu'à Juda, Siuiéon et aux clans adventices ; sa caractéristique principale aurait été de faire pénétrer ces tribus par le Sud, dans le « p^éi d’abord, puis dans la montagne d’Hcbron. — i) Et telle serait, en efTet, la vérité historique : seules les autres tribus auraient fait le grand détour par les plaines de Moab. On comprend que, par ce qu’elle dit de Juda, cette théorie ait l’assentiment de ceux qui, comme WiNCKLKR, isolent complètement l’histoire des tribus du Nord de celle des tribus du Midi.

501. — /)On ne saurait traiter d’une manière uniforme toutes les considérations que nous venons de résumer. Dès que l’on se place dans le cadre de l’hypothèse documentaire, il n’y a pas d’objection de principe à formuler ni contre la distinction des sources telle que Bæntsch, par exemple, la pratique dans Num., xiv, 3g-45, ni contre cette première con- I clusion que E ne s’attachait qu'à l’entreprise infructueuse tentée par les Israélites lors de leur arrivée

à Cadès ; dés que l’on ne spécule pas sur les raisons du silence concernant les événements ultérieurs, la constatation du fait lui-même est sans conséquence. — h) Il est pareillement possible que les éléments de.1 que l’on prétend découvrir en Num., xiv, Sg-^S soient à rejoindre avec ! 'inn., xxi, i, pour constituer le récit de la même entreprise et du même échec que raconte E. On l’a déjà noté, le lien de Num., xxi, i-3

1. J. Wellhûusen admet que toutes les tribus sont montées par le payi de Moab et que Juda est descendu du Nord en la région qu’il devait occuper (cf. Die Israrlititc/ie…, p. 36-37 ; DU Composition des iiexaieuchs uitd der hitloriichen fiiicher des AHen Tesiamenl, 2 « éd., p. 3't4-3'l5). Il attribue la prise d’Hébron ; » Calelf [Die Composition…, loc. cit.). Ed. Meyer reconnaît aussi que les tribus sont j montées par l’Est [Kritik der Beriehte iiber die Krohernng Paldstinas, dans Zeitschrift fur die alitestameniliche Wissenschafi, 1881, p. 117-150, surtout p. 140-141). Si l’on admet avec Meyer, que Num., xiii, 22 (Vulg. 23) est du Yahivisie, tout comme Jud., , la comparaison de ce verset avec Jud., i, 10, 20 semble entraîner la conclusion que l’envoi des messagers, la tentative d’invasion par le Sud (éléments de J dans Num., xiv, 39.45, et Num., xxi, 1-3), i’orrirée par le Nord (Jud., i, 1-17) ont dû se produire dans un laps de temps assez restreint (i^ùt-on, au bout de quarante ans, retrouvé les trois fils d’Eniiq ?), Ln remarque est, entre outres, de H. Holzingek (Numeii, dans le Kurzer Hand-Cnmmentar zujn AHen Testament de Karl Marti), à propos des systèmes de Wellhansen et Meyer (cf. Meyek, A’rid’A…, p. 140).

2. Cf. W. NowACK, Richter…. à propos de Jud., i, 17.

3. Cf. Karl Bl’DDk, Dos Buch der Richter erklàrl (dans Kurzer Hand-Commentar zum AHen Testament de Marti), i propos de Jud., i, 17.

4. Cf. H. Bæntsch, £'xodu «.., àproposde -Yum., xxT, l-3 avec son contexte est lâche ; d’autre part, le vers, i et les vers. 2-3 peuvent se rapportera des faits séparés par un certain laps de temps. Rien ne nous renseigne sur la date du vœu du vers, a et rien ne prouve qu’il ait été formulé aussitôt après l'échec. Quant à la victoire dont parle le vers. 3, elle nous paraît mieux s’expliquer dans le cadre d’une pénétration par le Sud que de toute autre manière. L’exécution de l’anathème aux dépens des villes cananéennes entraîna la possession du territoire du roi d’Arad. Mais l’occupation semble devoir être considérée comme transitoire, réserve faite de certains éléments de tribus qui seraient demeurés au pays ; on pensera assez naturellement à des clans cinéens ou calébites s’attachant plus volontiers à un territoire voisin du négéb, leur séjour primitif. — /) Toutefois nous ne croyons pas absolument inadmissible, au point de vue d’une saine critique, que Jud., i, 1-15, maintenant résumé dans Num., xxi, 3, soit la suite immédiate de Num.^ xxi, 2. Il n’y aurait alors qu’une seule campagne d’occupation, qu’une seule prise de possession. Dans ce cas, au lieu de s’attacher à un résumé plus que sommaire, c’est Jud., i, 1-17 qu’il faut prendre en particulière considération ; il est, en conséquence, nécessaire de dire que cette seule invasion efficace s’est faite par le Nord.

SOS. — "') Il faut donc conclure, pour rester d’accord avec les textes auxquels on donne confiance, que tout le futur Israël est venu par le pays de Moab : toutes les tribus ont quitté ensemble la terre d’Egypte, toutes ont pris part aux migrations et ont séjourné à Cadès, toutes ont fait le grand détour par les confins du désert sjrien. C’est seulement aux plaines de Jéricho, et dans les circonstances dont nous aurons à parler ensuite, que s’est opérée cette séparation après laquelle chaque tribu a sui i, en vue de son installation dans le territoire conquis, sa voie particulière.

S03. — C. Dans les plaines de Moab. — Nous n’avons pas de données bien précises sur la durée du séjour des Israélites dans les plaines de Moab. Deux faits de premier plan attirent l’attention : la mort deMoïse(cf. Deut., xxxiv, 1-8) et l’entrée en chargede Josué (Deut., XXXIV, g ; cf. Jos., 1, i-g), auparavant désigné comme son successeur (Num., xxvii, 15-a3 ; Deut., i, 38 ; iii, 28 ; xxxi, 3, 7, 8, 14, 15. 28). D’autres faits plus généraux méritent encore d'être soulignés. C’est alors que les tribus transjordaniennes commencent à s’installer dans leurs séjours (A’Hm., xxxii ; Deut., iii, 12-ao). C’est alors aussi que les Israélites commencent d’entrer en contact avec les païens. Ces derniers n'étaient pas des Cananéens, mais des Moabites ; les conséquences de ces premières relations furent déplorables au point de vue moral et religieux (Num., XXV, 1-5, JE ; l’impression est la même à propos des Madianites, dont parle P, vers. 6-18). Le châtiment fut sévère (Num., xxxi ; P), mais il importait de prévenir le retour de tels scandales. La Bible représente le séjour des plaines de Moab comme marquant, à la façon de Cadès, une période active de législation. Des précisions apportées aux décisions antérieures d’ordre civil (cf. A’um., xxvi ; XXVII, i-ii ; xxxni, 50-xxxiv, ag ; xxxv ; xxxvi) ont pu être occasionnées par l’installation même des premières tribus ; tels ou tels compléments ajoutés au rituel, sans doute assez élémentaire, de Cadès (cf. Num., xxviii-xxx) ont pu, eux aussi, répondre à des besoins nouveaux. Même si l’on admet que le Deutéronome a, autant sinon plus que tel autre code, reçu des araplilications destinées à l’adapter aux besoins des âges postérieurs, on ne peut opposer une fin de non recevoir à la donnée biblique d’après laquelle c’est dans les plaines de Moab que furent posées les 811

MOÏSE ET JOSUÉ

812

première bases d’une législation avant tout destinée à isoler le peuple de Dieu du contact avec l'étranger impur.

S' La conquête de Canaan

g04. — A. Les données du livre de Josué. — L’histoire delà conquête est surtout racontée dans le livre de Josuè. — a) Apres la mort de Moïse el sans que la date soîL autrement précisée, Yahweli invite Josué à passer le Jourdain : tout le pays que foulera la plante de ses pieds sera à lui ; sa fidélité à la Loi sera récompensée par une force irrésistible. Josué donne ses ordres au peuple ; il rappelle aux Transjordaniens qu’ils doivent, en vertu de leurs [)romesses elles-mêmes, prendre part à la conquête de Canaan {Jos., i). — b] Le jour venu, le peuple quitte Settim, passe

!e Jourdain, arrive à Galgula ; il va en faire son campement prolongé et le point de départ de ses entreprises

ultérieures. Le temps des migrations est désormais passé, on est en Canaan, Les Israélites se mettent en règle pour le rite de la circoncisioi., qui paraît avoir été négligé au désert. Us célèbrent la Pàque, mangent des fruits dupays et la manne cesse (/oj., iii-v). — c) Une terreur salutaire s’empare des rois de Canaan. La première conquête à réaliser est celle de Jéricho ; son occupation assurera la possession de l’oasis et de la plaine ; Israël ne sera pas exposé à être pris par derrière à mesure qu’il avancera dans la montagne. Aus : >i, même avant le passage du Jourdain, Josué s’est-il fait renseigner sur l'état de la place {/os., Il) ; il s’en empare maintenant et la voue à l’analhème le plus complet (Jos., vi). — d] La conquête de la Terre Promise s’opère ensuite en quatre actes : prise de Haï, qui assure l’entrée dans la montagne d’Ephraïm et qui semble aboutir à l’occupation de Sichem. où se fuit un renouvellement de l’alliance (Jos, vii-vm) ; l’alliance avec les Gabaonites, qui crée un point d’appui important î » peu de dislance au Nord de Jérusalem (Jos., ix) ; la défaite de la coalition des rois du Midi, qui permet ù Josué, tout en laissant Jérusalem aux mains des Jébuséens. de pousser vers le Sud jusqu'à Macéda. Libna, Lachis, Eglon, Hébron, Debir [Jos., x, 1-39' :  ; la défaite de la coalition des rois du Nord, ouvrant dans cette nouvelle direction la voie à la conquête (Jos., i, 1-15). — c) Des résumés donnent limpression d’une occupation complète, soit de la région du Sud depuis Cadès-Barné jusqu'à Gabaon (Jos., x, 4043), soit de la région du Nord et de tonte la terre promise depuis le negéb et Séir jusqu’au Liban et à 1 Hermon [Jos., XI, 16-23). Une sorte de tableau synoptique achève cette section ; c’est la liste des rois vaincus : Séhon et Og en Transjordane, trente et un roitelets en Canaan (Jos., xii).

SOS. — f) Puisque le pays est conquis, il semble qu’il n’y ait plus qu'à le partager entre les tribus (Jos., xiii, 6t>, 7). Néanmoins, avant de lui donner des ordres à ce sujet, Yahweh rappelle à Josué devenu vieux qu’il y a encore beaucoup de territoire à gagner (/os., xiii, 1-Ga). Le récit mentionne d’abord que la Transjordane a été répartie par Moïse entre Ruben, Cad et une moitié de Manassé (Jos., -Mil, 8-33). Le partage de Canaan se fait en deux fois. D’abord en faveur de Juda (et Galeb), puis de Joseph (Ephraïm et Manassé ; 70s., xiv-xvii). On rencontre alors un renseignement (/os., xviii, 1|, d’après lequel la tente de réunion est installée à Silo ; le peuple s’y réunit devant Yahweh. Sept tribus n’ont pas encore reçu l’indication de leur territoire. Josué envoie explorer le pays inoccupé et le fait distribuer en sept lots. On les tire au sort en faveur de Benjamin, Siméon, Zabulon, Issachar, Aser, Neplitbali, Dan ; Josué reçoit pour lui la ville de ThamnatSaraa (Jos., xviii-xix). L opération a pour complément la désignation des villes de refuge et des villes lévitiques (Jos., XX, xxi). Les récits du retour des Transjordaiiiens en leurs foyers, des derniers jours et de la mort de Josué remplissent la fin du livre (Jos, , xxii-xxiv).

806. — g) Une impression générale se dégéige de l’ensemble du volume et plus spécialement de la deuxième partie. C’est que l’on opère sur un terrain conquis, dont on dispose et que l’on distribue sans résistance. Mais, quand on y regarde de plus près, on saisit diverses réserves. D’abord celle de Jos.,

XIII, 1-6^, dont nous avons parlé. Celle encore de Jos.,

XIV, 6-15 et XV, iS-ig où l’on voit les Calébites conquérir ou achever de conquérir Hébron et Debir alors que, d’après Jos., x, Sô-Sg, ce serait Josué qui se

serait emparé de ces villes (cf. Jos., xi, 21, 22, où il chasse de ces villes les flls d’Enac). Ensuite : Jos.,

XV, 63, où les fils de Juda sont impuissants à chasser les Jébuséens de Jérusalem ; xvi, 10, où les Epbraïmites ne peuvent déloger les Cananéens de Gézer ; XVII, ii-13, où les iManassites éprouvent la même résistance dans le district des Trois-CoUines ; xvii, 1/J-18, où les « fils de Joseph », désignés par leur nom générique, ont à conquérir une partie du territoire qu’ils convoitent ; xix, ^7, où les Daniles, trop à l'étroit en leurs territoires, émigrent en partie vers le Nord. — li) Il est intéressant de rapprocher ces données de celles que fournit / « rf., i, en un récit que l’inscription du début reporte aux temps qui ont suivi la mort de Josué. Juda et Siméon ont à conquérir laborieusement le territoire qu’ils doivent occuper, sans même réussira s’emparer de la plaine (vers. 1-20) ; Benjamin (dans Jos., xv, 63, c'était Juda ; dans Jiid., i, 8, au contraire, Juda réussit en cette entreprise) est impuissant à chasser les Jébuséens de Jérusalem (Jud., i, ai). Désignée par un terme collectif (cf. Jus., xvii, ii-18), « la maison de Joseph » monte à la conquête de Béthel (vers. 22-26) ; cependant on répète, à propos de Manassé (vers. 27, 28, cf. Jos., XVII, ii-13) et d’Ephraïm (vers. 29 ; cf. Jos.,

XVI, 10), et à peu près dans les mêmes termes, ce qui en a été dit dans le livre de Josué. Zabulon, Aser, Neplithali sont à leur tour impuissants à chasser les Cananéens de leurs territoires (vers. 3033). D’autre part, les Danites sont refoulés dans la montagne par les.morrhcens ou mieux les Cananéens (vers. 34, 35) ; d’où, sans doute, l’exode dont parle Jos., xix, 4? et que raconte vraisemblablement Jad., xvir-xviii.

807. — B. 'J’Iiéories des critiques. — Il est évident que Josué nous présente un ensemble de fragments empruntés à des documents divers, que le rédacteur n’a pas pris soin de fusionner dans une parfaite unité. De cette juxtaposition des sources, les critiques tirent de graves conséquences. — a) D’après eux, nous sommes en présence de trois documents qui traitent exactement du même sujet — la première con((uête de la Palestine, — mais présentent les événements sous des jours très différents. — h) Le principal de ces documents est le Deulérononiiste (D"^) ; il a englobé l'£loliiste, dont quelques fragments seulement ont été insérés après coup sous leur forme primitive. D’ai>rès D'-, qui a fourni la trame principale des récits de Jos., i-xii, la conquête a clé l'œuvre des tribus réunies en un seul groupe, sous la conduite de Josué. Non seulement Juda y a pris part ; mais, malgré qu’ils eussent déjà acquis leur territoire, Kuben, Gad et le Manassé oriental s’y sont associés. Cette conquête a été rapide, réalisée en une série de quatre campagnes qui ont assuré aux vainqueurs la possession immédiate de tout le pays convoité. Cette idée était déjà celle de E (cf. 200, /') ; elle a été adoptée, développée par D- et les rédacteurs de la même école, qui l’ont encore accentuée. — c) De son côté, le récit sacerdotal, auquel on doit la trame de Jos., xiii-xxi, est tout entier à cette conception et renchérit encore sur ceux qui l’ont précédé. La conquête est si complète qu’on peut entièrement disposer du pays, le diviser en autant de parts qu’il y a de tribus et tirer ces parts au sort. — à) Mais toutes ces constructions sont purement chimériques et c’est à un autre document qu’il faut prêter attention, au Yahtviste, dont quelques fragments ont été dispersés dans Jos., xin-xix, puis groupés avec quelques autres dans Jud., 1. Dans ce document, loin de s’accomplir en une série de victoires éclatantes et décisives, la conquête apparaît surtout comme une œuvre de pénétration progressive ; 813

MOÏSE ET JOSUE

814

Ire part, loin qu’il s’agisse d’une action come, réalisée sous la conduite de Josuc, c’est

d’aut

mune

chaque tribu, associée tout au plus à une triliu voisine, qui poursuit ses propres lins, sans pouvoir la plupart du temps aboutir à un résultat complet.

208. — C. Appréciation. — Ici encore il importe de faire la part du vrai et du faux en ces tliéories. — a) Il nous paraît incontestaljle que les textes, dans leur disposition et état actuels, bloquent en leurs assertions globales, à côté de résultais acquis au temps de Josué, des progrès réalises à des dates postérieures, parfois beaucoup plus tardives. C’est iléjà le cas, semble-t-il, pour plusieurs résumés de la lin de la première partie du livre qui nous occupe (./os., X, ! iO-lii ; XI, 16-23 ; peut-être une part de xii). On pourrait dire sans doute que l’auteur, un continuateur de D’^, tient compte, ce faisant, des droits acquis sur tout le pays en vertu des victoires de Josué et aussi, peut-être surtout, des promesses divines. On pourrait dire aussi qu’écrivant à une date notablement postérieure aux événements, ce reviseur a rattaché à la première conquête des résultats qui en étaient vraiment la suite, mais n’avaient été réalisés que beaucoup plus tard. Il faudrait faire des remarques semblables à propos des récits de la prise d’Hébron et de Debir (Jos., x, SG-Sg). — h) A plus forte raison convient-il de les renouveler et de les accentuer en présence des données de P touchant le partage de la Terre Promise. Non que P ail inventé l’histoire. Dès le It mps de Josué, il y eut, sous une forme ou sous une autre, un partage de Canaan : chaque tribu se trouva fixée sur le point du territoire vers lequel elle dirigerait ses convoitises. Mais à ce cadre, sans doute très élémentaire, P et ses continuateurs ont donné d’extraordinaires développements. Ils en ont fait comme la base d’une géographie de la Palestine et de sa division entre les divers clans, tels qu’ils se présentaient à leur époque. C’est ce qui explique, par exemple, que des villes — notamment celles de Philistie (Jos., xv, 4>-17. même 33-40) — sont attribuées à Juda, qui certainement ne lui appartenaient pas au temps de Josué ; que d’autres, v. g. Béthel (Jos., xviii, 22 ; cf. Jiid., 1, 22-26) et Jérusalem Jos., xviii, 28 ; cf. (Jud., I, 21 et II Sinn., v, 6-9) sont mises au compte de Benjamin qui, d’après des textes très authentiques, ne lui revinrent que dans la suite. On pourrait se figurer ces catalogues comme autant de listes, rattachées à la conquête, des localités qui peu à peu s’ajoutèrent au territoire de chaque tribu. — c) On est invité, semble-t-il, à considérer les événements sous cet angle par le rédacteur lui-même. Utilisant les dounées de P, il a éprouvé le besoin de les tempérer par des insertions beaucoup plus sobres, empruntées au Yah^iste.

209. — d) Ces constatations n’empècljent pas de retenir le fond des récits du livre de Josué. On peut ramener à quatre les données de premier plan. La première concerne l’action conquérante de Josué lui-même, dirigeant l’invasion à la tête des tribus réunies. Il importe toutefois de bien préciser la nature de ces expéditions. Elles revêtent surtout, pourrait-on dire, le caractère de raids et de razzias ; le récit le marque avec toute la précision désirable. Le lieu de séjour, le campement est etdemeure à Galgala (Jos., iv-v). C’est de là que l’on part à la conquête de Jéricho. Sans doute, on ne dit pas que l’on y revienne aussitôt après la prise de la ville. Il est très admissible que les Israélites se soient hâtés de profiter de ce premier succès pour faire de suite une poussée dans la montagne (Jos., vii, 2) ; néanmoins l’épisode d’Achan (/os., vii, 13-23), où l’on parle du campement (vers. 21-23), pourrait peut-être permettre de penser qu’on est retourné à Galgala entre la victoire de

Jéricho et la campagne définitive contre Haï. En tout cas, on y revient après la bataille de Haï et c’est là que les envoyés des Gabaoniles rencontrent Josué {Jos., IX, 6) ; on y revient après la défaite des rois du Midi (^05., X, 43). S’il en est ainsi, on ne saurait dire que, d’aiircs le texte lui-même, les campagnes victorieuses de Josué aient pour conséquence une occupation immédiate. Ce n’est aflirmé nulle pari et, si même il n’est pas anticipé, le récit de Jos., viii, 30-35 n’entraîne pas nécessairement cette conclusion. 310. — e) Mais à défaut d’une occupation immédiate, la campagne glorieuse a pour conséquences des droits incontestables. Il se peut que les vainqueurs ne se sentissent pas de taille à se maintenir, après chaque combat, dans le territoire conquis ; il se peut qu’ils éprouvassent le besoin de se refaire pour de nouvelles luttes. Mais ces triomphes, parfois difficiles, avaient trop bien réalisé le but que l’on poursuivait avec la conviction de travailler à l’accomplissement des promesses divines, pour que l’on hésitât sur les résultats de tant d’ellorts. A Galgala, au retour de l’expédition contre les rois du Nord, on se regardait comme maître du pays envahi ; on étendait même cette prétention à toute cette terre de Canaan que Dieu avait promise aux pères et sur laquelle on avait pris pied d’une manièie si étonnante et si décisive. C’est cette conviction que consacrent des textes tels que ceux de Jos., x, 40-43 ; XI, 16-23.

gll. — f) Que s’il en est ainsi, il apparaît tout naturel qu’à Galgala on ait, d’une manière ou d’une autre, procédé à une répartition de ce territoire ; il fallait que chaque tribu sache vers quel point diriger ses entreprises en vue d’un établissement durable. Le texte de Jos., xiii, 1-7 paraît nous maintenir encore à Galgala ; en tout cas, c’est ce que fait Jud., i. D’autre part, Jns., xviii montre que l’opération s’achève à Silo. C’est dire qu’elle ne se fait pas d’un seul coup et de la façon méthodique que d’autres textes pourraient suggérer ; la même impression se dégage des réclamations que, d’après /os., XVII, 14 sv., font entendre les Joséphites. Pendant que Juda et Josepli, plus vite fixés sur leur sort, se dirigent, l’un vers la montagne du Midi, l’autre vers la montagne du centre (cf. Jos., xviii, 5), le reste des tribus est encore hésitant et incertain. Les deux documents que nous pouvons consulter sont, d’autre part, unanimes à dire que l’œuvre de répartition revêtit un caractère religieux ; ici l’on consulte Yalnvch (Jud., i, 1 ; J), là on tire au sort en la présence de Yahweh (/oA-., xiii, 6 ; xviii, 6). Rien en cela de surprenant pour qui se rappelle la compénétration de la vie civile et delà vie religieuse à ces époques lointaines. SIS — ^) C’est seulement après ces campagnes, après un séjour plus ou moins long à Galgala, puis à Silo, que chaque tribu se préoccupe d’une installation plus définitive. Les extraits du Yahaiste qui sont répartis dans le récit sacerdotal (Jos., xni-xix) le disent clairement. C’est alors qu’intervient l’action séparée de chaque tribu ou, comme dans le cas de Juda-Siméon, de Joseph^Epliraïm-Manassé, de tel ou lel groupe restreint de tribus. Elles s’acheminent chacune vers leur objectif, avec des succès divers qui sont exprimés dans les textes avec un juste sens des nuances. Juda monte d’abord (Jud., i, 2). Il conquiert la montagne du Sud (Jud., 1, 4-7, 9-17 », 19") elle néféh (Jud., i, 9). Ses succès sont limites dans la plaine (.furf., I, g, iS.ig) ; même il est obligé de céder une enclave importante aux Calébites {Jud., i, io-15, 20) et de laisser les Siméonites s’installer à ses dépens (/os., XIX, 1-9 ; cf. / » rf., I, 3). A son I tour, Joseph, ou le groupe Ephraim-Manassé non encore divisé, occupe de très bonne heure une portion 815

MOÏSE ET JOSUÉ

816

considérable de territoire (/os., xvi-xvn ; Jud., i, aa29). Il emporte avec lui l’arche et le sanctuaire mobile du désert, il pourvoit à l’installation du culte de Silo, qui contribuera à assurer pendant longtemps la supériorité à Ephraïm. Celui-ci s’agrandit aux dépens de Manassé (Jos., xvi, 9 ; xvii 9) qui, de sou côté, empiétera sur Issachar et Aser (/os., xvii, 11). Mais, pour les fils de Joseph non plus, la conquête n’est pas complète. Les Cananéens demeurent indéfiniment à Gézer au milieu d’Ephraim qui parvient seulement à les assujettir à la corvée (Jos., xvi, 10 ; cf. Jud., i, 29). Il en est de même en Manassé pour les Cananéens des Trois-GoUines (Jos., xvii, la ; et. Jud., i, 27) ; c’est plus tard seulement que, devenu plus fort, Manassé pourra en exiger une redevance (/os., xvii, 13 ; Jud., I, a8). Nous avons déjà dit le sort de Dan (Jos., XIX, 47 ; Jud., I, 34 ; xvn-xviii). Zabulon et Nephtliali n’eurent à leur tour qu’un succès limité ; ils durent tolérer des Cananéens dans plusieurs de leurs villes, se bornant à en réclamer des redevances (Jud., i, 30, 33). Plus précaire encore la situation d’Aser ; c’est lui qui fut réduit à demeurer au milieu des Cananéens qu’il ne sut chasser (Jud., i, 31, Sa). On remarquera qu’avec un sens très précis des réalités et au prix de quelques répétitions, les rédacteurs ont placé les éléments du Yalnviste et dans le livre de Josué et au début de celui des Juges. C’est dire très clairement que, commencée sous Josué, l’oeuvre d’occupation se poursuivit après sa mort (/urf., i, i) ; elle fut longue, laborieuse, et n’obtint, en ces premières périodes, que des résultats partiels ; les tribus s’installèrent dans la région montagneuse ; mais les plaines leur échappèrent presque entièrement.

Conclusion

513. — C’est ainsi qu’en nous plaçant sur le terrain de la critique documentaire, nous arrivons à des constatations intéressantes pour l’exégèse catholique. Bien comprise, l'œuvre de la critique littéraire du dernier siècle n’a pas nécessairement, dans le domaine de la critique historique, les répercussions que de trop nombreux exégètes ont prétendu lui assurer. On n’a pas le droit de s’en servir pour bouleverser de fond en comble l’histoire des origines du peuple de Dieu. En réalité, si ou l’interroge avec un souci constant de ne pas altérer, par des interprétations arbitraires, les données des textes, on arrive à cette conclusion : Les lignes générales de la mission de Moïse et de celle de Josué demeurent celles qu’en lisant l’Hexateuque, tel qu’il se présente â nous, l’exégèse traditionnelle avait tracées. C’est une preuve nouvelle que les documents n’ont pas pris naissance aussi longtemps après les événements qu’on se plaît à le dire.

lU- — Les miracles de Moïse et de Josué

1° Idée générale des miracles

514. — A. Les miracles de Moïse. — « Il ne s’est pas levé en Israël de prophète semblable à Moïse, que Yahweh connaissait face à face. » (Deut., xxxiv, 10). Personne ne voudrait protester contre cet éloge que, plusieurs siècles avant Jésus-Christ, l’auteur du dernier chapitre du Pentateuque faisait du fondateur de la nation juive, du premier organisateur de cette religion qui, considérée soit en elle-même, soit en celles qui en sont dérivées, est devenue le culte de la plus grande partie du monde civilisé. Mais l’auteur sacré ajoute : Ni quant à tous les signes et miracles que Dieu l’envoya faire, dans le pays d’Egypte, sur Pharaon, sur tous ses serviteurs et sur tout son pays, ni quant à toute sa main puissante et à toutes les merveilles terribles qu’il accomplit sous les yeux

de tout Israël. » (Deut., xxxiv, 11, la). Celte allusion aux miracles de Moïse, à laquelle font écho presque tous les textesqui parlent du grand prophète (cf., v. g., Eccli., xi, v, 1-5), nous introduit sur un terrain beaucoup plus brdlant. Nombre de critiques étrangers à l’Eglise, plus ou moins teintes de rationalisme, refusent de s’y aventurer et rejettent sans discussion la réalité des prodiges racontes dans Ex-Deut. Les exégètes chrétiens, au contraire, n'éprouvent aucune diiriculté à reconnaître, en quelque livre autorisé qu’ils en lisent le récit, l’objectivité des interventions divines et miraculeuses. Nous n’oublierons pas, en abordant ce sujet, qu’il a été à maintes reprises traité par des savants catholiques ; ce sera pour nous une raison d'être bref.

215. — Il nous semble que la première chose à faire est d'établir la liste des principaux miracles que le Pentateuque rattache à l’intervention ou à la présence de Moïse. Gomme précédemment, nous indiquons la distinction des documents :

a) Apparition de Yahweh à Moï^e, Ex., iii, 1-6. — 1, 4b, 6 E. — 2-4a, 5, J. — Cf. Ex., vi, 2-8, P.

b) Les signes du bâton changé en ger[>ent et de la lèpre, Ex., IV, 1-9, J.

c) La lutte avec Yahweh, Ex., iv, 24-26, J.

d) Les plaies d’Egypte :

f) L’eau changée en sang, Ex., vii, 14-25. — 15b, l/b*^ 20*, 23, E. — 14, 15a, 16, 17', 18, 21a, 24, 25, J. — 13. 2 la*, 21b, 22, P.

, 3) Los grenouilles, Ex., vii, 26-Tiii, 11 (Vulp. viii, 11 :.). — vii, 27-29, viii,.'.-lia », J. _ viii, 1-3, 11*, P.

/) Le » cousins, Ex., viii, 12-15 (Vulg. 16-19), P.

5) Les moustiques, Ex., viii, 16-28 (Vulg. 20-32), J. t) La peste du bétail, Ex., ix, 1-7, J.

;) Les pustules, Ex., ix, 8-12, P.

r) Lo grêle, Ex., ix, 13-35. — 22, 23a, 25a, 35a, E. — 13-21, 23b, 24, 2.-.b-30, 33, 34, J. — 35b, Rp. _ 31-32, glose.

6) Les sauterelles, Ex., x, 1-20. — 12, 13 », 14aa, 2n, E.

— 1-11, 13b, I4- », : 19,.1.

<) Le » ténèbres, Ex., x, 21-29. — 21-23, 27, E. — 24-26, 28, 29. J.

>) La mort des premiers-nés, Ex., il, l-iil, 30. — xi, 1-3, E. — II, 4-8 ; XII, 21-23, 27b, 29, 30, J. — iii, 4-20, 28, P. — XII. 24-27a, Ud. — xi, 9, 10, Rp.

e) Colonne de feu et colonne de nuée, Ex., xili, 21, 22, J. /") Passage de la mer Rouge, Ex., xiv, 15-30. — 15a, ; ,

16a « , lya, 20b, E. _ (9h_ 20a, 21a.i, 24. 25, 27a.ib, 30, J.

— 15*. l(i » r.-18, 2]a « b, 22, 23, 26, 27aa, 28, 29, P. g) Les eaux de Maïa. Ex.. xv, 23-25 », JE.

h) Au désert de Sin, les cailles et la manne, Ex., xvi. 1.36. — 4ab «. 13b.l5a, 19, 20. 21b, J (?). _ 1-3. 9-13 », 16bIS, 2Ia, 22-26, 29-32, 35, P. — 4b : -8. 27. 28, 33. 34, 36, R. /) Les eaux de Mass.ih-Meribali. Ex., ivii, lb, ; -7. JE. j] Malgré le rvle de la i » rièrc de Moïse, la vict’tire Bur Amalec ne paraît pas devoir être comi>tée pai-nii les miracles proprement dits.

h) La première apparition de Dieu au Sinoï, Ex.. xix, 3-25, [xx, 1-17, Uécalogue], xx, 18-21. — x.x, 2b, 3a. le fonds de 3b-8, 10, 13b, ii, ig, 17, 19 ; xx. lS-21, E. — xii, 9a, 11.13a, ii, 20a, 18, 20b, J. _ xix. 21-2.5, Rje. — xix, i-etouches de 3b-8, Rd. — xix, 9b, répétition erronée de 8b.

/) Deuxième apparition, Ex., xxiv, 1, 2 -(- 9-lS -|ixxi, 18.— xxiv, 1, 9-11, 12-15 », 18b ; xxxi, 18, E. — xiir, ]5b-18', P. — xxiT, 2, R.

m) Yahweh et.Moïse à la tente de réunion, ^x., xxxiii, 8-11. E.

n] Troisième ajiparition divine sur la montagne, Ex., xxiiii, 18-xxxiv, 9-(-xixiv, 27-35. — xxxiii, 18-23, J et R (-'). — xixiT, 1, 4a « b. 28, E. — 2, :  ; , 4a, i, 5-9, 27, J. — 29-32, P ; 33-35, généralisation haggadique.

o) I^e feu de Yahweh à Thahéera, Nttm., xi, 1-3*. E. p) Qihrolh-Hattaava, les cailles. Niiin., xi, 4-34. — 11*. 12, 14. 16. 17.24*. 25-30, E. — 4-6. (7-9). 10, lia*, 13, 15, 18-23, 24 » *. 31-35. J,

y) La lèpre de Marie, Num., xii, 1-15, E. /) Mort des espions qui ont murmuré contre Yahweh, Num., HT, 36-38, P. 817

MOÏSE ET JOSUÉ

818

« ) confirmation des privilèges sacerdotaux, JVuni., xvi-XTii.

— xri, l’J, 2 » ", 12-15, 25-34*, JE. — xvi, la. 2a : b,

: î-ll, IC 24*, 27a* 35 ; XTii, 1-28 (Viilg, vi, 3C-50 ; xtii, 

l-131, P.

t] Le serpent d’airain, Num., xxi, 4-9. — 4 « iï-9, E. — 4a « , P.

u) Le » puits de Béer, Num., ixi, lfi-18, E.

516. — B. Les miracles de Josité. — « Josué, ûls de Nun, était rempli de l’esprit de sagesse parce que Moise avait posé les mains sur lui. » (Deut., xxxiv, g). Tel est le jugement porté par l’auteur de la finale du Pentateiique sur le successeur de Moïse. Il n’est pas question de prodiges coninie à propos du libérateur d’Israël. De son côté, Ben Siracli, dans son Eloge des l’ères, signale sans doute une des merveilles dont nous allons bientôt parler ; mais il se plaît surtout à Aanter le courage de ce héros et à célébrer sa gloire (Eccli., XLvi, 1-8). De fait, Josué, dans les récits que contient le livre qui porte son nom, nous apparaît surtout comme un conquérant qui, sans négliger le recours à Dieu, met en œuvre les moyens humains les plus capables d’assurer le succès de ses entrejirises. Ce n’est pas à dire que les miracles n’aient aucune place dans sa carrière ; loin de là :

517. — a) Le passage du Jourdain, Jos., iii-iv. — iii, 1*, 5, 14a ; IV, 4, b, 71J, 20, E. — m 2, 3*, 4b*, 9-11*, 13-, t.5a. 16, 17 ; iT, Ib, 3*, 8*, 10-14*, D^. - iv, 19, P.

A) L’apparition divine, Jos., v, 13-15 (Vulg. 13-16). — 13, 14, E. — 15 additionnel.

C-) La prise de Jéricho, Jos., vi, 1-21. — 1012a*, 14a, s15a « , 16b, 17a, 18, 22-23*, E. _ J*j2*, 3aa, 5*, 7a, 8a, i, 9, 12b, li*, 15 » ?, ICa, 20a ?. 21, 24, D-’. Le reste, additions rédactionnelles de provenances diverses,

d) A Gebaon, l’arrêt du soleil, Jos., x, 9-14 D- avec additions (12-14 ?) de Rd.

S" Les miracles et les critiques

218. — La plupart des critiques étrangers à l’Eglise rejettent la réalité des miracles attribués à Moïse et à Josué ou. du moins, émettent des doutes graves à leur sujet. Pour un certain nombre d’entre eux, qui implicitement ou explicitement se réclament des principes du rationalisme, les récits de ces miracles se heurtent à des iuii)ossibilités qui rendent inutile toute discussion, tout essai de les élucider. WelliiAUSEN, par exemple, s’exprime sans ambages à propos des apparitions du Sinaï. Il }’a dans les relations des divers documents des impossibilités intrinsèques : ou ne saurait admettre que Dieu ait fait entendre sa voix, qu’il ait écrit de son doigt les préceptes sur les tables de jiierre’. D’autres critiques jirocèdent avec plus de précautions et d’égards. On sait (i/rf. sitpr. 38) comment Steurunaghl classe les traditions orales légendaires qui sont à la base des diveis documents de Vllexateiupie : il est facile d’appliquer cette classification au sujet qui nous occupe.

S19. — d) Un premier groupe de ces légendes mérite encore d’être qualifié d’/i/sïorj’^^He ; les traits les plus fondamentaux des événements sont sauvegardés, mais sont enveloppés de détails qui n’ont rien à voir avec la vérité. A propos de ce groupe, l’auteur signale précisément les légendes mosaïques. Dans ces traditions les faits ont été modernisés ; l’auteur emploie, à propos des tribus encore éparses ou de l’une d’elles seulement, un langage qui fait penser à l’unité nationale réalisée par la royauté une et indivise. C’est le cas de tous les récils de VExode qui nous montrent les fils de Jacob se mouvant dans une parfaite unité ; nous avons déjà vu ce qu’il fallait penser de ces appréciations. — h)En d’autres légendes historiques, la tradition a Idéalisé l’histoire ; là notamment où l’on pouvait et devait signaler

1. Cf. WELhHlvsEti, Die hrælitische…. p. 12-13.

des interventions providentielles de Dieu, elle a accusé les couleurs en faisant intervenir des miracles proprement dits. Certains d’entre ces derniers sont de pures fictions. C’est assez probablement dans cette catégorie que Wellhausen placerait les apparitions divines dont Moïse et Josué sont favorisés.

— c) En d’autres cas, des événements purement naturels sont embellis jusqu’à devenir des prodiges ; et Steuernagel cite le passage de la mer Kouge. En cette subdivision il faudrait sans doute placer : les plaies d’Egypte, les cailles et la manne, la mort subite des espions pessimistes en leurs rapports, les I)rodiges destinés à afiirmer les privilèges sacerdotaux, la lèpre de Marie, le passage du Jourdain, la l)rise de Jéricho, l’arrêt du soleil, peut-être aussi ces faits au caractère prestigieux à propos desquels nous voyons Moïse en lutte avec les magiciens de Pharaon.

230. — d) Nous faisons probablement bien longue la liste des épisodes rattachés aux légendes historiques ; plusieurs d’entre eux, sans doute, passeraient dans la catégorie des légendes semi-historiques, dans lesquelles le fonds authentique a subi des atteintes qui s’en prennent davantage à la substance même des faits. — e) Parmi les légendes des deux groupes qui précèdent, il en est qui entrent dans une série à part ; ce sont celles qui sont dites étiologiqiies et expliquent l’origine d’un usage, d’une désignation locale, etc. On y rangera les épisodes de Mara, de Massah-I’léribah, de Thabéera, de Oibroth-Hattaava, de Méribah, peut-être de Béer. — f) Enfin parmi ces légendes étiologiques, on fera une catégorie spéciale de celles qui e.rpliquent un usage, un symbole religieu.t : lutte de Moïse et de Yahweh, éclairant le rôle delà circoncision ; l’apparition de Yahweh gravant les préceptes sur les tables de pierre, légende destinée à fixer le caractère des deux pierres conservées dans l’arche ; efficacilé du sang de l’agneau pascal lors de la dixième jilaie ; épisode du serpent d’airain. — Et c’est ainsi que tous ces prodiges s’évanouissent en tant que faits proprement miraculeux.’6° Les miracles et l’exégèse catholique

221. — L’exégèse catholique ne se sent pas entraînée jiar des principes a priori à faire aux textes de telles violences et à leur jeter de pareils défis. Il ne lui en coûte pas plus de consigner un miracle, quand un texte le lui signale, ([ue d’enregistrer un événement d’ordre naturel. — Ce n’est pas à dire qu’elle s’interdise la critique, même austère, des documents, avant de recevoir leurs dépositions ; mais elle n’en appelle pas à l’impossibilité du miracle pour rejeter un témoignage qu’en d’autres domaines elle jugerait recevable. — D’autre part, quand elle retient les données des textes, elle n’éprouve pas le besoin d’en atténuer la portée.

222. — A. La critique des documents. — Aucun exégète catholique ne songe à nier que la critique littéraire puisse servir à préciser le sens des récits qui concernent les faits merveilleux. Mais, d’une part, les résultats des travaux réalisés en dehors de l’Eglise sont sujets à caution. D’autre part, les exégèles catholiques n’ont encore abordé ces problèmes (lu’avecune légitime réserve ; il n’y a pas encore, en ce domaine, de ligne de conduite véritablement tracée. C’est pourquoi nous ne nous aventurerons qu’avec précaution sur un terrain toujours glissant. Nous nous contenterons de donner quelques spécimens des conclusions de la critique littéraire dite indépendante et de montrer leur rejaillissement sur la présentation des faits eux-mêmes.

223. — « ) La première plaie : les eaux changées 819

MOÏSE ET JOSQE

820

en sang (Ex., vii, 14-25). On découvre en ce récit des éléments yahwistes, élohistes et sacerdotaux.

a) A propos du l’ahiiiste, il faut tenir compte

d’un texte antérieur. Après que Yahweh a donné à Moïse le pouvoir de réaliser les deux signes du bâton changé en serpent et de la lèpre (£j-., iv, i-8), il ajoute : a El s’ils ne croient pas même à ces deux signes et s’ils n’écoutent pas ta voix, prends des eaux du Fleuve et répands-les sur le sol, et les eaux que tu auras prises du Fleuve seront en sang sur le sol. » (Ex., IV, 9). Four des critiques, telles devaient être, dans le Yalnrisle, les limites du changement des eaux en sang ; il ne devait pas y avoir d’action sur le fleuve lui-même. Aussi les éléments de J qui sont entrés dans le récit de la première plaie n’ont-ils rien à voir avec le changement de l’eau en sang. Ayant rejoint le pliaraon sur le bord du Fleuve (Ex, vii, 15") et lui ayant reproché son refus délaisser partir les Hébreux (16), Moïse lui annonce, à titre de signe et au nom de "V’ahweh, que Yah-neh va frapper le

Fleuve (17)^

que le poisson va mourir, que le

Fleuve va être infecté, que les Egyptiens vont se dégoûter de boire de l’eau du Fleuve (18). C’est, en effet, ee qui arrive (u »). Les Egyptiens creusent autour du Fleuve pour avoir de l’eau (24)-Sept jours se passent après que Yahweh a frappé le Fleuve (25).

— /3) Dans i’Elohiste, Moïse est invité par Yahweh à prendre le Mton qui a été changé en serpent (Ex., vii, 5). On le voit ensuite annoncer lui-même qu’avec le bâton qui est dans sa main il va frapper les eaux du Fleuve qui seront changées en sang (1 ->’*). Kn eit’et, il [le nom d’.aron a été introduit sous l’influence de P, qui a fourni 19 et 20 » ] lève le bâton, frappe les eaux du Fleuve sous les yeux du pharaon et de ses sen’iteurs, et toutes les eaui du Fleuve sont changées en sang (20*) ; le pharaon demeure quand même endurci (23). — y) Dans le récit sacerdotal. Moïse reçoit l’ordre de dire à Aaron de prendre son bâton, d’étendre sa main sur les eaux de l’Egypte, ses rivières, ses canaux, ses étangs, tous ses réservoirs ; elles seront du sang dans toute la terre d’Egypte, dans les [vases de] bois et [de] pierres (Ex., vii, 19). Moïse et Aaron exécutent l’ordre divin (20=*) et il 3- a du sang dans toute l’Egypte (21). Et les magiciens d’Egypte firent de même avec leurs prestiges, et le cœur du pharaon s’endurcit et il ne les [Moïse et Aaron] écouta point, selon qu’avait dit’aliveh (aa). — c) Il y a des réserves à émettre au sujet de ces répartitions de textes et des conclusions que l’on en tire. Je ne crois pas prouvé que J n’evit pas un récit de la conversion des eaux du Fleuve en sang ; le rédacteur a parfaitement pu supprimer des traits qui étaient communs à J et à E. D’autre part, le récit d’Ex., iv, 9 apparaîtrait fort bien comme racontant la manière dont Yalnveh préparait Moïse à son œuvre en lui révélant les pouvoirs dont il était favorisé. Quoi qu’il en soit, il est aisé de voir que, par exemple, la comparaison de E et de P permet de se rendre compte et des caractères propres à chacun de ces deux documents, et de la manière dont il convient d’interpréter les données qu’ils fournissent. Mais, en même temps, il est facile de constater que, dans E, P et même J. les traits fondamentaux du fait miraculeux — changement de l’eau en sang — sont nettement conservés.

384. — t>) Passage de la mer Bouge (Ex., xiv, 15-30, en limitant la péricope aux traits essentiels du récit). Ici encore les trois documents seraient représentés. — y.) Du récit élohiste, il ne resterait que des fragments épars : a …Pourquoi cries-tu vers moi ? (15ai)… Et toi, é/èie ton bâton (16 »  »)… » Et l’ange de Dieu qui marchait devant le camp d’Israël partit et alla derrière eux (19^)… et ils ne s’approchèrent

pas l’un de l’autre toute la nuit (20’). — 3) Le récit jahwiste commence, en cette section précise, par un passage parallèle à 19 » (E) : Et la colonne de nuée partit de devant eux et se tint derrière eux (19), et elle vint entre le camp d’Egypte et le camp d’Israël, et elle fut nuée et ténèbres, et elle éclaira la nuit (20^)… Et Yahweh lit aller la mer par un fort vent d’Est toute la nuit et il mit la mer â see (ai a-). Dans la veille du matin, Yahweh observa le camp d’Egypte dans la colonne de feu et de nuée et il troubla le camp d’Egypte (2/1). Et il enraya la roue de ses chars et il la fil aller avec pesanteur. Et l’Egypte dit : Que je fuiededevantlsraël, car Yahweh combat pour eux contre l’Egypte (20)… Et au retour du malin, la mer revint à son flux normal et l’Egypte fuyait devant elle ; et Yahweh culbuta l’Egypte au milieu de ! a mer (2-^f^’)… Et Yaliweh sauva en ce jour Israël de la main de l’Egypte et Israël vit l’Egypte morte sur le rivage de la mer (30). — /) Le récit sacerdotal est plus développé. Yahweh dit à Moïse d’ordonner aux Israélites de se mettre en marche (15’). Il invite Moïse à étendre la main sur la mer pour la diviser, afin que les Israélites passent à pied sec (iba ;  ! »). Il va endurcir le cœur des Egyptiens afin qu’ils entrent dans le lit de la mer ; il pourra ainsi manifester sa gloire à leurs yeux (17, 18). Moïse étend sa main sur la mer et les eaux se fendent (2 13-). Les enfants d’Israël entrent au milieu de la mer à pied sec et les eaux sont pour eux un mur à droite et à gauche (22). Les Egyptiens entrent à leur tour (aS). Yahweh ordonne à Moïse d’étendre la main sur la mer pour que les eaux reviennent sur les Egyptiens (26), Moïse étend sa main sur la mer (27="). L’armée des Egyptiens est englontie sans qu’il en échappe un seul (28) ; retour sur l’idée du vers. 22 (29). — ô) On ne peut comparer que E et P. C’est peur constater que le récit sacerdotal accentue le caractère merveilleux de l’événement. Il ne parle pas (du moins le rédacteur n’a pas conservé ce Irait) du vent d’Est, et il insiste avecemphase sur ladivision des eaux (vers. 22 et 29J on peut d’ailleurs comparer ces derniers versets avec XV, S, où les traits sont encore plus accentués). Mais, pour le fond du prodige, les deux récits sont pareils. 385. — c) L’arrêt du soleil (Jos., x, g-14). — "-) La première partie du récit (9-1 1), que l’on attribue au Deutévonomiste (D’-), est très simple. Josué, qui est monté de Galgala pendant la nuit, fond subitement sur les rois amorrhéens (vers. 9). En même temps, Yahweh les trouble devant Israël et (celui-ci) les frappe d’un grand coup à Gabaon et il les poursuit sur la voie de la montée de Bélhoron et il les frappe jusqu’à Azéca et Macëda (10). Cependant, comme ils fuient devant Israël à la descente de Béthoron, Yahweh fait tomber du ciel sur eux de grandes pierres jusqu’à Azéca, et ils meurent ; plus nombreux sont ceux qui meurent par les pierres de grêle que ceux que les Israélites tuent par l’épée (1 1). — î) 11 est incontestable que le récit qui précède se suffirait pleinement à lui-même et qu’il a toute apparence d’être terminé. Néanmoins on lui a rattaché un épisode nouveau. Il importe de discerner les éléments de ce supplément. La première partie est renfermée dans les vers. 12 et iS^’. Le centre en est dans une petite strophe qui chevauche sur les vers. 12 et 13 » " :

Soleil, arréle-toi sur Gabaon,

et toi, lune, dons la vallée d Ajalon. Et le soleil s’arrêta et la lune demeura jusqu’à ce qile le peuple se lût vengé de ses ennemis.

Une petite note (13 « -) nous apprend que cette strophe est extraite du Livre du l’aiar, recueil de vieilles 821

MOÏSE ET JOSUE

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poésies se rapportant aux temps de l’exode et de la conquête, et peut-être accompagnées depetites notices en disant l’occasion. C’est peut-être une pareille notice qui est reproduite vers. 12^ : « Alors Josuc parla à Yaiiweli au jouroù Yahweb livra l’Amorrhéen devant les lils d’Israël. » C’est cette notice en tout cas qui établit le lien entre la strophe et le récit qui précède. — /) Si on la lisait toute seule on même avec la notice qui précède, il serait très dillicile de dire quelle est la portée exacte d’une strophe poétique ainsi conçue, dans laquelle on fait à la fois appel au soleil et à la lune, dans laquelle le soleil et la lune s’arrêtent de concert. Mais le vers. 1 3 fournit un commentaire. Il n’j' est plus question que du soleil : (< El le soleil s’arrêta au milieu des cieux (en plein midi) et il ne se hâta pas de s’en aller, environ un jour entier. » Elle vers. 1 4 continue : « El il n’y eut pas comms ce jour, ni avant lui ni après lui, pour qu’Yalnveh entende [ainsij la voix d’un homme ; car Yahweh combattait pour Israël. » — S) Inutile de remarquer que cette distinction des documents peut avoir son rejaillissement sur l’interprétation du récit.

SS6 — B. Interprétation des récits. — a) Les aj parutions. — a) La théologie dislingue trois espi’eesp. irmi les miracles, selon qu’ils se réalisent dans 1 ordre phj sique, dans l’ordre intellectuel ou dans l’ordre m0r.1l. Nousn’avonsà parler ici que des deux premières catégories. Or saint Thomas, qui réserve le nom de miracle surtout aux phénomènes d’ordre physique, désigne sous le terme générique de prophétie ceux qui appartiennentà l’ordre intellectuel’.

— 3) C’est donc à la prophétie que se ratlaclient les apparitions divines. On sait que l’objet de la prophétie peut atteindre l’esprit du voyant, ou bien d’une façon tout à fait directe, ou bien par l’intermédiaire de formes accessibles aux sens extérieurs ou à l’iuiaginalion. Il est parfois diflicile de discerner dans les récits si ces formes ont atteint directement l’imagination, ou si elles ont d’abord frapjié les sens externes. Aucun doute n’est possible touchant l’apparition de l’inscription sur le mur de la salle de Balthasar (Dan., v, 5). Il n’en va déjà plus de même pour la vision de la chaudière bouillante (Jer.. I, 13), que saint Thomas classe parmi les visions imaginatives^i on peut hésiter pareillement quand il s’agit des visions inaugurales d’Isaïe (/a., vi) ou d’Ezéchiel (£ :., 1).

SS7. — v) Dans la carrière de Moïse, l’apparition du Buisson (Ex., iii, i-6) sera traitée comme sensible à la vue et à l’ouïe. Il est dillicile toutefois de voir en quoi elle consiste au juste et on pourrait croire que, par un motif de respect pour Celui qui ne voulait être représenté par aucune image, les rédacteurs des documents ont évité de s’en expliquer. La mention de l’ange de Yahweb (vers. 2) pourrait suggérer l’idée d’une forme humaine (cf. Gen., xvi, 7-14 ; xxi, 17-19 ; ^"d-, VI, 11-24 ; xiii, 2-23 ; etc.) ; mais, à s’en tenir au récit, il semble que Moïse n’ait vu que la flamme d’où la voix se faisait entendre. — S) L’épisode de la lutte avec Yahweh (Ex., iv, 24-26) s’explique mieux si Moïse a vu une forme humaine. La colonne de nuée (ou de feu) qui marchait à la tête des Israélites (Ex., xiii, 21, 22), celle qui descendait sur la lente de réunion quand Moïse s’y rendait et que Yahweh lui parlait face à face (Ex., xxxiii, 8-11) paraissent devoir être traitées comme la flamme du buisson avec laquelle elles présentent de réelles analogies.

1. Cf. S. Thomas, Summa theo’.ogica, 2 »’2 « , quæst. clxxi CL.XXIV.

2. Quæst. cLxxiii, art. 11.

SS8. — £) X leur tour, les diverses apparitions du Sinaï sont décrites avec parcimonie. Pour la première (Ex., XIX, 3-25 ; xx, 18-21), on nous a surtout conservé le récit du Yahuiste. Yahweh annonce qu’il va venir dans une nuée, que le peuple va entendre sa voix (Ex., xix, 9") ; il dit un peu plus loin qu’il descendra le troisième jour aux yeux de tout le peuple sur la montagne du Sinaï, qui deviendra sacrée et inaccessil^le (ii-13"). Le récit de cette descente sur le sommet de la montagne (ao ») est complété par celui des phénomènes concomitants : le Sinaï est tout fumant, la fumée s’en élève comme d’une fournaise, la raonlagnie tremble (18). C’est alors que Moïse monte, appelé par Yahweh (10^). On ne dit rien de la forme même sous laquelle Dieu apparaît. Le récit élohiste n’ajoute que des détails accessoires : tonnerres, éclairs, nuée épaisse, son de la trompette, effroi du peuple (xix, 16, ig » ; xx, 1820 ; le vers. 21 montre Moïse s’approchant de la nuée où était Dieu). — Ç) Dans la seconde apparition (Ex., XXIV, I, 2 -|- g-18 -j- XXXI, 18), le récit élohiste nous montre Moïse, Aaron, Nadab,.biu et soixante-dix anciens qui gravissent la montagne, mais pour se prosterner seulement de loin (xxiv, i) ; ils voient le Dieu d’Israël sans danger (10^, 11). On dit que sous ses pieds il y avait comme un ouvrage de brillants saphirs, pur comme le ciel même (10) ; on insinue donc la ressemblance humaine, mais on n’insiste pas. Moïse, avec Josué, est invité à s’élever plus haut pour recevoir « les tables de pierre, la loi et le précepte, que j’ai écrits pour les leur enseigner 11(12, 1 3). Ici c’est donc Yahweh qui écrit sur les tables (cf. xxxi, 18), nouvel indice de forme humaine. Le récit sacerdotal ajoute un détail déjà connu : la nuée sur la montagne (£j-, , XXIV, 15, iG ».iii, 18a). De plus il mentionne l’apparition de la gloire de Y’ahweh comme un feu dévorant (17*). — > ;) Dans le récit de la troisième apparition (Ex., xxxiii, 18-xxxiv, g -|- xxxiv, 27, 28), les éléments yahwistes présentent) » un intérêt spécial. Moïse demande à voir la face de Y’ahweh (xxxiii, 18). Y’ahweh déclare que c’est impossible (20). Mais, du creux d’un rocher. Moïse pourra voir Y’ahweh par derrière (21-23) : qu’il monte donc le lendemain tout seul sur la montagne (xxxiv, 2, 3)1 C’est ce que fait Moïse (4"°)- Y’ahweh descend dans la nuée, se tient avec Moïse, prononce le nom même de Y’ahweh. révèle ses principaux attributs ; Moïse s’incline, se prosterne et intercède pour son peuple (5-g). Puis après l’énoncé des paroles de l’alliance, Y’ahweh invile Moïse à les écrire (27). On a donc ici une donnée précieuse : impossible de voir la face de Y’ahweh. Le seul détail intéressant de VElohiste, c’est le renouvellement de l’inscription des préceptes sur les tables de pierre par Y’ahweh (xxxiv, i, 4"<'l>, 28 f ?|).

SS9. — *) Il est facile de noter des particularités dans la manière dont ces documents décrivent les apparitions. Tous trois, ils semblent manifester le sentiment d’impuissance à exprimer ce qui est ineffable ; tous trois, ils paraissent éviter des anthropomorphismes dont des Israélites grossiers pourraient tirer des conséquences fâcheuses. Ces sentiments et préoccupations seront plus accentués dans le Yahwiste et le récit sacerdotal ; toutefois si VElohiste laisse plus aisément percevoir une forme humaine, il ne la précise jamais. Mais dans aucun de ces documents, on ne peut relever un trait permettant de douter de l’objectivité des apparitions. — i) Dans Jos., V, 13-16(Vulg. 1 3-1 5), la ressemblance humaine est nellement exprimée.

330. — b) Miracles d’ordre physique. — « ) Du miracle saint Thomas donne deux délinitions principales :

« Ce que Dieu fait en dehors des causes qui 823

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nous sont connues »’et « Ce qui est fait par Dieu en deliors de l’ordre communément observé dans les choses » 2 [c’est-à-dire : dans la nature]. —, 3) Et aussitôt il distingue trois catégories dans les miracles, selon qu’ils dépassent plus ou moins les forces de la nature ; et le même principe le conduit à discerner plusieurs groupes dans ces diverses catégories. Au haut de l’échelle, les prodiges dans lesquels l’action divine « surpasse les forces de la nature quant à la suljstance même du fait » ou encore « dans lesquels Dieu fait quelque chose que la nature ne peut jamais faire » : on allègue, comme exemples, l’arrêt ou la rétrogradation du soleil, la division de la mer pour ouvrir un chemin à ceux qui passent. En second lieu, les prodiges dans lesquels l’action divine « surpasse les forces de la nature, non quant à ce qui s’opère, mais quant à ce en quoi il s’opère " ou encore « dans lesquels Dieu fait quelque chose que peut faire la nature, mais non selon le même ordre » ; ainsi la nature peut donner la vie, mais non à un mort. En troisième lieu, les prodiges dans lesquels l’action divine « surpasse les forces de la nature, quant à la manière et à l’ordre de l’action » ou encore « dans lesquels Dieu fait ce qui d’ordinaire s’accomplit par l’opération de la nature, mais sans qu’interviennent les principes de la nature » ; c’est ce qui arrive si quelqu’un est guéri subitement de la lièvre sans médication et en dehors du processus ordinairement suivi parla nature’.

S31. — /) Il serait tout à fait intéressant de pouvoir cataloguer les nombreux miracles de Moïse et de Josuo dans l’une ou l’autre de ces catégories. Mais ce n’est pas chose facile. Il est évident que, si l’on s’en tient au commentaire de la petite strophe du Ydidr que nous fournit Jos., x, 13, 14. "1 s’agit d’un véritable arrêt du soleil ; personne ne contestera que ce prodige ne soit très justement placé par saint Thomas dans la première catégorie. Au contraire, si l’on prend en considération les variantes que présentent les documents, on sera tenté de mettre le passage de la mer Rouge dans la troisième catégorie. Il n’est pas impossible que, par lui-même, un vent très fort puisse rendre momentanément guéable un bras de mer peu profond ; mais les circonstances dans lesquelles le fait se produit en faveur des Israélites suflisentà le classer parmi les miracles. On peut penser à une classification analogue pour le passage du Jourdain. Ici toutefois le texte se borne à l’énonce de l’événement, et le rapprochement avec ce qui arriva au temps de Bibars, en 1267, n’est pas autrement autorisé.

233. — à) A la même catégorie appartiendraient encore la plupart des plaies d’Egjpte. Les fléaux des grenouilles, des cousins, des moustiques, de la peste du bétail, des pustules, de la grêle, des sauterelles, des ténèbres, sont des fléaux naturels ou des conséquences de fléaux naturels ; ils sont plus ou moins fréquents dans la vallée du Xil (cf.. Mallon, Egypte, dans Dictionnaire apologétique de la Foi catholique, t. I, col. 130--1308). Mais ce qui est ici surnaturel, c’est la manière dont on les annonce avec une absolue certitude, la façon dont ils se produisent et dont ils cessent, leur intensité, leur rôle approprié de châtiment, la distinction établie en faveur des Hébreux et au détriment des Egyptiens, leur rapide succession trahissant un plan

1. Cf. S. Thomas, Summa thcologica, I » pars., qnæst. CT, art. VII (corps de l’aiticle).

2. Cf. S. Thomas, De veiitate catholicac /idel contra GentilcSf Lib, III, cap. ci.

3. Ces définitions sont tiréep, et de l’article viii dans la mente çuesiion de la Somme T/icologique et du même chapitre du De Verilate…

miraculeusement providentiel, etc. S’il était établi que la mort des premiers-nés fût attribuable à quelque peste, analogue à celle dont on parle à propos de l’intervention de l’ange de Yahweh dans l’armée de Sennachérib (fs., xxxvii, 36), la dernière plaie appartiendrait à son tour à la troisième série des miracles. Il en faudrait probablement dire autant : de la plaie qui punit les espions révoltés à Cadès contre Moïse et qui présente beaucoup d’analogies avec la précédente ; de l’apparition et de la disparition de la lèpre sur la main de Moïse et sur le corps de Marie, sa sœur ; des cailles amenées par le vent d’Ouest ; du châtiment (engloutissement dans une fissure de la terre d’après JE ; feu venu d’auprès de Yahweh, d’après P) frappant ceux qui se sont révoltés contre Moïse et Aaron et rappelant peut-être quelque commotion cosmique. D’autre part, les épisodes de la verge d’Aaron qui fleurit, du serpent d’airain avec ses vertus curatives seraient à ranger dans la deuxième catégorie.

SS3. — c) Nous enregistrons ces faits tels qu’ils se présentent dans les textes, comme si leur historicité ne provoquait aucune réserve. Nous ne voulons pas pour autant opposer une fin absolue de non-recevoir à ceux qui croiraient pouvoir invoquer ici telle décision de la Commission liihlique (13 février igoS) en vertu de laquelle les auteurs sacrés pourraient relater des traditions sans en garantir la véracité’. Mais nous ne croyons pas que les directions actuelles de l’apologétique catholique soient favorables à une application étendue de ce principe, qui d’ailleurs ne pourrait suflire à expliquer tous les récits que nous venons d’énumérer.

234. — ?).V raison des controverses mêmes dont ils ont été l’occasion, certains prodiges méritent une attention particulière. Telles d’abord la première plaie et la manne. Malgré leurs variantes, les documents sont unanimes à parler du changement de l’eau en sang, et le rédacteur a enregistré leur dire avec fidélité. Il a pareillement consigné les détails que lui fournissait en particulier le Yahuisle sur les maux que causait l’eau du Nil, d’ordinaire si bienfaisante. On ne saurait douter qu’auteurs des documents et rédacteur n’aient pensé à du véritable sang. Des exégètes catholiques, il est vrai, tels que JI. ViGOiiROUx^ et M. LEsf : TnE3^ sembleraient disposés à concéder l’opinion d’après laquelle on serait en présence d’une interprétation du phénomène très connu du ?Cil rouge. Ils soulignent toutefois deux traits, entre autres, qui témoignent du caractère miraculeux des circonstances dans lesquels le phénomène se produisit. D’abord il eut lieu en février (conclusion tirée de la dixième plaie, Ex., XII, et de la durée présumée de celles qui ont précédé ) tandis que d’ordinaire il se produit en juinjuillet ; ensuite il fut marqué par une série d’influences nocives qui ne l’accompagnent pas usuellement. On remarquera que M. Vigouroux se montre beaucoup plus réservé, en présence de cette hypothèse, que M. Lesêtre ; on notera aussi que ce dernier va plus loin dans son étude Les plaies d’Egypte

1. Il s’agit en réalité, dans le décret, de la citation implicite d’un document non inspiré ; mais nous ne croron » ]ias dépasser la portée du te-xie en l’entendant d’une tradition orale ou déjà consit^née par écrit ; ce qui importe, au fond, c’est le contenu de la citation, quelle que « oit la forme sous laquelle l’auteur sacré a pu le saisir.

2. Cf. La Bible et les DccoUi’erics modernes en Palestine, en Egypte et en Assyrie. 6" éd., t. II, p. 314-32-2.

3. Cf. article Eau dans Dictionnaire de la Bible de M. Vl-Gounoux. — Cf. aussi Les récits de VHîstoire Sainte ; Les plaies d Egypte, ànns Reçue pratique d Apologétique, t. III, ].. 404-41Ô, surtout p. 406. 825

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de la lievue Praliijue d’Apologétique que dans son article Eau du Dictionnaire de la Bible. En réalité, cette opinion est inconciliable avec la lettre du texte : auteurs et rédacteur ont certainement pensé à du sang véritable. La seule manière dont on puisse logiquement soutenir cette opinion nous paraît être la suivante. Partie d’un fait naturel, qui avait pu paraître étrange et providentiel aux Hébreux, la tradition orale, par une série d’altérations qui ont nécessairement réclamé un laps de temps assez notable, en est venue jusqu’à l’élaboration d’un fait nettement miraculeux dans sa substance elle-même. C’est sous cette forme que les auteurs de nos documents ont recueilli cette donnée traditionnelle, que le rédacteur l’a, à son tour, consignée. Il faudrait évidemment faire de nouveau intervenir ce décret de la Commission Biblique d’après lequel les auteurs sacrés peuvent reproduire des traditions sans en prendre la responsabilité et sans en faire la matière de leur enseignement infaillible ; mais c’est aussi le cas de rappeler que l’apologétique catholique se montre réservée dans l’application de ce principe.

S33. — > ;) Les mêmes réflexions sont à faire à propos de l’opinion qui veut identilier la manne avec la gomme que produit le Tamaris mannifera du désert du Sinaï, lorsqu’il est piqué par l’insecte appelé Coccus mannipara. Ce que l’Exode nous dit de la chute de la manne, de sa quantité, de ses propriétés nutritives, des lieux où on la recueille (du désert du Sinaï jusqu’à Galgala) ne permet pas de penser qu’auteurs et rédacteiu-s aient songé à la possibilité d’une telle identiUcation. Aussi M. Vigouroux’s’y montre nettement hostile ; M. Lesiïtre, très réservé dans l’article Manne du Dictionnaire de la Bible, est lieaucoup plus conciliant dans l’étude que, sous le même titre, il a donnée à la Revue Pratique d’Apologétique’^ (il allègue l’autorité du P. de Hum.melauer) ; d’ailleurs il a soin de noter que le phénomène naturel se produit dans des circonstances et conditions sullisanles pour constituer le miracle.

1336. — 6) A s’en tenir aux apparences, quatre épisodes merveilleux concernent les sources : Mara, BlassahMéribah, Méribali, Béer. Mais il faut remarquer que, pour ce qui concerne le puits de Béer, ni le poème (Num., xxi, 17, 18), ni le verset qui précède ne donnent d’indications précises établissant qu’il s’agit d’un miracle proprement dit. Le miracle de Mara rappelle celui qu’accomplit plus lard Elisée (II Beg., II, 19-22) et ne donne lieu à aucune remarque spéciale. Il n’en va pas de même des épisodes de Massah-Méribah et de Méribah. Nous avons déjà vu que beaucoup de critiques, se plaçant sur le terrain littéraire, regardent les deux récits comme se rapportant au même fait ; la répétition aurait été la suite de bouleversements rédactionnels. Mais certains exégètes indépendants vont beaucoup plus loin. C’est à Cadès que le récit principal (Aum., xx, 2-13) place l’incident ; le miracle a été opéré pour satisfaire aux besoins du peuple, car il n’y avait pas d’eau pour l’assemblée ». Or il y avait en réalité une source à Cadès, ce’Ain Mispnt dont il est question dans le récit de la campagne de Chodorlahomor (Ge «., xiv, ^). Bien plus, les appellations’^ïnil/i’ï/jÂ/ (source du jugement, de la décision, delà sentence), ’Ain M’rib^’dli (source de la discussion), ’Ain Massâh (source de l’épreuve [judiciaire])sont très connexes, en relations très étroites dans le même ordre d’idées. Il y a tout lieu de croire qu’elles désignent le même point d’eau. Comme cette source est beaucoup plus ancienne que Moïse, les récils de l’Exode et des Nombres ne font

1. Cf. La Bible, t. U, P. 459-172, surlout 46li-4"l.

2. T. III, p. 722-728.

que consacrer des légendes étiologiques destinées à expliquer les noms de Massah et de Méribah, peut-être secondaires par rapport à celui de Aïn Mispat. Bien que les arguments de l’analyse littéraire ne soient pas dénués de valeur, il convient de remarquer que des critiques indépendants, dont l’opinion compte, maintiennent la distinction des deux épisodes. En tout cas les conclusions delacritique historique ne sont en aucune façon la conséquence nécessaire de la réduction desdeux épisodes en un seul. D’abord on ne saurait être surpris de voirdes désignations topographiques prendrenaissance à l’occasion des faits secondaires qui ont marqué le séjour d’un cami)ement à un endroit donné ; la chronique du front de guerre (lyi^-igiS) est riche en pareils exemples. D’autre part, rien n’invite à conclure à l’identité de Aïn Massah avec Aïn Méribah et avec la vieille source Ain Mispat. Le site de Cadès renferme aujourd hui plusieurs sources voisines entre lesquelles répartirces appellations connexes ; il est d’ailleurs évident qu’une seule source aurait difûcilement préservé de la suif toutes les tribus Israélites qui souvent se dispersaientdans la région. Quant au récit du miracle, il est on ne peut plus clair : une source, qui ne coulait pas auparavant, a été produite ovi amenée à jour (les deux sens sont conciliables avec le texte : « et des eaux sortirent… » ; Num., xx, il) lorsque, sur l’ordre de Dieu, Moise eut frappé le rocher de son bâton.

S37. —’) Nous consacrerons une dernière remarque à la prise de Jéricho. On notera que Jos., vi, i sv., nous transporte in médias res. Nous n’avons aucun détail sur la marche des Israélites vers la ville cananéenne, ni sur le temps qu’ils sont demeurés en face de ses murailles avant les manifestations diverses dont il va être question ; le récit de Jos.,

V, 13-15 suppose déjà le séjour en Jéricho. Il en résulte que Jud., vi, i sv. présente un caractère purement épisodique ; ce n’est nullement le récit complet du siège de la ville. De ce chef, il faut déjà s’attendre à ce que l’étude du texte présente des dillicultés ; elles sont augmentées, et du fait que la distinction des documents est très complexe en ce passage, et du fait des divergences que révèle la comparaison du texte massorctique et des Septante. Toutefois on observe aisément que Josué, se conformant aux indications divines, a recours à deux sortes de moyens. Aux moyens humains d’abord. Le vers.

VI, I nous montre la ville fermée devant les enfants d’Israël ; personne n’y entre, personne n’en sort. C’est sans doute qu’elle est étroitement cernée par les assaillants. Tel qu’il doit se traduire d’après l’hébreu et le grec, le vers, vi, 3"", conûrme cette impression : « Entourez la ville, vous tous, hommes de guerre’. » La manœuvre est facile à saisir si l’on remarque que le seul point d’eau qui fût à la portée des habitants était en dehors des murs cananéens ; sous un climat tel que celui de Jéricho, la soif a, plus rapidement encore que la famine, raison des assiégés. Faut-il d’ailleurs penser que, dans cet encerclement de la ville, les soldats Israélites demeurassent inertes, sans essayer d’éprouver la solidité des murailles ? Le texte ne nous oblige pas à nous arrêter à une idée si peu naturelle et l’on peut penser ijue, jusqu’à la liii, les assiégeants mirent tout en œuvre pour avoir raison de la résistance-. Ce qui

1. Les hommes de guerre ne doivent pas être censés remplir une fonction uniquement religieuse. — Il est possible que la fin du verset « entourer la ville une fois » ne soit pas de la même source ; ces mots manquent dans les LXX (B).

2. D’îiprès E, Sellin (Ernst Selliiv und Cari Watzi.n-CEK, Je/ icho. Die Kn^ebnisse der Ausgraburigen, p. 181), les 827

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est certain, c’est qu’en présence de cette puissante cité et à cette heure décisive, les Israélites comptèrent moins sur les moyens humains que sur les promesses et les interventions de Yahveh. De là les rites qui se déroulèrent pendant sept jours. Ces processions, qui revêtaient peut-être le caractère d’une prise de possession du terrain au nom de la divinité et qui pouvaient laisser présager l’anathème, avaient vraisemblablement une double fin : impressionner et décourager l’ennemi qui, dans son vulgaire hénothéisme, ne songeait pas à nier l’existence et la puissance des dieux étrangers, moins encore celles de Yahweh, dont la renommée lui avait appris les exploits (cf. /os., II, 8-11). Davantage encore, attirer la bénédiction et la laveur divines. L’espoir de Josué et de ses vaillants ne fut pas déçu. Le septième jour, au moment où la cérémonie se terminait au milieu des clameurs des assiégeants, la muraille s’effondra et le peuple monta dans la ville, chacun devant soi. L’intervention divine était des plus claires.

Deuxième Section

La législation mosaïque

338. — Sous peine de prolonger outre mesure cette étude déjà si étendue, nous devons nous contenter d’un simple aperçu sur la question de la législation mosaïque. Aussi bien, le sujet n’est pas neuf ; bien des fois, même en ces derniers temps, les auteurs catholiques l’ont étudié ou repris. Il ne se prête pas d’ailleurs aux rajeunissements dont on peut rêver sur un autre terrain. Nous nous bornerons à traiter brièvement les trois points suivants.

I. Caractères généraux de la Loi mosaïque.

II. Caractères particuliers de chacun des c()d<-s qui la constituent.

lU. Développement de la Loi mosaïque.

I. — Caractères généraux de la Loi mosaïque 1 » Les Codes du Peatateuque

S39. — 1° Le premier code est le Décalogue luimême. — a) Il se présente à nous sous deux formes. Dans Ex., xx, 1-19, il paraît à première vue se rattacher au Code de l’alliance, qui le suit d’assez près. Il en est toutefois séparé par un extrait de récit ; il peut en conséquence être traité comme un élément distinct, comme un tout à pari. On le retrouve bien comme un tout à part (Deut., v, 6-18 ; Vulg. 6-21) dans les homélies préliminaires du iJeuléronome, — b) C’est dans ce dernier contexte que l’identification est établie avec précision entre le Décalogue et les paroles de Yahweh écrites par lui-même sur deux tables de pierre (Deut., y, 19 [22]). C’est même grâce à ce texte précis que l’on peut rapporter au Décalogue certaines indications de i’Exnde où il est question des préceptes écrits par Dieu svir des tables de pierre. Autrement Ex., xxiv, 12 et xxxi, 18 seraient plus naturellement appliqués aux législations qui séparent ces deux versets. D’autre part, Ex., XXXIV, I, li, 2'j, 28, ont, en eux-mêmes, toute apparence de se rapporter à la législation renfermée dans les versets 11-26 du même chapitre. — c) C’est aussi dans les homélies deutéronomiques (Deut., iv, 13 ; X, 4) que les préceptes A' Ex., xx, 1-17 sont explicitement désignées comme les « dix paroles » ; on y lit, en même temps, que ces paroles, écrites d’abord

fondations de la muraille cananéenne demeurent encore sur trois côtés. En revanche, du côté de l’Orient, elles sont détruites jusqu’au sol ; c’est sans doute que l’ennemi est arrivé de ce côté. D’autre part, le chaînage de bois de la forteresse, a de toutes parts, souffert de Tiacendie.

sur les premières tables, furent reproduites sur les deuxièmes. Remarque précieuse, car Ex., xxxiv, 28, laisserait croire, si on le lisait tout seul, que « les dix paroles » sont les dix articles de la petite législation qui précède. Ces incohérences de détail n’ont d’autre explication que les heurts produits par la juxtaposition des documents.

S40. — 2' Il faut en second lieu mentionner le Code de l’alliance (Ex., xx, 22-xxiii, 19). Indépendamment des préliminaires (Ex., xx, 18-21) et conclusions (Z^a :., xxiii, 20-xxiVj 8) qui l’encadrent, cette législation se présente avec des contours très précis. Le nom qu’on lui attribue troure son explication dans l’alliance qui, d’après Ex., xxiv, 3-8, paraît conclue sur la base des préceptes qu’il renferme. On remarquera (Ex., XXIV, 4) <l"e ce petit code est présenté comme écrit par Moïse. Mais c’est en même temps un ensemble de lois prescrites par Yahweh lui-même ; il est à noter que le titre auquel nous devons cette donnée (Ex., xxi, 1) sépare du corps de la législation le règlement (Ex., xx, 32-26) concernant les autels.

3° Au Sinaï se rattache encore le Petit code Yahiiiste (E-t., XXXIV, 11-26) ; il forme à son tour une série nettement délimitée. Nous l’avons déjà remarqué : le contexte qui les entoure immédiatement paraîtrait dire que ces préceptes furent les dix paroles gravées sur les nouvelles tables de pierre après l'épisode du veau d’or (Ex., xxxii) ; mais les allusions deutéronomiques mettent au point cette impression (cf. Deut., iv, 13 ; x, 4). Des critiques estiment qu'^j"., xxxiv, i, 4, 28, ne sont pas du même document que le reste du récit. Le petit Code de la rénoi’atlon de l alliance se présenterait, dans l’autre document et à l’instar du Code de l’alliance lui-même, comme écrit par Moise(Ex., xxxiv, 27).

4° C’est pareillement au Sinaï que se relient le plus grand nombre des prescriptions du Code sacerdotal (Ex., xxiv-15, -18 » ; XXV, i-xxxi, 17 ; xxxiv, 39-xL, 38 ; /.ev., i-xxvii ; Num., 11, i-34 ; iii, i-iv, 49 ; v, i-vi, 27 ; viii, i-x, 10). Mais, tandis que certains éléments (législation de la Pàque) remontent au dernier temps du séjour en Egypte (Ex., iii, 1-20, 43-49 ; xiii, i, 2), divers suppléments sont en relation soit avec Cadès (Num, XV, xviii, xix), soit avec les plaines de Moab (Num., XXVII, i-i I ; xxviii-xxx, xxxiii, 50-xxxvi, 13). La partie centrale de ce code est la Loi de sainteté (P des critiques : ier., xvii-xxvi) ; c’est par elle qu’il présente le plus de points de contact avec les autres lois. Le reste du code est en grande partie constitué par des législations d’ordre cultuel ; les suppléments de Cadès et de Moab toutefois se laissent répartir entre les deux séries d'éléments religieux et sociaux.

5° Reste le Deutéronome qui, au moins en son état actuel, se présente comme un code promulgué dans les plaines de Moab. La section proprement législative est confinée aux chap. xii-xxvi.

241. — 0° Tous ces codes se ressemblent par un certain nombre de points communs, intéressants ~ à souligner. On peut les grouper sous deux chefs en disant que la législation mosaïque se présente avec un double caractère : caractère religieux et caractère national.

2" Caractère religieux

242. — Il résulte à la fois des origines de la législation mosaïque et de son contenu.

I" Il résulte des origines de la législation mosaïque. — A. Sur ces origines, les principaux renseignements nous sont fournis pas les formules préliminaires aux diverses ordonnances. — a) Dans son premier contexte, le Décalogue est annoncé en 829

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ces termes : « El Dieu prononça toutes ces paroles en disant » (Ex., xx, i). Au Deuléranome, il est très étroitement idenlilié avec les paroles que YaliweU adressa à l’assemblée sur la montagne, avec les paroles écrites par Yaliweh lui-même sur les deux tables de pierre qu’il donna à Moïse (Deut., v, 19 [Vulg 22]). — l>) Au début du Code de l’alliance, la loi des sanctuaires est précédée de cette formule :

« Et Yabweli dit à Moïse » (Ex., xx, 22) ; elle est

suivie d’un titre : « Voici les lois que tu leur donneras » (Ex., XXI, I), qui sert d’introduction à tout le reste de la législation. — c) Dans le Peiil Code yaliudsle, les ordonnances dans lesquelles il est question de Yaliweli, se groupent en deux séries. Dans les unes, en effet, il est parlé de Yahweli à la Iroisièiue personne (Ex., xxxiv, 14, 28, 24, 26) ; dans les autres, Yahweli lui-même parle à la première personne (Ex., xxxiv, 11, 18, 19, 20, 24'S 25). Ces divergences peuvent tenir à des remaniements rédactionnels. En tout cas. Moïse reçoit de Yaliweli l’ordre d'écrire ces paroles, « car c’est d’après ces paroles que j’ai l’ait alliance avec toi et avec Israël » (/i'.e., xxxiv, 27). Le petit code est donc, lui aussi, présenté comme renfermant les paroles de Yaliweh. 343. — d) Le Code sacerdotal contient à son tour des formules très explicites. La plus fréquente est « Y’ahweh parla à Moïse en disant y>(Ex., xxv, i ; XXX, II, i'), 32 ; XXXI, i ; Lev., iv, i ; v, 14, 20 [Yulg. VI, 1] ; VI, i [8|, 12 [njl, 17 [24] ; vii, 22, 28 ; viii, i ;

XII, 1 ; XIV, i ; XVII, i ; xviii, i ; xix, i ; xx, i ; xxi, [i], 16 ; XXII, i, 17, 26 ; xxiii, I, 9, 23, 26, 33 ; xxiv, i ; xxvn, i ; Num., i, 48 ; iii, 5, 11, [40], 44 ; iv, 21 ; v, i, 5, 11 ; VI, I, 22 ; [vu, 4J ; VIII, 1, 5, 23 ; ix, 9 ; x, i ; xiii, i [Vulg. 2] ; XV, I, 17, [3^] ; xviii, 20 ; [xxvii, 7, 12] ; xxviu, i) ; etc. Très rarement on a « Yahweli dit à Aaron « (Num., xviii, i, 8, 20). La formule « Yahweh dit à Moïse et à Aaron » (Ex., xii, i, 43 ; Lev., xi, i ;

XIII, I ; XIV, 33 ; xv, i ; jVain., 11, 1 ; iv, i, l’j ; xix, 1 ; etc.) est plus fréquente que celle qui précède. On notera enfin quelques indications plus précises et plus détaillées se rattachant d’ordinaire à la première des formules que nous venons de mentionner (Ex., xii, i ; /.et'., I, i ; vii, 3^, 38 ; xvi, i, 34 ; xxv, i ; xxvii, 34 ; Num., I, I ; iii, 14 ; xxx, i, 2 ; xxxiii, 50 ; xxxv, i ; xxxvi. 5, etc.).

S44. — e) Dans le Deuléronome, qu’il s’agisse des homélies initiales (Deut., 1, i-5 ; iv, 44-v, i) ou finales (Deut., XXVII, i, 9, 11 ; XXVIII, 69 et xxix, 1^ [Vu ! g. XXIX, i, 2*1), qu’il s’agisse de la législation elle-même (Deut., XII, I), c’est à vrai dire Moïse qui parle ; naturellement il le fait au nom de Yahweh. Les drclarations des premières homélies sont explicites en ce sens. Ce sont les commandements de Yahweh que Moïse prescrit (iv, 2, 40 ; viii, 1 1 ; x, 12, 13) ; c’est sur l’ordre de Yahweh que Moïse donne des lois et des ordonnances (iv, 5, 14 ; vi, i) ; à proprement parler, c’est Yahweh lui-même qui instruit son peuple comme un homme instruit son enfant (viu, 5, 6). Non seulement Moïse s’explique à ce sujet, mais Yahweh à son tour s’en exprime (xi, 13-15). Bien plus, on nous dit pourquoi Moïse joue ce rôle d’intermédiaire et d’interprète entre Dieu et les lils d’Israël. Au début, quand il s’agissait du Décalogue, Yah^veh lui-même traita directement avec le peuple (v, W') sur la montagne, au milieu du feu, de la nuée, de l’obscurité, d’une voix forte (v, 5, 19a [Vulg. i-i^]). Mais le peuple eut peur de niouiir, il supplia Moïse de s’approcher tout seul de Yahweh pour entendre ses paroles et les rapporter ensuite à l’assemblée (v, 20-24 [23-2^]). Yahweh approuva ce désir (v, 25-30 [28-33]). Ce sont donc bien les paroles de Yahweh que Moïse communique. Toutefois, en lisant la législation elle-même, on n’a pas l’impression d’une action

divine immédiate intervenant, comme dans le Code sacerdotal, à propos de chaque ordonnance particulière. Notons enfin que, non seulement Moïse fit une promulgation orale de cette loi. mais qu’il l'écrivit, qu’il la confia aux prêtres lévitiques en leur faisant à son sujet diverses recommandations (Deut, , XXXI, 9-13, 24-27).

343. — B. Il importe de prendre ces formules en considération et d’en apprécier les divergences. — (i) Laissons de coté le Décalogue, dont la promulgation se présente entourée de circonstances trè^ particulières, attestant, autant ((u’il est possible, qu’il s’agit d’une révélation au sens le plus strict de ce mot. — h) Tous les autres codes apparaissent à leur tour comme ayant une origine divine. Mais c’est sans contredit à propos du Code sacerdotal que les déclarations du texte sont les plus explicites. A les prendre à la lettre et selon leur sens matériel, il semblerait que chaque ordonnance a été directement prononcée par Dieu aux oreilles de Moïse, qu’il s’agit, par conséquent, d’une révélation immédiate comme à propos du Décalogue. De quelle manière convient-il d’apprécier ces formules ?

546. — c) Certaines comparaisons sont de nature à éclairer la question. — v) Le Code de l’alliance et le Deuléronome sont, eux aussi, des collections de préceptes annoncés comme venant de Dieu. Dans ces deux cas toutefois, on n’a plus l’impression d’une intervention révélatrice aussi continue qu'à propos du Code sacerdotal. — ; 3) Sans doute on pourrait expliquer les formules initiales de ces législations en ce sens que Dieu aurait récité aux oreilles de Moïse toutes les prescriptions à reproduire, que l’homme de Dieu en aurait retenu le contenu, que, soutenu d’ailleurs par une assistance divine toute spéciale, il l’aurait ensuite promulgué avec la plus parfaite exactitude. — /) Mais cette hyjiothèse n’est pas la plus vraisemblable. On pourrait déjà, par exemple, songer à une assistance plus générale, dont la garantie ne concernerait que la substance même de la législation ; il ne serait plus alors question ni de dictée orale, ni de fidélité minutieuse des souvenirs. — ô) Il semble encore loisible d’envisager sous un autre jour le mode de la communication divine à propos du Code de l alliance et du Code deutéronoinique. Dieu aurait, d’un seul coup, manifesté au législateur le but et les lignes principales des lois à promulguer. Se conformant à la direction divine, bénéficiant d’une assistance qui en était comme la continuation, soutenu par l’inspiration s’il s’agit de la rédaction qui figure en nos textes sacrés, le législateur aurait eu quand même sa part d'œuvre personnelle dans l'élaboration de ces prescriptions ; il aurait été à cet égard un peu comme les auteurs de divers livres inspirés, des livres historiques, par exemple, qui font suite au Peritateuque. Il ne semble pas qu’il y ait quoi que ce soit à reprendre dans cette manière d’envisager les cas du Code de l’alliance et du Code deutéronomique. — e) Que s’il en est ainsi, une question s8 pose : faut-il admettre pour le Code sacei dotal une origine divine plus immédiate ? Fautil lui assurer une place à part parmi les autres codes mosaïques ? Rien en vérité ne semble l’indiquer. Dès lors les formules particulières qui le caractérisent ne seraient-elles pas à traiter comme des formules de style, appliquant simplement au détail des lois la formule générale qui figure au début des autres législations, mais n’impliquant rien de plus au point de vue de l’origine spéciale de chacune des ordonnances ? Nous estimons que la réponse aflirmalive à cette question peut être proposée sans aucune témérité.

547. — d) Un autre rapprochement est de nature 831

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à augmenter la lumière. Il existe, en effet, une autre série de livres sacrés dans lesquels les formules abondent tendant à indiquer l’origine surnaturelle des enseignements qui y sont contenus ; ce sont les recueils d’oracles i>rophétiques. Prenons par exemple celui qui porte le nom de Jérémie. En tête des principales de ses sections ûgurent des titres analogues à celuici : La parole de Yaltitelt me fut adressée (ou fut adressée â Jérémie te prophète) en ces termes (Jer., I, 4 ; ii, I ; "I, 6, 1 1 ; vii, i ; xi, i ; xiv, i ; xvi, i ; xviii, 1 ; etc.). Nul doute que les discours, parfois très longs, auxquels ces paroles servent de préface ne renferment des oracles provenant d’une révélation authentique et immédiate de Dieu ; on peut et on doit dire que ces oracles sont la base et le point de départ de tous les autres éléments et enseignements qui viennent les compléter. Car il y a d’autres éléments. Il y a les commentaires que les hommes de l’esprit font de la parole divine. Il y a leurs réllexions personnelles ; en certains cas (Jer., xivxv), la parole divine et la parole humaine se répondent comme en un dialogue. Il y a même les développements que les scribes et les commentateurs ajoutent, dans la suite des temps, au texte authentique du propliète ; telles les compléments que renferme le texte massorétique de Jérémie et qui font défaut dans les Septante. C’est donc que la formule d’introduction n’est pas à prendre au pied de la lettre. Sans doute, au cours des développements, d’autres formules plus concises : Ainsi parle ïaln’eh(.ler., ii, a, 5 ; IV, 3, S’j ; vi, 6, g, 16, 32 ; etc.), Oracle de i’ahifeli {Jer., I, 8, 15, 19 ; II, 3, 9 ; iii, 1, 10, 12, 13, etc.), ramènent l’attention sur l’origine divine de la parole prophétique. Mais il ne semble pas que l’emploi de ces formules elles-mêmes soit restreint aux cas de paroles immédiatement révélées par Dieu ; elles peuvent à l’occasion couvrir les réllexions du voyant. De même, si les indications que renferment le Code de l’alliance et le Code deutérononiique attestent qu’une révélation divine est à l’origine de ces législations, elles n’excluent pas la présence de développements plus ou moins considérables qui, à des dates diverses, ont pu être ajoutés par des auteurs successifs. Rien n’indi(iue qu’il faille adopter une autre conclusion à propos des inscriptions qui, dans le Code sacerdotal, figurent au début de chacune des ordonnances principales. On complétera d’ailleurs cette remarque en notant que, dans la promulgation de ces décrets. Moïse et ses successeurs ont été favorisés d’une assistance divine toute particulière ; que, dans leur rédaction, ils ont écrit sous l’influence de Tinspiration.

348. — e) D’ailleurs, qu’il s’agisse des éléments directement et immédiatement révélés par Dieu, qu’il s’agisse des développements que le prophètelégislateur ou ses successeurs ont pu y ajouter, la question des origines peut s’envisager d’une autre façon. Ces législations n’apparaissent presque jamais comme des créations. Elles se présentent, le plus souvent, comme la consécratién d’un choix fait parmi des lois, des coutumes antérieureuient existantes. Sur tous les terrains qu’abordent successivement les divers codes, il y avait, dans le monde sémitique auquel se rattachait Israël, des usages remontant à une haute antiquité. Sans doute ils se ressentaient souvent des influences du paganisme au sein duquel ils s'étaient épanouis. De ces usages, le choix divin, sous quelque forme qu’il se manifestât, devait éliminer tous ceux qui ne pouvaient être dépouillés de leur caractère profane, polythéiste ou immoral ; il devait purilier ceux qui, au prix de quelques modifications, étaient susceptibles de prendre place dans la Loi d’un Dieu unique, très juste et très

saint ; il devait appuyer de son autorité suprême ceux qui se présentaient comme l’expression plus ou moins adéquate de ces lois universelles que le créateur a déposées au fond de la conscience humaine. plus forte raison, ce choix conserverait-il les coutumes propres à Israël, soit qu’elles fussent déjà le résultat d’une influence surnaturelle, soit qu’elles dussent à leur simplicité même d'être exemptes de tout mélange impur. De là les ressemblances et les points de contact que les législations du Pentateuque présentent avec les lois et coutumes des divers peuples sémitiques ; ressemblances entre le Code de l’alliance et le code babylonien de Hammurapi ; ressemblances entre nombre de lois et d’usages Israélites et les coutumes en vigueur chez les Arabes nomades ou demi-sédentaires ; ressemblances entre le calendrier des fêtes, les rites des sacrifices consacrés par le Code sacerdotal et les pratiques chères à nombre de peuples de même race qu’Israël ; etc. Mais, par les dill'érences qu’elles révèlent, ces comparaisons ne font que mettre en plus haut relief l’influence supérieure qui a présidé à la constitution des législations mosaïques. Elles attestent pleinement l’origine divine dont, au sens que nous avons expliqué plus haut, elles se réclament à tant de reprises.

S49. — 2" Il résulte du contenu de la législation mosaïque. — <i) D’abord l'élément religieux tient une grande place dans les divers codes de cette législation. Trois préceptes du Décalogue lui-même ont trait aux devoirs envers Dieu. Ceux-ci remplissent tout le Code de la rénovation de l’alliance (Ex., XXXIV, 11-26). Si les autres collections fontuneplace plus ou moins étendue aux préceptes qui gouvernent les rapports de l’homme avec lui-même et avec le prochain, les ordonnances concernant la religion n’en sont, quand même, jamais absentes. C’est peutêtre au Code de l’alliance qu’elles sont les moins nombreuses ; il y faut tout de même relever : Ex., xx, 22-26 ; XXII, 17 (Vulg. 18), 19(20), 27^(28^), 28-30 (Vulg. 2g-31) ; xxiii, lo-ig. Dans le Code deutérononiique, de longues sections ont un objet exclusivement religieux : /^SH^, XII ; XIII ; XIV ; xv ; xvi, i-i' ; , 21, 22 ; xvii, i ; XVIII ; xxiii, 18 (Vulg. 17), 19 (18), 2224 (21-23) ; XXVI. Quant au Code sacerdotal, tout le rituel proprement dit, par sa nature propre, se rapporte exclusivement à Dieu, liais, même dans la Loi de sainteté (Lev., xvii-xxvii), le » préceptes d’ordre religieux sont fréquents : /.ci., xvii ; xix, 2, 5-8, 12, 23-28, 30, 31 ; XX, 1-8 ; xxi-xxvii.

380. — 1)) Ce qui contribue encore à mettre en relief le caractère religieux de la législation mosaïque, c’est la manière dont y sont réparties les ordonnances qui regardent les devoirs envers Dieu. Dans le Décalogue sans doute, elles forment une section à part, la première..Mais les références qui précèdent montrent que, dans les autres codes, ces prescriptions surviennent un peu partout. Il n’y a pas de frontières nettement établies entre une partie consacrée aux devoirs de l’homme envers son créateur et d’autres affectées aux obligations qui lient l’individu par rapport à lui-même et à ses semblables. Les préceptes religieux sont disséminés au hasard, au milieu des autres préceptes, comme pour marquer que, dans la vie du ûls d’Israël, tous les autres devoirs sont inséparables de ceux qui ont directement trait à la religion, que sa vie tout entière doit être pénétrée de la ])réoccupation d’honorer Dieu. Sans doute les critiques peuvent expliquer, en partie, ce qui nous apparaîtrait comme un désordre, par des combinaisons de collections primitivement distinctes, ou encore par des retouches plus ou moins harmonistiques. Leurs elTorts toutefois n’aboutiraient 833

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83' ;

pas, sans sacrifier les faits à des considérations d’ordre tout subjectif, à rétablir la disposition logique qui donnerait satisfaction entière à notre goût moderne. El si les rédacteurs ont contribué à augmenter ce que nous serions tentés de traiter de confusion, c’est parce que les premiers législateurs leur ont d’abord frayé la voie.

851. — c) On notera, en troisième lieu, que, même dans les sections qui ont pour objet les devoirs de l’homme envers lui-même et envers ses semblables, ce sont souvent des motifs d’ordre religieux qui sont mis en avant pour provoquer la fidèle observation des préceptes. Déjà dans le />^ca/og^i(e, le quatrième commandement est appujé par une promesse de bénédictions divines. Le Code de l’alliance ne fait qu’une place très restreinte à l'élément homilétique et à l’exhortation ; on peut tout de même relever en plusieurs endroits des considérations et sanctions au caractère nettement religieux (£. » '., xxi, 6 ; xxii, 7-10 [Vulg. 8-ii], 21-23 [22-24]). C’est au Deuléronome qu’on trouve en plus grande abondance les exhortations à observer la loi divine. Dans les homélies d’abord, qui servent d’introduction (Beut., 1x1) ou de conclusion (Deut., xxvii-xxx) au code proprement dit ; et il serait superflu d’insister sur le caractère religieux des considérations qui y sont mises en avant. Mais aussi dans les énoncés des diverses ordonnances, de celles-là en premier lieu qui présentent quelque connexion avec la religion, de celles-là encore dont l’objet apparaîtrait comme étant, par lui-même, étranger aux devoirs envers Dieu (Deut., XVI, 20 ; XVII, 8-13, 14-20 ; etc.). Enfin les énoncés de la Loi de sainteté revieaneni souvent, pour appuyer les ordonnances les plus diverses, sur ce motif de la sainteté divine qui entraîne des conditions de pureté et de perfection très particulières dans le peuple que Yahweh s’est choisi (^et'., xviii, 2, b^, 6, 30 ; xix, 2, 3^ 4, lob, 12, I4^I6^I8, etc.).

3" Caractère national

SSS. — a) A raison même de ses origines et de son caractère religieux, la loi d’Israël l’emporte, d’une immense supériorité, sur les autres lois de l’antiquité. Les comparaisons établies, depuis 1902, entre les codes mosaïques et le code babylonien de Hammurapi (cf. A. Condamin, Babylone et la Biulb, dans Dictionnaire apologétique de la foi catholique, t. I, col. 360-867) n’ont fait que confirmer la vérité de cette assertion. Aucune des législations antérieures au christianisme ne s’est fait remarquer par un sens aussi exact et aussi nuancé du droit, de la justice et de la charité ; aucune n’est apparue comme interprétant avec autant de précision, non seulement les principes fondamentaux, mais aussi les conclusions parfois secondaires de la loi naturelle inscrite au fond des consciences. C’est la raison d'être de la pérennité, on serait tenté de dire : de l'éternité, de nombre de ces ordonnances antiques, de l’universelle diffusion de beaucoup de ces prescriptions ; pour une grande part, elles continuent de régler dans le monde civilisé les rapports des hommes entre eux.

S53. — l>) Il n’en est pas moins vrai toutefois que la loi mosaïque est une loi essentiellement nationale, est essentiellement la loi du peuple hébreu. Sans 'doute elle se réclame d’une origine divine et le Dieu qui l’a donnée à Moïse est le Dieu universel du monde et des hommes. Mais c’est le Dieu universel en tant que manifesté à la race choisie, avec toutes les modalités dont il s’est revêtu en vue de cette manifestation à un peuple unique. Le plus souvent, c’est sous le nom de Yahweh qu’il parle au législateur, c’est-à-dire

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sous le nom sous lequel il s’est fait connaître au seul Israël. Souvent encore il se proclame, en publiant ses ordonnances, le Dieu du peuple auquel il les adresse ; il se réclame du choix qu’il a fait de la race des fils de Jacob, de l’alliance qu’il a conclue avec eux. Le législateur suprême, en un mot, c’est Dieu sans doute, mais Dieu envisagé au point de vue particulier du peuple d’Israël.

SS4. — t)Que si l’on examine les ordonnances, on constate que, pour un très grand nombre, elles sont conçues et formulées en fonction des conditions spéciales dans lesquelles se trouve le peuple choisi. Cette remarque ne vaut pas évidemment pour les prescriptions qui ne sont que la promulgation ou l’application immédiate des principes fondamentaux de la loi naturelle. Mais les préceptes ne sont pas rares qui, d’une façon très directe, visent les conditions sociales particulières au peuple de Dieu : lois sur la royauté (Deut., xvii, 14-20), sur les villes de refuge (Deut., xix, i-13), sur les étrangers à exclure de la communauté israélite (Dent., xxiii, 4-9 [Vulg. 3-8J), sur les héritages (A' » H)., xxvii, i-ii ; xxxvi), etc. Dans un plus grand nombre de cas, à défaut d’un énoncé précis, les données de la législation sont telles qu’elles ne peuvent trouver leur application que dans les circonstances caractéristiques de la vie nationale des seuls Israélites. On noiera encore qu’il n’est presque jamais question des peuples étrangers à Israël ; en plusieurs cas d’ailleurs, notamment dans la loi sacerdotale relative aux esclaves (Lev, , XXV, 44-46), ils sont traités comme étant d’une condition inférieure à celle des fils de Jacob.

355. — d) C’est surtout aux législations religieuses que ces remarques s’appliquent de préférence. Fêtes annuelles, sacrifices de toutes sortes, prescriptions rituelles, tout est envisagé dans un rapport étroit avec le culte national et, quand il s’agit des codes deutéronomique et sacerdotal, avec le seul sanctuaire national. C’est au Dieu national, ou mieux à Dieu tel qu’il s’est fait connaître à la nation, que vont les hommages ; c’est au nom de la nation qu’ils sont rendus et l’un des effets principaux des grandes panégyries est de rendre plus vif le sentiment de la grande fraternité nationale. Bien plus : 1a plupart des rites et des cérémonies sont impossibles à pratiquer en dehors du cadre national, en dehors du sol national.

S56- — e) C’est précisément ce caractère national qui entraînera la caducité de la loi mosaïque. Lorsqu’au lieu d'être l’apanage d’un peuple, la religion du vrai Dieu deviendra le patrimoine de l’humanité tout entière, le problème se posera nécessairement de l’attitude que les nouveaux convertis devront garder vis-à-vis des lois données aux pères et des traditions qui seront venues les compléter. La solution ne saura demeurer longtemps douteuse. Le monde chrétien ne sera pas appelé à entrer dans la nation juive ; on ne pourra donc lui imposer les ordonnances au caractère strictement national. Ce sera l’oeuvre de saint Paul que de faire accepter des nouveaux convertis du judaïsme et de la gentilité l’abrogation de la loi mosaïque. L’abrogation sera pure et simple pour ce qui concerne le culte et ses multiples manifestations, c’est-à-dire pour les éléments les plus strictement juifs de la Loi. Que si les autres ordonnances sont maintenues, avec ou sans corrections destinées à les purifier de leurs imperfections, ce ne sera pas en tant qu'éléments constitutifs de la vieille loi nationale d’Israël ; ce sera en tant qu’expressions, plus ou moins adéquates, de cette loi naturelle dont le christianisme s’efforcera, avant tout, d’assurer le triomphe. La loi juive, en tant que loi juive, aura fait son temps.

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II. — Caractères particuliers des divers codes mosaïques

1" Remarques préliminaires

257. a) Nous n’avons pas à insister ici sur le

Décalogue. Nous l’avons dit ailleurs (Juif [Peuple], dans Dictionnaire apologétique de la fui catholique, t. ii, col. 1601-G02) : si l’on fait abstraction du précepte du sabbat, le Décalogue ne fait que consacrer les principes les plus fondamentaux delà religion du Dieu unique et moral. Il impose, en même temps que les devoirs les plus essentiels du culte en l’honneur du Dieu jaloux et digne de tout respect, les obligations de justice, de moralité, de charité, qui doivent régler les rapports des hommes entre eux et assurer la dignité qu’un chacun doit sauvegarder en sa propre personne. En ce domaine, nous l’avons aussi souligné, le Décalogue va beaucoup plus loin que les autres lois antiques, puisqu’il atteint jusqu’aux pensées et aux sentiments les plus intimes de l'âme humaine. Quant à la loi du sabbat, elle n’est autre chose que la régularisation, par une ordonnance positive, de cette obligation du culte public qui fait partie essentielle et intrinsèque de toute religion. On le remarquera d’ailleurs : tandis que dans la première rédaction du Décalogue (£'j :., xx, 11) l’obligation du sabbat est motivée par le repos de Dieu' au lendemain de la création, la deuxième rédaction insiste surtout sur desconsidérations d’ordre bumanitaire(flel(^, v, 14) et sur le souvenirdel’esclavage et des travaux forcés au pays d’Egypte (vers. 15). — b) Nous ne parlerons pas non plus du petit Code de la rénovation de l’alliance. Outre qu’il est très restreint quant à son étendue, la plupart des ordonnances qu’il renferme se retrouvent, en termes à peu près identiques, dans le Code de l’alliance.

538, — c) Nous ne nous occuperons donc en cette section que des trois codes principaux : Code de l’alliance. Code deutéronomique, Code sacerdotal. A leur sujet une remarque est à faire. Il n’est pas impossible en soi que ces codes aient exercé une influence plus ou moins grande les uns sur les autres. Ils constituaient avant tout des règles de vie pratique. Il y avait dès lors intérêt à ce que les ordonnances relatives à un même sujet se trouvassent unies et condensées en un mèmeendroit. Sansdoutelerespect qu'à raison de leur origine divine, ces législations imposaient aux Israélites empêchait que le travail de retouche ne fût poussé jusqu’au bout. Mais on ne peut, semble-t-il, opposer une (in absolue de nonrecevoir aux assertions des critiques d’après lesquelles, par exemple, les ordonnances du Code de la rénovation de l alliance auraient été en partie reproduites dans le Code de l’alliance pour y compléter le sujet des préceptes religieux ; d’après lesquelles certaines décisions aux énoncés plus sobres du Code de l’alliance aLiiraient été complétées par des considérations empruntées au Code deutéronomique. Autant que possible, nous ferons abstraction de ces influences.

S° Code de l’alliance

539. — Sur la composition du Code de l’alliance d’après les critiques iw’rf. supr., 36.

Ce code ne fait qu’une place très restreinte aux considérations destinées à recommander l’observation des ordonnances. C’est donc de l'énoncé des préceptes eux-mêmes qu’il faut dégager les caractères du document et l’esprit qui l’anime.

380. — 1° Les préceptes spécifiquement religieux regardent : les autels (Ex., xx, 22-26), la magicienne (xxii, 17 ['Vulg. 18]), les sacriûees auxdieux étrangers (xxii, 19 [ao]), le blasphème (xxii, 27^

[28"]), les prémices des fruits de la terre (xxn, a8* [29*] ; XXIII, 19^), les premiers-nés de l’homme et des animaux (xxii, 28'^ lïy], 29 [30]), l’année sabbatique (xxiii, 10, II), le sabbat (xxiii, 12), l’horreur des dieux étrangers (xxiii, 13), les fêtes (xxiii, 1^-19^), le chevreau cuit dans le lait de sa mère (xxiii, 19).

— a) Il ne semble pas qu’on puisse se méprendre sur le sens fondamental de l’ordonnance concernant les autels : elle autorise la multiplicité des lieux de culte. Le reste du contexte paraît viser la simplicité du culte Israélite et condamner le luxe, délétère au point de vue moral comme au point de vue religieux, des pratiques païennes. — b) Une addition deutéronomique (xx, 23) ne fait que mettre en relief à cet endroit une idée qui se trouve exprimée ailleurs : l’horreur de l’idolâtrie. Celui qui sacrifie aux dieux étrangers est voué à l’anathème (xxii, 19 I20]) ; on doit même s’interdire de prononcer leur nom (xxiii, 13). Mais cen’estpas assezd’exclure le culte idolâtrique ; il faut bannir de la religion de Yahweh toute importation païenne, la magie en particulier (xxii, i^ [18]).

— c) En revanche, le noiu divin doit être entouré de toutes formes de respect, et le blasphème est sévèrement interdit (xxii, 27^ [28^). — d) Non moins que son unicité et sa grandeur, les préceptes religieux mettent en relief le souverain domaine de Dieu sur la création. C’est pour le reconnaître que sont prescrites les offrandes des prémices et des premiers-nés (xxii, 28, 29 [29, 30] ; xxiii, 19), celles qui doivent accompagner les grandes fêtes (xxiii, 14-18) annuelles. C’est pour reconnaître le domaine de Dieu sur les fruits du travail de l’homme que ces fêtes ellesmêmes sont instituées, cependant que l’année sabbatique (xxiii, 10, II) et le sabbat (xxiii, 12) apparaissent comme un tribut sur le temps mis à la disposition de l’homme et sur le travail lui même.

261. — 2° Préceptes réglant les rapports de l’homme avec ses semblables. — A. Dans cette nouvelle catégorie de préceptes, le trait qui frappe avant tout, c’est une préoccupation et un sens très vif de la justice. — a) Us se manifestent d’abord dans l’appréciation des dommages. S’agit-il de l’atteinte portée à la vie de l’homme ou à sa santé? Autre est le cas du meurtrier volontaire, autre celui du meurtrier involontaire (xxi, 1 2-1 4). Autre le cas de celui qui, dans une querelle, tue un adversaire, autre le cas de eelui qui, par les violences qu’il lui a faites, l’oblige seulement à garderie lil(xxi, 18). Qu’au cours de la discussion, l’un des adversaires heurte une femme enceinte et la fasse accoucher, autre est le cas d’accident, autre le cas où tout se passe sans accident (xxi, 22-26). Des distinctions aussi équitables sont établies à propos des dommages causés par un animal : autre est la responsabilité du maître qui ignorait le vice de sa bête, autre la responsabilité du maître qui savait son défaut (xxi, a8-32, 35, 36). On apprécie d’une manière toute différente le cas du dommage entièrement involontaire (xxi, 28. 35) et celui du dommage attribuable à la négli gence (xxi, 29, 30 ; 33, 34 ; 36).

S63. — b) Ces préoccui>ations éclatent encore dans la fixation des pénalités. Divers principes subsidiaires inspirent les décisions. — k) En premiei lieu une estime profonde de la vie humaine. A 1e base du code pénal se trouve la loi du talion. n Vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent main pour main, pied pour pied, brûlure pour brûlure, blessure pour blessure, meurtrissure poui meurtrissure. » (xxi, 23-25). Loi très répandue dans l’antiquité ; mais, sous son apparence de stricte el rigoureuse justice, loi terrible si l’application n’er est pas dûment conditionnée. Elle est formulée à h suite des mesures prévues pour le cas d’accouchement 837

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prématuré. Mais, auparavant déjà, on l’a déclaré : celui qui frappe un homme à mort doit être mis à mort (xxi, 12). Il n’y a pas dans la société Israélite, comme il arrivera dans les sociétés plus avancées, de ministère public pour l’exécution de cette sentence ; c’est l’affaire du proche parent ou vengeur du santj {<^o’ol) et il y a tout lieu de craindre qu’emporté par la colère, il ne prenne pas le temps de peser les responsabilités. Aussi ce pouvoir est-il limité parle droit d’asile, dont l’eiBcacité ne garantit d’ailleurs que le meurtrier involontaire (xxi, 13, 14). L’estime de la vie humaine est telle que la loi du talion pourra s’appliquer quand la mort aura été causée d’une manière indirecte, par négligence plutôt que par méchanceté (xxi, 2j). On l’appliquera même à l’animal méchant qui aura tué un homme ; il sera misàmortel ou ne pourra manger sa chair (xxi, 28) ; il est possible d’ailleurs que d’autres principes inspirent cette décision, qui ne manque pas d’analogues dans les législations antiques. Notons enfin que le respect de la vie humaine peut protéger jusqu’au voleur lui-même : il est vrai qu’en cas d’eifraction nocturne, on ne sera pas responsable du sang pour l’avoir frappé et tué ; mais, si le soleil est levé, on encourra cette responsabilité (xxii, 1, 2 [Vulg. 2, 3]).

563. — /5) La loi du talion ne rend pas compte de toutes les pénalités prévues, et la réparation des préjudices causés à la vie ou la santé du prochain n’entraînera pas toujours un dommage analogue pour la vie et la santé du coupable. Il y a aussi place pour des dédommagements et des amendes : dédommagement du chômage, sans parler des frais occasionnés par le soin de la maladie, pour le cas où l’adversaire a été atteint jusqu'à garder le lit (xxi, 19) ; compensation fixée par le juge dans le cas d’un coup mortel donné à un esclave (xxi, 20) ; amende fixée, sous le contrôle du juge, par le mari de la femme dont on a précipité l’accouchement (xxi, 22).

564. — /) Avec l’estime de la vie, le respect de la propriété. hes cas sont multiples et appréciés avec un vrai sens des nuances. On distinguera : les dommages purement involontaires (xxi, 35), qui n’entraînent aucune réparation ; ceux qui sont dus à une négligence ou une imprudence plus ou moins nettement caractérisées (xxi, 33, 34, 36 ; xxii, 4, 5 [5, 6]) et qui réclament une simple compensation. Le châtiment du vol est sévère, mais dominé par le souci d’une juste proportion avec la gravité du crime. Si l’on a volé un bœuf ou une brebis, de deux choses l’une. Ou bien l’on a consommé la faute jusqu'à égorger l’animal ou le vendre ; il faut alors restituer cinq bœufs pour un, quatre brebis pour une et, si le ravisseur est insolvable, on le vendra pour ce qu’il a volé(xxi, 3^ et XXII, 2[xxii, i, 3'^]). Que si l’animal dérobé est encore chez lui, on ne lui demandera que de restituer le double (xxii, 3 | 4 |). A noter aussi les mesures particulières inspirées par le caractère sacré du dépôt (xxii, 6-12 [^-13]) et par la nature même de l’emprunt et de la location (xxii, 13, 14 [iL 151).

S63. — c) Toutes ces mesures seraient vaines si l’on ne pouvait compter sur la parfaite intégrité des jugements ; aussi des avis sévères sont-ils donnés à l’accusateur (xxiii, i »), au témoin (xxiii, i^). Accusateur, témoin et juge doivent se garder de se laisser guider par la multitude (xxiii, 2). Le juge, en particulier, doit être impartial (xxiii, 3) ; il doit éviter toutes les causes possibles d’erreur (xxiii, 7). Surtout il lui faut refuser les présents, « car les présents aveuglent les clairvoyants et ruinent les causes justes » (xxiii, 8).

S66. — B. Non moins que les préoccupations de justice, éclate un sens d’humanité. Sans doute, il

n’est pas exprimé avec tant d’insistance ni appliqué avec tant de force que dans le Deutérunome ; mais il n’en est pas moins réel et c’est naturellement à propos des faibles qu’il se manifeste de préférence. — a) La femme n’a. pas dans l’ancienne loi la dignité que doit lui assurer l’Evangile, et la polygamie contribue singulièrement à l’amoindrir. Sa situation toutefois n’est pas réduite à l'état d’infériorité que supposent beaucoup de législations païennes antiques. Vis-à-vis du Uls qui frappe ou qui maudit, la situation des parents, mère et père, est absolument pareille (xxi, 15, 17). De même, en présence de certains attentats de leur maître, la situation de la femme esclave est la même que celle de l’esclave mâle XXI, 20, 21 ; 26, 27 ; cf. vers. 32). La femme esclave a même une situation en certains points privilégiée, du fait qu’elle prend place parmi les concubines de son maître (xxi, 7-11).

S67. — II) C’est encore l’Evangile qui devait affranchir les esclaves. L’esclave hébreu est la propriété, » la monnaie » de son mailre(xxi, 21*^). Aussi les coups dont son maître le frappe ne sont pas punis avec la même sévérité que ceux qui atteignent l’homme libre (xxi, 20, 21a, 32). L’esclave toutefois n’est pas entièrement livré à l’arbitraire de celui qui le possède ; certaines violences ont pour conséquence une punition du coupable à fixer par le juge (xxi, 20) ou la restitution de la liberté (xxi, 26, 27). Un chacun d’ailleurs n’a pas le droit d’entreprendre sur la liberté d’autrui ; il est défendu, sous peine de mort, de réduire un Israélite (variante des Septante ; cf. Dent., xxiv, 7) en servitude, soit pour le garder à son service, soit pour le vendre (xxi, 16). En revanche il n’est pas défendu d’acheter un esclave ; mais, même alors, l’aliénation de la liberté n’est pas définitive. Au bout de sept ans, il peut sortir libre sans rien payer (xxi, 2). La situation de l’esclave marié est, il est vrai, sacrifiée s’il a reçu sa femme de son maître et si elle lui a donné des enfants : femme et enfants doivent demeurer à la maison et l’esclave doit sortir seul (xxi, 4). On entrevoit toutefois pour cet esclave une condition si douce qu’il évite cet inconvénient en s’engageant pour toujours et sous le sceau de la religion au service de son maître (xxi, 5, 6).

368. — c) A côté des esclaves, les déshérités de toutes sortes sont objet d’attentions spéciales. Les pauvres d’abord, auxquels on ne doit pas réclamer d’intérêt si on leur prête de l’argent (xxii, 24 L^S])Que si on veut exiger un gage, prendre leur manteau, par exemple, il faut le leur rendre avant le coucher du soleil, « car c’est sa seule couverture, le vêtement dont il s’enveloppe le corps ; sur quoi coucherait-il ? S’il crie vers moi, je l’entendrai, car je suis compatissant » (xxii, 26, 26 [26, 27]). Les pauvres sont encore objet de recommandations spéciales faites aux juges (xxiii, 6) ; ils doivent, en l’année sabbatique, bénéficier des produits spontanés du sol (xxiii. II). A leur tour, les étrangers qui se fixent en terre Israélite sont signalés à une bienveillante sollicitude (xxii, 20 [21] ; xxiii, 9, lab), peut-être aussi la veuve et l’orphelin (xxii, ai |23|). Il n’est pas jusqu'à Vennemi envers lequel on n’ait des obligations ; il faut lui ramener ses animaux égarés, l’aider à décharger son âne qui succombe sous le fardeau (xxm 4, 5).

S69. — C. On le remarquera enfin. Pour occuper une moindre place, certains autres sentiments s’accusent quand même d’une manière très explicite. — a) Tel le sentiment du respect. Envers le prince, représentant de Dieu : la malédiction proférée contre lui est mise presque sur le même rang que le blasphème (xxii, 27'J[28J). Surtout envers les /) « re/)<s.- on 839

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ne peut les frapper ou les maudire sans encourir la peine de mort (xxi, 15, i ;). — h) Tel le sentiment de délicatesse en matière de moralité proprementdite. Certains crimes contre nature sont châtiés avec la dernière rigueur (xxn, 18 [19]). La vierge est l’objet d’une protection toute particulière. La séduction apparaît comme une forme d’adultère ; elle entraîne le mariat’e et le paiement du moliar. La jeune tille toutefois est la propriété de son père ; s’il refuse de la donner au séducteur, celui-ci n’en doit pas moins, à raison du dommage causé, payer le moliar ou prix d’achat (xxii, 15, 16 [16, 17I). A noter encore la mesure prise (xx, 26) en vue d’assurer la parfaite décence dans l’exercice du culte.

370. — Tels sont les traits principaux qui signalent le premier des codes qui sollicitent notre attention. On ne saurait en méconnaître la beauté. Il faut toutefois remarquer le point faible que seul le christianisme ell’acera. Le prochain se confond avec l’Israélite. Il n’est pas question de devoirs envers l'étranger, en dehors du cas où celui-ci veut séjourner dans le pays et prendre sa part de la vie nationale igér). Le Code de l’alliance est étroitement nationaliste.

30 Code deutéronomique

271. — Sur les idées des criti<iues touchant la composition du Deutéronome, i’id. siipr., 38, 39.

Deux remarques préliminaires auront leur utilité. — a) Il est de toute évidence d’abord que le Code deutéronomique prévoit un état de la société Israélite notablement en progrès sur celui que suppose le Code de l’alliance. La vie politique et civile y apparaît dans le plein épanouissement qu’elle atteignit aux jours les plus brillants de la monarchie Israélite ; les rapports familiaux et sociaux se ressentent, par leurs caractères et leur multiplicité, du progrès général. La vie religieuse, à son tour, est soumise à un ensemble de règles, de prévisions, de précautions, qui témoignent d’une organisation plus avancée. On n’oubliera pas que, d’après ses données les plus fondamentales, le Deuléronome ne devait pas entrer en vigueur avant l'époque de Salomon et l'érection du grand Temple. — b) Nous sommes abondamment renseignés sur l’esprit de ce nouveau code. D’une part, les énoncés sont moins succincts, moins arides que ceux du Code de l’alliance et les considérations destinées à en presser l’exécution se mêlent souvent à l’exposé même des ordonnances. D’autre part, les homélies qui précèdent et qui suivent le code proprement dit n’ont d’autre fin que de mettre en relief le sens des préceptes et les motifs de les observer. Or, même au regard des critiques qui les regardent comme d’une date postérieui-e à la législation, ces discours développent avec une réelle fidélité les points de vue de l’auteur des lois. Nous pouvons donc nous appuyer sur ces homélies aussi bien que sur les énoncés eux-mêmes.

278. — A. lioia religieuses- — « ) La principale préoccupation du législateur est la pureté de la religion. — « ) Elle s’exprime en fonction des circonstances dans lesquelles se déroulera la vie d’Israël, d’une manière plus spéciale, en fonction des relations que le développement de sa vie nationale lui créera avec les autres peuples. Dès son arrivée en Canaan, il vivra avec les nations qu’il ne réussira pas à totalement expulser. Plus tard il aura des rapports avec les Cananéens de Phénicie, avec les Syriens de Damas, avec les Assyriens et les Babyloniens. Ces fréquentations ne seront pas sans danger quand elles seront pacifiques, et il faudra redouter la contagion du relâchement religieux. Le péril sera bien plus grand lorsque avec ces étrangers Israël

contractera des alliances ; l’union politique n’ira presque jamais sans compromis sur le terrain du culte. On comprend donc les sollicitudes de l’auteur du code que nous étudions. Avant tout il faut assui-er l’observation du plus rigoureux monothéisme. Dans ce but, toute alliance est interdite avec les Cananéens lors de l’entrée en Palestine ; il faut les exterminer, ils sont voués à l’anathème (Dent, , vii, at) 4). A plus forte raison faut-il faire la guerre à leurs emblèmes religieux et les anéantir (Dcut., vii, 5, 26 ; XII, 2, 3). Telle est la gravité de l’idolâtrie, qu’on doit en écarter à tout prix le danger. Nul doute que la faute elle-même sera châtiée avec la dernière sévérité. Le prophète qui voudrait y porter le peuple doit être mis à mort ; et aucun sentiment de pitié ne doit empêcher de sévir contre le frère, le fils, l'épouse, la fille qui inviterait un fils d’Israël à commettre une action aussi criminelle. Quanta la ville qui se sera laissé entraîner, elle est vouée à l’anathème (/'eut., un). Pas moins que la contagion des cultes cananéens, le législateur ne redoute celle des cultes sidéraux, chers à nombre de Sémites, aux Assyriens en particulier (Dent., IV, 19 ; V, 9-9 ; XVII, 2, 3). — fi) La pureté de la religion et la lutte contre l’idolâtrie entraînent l’interdiction d’introduire dans la culte de i’ahueh les emhlèmes et usages païens (Deut., XII, 4, 30, 31^). De là, la prohibition de certains rites cruels (Dent., xii. 31') ou simplement sus|iecta (Deut., XIV, i^, 2) ; la proscription de certaines institutionsau caractère honteusement immoral (/> « » /., xxiii, 18, ig[Vulg. 17. 18]) ; l’horreur pour tout ce qui relève de la superstition et de la magie (Deut., xviil, 9 li), l’exclusion des emblèmes qui figuraient à côté des autels païens (/>£(//., xvi, 21, 22).

273 — "/) Une si rigoureuse orthodoxie ne pouvait alors être maintenue que par une étroite vigilance. C’est en partie en vue de ce contrôle qu’est formulée la loi la plus fondamentale du Code deutéronomique, la loi de I unité df sanctuaire. Cette ordonnance avait, il est vrai, une autre raison d'être : à une date où il y avait autant de dieuxque d’autels, même quand plusieurs de ceux-ci se réclamaient du même vocable, il fallait à tout prix, pour rendre sensibles et efficaces les exigences du seul Dieu qui n’admît pas dérivai, concentrerles hommages quilui étaient rendus en un lieu unique, prolongation normale de l’unique tabernacle du désert. De là l’insistance du législateur.. l'époque à laquelle il se place lui-même, chacun fait ce que bon lui semble, parce que le peuple n’est pas encore arrivé au repos ni à lliéritage que Yalivveh, son Dieu, lui réserve ; chacun peut sacrifier à tel endroit qui lui plaît (l^eut., xii, 8, 9). Il n’en sera pas toujours de même. Un temps viendra où Israël possédera l’héritage que Yahweh lui destine. C’est alors que Yalnveh se choisira, dans l’une des tribus, un lieu pour y faire demeurer son nom (Deut., XII, 5, ii= ». 21^). C’est là et là seulement, qu’on lui présentera ses prémices et ses dîmes, ses sacrifices et ses offrandes, qu’on accomplira ses vœux (Deut., -^11, II, 14. 17, 18, 26, 27 ; ^'*'- ^^- 2^, 25 ; XV. 20' ; XVI, a ; 6, 7, 1 1, 15, 16 ; xviii, 6-8 ; xxvi, 2). Désormais il faudra bien se garder d’offrir des holocaustes dans les lieux qui, par leurs sites ou par leurs souvenirs, pourraient exercer sur les âmes quelque attrait spécial (Deut., XII, 13).

374. — //) Ce n’est pas assez d’avoir écarté du seul sancluaireles diverses influencesqui pourraient compromettre la pureté du culte. Pour que celui-ci ne dégénère pas en un vain formalisme, il faut préciser les settiments reiiçiieux qu’il doit exprimer. Le législateur deutoronomiste s’en est occupé. — a) Tout d’abord il faut éclairer les intelligences en déterminant l’objet de leur foi. De là les nombreuses 841

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données des homélies et des ordonnances sur la nature et les exigences du vrai Dieu el mr ses rapports avec Israël. Nous les avons syiilliétisées ailleuis (cl. }vw [Pbvpl, b], dans Oictioniiaire apologétique de la foi catholique, t. ii, col. 1577-1680). Ou noiera que, parlunUles attributs divins, nous avons relevé avec un soin spécial ce qui concernait la lionlé de Yaluveh. 273. — /3) Or c’est précisément celle insistance sur la bienveillance et la miséricorde divines qui contribuera à donner à la religion deuléronomique l’un de ses caractères les plus frappants. L’idée même du sentiment religieux continuera de s’exprimer toujours par la vieille formule qui tendait à montrer en Dieu un être terrible avant tout : 1a religion est la crainte de Yalmeli. Non que celle locution figure une seule fois dans le document que nous éludions ; mais très fréquemment l’on parle de craindre Yahweli et l’on indique les motifs qui juslilient cette attitude, les résultats bienfaisants qu’elle produit (Dent., iv,

I o ; v, 26 [Vulg. 2g] ; vi, 2, 13, 2^ ; viii, 6 ; x, 12, 20 ; XIII, 5 1 4 I, 1 2 1 1 1 1 ; xiv, 23 ; xxviii, 58). — /) Il n’est pas rare toutefois que les formules survivent aux idées qu’elles ont d’abord exprimées ; celles-ci en tout cas se modilienl fréquemment alors que les formules restent les mêmes. En fait, la religion du Deutéronoine n’est guère plus une crainte. La joie l’envahit de toutes parts (Dent., xii, 7, 12, 18 ; xvi, 11, i/(, 15). C’est qu’en ellel un sentiment nouveau l’a pénétrée, nn sentiment sur lequel le code revient avec une insistance exceptionnelle, i’rtmour de i alineli.Le préceple de cet amour accompagne celui de la crainte, coramepouren préciser la véritable nature (/* «  « (., x, 12) ; des effets analogues sont attribués à l’un et à l’autre (Deul., x, 13 ; xi, 13 ; xix, 9 ; xxx, 16, ig, 20). Mais l’amour est objet de commandements tout à fait spéciaux. Le principal est celui ci : « Ecoule, Israël : Yahweh notre Dieu est seul Yahweh. Tu aimeras Yahweli ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton àme, de toute ta force. « (Deut., vi, 5) ; c’est la formule de la plénitude de l’amour. — à) L’amour s’exprime envers le Dieu très bon par la reconnaissance (Z>eu(., vi, 20-25 ; VIII, 2, b, 17). Mais il doit surtout aboutir à des résultats eflectifs. Aussi le troisième élément que le législateur met à la base de la religion est le service de Yahweh (Deut., x, 12, 13).

II consistera dans une attitude de soumission, de dépendance, de déférence vis-à-vis du seul maître et du seul souverain ; il se traduira par le labeur au bénéûce de Yahweh, par l’observation de ses préceptes. — t) C’est ainsi que les sentiments dont le législateur veut voir la réalisation en l’àme des fidèles se trouvent admirablement synthétisés dans cet appel : « Et maintenant, Israël, que demande de toi Yahweh, ton Dieu, si ce n’est que tu le craignes en marchant dans toutes ses voies, en l’aimant et en le servant, en observant ses commandements et ses lois que je le prescris aujourd’hui pour que tu sois heureux ? » (Deut., x, 12).

S76. — e) De fait, ces sentiments pénètrent toute la pratique religieuse. — « ) La religion a sa place dans tous les détails de la vie de l’Israélite, qui doit se rendre perpétuellement digne d’appartenir à la nation sainte. Elle règle ses abstentions à la maison et aux champs (Deut., xiv, i ; xxii, 5, g, 10, 11, 12) ; elle a son rôle lors de la guérison de certaines maladies {Deut., XXIV, 8, 9) ; elle réglemente le régime alimentaire (/)e(j(., XIV, 3-21), les pratiques à accomplir lorsque, aux jours de fête, on veut manger la chair des animaux domestiques (/)eH^, XII, 16, 23, 2^, 25 ; xiv, 21 ; XV, 23). —, 5) Dans le Deutéronome, comme dans le Code de l’alliance, elle exige que le Adèle reconnaisse le souverain domaine de Dieu en lui faisant hommage de ses biens ; il continue de réclamer les

premiers-nés du troupeau (fleu/., xv, 19, 21 ; xvii, 1), les prémices de certains produits du sol (Z’('u(., xviii, 4) ; il demande de plus la dime du produit des semailles, du ra[>port des champs (Deut., xiv, 22), il provoque aux ollVandes spontanées (Deut., xii, 6, 17, 26, 27).

— /) L’exécution de nombre de ces prescriptions et de ces conseils aura lieu au sanctuaire national, autour duquel les [irètics de la tribu de Lévi exerceront leurs multiples fonctions (fleiU., xvii, 9-13, 18 ; xviii, 5 ; XXI, 5 ; xxvi, 3) ; la Loi nous donne une haute idée de ces hommes qui n’ont ni part ni héritage avec Israël, dont Yahweh est le seul héritage {Deut., XVIII, I, 2 [cf. X, 9 ; xii, 12 ; XIV, 27, 29]). Ils ont sans doute pour auxiliaires les prophètes (Deut.,

XVIII, 9-22), probablement plus nombreux autour du Temple que dans le reste du pays. Les pèlerinages seront donc fréquents à Jérusalem ; mais c’est aux trois grandes fêles de Pâques, de la Pentecôte et des Tabernacles, sur lesquelles le Code deutéronomique fournit des détails étrangers au Code de l’alliance {Deut., xvi). qu’ils entraîneront dans leur mouvement la plus grande partie de la population.

877. — S) En ces manifestations du culte, un vif sentimentde joie et de bonheur se fera jour, inspiré [lar l’amour de Dieu. Il s’exprimera dans la participation aux rites saints, au cours desquels on se rappellera les bienfaits que Dieu a multipliés en faveur de son peuple (cf. Deut., xxvi, 5-io), davantage encore peut-être dans les repas sacrés et les fêtes qui en seront le complément. L’àme Israélite sera toute pleine du sentiment exprimé par le psalmisle :

« Yahweh n’a pas agi de même envers les autres

nations ! i> (P5.CXLV11, 20). ^ £)Mais l’amour de Dieu dilate les cœurs. Sous le regard de celui dans lequel on s’accoutume déjà à voir un père (cf. Deut., xxxii, 6), on s’habitue aussi à considérer comme des frères tous ceux qui participent à ses libéralités. Les pèlerinages ne groupent souvent que des familles ; mais, à côté des parents et des enfants, on voit les serviteurs et les servantes, puis le lévite pauvre du village, el encore l’étranger, la veuve et l’orphelin qui habitent au milieu d’eux (/>e((7., xii, 12, 18 ; xiv, 27 ; XVI, II, i^). Aux jours des grandes panégyries, c’est la nation tout entière qui se prend à dire : Qu’il est doux, qu’il est agréable pour des frères de se trouver ensemble I » (Ps. cxxxiii, i).

878. — B. Lois sociales et politiques. — a) Lorsque, dans le domaine de la religion révélée, un progrès est une fois réalisé, on ne constate jamais de retour en arrière. Tout comme dans le Code de l’alliance, on trouvera dans le Deutéronome un sens très vif de la justice. — ^) Le respect de la vie humaine est encore garanti parla loi du laVion (Deut.,

XIX, 16-21 ; Ii-13). Que si l’homicide ne peut être vengé parce que, par exemple, le meurtrier est introuvable, on a le sentiment que le crime pèse sur la société comme un mal redoutable ; il ne faut pas moins d’une cérémonie solennelle pour ôter le sang innocent du milieu d’Israël (Deut., xxi, 1-9). — /3) Le respect de la propriété inspire les ordonnances concernant les bornes et limites des champs (Deut., XIX, ili), l’usage des poids justes et des balances exactes (Deut., xxv, 13-iC) ; il inspire, en même temps que les recommandations faites aux juges (Deut., XVI, 18-20), l’institution du tribunal à double instance (Œu^, xvii, 8-13)> les prescriptions concernant le nombre et la sincérité des témoins (Deut., xvii,

2-7 ; XIX, l5-2l).

879. — Ij) Ce serait toutefois méconnaître la note dominante des ordonnances deutéronomiques que d’insister outre mesure sur la justice. Leur caractère propre est dans ces attentions humanitaires qui doivent adoucir les rapports des hommes ’^

entre eux et rendre l’existence moins rude. — a) Il serait facile de relever de telles attentions à propos des Israélites en général ; on en trouverait des traces dans les textes que nous avons signalés touchant le respect de la l’ie. Mais si la vie est sacrée, Vhonnear aussi a son prix, un très grand prix. Qu’un Israélite soit condamné à la bastonnade, l’exécuteur devra garder les mesures prescrites, entre autres motifs, « de peur que ton frère ne soit avili à tes yeux ! -> (Dent., xxv, i-3).

380. — /2)A propos de la femme, le Deutéronome maintient les deux taches qui pèsent sur le mariage israélite. Il suppose la polygamie, tout en s’efforçant d’en atténuer certaines conséquences funestes (Dent., XXI, 15-17). Il autorise aussi le àiOTCe (Deut., xxiv, 1-4). Toutefois, en introduisant tel empêchement de mariage (Dent., xxiii, i | Vulg. xxii, 30J), en écartant le jeune époux de la guerre (Dent., xxiv, 5), en favorisant par le lévirat la fécondité du foyer (Detit., xxv, 5-10), en assurant par des mesures diverses le respect des enfants pour les parents (Dent., xxi, 1821), il veille à assurer le caractère sacré de la famille. Que si la femme entre dans le mariage par un véritable contrat d’achat, que si elle demeure la propriété de son mari, les mesures édictées contre celui qui déshonore une vierge (Dent., xxii, 28-29) ou une iîancée (Dent., xxii, 28-27), contre le mari qui sans raison met en doute l’honneur de sa jeune femme (Dent., XXII, 13-21), contre les coupables d’adultère (Dent., XXII, 22), tendent singulièrement à relever la dignité de celle envers laquelle les lois antiques se montraient si dures.

381. — /) Plus encore que dans le Code de l’alliance, Vescla’e — il faudrait dire : le serviteur — bénéficie de toutes sortes d’égards. Il fait partie de la maison ; dans les grandes fêtes et pèlerinages religieux, il a sa place à côté des enfants ; il s’assied à la même table que ses maîtres pour les repas sacrés (Deut., XII, 12 ; XVI, II, 14). Les anciennes mesures sont maintenues. Quand il s’agit du recouvrement de la liberté dans la septième année, le législateur insiste pour que le maître ne renvoie pas les mains vides le serviteur qui a contribué à augmenter ses revenus, surtout pour qu’il ne voie pas de mauvais œil cet alTranchissement (Dent.^ xv, 12-14, 18). Les enfants d’Israël ne doivent jamais oublier qu’ils furent esclaves en Egypte et que Dieu, lorsqu’il se les attacha, les tira de la servitude (Dent., xv, 15).

— S) Le mercenaire (Dent., xxiv, 14, 15), le lévite dépourvu de ressources (Dent., xii, la, 18, 19 ; xn’, 27, 29), l’étranger (gcr) qui se fixe dans le pays, la venve et l’orphelin (Dent., xiv, 29 ; xxiv, 17, 18), sont à leur tour objet de recommandations spéciales, motivées parfois par les plus touchantes considérations. Quant aux pauvres, l’idéal serait que l’on supprimât leur misère ; telle ordonnance est portée

« afin qu’il n’y ait pas de pauvre chez toi » (Dent.,

XV, 4). Mais il faut se rendre à la réalité, reconnaître qu’il ne manquera jamais d’indigents dans le pays (Dent., XV, 1 1). Le mieux est de veiller à amender leur sort. Aussi, quand le malheureux se présente à la porte du riche, celui-ci serait criminel s’il endurcissait son cœur, s’il fermait sa main ; que, tout au contraire, il l’ouvre généreuse et libérale (Dent., XV, 7-11). Et c’est le même sentiment qui inspire une foule de dispositions invitant celui qui dispose des biens de la terre à se montrer favorable aux malheureux (We « ?., xv, 1-6 ; 7-1 1 ; xxiii, 20, 21 [Vulg. 19, 20] ; XXIV, 6, io-13, 19-22).

S88. — s) L’humanité inspire les lois de la guerre. Celles d’abord qui président au recrutement des défenseurs de la patrie (Dent., xx, 5-8 ; xxn’, 5), après que le représentant de la religion, le prêtre.

aura rappelé aux combattants le devoir du courage et la confiance en l’appui du Très-Haut (Dent., xx, 1-4). Celles encore qui dirigent certaines attitudes vis-à-vis de l’ennemi, notamment les propositions de paix antérieures au siège d’une ville (Dent., xx, 10, 1 1). Sans doute, le traitement infligé aux vaincus nous apparaît dur, cruel (Dent., xx, 13 et même 14), mais il est moins dur et moins cruel pourtant que les monstruosités dont les Assyriens se faisaient gloire. On notera d’ailleurs les égards dont le législateur fait preuve envers les femmes captives (Dent., XXI, io-14). (Juant aux villes cananéennes, si elles sont l’objet d’une rigueur toute particulière (Dent., XX, 16-18), c’est à raison du danger que leurs habitants feraient courir à la foi d’Israël. — ^) La note de bonté et de tendresse se répercute encore dans la sympathie dont le législateur fait preuve envers la nature inférieure, envers la mère des petits oiseaux que l’on prend en leur nid (/>ei(L, xxii, 6, 7), envers le bœuf qui foule le blé sur l’aire (Deut., xxv, 4), envers les arbres eux-mêmes (Dent., xx, 19).

883. — Il est évident que si on compare la loi deutéronomique avec l’Evangile, on y découvrira beaucoup d’imperfections : si elle a grand souci des déshérités, elle n’a rien qui prévienne les inimitiés ou qui tende à les faire disparaître ; l’étranger qui ne tient pas à entrer dans la société israélite et à s’y fixer pour toujours, l’étranger qui en est exclu sont encore traités comme appartenant à des races inférieures et indignes d’égards. Tout cela est vrai et on pourrait ajouter d’autres remarques semblables. Mais le point de vue est mal choisi pour juger la législation d’Israël ; c’est avec celle des peuples voisins, des autres nations sémitiques, qu’il faut établir la comparaison. Alors on aura moins de peine à comprendre tout ce qu’il y a dans cette parole :

« Yahweh t’a choisi pour lui être un peuple particulier

entre toutes les nations qui sont sur la face de la terre. « (Deut., xiv, 2.)

4° Code sacerdotal

SS4. — 1° Il faut avant tout discerner, dans le Code sacerdotal, ce qui en constitue la partie fondamentale : la Loi de sainteté (Lev., xvii-xxvi).

A. L’esprit de cette loi se dégage d’abord d’un certain nombre de données directes réparties dans le texte même des ordonnances, ici simples formules, là fragments de discours un peu moins laconiques ; l’exhortation finale (l.ev., xxvi) complète et précise ces renseignements par des déclarations plus explicites.

385. — a) Or il est un premier trait qui distingue la Loi de sainteté du Code deutéronomique. Dans ce dernier, c’était Moïse qui parlait au nom de Yahweh et l’on avait le plus souvent une exhortation au ton persuasif. Dans la Loi de sainteté, c’est Yalnveh qui parle et c’est peut-être la raison pour laquelle la note principale est l’autorité. La législation s’exiirime sous forme d’impératifs très calégoriques que contribue assez souvent à renforcer la formule Je suis)rt/nie/i (/, ei’., XVIII, 5, 6, 21 ; xix, 12, 14, 16, 18, 28, 30, 32, 3- ; XXII, 2, 3, 30, 33 ; xxvi, 2, 45). Le Dieu grand et unique apparaît comme tenant de sa nature même le droit de commander, et l’on dirait que la manifestation de sa volonté dispense de toute autre considération ; il est le souverain, il est le maître absolu, celui auquel on ne résiste pas, celui qui peut dire sans donner d’autre motif : « Voici ce que Yalnveh a prescrit » (Lev., xvii, 2). De la sorte le devoir paraîtrait se présenter iilulôt sous la formfr d’un ordre venu du dehors que sous celle d’une suggestion jaillissant de la conscience (Lev., xix, 87 ; xxvi, 4C) ; c’est même ce qui explique que des préceptes relevant de la loi naturelle et des règlements. 845

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J’orJre tout posilif puissent être indistinctement associés (comp. Lei, xviii, ig et xix, 19 avec ce qui les entoure). On peut dire, il est vrai, que dans le Code de l’alliance et le Code deiitéronomùjiie, les énoncés de préceples rendaient un son sensiblement pareil. Mais ici la note reste la même dans les petites exhortations qui interviennent çà et là parmi les ordonnances. On ne fait guère intervenir d’autre considération que la volonté du iMaitre pour détacher le peuple des pratiques chères à l’Egypte et à Canaan (iei’., xviH, 1-5 ; cf. xix, 37) ; tout au plus signalet-on la sanction (Lew, xviii, 5). A s’en tenir aux grandes lignes, il y a beaucoup de points de contact entre rhomélie qui sert de conclusion à la Loi de sainteté (Les’., xxvi) et celle qui termine le Code deuléronomique (Deiil., xxviii-xxx) : promesses analogues de bénédictions récompensant la lidélité(/, ec., XXVI, 3-13 et Dent., xxviii, i-iij), menaces toutes pareilles de châtiments en cas d’inlidélité (Lev., xxvi, 14-31) et Dent., xxviii, 15-68), perspectives semblables de conversion et de retour des faveurs divines (Lev., xxvi, 40-/|5 et heiit., xxx, i-io). Deux différences toutefois sont aisées à relever. Si, de part et d’autre, les châtiments réservés à la désobéissance sont terribles, il faut convenir que la Loi de sainteté accentue davantage la régularité avec laquelle les punitions se renouvellent pour sanctionner les prévarications successives. Surtout, ce qui manque dans la Loi de sainteté, ce sont ces exhortations pressantes et chaudes dans lesf|uelles l’homéliste du Deutéronome conjure Israël de détourner par sa fidélité les maux qui frapperaient son endurcissement. Le législateur sacerdotal s’adresse à l’esprit et à la volonté ; le deutéronomiste va jusqu’au cœur. — h) Parfois, il est vrai, on ne se contente pas de parler de Yahweh en général, du Dieu universel ; on n’oublie pas que Yahweh s’est fait en un sens très spécial le Dieu d’Israël et l’on dit

« Yahweh, votre Dieu » (tei., xviii, 2, 30 ; xix, 2, 3, 4, 

lo, 25, 31, 34 ; XX, ’j ; XXIII, 3 2, 43 ; xxiv, 22 ; xxv, 55) ; il arrive même que l’épithète soit complétée par une indication touchant la sortie d’Egypte et les circonstances dans lesquelles Y’ahweh s’est attaché Israël {Lev., XIX, 36 ; [xxii, 33] ; xxv, 38, [42, 55] ; xxvi, 13). Mais, sauf en quelques cas particuliers (iet’., xxvi, 13), on ne saurait dire si de tels rappels ont pour but de témoigner de la bonté divine ou d’accentuer le sentiment de la culpabilité de la désobéissance. 286. — c)Un second trait mérite d’être souligné, celui auquel précisément la législation que nous étudions doit son titre : à savoir, l’importance attribuée à l’idée de sainteté. Volontiers, pour exciter les lils d’Israël à observer ses préceptes, Yahweh rappelle qu’il est saint (xix, 2), qu’il a séparé son peuple du milieu des autres nations pour qu’il soit à lui (Lev., XX, 24’% 26) et pour le sanctifier (Lev., xx, 8 ; XXI, 8 ; XXII, 32 ; de même, à propos des prêtres, Lev., XXI. 15, 23 et xxii, 9, 16) ; aussi invite-t-il les fils d’Israël à être saints parce qu’il est lui-même saint (tef., XIX, 2 ; XX, 26). — d) Le lien qui réunit toutes ces déclarations est facile à saisir. Yahweh, par sa nature même, est saint, et c’est peut-être à cet attribut qu’il tient davantage, tant le sens en est riche. Aussi veut-il que le peuple qu’il a choisi et dans lequel il entend reconnaître perpétuellement lamarque de son choix, soit un peuple saint : c’est dans ce but qu’il l’a séparé des nations et qu’il se l’est attaché. Aussi bien cette idée de sainteté n’est pas étrangère au Code deuléronomique et elle s’y présente avec les mêmes traits fondamentaux. En vue d’écarter les Israélites de certains rites aux allures païennes, Moïse rappelle qu’ils forment un peuple saint et particulier à Y’ahweh, que celui-ci se l’est

choisi entre toutes les nations qui sont sur la face de la terre (/>eH^, xiv, 2). On dit ailleurs que ce choix, qui inclut une séparation et une consécration, a été le résultat de l’alliance par laquelle, d’une part, Y’ahweh s’est engagé à traiter Israël comme un peuple spécial et à l’élever au-dessus des autres, par laquelle, d’un autre côté, Israël s’est engagé à observer les commandements (Deut., xxvi, 17-19). Mais, outre que dans le Deutéronome cette idée est plulùt rare, elle ne présente pas nécessairement les mêmes nuances que dans la Loi de sainteté.

587. — e) La sainteté évoque avant tout une idée de séparation, de mise à part. En Dieu, cette idée se confond avec celle de sa transcendance ; dans la créature, elle indiquera l’isolement de ce qui estprofane. En second lieu, la sainteté implique en Dieu une idée de perfection ; dans la créature elle supposera une consécration à la divinité, à propos de laquelle il faut rappeler que le concept de sainteté est d’ordre essentiellement religieux ; cette consécration n’ira pas sans une participation aux perfecliuns et éléments constitutifs de la sainteté divine elle-même.

588. — 1") Mais cette sainteté peut être envisagée à un double point de vue. Il y a d’abord une sainteté d’ordre physique et ontologique, qui tient à la nature même des choses ou aux conditions dans lesquelles elles se trouvent. On ne saurait nier qu’une telle conception de la saintelé, à laquelle s’oppose l’idée d’une souillure également physique, ait sa place dans la loi qui nous occupe. Elle se manifeste, par exemple, quand, après avoir énuméré les fautes par lesquelles les Egyptiens et les Cananéens se sont souillés, on ajoute que le pays lui-même en a été^ souillé et qu’il a vomi ses habitants (Lev., xviii, 25, 37, 28 ; cf. XX, 22) ; le péché est une tare, une souillure qui pèse sur le sol comme la mauvaise nourriture sur les entrailles (Deut., xxi, 1-9 décrit un rite qui pourrait suggérer cette idée, mais elle n’est pas exprimée). On pourrait rattacher à des préoccupations de même ordre les espèces de tabous attachés aux fruits des arbres pendant les trois premières années de leur croissance (Lev, , xix, 23), cette prohibition relative aux aliments impurs qui est si intimement unie à la formule « Vous serez saints pour moi parce que je suis saint » (Lev., xx, 25, 26).

589. — g) Il faut considérer avec une attention spéciale ce qui concerne la sainteté des prêtres. Il est naturel qu’on réclame des prêtres une sainteté plus grande que des simples fidèles (Lev., xxi, 6, 8), et qu’on la veuille exceptionnelle au sommet de la hiérarchie (xxi, 10, 12). Outre qu’ils ont à accomplir des fonctions augustes (Lev., xxi, 8 », 10’), les prêtres ne sont-ils pas dans des relations particulièrement intimes avec Y’ahweh qui les sanctifie ? (Lev., xxi, 15, 23 ; XXII, g, 16). Les ordonnances relatives aux prêtres (lev., xxi, i-g) et au grand prêtre (Lev., xxi, iO-15) ne traitent pas de la sainteté intérieure ; le caractère juridique de toute cette législation explique ce silence. Mais, parmi les prescriptions qui regardent l’extérieur, il en est dont on doit dire qu’elles ne dépassent pas les préoccupations d’une sainteté toute physique (Lev., xxi, i-4 et même 10, 11). Il en est de même des irrégularités qui doivent écarter le prêtre de ses fonctions (Lev., xxi, 17-23) ; bien qu’à propos de certaines d’entre elles on puisse invoquer des motifs de décence, il faut se rappeler qu’il s’agit surtout de ne pas profaner le sanctuaire {Lev., XXI, 23'>). Telles seraient encore les ordonnances concernant la participation aux choses saintes, aux mets consacrés (Lev., xxii, 1-9). Telles enfin celles qui tendent à éloigner les victimes qui présentent certains défauts (Lev., xxii, 17-25) ; à leur sujet S47

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il est vi-ai.Malactiie invoquera des raisons de respect et de dignité (Mal., i, 6-1 4).

390. — //) Mais l’erreur serait complète si l’on prétendait que la Loi iie sainteté s’arrête aux préoccupations de sainteté rituelle. Dans la liste des fautes qui souillent le pays, il y a bien telle ordonnance dont on ne voit pas nellement la portée morale (tec, XVIII, 19) ; mais les autres sont inspirées par le souci de sauvegarder les exigences essentielles de la reli"ion (Lev., xviii, 21) ou des bonnes mœurs (Lev., XVIII, 6-18, ao, 22, 23) ; de même dans la liste des fautes qui attirent les plus sévères sanctions (Lev., XX, 2-21 ; sauf peut-être 18). Pareillement, dans la série des prescriptions qui ont pour objet d’assurer la sainteté des prêtres et à côté des ordonnances dont nous parlions plus haut, on trouve des préceptes dont les relations avec la religion (/ec., xxi, 5) ou la morale (Lev., xxi, 7, 9, 13-15) sont évidentes. D’autres commandements d’ailleurs se présentent comme des expansions ou des interprétations qui se rattachent, aussi directement que possible, aux exigences de la loi naturelle.

391. — B. C’est ce que révélera une vue d’ensemble du contenu de cette législation.

a) Il est évident que les lois au caractère spéciliquement religieux y abondent (Le^., xvii, 2-16 ; xvni, 21 ; XIX, 3 ».', 4, 0-8, 12, 19, 21-22, 23-25, 26-28, 30, 31 ; XX, 2-5, 6-8, 23-27 ; xxi-xxii ; xxiii-xxv ; sans parler de l’appendice du chap. xxvii). Il n’y a pas à en être surpris, puisque c’est un code particulièrement destiné aux prêtres, à Aaron et à ses iils(/.ei., XVII, 2 ; XXI, i ; XXII, 2). Parmi ces ordonnances, on en citerait un grand nombre qui, loin de ne pourvoir qu'à une régularité extérieure et à sauvegarder une sainteté toute physique des personnes et des choses, tendent à maintenir des principes fondamentaux de la vie religieuse juive (/et., xvii, i-g au sujet desquels on peut rappeler ce que nous avons dit de la loi de l’unité de sanctuaire ; xviii, 21 : xix, 4. 12, 31 ; XX, 2-5, 6-8, 27) ; un grand nombre encore qui tendent à assurer l’expression des mêmes sentiments que nous avons signalés dans l'élude des codes précédents : jalousie du Dieu unique (/.er., xix, 4)i respect du nom divin (f.ev., xix, 12), souci de la pureté du culte (ter., xviii, 21 ; xix, 31 ; xx, 2-5 [?J, 6, a^), reconnaissance du souverain domaine de Dieu (/.ec, XVII, 5-'j, 8-9 ; XIX, a4 ; etc.). Mais un trait distingue cette loi de celles que nous avons aujjaravanl étudiées ; c’est le souci du détail, du rituel. On s’en rendra compte, par exemple, en comparant les ordonnances du Deiitérononie (Deut., i.i) el ceUes de la Loi de sainteté (Lev., xxiii) concernant les fêtes ; mais, de nouveau, celle différence tient au caractère spéciûque du deuxième de ces codes. C’est peutêtre aussi ce caractère qui explique le prix attaché à l’observance en tant qu’observance (/.et'., xix, 3 » ?, h^-'J, 30). Noter encore les précautions en vue de sauvegarder le caractère national du culte (Lev., XXII, io-13).

392. — ) En ce qui concerne la vie sociale et politique, on peut relever, dans la toi de sainteté, des préoccupations analogues, malgré la sécheresse et une certaine raideur du langage, à celles que nous avons signalées à propos des autres codes, parfois même des préoccupations plus délicates. — « ) On notera, au sujet de la justice, les ordonnances concernant le vol et le mensonge {/.et'., xix, 11), les jugements (/.et'., xix, 15, 16), les mesures (Aei., xix, 35, 36). — fi) Dans un autre ordre d’idées, le respect dii aux parents (/-et., xix, i^'^ [ici ce précepte est mis sur le même rang que celui de l’observation du sabbat, dont l’importance est si particulière en ce code] ; cf. XX, 9) ; les marques de respect à donner au vieil lard (tet'., XIX, 32 [sur le même pied que la crainte de Dieu]). — -/) A propos des sentiments d’humanité, on soulignera les ordonnances concernant les pauvres (/et'., XIX, 9, 10), les faibles (/.et'., XIX, 13), les infirmes {l.ey., xix, 14), les étrangers igéi : , Lev., xix, 33, 34). On le remarquera même avec soin. C’est dans la Loi de sainteté, et non dans le Deutéronome, qu’est formulé le précepte presque évangélique de l’amour du prochain comme soi-même (/.et., xix, 18 » /), que sont condamnées la haine (/.et., xix, 15^) et la vengeance (/et., XIX, 18 »  »). — S) Toutefois l’une des notes distinctives, dans la partie morale du code que nous étudions, c’est la préoccupation de la moralilé proprement dite. De là les règlements el sanctions dirigés contre certains désordres particulièrement crianls {Lev., XVIII, 22, 23 ; xx, 13, 15, 16), contre la prostitution (Z, ei'., XIX, 29). De là les ordonnances qui ont pour but d’assurer la sainteté et la dignité du mariage : protection de la, liancée, même si elle est esclave (Lev., xix, 20-22) ; longue liste des empêchements de mariage (£ei'., XVIII, 6-18) ; sanctions contre l’adultère (Lev., xx, io)et l’inceste (Lev., xx, 11, 12, 14, l’j, 19-21) ; précepte touchant l’usage du mariage (/.et'., XVIII, 19 ; XX, 18) ; etc.

S93. — 2°) Si la Loi de sainteté demeure l'élément fondamental du Code sacerdotal, elle n’en est pas la partie la plus considérable. U faut, en effet, mentionner, en s’en tenant à la stricte législation : le rituel de la Pàque(£.r., xii, 1-20 -f- 43-49) ; les dispositions en vue de la conslruclion du tabernacle (Ex., XXV, i-xxxi, l’j), auxquelles il convient d’ajouter le récit de leur réalisation (E.r., xxxv, i-xL, 33) ; le rituel des sacrifices (iei., i-vii) ; les lois, en forme de récits, concernant l’installation des prêtres (Lev., viii-x) ; les lois de pureté (Lev., xi-xv) ; le rituel du jour des Expiations (Lev., xvi). De même, les suppléments du livre des Nombres : les personnes impures exclues du camp (Niim., v, i-4) ; loi sur la restitution (.um., V, 5-10) ; loi sur la jalousie (Aum., v, n-31) : loi du nazaréat (Ktim., vi, 1-21) ; formule de bénédiction (Niim., VI, 22-27) ; ^'^ lampes (A’um., viii, i-4) ; loi sur l’installation des lévites (A’um., viii, 5-26) ; la seconde Pàque (Num., ix, i-14) ; les trompettes (Num., X, i-io) ; les offrandes qui doivent accompagner les sacrifices (Aiim., xv, 1-16) ; les prémices de la farine (Num., xv, 17-ai) ; l’expiation des péchés commis par erreur (Niim, , xv, 2a-31) ; la violation du sabbat (Num., xv, 32-36) ; les glands aux vêtements (Num., XV, 37-41) ; fonctions et revenus des prêtres et des lévites (A’um., xviii) ; purifications avec l’eau dans laquelle on a répandu la cendre de la vache rousse (A’h ; «., xix) ; loi sur les héritages (A’wm., xxvn, i-ii) ; loi sur les sacrifices de tous les jours et des fêtes (Ium., xxviii, i-xxx, i) ; loi sur les vceux (A’um., XXX, a-17) ; les villes lévitiques (Num., xxiv, 1-8) ; les villes de refuge et les lois sur le meurtre (Num., XXXV, 9-34) ; loi complémentaire sur les héritages (Num., xxxvi).

294. — a) U est facile de constater que les lois d’ordre social ou civil ne tiennent qu’une place très restreinte au milieu de toutes ces ordonnances(Aum., ~ V, 5-1 o : V, ii-31 ; xxvii, i-ii ; xxxv, 9-34 ; xxxvi) ; nous n’avons pas à nous y arrêter. — /) La plupart des prescriptions ont un caractère cultuel. Nous ne saurions être surpris de constater qu’on y relève le souci du détail, la préoccupation d’assurer l’exact accomplissement des cérémonies et de préciser les conditions de cette pureté et sainteté extérieures qui, nous l’avons vu, prend une importance si considérable dans la vie juive telle que la décrit déjà la Loi de sainteté. Ces ordonnances et dispositions pourraient faire l’objet d’une étude du plus haut intérêt ; en les rapprochant des usages en vigueur dans le reste S49

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(le rOrienl sémitique, on apporterait une contribution précieuse à Vllistuire comparée des reli'^iuns. Mais on comprend que ce travail et ce point de vue soient cliangei-i au sujet, déjà si vaste, que nous avons entrepris de traiter.

395. — C-) Parmi les traits qui caractérisent ce rituel, mentionnons, en premier lieu, l’importance attachée à l’acte liturgique. Plus d’un critique atlril)ue cette préoccupation à l’idée que l’acte liturgii|ue a une eîlicacité propre ou, comme on dit en théologie sacramentaire, agit ex opère operato. Nous n’oserions pas dire que cette concej)tion soit entièrement étrangère à l’esprit qui inspire et anime ces prescriptions. Mais nous estimons qu’une j)lace plus grande doit être attribuée à la pensée d’iionorcr Dieu, au souci de la parfaite dignité du culte à rendre à Celui qui est à la fois le Ïout-Puissant et le Très-Saint ; les discours de MalacLie favorisent clairement ce point de vue (J/a/., i, 6 14 : nr, 6-12).

S98. — (0 Un deuxième caractère de celle législation consiste dans l’importance attachée au rôle du clergé. Dans le />e « /éro/iome, nous assistons surtout aux manifestations prescrites ou spontanées des lils d’Israël ; les lidèles viennent par groupes, généralement par familles, apporter au Temple leurs prémices, leurs premiers-nés, leurs dimes, s’acquitter des sacrifices réglementaires, accomplir leurs voeux, faire leurs offrandes spontanées. Tous ces actes ont un caractère nettement personnel, souvent individuel. C’est un autre côté de la liturgie que nous dévoile le Code sacerdotal. Nous voyons le clergé de Jérusalem attaché au Temple pour représenter, dans l’exercice de la [irière publique, le peuj)Ie auprès de son Dieu. Alors même que les fidèles ne viennent pas solliciter leur ministère pour des intentions particulières ou en faveur d’individus ou de groupements déterminés, les prêtres et les lévites, se conformant à une réglementation précise et minutieuse, prient pour le peuple tout entier, offrent des sacrifices pour le peuple tout entier, utilisent dans ce but des revenus qui leur sont assurés par le peuple tout entier.

597. — e) Enfin nous signalerons un troisième et dernier trait du Code sacerdotal. Ce qui frappait encore dans le DeiUéronome, c'était surtout la joie quc les fils d’Israël goûtaient dans la pratique de leurs actes religieux. Le Corfe sacerrfoïa/ paraît faire une place aussi grande, sinon plus absorbante, au souci de la pureté et à la crainte du péché. Cette dernière préoccupation explique les préceptes relatifs à des sacrifices et rites expiatoiresdont il n’est pas question dans la législation deutéronomique. D’autre part, elle ne s’arrête pas seulement aux fautes voulues et consenties, dont on serait tenté de dire que seules elles comptent au point de vue moral ; elle s'étend jusqu’aux fautes commises par erreur ou inadvertance. C’est une application nouvelle des principes déjà posés par la Lui de sainteté au sujet de la sainteté et de la pureté physiques.

598. — Remarque. — Il va de soi qu’en relevant ces différences entre les divers codes, nous n’avons en aucune manière l’idée de parler de contradictions ou d incompatibilités, exclusives de la présence de ces diverses ordonnances dans la même collection générale. Les rédacteurs qui, d’après les critiques, ont fondu ensemble ces législations primitivement séparées, n’en ont pas, eux non plus, découvert.

III. — Développement et progrès dans la législation mosaïque

1' Remarques préliminaires

599. — a) A la base de leurs théories sur le Penlateuque, les critiques étrangers à l’Eglise mettent,

nous l’avons vu, la constatation d’un développement législatif dont les diverses phases ne seraient pas autrement difficiles à déterminer. Beaucoup d’exégètes catholiques, de leur côté, n’hésitent pas, même après les décisions de la Comiitissioii liitilique, à reconnaître, au moins en certains cas, l’existence de semblables développements ; ils en concluent que les anciennes législations ont subi des relonrlies, reçu des comiiléments, destinés à les adajiter à des situations et à des besoins nouveaux. Souvent toutefois, on ne parle de ces sujets que d’une manière générale et forcément un ])eu vague. Il nous a paru utile de fournir les éléments d’une appréciation plus objective en mettant au point quelques exemples concrets. — //) Ce n’est pas chose toujours facile et la comparaison des documents doit être fuite avec un juste sens des nuances. De ce qu’une loi manque dans un des codes, on ne peut pas conclure que l’auteur de ce code l’ignorait, bien moins qu’il a fait sa collection à un moment où elle n’existait pas encore. On comprend aisément par exemple que, même au cas où les lois rituelles du Code sacerdotal auraient existé à l'époque où furent rédigés le Code de l’alliance et le Code deutéronomique, ceux-ci ne les aient pas reproduites ; elles traitaient de sujets trop spéciaux. Il arrive pourtant que le Deuiéroniime renvoie à l’une de ces ordonnances. C’est à propos de la lèpre ; il recommande l’observation soigneuse Cl de tout ce que vous enseigneront les prêtres lévltiques ; tout ce que je leur ai prescrit, vous le mettrez soigneusement en pratique » (Deul., xxiv, 8, 9) ; il est de toute vraisemblance que la législation à laquelle l’auteur se réfère soit en substance celle de I.ev., xnixiv. Nul doute que, si d’autres occasions se fussent présentées, le /Jeutéronome ou le Code de l’alliance eussent mentionné d’autres collections sacerdotales. — c) Le terrain paraît plus solide si l’on compare entre elles les rédactions des lois qui. dans les trois codes, traitent les mêmes sujets Encore faut-il penser qu'à raison des détails qui se trouvaient ailleurs sur le même sujet, tel auteur a pu simplifier son texte législatif, tel rédacteur a pu abréger l’un des documents qu’il retenait. Néanmoins c’est sur ces textes parallèles que nous allons concentrer notre attention, nous bornant d’ailleurs à un simple exposé des faits.

2° Les esclaves

300, — La première loi d’oi-dre social à propos de liiquelle pareilles coaiparaisons présentent de l’intérêt est celle qui concerne les esclaves.

1) Le Code de VatUanre a strictement en Tue l’esclave hébreu [Ex., xxi, 2). — a) L’esclave entre danslamaisonde son maître par un contrat d’achat (Ex, ^ 3txi, '2) ; il est la propriété, la « monnaie » de son maître (Ex., xiii, 21). Un chacun toutefois n’a pas le droit de porter atteinte à la liberté de son prochain et la peine de nioi-l cliâtierait celui qui aurait dérobé son frère pour le vendre ou le prendre à son service (£'x., XXI, l(i). C’est avec les ajartts drc » it, père, etc., — sans parlei- sans doute de l’esclave lui-même — qu’il faut entrer en néfjociations [Ex., xxi, 7) ; on n’oubliera pas non plus que certains des peuples voisins, les Phéniciens par exemple, étaient de grands i>ourvoyeui’s d’esclaves. — b) La situation de l’esclave mvle n’est pas de tout poifit la même que celle des femmes esclaves. La liberté de l’esclave mvle n’est pas aliénée pour toujours ; en la septième année, il recouvre sa liberté sans rien payer (Ex., XXI, 2), La loi est dure pour l’esclave marié. Sans doute, s’il avait une femme lors de son entrée en service, il la ramènera avec lui ; mais s’il a reçu sa femme de son maître et qu’il y ait eu des enfants, femme et enfants demeureront chez ce dernier et l’esclave sortira seul (Ex., xxi. 3, 4). Une ressource lui reste, il est vrai, et la situation prévue pour lui jiar la loi est assez bonne ]>our qu’on puisse compter qu il usera de cette faculté. Il peut demander à rester au service de son maître ; un rite au caractère religieux 851

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consacrera l’engagement, qui sera définitif (Ex., xxi, 5, 6).

c) Le sort des femmes esclaves est difTcrent. Le cas

visé est celui de la femme esclave qui devient concubine dans la maison de son maître ; c’est, ou bien parce que telle est la condition la plus fréquente, sinon normale, des femmes esclaves, ou bien parce que le législateur ne vise que ce cas particulier. L’esclave-concubine ne sort pas la septième année (Ex.^ xxi, 7), sauf le cas (Ex., xxi, _ll) où son maître n’aurait pas eu égard aux mesures prises pour sauvegarder ses intérêts et sa dignité [Ex.. xxi, 8-10).

(l Toutefois les esclaves des deux sexes sont mis sur

le même rang quant aux brutalités dont ils seraient victimes de la part de leurs maîtres ; les réparations et sanctions sont, il est vrai, beaucoup moins sévères que quand il s’agitdes hommes libres [Ex., xxi, 20, 21, 26, 27 ; cf. 32). 301. — 2") Dans le Deutéronome, les ordonnances relatives aux esclaves [Deut., xv, 12-18) se rattachent à celles qui concernent l’année de rémission. Gomme dnns le Code de Valli^nce, il n’est question que de l’esclave hébreu. — a) Il semblerait que seul l’esclave ait le droit de disposer de sa liberté (selon le sens réfléchi que peut ayo’w yimmàk^ér ; Deut, , XV, 12) ; en tout cas la sentence de mort est renouvelée contre quiconque enlève son frère pour le vendre ou le mettre à son service (Deut., xxiv. 7). — b) De nouveau on parle de la libération de l’esclave au terme de la sixième année (Deut., xv, 12). Des recommandations sont faites à ce sujet, dans lesquelles on reconnaît le sens profond d’humanité qui caractérise ce code. Non seulement l’esclave sort sans rien payer (cf. Ex., xxi, 2), mais on ne le renvoie pas les mains vides ; on lui donne quelque chose du menu bétail, de l’aire, du pressoir. D’une part, on n’oubliera pas que son travail a contribué à rendre efficaces les bénédictions de Dieu ; d’autre part, on se rappellera qu Israël lui-même a été esclave en Egypte [Deut., XV, 13-15). Le souvenir des services reçus doit même exclure tout sentimetit pénible lors du départ de celui qui est vraiment moins un esclave qu’un serviteur [Deut., xv, 18) ; rien de surprenant à ce qu’ici, comme dans le Code de l’alliance^ on entrevoie le cas où l’esclave voudra se fixer chez son maître (Deut., xv, 17j. — c) Ce qui doit davantage attirer l’attention, c’est qu’au point de vue de la libération de la septième année, la condition est la même pour les esclaves des deux sexes (Deut., xv, 12, 17). On peut se demander s’il s’agit pour la femme-esclave du même cas que dans Ex.^ xxi, 7-11. Tandis qu’en ce dernier passage, le cas visé est celui de l’esclave-concubine, il se pourrait que le texte deutérotiomîque fît abstraction de cette hypothèse. Il serait possible, d’autre part, que le Deutéronoine se un état social dans lequel le concubinat servile serait devenu plus rare. On le noiera : c’est en conformité avec cette législation que se présente la pratique à laquelle il est fait allusion dans le livre de Jérémie (Jer., xxxiv, 8-16 ; il est question des esclaves des deux sexes) pour l’époque du roi Sédécias. — d) D’après le Deutéronome les esclaves des deux sexes, — mieux : les serviteurs et servantes, — ont leur place dans la famille, participent à sa vie, notamment dans les actes religieux, dans les pèlerinages à la Ville Sainte et dans les repas sacrés qui s’y rattachent [Deut., xii. 12, 18 ; xvi, 11, 14). Remarquer encore l’ordonnnnce humanitaire concernant l’esclave fugitif {Deut. y xxui, 16, 17 [Vulg. 15, 16]).

303. — 3" ») Dans le Code sacerdotal (Loi de sainteté), la question des esclaves est traitée a propos de l’année jubilaire (Z.ei’., XXV, 35-55). Après une exhortation sur l’attitude à garder vis-à-vis des pauvres (Lei’., xxv, 35-38), le législateur envisage le cas où un Israélite, devenu pauvre, est contraint de se fendre (nimkar, même forme verbale que dans le Deutt’rononie) au service d’un maître, israélite comme lui (Lee, xxt, 39a). C’est bien lui, en effet, qui se vend ; on ne le vend pas comme on fait des esclaves {Lev., XXV, 42b). —. a) Une distinction capitale est, dès lors, établie entre l’esclave hébreu et l’esclave étranger.

— « I En réalité, un Isruélite ne doit jamais traiter son

« frère n comme un esclave (Lcv.. sxv, 39^), mais bien

plutôt comme un mercenaire i.vâAhîV), comme un étranger fixé pour un temps limité (^’.^iï^ » h) dans le pays (/< « (’., XXV, 4ûa). Non seulement on ne doit pas lui imposer un travail d’esclave, mais sa sujétion ne durera pas toujours. Il n’est pas question ici toutefois de la rupture de son engagement en la septième année (cf. J ?.r., xxi, 2-11 et Deut., XV, 12-18), mais seulement en l’année du jubilé ; il sortira alors avec ses enfants, sans que l’on fasse les distinctions établies par le Code de l’alliance

[Ex., XXI, 3, 4) ; il retournera dans sa famille et la propriété de ses pères [Lev., xxv, 40b, 41). pour appuyer cette ordonnance, le législateur invoque un motif dont il n’a pas encore été question : c’est que les esclaves, aussi bien que leurs maîtres, ont participé à la faveur divine lors de la libération de la servitude égyptienne (Lev., xxv, 42aj ; la clémence dont ou doit user à leur égard est une conséquence de la crainte de Yahweh [Leu., xxv, 43).

— /3) Un autre cas est envisagé au sujet de l’Israélite pauvre ; celui où il serait réduit à se vendre à un étranger [gêr, (o.’îâèli) établi dans le pays ou à un descendant de cet étranger (Lee., xxv, 47). ! 1 y aura alors un droit de rachat que pourront exercer un des frères de l’esclave, son oncle, son cousin germain, tout autre proche parent et l’esclave lui-même, s’il recouvre des ressources (Lev., xxv, 48, 49) ; le prix du rachat se calculera d’après le temps qui séparera la vente et le rachat de l’année jubilaire (Cev., xxv, 50-52). En tout cas, le jubilé sera pour l’esclave et ses enfants une date d’nlTranchissement (ici’., xxv, 54), Yahweh ne peut consentir à ce que les Israélites aliènent leur liberté d’une manière définitive, car c’est de lui et de lui seul qu’ils sont vraiment les serviteurs (/.rc, xxv, 55) ; il ne peut davantage supporter qu’ils soient traités avec dureté (Lei’., xxv, 53 ; cf.’16t^). — b) Les véritables esclavps seront pris par les Uébreux et achetés parmi les peuples qui entourent Israël : on pourra de même en acheter aux étrangers (toiàb^im) fixés pour un certain temps dans le pays. Ces esclaves seront la propriété du maître dans le vrai sens du mot ; il les transmettra, comme tout autre héritage, à ses descendants (Lei>., xxv, 44-46).

3° Le droit de refuge

303. — C’est encore une loi sociale qui, commune aux trois codes, met bien en relief les préoccupations d’humanité, en même temps que de justice, chères au législateur hébreu.

1 » ; La formule du Code de Vaillance [Ex., xxi, 12-14) est très brève ; elle se ramène à trois points : — a] L’exposé du principe (forme de la loi du talion) d’après lequel quiconque frappe un homme à mort doit être mis & mort (Ex., XXI, 12) ; on ne dit rien de l’exccnteurde cette sanction. — b] Une réserve en faveur du meurtrier qui « n’a pas guetté sa victime, maïs à la main duquel Dieu l’a présentée », autrement dit, en faveur du meurtrier involontaire. Dieu fixera un lieu où il pourra s’enfuir ; c’est l’expression même du droit de refuge. On remarquera la manière tout h fait vague, d’allure primitive, dont le lieu de refuge est désigné [Ex., XXI, 13). — c) Quant au meurtrier volontaire, (( qui agit avec présomption contre son prochain pour le tuer par ruse », il n’y a pas pour lui de droit de refuge ; on doit le prendre même « à mon autel » (expression à noter) pour le faire mourir,

304. — 2") Le Deutéronome (Deut., xix, 1-13) renferme de plus grandes précisions : — a) D’abord touchant le choix des lieux de refuge. Ce seront des villes, car le nouveau code vise une situation sociale déjà avancée ; d’autre part, dans une législation qui attache à l’unité de sanctuaire une importance sans précédent, il ne saurait être question d’un autel de Dieu à propos de chaque lieu de refuge, Trois villes seront mises à part lorsque Israël entrera en possession de Canaan (Deut., xix, 1, 2, 7 ; cf. tv, 4143) ; elles seront choisies de telle sorte que de tous les points du pays, divisé en trois régions, le meurtrier puisse y avoir accès facile (Deut., xix, 3). Même, si Yalnveh favorise l’extension du territoire et donne à son peuple tout le pays qu’il lui a promis, il faudra ajouter trois autres villes [Deut., XIX, 8, 9). De plus les chemins qui y mèneront devront être entretenus en bon état (Deut., xix, 3a). — b) Ces villes doivent servir è ce que le sang innocent ne soit pas versé au milieu du pays, qu’il n*y ait pas de sang sur Israël (Deut.. XIX, 10). Par conséquent, tout meurtrier n’aura pas le droit d’y trouver refuge ; seul aura la vie sauve celui qui aura tué son prochain sans le savoir et qui auparavant n’avait pas de haine contre lui (Deut., xix, 4K Même un exemple illustre ce principe : l’exemple classique du bûcheron dont la hache, lancée sur l’arbre, s’échappe du manche et atteint un compagnon (Deut.. xix, 5). Lin tel homme n’a pas mérité la mort et il faut à tout prix le soustraire à la colère du vengeur du sang qui pourrait l’atteindre et le frapper si la ville de refuge était trop éloignée (Deut., xix, 6). On remarquera le sens psychologique très vif qui anime cette appréciation de la responsabilité ; d’autre 853

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pari on notera que le châtiment esl reserve au Tençeur du sann I -"<( haJdàm). Celui-ci est le plus proche parent de la victime et l’on comprend qu’il puisse, au premier moment, agir sous linauence de la colère, san- ganier le calme pour exiiniim-r attentivement le eus. — <) Kmt autre est la situation du meurtrier qui avait auparavant de la haine, qui, s'étuntmis en embuscade, s est precipile sur son prochain et lui a assené un coup mortel. Au.ait-.l trouvé accès dans la ville de refuge, que les anciens de sa propre résidence l’enverraient saisir, pour le livrer au Tengeur du sang afin qu il meure. Pas de pit.e pour lui ; ilfautéloignerd’Israëllesang inn.icent ( « < «  «., xix, 11-1.>). Comme on le voit, nous sommes à un stage de la vie sociale disraëldans lequel, au moins pour les cas ordinaires (cf. Deui., xTii, 8-13), le pouNoir judiciaire esl aux mains des anciens.

305 _ 3") Dans le Code sacerdotal (parties supplémentaires.Vum., XXXV, 9-34), la législation est notaljlement plus développée. - a) Quand les lils d Israël auront passé le Jourdain et se seront lises en Canaan, on tlesienera six villes de refuge, trois en ïransjordune et trois In Palestine proprement dite (Num., xxxv, 9-14) ; elles seront à l’usage de l’Israélite, et aussi de 1 étranger qui, dune manière stable (gèr) ou transitoire (t. :.- ; àb>') séjourne dans le pays ('V « m., xxxv. 15). - b) Ces villes ne peuvent servir qu’au meurtrier qui a tué quelqu un par erreur

protéger contrôle vengeur du sang (, V « m., xxxy, 12) ; celuici demeure donc toujours l’exécuteur du châtiment. Mais une nouvelle disposition intervient en faveur du meurtrier : il ne peut pas élre mis à mort avant d’avoir comparu devant l’assemblée {, um., xxxv, I'2). On précise d ailleurs, par des exemples qui sans doute n'épuisent point tous les ca<i les signes auxquels on reconnaîtra le meurtrier involontaire ; c’est lorsque soudainement, sans haine sans le guetter, sans voir, sans lui chercher de mal, il aura renversé son prochain, lui aura fait tomber quelque chose sur la télé, une pierre par exemple, et que de ces accidents la moit se sera suivie (Num., xxxv, 22, 2, i). 1^ est d’après ces exemples que l’assemblée prendra une décision entre le vengeur du sang et le meurtrier ; on suppose clairement que celui-ci aura été ramené de la ville de refu-e devant le tribunal, sans doute ù la demande du vengeur (Num., xxxv, 24, 25). - <) iMêroe après une sentence favorable, le meurtrier involontaire sera ramené dans la ville de refuge et il y devra demeurer jusqu à la mort du grand prêtre en fonction. Alors seulement il pourra retourner chez lui ; que s’il sortait auparavant, le vengeur du sang pourrait le tuer sans encourir de culpa-bilité juridique (Num., xxxv, 25-28). Cette mesure, qui n’est pas sans témoigner de certaines lacunes dans 1 exercice de la justice, s’explique, et par le souci de respecter les droits du vengeur du sang, et parla preoccupi.ti-n d'éviter autant que possible les violences auxquelles 1 exercice de ces droits peut donner lieu dans les temps qui suivent d’assez près la mort de la victime. Elle est en tout cas regardée comme très importante, ; une clause additionnelle détend d’accepter une rançon pour permettre au meurtrier involontaire de revenir en son pays avant la mort du grand prêtre (Num., xxxv, 32). — d) Divers exemples sont allègues pour faciliter l’appréciation de l’homicide commis de propos délibéré. Certains d’entre eux trahissent à ce point la préméditation qu’il n’y a pas à s’enquérir des dispositions du meurtrier ; c est quand il a & la main un instrument de fer, une pierre, un instrument de bois capables de donner la mort (Num., xxxv, 16-181 Que s’il a seulement renversé sa victime, s il lui a jeté 'quelque chose, s’il l’a frappée de sa main, on devra s’assurer que c’est vraiment par h ;.ine ou en un giiet-apens (Num xxxv, 20, 21). Dans tous ces cas. le meurtrier volontaire doit être puni do mort ; le vengeur du sang pourra le tuer quand il le rencontrera (.Vum., xxxv, 19, 21b). — <) On ne parle pas ici d’une comparution devant 1 assemblée ; en revanche on semble sous-entendre le principe deutéronomique qui exclut le coupable de la ville de refuge (Deut., XIX, 12). Déjà la comparution devant le tribunal pourrait être conclue de ce qui est dit î> propos du meurtrier involontaire (Num., xxxv. 25 ; cf. 12). Mais il en est explicitement question dans les clauses additionnelles. On y requiert la déposition des témoins contre le meurtrier et on note qu’un seul témoin ne suffiiait pas pour une sentence de mort (Num., xxxv, 30). Que si le crime est établi, on n’acceptera pas de rançon pour infirmer la condamna tion. Il faut h tout prix écarter la souillure du pays et il n’y a pour le pays d’expiation du sang qui y a été répandu que par le "sang de celui qui la fait couler [Num., xxxv, 31, 33, 34).

4° Année sabbatique et année Jubilaire

306. — Ici se fait la rencontre des lois sociales et des lois religieuses. Dés l’origine, en effet, la législation dont il s’agit et dont le caractère social est nettement déterminé, tut mise en connexion intime avec la religion.

1 ») Au Code de l’alliance, la septième année est celle où l’on n’ensemence pas tes champs, mais où on les laisse en jachère, celle où l’on ne recueille piis les produits de son champ, ni ceux de sa vigne, ni ceux de son oliveraie, mais où on les abaridonne aux indigents du peuple et aux bêtes des champs (Ej., xxiii, 10, 11). A elle seule, la rédaction ne permet pas de décider s’il s’agit d’une année fixe, au cours de laipielle tous les champs, vignes et oliveraies se trouveraient soumis à cette loi, ou ^i chaque possesseur devrait suivre à cet égard sa pratique particulière en rapport avec les circonstances dans lesquelles il aurait acquis ses propriétés. On remarquera, en tout cas, le caractère humanitaire de cette ordonnance, la bienveillance envers les pauvres et même la sympathie pour les animaux dont sa rédaction porte le témoignage. Sur la libération des esclaves en la septième année de leur service {Ex., x%i, 1-11) fid. supra, 3O0, *, c.

307. — 2°) Le Deuléronome groupe en un seul contexte [Deut., XV, 1-18) tes deux ordonnances concernant la septième année. Sur la libération des esclaves l’id. supra, 301, b, c. L’autre loi explique le nom même que porte cette septième année : année de rémission (s’nut^ hass’miftah, Deut., XV, 9). Il nppaiait nettement d’ailleurs qu’il s’agit de la même année pour tous les Israélites (cf. Deut., iv, 1, 9). Or cette loi, que le Code de l’alliance ne renferme pas, est ainsi formulée : « 'Voici l’affaire de la rémission : Tout possesseur d’un prêt de su main fera rémission de ce qu’il aura prêté à son prochain et il ne pressera pas son prochain et son frère, parce qu’on a proclamé rémission pour Yahvveh. Tu presseras l'étranger (no/(r/[i/], celui qui n’a pas de domicile en Israël) ; pour ce qui l’appartient chez ton frère, ta main fera rémission. » (Deut., xv, 2, 3). La phrase est un peu contournée, mais le sens général est clair : la septième année, le créancier fera rémission au débiteur Israélite de ce qu’il lui aura prêté. Une nuance toutefois échappe, qu’il est absolument impossible desaisir avec certitude. S’agit-il d’une rémission pure et simple, définitive, de la dette ? Ou bien le législateur veut-il seulement dire qu’on ne la réclamera pas pendant la septième année, quitte ù faire de nouveau valoir ses droits dans la suite ? Les anciens exégètes adoptaient de préférence la première solution ; il y a aujourdhui tendance à recevoir la seconde interprétation. Quelque soit lavis auquel on se range, cette ordonnance ne laisse pas d'être gênante. Aussi le législateur se fait-il homéliste. Il insiste sur les bénédictions que Yahweh accordera si l’on observe ses prescriptions et qui compenseront largement les pertes de la septième année [Deut., xv, 4-6). Visant ensuite un cas particulier, celui d’un frère pauvre qui solliciterait un prêt aux ap[>rocbes de l’année de rémission, il déclare qu'à cette date comme aux autres, il faut ouvrir largement la main il faut même bannir de son àme tout sentiment d’aigreur ou de regret (flcu<., xv, 7-11). Ici la note humanitaire est encore plus accentuée que dans le Code de l’alliance. Noter que le Deuléronome ne parle pas des champs. 308. — 3°) Dans le Code sacerdotal (Lev., xxv ; Loi de sainteté), la loi que nous étudions présente certaines particularités etde nombreuses additions.— a) La septième année apparaît comme une année de repos, de solennel repos pour In terre (Le< : , xxv, 4, 5), un sabbat en l’honneur de Yahweh (iei'., xxv, 2, 4). Sans doute la rémission dont parlait Deut., xv, 2 était bien publiée en l’honneur de Yahweh ; mais le nom même de l’année évoquait le but humanitaire de l’institution. Dans le document qui nous occupe, le repos de la septième année esl avant tout, comme celui du septième jour, un acte de culte et d hommage en l’honneur de la divinité. Le repos prime le reste, et c’est ici que l’appellation d’année sabbatique est tout a fait de mise. Il va de soi qu’il s’agit d’une même année pour tout le pays et ses habitants. — b) De ce chef, l’ordonnance que l’on attend en premier lieu est celle que le 855

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Codede Valliance (Ex., xxiii, 10, 11) a consacrée : 1a cessation du travail des champs, des vignes. Ni semences, ni tailles ; pas de moisson de ce qui naît des grains perdus de l’année pi’ëcédenle, pas de cueillette de ce que produit la vigne non taillée. Les produits spontanés du sol serviront à la nourriture de l’Israélite, de son serviteur et de sa servante, du mercenaire et de l’étranger [fosàb^^] établi pour quelque temps dans le pays, sans parler du bétail et des animaux sauvages (Lef., xxv, 4-7) ; c’est dire que, pour ne pas occuper ici la première place, les considérations humanitaires ne sont pas absentes. Ici encore on prévient les inquiétudes ; assurance est donnée des bénédictions divines, grâce auxquelles la sixième année produira pour trois ans [Lev., xxv, lS-22). — c) Aucune indication en ce contexte touchant la rémission des dettes. On peut penser que le nouveau code suppose le maintien de ce qui est réglé par le Deuiéronome ; Il y a, en effet, corrélation entre la suspension des paiements et la réduction des ressources en la septième année. D’autre part, l’engagement dont il est question Neh., x, 32 (Vulg. 3’.) et qui suppose au moins l’existence des éléments fondamentaux du Code sacerdotal porte à la fois sur les deux obligations.

309. — d) Mais ce qui est bien plus caractéristique dans celle législation, ce sont les prescriptions relatives à la cinquantième année. — « ) On a établi un rapprochement entre cette cinquantième année, venant au bout d’une période de quarante-neuf ans ou sept années sabbatiques (icf., XXT, 8) et la fête de lu Pentecôte, qui prend place au terme des quarante-neuf jours ou sept semaines qui suivent laPâque. L’année jubilaire (L^(’., xxv, 10^, ]lajl2a ; du mot yôb^^H qui désigne probablement la trompette [qérén /iayyfî^l’è/) primitivement en usage pour les signaux importants [cf. Ex., xix, 13, etc. ; Jos, , vi, 5, etc.]) est annoncée le 10 du septième mois de la quoranle-neuvième année, au jour des Expiations, par le son de la trompette (£, ei’., xxv, 9). — /3 ; Cette cinquantième année a d abord les caractères d’une année sabbatique et entraîne ie repos pour la terre (Lcc, xxv, 11, 121^). — vj Ce sera aussi une année d’aflranchissement, il la fois pour les personnes et pour les propriétés ; chacun rentrera dans ses biens et dans sa famille [Lev.^ xxv, 10). Sur l’affranchissement des esclaves, vïd. supra, 308, a. — 5 ; Un principe domine la question des propriétés. Le pays est à Dieu et les fils d’Israël sont chez lui comme des étrangers et des gens en séjour (/.fc, xxv, 23). En réalité, ce qui est objet de contrat entre les hommes, ce n’est pas le sol, ce sont les récoltes (Let’., xxv, 15*^, 16'>). C’est pourquoi, en l’année du jubilé, chacun rentrera dans sa propriété (/.e(’., xxv, lO^J),

— e) Sous peine de porter préjudice h son frère, il faudra tenir compte de ce principe dans le contrat de vente (Z, f(’., xxv, 14’17) et fixer le prix d achat selon les années qui demeureront jusqu’au jubilé [Lev., xxv, 15, 16). — Ç Bien (dus, le contrat de vente doit prévoir l’exercice du droit de rachat, soit en faveur de celui qui aura acquis de quoi recouvrer son bien, soit en faveur de son proche parent ; la considération de la proximité du jubilé interviendra encore dans la fixation du prix de ce rachat (Ace, xxv, 24-27). — >î) Ces règles, concernant le jubilé et le droil de rachat, s’appliquent avant tout aux terres, mais aussi aux maisons situées dans des villages dépourvus de niur.iilles (Lef., xxv, 31). En revanche, des législations particulières interviennent pour les maison ; - sises en des villes entourées de murs [Leu., xxv, 29, 30) et pour les propriétés des Lévites (Z-ec., xxv, 32-34). D autre part, l’appendice de la Loi de sainteté [Lev., xxvii) envisage les cas spéciaux des champs consacrés à yahweh(Z, ffc., xxvii, 16-25). Noter aussi ^Vum., xxxvi, 1-9.

5** Les sanctuaires

310. — C est dans le domaine des législations cultuelles et liturgiques que les traces de développementsont les plus nombreuses. On ne saurait en être surpris : plus que toutes les autres, les ordonnances concernant les rites extérieurs ont, dans toutes les religions, besoin d’être mises à jour, adaptées aux milieux et aux circonstances. D autre part, soit que l’on étudie les textes législatifs eux-mêmes, soit qu’on les rapproche des données fournies par les livres historiques, c’est sur ce terrain que le progrès est le plus facile à constater.

Nous avons vu avec quel intérêt les critiques indépendants ont suivi les vicissitudes des réglementations qui

concernent les sanctuaires. Nous ne pouvons mieux faire que de renvoyer nos lecteurs à l’expose que nous en avons esquissé, les invitant seulement à ne tenir compte que des seuls faits et à négliger les théories élaborées à leur sujet [vid. supr, ^ S9). Les critiques ont pareillement étudié avec sollicitude les ordonnances concernant le sacerdoce et les revenus du clergé.

6° Sacerdoce

311. — a) Soit dans le Code de Valliance^ soit dans le petit Code de la rénotfaiion de l’alliance [Ex., xxxiv, 1128), pourtant tout entier consacré au culte, il n’est pas dit un mot des prêtres.

313- — i) Us tiennent, en revanche, une grande place dansle Dcutéronome. — K)Une tribu, celle de Lévi, est discernée pour porter l’arche de l’alliance de Yalnveh, se tenir devant lui en vue du ministère liturgique, bénir en son nom {Deut.y X, 8 ; cf. xxxiii, 8-11). Elle na pas d’héritage au milieu des entants d’Israël, Yahweh est sa part (Deut., x, 9 ; cf. xii, 121 » ; xiv, 27t>, 2ya ; xviii, laj ; elle se nourrira des sacrifices de Yahweh et de son héritage (/Jeui., xviii, 1^). Aussi le lévite vit-il en étranger, en métèque, dans les diverses résidences des fils d’Israël ; son sort est précaire, assimilé à celui des déshérités, orphelin, veuve, étranger ; il est recommandé à la charité publique (Deut.^ xii, 19 [cf. xiv, 27a] ; XII, I213, 18a ; xïv, 27, 29 ; xvi, 1], 14 ; xxvi, 11, 12, 13).

— /3) Toutefois, poussé par l’ardent désir de son âme, ce lévite j » eut quitter son séjour, après avoir vendu ce dont il dispose ; il peut venir au sanctuaire pour faire le ministère {.sàréi^) au nom de Yahweh, comme tnus ses frères les lévites qui se tiennent là devant Vahiveh {’àmad^ li/j^’né[y] Yakiveh). En dehors de la bénédiction au nom du Seigneur, on lui attribue toutes les fonctions (servir, se tenir devant Yahweh) qui sont l’apanage de la tribu sncerdotale (x, 8 : il n’est plus question de porter l’arche CMinme au désert) ; il a aussi, comme les autres, sa part des revenus du Temple (xviii, 6-8). — y) Ce n’est pas que le Deutéronome omette de mentionner les prêtres par leur nom technique [kôhén^ plur. kôh<^ntm xx, 2 ; xxvi, 3, 4} ; mais plus souvent il est question des prêtres-lévites ou des prêtres fils de Lévi [hahkôh^nim hal’w’iyyîm, kakkoit’^nîin b’ney Lê<.vi ; xvii, 9, 18 ; ixi, 5 : xiiv, 8). — ë) Mais on ne trouve pas d indication précise touchant une distinction hiérarchique essentielle entre les membres de la tribu sacerdotale. En nombre de textes, les termes prêtre et prêtre-lcclte paraissent synonymes (cf, xvii, 12 et 9 ; xvm^ 1 et 3) ; les mêmes fonctions sont attribuées aux prêtres, aux prêtres-lévites ou même aux lévites (cf. d’une part xii, 17 et, de l’autre xvii, 9 ; d’une part, XVII, IS [cf. xxxi, 9] et, de l’autre, xxxi, 24-27).

313. — c) Il va de soi que le Code sacerdotal parle souvent des prêtres ; nous ne pouvons qu’alléguer les textes principaux : — a) Nombreuses données sur les privilèges de la tribu de Lévi (Num., j, 47 : li, 33 ; iii, 5-10 ; m. 14-39 et XXVI, 57-62 [place à part dans le recensement] ; iii, 11-13, 40-51- [sa substitution aux premiers-nés] : xvi-xvii

1 intervention divine pour venger ses privilèges]). Ici les évites, loin d errer en étrangers dans le pays, ont à eux des villes entourées de champs pour leurs troupeaux (iVum, , XXXV. 2-8 ; cf. icc, xxv, 32-34). — /S) Mais ce qui frappe ])ar-dessus tout, c’est une organisation hiérarchique très précise. A la tête du clergé est le grand prêtre (hakkôkén hags^âd’*6l : Num.^ xxxv, 25, 28) ou prêtre oint (hakhâkén hammài^r’^h : Ler.^ iv, 3, 5, 16 ; vi, 15 [Vulg. 20]). Consacré par une onction spéciale (£’.r., xxix, 7 ; xi, , 13 ; Lef., viii, 12 ; XXI, 10, 12^1, revêtu d’ornements très particuliers [Ex., XXVIII, ’2-39 ; xxix, 29. 30 ; xxx), 10 ; xxxv, 19 ; xxxix, 41), , obligé à une pureté légale très stricte (Lev., ixi, 10-12, 1315), il occupe au milieu du peuple une place tout à fait à part. Il apparaît dans ses fonctions comme le vicaire du peuple auprès de Dieu [Lev., iv, 13-21 ; La., xvi, surtout 32, 33) ; son péché rejaillit sur la communauté tout entière (Lee, , IV, 3 ; cf. 4-12, le mode d’expiation pareil à celui des péchés du peuple) ; sa mort marque une date pour certaines atîaires civiles [Num.^ xxxv, 25, 28, 32). — y) Audessous du grand prêtre vient l’ordre proprement sacerdotal, uniquement composé des descendants d’Aaron [Lcv.f I, 5) par ses deux fils Eléazar et Ithamar (Nadab et Abiu sont morts sans enfants ; Num., , 1-4 ; cf. Ex.^ xxviii, 1). Aux prêtres sont attribuées les principales fonctions liturgiques (A’u/ «., III, 10) ; seuls ils entrent dans la tente du témoignage, ils approchent de l’autel et des ustensiles du 8h.7

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sancluaiio (A’am., itiii, 2, 3) ; seuls ils font le service {sàmar iiiisméri-t'^) de l’autel, du sunctuuire et de ce qui est au dedans du voile (jVum., xviii, 5-7). Cf. if c, i-vii ; xv ; i, 3-7 ; Xïii, 1016 ; Num., t, 5-10 ; iv, 22-31 (sacrifices) ; Lef., xii-xv ; xix, 20-22 ; A’iim, , v, 11-31 ; xii, 1-10 (divers rites purificatoires) ; Lev., xxiii (têtes) ; Ldc, xxvii, 1-29 (estimation des choses vouées). — 5) Vient ensuite ce qui reste de la tribu de Lévi (Cauthiles, Gersoniles, iMérarites). Les Lévites sont au service des prêtres (Num., iii, 6 9 ; xviii, 2, 4, 5, 6) et sous la surveillance des chefs du sacerdoce (£'x., xxxviii, ïl ; Num., iii, 32 ; iv, 19, 28, 33). Sortes de sacristains, ils ont la charge du matériel de la tente de réunion, ils font le ministère du tabernacle (jVum.. iii, 7, 8), mais sans pouvoir ni approcher de l’autel et des ustensiles du sanctuaire proprement dit (jVi/m., iv, 17-20 ; ïvm, 3), ni toucher les choses sacrées [h’um., iv, 15). Cf. A’um., 1, 48-53 : III, 17-37 ; it, 4-15, 24-27, 29-32 ; Tii, 4-9, [Kx., xxxviii, 21].

314. — d) Si mainlenant on consulte les livres historiques, on fait un certain nombi-e de constatations intéressantes. — a) A l’origine, les [onctions sacerdotales n’apparaissent pas comme strictement monopolisées dans une tribu ; les exemples du danite Manué, père de Samson [Jud., xiii, 19, 20 ; cf. vi, 19-24), de l'éphraïmite Micah (yurf., XVII, 5), de David (II 5am., VI, 17 ; cf. I Ckion., xvi, 1, 2), de Salomon (I Reg., m. 4 [cf. Il C/iron., i, 6] ; I lieg., Tiii, 63, 6'< [cf. II Chron., vii, 4-7), voire de jéroboam I (I Reg., XII, 31) paraissent décisifs eu ce sens. — /3) Cependant, dès les temps anciens, les fils de Lévi sont considérés comme spécialement désignés pour le sacerdoce [Jud., xvii, 7-13 ; xviii, 1-31 [noter le vers. 30]l. Ils sont, à l'époque de Samuel (I Sam., vi, la) et de David (II Sam., xv, 24), en relation particulière avec le sanctuaire de l’arche, et il n’y a pas lieu de douter qu’il en fût de même au temps des Juges à Silo (cf. Jos., xxi, 1, 2). C’est ce qui leur assure la prééminence. — y) Ce qui est le plus caractéristique, en ces anciens récits, c’est l’absence de toute allusion claire à une organisation hiérarchique proprement dite. On signale bien dans les sanctuaires (..4m., vii, lo ; I 5am., sxi, a, 3 [Vulg. 1, 2], etc. ; XX iii, g), à Silo (Sam., i, g ; ii, ii), à Jérusalem au temps de David et de SaTomon (lî Sam., viii, !) ; xv, 37, 35 ; XVII, 15 ; xix, 12 [Vulg. 11] ; xx, 25 ; I Reg., i, ;  ; , 8, etc. ; IV, 4), puis aux époques d’Athalie (II Reg, xi, 9, 10, 15, etc.), ûAchaz (Il Reg., xvi, 10, 11, 15, 16), de Josias (Il Reg., ixii, 4, o. >o, 12, etc.), des prêtres qui émergent parmi leurs collègues et semblent exercer des fonctions de chefs, qui même, comme Joiadjih (I ! Reg., xii, 11 [^'ulg. 10]) ou Helcias(ll Reg., xxii, 4, 8 ; xxiii, 4 ; cf. II Chron., XXXIV, 9) portent le titre de grand prêtre. Mais ils n’apparaissent pas à la distance et dans la situation unique où Ex.-Nurn. mettent Aaron par rapport au reste du clergé. Il arrive même que la situation privilégiée soit commune à deux prêtres (Il Sam., viii, -] ; xv, 35 ; xvii, 15 ; xix, 12 [Vulg. Il] : XX, a5 ; I Reg., iv, 4). D’autre part, les anciens documents ne signalent pas de di^ tinctions nettes entre divers ordres du clergé ; le témoicnage de I Reg., viii, 4 sera difficilement reçu comme décisif, si l’on remarque que les mots a les prêtres et les lévites » manquent dans le grec et que le texte parallèle de II Chron., v, 5 porte : « les prêtres-lévites n. On dirait même que les fonctions de moindre importance aient été remplies au Temple par des serviteurs étrangers à la tribu de Lévi ou même ; i la race isiælîte (cf. le reproche A’Ex., xliv, 6-g) : Gabaonites(/o, ^., IX, 23, 27), Carions ou Céréthiens (Y ?' Reg.. 11, 4-20), esclaves (étrangers ?) de Salomon (cf Esdr., 11, 55 = JVeh., VII. 5 ;  ; , où l’on parle de leurs de.'^cendants), esclaves (étrangers ?| donnes par David et les chefs au clergé (d’où sans doute le nom de N’i^^înîni [racine ndt^an, donner] appliqué à leurs descendants ; cf. Esdr., viii. 20).

31s. — ô) Ces diverses conditions, qui rappellent d’assez près celles que suppose le Deutt’ronome, ne subissent aucun changement notable jusqu'à la réforme de Josias (II Reg., XXIII. 1-24). Or, après avoir souillé les hauts lieux où ils avaient brûlé des parfums, le pieux roi fit venir à Jérusalem (( les prêtres des villes de Juda ; toutefois les prêtres des hauts lieux ne montaient pas à l’autel de Yahweh à Jérusalem, mais ils mangeaient des pains sans levain au milieu de leurs frères » (Il Reg.. xxiii, 8, 9). Ce récit suggère quelques remarques. Les prêtres qui montent à Jérusalem sont des prêtres de Yahweh, demeurés fidèles au Dieu d’israèl ; d’après le vers. 5, en etTet, les prêtres des idoles sont impitoyablement chassés. Ce sont, par conséquent, des prêtres-lévites, comme parle le Deutéronome. Bien plus.

il y a lieu de croire que ceux l.'i seuls sont amenés au temple de la capitale qui ont à coeur de garder les privilèges de leur sacerdoce ; leur cas est, de ce chef, comparable à celui que vise Deut., xviii, 6-8. Mais aussitôt une dillérence attire lattcntion. Le lévite dont parle le texte deutéronomique doit, non seulement avoir une portion égale à celle de ses frères les fils de Lévi qui se trouveront è Jérusalem devant ahveh ; mais, comme eux aussi, il doit être admis à faire le service au nom de Yahweh, son Dieu. Au contraire, d’après II Reg., xxiii, 9, les prêtres des hauts lieux sont exclus des fonctions proprement sacerdotales et n’ont qu’une part restreinte aux revenus du sanctuaire.

316. — t) Cette difl'érence est accentuée, en même temps que justifiée, dans le programme cultuel tracé par Eïéchiel (xL-xLviii). notamment dans la section xLiv, lo-iG. La distinction est clairement établie entre les anciens prêtres des hauts lieux (et leurs descendants) et les fils de Sadoq qui constituaient le clergé hiérosolymitain. En récompense de leur fidélité, ceux-ci auront seuls le privilège parfait de la pri’trise ; ceux là. en revanche, seront chî'itiés pour leurs prévarications, dégradés, exclus des fonctions proprement sacerdotales. Dans ce texte, les prêtres des hauts lieux sont simplement appelés /ériies, tandis que les fils de Sadoq sont dits prélies-lérites. Mais ailleurs (xL, 45, 46) on parle des

« prêtres qui gardent le service de la maison » et des npréIres qui gardent le service de l’autel ».

317. — ?) Après l’exil le grand prêtre occupe une place unique dans le clergé (A’e/i., iii, i, 30, ai). Son nom figure à côté de celui du gouverneur qui représente l’autorité i)ersano {Agg. I, I, 12, 14 ; ii, 2 ; Esdr., ii, 2[=i’e/i., vii, 7] ; iii, 3, 8 ; IV, 3 ; v, a), à coté de celui du souverain des temps messianiques (Ziich., III, i-io ; IV, 1-6 », lo*", II, 13, 14 ; vi, 12, 13 [13 d’après le grec]). Bientôt il sera le chef véritable et unique du judaïsme. En même temps le clergé est divisé on ordres très précis : />rf<re » (Esdr., 11, 36-3g= Ne/t., vii, 3ci-42] ; VIII, 15-ao, 24-30, 33 ; x, 18-22 ; JVe/i, iii, aa, 28 ; XI, 10-14.20 ; XII, I, 12-21) ; ^fi-j'^es [Esdr., 11, 40 [= JVfA., VII, 43 ; Vulg. 43, 44] ; viii, 15-20, 24-30, 33 ; x, 23 ; A’t/i.,

X, 10-14 [Vulg. g-13] ; 11, 15-18, 20, 30 ; xii, i, 22-3O) ; puis chantres [Esdr., il, 41 [= I’eh., vii, 44 ; Vulg. 45] ; x, 24 ; Neh., X, 29 [Vulg. 28] ; XI, 22), portiers (Esdr, , 11, 4a [= JVeh., VII, 45 ; Vulg. 46] ; x, a4 ; Aeh., ii, 29 [Vulg.28] ;

XI, iq), n'Û^ini’m et descendants des esclaves donnés par David et Salomon (Esdr., 11, 43-58 [= Neh., vii, 46-f.o ; Vulg. 47-60] ; VI II, 17, ao : jVeA., iii, 26, 31 ; x, 2g [Vulg. 28] ; XI, ai). Dernier détail : on sait qu’au regard des critiques, les Chron.'r/ues reflètent l'état des institutions religieuses aux époques notablement postérieures à l’exil ; or dans I Chron., vi ; ix, 10-34 ; xxm-xxvi (cf. xv, 2-^4 ; ^vi, 4-6), les officH-rs « econdaires, chantres et portiers, sont généalogiquement rattachés aux lévites (cf. iVe/i., xii, 24-26). On notera que cette organisation p^slexilienne est en rapport assez étroit avec la législation du Code sacerdotal.

7" Redevances sacrées

318. — a) D’après le Code de ValUance (Ex., xx-xxiii), on ofl’re à Dieu : les prémices de son aire et de son pressoir [nt’leàh, dénia*), le premier-né [b’h}^6r) de ses fils, de son petit et gros bétail (xxii, 28, ag [Vulg. 2g, 30]), les prémices des premiers fruits 'rê'.w’fh biiihtlrim ; Ex., xxiii, ig) du pays. De même dans le Code de la rénovation de l’alliance (£aT., xxxiv, 19, 30, 26"). Aucun détail n’est fourni ni sur la manière de présenter l’offrande, ni sur l’usage qui en sera fait.

319. — b] D’après le /)eulc’ronoffie, les Israélites doivent offrir à l’unique sanctuaire, en plus des holocaustes, sacrifices pacifiques, vœux, dons siiontanés : les premiers-nés (é/.h(<>oili) du gros et du petit bétail et les dimes (ma’s'rôi^ [il n’est pas question des prémices, à moins qu’elles ne soient désignées par le mot t’rûmat^ ytuO^, élévation de la main, ce qui est peu probable] : /Je » /., lEi, 6, 11, 17-ig/ De plus, ce code indique la manière d’accomplir ces oflrandes. A[irè3 avoir prélevé les dîmes et choisi les premiers-i.és du gros et du petit bétail, on va les consommer devant Yahweh [Deut., XIV, 22, 23 ; cf. iii, 7, 11, la). Si l’on est trop loin du sanctuaire, on vend la dîme sur place ; avec le prix, on achètera au lieu choisi par Yahweh tout ce qui plaira pour le repas sacré (Dent., xiv, 24-27). Dimes et premiersnés sont offerts à Yahweh, conformément aux ordonnances des Codes de l’alliance et de la rénovation : mais ils sont consommés dans des agapes par ceux qui les présentent au Temple. Une part sans doute est préalablement brûlée sur l’autel ; les prêtres ont leur portion (Deut, , xivi, i-ii), au 859

MONACHISME

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moins en ce qu’ils sont admis au festin (Deut., i : v, a~). La (lime triennale sert à son tour à un repas fraternel et charitable dans les villes et villages du jiays (Deut., xiv, aS, 29 ;

XXVl, I2-l5).

320. — c) Dans le Code sacerdotal, le système destiné à assurer les revenus du sanctuaire et du clergé est plus complexe. On énumèro d’abord les parts qui reviennent aux prêtres dans les diverses espèces de sacrifices (ifc, vi, 7-v ! i, 38[14-vii, 38] ; cf. A' « m., xviii, 8-11). On leur attribue en outre : les premiers fruits et prémices {.um., xviii, 12, 13), ce qui esl dévoué par anathème (Num., xviii, 14), les premiers-nés (Num., xviii, 1.5-19 [^^^'^ de l’homnie et des animaux impurs doivent être rachetés à un taux fixé]). De plus, les lévites recueillent la dîme dans le pays et prélèvent une dime de la dime pour Yahweh, c’est-à-dire pour les prêtres {Num., xviii, 20-32). Tel est le casuel du clergé ; pour l’entretien du sanctaire, chaque Israélite paie un impôt d’un denii-sicle [Er., xxx, 11-16).

331. — d) Dans les livres historiques les plus anciens, le seul texte un peu explicite est 1 Sam., viii, 15, d’après lequel « la dime de vos moissons et de vos vignes est signalée comme un tribut que le roi aura tendance à s’approprier.

f) l, es premiers renseignements précis sont fournis par le

livre de Nchémie. Dans jV<?/j., xii, 44-4^ (Vulg. 43-46), que le contexte rapporte à la première mission du patriote (44443a), on parle de magasins du Temple destinés à recevoir les ofi’randes, les prémices et les dîmes, on parle des préposés qui recueillent du territoire des villes les portions assignées par la Loi aux prêtres et aux lévites ; il est aussi question des portions des portiers et dos chantres. Dans A’eA., xiii, io-13, 31 (extrait du il/c’moire de Néhémie se rapportant à sa deuxième mission ; après 432), le patriote nous est représenté prenant des mesures pour assurer la régularité dans la venue des portions des lévites et des chantres, dans l’olfrande du bois et des prémices. Le texte le plus important est celui de A’cA., X, 33-40 Vulg. 32-39). Il se rattache à la promulgation de la Loi par Esdras (peut-être après la seconde mission de Néhémie, ou même après la septième année d’Artaxeriès II [SgSjl et consacre par des engagements spéciaux l’observation de quelques prescriptions plus importantes ou plus dil’Uciles ii maintenir : impôt d’un tiers de sicle pour le Temple ; oQ’rande annuelle du bois ; prémices du sol, premiers fruits de tout arbre, premiers-nés ; divers dons en nature ; dime du sol recueillie par des lévites accompagnés d’un jrêtre et sur laquell on prélèvera une dime de la dime pour e Temple, c’est-a-dire pour les prêtres. C’est avec le Code

sacerdotal que, malgré certaines dilTérences assez caractéristiques, ces détails suggèrent des rapprochements.

Conclusion générale

332. — Lorsque jadis nous entreprenions l'étude de ces problèmes, nous n'étions pas sans quelques inquiétudes sur l’issue de notre travail. Nous nous étions accoutumé depuis longtemps à saluer en Moise l’un des premiers personnages de l’histoire de la religion révélée. Mais nous nous demandions si, en présence du grand mouvement de la critique indépendante, nous étions en mesure de montrer que, dans ce qu’elles ont d’essentiel, les données traditionnelles touchant les origines du peuple de Dieu, touchant le rôle et le ministère de son fondateur, pouvaient encore être maintenues. A mesure que nous avancions dans notre élude, notre conQanee est devenue jilus grande. Sans doute nous avons constaté que la critique littéraire n’aboutissait pas toujours, en ses dissections de textes, à des résultats aussi certains que pouvaient le croire tels ou tels de ses tenants. Mais ce qui surtout a attiré notre attention, c’est la témérité des conclusions que, des données parfois incertaines de cette critique, beaucoup d’historiens étrangers à l’Eglise prétendaient tirer en vue de la reconstitution des périodes lointaines de Moïse et de Josué. Ces conclusions ne découlent pas des textes ; elles leur sont le plus souvent tout à fait contraires. Même après qu’ils ont été soumis à des dissociations violentes, les textes rendent un tout autre son. L’histoire qu ils permettent d'écrire est conforme, pour ses grandes lignes, à celle qu’aux Juifs et aux chrétiens ont enseignée leurs ancêtres dans la foi. Que si

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les législations sont allées se développant au cours des temps, s’adaptant aux besoins des âges successifs, le fonds en remonte jusqu'à l'époque du Sinaï et de Cadés, et ce sont les principes posés par Moise, à la lumière des révélations divines, que, dans la suite des siècles, tous ceux qui ont pris intérêt à la législation d’Israël se sont appliqués à faire triompher.

J. TOL’ZARD.