Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Ligue catholique (La sainte)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 946-955).

LIGUE CATHOLIQUE (LA SAINTE), 1576-15g5.

— I. Concentration des forces catholiques, ib-^è-ibS^.

— II. La Ligue catholique de lùSi et ta politique des Guise, iD84-158g. — III. La nation catholique contre le roi protestant, 158y-15g4.

Des historiens modernes, rationalistes, universitaires, même plus ou moins orthodoxes, n’envisagent, à la suite des protestants, le mouvement catholique politico-religieux, qui souleva la France à la fin du xvi’siècle, que comme une poussée de fanatisme, un soulèvement contre l’autorité royale. L’un d’entre eux, M. Marikjol, qui se signale par sa modération, qualifie le plus héroïque fait d’armes de la Ligue, la résistance de Paris en 15go, de <i miracle du fanatisme », Histoire de l’^rance de I. agisse, t. VI, i’" partie, p. 822 Un. Or il y a des circonstances exceptionnelles où le fanatisme, excès de zèle pour la religion, comme le définit Larousse, devient une nécessité, où ses écarts et ses violences trouvent excuse : quand de grandes causes, la religion, la patrie exigent les derniers sacrifices. Sans le fanatisme des Ligueurs, la F’rance aurait cessé d’être catholique, aurait sans doute perdu son indépendance. Ils se coalisèrent parce que la monarchie française, infidèle à son rôle de protectrice de l’Eglise, tolérait l’exercice du culte protestant, contre les traditions sur lesr ; ui’lles elle reposait, admettait l’organisation politico-religieuse que les huguenots s’étaient donnée, menace perpétuelle pour le catholicisme et l’unité politique, i.’J76-i.'>84. H était naturel qu’en face de cette organisation on dressât une 1881

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force capable de défendre la foi et le cuUe catholique. Celte force resta plus ou moins soumise à la royauti’jusqu’au jtuir où l’on put craindre que la inonarcliie, par suite de la politique vacillante de Henri 111, ne passât aux mains d’un hérétique relaps : les Ligueurs exigèrent alors au préalable la conversion de celui-ci pour le reconnaître, 15815-1581j. Restés en face du prétendant, ils surent, sans oublier leur but premier qu’ils atteignirent en lin décompte, écarter les prétentions de leur protecteur, le roi d’Kspagne, qui réclamait la couronne de France pour prix de ses services, lôSg-iSgà. L’appui de la cour romaine et la direction que la papauté leur imprima, comme c’était son devoir, atténua les fâcheux elîets de l’ambition des Guise, ambition qui alVaiblissait le mouvement autant qu’elle le compromit aux yeux de la postérité.

I. Concentration des forces catholiques, lâ^ôi 584- — Depuis quinze ans qu’ils avaient engagé la lutte, les protestants n’avaient cessé de poursuivre leur programme, maintenant réalisé en partie : substituer Eglise à Eglise, remplacer l’ancien culte par un nouveau, celui de la Bible, qu’ils appelaient le culte en esprit et en vérité. Les dévastations et horreurs commises par eux un peu partout, lors de leur première prise d’armes en 156i-1562, ils les avaient renouvelées à chacune de leurs révoltes ; partout où ils étaient maîtres, ils avaient ruiné le culte catholique, égorgé ou chassé ses ministres, , conlisqué les biens ecclésiastiques, détruit les tilres

! de propriété. L’attentat de la SaintBaktuélhmy avait

doublé leur fureur et servi de prétexte à leur organisation politique et militaire, qui, partie des provinces du Midi, s’était étendue au reste delà France, se dressant contre la vraie religion aussi bien que contre la royauté. Encore qu’elle fût en son origine une simple mesure défensive, cette force nouvelle asiiirait It détruire la Babylone que l’Eglise catholique était à leurs yeux, et leurs actes comme leurs bravades donnaient à celle-ci toute raison de craindre pour son existence.

D’autant qu’elle se voyait abandonnée par la royauté, sa protectrice naturelle d’après les traditions de la monarchie et de la chrétienté. Les Valois, guidés par la diplomatie italienne de Catherine de Àlédicis, avaient trahi peu à peu les obligations religieuses dont leurs prédécesseurs avaient hérité de Charlemagne et de saint Louis, et leurs perpétuelles concessions, à travers une politique d’expédients, n’avaient pas peu contribué aux |u-ogrcs du parti huguenot. Henri III lui-même, qui avait donné de si brillantes espérances comme duc d’Anjou, n’avait pas tardé à subir l’ascendant de sa mère, et sa vie oisive, qu’absorbaient de petits soucis, faisait prévoir que son règne ne dilférerait nullement de celui de ses frères. D’ailleurs la situation que ces derniers avaient laissé se perpétuer se compliquait à ce moment d’embarras inextricables. De récentes intrigues de cour avaient rallié à la cause huguenote les Politiques, tiers parti catholique que dirigeaient des gouverneurs de province, comme les Montmorency, maîtres du Languedoc, et qui se ramifiait à la cour, à la remorque du duc d’Anjou, héritier présomptif de la couronne. Il y avait des orthodoxes, moins nombreuxd’ailleurs qu’influents, qui croyaient à la justice des revendications protestantes, qui acceptaient la coexistence, inouïe pour l’époque, de deu.x cultes opposés, ennemis, s’exerçant en public cùte à cCtle dans la monarchie, comme également légitimes.

Une opinion analogue avait cours parmi les Gallicans. Du moment que le roi pouvait régler culte.

discipline, liturgie, dogme même et morale dans leurs formes et manifestations, il devait disposer pareillement de la liberté de conscience. Le parlement avait beau poursuivre de ses rigueurs les huguenots perturbateurs de l’ordre ctahli, protester contre les édits de pacification, sa théorie du droit royal rendait cette résistance illusoire. Et il savait à l’occasion la faire fléchir : il ne craignait pas, pour protester contre la sentence de Sixte-Quiul, excluant Henri de Navarre du Irùne (1586), d’invoquer la pitié publique en faveur des huguenots, de supposer même qu’ils iiouvaient encore en appeler des anathèmes tridentins à un concile universel ou national, comme si ces sentences n’avaient rien de déûnitif (Lavisse-Mahiéjol, ibid., p. 262).

Par leur défiance à l’égard de Rome et dvi pouvoir pontifical, qu’ils s’efTorçaient de restreindre, dont ils contrôlaient jalousement les actes, les gallicans se rapprochaient du parti liuguenot, et trouvaient en lui un auxiliaire pas toujours trop compromettant dans leur opposition au Saint-Siège. A l’égard du concile de Trente, ils en vinrent à une coalition tacite, qui faisait soupçonner des intérêts communs. Les gallicans obligèrent la monarchie à refuser la publication des décrets disciplinaires, comme contraires aux libertés gallicanes, et l’on sait que cette exclusion persista durant tout l’Ancien régime. Ils déclaraient bien haut qu’elle n’atteignait nullement le dogme, qu’ils en admettaient toutes les définitions, avec leurs conséquences. En réalité, par le fait de leur opposition, les décrets doctrinaux n’avaient, pas plus que les mesures de réforme, de caractère obligatoire aux yeux de l’Etat. On pouvait facilement en déduire, et les huguenots n’y manquèrent pas, que rejeter l’autorité du concile n’entraînait la perte d’aucun droit politique ou civil, et que le refus de publication n’avait pour but que de ménager une existence légale aux cultes dissidents.

Les gallicans protestaient volontiers contre cette conséquence qu’on faisait découler de leur attitude à l’égard du concile ; elle élait d’ailleurs corroborée par la condescendance qu’ils témoignèrent constamment à l’égard des huguenots, et nous les verrons se rapprocher d’eux dans le conflit pour la succession au trône. Entente qui devait inquiéter à juste titre les catholiques soucieux de rester unis au centre de l’Eglise. Ils avaient consenti jusqu’ici, comme Rome l’avait toléré, à ce que le pouvoir royal intervint dans leur conscience, sous prétexte de police et d’intérêt public ; mais l’ingérence s’exerçait maintenant en faveur des hérétiques, au détriment de la vraie foi, les abus de pouvoir se multipliaient de la part des Valois, et un dernier scandale vint avertir les catholiques qu’ils auraient désormais à faire leurs affaires eux-mêmes.

La première coalition des politiques et des huguenots venait d’imposer à la cour le traité de Beaulieu (mai iS’jO), qui leur assurait des avantages inouïs : aux ilcrniers, huit places de sûreté, l’exercice du culte partout et des chambres mi parties dans tous les parlements. L’organisation politico-nùlitaire qu’ils venaient de se créer s’en trouvait affermie ; les concessions féodales que leurs chefs arrachaient au pouvoir royal garantissaient l’exercice de leur culte et assuraient les fondements de l’Eglise hérétique sur le sol de la monarchie. La reine Cathehine dr IMi’ : dicis, qui avait négocié l’arrangement pour ramener son fils préféré François d".lençon, sut aussi surmonter les répugnances de Henri III à signer la ca[)itulalion. C’est elle qui. soucieuse uniquement de l’intérêt de ses Cls, avait dressé la politique des Valois à tenir peu compte des traditions et devoirs monarchiques, lui imprimant une direction qui justifiait 1883

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amplement la critique qu’en faisait déjà le gouverneur de Bourgogne, Gaspard de Saux-Tavannes :

« Sans la faveur de la reine et de la cour, les ligues

des liuguenots n’eussent ni commencé, ni duré. »

Non moins que les catholiques, la coalition politico-hu } ; uenote inquiétait les grands seigneurs, qui se voyaient amoindris dans leur fortune par le progrès récent de certains de leurs égaux. Les ligues avaient trop bien réussi les dernières années pour qu’ils n’essayassent pas de ce moyen, dont l’iiérésie venait de tirer bon parti, et la confusion des intérêts religieux et temporels, qui entrait dans les mœurs du temps, se jusliliait chez les orthodoxes plus encore que dans l’autre camp. La première ligue catholique, qui s’organisa en Picardie, avait pour objectif d’empèclier le prince de Condé, hérétique relaps, de prendre possession de la province, que lui assignait le dernier traité ; elle avait pour instigateur le sieur d’Humières, qui ne voulait pas lui livrer la place de Péronne. Le duc de Guisk la généralisa entre princes, seigneurs et gentilshommes catholiques, et le manifeste de l’association unit en un même programme le bien [lolitique et religieux de la monarchie et réclama le retour aux anciennes libertés et franchises provinciales, que l’on attendait des prochains Etats généraux, dont le traité avait promis la convocation.

Moins exigeantes se montraient les classes populaires, qui ne se souciaient que de leurs croyances menacées. Paris, dont la population se distinguait par sa ferveur, par ses pratiques de dévotion multipliées, messes, réunions pieuses, prières publiques, pèlerinages (au témoignage d’un contemporain,.Michel DE Castelnau, cité par BAunniixvnT, L’Eglise catholique, la Henaissance et la liéforme, p. 1681Cg), Paris prit la tête du mouvement. On y avait mal accueilli le dernier édit de pacilication, et les listes d’adhésion à la nouvelle ligue, patronnées par les La Bruyère père et lils, et par le président au parlement Hennequin, rencontrèrent de la faveur, même dans le monde parlementaire. La haine de l’hérésie, en dehors de toute préoccupation politique, animait ceux que l’ambition des Guise laissait indilTérents, mais elle ne sullit pas à empêcher le premier président Christophe de Thon, porte-parole des gallicans, de mettre des entraves à la propagande, et même, quand le roi eut accepte l’association, d’en modiUer la formule, au nom de l’ordre public et des traditions monarcliii]nes.

Henri III l’avait pourtant adaptée aux droits de la couronne, en se proclamant le chef de la ligue, ipu ; seul, de par sa préro(çative royale, il devait faire servir au bien de la religion et de la monarchie. Il avait accepté à contre-C(L>ur la paix de Beaulieu, il devina promplement ce que la manifestation avait à la fois de dangereux et d’opportun, et prit la tête du mouvement pour prévenir la catastrophe qu’on pouvait déjà prévoir. Il écrivit en province h plusieurs reprises pour accélérer le développement de la ligue.

Là était le salut, mais il aurait fallu un autre clief, plus énergique, plus persévérant, moins déconsidéré aussi, inspirant conûance aux peuples, ne donnant pas prise aux exigences et aux passions d’une noblesse qui ne savait plus obéir. Trop soumis à sa mère, la fenimeaux i)etits moyens, Henri III. comme tous ceux de sa famille, ne rencontrait déjà plus que déliancp, crainte ou mépris, et tout lui manquait, en lui et autour de lui, pour réaliser le programme qui s’imposait, de grouper contre l’hérésie les forces catholicpies dont la monarchie disposait. L’opinion publique ne croyait les Valois capables que d’intrigues, de folles dépenses, de combinaisons mesquines ou louches.

Ce furent ces dispositions qui firent échouer les elTorts du monarque aux Etats de Blois, i ô^ô-iS^’j ; il ne put obtenir du tiers état, ni même du clergé, les ressources indispensables pour ouvrir la guerre contre les protestants ; le clergé, en prenant à sa charge et sous sa surveillance l’entretien d’un corps d’armée, donna la mesure de la contiance que la nation gardait aux Valois. D’ailleurs le monarque jusliha en quelque sorte l’attitude de l’oiiinion à son égard, en faisant assaut de ruses et d’intrigues avec les Etats pour rejeter sur eux la responsabilité de la déclaration de guerre, et prouva sullisamment qu’il manquait de l’autorité nécessaire, aussi bien que de netteté et de franchise. Jaloux de l’inlluence que prenait le duc de Guise, de l’activité qu’il déployait contre les hérétiques, il renonça à rétablir l’unité de religion, 2 mars 1577- La paix de Bergerac, qu’il signa peu de temps après, réduisit de moitié les concessions arrachées par les protestants, mais l’édit conlirmatif de Poitiers interdisait les ligues d’une manière générale et absolue, par conséquent les catholiques aussi bien que les huguenotes (art. 56, fin lâ^j). Celles-ci ne désarmèrent pas et préparèrent de nouveaux aliments et de nouveaux motifs de discorde.

Quant à la ligue catholique en voie de format ion, elle sedissipa d’elle même, abandonnée, puis condamnée par le pouvoir légitime. Néanmoins cette première concentration des forces orthodoxes leur avait donné conscience de ce qu’elles pouvaient, de ce qu’elles devaient, et, à côté des grands comme les Guise, chez qui la religion se subordonnait trop souvent aux intérêts privés, les classes inférieures de la nation, petite noblesse, bourgeoisie, le peuple surtout, villes et campagnes, plus généreuses, plus désintéressées, se rendaient coniptedesdangers qui menaçaientl’Eglise, étaient prêtes à défendre leur foi dans la mesure de leurs forces. Elles avaient montré que les Français savaient s’unir dans ce but, répondre à l’appel que leur adressaient leurs chefs naturels, ou à leur défaut ceux qui consentiraient, pour n’importe quel motif, à prendre la direction du mouvement.

La situation anormale dont nous avons parlé s’accentua les années suivantes ; le divorce se consommait entre la nation et son souverain, et les événements préparaient la première à se lever en armes contre l’hérésie. Le règne des mignons, accompagné de dépenses insupportables, les abus grandissants d’un régime qui s’enfonçait de plus en plus dans une politique arbitraire et d’expédients, surexcitaient partout le mécontentement et une sourde irritation, qui couv.T longtemps, ne se manifestant que par des doléances passagères ou des désobéissances isolées. Peut-être n’eùt-elle ])as éclaté en une conflagration générale, dit M Mahirjol (Iliui, p. 289), sans la redoutable inquiétude que sonlevala mort duduc il’.Anjou, dernier rejeton des Valois. La France catholique se résignait à être gouvernée par un mauvais roi, elle frémissait d’horreur à l’idée de tomber aux mains d’un tyran hérétique. Abandonnée i)ar les politiques, gallicans, parlementaires, même par le haut clergé concordataire, elle triompha néanmoins avec l’appui de la papauté, et en maintenant ses attaches avec l’Eglise romaine, dont ces chrétiens timides faisaient bon marché.

II. La ligue catholique de 1884 et la politique des Guise, ITtH’i-l.’jHd. — La mort du duc d’Anjou, le 10 juin 1.58^, remit en présence le roi et la nation comme au temps de la pai.x de Beaulieu, mais en même temps, l’Europe catholique et l’Europe | protestante. Ib’nri III espérait toujoiirs avoir des enfants, ne comptant encore que 33 ans, et il pouvait se retrancher derrière ce prétexte |)our écarter la 1885

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candidature de son plus pioche héritier présomptif, Henri de lîourboii, roi de Navarre, chef de la ligue prolestante. Il ne le lit que faiblement et préféra tenter la conversion du personnage en lui envoyant, pour l’exhorter au retour, dès qu’on n’eut plus d’espoir dans la guérison de son frère, une ambassade solennelle, à la tête de laquelle il plaça le duc d’Epernon, le plus habile et le plus inllnent de ses favoris. La démarche ne réussit pas, mais Henri 111 allicha toujours pour son covisin plus d’égards et de ménagements que n’en méritait une candidature assez éventuelle. Les mêmes ménagements se retrouvaient chez les grands olliciers de la couronne et des parlements, défenseurs et gardiens des traditions monarchiques. Pour eux connue pour le prince, la succession au trône restait le point capital, qui primait tous les autres intérêts, même religieux. L’Eglise et le pouvoir pontilical n’avaient pas à intervenir dans une question purement poliliquc, qui ne regardait que la nation, représentée par le pouvoir royal et ses auxiliaires. La vieille querelle gallicane sur la souveraineté intangible, contre laquelle un Boniface VIII s’était brisé, allait se renouveler à propos de Henri de Navarre et grouper autour des tenants des coutumes monarchiques, avec les huguenots, les politiques nouvellement éclos et les vieux gallicans.

Entre ces classes dirigeantes et la masse de la population, il y avait une divergence capitale d’idées. Les classes inférieures, petite bourgeoisie, gens de métiers et manants, le bas clergé, la noblesse provinciale restaient attachés à la foi des ancêtres, aux traditions religieuses, aux dévolions populaires, à tout ce que les novateurs réprouvaient et détruisaient. A leurs yeux, le roi devait être avant tout catholique, eU’avèneræntprobable d’unliérétiqueau trùne était le plus grand malheur qui put menacer la France. Rien de plus facile aux prédicateurs, moines et autres, au clergé deparoisseetauxordresreligieux, qui avaient tant de moyens d’action, exerçaient une influence toujours considérable, que de persuader au peuple que l’avènement de Henri de Navarre serait le triomphe déUnitif du programme révolutionnaire dont les protestants poursuivaient sans relâche la réalisation.

Ces dispositions dominaient surtout dans les milieux parisiens, dont nous avons signalé les sentiments foncièrement religieux. Ajoutons quele contact avec lacour y apportait le tableau quotidien d’une vie dissolue, de dépenses inutiles et exagérées, que les dévotions étranges du roi et l’attitude de ses favoris scandalisaient les peuples, et achevaient de ruiner le prestige de la majesté royale. Aussi la réaction contre le règne des Valois, contre le régime d’irréligion et d’impiété que leur politique avait établi et qui menaçait d’atteindre son apogée avec Henri de Navarre parvenu au trône, cette réaction s’organisa en même temps sur deux points, dans la population catholique de Paris et autour du prince lorrain, le duc de Guise.

La pensée de créer dans le peuple une association pour la défense de la foi vint, dès le mois de septembre 158/(, à un bourgeois de Paris, François Hotlom. -vn, dit la Rocheblond, qui s’en ouvrit au curé de Saint-Séverin, Prévost, à celui de Saint-Benoit, Boucher, et à Launoi, chanoine de Soissons. Ils travaillèrent à grouper des adhérents, et gagnèrent en quelques semaines deux autres curés. Pelletier, de Saint-Jacques-la-Boucherie, et Guineestre, de Saint-Germain-l’Auxerrois. deux présidents. Le Maître, du Parlement, et Neuilly, aux Aides, des avocats, des procureurs, hommes de lois, odiciers subalternes des cours souveraines et corps constitués, bourgeois,

marchands, membres influents des corporations, sans compter les prêtres et religieux. Le Chàtelet, ou tribunal de la prévôté de Paris, fut conquis en majorité, les métiers bientôt s’enrôlèrent en masse, et fournirent les cadres d’une vraie milice, qu’on ne tarda pas à équiper. On créa de suite un comité de surveillance et d’exécution de six membres, qui se chargea de la propagande par quartier, recrutait les adhérents, se tenait aux écoutes pour recueillir les nouvelles. Un conseil dirigeant de dix personnes fut placé au-dessus de ce comité, dés qu’il fallut substituer à l’enrôlement la gestion régulière des allaires pour lesquelles la Ligue se constituait. Le détail fui calqué sur l’organisation municipale parisienne, dont on emprunta les cadres de ((uartiers et cinijuantenies, etc. Ce fut la Sainte l’iiiuii ou Ligue calholique.

Les associés juraient de consacrer leur vie et leur fortune à la défense de la religion. La communauté " de but et desentiuienl les rapprocha d’une coalition analogue qui se formait alors entre les princes lorrains et leurs amis, sous la présidence du cardinal dr Bourbon. Après des pourparlers et plusieurs conférences, ceux-ci avaient décidé de renouveler la ligue seigneuriale de Péronne, pour prévenir lesdoramages qu’un changement de règne pourrait apporter à la monarchie et à l’Eglise. On accepta le concours des Parisiens ; le duc de Guise, chef réel de la dernière association, se iitreprésenler auprès d’eux d’une manière permanente, et tous jurèrent de poursuivre l’extermination de l’hérésie, la réforme des vices, impiétés et injustices qui gâtaient les divers ordres de la nation. Le cardinal de Bourbon fut reconnu seul héritier présomptif de la couronne de France, à la place de son neveu le roi de Navarre, que son opiniâtreté dans l’erreur privait de ses droits (décembre). Henri III n’ayant pas tenu compte de leurs requêtes, les Seigneurs publièrent le manifeste de Péronne, 31 mars i 585, qui proclamait indissoluble l’unité de religion entre le trône, la monarchie et le peuple de France. Ils avaient obtenu, par le traité de Joinville, l’appui de Philippe H, roi d’Espagne, champion de la foi catholique en Europe.

Henri III, après avoir résisté longtemps, accepta en bloc les exigences de la Ligue, bien résolu à retirer ses concessions aussitôt qu’il le pourrait, et il ne lit jamais une difTérence nette entre celles qui étaient justes et concernaient la religion, et celles qui attentaient à l’honneur de la monarchie. Il en résulta une situation fausse, qui ne trompa pas seulement ceux que le souverain voulait jouer, mais tous les catholiques et leurs alliés. Le traité de Nemours quillet 1585) et VEdil d’Union, qui en était la suite, révoquaient toutes les ordonnances en faveur des protestants, proclamaient la déchéance du roi de Navarre, le l)annissement des ministres huguenots, l’obligation pour leurs fidèles de se convertir ou de s’expatrier dans les six mois. Les chefs ligueurs obtenaient des places, dignités, pensions et gouvernements. Ce fut la seule partie de l’édit qu’on réalisa immédiatement ; pour le reste, il fallait faire la guerre aux protestants retranchés en maîtres dans l’ouest et le midi de la France, il fallait de l’argent et des soldats, et on eut de la peine à trouver l’un et l’autre, dans un royaume épuisé par les gaspillages des Valois.

La première conséquence de la situation fausse que créait l’accord, fut de tromper le pape, dont le concours était indispensable. Ni Grégoire XHI, ni son successeur Sixte-Quint n’avaient favorisé les débuts de la Ligue, ils la considéraient comme une révolte contre l’autorité légitime : ils s’étaient bornés à lui accorder des bénédictions et de bonnes [>arolcs pour le zèle qu’elle déployait en faveur de la religion. H 1887

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n’en alla pas de même après le traité ile Nemours. SisTE-QuiNT dut croire à la sincérité de l’entente entre le roi et les grands seigneurs catholiques, d’autant que l’un de ceux-ci, le duc deXevers, à moitié italien, était à ce moment auprès de lui, sollicitant son intervention. Le devoir de sa charge lui commandait de soutenir le mouvement national qui se dessinait en faveur de l’Eglise. D’après le droit canon et le droit public de l’époque, Henri de Navarre était, par le fait mèuie de son hérésie, dans laquelle il était retombé après l’avoir abjurée à la Saint-Barthélémy, déchu de son royaume et de ses droits à la couronne de France, ses sujets déliés de toute obligation de fidélité. Et, circonstance singulière dans son cas, la seule excuse qu’il pût invoquer, la violence qui lui avait imposé sa conversion, les Valois, auteurs de la contrainte, se gardaient bien d’en témoigner auprès du pape.

Sixte-Ouint se borna à rappeler ces dispositions de droit dans sa bulle du g septembre 1585, mais à rencontre se dressaient les théories gallicanes des légistes et parlementaires, en vigueur dans le droit politique de France, au moins depuis Philippe le lîel. Le parleuient présenta des remontrances sur la liulle, la déclara nulle et non admissible, parce que le pape disposait d’une couronne qui ne lui appartenait pas. Il en prolitail pour exhaler ses regrets sur l’édit d’union, qu’il avait enregistré par contrainte, et exhortait le roi à ramener les huguenots par la persuasion. La note violente fut donnée par les gallicans outrés : ils firent allicher à Rome un appel au futur concile, qu’avait rédigé l’annaliste Pierre de Lestoile et qui insultait le pape, le traitant de menteur, d’hérétique et d’Antéchrist.

Plus étrange encore fut l’attitude de Henri III. Il exprima son mécontentement avec colère, laissa libre cours aux manœuvres gallicanes et encouragea l’opposition de la noblesse, qui désapprouva la bulle en grande majorité. Le pape n’en eut cure et vint encore au secours de la monarchie en lui accordant une aliénation de domaines ecclésiastiques, de cent mille écus de revenus, dont le produit serait consacré à la future guerre sainte. Mais ne devait-il pas conclure des derniers incidents, et les bons catholiques aussi, qu’un roi hérétique, qui aurait des alliés comme les parlementaires et les gallicans, pourrait tout se permettre, sans se soucier de sa conversion.

Cette affaire de la bulle avait fait éclater rop[)Osition irréductible entre le parti de la cour, les gallicans et les catholiques. Il en résulta un malentendu croissant, auquel contribuèrent encore, de i)art et d’autre, les passions et ambitions privées. On s’aigrissait mutuellement et, en octobre |586. les chefs ligueurs, à l’assemblée d’Ourscanip, près Noyon, proclamaient que leur devoir était de ne pas obéir, si le roi concluait quelque accord avec rhéréti(pu’. La guerre contre les huguenots se pré[)arait fort lentement, à travers toute sorte de dillicultés, parmi lesquelles figuraient au premier rang les dilinnces mutuelles, e()nii)étitions et conflits, les querelles, les haines mortelles qui provoquaient des brouilles irrémédiables (entre le favori Epernonel l’archevêfpie de Lyon Epinac, à pro[)os de la bulle contre Navarre).

Les deux partis catholiques s’organisèrent l’un contre l’autre, autant que contre les protestants. Après l’entrevue d’Ourscamp, les Ligueurs imposèrent une nouvelle formule de serment d’obéissance au roi. Ceux de Paris ébauchaient un projet de confédération entre les villes du Nord, avec un plan de campagne politiq>ie et militaire qui, après la mort du souverain régnant, assurerait le trône au cardinal de Bourbon, par l’entremise des Etats généraux. Des émissaires furent envoyés en province, et, en

juin 108^, Lyon, Toulouse, Orléans, Bourges, Nantes, etc., avaient signé la confédération, établi entre elles un service régulier de correspondance. Henri III crut couper court à toutes ces manœuvres par un plan de campagne qui échoua : la belle armée qu’il avait conliée à son favori Joyeuse fut battue à Contras, et Guise, avec le peu de troupes que lui donna son maître, réussit à rendre inutile l’invasion des reitres allemands (novembre ibSj). Le monarque les laissa se retirer du royaume sous de bonnes conditions, et Epernon, qui les avait ménagés, reçut le gouvernement de Normandie et les autres charges de Joyeuse enseveli dans sa défaite.

C’était une de ces maladresses par lesquelles le pauvre roi n’avait cesse de se discréditer. Sans doute il n’avait pas tort de vouloir sauver les derniers débris de sa puissance, en les conQanl à des amis surs, mais Epernon se faisait remarquer par son zèle pour le roi de Navarre ; à Paris, il était très impopulaire à cause de la morgue insupportable avec laquelle il traitait le peuple, lui et ses serviteurs : on le considérait comme la cause responsable de la déconsidération où était tombée la royauté. Il ne fut pas ditricile aux amis de Guise de tirer parti des derniers incidents pour réchaufler le zèle des Parisiens. En dehors de la noblesse qui marchait par intérêt ou devoir féodal, ils devenaient toujours plus nombreux, ceux à qui la conduite équivoque du roi donnait la conviction qu’il ne fallait plus compter sur lui pour la défense de la foi, que le duc de Guise restait le seul protecteur de la religion, dont sa valeur dans la dernière campagne l’avait sacré le héros.

Au moment où la rupture se consommait entre les Valois et les Guise, pour aboutir à la ruine des uns et des autres (1588), les catholiques zélés penchaient pour ceux-ci, à Paris et dans beaucoup de villes, et la Ligue était dans leurs mains. Elle ne s’étendit guère en dehors des provinces qu’ils dominaient, Bourgogne, Champagne, Picardie, Bretagne, Lyonnais, etc. ; les villes gouvernées par les seigneurs de la cour ou protestants, dans le centre et le midi, ne pouvaient songer à communiquer avec elle, néanmoins Rouen, Marseille, Toulouse et autres restèrent catholiques. Paris fut toujours le centre d’où partait)e mot d’ordre, le cœur île l’Union, la citadelle inébranlable qui tint jusqu’au bout, but constant des attaques de l’ennemi, exemple qui soutenait la persévérance des bons.

Nous avons dit que ceux-ci s’organisèrent, là comme en province, sous l’action des prédicateurs, clergé de paroisse, ordres religieux, jésuites, carmes, capucins, augusiins, etc., qui se prononcèrent en masse pour la Ligue. Maintenant ils ne séparaient plus la cause de Henri III de celle du Navarrais. Non seulement en chaire, mais dans les rapports incessants, familiers, qu’ils avaient avec le peuple, ils ramenaient toujours son attention sur le fait du jour, la lutte contre les huguenots, la trahison des ofliciers royaux, d’Epernon notamment, qui pactisait, prétendaient-ils, avec les hérétiques. Ils ne craignaient pas d’exagérer, se servaient de nouvelles fausses, tendancieuses oumal interprétées, qu’ils répandaient, exploitèrent l’exécution de Marie Stuart (l’év. 1687), représentèrent cette princesse conmie la martyre d’Elizabeth, souveraine illégitime, hérétique, relapse, excommuniée et déposée parles papes, le vrai pendant du roi de Navarre.

Le tableau de cette exécution, exposé dans les rues de Paris, avertissait les catholif|ues du sort qui attendait beaucoup d’entre eux, le jour où les protestants trioin]>her.iient avec la connivence de la cour et des gouvernants.

La principale force de la Ligue résidait dans les 1889

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confréries et tiers ordres, qui s’étaient développés et uiullipliés les dernières années, sous la direction de l’un et l’autre clergé, embrigadant toutes les classes de la société dans une vaste union de prières, d’exercices S|)irituels en commun, de bonnes œuvres, de secours mutuels, à laquelle se rattachait la promesse de défendre par tous les moyens la foi catholique contre l’erreur et ses tenants. La confrérie du Gonfalon s’était formée depuis iSyS, venant d’Italie, à Lyon et à Paris ; les capucins, à l’exemple d’autres religieux, avaient apporté un tiers ordre nouveau, et bien que le rôle de ces associations soit peu connu en général, leur but même et leur raison d’être, leurs attaches avec le centre de la catholicité, tout les prédisposait à entrer dans le mouvement catholique comme un facteur indispensable.

Il en était de même de la Sorbonne, ce tribunal suprême de théologie respecté par toute l’Eglise, qui avait toujours déi>loyé un grand zèle pour l’orthodoxie. Sa situation olUoielle, le respect de l’autorité royale erapècUaient beaucoup de ses docteurs, même du clergé régulier, qui éprouvaient des sympathies pour la Ligue, de les manifester, et ils ne se déclareront en nombre que quelques mois plus tard, après l’assassinat de Guise ; mais la grande majorité se prononça toujours contre le roi de Navarre. Quant aux suppôts, employés et étudiants, qui n’avaient pas les mêmes raisons de se tenir sur la réserve, ils suivirent de ])lein gré l’entraînement général, à part une minorité d’étrangers, et prirent les armes en masse à la journée des Barricades.

Cet événement marqua le triomphe de la Ligue avec la mainmise du duc de Guise sur la municipalité parisienne, restée lidèle au roi, et que le vainqueur remplaça par ses partisans avérés, y compris les olliciersde quartiers et autres. Les nouveaux magistrats durent se soumettre à l’investiture du roi, ils n’en avaient pas moins renouvelé le serment d’union et la confédération des villes.

En s’abstenant de revenir dans une cité qui lui avait fait un sanglant affront, Henri III laissait le parti lorrain s’y établir en maître, au détriment de ses amis et de sa propre autorité. Le traité de Rouen, juillet 1588, qui marqua sa capitulation et consacra sa mise en tutelle, légitima cette conquête avec toutes les autres des Guise, et Paris resta entre leurs mains.

Le programme du parti catholique devait être désormais, dans la pensée du tout-puissant duc, d’annihiler le roi et de l’obliger à choisir un héritier qui n’aurait jamais pactisé avec l’hérésie. La guerre contre les huguenots eut pour prélude une lutte suprême entre les deux adversaires, mais la supériorité de Guise, dont il abusa, lui attira finalement les l)ires malheurs. Il prit soin de faire nommer aux Etats généraux, chargés de préparer la guerre, une forte majorité catholique. Poussée par lui, elle ne manqua aucune occasion de faire sentir au souverain sa dépendance ; elle le contraignit à renouveler le serment d’Union, qu’il avait prêté après la signature du traité ; elle refusa de semondre une dernière fois Navarre, avant de le déclarer déchu de ses droits ; elle s’opposa à ce que le roi négociât encore sa conversion, projet que le pape fit d’ailleurs combattre par son légat Morosini ; elle rejeta l’acceptation du concile de Trente, même avec les réserves gallicanes ordinaires, prétendit imposer au roi un conseil de surveillance pour l’exécution du dernier traité, et le contraignit à révoquer tous les édits fiscaux portés depuis lô’jG.

Que restait-il, sinon de reléguer le pauvre monarque dans un couvent, comme un Mérovingien ? La logique des faits ne l’entraînait pas moins que

Tome II.

son adversaire à la ruine. Le 23 décembre 1588, Guise tombait assassiné à Blois. Henri III fit encore périr le cardinal de Guise, emprisonna celui de Bourbon et l’archevêque de Lyon : c’était une faute contre le droit public d’alors, un outrage à la dignité et au pouvoir du pape, duqiel dépendaient ces personnages. Henri III retardait indétinimenl toute satisfaction, Sixte-Quiut l’excommunia et il fut contraint de se tourner du côté des huguenots. Au lieu de relever leur prestige, le dernier crime d’Etat des Valois les précipitait dans l’abîme, en affranchissant les catholiques de la direction compromettante de Henri de Guise. Le règne de Nemrod le Lorrain, comme l’appelle Pierre de Lestoile, faisait i)lace, selon la pensée de M. Mariéjol lui-même, à celui de la nation catholique (Ibid, , p. agi).

III. La nation catholique contre le roi protestant. 1889-1394. — Ce n’est pas que le jioint de vue politique fût mis de côté : les ligueurs et les princes lorrains, qui avaient à venger les victimes de Blois, leurs chefs et parents, purent accuser le roi de félonie et de trahison, de violation des engagements pris dans les derniers traités, lui soustraire leur obédience en même temps que prendre les armes pour la religion ; une coalition s’établit tout naturellement entre les catholiques, les partisans de ces princes et le Saint-Siège, elle se renforça au moment où Henri 1Il joignit sa cause à celle de Navarre, et, après la mort du premier, les mobiles religieux reprirent toute leur importance.

Dès le 25 décembre 1588, à la nouvelle de l’attentat, les intransigeants, dirigés par le duc d’Aumale, cousin des victimes, se rendirent maîtres de lacapitale, firent déclarer par’jo docteurs de Sorbonne les Français déliés du serment de fidélité au roi, expulsèrent 60 conseillers du parlement ; la cour ainsi épurée décréta un nouveau serment pour Ventretènement de l’union et, à la requête de la duchesse de Guise, instruisit le procès des événements du ï3 décembre. En même temps les villes ligueuses, Orléans, Chartres, Amiens, Dijon, Toulouse, etc., se déclarèrent contre le roi ; d’autres se joignirent à elles, dans le Nord surtout. Reiras, Rouen, Poitiers, Nantes, Lyon. On chassa les gouverneurs et les garnisons royales, on jura l’Union et on se mit en rapport avec Paris : les députés des Etals généraux, en retournant chez eux, propagèrent le mouvement en dehors des provinces gouvernées par les Lorrains. En se révoltant contre le roi, on ne rejeta pas l’autorité royale, on prétendit rester attaché à la monarchie traditionnelle, réparer les défaillances de son représentant, qui trahissait la foi en faveur d’un hérétique et s’obstinait à ne pas publier la déclaration des Etats contre ce dernier. Les Lyonnais caractérisèrent parfaitement la portée du mouvement insurrectionnel dans une médaille dont l’inscription fut adoptée comme devise en plus d’un endroit : Un Dieu, un ror. une foy, une loy, Ifi.S’.l.

Le roi ayant perdu la confiance de ses sujets, le règlement du conflit et de la succession au trône revenait à des Etats généraux catholiques ; pour leur préparer les voies, un gouvernement provisoire fut constitué par le duc de Mayenne, chef de la maison de Guise, sous forme de conseil des notabilités, dans les principales villes. Le Conseil général de l’Ciiion’établi à Paris, com[>renait des représentants de la noblesse, (hi parlement, de la Cour des comptes, de la bourgeoisie et des curés de Paris, avec quatre cvêques. Il nomma le duc lieutenant générul à la conduite des armées et de l’Etat de France, lui confia la direction de la guerre et se chargea de la correspondance tant avec l’étranger qu’avec les autres

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villes ligueuses. Dans chacune de celles-ci. le conseil local fut chargé de fonctions analogues, avec le soin de trouver de l’argent pour les frais de la lutte. Le gouverneur ou le seigneur catholique le plus important de la province eut à diriger les opérations militaires.

Tout dépendait du sort des amies, avec le concours de Philippe II, et les prochains Etats généraux, que le roi seul avait le droit de convoquer, devaient être à la merci du vainqueur. La politique maladroite du roi de France valut à la Ligue l’appui du pape Sixte-Quint, qui aurait préféré la traiter comme une révolte. Se croyant au-dessus des sentences canoniques, erreur dans laquelle l’entretint son entourage gallican, Henri III différa d’accorder une saiisfaction pour l’assassinat du cardinal de Guise, alors que le pape l’aurait volontiers déchargé des embarras que lui causaient ses prisonniers ecclésiastiques. Le monitoire du 5 mai 1589, un véritable ultimatum, en mettant au ban de la chrétienté le prince, qui venait de se séparer de l’Eglise, de se jeter dans les bras des huguenots, le livrait au poignard des fanatiijues. Le crime de Jacques Clément vint délivrer les catholiques, au moment où Paris, serré de près, menacé autant par les politiques de l’intéi-ieur que par les ennemis du dehors, devait succomber, i’^ août 1689.

La situation n’en fut guère changée, bien que le devoir api>arùt plus clairement. Le Béarnais, reconnu par les officiers de la couronne et l’entourage de son prédécesseur, se vit abandonné de plusieurs grands seigneurs, Epernon, Xevers, etc..qui exigeaient qu’il se convertît de suite. Le haut clergé et la noblesse royaliste se renfermèrent dans la neutralité, attendant de voir de quel côté se prononcerait la fortune. Mais, du reste de la nation, beaucoup estimèrent que la promesse du prétendant, de se convertir dans les six mois, était peu sérieuse et contredite par ses actes : les concessions qu’il faisait aux catholiques ne leur assuraient rien de plus que ce qu’ils tenaient déjà, alors que les protestants avaient la perspective d’étendre les conquêtes réalisées depuis trente ans. Le conflit entre les théories de droit public se réveillait avec la dernière acuité, les gallicans et politiques ralliés au roi de Navarre, émus des périls que courait la monarchie, voulaient d’abord la consolider, l’assurer entre les mains de leur maître, et les Ligueurs exigeaient au préalable qu’il se convertît. Il faisait donner à Rome, par le duc de Luxembourg, ambassadeur de ses partisans orthodoxes, des assurances formelles de sa prochaine conversion, mais il refusait de libérer le cardinal de Bourbon, comme le pape l’exigeait. Il entendait être d’abord reconnu de ses sujets catholiques, et ses partisans ajoutaient que ceux-ci devaient se joindre à eux pour le supplier de se faire instruire.

On voit que, si les royalistes recherchaient l’appui du pape, c’était pour amener leurs adversaires à reconnaître le roi, pour faire intervenir le pontife dans les négociations en ce sens qui se renouvelèrent souvent, selon la nécessité qu’éprouvaient ceux-ci ou ceux-là, de suspendre des opérations militaires Vuineuses pour tous. Les Ligueurs surtout avaiint besoin du secours du pape, de ses armes spirituelles et temporelles, plus que des troupes espagnoles, dont le concours n’était pas désintéressé. Philippe II exigeait des compensations qui lésaient l’honneur de la monarchie, et ce fut la gloire des catholiques, d’avoir su esquiver ces demandes. Quant au pape, son intervention était subordonnée à des eirconslances, à des conditions générales ou de personnes qui la paralysèrent souvent. Son attitude varia d’un pontificat à l’autre, mais les Navarristes le trouvèrent toujours intransigeant sur la question des garanties préalables

que la dignité et la sécurité de l’Eglise exigeaient de leur chef, en preuve de la sincérité de ses dispositions et de la cerlitude de son retour à l’orthodoxie. Celle-ci ne devait être fondée que sur celle-là, encore qu’il s’agit du for extérieur plus que de la conscience. Mais comment juger de sentiments, de dispositions intimes, sinon sur des faits indéniables, éclatants comme le soleil, chez un coupable relaps, deux fois excommunié |

Avec son esprit politique conciliant, Sixte-Quint n’adopta pas d’autre manière de faire. Il engageait les catholiques rojalistes à se maintenir dans la foi, à procurer son extension, sans exiger d’eux qu’ils abandonnassent leur maître ; mais il réclamait, comme premier signe de repentir de la part de celui-ci, qu’il lui remit le cardinal de Bourbon, son prisonnier. Ceux de Vendôme et de Lenoncomt, restés auprès du roi hérétique, profitaient de cette condescendance du pontife pour convoquer à Tours une assemblée d’évêques qui instruirait le néophyte, ils se gardaient bien d’arrêter les édits rendus par le parlement royaliste contre le légat Gætani. Celui-ci, de son côté, interdisait aux évêques d’écouter leur invitation, et travaillait à faire échouer les négociations que le Conseil général de Paris venait d’ouvrir avec les royalistes, pour répondre à la demande des agents espagnols, que leur maître fût déclaré protecteur de la couronne de France.

Les efforts du légat aboutirent trop ; la Sorbonne rendit un arrêt qui censurait les négociations, interdisait d’adhérer à Navarre, même s’il se convertissait, et affirmait l’obligation de rester unis sous l’autorité du cardinal de Bourbon, Charles X, roi de la Ligue, Le Il mars iSgo on renouvela le serment de l’Union devant le représentant du pape. Trois jours après, la victoire des royalistes à Ivry suspendit toute négociation : le Béarnais déclara ne plus vouloir traiter qu’une fois maître de Paris. Les Ligueurs, que le Pape abandonnait, se jetèrent dans les bras de l’Espagne, dont plusieurs villes sollicitèrent les secours, et suivirent la direction de ses ambassadeurs ligués avec Gætani, qui trahissait le programme de son maître. Alors commença celle lutle héroïque de la capitale contre l’armée de Henri IV et la famine, lutte qui a fait l’admiration de la postérité, et détruisit plus d’une illusion du prétendant. Il multipliait à la fois les déclarations en faveur du catholicisme et ses conquêtes sur les Parisiens, dont il emporta les faubourgs en juillet. Mais ils surent tenir tête aux sollicitations et intrigues venant à la fois du dehors et du dedans, à la cherté des vivres, au manque de tout, qui commença à se faire sentir dès mai. Les manil’eslalions tumultueuses des p<ditiques échouèrent ; entin le vœu que les échevins lirent le

! " juillet à N.-D. de Lorette fut exaucé : le 28 août, 

le duc de Parme arrivait avec l’armée espagnole et contraignait les assiégeants à se retirer.

Toutes les classes de la société participèrent à cette défense, qui fut conduite par les notables de In Ligue, le duc de Nemours, l’archevêque de Lyon, Mme de Montpensier, avec le légat et l’ambassadeur espagnol. Ils surent entretenir le courage et la patience de la population par des prédications suivies, la parole et l’exemple des prêtres, et ])ar ces processions, revues, dont on s’est moqué, moitié religieuses, moitié militaires, où des moines en armes escortaient les reliques des saints, — L’élan de l’armée royale en fut brisé, et son chef se eonvainqiiit que la conquête du ro.vaume ne serait pas aussi facile qu’on le prétendait autour de lui, malgré l’appui d’une partie de la noblesse, la connivence ou la mollesse dos hautes classes ; que le peuple lui i)réparail d’autres sièges non moins hasardeux, Chartres, 1893

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Dreux, Orléans, Amiens, etc., — et la première de ces villes l’arrêta plus de deux mois l’année suivante

— sièges où le zèle des peuples, leur foi ne lui laisseraient que des monceaux de ruines à conquérir.

Il est vrai que l’inlervention étrangère, à laquelle on dut la délivrance de la capitale, apportait de nouveaux embarras aux catholiques ; elle prétendit faire payer ses services. Pris entre deux feux pour ainsi dire, manquant d’union, affaiblis par les ambitions privées, les charges de la guerre, les Ligueurs, ceux du moins que ne guidaient pas les mobiles temporels, ne purent que se retrancher derrière les exigences de la religion, ou s’appuyer sur les directions pontilicales. Ce fut de là que vint le salut et, au milieu du conflit de tant de passions et intérêts, l’intervention de Rome pouvait seule consommer l’œuvre d’union religieuse et politique basée sur la conversion de Henri IV.

Le nouveau pape, Grégoire XIV, estimant que l’équivoque ne pouvait se prolonger sans détriment pour le bien public, se décida à soutenir de tous ses moyens la cause catholique. Il lança un monitoire contre le roi de Navarre, en faisant à ses partisans un devoir de conscience de l’abandonner. Le document fut brûlé par ordre du parlement de Tours, qui déclara le pape hérétique, schismatique, ennemi de la paix, de l’Eglise catholique, du roi et de l’Etat, fauteur des rebelles, etc. (5 août 15gi). Procédés étranges, et bien gallicans, qui ne contribuaient guère à faire prendre au sérieux les assurances de conversion que donnait depuis deux ans celui pour qui on faisait tout ce tapage. Et l’édit de Nantes, du 6 juillet, renouvelant celui de janvier 1561 en faveur des hérétiques, était signé par quatre évêques ; une assemblée épiscopale tenue à Chartres prononçait la nullité du monitoire, le pape ayant été mal informé des affaires du royaume (i" sept), mais quand elle sollicita le roi de se faire instruire, elle n’obtint qu’une réponse évasive et dilatoire. Le nonce Landriano, qui restait fidèle à ses instructions de médiateur, vit sa tête mise à prix et sa mission proscrite et annulée comme perturbatrice de l’ordre public. On ordonna de courir sus au représentant de l’autorité papale.

Une armée pontificale fut chargée de faire exécuter le monitoire, et se réunit aux troupes espagnoles, dont le chef, Alexandre Farnèse, put commander en maître dans le royaume de France, surtout après qu’il eut contraint le roi de Navarre à lever le siège de Rouen. Les exigences de l’étranger s’accroissaient encore de l’affaiblissement que les divisions apportaient dans le parti catholique. Les exaltés ou les Seize jetaient Paris aux pieds des Espagnols, et se soulevèrent contre les modérés ; il en coûta la vie au président Brisson et à deux conseillers du parlement. Maj-enne fit exécuter quatre de ces agitateurs ; mais ce coup de vigueur mit le comble à son impopularité (fin lôgi). Incidents déplorables, qui rendaient irrésistible le désir d’une prompte solution.

En amenant son armée de secours, Farnèse, avec les ambassadeurs qui l’accompagnaient, révéla les conditions auxquellessonconcoursétait subordonné : assurer le royaume à l’infante, fille de Philippe H et d’Elisabeth de France (janvier 1692). Mayenne chercha à gagner du temps ; il fallait suspendre la loi salique, ce serait difficile, d’autant qu’on ne pouvait convoquer de suite les Etats généraux, qui seuls devaient prendre cette mesure. Les Espagnols travaillèrent alors pour leur compte, répandirent l’argent à profusion, gagnèrent le capitaine Saint-Pol, qui commandait à Reims, des habitants de Paris et de seize autres villes. Lyon, Rouen, Orléans, etc., qui envoyèrent des adresses à Philippe II, le priant de

prendre leur ville sous sa protection. Mayenne fit alors ouvrir des négociations avec l’ennemi par Villeroi, son principal ministre. Elles continuèrent sans résultat, après la retraite des Espagnols ; finalement Navarre se décida à envoyer au pape Clément Vlll une lettre qu’emporta le cardinal de Gondi, et qui annonçait son intention dese faire instruire (octobre) dans le plus bref délai. Après les odieux traitements qu’on avait infligés aux actes de Grégoire XIV, lettres et promesses devenaient plus qu’insuffisantes. N’y avait-il pas d’ailleurs quelque inconvenance à ce qu’un prince de l’Eglise se fit le mandataire d’un hérétique ? Le cardinal ne fut pas admis à Rome.

Cependant le pape demandait au duc de Nevers des explications sur les espérances qu’il y avait de voir Navarre se convertir. Il ne décourageait pas les ambassadeurs qui venaient lui recommander la candidature de Mayenne, pressait les Ligueurs de toute manière de se décider dans un sens ou dans l’autre. Il comptait avant tout sur les Etats généraux, mais ne s’opposait pas à une entente entre les diverses fractions de catholiques. Bref, tous ses efforts se concentraient à empêcher que Navarre fût reconnu avant sa complète conversion.

En réalité, la solution avançait : tous la désiraient, parce qu’on était las de la guerre ; le temps, les négociationsrécentes prolongées des mois, des contacts multipliés avaient comblé l’abîme qui séparait les partis. Mais aussi, les modérés de part et d’autre, ceux que choquaient les prétentions espagnoles, s’étaient rapprochésles deux dernières années, groupés en un parti national, le tiers parti, qui proposait, après avoir sommé une dernière fois le prétendant, de choisir à son défaut un catholique de sa maison, le cardinal de Vendôme. Simple combinaison ébauchée, le mouvement en resta à des ouvertures, à des échanges de viies, mais c’en fut assez pour jeter le désarroi chez les anticatholiqpies et dans l’entourage du Béarnais.

A Paris, l’attitude de la population avait changé, et les Espagnols n’y comptaient plus qu’un petit nombre de partisans. Le parti modéré, ayant à sa tête d’Auhray, travaillait à leur ruine : des assemblées populaires, dans treize quartiers sur seize, suppliaient Mayenne de donner un souverain à la nation, de semondre mèmele roideNavarre.Lamanifestation se propageait parmi les corps constitués, parlement, cour des comptes, en présence du lieutenant général, et celui-ci se décida à convoquer les Etats généraux.

La présence à Paris de députés de diverses provinces, qui n’avaient pas épousé les passions et rancunes soulevées depuis dix ans. facilita encore les contacts, ainsi que les manœuvres du tiers parti. Aussi, quand Navarre vit les Etats en disposition de lui opposer un concurrent, il se décida à faire quelques avances qui prépareraient l’opinion publique à sa conversion. Dès les premières séances, le 26 janvier 169.3, les royalistes, sur son agrément, proposèrent aux Etats une conférence où l’on discuterait les moyens de terminer les troubles et d’assurer le maintien de la religion. Bien que la démarche eût pour but d’empêcher l’élection, d’annuler l’autorité des Etats, les députés acceptèrent et les conférences s’ouvrirent à Suresnes le 29 avril. Le 16 mai, le Béarnais annonça à son conseil la résolution de se faire instruire, et il en prit immédiatement les moyens : il invita même plusieurs curés de Paris à venir l’éclairer de leurs lumières, et quelques-uns répondirent à l’appel. Une trêve, qui fut renouvelée indéfiniment, préparait les populations à désirer une paix définitive.

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Il est vrai que rinstruction, ajournée à juillet, était à longue ccliéance, et la conférence put discuter à loisir les conditions sous lesquelles la royauté du converti serait reconnue. L’archevêque de Lyon, orateur des catholiques, déclara qu’on devait attendre l’absolution du pape. G était l’aboutissant naturel de leur politique, endehors de toute arrière-pensée ambitieuse ou égoïste, et ils auraient renié leur passé, s’ils s’étaient contentés d’une simple bénédiction, comme le prétendaient les royalistes. La conférence se perdit en débats oiseux, mais les événements allaient leur donner raison.

Le 13 mai, l’ambassadeur espagnol, duc de Féria, présentait aux députés la candidature de l’infante Isabelle. Le sentiment national se réveilla aussitôt ; un ligueur exalté, l’évêque de Senlis, Guillaume Rose, réclama le maintien de la loi saliquc ; à deux reprises, le procureur général Mole requit le parlement de s’élever contre des prétentions injurieuses pour la monarchie. Le i"^ juin, le président Vêtus vint, au nom de Mayenne, exprimer devant les Etals le voeu que Navarre changeât de religion et le 3 ceux-ci le transmettaient aux royalistes, en exprimant le regret de ne pouvoir continuer les négociations avant la conversion reçue et approuvée par le pape. La réponse à cette lin de non-recevoir renouvelait la ferme résolution du roi de contenter ses sujets sur la religion, respect et obéissance à Sa Sainteté. Le aS, revenant à la charge, les royalistes suppliaient encore leurs adversaires, dans un appel pathétique, en bons amis, frères et compatriotes, de s’unir tous ensemble pour sauver l’Etat.

Les catholiques n’avaient plus qu’à attendre la parole de Home, mais ces avances produisaient à Paris l’elTet qu’en attendaient leurs auteurs. Les maladresses des Espagnols ne profitaient pas moins à la cause d’Henri IV ; ils proposèrent successivement l’élection de l’infante in soliduni avec l’archiduc Ernest d’Autriche, puis avec un prince français que leur souverain désignerait. Rien ne pouvait plus déplaire aux Français soucieu.x de l’honneur national, que de dépendre ainsi d’un roi étranger, odieux ou suspect. Le a8 juin éclata la protestation qui se préparait depuis un mois au parlement de Paris. Celui-ci rendit un arrêt contre toute manoeuvre attentatoire aux lois de la monarchie, la déclara par avance nulle et non avenue. Le 3 juillet, les Etats rejetèrent la dernière motion des Espagnols.

Ceux-ci firent alors patronner par le légat la candidature du jeune duc de Guise, mais Mayenne arrêta l’élection en objectant qu’elle ne pourrait aboutir que si le roi catholique l’appuyait de forces suffisantes. Les Etats ne tardèrent pas à se dissoudre. Le 25 juillet, Henri IV abjurait à St-lienis, et ses évêques l’absolvaient ad cautelam, oh nécessitaient, la guerre le mettant en perpétuel danger de mort. Le 31, la trêve était étendue à tout le royaume. Ces divers faits rendaient le converti maître de la situation.

Le pape en restait cependant l’arbitre, juiisque la sentence d’absolution réservait tous ses droits. Le 8 août, le roi lui écrivait une lettre autographe de déférence filiale, lui annonçant l’envoi d’une ambassade solennelle d’obédience, que dirigeait le duc de Ncvers. Glkmknt VlIIjugeala démarche insullisante et refusa de recevoir l’ambassade. Il exigeait que le roi sollicitât de lui une autre absolution, et donnât en attendant des signes sullisanls de pénitence dans sa conduite comme dans ses paroles. Le néophyte y condescendit de son mieux, supporta avec patience les rebuffades et les atermoiments do Homo ; il faisait ordonner par les parlements des i)rières publiques et processions pour le bien et repos du royaume. Les

secours lui venaient de ses ennemis eux-mêmes. En mars lôgi, le baron de Sennecey, conûdent et ambassadeur de Mayenne, eliargê par Clément VUI de lui présenter un mémoire sur la situation, lui démontrait que le bien de la religion exigeait qu’il reconni ! it Navarre, qu’un traité général pouvait seul lier ; autrement les catholiques s’accommoderaient avec lui chacun en particulier, sans souci de la religion.

De ce côté-ci, le mouvement était commencé et se précipitait : de notables ligueurs, Villeroy, Vitry, avaient donné l’exemple avec plus ou moins de fracas. Lyon se prononça dans une émeute, le ai février. Le sacre du roi â Chartres, le 27, lui amena la soumission d’Orléans, Bourges, Péronne, etc. A Paris, les modérés ou politiques, maintenant soutenus par le parlement ligueur, qui se mit à leur tête, avaient dès le i"’janvier redoublé leurs efforts, en appelant au roi et insistant pour la paix auprès de Mayenne. Le prévCit des marchands lui-même, Lhuillier, pratiquait nombre de personnes de qualité. Le gouverneur Brissac s’entendait avec les agitateurs, et le 22 mars des bourgeois introduisirent les troupes royales. Le roi promulgua une amnistie générale et y promit encore de vivre catholiquement. La Ligue lîerdait son foyer, son centre de résistance, avec l’appui des Espagnols que le roi renvoya, etdu légat qu’il ne retint pas. Les prévisions du baron de Sennecey s’étaient réalisées un peu partout, mais il restait encore des catholiques fidèles au programme ancien : ceux d’Abbeville déclaraient ne pouvoir j reconnaître le souverain, tant que le pape ne l’au- I rait pas admis. Ceux de Marseille difTéraicnt même’jusqu’à ce que celui-ci eut ratifié les clauses de son absolution, et n’ouvrirent leurs portes qu’en février 1696, le roi ayant déjà réalisé une partie de ces clauses. Mayenne, le chef du parti, s’était trop souvent réclamé de l’autorité pontificale pour ne pas attendre qu’elle eût prononcé en dernier ressort, son honneur et son intérêt à la fois y étaient engagés. Après avoir longtemps débattu les avantages personnels qu’il exigeait, il sollicitait, le 28 octobre iSgS, de Chàlons, les bonnes grâces du roi, et traitait comme chef de la maison de Guise, représentant des catholiques, en un mot d’égal à égal, au nom du gouvernement que la Ligue avait opposé au roi orthodoxe, puis au prétendant hérétique.

Le pape venait de réconcilier celui-ci avec l’Eglise. S’il avait tant tardé, nous savons pourquoi, niaisla mauvaise volonté gallicane, avec ses prétentions, lui en donnait un motif de jdus. Pour eux, l’absolution de St-Denis suthsait, ils avaient toujours aflirmé la nullité des excommunications de Sixte-Quint et de Grégoire XIV, et ne voulaient pas soumettre la monarchie au jugement d’une autorité étrangère. L’expulsion des Jésuites faisait éclater cette mauvaise volonté, de la part du parlement de Paris reconstitué. Tout cela compromettait la cause du roi en cour de Rome, mais on y était persuadé que le temps prouverait le sérieux et la constance de son retour, en tout cas consoliderait sa foi. Il s’agissait de chercher une combinaison qui permit de coneilier les droits du tribunal suprême de l’Eglise avec les ménagements dus au pouvoir temporel, à la dignité royale et à celle de la monarchie.

Clément VIII trouva lui-même le moyen terme : il pouvait admettre la validité de l’absolution de Saint-Denis, mais seulement pour la conscience et dans le cas de nécessité que les prélats y invoquaient. En vertu de cette distinction, il déclara valides tous les actes de religion que Henri IV avait faits depuis, ou qui avaient été accomplis pour lui et dans sa personne. Il consentit à ne ])as parler de réhabilitation, et renonça à tout ce qui marquait une 1897

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prééminence de la papauté sur la couronne. De son coté, le roi se soumit à son absolution, avec toutes les conséquences qui ne mettaient pas sa couronne en jeu. Le lomai 15y5, il accréditait Duperron et d’Ossat ses procureurs pour solliciter cette absolution et souscrire les engagements canoniques qu’elle coni[)()rterait. Il la sollicita lui-même par une lettre autographe, et les obligations ou pénitences que le pape formula dans sa sentence du -) septembre, il les remplit exactement, comme il en donna l’assurance dans sa réponse du 12 novembre. Même le rappel des jésuites et le rétablissement du culte catholique enBéarn.qui se heurtaient à de sérieuses dillicultés, se réalisèrent sous ce règne en partie, et s’achevèrent sous le suivant. Le temps était passé de faire du gallicanisme ; le roi défendit au parlement de s’immiscer dans l’alTaire, et fit enregistrer telle quelle la bulle de réconciliation.

La Ligue avait perdu sa raison d’être, mais, dans le traité par lequel son chef Mayenne reconnaissait en son nom le roi de France, celui-ci la considérait comme un parti qui avait eu le droit de prendre les armes pour défendre sa religion. Le préambule de l’édit de Folembray, janvier iSqG, qui amnistiait le passé, rappelait qu’une fois converti le roi n’avait eu d’autre souci que de se réconcilier avec le pape, et que le chef des catholiques avait attendu cette réconciliation (de quoi le souverain l’approuvait) pour se soumettre. Il mettait sur le même pied le zèle qu’il avait déployé envers la religion et celui qu’il avait mis à conserver l’unité de la monarchie. Les articles de l’édit laissaient aux Ligueurs la jouissance des dignités, ofBces et bénéfices acquis l>endant la guerre, les rétablissaient dans ce qu’ils avaient perdu, effaçaient les édits portés contre eux, le trésor royal prenait à son compte les dettes contractées par Mayenne et ses partisans. Pour accentuer encore la victoire du catholicisme, le roi promettait de i)rocurer le bien et avancement de la religion avec le même zèle que ses prédécesseurs (Mabiéjol, ibid. p. 403-404).

Après la crise qu’elle venait de traverser, l’avenir de la religion était assuré en France ; bien que les catholiques royalistes et lesévêques qui entouraient le roi de Navarre eussent coopéré pour une large part à sa conversion, la victoire revenait en définitive au pape, par conséquent aux Ligueurs qui avaient seuls poursuivi la lutte, toujours en son nom, avec persi^vérance, sans défaillir un seul instant dans la tâche. Les papes avaient pu paraître détournés par d’autres soucis de raccomplissement de leur devoir, hésiter du moins sur la marche à suivre, ils avaient pu croire, comme Sixte-Quint, que la royauté française méritait des ménagements malgré l’indignité de celui qui la détenait ; ce n’est qu’en France qu’on se rendait compte à quel point la politique des Valois avait perdu la confiance de la nation, parce que contraire aux traditions monarchiques. De ce point de départ, les catholiques furent amenés à envisager un changement de dynastie et, quand le fait se présenta, à lutter contre un candid, Tt que réprouvaient ces mêmes traditions. El dans cette lutte même, vint un moment où ils se rendirent compte que ce candidat ne pouvait plus être évincé qu’au profit d’un étranger odieux. Ils s’en remirent dès lors à l’avenir et au pape, et leur bon sens, leur modération reçut sa récompense dans l’édit ci-dessus. Voilà comment nous pouvons aflirnier que la Ligue a sauvé la France et l’Eglise gallicane ; on aurait tort de négliger la part que d’autres y prirent, d’oublier que Henri IV y contribua beaucoup par sa bonne volonté : mais le principal mérite ne revient-il pas à ceux qui ont lutté et souffert, le

grand nombre sans perspective de compensation et uniquement par dévouement à la religion, par souci de leur foi ? C’est à leurs sacrifices, à leur désintéressement que nous sommes redevables de la magnifique elllorescence de renaissance catholique qui fit au siècle suivant la gloire de notre pays.

Bibliographie. — La bibliographie de la Ligue est une des plus riches de l’histoire de France, et elle s’accroît chaque jour. Nous n’avons pas à en donner un état complet, mais à signaler seulement les ouvrages sur lesquels s’appuie cette étude. Cf. H. Hauser, Sources de lÛistoire de France, XYI’siècle, t. III, Paris 1912, p. 170-823. Des histoires déjà vieilles, celle de Davila, Storia délie guerre civile di Francia, Venise 1630, Mézeray, le P. Daniel, n’ont rien perdu de leur valeur. Même une compilation comme celle de Capefigue, La Réforme, la Ligue et Henri IV, Paris 1834, vaut encore par les nombreux documents qu’il y a insérés. La source capitale reste toujours le recueil du malveillant, mais perspicace Pierre de Lestoile. Mémoires-J()urnaux, càXOT de la Société des Bibliophiles, Paris 18^5-1883 ; et pour la suite des faits le récit le plus complet est celui de M. Mariéjol, Histoire de France de Lavisse, t. VI, ! ’< partie. C’est celui que nous avons suivi, en nous référant pour les idées aux historiens catholiques : C. de Meaux, les Luîtes religieuses en France au .117* siècle, Paris, 1879. — *^- Baudrillart, /.’£'g/ise catholique, la Renaissance et la Réforme, Paris 1904. — V. de Chalarabert, Histoire de la Ligue, nouv. éd., Paris 1898. — Degert, Le cardinal d’Ossat. Paris 1894- Cf. P. Richard, I^ierre d’Epinac, archevêque de Lyon, Paris 1907. — De Lépinois, La Ligue et les Papes, Paris, 1882. — Yves de la Brière, dans La Conversion de Henri /T’(collection Science et religion), rapetisse un peu le rôle de Clément VIII, que P. Herre remet bien au point en quelque* pages de son dernier chapitre, Papsttum und Papstirahl um Zeitalter Phihpps II, Leipzig, 1907. Le premier expose mieux ce rôle dans les Etudes, t. CI, 190’). Rien de nouveau dans E. Saunier, le Rôle politique du cardinal de Bourbon {Charles X). Paris 1912, Bibliothèque de l’Ecole des Hautes études, fascic. 198. Instructif au contraire est le tome II de l’Histoire de la Compagnie de Jésus en France du P. Fouqueray, Paris 1918, la Ligue et le bannissement 1075- ! 604.

P. Richard.