Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Judith

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 786-789).

JUDITH. — Texte et lersiuns du livre de Judith. — Sujet du livre. — Canonicilé. — Historicité. — moralité. — Bibliographie.

Texte et versions du livre de Judith. — Le livre de Judith, composé en hébreu, selon toute probabilité, ne nous est connu que par les versions Grecque, Syriaque, Ancienne Latine et Vulgate. La version grecque paraît rendre fidèlement le texte original. La version syriaque et l’ancienne latine sont des traductions de la version grecque. La Vulgate est la traduction, faite par S. Jérôme, d’une ancienne version araméenne, aujourd’hui perdue : un.luiflui interprétait l’araméen en hébreu et S. Jérôme rendait riiébreu en latin. Ce travail fut fait assez rapidement :

« Huic unam lucubratiunculam dedi », dit

S. Jérôme. Ilajoute : « Multorum codicum varictatem vitiosissimam anipulavi ».(l’ræf. in libriim Judith.) Qu’entend-il au juste par là ? Son texte était-il plus court ? De fait, un cinquième du grec environ manque dans la Vulgate. Aussi Cornely remarque ; « Ulerquetextus, utpote longo ecclcsiaruni usu approbatus, iure mcrito authenticus dicitur ; critice vero videtur præferendus graccus, præsertim quia S. Hieronymus non obscure innuit, se nonnulla quæ non salis iiitellexit, consulto omisisse. » (///s/. e^ crit. Iiitroduc tio in V. T. libres sacros, vol. II, i, 1887, p. 892.)

Sujet du Livre. — Nabuchodonosor, roi d’Assyrie (sic), convoque tous les peuples de l’Asie occidentale à se joindre à lui contre Arpliaxad, roi de Médie. Us refusent. Holoiiherne, envoyé contre eux avec une puissante armée, ravage leur pays. Seuls, les Juifs encouragés par le grand-prêtre Joakim, se préparent à une résistance énergique, en fortifiant les défilés des montagnes d’Ephraini. spécialement la ville de Béthulie. L’Ammonite.Vcliior expose à Holoplierne que les Israélites sont protégés par leur Dieu, quand ils lui sont fidèles. Ilolopherne le livre aux Juifs pour r|u’il partage leur sort. liéthulie, assiégée, privée d’eau, est sur le point de se rendre, lorsque une pieuse veuve, Judith, entrciirend de sauver la ville. -Vprès avoir imploré le secours de Dieu, elle se pare île ses phis beaux ornements, et se rend avec sa servante vers le camp des ennemis. Elle gagne les bonnes grâces d’Holopherne. Au bout de trois jours, invitée par lui à un festin, elle est ensuite laissée seule, avec le chef assoupi dans une complète ivresse, et elle lui tranche la tête. Revenue à Béihulie, et ac(lamée comme libératrice, elle conseille aux assiégés de faire une sortie. Les ennemis, saisis de panique à la vue du corps d’Holopherne déca]iité, s’enfuient en désordre. Judith reçoit de grands honneurs ; elle chante à lalné sa reconnaissance ; elle vit. dans la chasteté du veuvage, jusqu’à un âge très avancé.

Canonicité. — Le livre de Judith est, comme on sait, dcutérocanonique. Contre les prolestants qui ne l’admettent pas parmi les Livres saints, on peut établir sa canonicilé par des raisons solides. Il est cité par S. Clément deRomc, Clément d’Alexandrie, Origène, Tertullien, etc. Au témoignage de S. Jérôme, le i » Concile de Nicée le mettait au rang des Saintes Ecritures. Il fait partie du canon des lires inspirés dressé par S. Augustin et approu% é par le concile de Carlhage en Sg^ et par les conciles de Florence et de Trente.

Rien de plus catégorique que ce témoignage d’un savant protestant, Henry BakclaySwete : « L’ancien canon latin représente véritablement la collection des Livres saints en langue grecque, transmise aux premières communautés chrétiennes à Antioche, à Alexandrie et à Rome. Si Origène et les Pères grecs qui suivent Origène lixent le nombre des Livres à 22 ou 24, ils ne suivent pas la tradition primitive de l’Eglise, mais l’opinion critique desavants chrétiens qui s’étaient informés auprès de maîtres juifs. Une tradition plus ancienne est représentée par la série des écrivains chrétiens, commençant à Clément de Rome, qui ont cité les livres « Apocryphes » [nom donné par les protestants aux deutérocanonicjues ; es guillemets sont de M. Swele], sans avoir l’air de soupçonner qu’ils ne faisaient point partie du canon. Ainsi Clément de Rome met l’histoire de Judith au même rang que celle d’Estlier… » (An Introduction lo the Old Testament in Greek, 1900, p.224.)

Historicité. — « L’Histoire de Judith, dit dom Bernard de Montfaucon, a toujours passé pour une des plus embarrassées de l’Ecriture, Il n’en faut point d’autre preuve que le grand nombre de manières dilférentes dont les interprètes l’ont expliquée, et qui, au lieu de l’éclaircir, l’ont rendue plus obscure qu’elle n’était auparavant « (La Vérité de l’Histoire de /(((/(((/ ; , 1692, premières lignes de la Préface). De nos jours encore, les auteurs les plus conservateurs reconnaissent sincèrement ({e « ce livre, tel que nous lepossédons aujourd’hui, présente au point de ue historique de très grandes dillicultés » (SchoepekrPelt, Histoire de V.incien Testament, t. II, l’éd., 1904, p. 302).

Nabuchodonosor. nommé une vingtaine de fois dans le livre de Judith, y est donné pour a roi des Assyriens » (cela est dit expressément au moins six fois) ; sa capitale est Ninive. Or. il n’y a pas eu de roi d’.Vssyrie du nom de Nabuchodonosor, dei)uis 980 av. J. C. jusqu’à la fin de l’empire assyrien (la série complète des rois d’Assyrie pour cette époque est fournie par les inscriptions cunéiformes). C’est après la ruine de Ninive (607) que Nabuchodonosor est devenu roi de Babylone (605-562) ; et il n’a pas fait la guerre aux Mèdes ni ])ris Ecbatane. De plus, la date de Nabuchodonosor ne s’accorde pas avec iv. 3 et V, 19(LXX ; Vulg., v. 28) : les Juifs sont revenus de l<i captivité ; ils ont purifié le tenq)le, l’autel et les vases sacrés ; donc après 538. Il n’j' a pas eu de roi des Mèdes nommé Ar])liaxad. Gomment Holoplierne, perse, comme son nom l’indique, est-il général assyrien ? Enfin, celle délivrance mer eilleuse du pays Israélite n’est mentionnée nulle part dans la Bible. L’héroïne Judith n’y est pas nommée ailleurs, ni par Philon. ni par Josèplie. La ville de Béihulie est également inconnue.

François Lenormant Irouvail « fantastique » la géographie du livre de Judith. — « Même en concédant que les noms de lieux |)euvenl avoir été déformés par les traducteurs et les copistes, il n’en demeure [las moins qu’en matière de topographie le livre de Judith soulève une série de problèmes 15C1

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insolubles. L’armée d’OIoplierne suit un itinéraire vraiment incompréhensible, et le reste des données similaires n’est pas moins énigmalique » (Lucien Gautiku, Introduction à l’Ancien Testament, 2" éd., 1914, 1. II, p. 357).

D’autres dillicultés sont résolues sans trop de peine. Ainsi, dans l’histoire juive on ne rencontre nulle trace d’une fêle instituée en souvenir de la victoire de Juditli. Mais cette institution est relatée seulement dans la Vulg^ale (xvi, cil) ; et ce dernier verset peut l)icn n’être pas authentique.

Pour les raisons indiquées et d’autres analogues, la plupart des exégètes protestants, et quelques auteurs catholiques (Jahn, Movers, Fr. Lcnormant, Ant. Scholz) ont renoncé à admettre le caractère historique du livre de Judith ; ils prennenl ce récit pour un roman historique, pour une tiction ou une parabole. Ant. ScuoLZ, dont l’opinion reste isolée, en faisait une prophétie ou une apocalypse (système étrange d’exégèse qu’il étendait à d’autres livres de la Bible). Beaucoup y voient une composition libre du temps des Macliabées, destinée à encourager le peuple juif à la résistance contre les tyrans et à l’observation lidéle de la Loi. Us appuient cette manière de voir sur certains traits du récit dans ce sens, spécialement dans les discours d’AcUior (eh. v) et de Judith (vni-ix).

Ceux, au contraire, qui par respect pour la tradition exégétique, ont à cœur de défendre l’historicité, reconnaissent pourtant <ju’il est impossible d’admettre comme exactes toutes les données du livre dans sa forme actuelle. Depuis les i)remiers siècles de l’Eglise (S. Ilippolyte. Eusèbe, S. Augustin, etc.’) jusqu’à nos jours tous les essais ont été faits pour remplacer Nabuchodonosor par un roi mieux en rapport avec la situation. Une vingtaine de personnages ont été proposés : Adadnirari 111 (81’2-’ ; S3), Mérodachbaladan, Asarhaddon, surtout Assourbanipal (668-626), et encore Samasioumoukin, Kinidalan (Kandalanou), Cambyse, Darius I’"', Xerxès I"’, Artaxerxès Ochus, etc. Des auteurs protestants descendent même au ii< : siècle de l’ère chrétienne et voient, sous le nom de Nabuchodonosor, les empereurs Trajan ou Hadrien ; ils oublient que le livre de Judith est déjà cité par S. Clément de Rome, vers la lin du 1" siècle. « Un fait est indéniable, remarque le P. J. Cales. Dès iju’on essaye de situer Judith en un point déterminé de l’histoire sacrée, les dillicultés surgissent, dont les plus ingénieux efforts ne viennent pas à bout » (Eludes, 20 mai 1908, t. CXV, p. 533).

Presque tous les auteurs catholiques (Delattre, Vigoureux, Palmieri, Cornely, Ivaulen, etc.) pensent, à la suite de M. F. Rodiou^, que le roi en question est Assourbanipal. Arphaxad représenterait ou Déjo. ces, ou Phraortes ou Samas-soum-oukin. On trouve une grande analogie entre certaines campagnes racontées dans les Annales d’Assourbanipal et celles dont il est question dans le livre de Judith. Et l’on croit pouvoir rendre compte de la situation en pla 1. Jui-Es l’Africain idans Suidas au mot ^lo-jSr/j), EusiiBE (Chron., l. II, P. G. t..X, col. 468), S. JtRÔ.MK, dans l’interprétation de la Chronique d’Eusèbe (P. L., t. XXVII, col. 43Ô) se prononcent pour Cambyse ; S. Augustin, pour Cambyse ou Darius (P. L., t. XLI, col. 583.’/ ; l’anteui" des Constitutions apostoUques pr<’fcre Darius iP. G, t. I, col. 1069. De même, semble-t-il, S. HiproLYTE. S. Jkkô.me dans son commentaire A’isaïe indique Assuérus (Xerxès) (/*. L, , t. XXIV, col. 160 tandis que Sulimce Si’ ; TfeRE, on va le voir, se décide pour Art : ixerxès Ocbus.

2. « Dans la Revue arcltéologique et ii p ; , rt. en 1875, sous ce titre : Deux (Questions de chronologie et (Vhisloire éclair^ des par les Annales d’Assourbanipal » (Vigoureux).

çant tous les événements pendant la captivité du roi de Juda, Manassé(ll J’ar.. x.xxiii, 11). On peut voir une exposition détaillée de cette interprétation dans : ViGounoux, Art mille et les découvertes modernes, 6= éd., 18y6, t. IV, p. gy-iSi ; Gillet, Tohie, Juditli, Esther, 1871), nouv. éd. 1897, dans La Sainte llible (Lethielleux) ; H. Cobnely, IJist. et crilica Jnirud. 1887, 11, 1, 397-l’|I2. Mais si l’auteur raconte l’histoire exacte d’Assourbanipal, pourquoi nomiuc-t-il ce roi

« Nabuchodonosor » ? Et, si ce nom a été changé, 

d’où vient ce changement systématique dans tout le livre ? « On ne s’explique pas, dit avec raison le P.-Ferd. Phat, comment les copistes auraient opéré partout une substitution si singulière » (IHctionnaire de la Bible, t. 111, col. 1829). D’ailleurs, le Nabuchodonosor de Judith, qui veut que toutes les nations, langues et tribus (Tr « » Ta tk iUrr, , zai ny.^v.i ai -/’/.Ciizv.i. /.’A nSiyi « 1 tu/ ».i a.’j-Cri) l’adorenl comme un dieu (m, 8) ressemble bien au Nabuchodonosor de Daniel (m, 7) qui exige que toutes les nations, tribus et langues (7 : « vt « tk i’/v/ : , fuMi, /.y.i /l’Sizia.t) adorent sa statue.

Une autre opinion, qui paraît avoir plus de probabilité, place l’expédition d’Holopherne souslc règne d’Artaxerxès 1Il Ochus, vers 350 av. J. C. C’est la manière de voir de Sulpice Sévère (-j- ^20-425) ; il l’expose avec beaucoup de sagacité et d’érudition dans ses Chroniques(IIisloria sacra), II, xiv-xvi (P. /.., t. XX, col. 137). Un savant du xviii’siècle, GiiîEnT, a soutenu ce sentiment, avec force preuves à l’appui, dans un mémoire lu à V Académie des Inscriptions et Belles-Lettres{f]b ! i, t. XXI, p. 42-82). Plus récemment et de nos jours, Herzfeld, Gutschmid, Nôldeke, Robertson Smith, Wellhausen, Em. Schiirer, Steuernagel, pensent également que « l’arrière-plan » historique du livre de Judith doit se placer sous Artaxerxès Ochus. Ce roi, dans une de ses campagnes contre la Phénicie et l’Egypte, lit des prisonniers parmi les Juifs (EusLBE, Cliron.,. II, P. G., XIX, col. 486). Suivant DioDORE DE Sicile, il avait parmi ses principaux généraux Ilolopherne, frère du roi de Cappadoce, et l’eunuque Bagoas (Diod., XXXI, xix, 2-3, XVI, xlvii, 4, XVll, V, 3). La coïncidence avec Ilolopherne et Bagoas (LXX ; — Vulg. Vagao) du livre de Judith ne saurait être fortuite, remarque ScHiiKKn (Geschichte des Judischen Volkes im Zeitalter Jesu Christi, 3’éd., t. lll, 1898, p. 169, et Healencyklopddie

fur protest. Theol. and Kirche, 3 « édit., t. I,

18r, 6,

p. 6/16.)

Gibert, dans la dissertation mentionnée ci-dessus, réfute les raisons qui ont amené beaucoup d’auteurs à placer cette histoire avant l’exil de Babylone, à savoir : le roi qui envoya Holopherne en Syrie était roi des Assyriens et de Ninive ; — Arphaxad, qui fut vaincu par ce roi est celui qui bâtit Ecbatane ;

— enlin, les Mèdes font la guerre aux Assjriens. Il répond : 1° « L’Ecriture donne indill’éremment le nom de rois d’Assyrie aux rois de Perse, depuis la captivité comme auparavant ; on en a un exemple dans Esdras, où ce même titre est donné à un Darius. .. » [Esd.. VI, 22 ; cf. Punk, XIX, iv : «.Vssyriae rexCyrus » [et Hérodote, VII, lxiii|) ; 2° « Déjocès, il est vrai, fut le premier fondateur d’Ecbatane ; mais elle a pu depuis être rétablie, agrandie, embellie ou fortiUée plus d’une fois et par d’autres que par Déjocès ; or l’expression de l’Ecriture ne signille point nécessairement qu’Arphaxad a fondé Ecbatane, elle peut désignerseulement qu’il l’a rebâtie, agrandie, embellie ou fortiliée… » ; 3" « La réduction des Mèdes sous le joug des successeurs de Cyrus, ou, si l’on veut, leur réunion à l’empire des Perses, n’empêche pas qu’ils n’aient pu s’en séparer, se soulever contre leurs nouveaux maîtres, leur faire la guerre.

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ou plutôt elle n’a pas empèclié qu’ils ne l’aient faite. En effet, on en a les preuves les plus positives dans des auteurs contemporains, tels que Ilérodole el Xénoplion… "(pp. 62-63). Puis l’auteur explique longuement et solidement les expressions relatives à la ruine du Temjde de Jérusalem et à la captivité de Babylone (Judit/i, iv, 3, v, ig). De plus « dans le livre de Judith il n’est question d’aucun roi des Juifs… C’est le grand prêtre seul qui agit, ordonne, gouverne : on y voit avec lui les anciens du peuple, et même, suivanlla version grecque, le Sénat résidant à Jérusalem » ; cet élat de choses convient seulement à l’époque qui suivit l’exil, et non au temps de la captivité de Manassé oude laminorité de Josias (pp. G8-70). l’oint de prêtre du nom dejoakim avant l’exil de Ual>ylone (p. 70-71). La réunion des Mèdes et des Perses aux Assyriens dans l’arniée d’Holopherne {Judith, xvi, 10, Vulg., 12) n’est possible qu’après la captivilé(p. 71-7’. !). a Il est encore bien dillicile de ne pas reconnaître les successeurs de Gyrusà cette formule singulière par laquelle le Nabuchodonosor de Judith, pour annoncer son dessein aux nations qu’il veut attaquer, lem’envoie d’abord demander par ses hérauts / « terre et l’eaa [Judith, ii, 7 ; cf. lIÉnoDOTE. VI, xlviii, ir, ]. On sait qu’on n’a dans l’histoire aucune trace de celle formule avant Cyrus, tandis que rien au contraire depuis Darius et Xerxès n’est plus commun ni plus connu » (p. 73).

Trogub Pompée el Diodore db Sicile parlent d’une guerre d’Ochus contre les Cadusiens ; « or, les Cadusiens faisaient p.irlie des Mèdes n ; ils sont fort bien désignés dans Judith, i, 6 sous le nom d’habitants de la région montagneuse, et peut-être par l’expression

« iils de Xc/cîv/ (ou Xz/ionô) » : « ceux que les

Grées appellent Cadusiens, dit Pline, se nomment Gelæ «. Gibhiit conjecture qu’Arphaxad, roi des Mèdes, <( était l’Arbacas qui gouvernait la Médie au temps où Xénophon y passa avec les Grecs dans sa fameuse retraite » (pp. 7^1-77).

Cette opinion a aussi l’avantage d’expliquer mieux plusieiu’s autres points. La longue période de paix fiui suivit l’exploit de Judith (xvi, 26) est plus facile à placer après l’exil. Le silence des autres livres de la Bible sur Judilh se comprend plus aisément. De même certains détails sur l’observation de la Loi, etc.

M. Fr. Steinmetzer, actuellement professeur à la Faculté catholique de l’Université <le Prague, a publié, il y a quelques années, une étude approfondie du livre de Judilh (voir liibliogi-.). Il admet un texte composite, un noyau primitif développé à diverses époques, en tout cptatre couches ou phases successives de développement, allant du temps d’Assourbanipal à l’époque des Machabées. On aurait donc un ainalgaïue de données historiques appartenant.i des époques différentes ; ce nesei’ait pas de l’histoire proprement dite. Mais, suivant la ccmviclion ferme de l’auteur, Judith est un personnage historique ; elle a vraiment délivré liéthiilie, en coupant la tête du chef ennemi. La façon dont il explique les additions successives faites au texte piimitif, où elles auraient pénétré insensiblement et n’importe comment, ne semble pas conciliable avec l’inspiralion divine du livre. (Cf. Kncycl. I’a.>cendi dominici gregis, Denzinger-Bannwart, n. 2100.)

Que coiulure de tout cela ?

Si l’on apportait des |ireuves fraimenl solidespoiir démontrer le caractère fictif de tout le récit, cela ne compromettrait en rien l’insjjiralion du livre ; il appartiendrait à un genre littéraire différent, voilà tout : ce serait une parabole, une liction parénélique, un récit édiliaut ; il n’y a rien là qui répugne à l’ins piration’, « et bien peu de théologiens, pensons-nous, même parmi les plus conservateurs, oseraient soutenir qu’il y ail là-dessus une tradition catholique obligatoire » (J. GalI’S, /. c, p. 533).

Mais, en face des vides immenses que présentent soit l’histoire biblique, soit l’histoire profane de l’Asie occidentale pour les trois siècles qui suivent les conquêtes deCyrus, il serait scientiflquemenl 1res imprudent d’opposer, au nom de l’histoire, une lin de non-recevoir à la réalité du fait de la délivrance de Béthulie raconté dans le livre de Judilh. Sciiiirbr prétend arbitrairement qu’à cause du but parénélique manifeste de ce récit a on ne peut pas même admettre un noyau historique ». Nombre de critiques protestants portent le même jugement, sans en donner de raison suffisante. Plus judicieusement, Steuernagbl constate la présence d’  « éléments historiques » du temps d’Arlaxerxès III, et il ajoute : « Dans quelle mesure d’autres motifs historiques de ce temps ont-ils été utilisés ? On ne peut pas le découvrir. Mais il est difficile que le siège de Béthulie, ville d’ailleurs inconnue, ait été inventé de toutes pièces » (l.ehrhuch der Einleitnng in dus Alte Testament, 191 2, p. 786). La description topographique très précise ne ressemble guère aux données généralement vagues d’un récit liclif. De même, il n’est pas vraisemblable que la personne de Judith (on donne sa généalogie détaillée ) et son exploit si vivement dépeint soient une pure ticlion. « Quiconque connaît la littérature apocryphe et pseudépigraphe, dit Gastbr (éditeur d’un midras de Judilh) repoussera cette hypothèse. » Des faits de ce genre sont facilement enjolivés par la légende, mais non point créés e.r nihilo.

L’historicité substantielle du livre de Judith est donc parfaitement admissible. Quant à l’historicité stricte, jvisque dans les détails, c’est autre chose. Mais on aurait bien tort d’exiger de l’auteur inspiré, sous peine d’erreur, une exactitude matérielle qu’il n’a pas voulu mettre dans son livre. D’ailleurs, lui-même indique assez clairement qu’il n’j- a point visé, s’il faut lui attribuer la dénomination de a Nabuchodonosor » pour le roi en question ; or, dans les conditions du texte actuel, « en bonne critique, il faudrait faire remonter la leçon à l’auteurlui-même » (F.Prat, IJict. de la mille, III, col. 182g). On l’a vu plus haut, les Pères n’ont pas hésité à remplacer Nabuchodonosor par un autre roi, mieux en rapport, selon eux, avec la situation décrite dans le livre. D’autre part, certainement ils n’admettaient point d’erreur chez l’auteur inspiré. Ils comprenaient donc que, sous les traits de Nabuchodonosor, un autre personnage réel était caché, et que, sur ce point au moins, la fiction se mêlant au récit, l’auteur n’avait pas voulu écrire de l’histoire stricte. De même, il semble que plusieurs noms de villes soient déguisés sous des noms fictifs. M. Charles C. Torrky, ])rofesseur à Vale University (E.-U. Am.), a fait valoir de bonnes raisons de penser que Béthulie, qui n’est nommée nulle part ailleurs, représente la ville de Sichein (Journal of the American Oriental Society, vol. XX, pp. 160-172.) Dans le Flarileginm Melchior de Vogué, igog, il propose de voir dans Betoniesthaim (iv, 6 ; xv, /j, grec) un pseudonyme de Samaric. L’emploi de pseudonymes pour Sicheu) et Samario s’explique fort bien par la liaine des Juifs pour les Samaritains, (’oir Recherches de Science religieuse, nov.-iléc. 1910, pp. 570-071.)

Moralité. — Au sujet de l’entreprise de Judith, plusieurs critique ; éprouvent, du point de vue moral, des scrupules excessifs. Ils jugent convenable de s’apitoyer

l.Ct.la réponse de la Commission biblique ilu 23 juin 1U05, de indolc historica S, Scripturue. 1565

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sur ce pauvre I/oloplierne Si méchamment mis à mort pur Jiulilli.

Ou Içur pudeur se révolte en présence des moyens de séduction mis en a-uvre par celle femme juive. « On il souvent reproclié au livre de Judith ce qu’on appelle sa sensualité rallinée. Ce ju^'ement me paraît Irop sévère, dit M. Lucien Oaijmkh, car l’auleiir prenil à tâche de l’aire ressortir que son liéroïne obéit uniquenienl à un mobile religieux et palrioli<(UC et que, contrairement à l’opinion régnante parmi ceux qui n’ont jamais lu son histoire, elle sort intacte de sa périlleuse aventure u (Introd. à l’A. T., lyi/i, t. II, p. 35cj). l’oint de |)assion coupable chez Judith. Mais exciter cette passion chez un autre, n’est-ce pas immoral'.'" Cerle, répond Palmiehi, si ponis v(duisse luditham excitare in Olopherneamoreni sui inhoiiestuni, rem dillicile expediemus : sed lu libi ipse diiricullatem créas. Nam curnon inlenderit provocare amorem honeslum, qui nu|ilias præverlere solel ? » i ; i il montre combien cette hypolhcse est plausible. {De ieriliile liisturica l.ibri.Itiditli, 1886, p. 48). Oans ce cas l’iiitervenlion divine pour augnienler la beauté de Judith n’a rien d’inadmissible ; d’ailleurs, il en est ((uestion seulement dans la Vulyale (x, 4) et ce verset n’est probablement pas du texte primitif.

Il est plus facile encore de juslilier le meurtre d’HoIopherne. Quand il s’aj^it de sauver une ville assiégée et de défendre sa patrie contre un ennemi féroce qui met tout à feu et à sang (Judith, 11. uS-iS), il ne sied guère de parler de u ruse perlide » ou de

« lâche assassinat ». Ces sortes de stratagèmes destinés à faire à l’ennemi combattant le plus de mal

possible, et à lui tuer ses chefs, étaient admis dans l’anliquité comme légitimes : c'était le droit de la guerre ; et « le détestable principe que la lin juslilie les moj’ens » ne trouve pas ici la moindre application.

O’aulres objections tombent devant celle simple réflexion, que bien des choses sont racontées dans la Bible sans être, par le fait même, approuvées. Incontestablement Judith agit avec un courage héroïque, une admirable chasteté, une pleine bonne foi ilans la légitimité de toutes ses démarches ; mais nulle part elle n’est présentée comme infaillible et impeccable.

Somme toute, le livre de Judith est non seulement irréprochable dans sa doctrine morale et religieuse, mais très utile pour encourager à 1 observation fidèle de la loi divine et à la confiance en Dieu.

BiBLioGUAPiiiK. — SuLPicE SÉVÈRE, Chroriicorum lib. ii, 14-16- — Bkknard DE MoNTFAUcoN, O. s. B., /.rt iérité de V Histoire de Judith, 161)2. — Gibert, Dissertation sur l’Histoire de Judith, dans Mémoires de Littérature de l’Acudéniie des [nscriijtions et Belles-Lettres, 1754. t. XXI. p. 41-8'2. — Fuitzsgbe, Vas Buch Judith, 18ôl5. — Gii.i.et, Tubie, Judith, Esther, 1879. — PAr.MiERi. S. J., De veritate historien lihri Judith, 1886. — F. ViGouROfx, La Bible et les découvertes moderne^, C° éd., 1896, t. IV, pp. 99-131. — Fbku. Prat, Judith elle Livre de Judith, dans Dictionnaire de la Bible, III, col. 18221833. — Franz Steinmktzkr,.Ve «e Vntersucliung liber die Geschichtlichkeit der Juditherziihlung, 1907.

Albert Condajiin, S. J.