Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Insoumis

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 452-453).

INSOUMIS. — I. Par le nom â’insoitmis nous désignons le jeune homme qui, ayant reçu un ordre d’appel sous les drapeaux, n’a pas rejoint, se caclie et se soustrait ainsi au devoir militaire. Il se distingue du déserteur qui, lui, a été soldat et s’est enfui. La presse, à commencer parla France militaire, jelle de nouveaux cris d’alarme à propos de l’accroissement du nombre des insoumis et des déserteurs. Les staiistitjues comparées, dont les plus importantes données proviennent du rapport sur le budget de la guerre (igii) présenté au Sénat par M. Waddington, mettent en un douloureux relief la plaie, autrefois presque ignorée, de l’insoumission, dont on indiquera sommairement les causes et les remi ; des.

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On voit la gravité du péril. El encore y a-t-il lieu d’observer qu’il y a un très grand nombre d’om/s.Eri effet, les tableaux de recensement, qui constituent la base essentielle de la formation du contingent, présentent de très nombreuses lacunes, parce que les intéressés, qui négligent de s’y faire porter, ne sont pas punissables. Dans certaines mairies, on inscrit au tableau de recensement tous les jeunes gens nés dans la commune, quitte à rayer ensuite ceux qui sont signalés comme s’étant fait inscrire dans une autre localité. Mais en beaucoup d’endroits, et principalement dans les grandes villes, on suppose a priori inscritsailleurs, et l’un passe sous silence tous les jeunes gens qui ont quitté l’arrondissement, ou au moins tous ceux dont les parents ont transporté leur domicile dansune autre commune. Il sullit donc, pour éebajjperà tout service militaire, de disparaître de la ville ou du village où l’on est né, d’aller habiter ailleurs et de ne faire aucune déclaration. On ne court même pas le risque d’être déclaré insoumis. Si un hasard malheureux vous fait découvrir, on est un simple omis, tenu seulement d’accomplir son service avec la première classe à incorporer.

Que fait-on pour atteindre les véritables insoumis, ceux qui, régulièrement inscrits, ont sciemment fait défaut ou n’ont pas été touchés par leur ordre d’appel ? Chaque bureau de recrutement dresse la liste de ses insoumis et envoie leur signalement non pas, comme on pourrait le supposer, à toutes les brigades de gendarmerie de France, non pas même à toutes les brigades du département ou de l’arrondissement, ainsiqiiecela était prescrit autrefois, mais aux seules brigades « qui, en apparence, peuvent être intéressées », et au l’ar<]uet du lieu de naissance. En fait, la seule brigade informée est celle du lieu de naissance, c’est-à-dire celle qui a le moins de chances de pouvoir mettre la main sur l’inculpé.

Celui-ci peut donc, sans aucun danger, s’installer dans les communes les plus proches de son lieu de naissance ; pourvu qu’elles dépendent d’une brigade différente, il y demeurera en parfaite sécurité. C’est ainsi que des milliers déjeunes gens dépassent l’âge de servir sans avoir été inscrits sur aucune liste, ou, inscrits et insoumis, ne sont l’objet d’aucune recherche sérieuse.

Les statistiques font ressortir une très forte proportion d’insoumis parmi les jeunes gens résidant hors de France. Comment un si grand nombre de jeunes gens peuvent-ils se tenir dans les marges de la loi ? L’article 50 de la loi de 1889 tes exemptait, en temps de paix, de tout service militaire. La loi militaire du 21 mars igoS a omis de reproduire une des dispositions de la loi de 1889, qui Uxail à 50 ans l’âge où la prescription était acquise par l’insoumis. De plus, elle décide que les déserteurs et insoumis ne seront pas astreints à un service actif au delà de leur trentième année révolue ». Si elle impose aux jeunes gens résidant hors de France de venir passer deux ans à la caserne en France, elle autorise à leur accorder dessursisjusqu’à vingt-cinq ans. Qu’arrivet-il ? C’est qu’à cet âge beaucoup sont définitivement établis, mariés, et que l’obligation de rentrer leur est beaucoup plus pénible qu’elle ne l’aurait été quatre ans plus tôt. C’est pourquoi ils augmentent le nombre des réfractaires au devoir militaire.

II. Causes d’augmentation de l’insoumission. — On doit assigner, comme causes de l’augmentation croissante des réfractaires : 1" les développements de l’enseignement antipatriotique donné dans un grand nombre d’écoles publiques ; 2° les progrès de l’antimilitarisme ; 3’la faiblesse du Parlement et des pouvoirs publics ; 4" l’incohérence des mesures de répression.

i* L’enseignement de l’école laïque a sa grande part de responsabilité. Il suffit de comparer les chiffres respectifs de 1662 insoumis en 1879, avant les lois de laïcisation, avec ceux de 5. 000 en 1898, 1900 et igoS, de 8.000 en igoô, de 10.000 et plus, de 1906 à 1910, c’est-à-dire depuis l’extension de l’enseignement laïque, pour établir péremptoirement l’étroite corrélation entre les progrès de l’insoumission et ceux de l’école laïque. On a relevé maints exemples de prol )agande antipatriotique donnés par trop d’instituteurs publics… La presse a signale le ravalement pédagogique, longuement toléré, sinon encouragé, du devoir militaire ».

2° La diffusion, trop longtemps tolérée et point encore suffisamment réprimée, des doctrines antimilitaristes. Ce n’est point impunément que les jeunes gens qui vontêtre appelés sous les drapeaux peuvent couramment lire ou entendre répéter que la caserne est un bagne, que les officiers sont des brutes galonnées, et que l’uniforme constitue une livrée déshonorante. Les insulteurs du drapeau ont encore la partie belle, puisque l’on n’ose point s’attaquer ouvertement à la Confédération générale du trai ail qui est le quartier général de tous les révolutionnaires et l’académie des professeurs d’antipatriotisme et d’indiscipline. — Les doctrines antimilitaristes de la C. G. T. et antipatriotiques de nombreux instituteurs laïijues, en écartant la croyance à une autre vie, en faisant appel aux pires sentiments d’égoïsme et de lâcheté, ont préparé ces myriades d’insoumis — l’effectif de deux corps d’armée, a-t-on calculé — contre lesquels n’ont été prises, jusqu’ici, que des mesures dérisoires.

3" La fréquence des amnisties, votées le 27 avril 1898, le 27 décembre 1900, le i avril igo4 et le 12 juillet igoû. Cette absolution législative, pério893

INSPIRATION DE L.V BIBLE

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diqiie et syslémalique, est une véritable prime à l’insoumission ; elle constitue un système de faiblesses d’autant i>lus lamentables que les lois d’amnistie les plus récentes imposaient des conditions de moins en moins rigoureuses au point de vue de l’accomplissement, jus(iuc là évité, du devoir militaire. Depuis 11J08, la Clianibre a refusé de voter l’amnistie en faveur des déserteurs et des insoumis. En dépit de l’optimisme officiel, elle a justement brisé une tradition qui, au moins depuis dix ans, donnait aux réfractaires la quasi certitude d’une complète impunité. — Si les causes de cette progression constante des insoumis engagent lourdement la responsabilité du Parlement, il convient de les faire remonter également jusqu’aux povvoirs publics qui agirent longtemps comme si leur but était de répandre dans le pays l’idée néfaste que l’insoumission est une faute vénielle, digne de toutes les indulgences et même de tous les pardons. Ainsi, ce malencontreux arrêt du (-onseil d’Etat du 28 décembre 1910, qui décida, malgré l’avis du commissaire du gouvernement, que les insoumis qui bénélJcient d’un refus d’informer, d’une ordonnance de non-lieu ou d’un jugement d’acquittement, sont dispensés d’accomplir leur service, et cola, contrairement aux principes fondamentaux de la loi de recrutement du ai mars igo5, ainsi conçus : < Le service militaire est égal pour tous. Hors le cas d’incapacité physique, il ne comporte aucune dispense j), et : Il Le temps pendant lequel les hommes auront été insoumis ne comptera pas dans les années de service exigées ». Ainsi encore, cette fâcheuse circulaire ministérielle qui prend texte de la nouvelle jurisprudence pour prescrire le renvoi dans leurs foyers des militaires qui sont actuellement maintenus au corps pour y terminer leurs deux années, s’ils ont bénélicié, du chef d’insoumission, d’une ordonnance de non-lieu, d’un refus d’informer ou d’un jugement d’acquittement. Le moment est mal venu pour que les pouvoirs publics créent une situation privilégiée aux insoumis même involontaires.

4° Encouragée par la faiblesse du Parlement et des pouvoirs publics, la plaie croissante de l’insoumission s’aggrave encore par l’incohérence des mesures de répression. Un voyage de quelques années à l’étranger snllit pour échapper à la loi militaire. La circulaire du i" juin 1908 eut pour effet de faire rayer automatiquement des contrôles de l’insoumission tous les hommes dont le délit remontait à plus de trois ans et qui n’avaient pas bénélicié de la loi d’amnistie du 12 juillet 1906, comme ayant atteint l’âge de quarante-cinq ans. Le nombre de ces hommes dispensés en totalité ou en partie de leur service militaire peut, sans exagération, être évalué à vingt mille. — Le texte de loi voté par la Chambre des députés en 1908 attribue aux tribunaux correctionnels la connaissance des affaires d’insoumission. L’impression qui serait communément éprouvée dans le pays, le jour où les juges correctionnels remplaceraient les Conseils de guerre, ne diminuerait pas le nombre des insoumis. — Beaucoup de réfractaires même se contentent de se réfugier dans les grandes villes, et en particulier à Paris où l’on comptait, en 1909. 8^0 insoumis, disi)ensés de toute obligation militaire, en vertu de la jurisprudence du Conseil d’Etat. Un rapporteur du budget de la préfecture de I)olice signalait, il y a quelques années, la tâche énorme qui incombe, de ce fait, au service de la police chargé des recherches par l’autorité militaire :

« Les jeunes gens de province, disait-il, viennent se

cacher dans Paris, devenu le refuge des sans-patrie, des antimilitaristes. » Et le conseiller municipal rapporteur voyait, « dans ce ramassis de déserteurs,

d’insoumis, une armée toute prête, non point à prendre les armes contre l’ennemi du dehors, mais à s’insurger contré la société, la république et les lois ». III. Iteiiièdcs à l’insoumission. — La plupart des remèdes se déduisent logiquement des observations qui viennent d’être relevées.

r II faut mettre un à la campagne, implacable autant qu’inqiie, menée par l’école laïque, par les docleurs humanitaires et antimilitaristes auxquels on a laissé beau jeu pour exploiter l’ignorance. Et pour arrêter résolument ce débordement d’attaques antipatriotiques, il faut cesser de déchristianiser l’enfance et la jeunesse, restaurer en France ces écoles chrétiennes qui, au-dessus des droits, placent les devoirs.

u’Il faut écarter impitoyablement des amnisties qui, pendant dix ans, se sont succédé à jet continu, ces mauvais Français, traîtres à la Patrie.

3° La lacune de la loi du recrutement en matière d’insoumission a été comblée, pour l’avenir, par la loi du -il) mars 1909, et désormais les insoumis ne jouiront plus du scandaleux bénéUce de la prescription de leur délit au bout de trois ans. Pour remédier à la déplorable incohérence qui existe aujourd’hui eu matière d’insoumission, le législateur a le devoir d’assurer l’incorporation immédiate des jeunes gens régulièrement déclarés insoumis, mais ayant bénélicié, de ce chef, soit d’une ordonnance de non-lieu ou d’un refus d’informer, soit d’un jugement d’acquittement, aux termes de l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 décembre 1910 ; de régler l’appel, dans les sections métropolitaines d’exclus, des individus qui, exclus de l’armée en vertu de l’art. ! , de la loi du 25 mars 1909, subissent une i)eine infamante dans une maison centrale, au moment de l’appel de leurs camarades ; d’assurer l’accomplissement intégral de leurs deux années de service par les jeunes gens résidant à l’étranger au moment de l’appel de leur classe, et auxquels la loi accorde des délais qui vont jusqu’à six mois, avant de les déclarer insoumis. — Il importe que l’arrêt du Conseil d’Etat ne fasse pas longtenq>s jurisprudence, et que les soixante mille cin<] cents déserteurs et insoumis, qui sont aujourd’hui passibles des Conseils de guerre, ne conservent plus l’espoir de se voir légalement dispensés du service auquel ils se sont dérobés. Tandis que les contingents diminuent, il serait scandaleux que la répression de l’insoumission demeurât illusoire.

4" Il faut maintenir la juridiction militaire sur les insoumis, et, au lieu d’abaisser les pénalités, comme le conseille un faux sentimentalisme, les rendre plus sévères.

— Cet article était imprimé quand les mêmes faits furent portés à la tribune de la Chambre des députés dans la séance du 29 novembre 1912 par M. Messimy, ancien ministre de la guerre. En dénonçant la pro|iagande antipatrJotique de la C. G. ï., dont le .Sou du soldat est le principal organe, M. Messimy s’efforça de mettre hors de cause l’école laïque. Mais l’adhésion donnée au Sou du soldat par les instituteurs syndiqués, au congrès de Chambéry, sans parler d’.iutres symptômes, rendait la tâche singulièrement dillicile. Voir le Journal of/iciel du 30 novembre, p. 2878 a 288 ;.

Fénelon Gibon.