Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Inspiration de la Bible

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 453-465).

INSPIRATION DE LA BIBLE. — L Croyance EN DES livres INSPIRÉS. — 1. Cliez Us Juifs. 2. Chez les Chrétiens.

II. Nature de l’inspiration. — I. Méthode à suivre. 2. Notions erronées proposées par des auteurs catholiques. 3. Notion orthodoxe, a) Ce 895

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qu’est l’inspiration en Dieu qui la produit. b) L’inspiration dans l’hagiograplie : i" dans sa volonté, 2° dans son intelligence, 3° dans ses facultés d’exécution, c) L’inspiration dans son terme, qui est le texte biblique lui-nicnie.

III. Etendue DE l’ixbpiratiox. — i. Inspiration totale du contenu de la Bible, a. Inspiration verbale.

IV. Critères de l’inspiration. — l. Critères insuffisants. 2. Critère traditionnel.

V. L’iNSl’inATION CHEZ LES PROTESTANTS. — I. LeS

débuts de la Réforme, a. Nationalisme biblique. 3. Positions actuelles.

l. Croyance en des livres inspirés. — i. Chez les Juifs. — La croyance au caractère sacré de certains livres est aussi ancienne que la littérature liébraïque. Moïse et les Prophètes avaient mis par écrit une partie du message qu’ils devaient transmettre à Israël de la part de Dieu. Or le nabi (prophète), qu’il parlât ou qu’il écrivit, était pour les Hébreux l’interprète autorisé des pensées et des volontés de lahvé. Aussi bien, l’appelait-on « l’homme de Dieu » ou encore

« l’homme de l’Esprit ». Osée, ix, ’j. C’est autour

du Tein])le et du Livre que se lit, après l’exil, la restauration religieuse et nationale du peuple juif. Néhéiuie et Esdras s’étaient préoccupés de bonne heure de collectionner les écrits des anciens prophètes, et Judas Macchabée en lit autant après la persécution d’Antiochus. Il Macch., ii, 13, 14- Trente ans plus tard, la collection comprenait trois groupes, qu’on appelait déjà des noms qui devaient leurrester : la Loi, les Prophètes, et les autres Ecritures. Cf. iE’cc/ ;., Prologue du traducteur grec. Il importe peu pour la question présente qu’à cette même époque (vers 130 av. J.-C.), le canon des Juifs d’Alexandrie ait été ou non plus complet que celui de leurs coreligionnaires de Palestine ; ce qui est sûr, c’est que les uns et les autres reconnaissaient à certains écrits un caractère religieux. Cf. Canon catuolujub, col. Ijlio 442.

Philon (de — 20 à-(-50) parle de « livres sacres », de « parole sacrée >i, d’ « Ecriture très sainte ». De vit. Mosis, iii, 23. Cf. H. E. Ryi.e, Philo and HoW Scripture, iSgS, p. xvi. Quant au témoignage de Fl.vvius JosÈi’iiE (S^-gô), il est plus caractéristique encore. C’est sous sa plume que l’on rencontre pour la première fois le mol d’inspiration (inirviia). « Nous avons vingt-deux livres renfermant une histoire de tous les temps et qui passent, à bon droit, pour être divins… De quelle vénération nous entourons ces livres, c’est ce qui est de soi manifeste. En elTet, après un si long laps de temps, personne n’a encore osé y ajouter, en enlever ou y changer quoi que ce soit ; mais on inculque à tous les Juifs, dès le berccati, de croire que ce sont là des conuuandements de Dieu ; de telle sorte qu’ils s’attachent tout d’abord à ces Livres, et savent mourir volontiers pour eux, quand c’est nécessaire. » Contra Apion., I, 8. Pourquoi cet attachement poussé jusqu’au martyre ? Le même auteur nous le dit : a Ce n’est pas au premier venu qu’il a été donné d’y mettre la main, mais aux seuls Prophètes, qui ayant appris les choses de la |)lus haute anti([uité par inspiration divine, ont aussi écrit clairement les choses de leur temps, comme elles se sont passées. » Ibid., I, ^,

La foi des Juifs dans l’inspiration de leurs Ecritures ne s’est pas alTaiblie à partir du jour où ils ont été disperses par le monde, sans Temple, sans autel, sans sacerdoce ; au contraire, elle est allée en grandissant, et elle a même fini par tenir lieu de tout le

reste. La Bible, parole de Dieu, qui seule a survécu à tant de catastrophes, demeure le suprême soutien des Israélites croyants.

2. Chez les Chrétiens. — L’Evangile ne contient pas de déclaration expresse sur l’origine et la valeur des Ecritures, mais on y voit que Jésus-Christ les a traitées comme la parole de Dieu, conformément à la croyance générale. La chose est manifeste dans le récit de la tentation du Christ au désert, dans l’entretien avec les disciples d’Eiumaiis, dans les discussions avec les Scribes et les Pharisiens. Ces paroles les plus décisives à cet égard sont rapportées par saint Jean, v, 39 ; x, 35. Dans la bouche et sous la plume des Apôtres, les mots Ecriture, Parole de Dieu, Esprit de Dieu, Dieu lui-même sont des tenues équivalents, qu’on peut échanger à volonté. En se servant des formules : // est écrit, l’Ecriture dit, ils entendent désigner quelque passage d’un des écrits tenus pour inspirés de Dieu ; et, par le fait, presque tous les livres de l’Ancien Testament (sept ou huit seulement font exception) sont cités par eux comme Ecriture. Saint Paul en appelle plus de quatre-vingts l’ois, d’une façon expresse, à ces " oracles divins dont Israël a reçu le dépôt ». Hom., m. 2 ; cf. ix, 4 Cette persua’sion des premiers chrétiens n’est pas simiilement l’effet d’une tradition juive acceptée de couliance et restée incomprise, saint Pierre et saint Paul en avaient donné la raison. C’est que u toute Ecriture est inspirée de Dieu » SicrvtyjTOs. II Tim., iii, iG. Aussi bien, la foi îles fidèles ne repose pas sur de « savantes fables », mais sur « un discours prophétique plus ferme |qne n’importe quelle parole hunuiiiie] ; car c’est sous l’impulsion de lEsprit-Saint {i-i TTji-i/uiKTîi ù/i’, j tfîp6u.vj-yt) que [dans 1 Ecriture] des hommes ont parlé de la part de Dieu ». Il Pelr., i, 20, 21. -V ne tenir compte que de la grammaire, on peut d<inner à SsoTr.’ivjT » ; un sens actif et traduire

« toute Ecriture qui respire Dieu », qui est animée

de son Esprit (cf. H. Crembr, Hibl. Theol. U’orterbuch der Seutestam. Griicitat, 1902^, p. 480) ; mais c’est un fait que les Pères grecs (qui devaient connaître leur langue) l’ont entendu au passif, comme fout les Pères latins. la version syriaque et notre Vulgate, qui traduit Untnis.'>criptura divinitus inspira ta.

Les Apôtres et leurs premiers disciples n’ont pas restreint l’inspiration aux livres quils tenaient des .liiil’s. Ils étendent cette prérogative à des textes de date récente et d’origine chrétienne. C’est déjà l’attitude prise dans la H’Pétri, iii, 15-16, à l’égard de » Epitrcs de saint Paul, et l’on sent que l’auteur de r.pocaIypse avait une conscience très nette de sa propre inspiration. Cf. i, 10, 11 ; xxii, 18, 19.

La tradition chrétienne a lidèlement gardé la croyance primitive dans l’inspiration de l’Ancien et du Nouveau Testament. C’est là un fait dont témoigne l’histoire du Canon. Des ouvrages spéciaux (P. Dausch, Die Schrifïinspiralion, 1891 ; Chr. Pbsch, De inspir..S’,.’^cripturae, 1906 ; p. 40-3^9) citent et discutent les textes du point de vue jiartioilier que nous envisageons dans le présent article. L’Iiistoire sullit à établir que, de tout temps, Juifs et Chrétiens ont cru à linspiration de la Bible, quaiil à la vérité (le leur croyance, elle repose sur les titres mêmes que le judaïsuie et le christianisme ont d’être tenus pour la religion véritable. S’opposer à cette prétention sous prétexte que toutes les religions ont regardé comme divins les textes qui racontent leurs origines et contiennent leur loi, c’est répéter le sophisme banal : il existe plusieurs religions, donc il n’en est aucune de vraie, ou bien elles le sont toutes également.

L’Eglise a toujours rangé l’inspiration de la Bible au nombre de ses dogmes. Dbnz.’", n. 348 (296), 421 897

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(367), 464 (386),

1809(1656).

706 (600), 783 (666), 1787 (1636)

II. Nature de l’inspiration. — i. Méthode à suhre.

a) Pour prociser lu nature de l’inspiration l)ibli<jue, nous avons les données traditionnelles à ce sujet, l’analyse du concept même d’inspiration et la teneur du texte inspiré. Tout le monde convient que dans l’étude du problème on ne saurait néf^liger l’un ou l’autre de ces éléments de solution ; mais reste à savoir dans quel ordre il convient de les envisager, et quelle importance relative leur donner. Les uns (les théologiens en général) partent des formules fournies par la tradition, savoir les Pères et les Conciles ; et ils en concluent, par voiede raisonnement, les conditions psychologiques et l’étendue de l’inspiration. Fra.nzelix, De div. Scripttiris, Thés. 11", 188’2' ; J. Brlcker, Questions actuelles d’Ecriture sainte, iSijb. p. losuiv. ; L’Eglise et la critique biblitjue, 1907, p. 38 ; Chr. I’bsch, De inspir. S. Script., Il, 11, 2. D’autres (surtout critiques et exégètes) jirétendent qu’en matière d’inspiration biblique « on ne peut rien dire a priori ». Il faut étudier à fond le texte de nos livres canoniques pour savoir ce qu’ils sont. Alors seulement… on pourra dire : Voilà comment ils sont inspirés ! » M. Dick, L’inspiration des J, ires saints dans la Re^ue biblique, 18y6, p. 488. Par l’emploi exclusif de l’un ou l’autre des deux procédés (ce que du reste personne ne propose de faire) on n’arrivera qu’à une analyse incomplète, et peut-être erronée, de l’inspiration. La spéculation pure aboutit facilement à une théorie rigide, incapable de se plier à l’état concret des textes. D’autre part, l’analyse littéraire et historique de ces mêmes textes ne révèle pas leur origine divine ; elle peut bien donner à connaître ce que n’est pas l’inspiration, mais, réduite à ses ressources propres, elle ne nous apprend pas en quoi elle consiste. Au reste, il est Taux de prétendre qu’ici on ne peut rien savoir antérieurement à l’étude du texte. Ce n’est ni de la critique ni de l’exégèse que partaient les Pères et les Conciles pour déclarer que Dieu est l’auteui- de l’Ecriture, que l’écrivain inspiré est l’instrument de l’Esprit-Saint. que le texte sacré est la parole de Dieu. Ces formules, qu’ils tenaient de la tradition même qui leur avait transmis la Bil)le, exprimaient déjà, encore qu’imparfaitement, la nature de l’inspiration. Cependant, comme les données traditionnelles primitives ne livraient pas une théorie achevée, l’analyse de l’inspiration est toujours allée en progressant. Elle peut encore gagner en précision et en certitude. A cet elfet, la théologie positive, la spéculation scolastique et la critique doivent se donner la main et travailler de concert. C’est à la théologie positive qu’il appartient de fournir le point de départ. En cours de route, dans les passages encore mal explorés. la scolastique fera de la lumière et du large, mais à la condition de prêter une attention constante aux indications de l’exégèse et de la critique.

b) Le cardinal Franzblis n’a pas peu contribué à accréditer parmi les théologiens catholiques le procédé d’analyse plus communément suivi de nos jours. Il consiste à rechercher ce qui est nécessaire, mais sullisant, pour que Dieu soit dit, en toute vérité, auteur de l’Ecriture ». Cela même, et cela seulement, constitue l’essence de l’inspiration. La raison principale de procéder de la sorte est qvic la formule Deus auctor.’<cripturæ revient habituellement dans les documents ecclésiastiques. Le concile du Vatican déclare que les livres énumérés dans le canon du concile de’Trente ci sont tenus pour sacrés et canonuiues, parce qu’écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint ils ont Dieu pour auteur ». Denz.’",

Tome II.

1787. Dans l’encyclique Pro^’identissinius Deus, après avoir décrit les divers moments que comporte l’inspiration divine, on ajoute ; « Sans cela. Dieu ne serait pas l’auleurdeloute l’Ecriture ». Denz.’", igS ?.. Il est vrai qu’objectivement Dieu est l’auteur de l’Ecriture parce qu’il l’a inspirée, et donc on explique l’inspiration par l’une de ses conséquences ; mais dans l’ordre logique, celui de nos connaissances, il est permis de remonter de l’effet à la cause. Ce procédé est d’autant plus sûr que nous sommes familiarisés avec la notion d’auteur. — D’autres cependant fout observer que cette notion est équivoque, surtout en latin, puisque le terme d’auctor peut signilicr garant, cause et écrivain. Dans ce dernier sens, Dieu ne saurait être dit l’auteur d’un livre que par ligure. Le divin Inspirateur, agissant en qualité de cause principale, fait « écrire » un texte par un homme, de manière à ce que dans les pensées de celui-ci nous comprenions ses propres pensées, autant que la chose est possible (cf. J.V. Bainvel, De Script, sacra, 1910, p. 120). Au contraire, en lisant Franzclin on est porté à se représenter Dieu déposant un livre tout fait dans l’esprit de l’écrivain inspiré. L’analyse de la notion d’auteur conduit facilement à exagérer le rôle de l’activité divine au détriment de l’activité liuiuaine. Pour ces raisons, des théologiens catholiques (Pègies, Lagbange, Zanecchia, Calmes) trouvent préférable d’envisager directement en elle-même la motion inspiratrice, de l’analyser d’a[)rès la théorie générale de la cause principale et de la cause instrumentale. ot lieue biblique, 1896, p. 199, 485 ; et 1897, p. 75. — D’autres enfin proposent de partir de la formule. Ecriture parole de Dieu ». Elle aurait l’avantage d’être plus couramment employée, sinon plus traditionnelle ; de ramènera une notion commune toute inspiration, soit écrite, soit orale ; d’avoir pour corollaire immédiat la garantie divine et par conséquent la canonicité ; enliii de se passer de figure. F. Prat, dans les Eludes, 20 mai 1903, t. XCV, p. 557.

Conclusion, i* Les trois formules proposées sont pareillement traditionnelles, et donc inattaquables du point de vue dogmatique. 2’^ Aucune ne saurait fonder, à elle seule, une analyse adéquate de l’inspiration biblique. 3° Toutes peuvent donner lieu aux abus signalés, quand on les envisageexcIusivement..S’il j’a auteur et auteur, il y a aussi instrument et instrument ; et Dieu peut parler de bien des manières. Or, il ne s’agit pas de trouver un mode d’inspiration possible, mais de déterminer, au moyen de données positives, le mode qu’il a plu à Dieu d’employer en effet. 4" Inspiration se dit par métaphore. Dieu n’est écrivain que par figure (synecdoque ou métonymie, comme on voudra), et l’Ecriture est sa parole sous les mêmes réserves. Tous ces anthropomorphismes doivent être entendus comme il convient. 5" Les divergences de vue à ce sujet tiennent plus aux controverses d’école sur le concours divin en général et la causalité instrumentale qu’aux exigences de la tradition et du texte biblique. Poussées au delà de certaines limites, elles dégénèrent en logomachie. 6" Le mieux est de tenir compte des trois formules à la fois, chacune révélant un aspect particulier de l’inspiration totale : l’activité souveraine de l’Inspirateur, l’assujettissement de toutes les facultés de l’inspiré, l’autorité divine de l’Ecriture.

r) Le théologien catholique qui veut faire de l’inspiration biblique une analyse correcte aura constamment devant les yeux les documents ecclésiastiques qui suivent. « Ces livres, l’Eglise les tient pour sacrés et canoniques, non pas parce que, composés par le seul travail humain, ils ont été ensuite approuvés par son autorité, ni seulement parce qu’ils contiennent

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la révélation sans erreur, mais parce qu’écrits sous l’inspiration de l’Esprit-Saint, ils ont Dieu pour auteur, et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Eglise. Coiicil. Vatican., sessio lii, Const. dogm. de Fide, cap. 2 ; Denz.’", 1787. — « L’Espril-Saint a lui-même, par sa vertu surnaturelle, excité et poussé les écrivains bibliques à écrire, et les a assistés pemlant la rédaction, de telle sorte qu’ils conçussent exactement dans leur esprit, et voulussent mettre fidèlement par écrit, et rendissent dans une expression juste, avec une infaillible vérité, tout ce que Dieu commandait et rien autre chose. Sans cela. Dieu ne serait pas l’auteur de l’Ecriture en entier. » Encycl. Pros’id. Deiis, Denz.’", iy52. — La proposition condamnée : « Us font preuve de trop de simplicité et d’ignorance, ceux qui croient que Dieu est vraiment auteur de l’Ecriture. » Decr. S. Officii Lameiilabili, prop. 9., Den/..’", 2009.

-a. Notions erronées proposées par des auteurs catlioliques. — a) L’approbation donnée par l’Eglise à un écrit d’origine purement liumaine ne saurait en faire, à elle seule, un texte sacré et canonique, c’est-à-dire une Ecriture inspirée de Dieu. Le sentiment contraire, timidement avancé par Sixte de Sienne, Bibliolli. sancla, 1566, p. io46, devait être repris, au xix" siècle, par Movbhs et Hanebekg. Le concile du Vatican l’a condamné expressément. La raison en est que l’Eglise ne peut pas changer la nature originelle d’un texte, mais seulement la déclarer authentiquement.

Celte opinion n’est pas à confondre avec l’hypothèse mise en avant parLEssius (1585), puis complétée et légèrement modifiée par UoNFHiiHB, Richard Simon, Nierenberg, Frasskn, etc., savoir « qu’un livre (tel qu’est peut-être le second des Macchabées), écrit avec les seules ressources humaines, sans l’assistance du S. -Esprit, devient Ecriture sainte, si le S.-Esprit témoigne subséquemment qu’il ne s’j' trouve rien de faux ». C’était, sous la [)luuie de Lessius, une pure hj’polhèse, n’envisageant pas l’inspiration biblique telle qu’elle existe en clfet, mais seulement un mode ]>ossible, et qui fut peut-être réel dans des Ecritures [)er<lues. Ensuite, il s’agissait de rapprol)alion du S.-Esprit lui-même et non seulement de l’Eglise. Bien que cette opinion n’ait pasétédirectementcondamnée par le concile (cf. Collecl. Lacensis Concil., t. VII, 1892, p. 140), elle n’en est pas moins erronée. Une inspiration de cette sorte serait subséquente, ce qui iin])lique contradiction ; toute inspiration proprement dite est antécédente par rapport à la composition du texte inspiré ; sans cela, Dieu, l’auteur principal, n’en aurait pas eu l’initiative. L’approbation subséquente donnée par Dieu à un livre pourrait bien lui conférer une autorité divine et, à ce titre, rendre croyable de foi divine tout son contenu ; mais cette approbation ne saurait empêcher que le texte ne reste une iruvre d’origine purement humaine. Or, aux termes de la doctrine catliolique, il ne sullit pas, pour qu’un livre soit regardé comme Ecriture, que Dieu se porte garant de la vérité de son contenu ; il faut en outre, el avant tout, que Dieu ait eu la part principale dans la composition même du livre.

h) L’inspiration biblique, même réduite à son minimum, par exemple dans les livres d’histoire, n’est pas une simple assistance donnée par Dieu aux écrivains sacrés pour les empêcher de faire erreur, comme

« l’avait pensé.Iaun, après Holdbn, Fgilmosbh, Chrisman.

n, et peut-être Richard Simon, t^ette assistance, appelée parfois, mais d’une façon inexacte, inspiration concomitante, reste purement négative, alors que l’inspiration consiste dans une action positive de Dieu, mettant en branle les facultés de l’écrivain sacré. L’Ecriture n’est pas divine seulcinentparcequ’elle rapporte

avec fidélité la parole de Dieu, savoir la révélation faite aux hommes par l’intermédiaire de Moïse, des Projjhètes, du Christ et des Apôtres ; elle est elle-même parole de Dieu, à raison de son origine divine. Il ne manque pas de documents ecclésiastiques dont on peut dire qu’ils contiennent sans erreur la vérité révélée, qui est parole de Dieu ; ils ne sont pas, pour autant. Ecriture insjiirée. Même si l’assistance accordée par le Christ à son Eglise, au lieu de rester purement négative "et préservatrice de l’erreur — ce qui sullit — devenait, en certains cas, un secours positif donné immédiatement par l’Esprit-Saint aux auteurs de la définition ecclésiastique, elle ne serait pas assimilable à l’inspiration biblique, encore que par une certaine extension du terme on pût la qualifier d’inspiration.

Les deux notions dont nous venons de parler pèchent par défaut, elles sont erronées parce qu’insuffisantes. Ceux qui les ont proposées se sont laissé égarer par une réaction excessive contre les théologiens qui confondaient l’inspiration avec la révélation. Les jésuites de Louvain, Lessius et Bonfrèrb, furent, vers la fin du xvi" siècle, les initiateurs de ce mouvement. Cf. Richard Simon, Hist. crit. du texte du A’. T., Rotterdam, 1689, p. 279.

3. Xntion orthodoxe. — On peut considérer l’inspiration en Dieu qui la produit (inspiratio actiia), dans l’homme qui en est l’objet (inspiratio passivo), dans le texte sacré qui est son terme (inspiratio termi natif a).

a) En Dieu qui la produit, l’inspiration est une do ces actions dites ad extra par les théologiens ; elle est commune aux trois personnes divines. Néanmoins, par appropriation, on l’attribue au Saint-Esprit ; soit à cause de l’analogie qu’elle a avec la troisième per sonne de la Trinité, qui procède par voie de spiration ; soit parce qu’elle appartient. exclusivement à l’ordre de la grâce. Cependant, les Pères apologistes du 11’et du m’siècles (S. Justin, S. IniiNKE, S.IIii’POLYTE) l’attribuent encore au Logos (Verbe de Dieu), ou même au Christ agissant par son Esprit. L’inspiration est une grâce, non pas de celles qui ont pour objet immédiat et essentiel la sanctification de celui qui les reçoit, mais dans l’ordre des grâces appelées, par antonomase, charismes ou ^ro/(s rfo/ae, parce qu’elles sont données, avant tout, pour l’utilité d’aulrui. Du reste, l’inspiration a cela de commun avec toute grâce actuelle, qu’elle est une participation transitoire de la vertu divine ; rhagiograi)he ne s’en trouve investi qu’au moment même où il s’occupe de la composition de son livre.

b) Considérée dans riioimue qui en est gratifié, rins])iration peut être orale, comme dans ceux des Prophètes ou des Apôtres qui n’ont rien écrit ; mais elle peut être aussi ordonnée à la composition d’un texte, et c’est le cas de l’inspiration biblique, la seule dont il s’agisse ici. Cette inspiration atteint la volonté, l’intelligence el les facultés executives de l’écrivain.

1" Sans une impulsion donnée à la volonté de l’hagiographe, on ne conçoit pas comment Dieu resterait encore la cause princi[)alc de l’Ecriture. L’homme, dans ce cas, en aurait eu l’initiative el elle serait son œuvre avant tout. D’ailleurs, le texte île S. Pierre (II » Petr., I, 21) est formel : « Ce n’est pas par un effet de la volonté humaine que s’est iiroiluile jadis la prophétie, mais c’est poussésparl’Esprit-Saintquedes liomines ont parlé au nom de Dieu. » Le contextefait assez voir qu’il s’agit directement de la prophétie écrite. D’après l’encyclique l’ruvid, Deus « l’Esl >rit-Saint a excité et poussé les écrivains sacrés à. 001

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vouloir nuUre lidèlement par écrit tout ce que Dieu entendait U’ur faire écrire ». De>z.'", iç)52. Ce concours divin donne à la volonté hiuuaine s’appelle impulsion ou motion. Par cette motion, Dieu attiinl-il immédiatement la volonté, ou bien la déciile-t-il par l’intermédiaire de motifsd’ordrc intellectuel ? La question est controversée. Ce qui semble certain, c’est que CCS deux modes, l’un physique et l’autre moral, sont possibles ; et il est vraisemblable qu’au besoin Dieu les aura emploj-és tous les deux. En outre, l’Esprit-Saint peut susciter ou simplement utiliser des inlluences extérieures capables d’agir sur la volonté de l'écrivain sacré. D’ajirés une ancienne tradition, S. Marc et S. Jean ont écrit leurs Evangiles à la prière des tidèles. L’impulsion donnée à la volonté ne se réduit pas à une excitation initiale, ni à un coumiandement d'écrire fait une fois pour toutes ; elle persévère jusqu'à l’achèvement de l’ivuvre : d’antécédente, l’inspiration se fait concomitante.

Que devient la liberté humaine sous l’influence de l’inspiration divine ? En principe, on convient que l’activité inspiratrice peut enlever à l’instrument la liberté de se refuser. En fait, ce n’est pas de cette manière que l’inspirateur a procédé. Dieu ne manque pas de moyens pour obtenir infailliblement le consentement libre de ses créatures. Il est pour le moins inutile de faire intervenir à propos de l’inspiration la querelle entre thomistes et molinisles sur l’eiDcacité de la grâce.

2° Décider quelqu’un à écrire, ce n’est pas encore endosser la responsabilité de son ouvrage, ce n’est pas surtout en devenir l’auteur. A cet elTet, l’inspirateur doit s’assujettir VinteUi^ence elle-même de l'écrivain, et, de la sorte, la faire sienne autant que possible. Ce n’est pas qu’il faille se représenter Uieu troublant ou contrariant le jeu normal des facultés intellectives de l’homme qu’il inspire, ni même lui révélant ce qu’il doit écrire.

Les théologiens s’accordent aujourd’hui pour distinguer entre l’inspiration et la révélation. Est-ceà dire que les anciens, surtout les Pères du iv siècle, les aient confondues autant qu’on le pré tend ? Il est permis d’en douter. Cette distinction était déjà implicite dans l’inspiration à degrés admise par Philon, De vita Mosis, III, 23 : Qiiis rer.dif, hères, 51-53 ; et dans la division de la Bible en trois parties d’après la gradation ascendante : Loi, Prophètes, Ecritures. De tout temps on a senti ce que saint Thomas (II^ II^"", q. 171, a. 5 ; q. 17^, a. 2, ad 3) devait expliquer à fond, savoir la différence qu’il y a entre Isaie écrivant : Hæc dicit Dominus. et l’auteur du second livre des Macchabées faisant contidence au lecteur des recherches qu’il s’est imjiosées pour la composition de Son ouvrage. Mais c’est surtout dans les commentaires des anciens que se révèle la diû'érence qu’ils mettaient pratiquement entre livre et livre, et même entre les diverses parties d’un même livre. C’est ainsi que saint Algcsti.v dit de saint Jean écrivant le prologue de son Evangile : « S’il n’avait pas été inspiré (entendons favorisé d’une révélation) il n’aurait pas parlé comme il a fait ; il se serait tu. » In Joan. Evang. tract, cxxiv. i, i. Au contraire, veut-il rendre compte des divergences qu’il rencontre entre les Evangélistes. il fait observer que l’auteur inspiré n’est pas arrivé, nonobstant ses elTorts. à reproduire les termes mêmes du discours rapporté, qu’il a du se contenter du sens. Aie cons. Evang., U, XII, 28. Le S. Docteur n’aurait pas parlé de la sorte s’il avait cru que toute inspiration emportait la révélation de ce qui était à écrire. Du reste, il sullit d’ouvrir l’Ecriture, pour s’apercevoir qu’elle contient nombre d’assertions conditionnelles et a|>proximatives. Si Dieu avait révélé à l’auteur des.clcs (11, : 51)

le nombre précis de ceux qui crurent au Christ Jésus après le premier discours de S. Pierre, pourquoi S. Luc se serait-il contenté de dire qu’ils étaient environ 3. 000? On n’arrive pas à se représenter Dieu révélant la parole de la consécration du calice d’une façon à saint Paul et d’une autre façon à saint Matthieu. Révélation et inspiration sont tellement distinctes qu’elles peuvent être séparées et, de fait, l’ont été assez souvent. Rien n’autorise à alliriner que sainte Thérèse était inspirée quand elle écrivait ses révélations. D’autre part, nous n’avons aucune raison de supposer que l’auteur des Actes a connu par révélation le contenu de son livre. Même quand il rapporte dans le troisième évangile l’enseignement révélé par N.-S. Jésus-Christ, S. Luc a conscience de le tenir immédiatement de la tradition, puisqu’il nous avertit de la diligence qu’il a mise à se renseigner exactement, i, ^-l^.

Dans l’intervention surnaturelle qui a pour but de donner à la connaissance de l’homme une autorité divine, saint Thomas, Quæsl. disp. de Verilate, q. XII, a. 7, dislingue deux degrés, et comme une double étape : la manifestation d’un objet nouveau (arceptio cognitorum), par exemple lessyndxjUsvus par Pharaon dans ses songes, ou par Raltliazar pendant le festin ; et le jugement à porter sur l’objet qui vient d'être manifesté (Jiidicium de acceptis), par exemple l’explication des symboles donnée jiar Joseph et Daniel. Les deux éléments réunis constituent la révélation proprement dite, comme celle accordée à Jérémie qui viteteomprilla signification des deux paniers de figues (xxiv). Le premier élément tout seul n’est qu’une révélation incomplète. C’est dans le second que consiste la motion inspiratrice proprement dite. Inspirntio cum jiidicio, sed sine acceplione, est proprie et vere iiispiratio di^ina, sed est qiiid iniperfectum in génère reielationis. » Zigliaba, Propædeulica, p. 147 ; cf. P. Lagrange, Hev. hilil., 18y6. p. 208.

Tout en admettant que l’inspiration est distincte de la révélation, des théologiens continuent à employer la terminologie des anciens qui n’ont pas donné à cette distinction une attention suffisante. Ils parlent de suggestion, de dictée et aussi de réiélation improprement dite. Pour être entendus correctement, ces termes ont besoin d’explication, et, même alors, ils prêtent à féquivoque. X cause de cela, il vaudrait mieux s’en abstenir. On dira que saint Thom.b (II » II » "", q. 171, a. ii, c.) ramène la simple inspiration à la prophétie, mais il a soin d’avertir que ce n’est pas l’expression d’un rapport exact d’espèce à genre (est quiddam imperfectum in génère proplietiae). Aussi bien, le saint Docteur fait observer que Dieu meut autrement l'àme du prophète et autrement l'ànie du simple liagiographe.

D’où que viennent les connaissances de l'écrivain inspiré, qu’il les doive à une révélation divine, ou qu’il les ait acquises naturellement, elles sont préliminaires, du moins logiquement, à son inspiration. . parler exactement, celle-ci n’a pas pour objet de lui apprendre du nouveau, mais de lui faire écrire avec une autorité divine ce qu’il sait déjà.. cet effet. Dieu, cause principale, se subordonne toutes les facultés connaissantes de l’homme pour leur faire accomi>lir les diverses opérations qui se produisent normalement quand quelqu’un entreprend de composer et d'écrire un livre : conception du plan, recherche des matériaux, élaboration de la forme, etc. La grâce de l’inspiration ne dispense pas de l’elTort, elle n’assure pas même la perfection artistique de l’o-uvre. Cette perfection n’est qu’accidentelle par rapport au but que se propose l’Esprit-Saint. Dieu a bien pu préparer de loin l’instrument dont il entendait se servir, mais au moment même il n’eu change pas les 903

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conditions. C’est la loi ordinaire et elle suffit à expliquer les différences du style qu’on relève entre les écrivains inspirés.

Dans ces conditions, quel est le rôle de l’influence inspiratrice sur rintelligence ? Grâce à elle, l’Iiagiographe porte un jugement certain, qui participe à l’autorité divine elle-raèrae, sur les choses qu’il doit écrire. A la rigueur, cette appréciation, qui est à la fois de Dieu et de l’homme, peut être limitée à l’ordre pratique, porter sur l’opportunité qu’il y a d’écrire ceci plutôt que cela ; mais indirectement, ou mieux implicitement, elle atteint la vérité spéculative elle-même, puisque, sous l’inspiration divine, l’esprit humain ne peut faire erreur. Le cardinal Zigliara explique comment cette analyse se vérilie dans l’hypotlièse d’un écrivain inspiré utilisant des sources écrites (hypothèse qui a été depuis autorisée par la Commission romaine pour les études bibliques, Denz.’", lygy). « In hypothesi præexistentium documentorum, hæc niateriatiter solummodo considerari possunt, sed formaliter siini mosaica : quia licel (in hypotliesi)Iiumano more accepta, nonlamen humano more, sed ex diviiia inspiratione sunt a ^ioyse jiidicata et inserta suis libris. » Propædeut’ua, I. III, c. IX, 4. — S’il n’y a que citation, sans élal)oration proprement dite du document, le texte introduit de la sorte dans la Bible ne devient pas « parole de Dieu », l’inspiration se bornant ici à assurer l’exactitude et l’opportunité de la citation. Le vers d’Epiménide Creleitses semper mendaces, m/iliie hestiae, ventres pigri, reste un texte profane même dans l’épltre à Tite, i, 12. Quant à la vérité objective de la citation, elle n’est garantie par l’Ecriture que dans la mesure ou l’auteur inspiré lui donne son approbation. L’approbation peut être expresse, comme dans ce passage cité de saint Paul : » Testimonium hoc veriim est » ; mais parfois elle est seulement tacite ou équivalente. Il est clair qu’en citant le vers d’Aratus : Ipaius enim et geniis suinus (Act., Ti.vii, 28), l’Apôtre entend y trouver une preuve de sa propre assertion : « In ipso enim -ii’imus, et moyemiir, et suniiis. » Voir Inkrrancb, col. jôa-^ô.’i.

Saint TuoMAS, Il> II » ", q. 171-175, donne à l’inspiration, en tant qu’elle agit sur l’intelligence, les noms de lumière. A’illumination ox encore de mo((o «. Quand Dieu enveloppe de sa vertu surnaturelle une faculté, c’est pour la perfectionner dans la direction même de ses opérations naturelles. Or, dans toutes les langues on a recours à la comparaison de la lumière pour faire comprendre les propriétés et les énergies de l’intelligence. Disons donc, a près le saint Docteur, que l’inspiration est une « lumière divine », dans laquelle et par laquelle l’esprit de l’écrivain sacré conçoit exactement l’ieuvre que l’Esprit-Saint entend produire par son moyen. C’est avec raison qu’on parle aussi de

« motion « , puisque Dieu meut réellement sa créature

en se l’associant en vue d’opérations qu’elle ne saurait produire laissée à ses propres forces. Il se subordonne les facultés de l’écrivain connue l’agent principal fait son instrument, de manière à ne plus former avec lui qu’une cause adéquate. Le danger est ici de se représenter la motion inspiratrice comme une invasion de l’àme humaine par une force venant du dehors. Sans doute. Dieu est distinct de l’àme et. à ce titre, l’homme inspiré se trouve placé sous l influence d’une activité étrangère ; mais l’agent ne lui est pas proprement extérieur. Subslanliellement présent et intérieur à tout être. Dieu s’unit son instrument dans vine intimité dont aucune comparaison ne saurait donner la juste idée. Il n’inspire pas Ihagiographe coniTne fait l’homme qui suggestionne son sendjiable au nuiyen de paroles extérieures ou d’impressions sensibles, il n’a pas même besoin d’entrer

chez lui puisqu’il y est déjà. Dire que la pression divine fait jaillir de l’àme humaine l’œuvre inspirée comme notre pied fait sourdre de la terre une source encore latente, c’est exprimer avec assez de bonheur les préparations subeonscicntes que la providence de l’Inspirateur a bien pvi se ménager ; mais la comparaison est devenue suspecte (et à bon droit) à cause. de l’abus que les sentimentalistes protestants et les modernistes en font.

Une inspiration qui n’étend pas le champ des connaissances de l’hagiographe, qui s’insinue dans son âme d’après le jeu normal de ses facultés, qui peut même décider sa volonté par des motifs d’ordre humain, ne se révèle pas nécessairement à la conscience de celui qui en est favorisé. Si les Prophètes, l’auteur de r.pocalypse et saint Paul (du moins par endroits) savent et disent que leur plume est conduite par l’Esprit de Dieu, d’autres auteurs inspirés semblent plutôt avoir été menés « par une influence mysté-, rieuse dont ils ignoraient on ne démêlaient pas bien lorigine ». S. Augustin, fle Genesi ad lilt., II, xvii, 37, P. /,., XXXIV, 278. C’est ce que saint Thomas, II" 11<’, q. 17 1, a. 5, appelle c( l’instinct prophétique ». Cependant, la plupart des théologiens admettent que l’hagiographe a eu d’ordinaire conscience de son inspiration. Cette conscience ne va pas sans quelque révélation. Se sentir avec certitude sous l’influence d’une grâce extraordinaire, n’est-ce pas recevoir de Dieu même l’assurance qu’il est présent ?

D’où il suit que l’inspiration divine n’emporte pas nécessairement l’extase, comme l’avait pensé Philon, et après lui les Montanistes. Il est vrai que quelques-uns des apologistes chrétiens du 11’siècle (Athkna-GORK, TiiiioPiiiLB d’Antiocub, S. Justin) ont, dans leur description de l’inspiration, subi quelque peu l’influence des idées alors courantes parmi les païens sur la divination.’Volontiers, ils font de l’écrivain sacré un instrument tout passif, à l’instar de la Pythie et des Sibylles, comme si son rôle s’était borné à enregistrer le message divin. Mais s’ils ont donné à l’inspiré un rôle trop mécanique, ils n’en ont pas fait un énergumène. Et ici, il serait puéril de presser la comparaison employée par les anciens, quand ils disent que l’écrivain sacré a été la lyre ou l’archet de l’Esprit-.Saint. L’intervention divine, si on en a conscience, peut bien répandre une certaine « horreur » dans l’àme (Dan., vii, 15) ; elle ne jette pas dans le délire. Quelle différence entre les prf)phètes de Dieu et ceux de lîaal, entre le Psalmiste et Balaam, ou encore la pythonisse d’EndorI

3° L’ol)jet intégral de l’inspiration biblique élant non pas seulement de concevoir mentalement la parole de Dieu, mais de lui donner une expression écrite, il va sans dire qu’elle devra étendre son influence aux facultés d’exécution : la mémoire, l’imagination, et même les organes qui contribuent plus directement encore à la composition matérielk- d’un livre. D’après l’opinion que l’on se fait de l’étendue de l’inspiration (voir ci dessous, col.go6).on se représente dilféremment cette influence : par action directe ou simple assistance. Quoi qu’il en soit, ce même secours s’étend, dans la mesure convenable, à tous ceux qui collaborent avec l’auteur principal. Nous savons par leur propre texte que.lérémie cl saint Paul dictaient à des secrétaires. D’aiitrc part, la tradition et la critique littéraire s’accordent pcuir regarder certains écrits du Xouveau Testamenl (l’cpitre aux Hébreux, les épiires de Pierre et peul-èlre d’autres encore) comme l’œuvre commune d’un auteur et d’un rédacteur. La divisiliilité de la grâce d’inspiration n’a rien que de très compréhensible.

c) Considérée dans son terme, l’inspiration n’est 905

INSPIRATION DE LA BIBLE

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rien autre chose que le texte biblique lui-niêrae. Ce texte, Uieu le destinait, en l’inspirant, à son Ejjlise qui devait le reconnaître autlienticiueaient comme sa parole et en faire une règle de loi. Celte destination est essentielle. Sans elle, un livre, même inspiré, ne saurait jamais devenir canonique, faute d’appartenir au (li’pùt de la révélation publique.

Pour fondée et importante que soit la distinction entre ins[)iration et révélation quand il s’agit d’analyser la psychologie de l’auteur inspiré, elle n’autorise |)as à faire deux catégories des textes bibliques, couime s’il y en avait de plus inspirés, de plus divins les uns que les autres. L’Eglise n’a jamais distingué dans le Canon des livres proprement canoniques et des livres ecclésiastiques (bien que cette terminologie puisse se réclamer de certains passages de saint Jéhùme et de Rufin) ; elle n’admet pas davantage qu’à la suite de Jau. et de Loisy on maintienne une dilférence d’inspiration entre les livres protocanoniques et les livres dits deulérocanoniques. Cette distinction n’a qu’un intérêt historique, surtout après le concile de Trente. Voir Canon CATUOLiiiUK, col. 439.

Bien que tout le contenu de la Bible n’ait pas été a révélé » à ceux qui l’ont écrite, pour nous qui la lisons son texte est d’un bout à l’autre la « parole de Uieu ». A ce titre, nous lui devons notre foi. Tout hagiographe est un prophète au sens large mais réel du terme, c’est-à-dire un interprète de Uieu auprès des hommes. Dans ses discours, nous entendons la voix même de celui qui l’inspire. C’est là une façon de voir traditionnelle. Mais, il faut bien convenir qu’il n’est pas facile de dire clairement en quoi consiste et jusqu’où s’étend l’équation qu’elle suppose entre le « texte biblique » et la « parole de Dieu ». Aux xvi’et xvn’siècles, des théologiens (H. Hoi.den, Divinæ fidei analysis, 1652, 1. I,.^j ; 1. 11, 1, 3 ; Ph.-N. CuuisMANN, IlegiiUi fidei cathoticae. i^iJS, c. 11, 50-51) avaient déjà posé le problème, mais sans lui donner une solution heureuse. Ue nos jours, la question a été reprise et traitée en sens divers. Pour suivre cette controverse, il faut lire d’une part UinioT, Traité de la Saillie Ecriture d’après Léon Al//, 1894, p. 231, et dans /ietiie de Lille, janv. 18g.5, p. 225 ; Laghanok, dans la Hevue biblique, 1900, p. 1 38- 189 ; Girkkd, dans Annales de pliilosopUie chrétienne, juill. 1898, p. 410-i’3 ; BoNAc.consi, Qiiestinni hibliclie, 1904, p. 203 ; et d’autre part : Vacant, Etudes thénlngii/ues sur les constitutions du Concile du Vatican, 18y, 5, 1. 1, p. 507-516 ; (’iHANDEHATii, dans Dsr KatlioUk, 1898, II, p. 289, 383 ; ViNATi, dans Dii’us Thomas^ 1886, n^, p. 53 ; EoaBR.Strei/lichter iiberdie freiere /iihelforschung, 1899. Dans une voie moyenne, on rencontrera Nisius, Zeitschrift fiir liatholische Théologie {Inn^hruek), 1897, p. 155 ; 1899, p. 185, et dans Kirchliche Lehrgenalt und Schriftauslegting, 1899, cahier Il et m ; J.-V. Bainvel, De Scriptura sacra, 1910, p. 107.

On peut penser qu’une analyse précise et adéquate ~de la formule traditionnelle, mais sommaire, l’Ecriture est la parole de Uieu » reste encore à faire. Ce qui rend cette analyse ditlicile, c’est la complexité du contenu de la Bible, oii se lisent beaucoup de détails qui n’ont qu’une connexion assez lointaine avec l’objet propre du texte sacré. En outre, comment démêler la portée réelle de tant de paroles rapportées dans le texte sacré, qui ne sont, du moins directement, ni de Dieu, ni de son hagiographe ? Le P. ConNRi.v, Hist. et crit. Introd. in Itrius/pie Testamenti lihros, t. I (1885), p. 57^1, sentait bien la difficulté quand il écrivait :.( Certum critérium e.r quo omnia omnino verhn relata, num pro divinis accipienda sint, cum certudine judicarclur^ nullum inve nitur. » D’autre part, on ne doit pas perdre de vue que toute recherche dans cette direction n’aboutira à des conclusions acceptables qu’à la condition de respecter les deux propositions suivantes, qui sont théologiquement certaines, i » Toute assertion de l’écrivain inspiré est une assertion divine. 2° Les distinctions entre « révélé et inspiré », « revelata per se et re^’elala propter alia », « res fidei et morum », etc., ne sont ici recevables qu’autant qu’elles respectent la nature et l’étendue de l’inspiration.

III. Étendue de l’inspîratioa. — Il ne s’agit pas ici de savoir si tous les livres canoniques sont inspirés dans toutes leurs parties, même dans les fragments dont on a contesté l’authenticité. Cette question, qui concerne l’étendue et l’intégrité du canon, a déjà été traitée dans l’article Canon CATuoLiQiii, col. 442 sqq. ; 451 sqq. C’est de l’étendue de l’inspiration elle-même qu’il s’agit présentement.

1. Inspiration totale du contenu de la /iible. — Depuis la renaissance des études bibliques, il s’est toujours rencontré des écrivains catholiques pour limiter l’inspiration aux enseignements dogmatiques et moraux ; à l’exclusion de tout ce qui, dans le texte biblique, a traita l’histoire profane et aux sciences de la nature. Tout au plus reconnaissaient-ils à ces portions de l’Ecriture une inspiration inférieure qui n’exclut pas l’erreur. C’a été, avec plus ou moins d’assurance et quelques divergences accidentelles, le sentiment de Holden (1652), de Rohlino (1872), de Fr. Lenormant (1880) et de S. oi Bartolo (1882). En prenant cette position, ils pensaient se libérer une fois pour toutes de la plupart des difficultés soulevées contre l’inerrance biblique. Le cardinal Newman (Tlie Nineteenth Centurv, févr. 1884, traduit dans ie Correspondant, mai 1 884) proposait, à l’état d’hypothèse provisoire, de soustraire à l’inspiration les obitrr dicta. Au reste, il définissait mal la nature et l’étendue de ces choses « dites en passant ».

L’Eglise a invariablement découragé toute tentative pour restreindre l’inspiration des Livres saints. Ce fut d’abord la mise à l’Index des ouvrages de Fr. Lenormant (L.es origines de l’histoire), et de S. di Bartolo (/ crileri teologici) ; puis sont venues les condamnations doctrinales. En 18g3 (dans Le Correspondant, 25 janvier), Mgr d’Hulst, alors recteur de l’Institut catholique de Paris, s’étant fait le rapporteur bienveillant de l’opinion large sur l’étendue et les conséquences de l’inspiration, la réponse de Rome ne se lit pas attendre. Ce fut l’encyclique l’rovidentissimus Deus. Léon XIII y disait : « U ne sera jamais permis de restreindre l’inspiration à certaines parties seulement de la Sainte Ecriture ou d’accorder que l’écrivain sacré ait pu se tromper. On ne peut pas non plus tolérer l’opinion de ceux qui se tirent de ces difficultés en n’hésitant pas à supposer que l’inspiration divines’étend uniquement à ce qui touche la foi et les mœurs, parce que, pensent-ils faussement, la vérité d>i sens doit être cherchée bien moins dans ce que Dieu a dit que dans le motif pour lequel il l’a dit. » Denz., igôo. Cf. 2011, la 11’des propos, du décret /.amentaliili. C’est qu’en effet l’opinion d’une inspiration restreinte va à rencontre de la tradition et de l’enseignement du théologien. Quant à la théorie dea ohiter dicta.e moins qu’on en puisse dire c’est qu’elle ne repose sur aucune raison convaincante ou même vraiment plausible. Son application, qui du reste ne va pas sans danger, est d’une mince utilité pour l’apologétique biblique. Cependant, à l’exemple d’auteurs recoramandables, nous nous abstenons de la déclarer condamnée par l’autorité ecclésiastique.

2. Inspiration verbale. — Depuis trois siècles, les théologiens discutent pour savoir si l’inspiration a 907

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présidé au choix des mots, ou bien si elle a été limitée au sens des assertions bibliques. Jusqu’à la fin du xvi’siècle, rinspiration verbale était enseignée dans l’Ecole. Les Jésuites de Louvain (voir ci-dessus, II, 2, /’) furent les premiers à réagir en soutenant " qu’il n’est pas nécessaire, pour qu’un texte soit Ecriture sainte, que le S. -Esprit en ait inspiré chaque parole, au sens matériel du terme ». Les protestations contre cette nouveauté furent si violentes que Bel-LABMiN, SCARFZ, etc. Crurent devoir adoucir la formule en disant que « tous les mots du texte ont été dictés par le S. -Esprit, eiflce qui concerne la substance », mais dilléremment d’après la condition diverse des instruments. Cette opinion est allée en se précisant toujours davantage, elle s’est débarrassée peu à peu de la terminologie qu’elle avait retenue de l’inspiration verbale, notamment du mot de dictée : ses progrès ont été si rapides qu’au début du xix’siècle on l’enseigne couramment. Le card. Frax-ZKLiN semble lui avoir donné sa formule définitive. Dieu a positivement inspiré le fond (en langue scolastique, veilnim formule), savoir les idées, les assertions, le sens ; tout le reste : mots, ordonnance des liétails, et en général ce qui concerne le style, la forme (en langue scolastique, lerhiim mnteriale) a dépendu uniquement de l’hagiograplie. Toutefois, dans son travail de rédaction, celui-ci a été assisté par une providence spéciale, dont le but était d’assurer l’expression exacte de la pensée inspirée. Si çà et là cette providence ne devait pas suffire, si le Saint-Esprit voulaitl’emploi d’un mot déterminé, qui ne fut pas à ce moment au pouvoir de l’iiagiographe. l’assistance se changeait en inspiration proprement dite ou même en révélation. Cf. DuTorguBT, Psychologie de l inspiration, dans les a Etudes i>, lyoo, t. LXXXV, p. 15g.

Depuis un quart de siècle, l’inspiration verbale retrouve des partisans, toujours plus nombreux. Ce regain de faveur a co’incidé avec la renaissance du thomisme. Seulement, les théologiens d’aujourd’hui, tout en retenant la terminologie des anciens, en ont passablement modifié l’opinion. Bien que certains d’entre eux parlent encore, en latin, de dictatio, il ne s’agit plus d’une dictée purement passive de la part de celui qui la reçoit, d’une dictée matérielle des mots à l’oreille, ni d’une révélation intérieure du terme à employer ; mais seulement d’une motion divine s’étendant à l’écrivain tout entier, même à ses puissances executives ; influant par conséquent sur l’œuvre entière, y compris la rédaction. D’après la théorie générale de la causalité instrumentale, le texte biblique est, à la fois, tout entier de Dieu et tout entier de l’homme, mais à des titres dilTérents ; tellement que vouloir y démêler un élément attribuable au seul hagiographe, c’est entreprendre un travail de vivisection. Il est vrai que les caractères personnels du style tiennent à l’écrivain inspiré, mais en tant que celui-ci est mù par Dieu qui l’inspire. Si habile que soit l’artiste, son œuvre se ressentira toujours de l’instrument qu’il a employé. Plutarque en faisait déjà l’observation à propos des oracles de la pythie. Cf. P. Pf.guks, O. p., dans la liet’ue thomiste, 1890, p. io5.

Les tenants des deux opinions en ont appelé pareillement à l’autorité de l’Ecriture et de la tradition, mais sans résultat décisif ; en définitive, il ne reste, de chaque côté, qu’un seul argument qui mérite considération. Le cardinal Franzklin raisonne comme il suit. Fournir à un secrétaire les idées d’une lettre en lui laissant le soin de la rédiger, c’est encore garder

droit suffisant à être dit l’auteur de cette lettre. Et donc, ce minimimi d’influence inspiratrice suffit à sauvegarder l’origine divine de la Bible. Pour

affirmer davantage, il faudrait un témoignage positif puisé aux sources de la révélation. Or, celle aflirmation n’existe pas. D’où il suit que nous n’avons pas le droit d’aflirmer la réalité de l’inspiration verbale, bien qu’en elle-même elle ait été possible. L’encyclique Proyidentissimus Ueus parle seulement d’assistance :

« ila scrihentibus adstitit ut ea omnia eaque

sala… » Denz.’", 1902.

C’est par la critique de cette argvimentation que les adversaires font valoir leur meilleure preuve. Une Ecriture, disent-ils, composée de la manière que l’on vient de décrire, serait encore, il est vrai, suffisamment divine ; on pourrait y distinguer entre le fond et la forme, pour attribuer celle-ci exclusivement à l’hagiographe ; mais elle n’aurait pas été obtenue par voie d’inspiration. La manifestation qu’un homme fait de sa pensée à un autre, en lui laissant la liberté de l’exprimer à sa façon, est un acte révélateur. Or, nous savons que, dans l’inspiration biblique. Dieu n’a pas procédé de la sorte, qu’il s’est subordonné physiquement les facultés de l’hagiographe pour les mettre en mouvement, peul-être même à son insu. Mais la cause principale meut l’instrument tout entier, tel qu’il est, avec ses qualités et ses imperfections. On peut ajouter qu’il est bien difficile de concevoir que Dieu fasse siennes les pensées de l’hagiographe, indépendamment de la connexion qu’elles ont de fait, dans son esprit, avec des mots déterminés. Enfin, on conçoit plus malaisément encore comment une inspiration dont le terme est la parole de Dieu écrite ne se serait pas étendue aux mots qui figurent en elTet dans le texte inspiré. La détermination du genre littéraire a-t-elle été laissée au bon ]dai- ; ir de l’écrivain sacré ? Si oui, il suffit de réfléchir pour se rendre compte de l’étendue du champ qui n’a pas été couvert par l’inspiration, surtout dans les compositions poétiques. Si non, comment l’influence insi)iralrice a-t-elle pu s’exercer sur cette détermination sans atteindre le style, étant donné que l’intention de Dieu à ce sujet ne s’est pas manifestée par voie de commandement ou de révélation ? A qui prétendrait qu’aux termes de l’encyclique Proxid. Deiis les écrivains sacrés n’ont écrit que ce que Dieu leur a « commandé » d’écrire (quæ ipse juberet, Denz.’", igôa), on répondra que le mot jubere est ici un synonyme de velle. L’hagiographe a été a assisté », mais reste à savoir si c’est seulement par une providence extérieure plutôt que par un secours positif donné à ses facultés.

Du point de vue apologétique, il est assez indifférent de s’attacher à une opinion plutôt qu’à l’autre. Tout le monde convient, en elTet, que les caractéristiques du style, dans les livres de la Bible, comme aussi les imperfections qui peuvent alTecter le fond lui-même, tiennent à l’hagiographe. Quant à l’inerrance du texte inspiré, c’est au divin Inspirateur qu’il faut, en définitive, la faire remonter ; et il importe peu que Dieu ait assuré la vérité de l’Ecriture, d’une façon plutôt que d’une autre.

IV. Critères de l’inspiration. — A quel indice a-t-on reconnu que certains livres étaient inspirés ? L’inspiration, étant une opération divine, n’est pas pour nous saisissable en elle-même. Nous n’avons pour la connaître que deux moyens : l’analyse de ses effets (critère interne), ou le témoignage de Dieu (critère externe).

I. L’inspiration ne se révèle pas suffisamment dans ses effets. — a) Le premier de ces elTets est la motion transitoire imprimée à l’hagiographe. Or, avons-nous déjà dit II, 3, b, <>). il peut se faire que l’activité inspiratrice se conforme tellement av. jeu normal des facultés de l’àme humaine, que celui qui en 909

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est l’objet n’en ait pas conscience. Mais mettons que l’écrivain sacré se sente sous l’inspiration divine, son téni()ignaj, ’e sulTira-t-il, à lui seul, pour la certifier à autrui, et surtout à l’Eglise entière ? Quelle preuve donnera-t-il qu’il n’est ni trompé ni trompeur ? En (lclinilie, il aura besoin d’un signe divin qui rende acceptable son témoignage. Du reste, s’il est Apôtre ou Prophète, cette attestation divine [lourra se ramener à la mission publique dont il se trouve déjà autbentiquenient investi.

/() L’etTet de l’inspiration le plus tangible et le plus durable est l’Ecriture elle-même. Encore que le contenu de la Bible soit un récit lidèle de la révélalion : doctrine, prophéties, miracles, etc, il ne s’ensuit pas de ce seul chef que le texte lui-même ait été écrit par inspiration divine (voir ci-dessus, II, 2, h). A n’envisager que son contenu, la première lettre de Clément de Rome peut soutenir avantageusement la comparaison a’see plus d’un livre de la Bible, et pourtant elle n’a pas été admise dans le Canon. En outre, antérieurement à la foi dans l’autorité divine de l’Ecriture, comment faire la preuve qu’elle contient toute la révélation et rien que la révélation, surtout si, avec les protestants, on n’admet, surce terrain, que le témoignage de l’Ecriture ? Enfin, tout eu convenant que la doctrine biblique, surtout dans le N. T., présente par sa plénitude, son élévation et sa pureté, un miracle moral, il faut bien accorder aussi que ce critère n’est pas à la portée de tous, à cause de sa complexité. En particulier, son insullisance est manifeste en ce qui concerne certains livres ou portions de livres de l’A. T., dans lesquels la conception de Dieu, de la religion, de la loi morale sont resléessi imparfaites que l’apologiste a quelque peine à les justifier. Du reste, si ce critère ne suflit pas à établir avec certitude le caractère inspiré d’un texte, il peut s’opposer victorieusement à ce qu’un livre soit tenu pour tel. Des erreurs manifestes contre la saine raison ou la vérité révélée déjà connue sont une preuve péremptoire que Dieu n’a pas inspiré le texte dans lequel on les rencontre.

c) Restent les effets du texte inspiré lui-même sur celui qui le lit. On aditque la Bible se révèle comme inspirée parce qu’elle est inspiratrice, en répandant dans les âmes lumière et chaleur. Incontestablement, l’expérience, la tradition, S. Paul (Rom., xv, 4 ; II Tini., III, 16) s’accordent à attester l’utilité qu’il y a à lire l’Ecriture, la saveur qu’on y trouve. Mais l’expérience apprend aussi que cette elTicacilé du texte sacré varie avec les livres et les dispositions du lecteur. En vérité sont-ils nombreux ceux qui éprouvent plus de goût à lire le Lévitique ou les généalogies des Paralipomènes que l’Imitation de Jésus-Christ ? La lecture du Coran procure au mahométan une émotion religieuse parfois très intense. S. Augustin atteste qu’il fut excité à l’amour de la Sagesse incréée par la lecture de l’Hortensius de Ciccron, et qu’à ce moment même, il ne se sentait aucun attrait pour la Bible, à cause de la simplicité de son style. Cnnfess., III, iv et v.

d) Pour suppléer au manque d’attrait naturel, on en a appelé à une illumination de l’Esprit-Saint dans tout lidèle qui aborde, avec bonne volonté, la lecture de la Bible. Sans contester que Dieu ne puisse secourir de la sorte et qu’il ne secoure en elTel parfois notre faiblesse, l’expérience prouve que cette intervention reste extraordinaire ; tout le monde, luéme parmi les ànies de bonne volonté, ne se sent pas, en ouvrant la Bible, envahi par le Saint-Esprit. S. Augustin lui-même avoue avoir été rebuté par la

lecture d’Isaïe au début de sa conversion. Confess., IX, v. L’étude des Ecritures a toujours été réputée une des plus difliciles en théologie. Dans la primitive Eglise, on regardait comme l’efTet d’un charisme extraordinaire de les comprendre et de les expliquer excellemment. Enlin, il n’est pas vraisemblable, mais tout à fait contraire à l’économie de l’.^ncien et du Nouveau Testament, que Dieu ait voulu assurer la vérité et l’intégrité de la foi publique par une révélation immédiate et privée. Le péril d’hallucination et de fanatisme est ici manifeste, et l’histoire nous apprend qu’on n’a pas toujours réussi à l’éviter. Voir à ce sujet l’anglican F. W. Far-RAR, llislory of inierpretatiun of tlie Bible (London, 1886).

2. Critère traditionnel. — Le critère positif et adéquat de l’inspiration est le témoignage de celui qui en est l’auteur. Or, tout témoignage proprement divin se ramène en déllnitive à quelque révélation. La révélation immédiate et privée une fois exclue, il ne reste plus qu’à parler d’une révélation d’ordre public, c’est-à-dire adressée à tous par l’intermédiaire d’un légat divin et soumise au contrôle officiel de l’Eglise. Parfois c’est l’écrivain lui-même, déjà investi d’une mission divine permanente, qui atteste sa propre inspiration. C’est le cas de l’Apocalypse (i, 3 ; xxii, 18), et vraisemblal)lementdes Prophètes de l’Ancien Testament. La tradition est silencieuse sur la manière dont fut tout d’abord manifestée l’inspiration des autres livres. Si l’on met à part une tradition contestable sur l’origine du Quatrième évangile (consignée dans le fragment dit Canon de Muratori, lin. lo), rien de positif n’autorise àaffirmerqu’il y ait eu une révélation expresse pour chaque livre en particulier. Dans leurs controverses surlacanonicité de certains textes (l’Apocalypse, l’épitre aux Hébreux, les Epltres catholiques), les anciens (m’et iv<’siècles) en appellent déjà à la tradition ecclésiastique à leur sujet. Mais la tradition ne fait que transmettre une croyance initiale. Comment a commencé cette croyance ?

Pour l’Ancien Testament, les chrétiens avaient le témoignage du Christ et des Apùtres, dont l’altitude vis-à-vis des Ecritures juives était une conlirmation authentique de la foi de la Synagogue. En ce qui concerne le Nouveau Testament, la chose est plus difficile à déterminer. Des auteurs (Uualdi, Schanz, etc.) estiment que la grâce d’inspiration faisait partie intégrante de la mission apostolique ; tout texte religieux sorti de la plume d’un apôtre devait être tenu à l’égal des anciennes Ecritures. Cette révélation générale faite une fois pour toutes aura été appliquée à chacun des livres canoniques à mesure que l’Eglise acquérait la certitude qu’il était bien l’œuvre d’un apôtre. Il n’est pas vraisemblable que l’on ait attendu jusqu’à l’apparition de la IT’Pétri, iii, 15, pour croire à l’inspiration des épîtres de S. Paul. Du reste, ce passage suppose que l’inspiration des Epîtres est déjà connue. Ce n’est pas à dire que l’origine apostolique soit un critère exclusif de l’inspiration. Tout écrit d’apôtre est inspiré, mais tout écrit inspiré n’est pas nécessairement d’un apôtre : témoin le second et le troisième évangile. Cependant, ces textes eux-mêmes peuvent se réclamer d’une origine apostolique médiate : ils ont été écrits par des disciples d’apôtre, et vraisemblablement Pierre et Paul ou tout autre apôtre ont rendu témoignage à l’œuvre de leurs évangélistes.

Cette opinion, pour plausible qu’elle paraisse, n’est pas courante ; elle a même contre elle le plus grand nombre des théologiens, notamment le cardinal Franzklin, p. 377-391. On peut, semble-t-il, retenir 911

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ce qu’il y a de recevalile dans les deux opinions, en disant que, si l’origine apostolique ne constitue pas un critère de droit, parce que la grâce de l’apostolat n’emporte pas nécessairement la grâce de l’inspiration, elle constitue du moins un critère de fait. Celle position a l’avantage d’expliquer pourquoi les anciens ont pensé pouvoir trancher la question de canonicité par celle de l’origine apostolique. Admettre ou contester l’origine johannique de l’Apocalypse, c’était, à leurs yeux, admettre ou contester sa canonicité.

3. Origine apostolique. — Quoi qu’il en soit, toiit le monde admet que l’origine apostolique est, du moins, un critère négatif, en ce sens qu’un écrit postérieur à l’âge apostolique ne saurait être inspiré. La raison en est qu’après les Ap6lres il n’y a plus de révélation publique à attendre ; avec eux l’objet de la foi catholique a clé constitué dans toute son intégrité. C’est la doctrine constante de l’Eglise, récemment rappelée, avec autorité, par la condamnation de la prop. 21’du décret Lamonlnhili. Dbnz.’", 2021. Or, l’Ecriture est une des sources de cette révélation ; par son origine divine, qui est un dogme de foi, elle rentre elle-même dans l’objet de la révélation publique. D’où il suit que tout livre canonique a dû être connu quelque part comme tel, au temps des Apôtres.

En dépit de la simplicité de sa formule, cette assertion reste assez indéterminée. D’abord, onnesait pas, au juste, le moment précis où les temps apostoliques Unissent. Ensuite, il est des auteurs qui se demandent si le terme d’apôtre doit s’entendre rigoureusement des Douze ; s’il ne peut pas convenir à ces hommes apostoliques, Evangélistes ou Pro])hètes, qui ont travaillé, à côté des Douze, à la fondation de l’Eglise. Le dernier auteur catliolique qui ait écrit â ce sujet avo>ie que c’est là une question encore incomplètement élucidée. A. Cbli.ini, Propædeulica hiblica, II (1908), p. 222. D’autres avaient déjà distingué ici entre la révclalion et sa consignation dans l’Ecriture. La révélation a pris fin avec les Apôtres, mais pourquoi leur enseignement, gardé tout d’abord par la tradition, n’aurail-il pas pu être écrit par un auteur inspiré après leur mort seulement ? L’objet de la foi catholique ne se trouve pas augmenté par le seul fait que sa transmission est assurée par un nouveau moyen. A qui insiste en disant que l’inspiration de ce texte, écrit après les Apôtres, a dû elle-même être révélée, on répond qu’il suflit à cet effet d’une attestation générale et implicite des Apôtres concernant l’inspiration de certains hommes qu’ils s’étaient adjoints en qualité de collaborateurs. Le témoignage historique, contrôlé par l’Eglise, suflisait à établir que tel et tel ouvrage était l’œuvre authentique de l’un de ces « écrivains apostoliques » ; et, de la sorte, la révélation implicite du caractère inspiré de leurs écrits devenait applicable à un livre déterminé, sans qu’il fût besoin d’une révélation nouvelle et expresse. Mais ce n’est encore là qu’une simple suggestion qui veut être conlirraée par l’enseignement de l’Ecole, et réserve les droits de l’Eglise.

V. L’inspiration biblique chez les Protestants

1° /.es débuts de la Béforme. — En faisant de la Bible la règle unique do leur foi, les Protestants furent conduits t(uit d’abord à renchérir encore sur l’idée d’une inspiration purcjuciit passive, assez communément reçue dans la prciiiière moitié du xvF siècle. Non seulement ils confondirent l’inspiration avec la révélation, mais l’Ecriture, fond et forme, fut consi dérée comme la révélation elle-même. Dieu y parlait au lecteur comme il faisait jadis sur le propitiatoire. De là une sorte de culte, que des protestants d’aujourd’hui traitent de bibliolâtrie. Au milieu des incertitvules, des imprécisions et des antinomies de cette première heure, où la Réforme, sans excepter Luther en personne, cherchait encore sa voie et son symbole, on constate une préoccupation constante, celle de relier indissolublement la croyance religieuse à la Vérité même de Dieu par le moyen de sa parole écrite. Les luthériens qui s’employèrent alors à faire la théorie protestante de l’inspiration furent MÉ-LANcmo. N, Chkmmtz, Quensted, Calov. a l’inspiration des mois, on ne tarda pas de joindre celle des points-voyelles du texte hébraïque actuel. Ce ne fut pas là une simple opinion des deux Buxtorf, mais une doctrine délinie et imposée sous peine d’amende, de prison et d’exil, par la Confession des églises suisses, promulguée en 16 ; 5. Ces dispositions devaient être abrogées en 172^. Les Puristes soutenaient que dans la Bible il n’y a ni barbarisme, ni solécisme ; que le grec du N. T. est aussi pur que celui des ailleurs classiques. On a dit justement que la Bible était devenue pour les Réformés un <i sacrement », ou encore un « pape de papier ».

C’est au xvu" siècle que commencèrent des controverses qui devaient, avec le temps, aboutir à la théorie de l’inspiration qui prévaut aujourd’hui dans les milieux protestants. Les agents de cette révolution furent précisément les deux principes générateurs de la Réforme : d’une part, la revendication, en faveur de toute àme humaine, d’un magistère de l’Esprit-Sainl, qui fût immédiat et indépendant de toute règle extérieure ; d’autre part, le libre examen ou l’autonomie de la raison individuelle dans la lecture et l’élude de la Bible. Aunom du premier i)rincipe, sur Iccpiel Zwinole avait insiste plus que Luther et Calvin, les Piélisles prétendirent s’alTranchir de la lettre biblique, qui était une entrave à l’action de l’Esprit. Un huguenot français de la première heure, Séb. CASTKLLioN(t 1563), avait déjà eu la hardiesse de distinguer la lettre de rEs])ril ; à son sens, l’Esprit seul vient de Dieu, la lettre n’étant que

« boile, gosse oucoquille de l’esperil ». Les Quakers^

les lidèles de Swedenborg et les Irvingiens devaient, dans cette direction, pousser, "iux limites extrêmes : la vraie révélation, la seule qui instruise et sanctilie^ est celle qui se produit sous l’inlluence immédiate de l’Esprit Saint. — Tandis que les Piélisles lisaient la Bible avec le seul secoursdc l’illumination intérieure, d’autres, et c’était le grand nombre, en demandaient l’intelligence aux recherches philologiques et historiques, auxquelles la Renaissance avait donné une impulsion décisive. Le principe du libre examen assurait à leurs investigations toute liberté ; elilsen prolitèrent. Les conclusions obtenues par cette méthode ne pouvaient qu’être fatales à la théorie de l’inspiration par révélation. Ses partisans avaient beau dire qu’il avait plu à Dieu de révéler de quatre manières dill’ércntes aux Evangélistes des paroles que le Christ n’avait, en réalité, dites qu’une fois, que leS.-Esprit avait varié son stjle selon qu’il dictait à Isaieouà Amos ; unepareilleexplication était unaveu d’impuissance à rendre compte des faits objectes. Aussi bien, Faust Socin (-j- 1062) avait déjà avancé que les mots et, en général, le style de l’Ecrilure n’étaient pas inspirés. Bientôl, après G. Calixt, Enscorius et GnoTius distinguèrent nettement entre inspiration et révélation. D’aj)rès ce dernier, il n’y a de révélé que les [)rophéties et les paroles de Jésus-ChrisI ; tout le reste esl simplement inspiré. Encore réduil-il l’inspiration à un pieux mouvement de l’âme. Cf. Yotum propace Ecclesiae, dans les Œuvres complètes(1679). 913

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III, 672. L’école arménienne de Hollande, représentée alors par J. Leclbuc, cl, en France, par L. Cai-rli.k, D.viLLK, Blondel, etc., s’engage dans la même voie. Uien qu’ils retiennent la terminoloj^ie courante, on sent déjà néanmoins que la formule : « la Bible est la parole de Dieu » va l’aire place à celle-ci : « la Bible contient la parole de Dieu ». Encore le terme de « parole » sera-t-il pris dans un sens équivoque.

2. liationiilisme biblique. — Malgré tout, la Bible restait encore la norme de la croyance religieuse, ("est à lui ravir cette prérogative que s’employa le viii « siècle. Dans l’assaut donné alors à l’inspiration divine de l’Ecriture, on distingue trois sortes d’adversaires.

(i) Les philosophes naturalistes, précurseurs de l’incrédulité moderne (Houbks, SriNoz.^, Woli) ; les déistes anglais (Toland, Collins, Wooi-ston, Tini >i, , Moroan) ; les rationalistes allemands (Rkimauus, Lessing) ; les encyclopédistes français (Vol-TAinK, Baylk) s’attachent à faire voir par tous les moyens, sans oublier les violences et l’ironie, l’absurdité qu’il y a à revendiquer une origine divine pour un livre, dans lequel on relève toutes les imperfections et les erreurs des textes humains.

fc) Les critiques appliquent à la Bible les méthodes que l’on emploie pour l’étude des textes profanes. Du point de vue littéraire et historique, ils arrivent à la même conclusion que les philosophes incrédules ; mais ils pensent rester croyants en distinguant dans la Bible l’élément religieux d’un élément d’ordre profane. Us abandonnent ce dernier à la libre appréciation de la critique historique ; quant à l’élément religieux ils prétendent le maintenir, mais avec des restrictions qui en altèrent profondément la valeur. D’après Skmlkr, le père du rationalisme biblicpie, Noire-Seigneur et les Apôtres se sont accommodés aux opinions erronées de leurs contemporains ; d’après Kant et Eichuobn, on doit regarder comme invention des Juifs tout ce qui ne s’accorde pas avec la saine raison. « La religion enfermée dans leslimitcs de la raison : voilà le point où venait aboutir ilans la philosophie de Kanl et dans la théologie de Wegscheider ce mouvement critique commencé avec Grolius et Leclerc. Le dogme de la théoimeustie plénière entraînait, dans sa ruine linale, la notion même de révélation. » A. Sai ! Atikr, f.es religions J’autoriié et la religion de l’Esprit, 190^-, p. 331.

c) Ces polémiques pUilosopliico-historiqucs sur l’autorité de l’Ecriture troublaient profondément les âmes religieuses. Beaucoup cherchèrent alors leur salut dans un des principes rais en avant par les premiers Réformés, notamment par Calvi.n, savoir que la certitude vraiment chrétienne vient du témoignage du Saint-Esprit. Il sulTil à l’homme de descendre dans son âme pour y trouver l’essentiel de la religion, qui est une vie, un sentiment et non une science. C’était le verdict de la philosophie alors en vogue, celle de Kant. Du point de vue religieux, il est bien inutile de disserter sur les titres extérieurs delà Bible ; faisons plutôt l’expérience morale de sa crtu intime. La Bible elle-même n’est rien autre cliosc que l’histoire des expériences religieuses faites par les Prophètes, le Christ et ses Apôtres, par la Synagogue et par l’Eglise. La vérité, la foi ne viennent pas du dehors, elles jaillissent de la conscience chrétienne. Or, celle conscience est éveillée et soutenue par le récit des expériences religieuses de ceux qui nous ont précédés. Qu’importe le jugement de la critique sur la vérité historique de ce récit, s’il pro duit sur les âmes une énuition salutaire ; il n’y a ici de vrai que l’utile ! L’inspiré n’est pas le texte, mais celui qui le lit. — La synthèse que nous venons d’esquisser est le point d’arrivée d’un mouvement dont Spknkr, Weslbv, les 1rkres Moravbs et, en général, les Piétistes avaient été les initiateurs ; mais dont ScuLEiERMAc.iiiiR(1568-1834) devait être, au xix’siècle, le théologien et le propagateur. Voir Critique biblique, col. 771.

3. Positions actuelles. — < ;) L’abandon des positions traditionnelles n’alla pas sans provoquer de la résistance ; un peu partout, il se produisit, dans la première moitié du xix » siècle, un mouvement de retour à l’ancienne conception de la Théopneustie, y compris l’inspiration verbale. On donna à cette réaction le nom de « Réveil «.Parmi ses principaux partisans, il faut citer le Genevois L. Gaussen ; en Angleterre, W. Lee ; en Allemagne, A. Dorner et, plus près de nous, V. Rohnert. Leur entreprise provoqua d’abord l’attention et la sympathie, mais elle devait échouer bien tôt devant une campagne de eontreréaclion, dont le but était d’achever 1 œuvre de Schleiermacher. Elle fut conduite par Alex. Vinet, Edm. Sc.herer et E. Rabaud en France ; Rich.RoTHE et surtout RiTscHL en Allemagne ; S. T. Coleridgk, F. D. Maurice et Matth. Arnold en Angleterre. A les entendre, l’ancien dogme de la Théopneustie n’est pas à réformer, il doit être abandonné en son entier. Cependant, au plus fort du combat, des professeurs d’Université, tels que E. Reuss, pratiquent librement la méthode historique ; ils ne nient pas l’inspiration, ils l’ignorent.

/*) Réserve faite des différences accidentelles, on peut ramener aux points suivants l’opinion actuelle des protestants dits progressistes, qui entendent néanmoins rester sufTisamment orthodoxes ou conservateurs. Elle est rei)résenlée en Allemagne par B. Wf.iss, R. F. Grau et H. Cremer, en Angleterre par W. Sanday, Cli. Gore et la plupart des « schoiars » anglicans, i* La théopneustie purement passive, mécanique, s’étendant aux mots eux-mêmes n’est plus soutenable. 2" L’inspiration a des degrés : suggestion, direction, élévation et surintendance ; tous les liagiographes n’ont pas été inspirés également. 3" L’inspiration est personnelle, c’est-à-dire donnée directement à l’écrivain sacré pour illuminer, stimuler et purilier ses facultés. Cet enlhousiasme religieux exalte les puissances de l’âme, comme fait toute grande passion ; il est d’ordre « spirituel >, plutôt qu’un secours donné directement à l’intelligence. Envahissement de l’homme tout entier par la vertu divine, l’inspiration biblique ne diffère pas essentiellement du don de TEsprit, fait à chacun des lidèles. 4° U y a, tout au moins, impropriété de termes à dire que le texte lui-même est inspiré. En tout cas, ce texte peut faire et fait elïectivement erreur, non pas seulement dans les choses d’ordre profane, mais encore dans celles qui concernent la religion, puisque les Prophètes et le Christ en personne n’ont pas joui d’une infaillibilité absolue. La Bible est un document historiiiue, qui, dans son ensemble, contient le récit anlhenlique de la révélation, le messager du salut. 5° La vérité révélée et conséquemment la foi quenous prenons en elle ne se fondent pas sur la Bible, mais sur le Christ en personne ; c’est de lui et par lui que le texte écrit dérive, en définitive, toute sa valeur. Mais comment atteindre la réalité lustorique de Jésus : son enseignement, ses institutions, si l’Ecriture aussi bien que la Tradition n’en donnent pas une représentation fidèle ? Question cruciliante ! Pour établir l’inspiration et 915

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Tautorilé divine de la Bible, les anciens Réfornirs i avaient remplacé le magistère ecclésiastique par les critères internes, notamment le témoignage intérieur de l’Espril-Saint et leflicacilé spirituelle du texte. La plupart des théologiens protestants conviennent aujourd’hui que ces critères ne sont ni scientifiques, ni surtout traditionnels : et, en tout cas, qu’ils sont insulfisants. Ils proposent, en conséquence, de les suppléer, sinon de les remplacer tout à fait, ]iar une démonstration rationnelle de l’autlienticilé et de la crédibilité sid>stantielle du texte biblique. La nouvelle méthode peut bien fournir un point de départ à la théologie fondamentale de la Révélation, mais elle ne saurait suffire pour la justilication intégrale du Canon, tel qu’il a été maintenu jusqu’ici dans les Eglises réformées. Aussi bien, des théologiens anglicans, tels que Gore et Sanday, en appellent volontiers au témoignage dogmatique de la conscience collective de l’Eglise universelle ; mais, ce faisant, ils rompent avec un des premiers principes de la Réforme, savoir l’autonomie de la conscience individuelle.

c) La position des protestants /ifce’raifjr (ce qui veut dire indépendants de tout dogme) est facile à préciser. La Bible est un texte comme les autres, ni inspiré, ni règle de foi. La croyance religieuse est toute subjective. Loin de s’appujcr à l’autorité dogmatique ou simplement liistorique d’un livre, c’est elle qui donne à ce livre sa valeur propre. Quand il s’agit de textes religieux, sans en excepter la Bible, l’histoire, — du moins ce que l’on croit vulgairement être tel — est, pour une bonne part, un i)roduil de la foi, qui a transliguré les faits. On peut bien dire que les auteurs de la Bible étaient inspirés, c’est-à-dire doués d’une perception sui)érieure des choses de la Religion ; mais cet enthousiasme religieux ne dilTère pas essentiellement de celui qui animait Pindare et Platon. C’est la négation de tout surnaturel, au sens reçu du mot aussi bien dans la Bible que dans la religion en général.

Néanmoins les lenantsdecette théorie se défendent d’être incroyants, surtout ils répudient le rationalisme froid du siècle dernier, fait exclusivement de négations. Ils pensent rester suffisamment chrétiens en relevant du n sentiment religietix », auquel leChrist a donné la plus parfaite expression encore connue. A la suite de KanI, de Schleiermacher et de Ritschl, ils professent unereligion alfranchie de tout intellectualisme philosophique et de toute preuve liistorique. Faits et formules du passé n’ont, à leurs yeux, qu’une valeur symbolique et transitoire. Telle est la théologie nouvelle propagée par les professeurs et les écrivains les plus en vue ; surtout en Allemagne, qu’ils soient historiens, exégètes, philologues, ou même pasteiu-s d’àmes. Il suffira de nommer Harnack, H.-J. HoLTzMANN, Fried. Delitzsch, Cheyne, Campbell, A. Sabatier, Albert et Jean Révillb. C’est de ce christianisme transformé que dérive le « modernisme » condamné par l’encyclique Pasceiidi.

Au sein du protestantisme moderne, la Bible est décidément déchue de la primauté que la Réforme lui avait si brujamment conférée ; déchéance fatale, qui devient tous les jours plus profonde ; déchéance irrémédiable, puisqu’elle est la conséquence logique du principe fondamental mis en avant par Luther et Calvin. Le libre examen devait, tôt ou lard, engendrer la libre pensée. Cf. A. Sabatier, les religions d’aulorilé et la religion de l’Esprit, 1904’-, p. 31J9-/403.

BiBLior.RAi’HiK. — Les manuels de Théologie fondamentale, comme aussi les Introductions générales à l’Ecriture sainte, contiennent, en général, un

traité de l’Inspiration biblique. Nous nous bornons ici à citer les monographies consacrées à la question.

I. Chez les catholiques. — i. Traités méthodiques : Fr. Schmid, De inspirationis liibliorum vi et ralione (Brixix, 1885) ; G. J. Crets, De divina liibliorum inspiratione (Lovanii, 1886) ; J. Didiot, Traité de la Sainte Ecriture d’après I.éon.’I/l(Pansi, ^ ! iy, J. Brucker, Questions actuelles d’Ecriture sainte (Paris, 1896) ; A. Vacant, Etudes théologiques sur tes constitutions du concile du Vatican, 1, p. 4^8 (Paris, 1895) ; C. Chauvin, /.’inspiration des divines Ecritures d’après l’enseignement traditionel et l’encyclique Providentissimus Deus (Paris, 1896) ; D. Zanecchia, Diiina inspiratio Sacræ Scripturae ad menlem S. Thomæ (Romae, 1898) ; Scriptor sacer (Romae, 1908) ; Th. Calmes, Qu’est-ce que l’Ecriture sainte.’(Paris, 1899) ; Em. card. L. Billot, De inspiratione Sacræ Scripturæ (Romae, igo3) ; S. Schiinni, Diviiiiias Scripturum adversus hodiernas novitates asserta et vindicata (Taurini, 190.")) ; Chr. Pesch, De inspiratione Sacræ Scriplurae(b’ih. Brisg., 1906) ; J.-V. Bainvel, De Scriptura sacra, (Parisiis, 1910). — 2. Histoire des opinions : P. Dausch, Die Schriftinspiration (Freib. im Br., 1891) ; K- Holzhey, Die Inspiration derheil. Schrift in der Auschauung des Mittelalters (Miinchen, 1895) et plus récemment dans Theologiche Monatschrift, Xlll.p. 476 (Passau, 1908) ; Chr. Pesch, Zur neueslen Ceschichte der Katholischen Inspirationslehre (Freib. im Br., 1902). — 3. Polémique : Mgr d’HuIst, la question biblique (dans Le Correspondant, 25 janv. 1893, Paris) ; S. Brandi, f.a questione biblicae l’encycl. Prov. Deus (Roma, 18q4) ; P. Lagrange, dans la Revue biblique (Paris), 189a, p. 563 ; 1896, p. 199, 496 ; P. Van Kasteren, dans les Studièn hollandaises, 1902, t. LVIII, p. 55 ; D’Clarke et P. Lucas, dans The Tablel, du 6 nov. 1877 au 5 févr. 1898 ; Fr. de Hummelauer, Exegctisches zur Inspirationsfrage (Freib. im Br. 1904) ; L. Fonck, Der Kampf um die If’ahrheit der heil, Schrift seit’J.’} Jahren (Innsbruck, igo.’i) ; L. Mèchineau, S.-J., l’idée du livre inspiré. Histoire et analyse, dans Itevue apologétique (Bruxelles) 1906 et 1907 (tiré à part, 124 p).

II. Chez les protestants. — i. Traités méthodiques : L. Gaussen, Théopneustie (Paris, 1842-), avec trad. angl., Plenary Inspir. of Hoir Scripture ; V. Lee, Inspiration ofllolv.S’cr//)( » re (Dublin, ! 854) ; C. A. Row, l’he Nature and Extant of divine Inspiration (1864) ; W. Rohnert, Die Inspiration der heil. Srhrifl und ihre Hestreiter (Leipzig, 1889) ; W.Sanday, The oracles of Gnd (hondon, 1891) ; W. Lotz, Ceschichte und 0/fenbarung im A. T. (Leipzig, 1893) ; R. L. Ottley, Aspects of the OUI Testament (London, 1895) ; J. Clilïord, The inspiration and autliority of the Bible (London, 1895) ; F. V. Farrar, The llible, its meaning and supremacy, (London, 1897) ; IL Cremer, dans la Heolencyclopddie fur priitest. Theol. und Kirrhe, IX, p. 183, (Leipzig, 1901). — 2. Histoire des opinions ; E. Rabaud. Histoire de la doctrine de l’inspiration dans les pays de langue française depuis la lié forme jusqu’à nos joursiParis, 1883) ;.1. A. Dornier, Ceschichte der protest. Théologie {’Slûnchen, 1867) ; F. W. Farrar, History of intorpretution (London, 1886) ; W.Sanday, Inspiration (liampton Lectures, London, 1898). — 3. Controverses et polémiques : F. W. Farrar, A clérical Symposium on the Inspiration (London, 1884) ; A. Sabatier, Les religions d’autorité et la religion del’Esprit, p. 255917

INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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407 (Paris, 190/, 2). — Le P. Gbr. Pescb, S. J., a exposé Ips oi>inions aclucUeinent en vojçue ]>armi les protestants dans Zeitsckrift fur Kalholische Theoloifie (Innslu-uck, igoi, p. 452, 5y4 ; et 1903, p. 8,).’Alfiea Durand, S. J.