Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Grâce (Fondements scripturaires)

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 168-178).

GRACE (FONDEMENTS SCRIPTURAIRES DE LA DOCTRINE DE LA).
I. Ancien Testament. — II. Evangiles synoptiques. — U. Epitres de saint Paul. — IV. Littérature johannine.

En abordant cette étude, il est nécessaire de préciser l’extension que nous croyons devoir donner au terme grâce. On accorde souvent à la grâce actuelle une importance qui s’explique, sans doute, par les grandes controverses historiques auxquelles ont donné lieu les différents problèmes s’y rattachant, principalement celui de sa conciliation avec la liberté humaine, mais qui paraît cependant disproportionnée à la place occupée par ce facteur dans l’économie générale du salut. L’élévation de l’homme à l’ordre surnaturel, voilà la grande, et en un sens, l’unique grâce ! La fin conditionne et détermine tous les autres cléments : si nous sommes destinés à la gloire, nous devons nous trouver dans la situation requise pour l’atteindre ; de là, la sanctification de notre nature, d’oi’i émanent à leur tour les forces surnaturelles d’action. En concevant ainsi cette doctrine, nous croyons être mieux placé pour mettre dans leur vrai jour la nature et le rôle de la grâce actuelle elle-même.

Notre exposé sera essentiellement positif. Nous avons en effet pour mission de montrer comment les grandes thèses de la théologie catholique relatives à la grâce s’appuient sur des fondements scripturaires solides ; nous n’avons pas à rechercher comment les conceptions bibliques elles-mêmes se sont élaborées, ni quelles influences ont pu s’exercer, ni quelle part revient strictement à la révélation divine : l’autorité doctrinale de la Bible est supposée. Toutefois, et ce résultat est appréciable au point de vue apologétique, le seul exposé méthodique des données scripturaires mettra en lumière la continuité de l’enseignement biblique à travers l’Ancien et le Nouveau Testament. Il y a progrès, sans doute, mais ce progrès apparaît comme un développement légitime, presque logique, sans heurt ni secousse. Les intuitions les plus profondes de S. Paul ou de S. Jean sur l’ordre surnaturel se rattachent intimement en réalité, et de l’aveu même de leurs auteurs, aux croyances religieuses d’Israël et à l’Evangile de Jésus. Nous sommes donc très loin de nous ranger aux côtés de ces critiques modernes qui proclament bien haiit la nécessité d’un retour au Jésus historique par delà les déformations pauliniennes et johannines. et prétendent expliquer ces déformations par les infiltrations helléniques et orientales dans le christianisme primitif.

Etant positif, notre exposé sera aussi par le fait même uniquement biblique, c’est-à-dire qu’il n’aura pas à se préoccuper des problèmes que pourraient susciter du point de vue philosophique ou psycholo325

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gique, les assertions de l’Ecriture. Nous enregistrons des réalités, nous essayons de les systématiser, mais non de les concilier avec des données hétérogènes. Ces problèmes ne nous intéi-esseraient que dans la mesure où ils seraient soulevés ou résolus par les Livres saints eux-mêmes.

1. Anciea Testament. — Le théologien qui regarde l’Ancien Testament des sommets du Nouveau, est surtout frappé de la profondeur de l’abîme qu’il découvre entre les deux, que de nombreuses et marquantes anlitlicsesl U’un côté, la crainte des serviteurs de Dieu, de l’autre l’amour des enfants du Père céleste. Là, un particularisnieétroit éloignant jalousement Israël de tout contact avec l’étranger ; ici, un large et bienfaisant universalisme, rassemblant en une même communauté tous ceux qui, sous quelque ciel qu’ils vivent et à quelque race qu’ils appartiennent, accomplissent la volonté de Oieu. D’un côté le formalisme rigide de la loi ; de l’autre, la sainte liberté qui l’ait de la bonne intention le centre de la vie religieuse. Ou encore, la peine du talion, en face du pardon des injures ; le pessimisme désolant, parfois à peine dissimulé, en présence de la joyeuse assurance du salut, fondée sur la parole de Celui qui a dit : « Ayez conliance, j’ai vaincu le monde » (Juuii., XVI, ii).

Certes, il y aurait tort à vouloir supprimer la distance qui sépare les deux économies, et cependant il faut reconnaître avec S. Paul et l’épîlre aux Hébreux que le Nouveau Testament, selon la formule du Christ, loin de détruire l’. cien, le vérifie

et l’accomplit. On y trouve, en elTet, les assises fondamentales de la doctrine que le Nouveau Testament mettra en ])leine lumière.

Mais peut-on parler A’une doctrine de l’Ancien Testament’.'Ne faut-il pas plutôt saisir cette doctrine et la formuler à chaque tournant de l’histoire, à chaque stade bien marqué de l’évolution théologique’.’C’est ainsi, vraiment, que devrait procéder le critique entreprenant l’étude du développement des conceptions religieuses d’Israël. Pour nous, supposant clos le canon de l’.A.ncien Testament, nous nous demanderons surtout comment un Juif, en systématisant les données éparses dans ses documents, devait se représenter l’économie du salut.

Une dernière distinction servira à dissiper toute équivoqiie. La question ne sera pas précisément de déterminer ce ([u’était en réalité la position du Juif vis-à-vis du salut, mais de Hxer ce que nous pouvons en connaître par l’Ancien Testament. Pour résoudre le premier problème, le Nouveau Testament, l’analogie de la foi ou la raison théologique pourraient peut-être suppléer à l’insulHsance des données de l’.Vncien.

La Genèse débute par une profession d’universalisme : dérivant d’un couple primitif unique, to)is les hommes sont frères et au même titre créatures de Dieu {Œil., i, a’j-aS). Elle nous montre avtssi l’intérêt spécial, la paternelle sollicitude de Dieu pour l’humanité comblée de grâces dès le premier instant. Si, en toute rigueur de termes, l’on ne ()eut déduire de l’expression : Dieu créa l’homme à son image (Geii., I, 2-), qu’.dam fut élevé à la sainteté conférée par la grâce sanctifiante, qu’il fut rendu participant de la nature et de la vie divines et destiné à être associé dans la gloire à la béatitude même de Dieu, si l’on soutient que de telles conceptions dépassent de loin l’horizon de la Genèse, il résulte au moins du tableau de la condition primitive de l’humanité, tracé dans les deux chapitres suivants, que l’iiomme fut élevé par Dieu à une situation extraordinaire, à laquelle, de par sa nature, il ne pouvait aucunement pré tendre. Adam est l’ami de Dieu, vivant dans son voisinage et conversant familièrement avec lui ; il aie don de l’immortalité et l’immunité de la concupiscence ; il est soustrait aux atteintes de la maladie et de la souffrance et passe son existence terrestre dans un lieu de délices (Gen., ii, m). Peut-on nous refuser le droit de voir dans cette description, la peinture simple et naïve de l’élévation de l’humanité à l’ordre surnaturel ?

La chute paradisiaque n’a pas brisé du coup toute relation de bienveillance entre le Créateur et la créature. Immédiatement après l’annonce du châtiment, vient la promesse du triomphe final : le genre humain, désormais en lutte avec la puissance du mal, finira par l’emporter ; la postérité de la femme meurtrira la tête du serpent(6’e «., iii, lo). Dans la suite, nous voyons Dieu continuer à s’intéresser au sort de l’homme et à ses vicissitudes, multiplier ses avertissements à Caïn et aux contemporains de Noé, punir les coupables par les eaux du déluge et renouveler au profit du juste Noé et de sa postérité, l’alliance conclue avec Adam à l’aurore du monde (Gen., VIII, 20-ix, l’j). Les autres livres de l’Ancien Testament nous montrent de même l’intérêt constant de lahvé pour le salut des nations ; c’est en particulier une des thèses auxquelles tient le plus l’auteur du livre de Jonas. Mais c’est surtout dans les écrits prophétiques et dans les psaumes que nous trouvons décrite d’une façon brillante cette participation de tous les peuples au salut messianique : « lahvé des armées préparera sur cette montagne un festin pour tous les peuples… Il déchirera sur cette montagne le voile qui enveloppait tous les peuples et la couverture qui couvrait toutes les nations. Il détruira la mort pour toujours » (Is., xxv, 6-8 ; cf. Is., ii, 2 ss. ; XLli ;.l/i’c/i., vil, 16 ss. ; Ps., XLVi, g s. ; lxiv, 6 ss. ; Lxvi). La condition de cette participation, c’est le retour à lahvé, la connaissance et l’adoration du vrai Dieu, et puiscjue concrètement et aux yeux des Israélites, cette conversion ne pouvait se faire sans l’aHiliation au Judaïsme, il s’ensuit que les païens ne seront admis à goûter les joies du royaume qu’en se faisant préalablement Juifs (Is., lvi, G-8, et dans le même sens Ex., xii, 47-49).

Si l’Ancien Testament nous montre la bonté et la grâce de Dieu se répandant sur tous les peuples, il n’est cependant, à proprement parler, que l’histoire des tendresses de lahvé pour Israël. lahvé, maître souverain de l’univers et des peuples, voyant l’humanité s’éloigner de lui toujours davantage et voulant pourtant la sauver en conservant au milieu d’elle son souvenir vivant, se choisit librement un peuple dont il ferait lui-même spécialement l’éducation religieuse. Israël serait un peuple saint, c’est-à-dire totalement consacré à Dieu : les individus seraient incorporés à la communauté de lahvé par la circoncision et la cène pascale, le sol serait sanctifié par les dîmes, les prémices et les sacrifices, le temps lui-même serait dédié à Dieu par les fêtes (£’.r., xix, 6 ; [.ev., XX, 8, 24 ; 6’en., xvii, 10 ss. : ^.r., xir ; xiii, i ; Deiit., xxvi ; E.r., xxxiv, ai ss.). L’Ecriture multiplie les termes pour indiquer les étroites relations qui s’établissent entre Israël et lahvé : Israël est la propriété, l’héritage, le fils, l’épouse de Jahvé, son Jesurun (Dent., XXXII, 15 ; xxxiii, 5, 26 ; Is., XLiv, 2). La grande grâce pour Israël, la source de toutes les autres consiste donc dans son élection par Dieu : il est devenu le peuple de lahvé ; c’est sur cette élection que reposent toute sa foi et toute son espérance, c’est sur elle que se fonde le salut.

L’élection est scellée par l’alliance. C’est au Sinaï que l’alliance proprement dite a été conclue entre lahvé et Israël. C’est là que Dieu, après avoir multi327

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plié les merveilles pour délivrer son peuple de la servitude d’Eg ; ypte, après s’être révélé comme l’auteur du salul, a proposé le pacte accepté par Israël avec une foi joyeuse (Ex., xix.). Mais la communauté juive fuit remonter bien plus haut le souvenir de ses relaliiins avec Dieu. Une alliance a été conclue avec Abraham, l’ancèlre de la nation, alliance dont le signe subsiste dans la circoncision (Gen., xvii). La création elle-même n’a-t-elle pas été ordonnée de façon à préligurcr les rapports futurs d’intimité entre Dieu et le ]ieuple de prédilection ? L’institution du sabbat juif est rapportée aux origines du monde (£(., XXXI, 13, 16, 17).

L’alliance est conclue en vue du salut. La délivrance d’Israël, voilà l’objet et le terme des promesses à l’accomplissement desquelles Dieu s’engage solennellement par le pacte. Au cours des siècles, la notion du salut ira en se précisant et en se spiritualisant, sans jamais pourtant se dégager complètement de tout élément matériel et national. Restreintes d’abord à la possession paciiique et heureuse de la terre promise (Ge «., xvii), les perspectives du salut s’élargiront et s’épanouiront insensiblement, et la terre de Chanaan ne sera bientôt plus que le type et la figure des félicités de l’avenir. Les prophètes envisagent généralement le salut comme la lin des épreuves présentes ou prochaines, comme l’affranchissement de la nation du joug de ses puissants ennemis, comme une ère de revanche et de triomphe, de prospérité et de paix.

Cependant les biens spirituels occupent déjà la première place dans leur prédication du salut : c’est le temps de la justice et de la vérité, du culte transformé et de la pure religion delahvé.Si Isaie envisage la communauté messianique comme un état juif, il la considère aussi comme une assemblée de justes sur laquelle reposent la liienveillance et la bénédiction divine (11, 1-9 ; xi). D’après Jérémie, les temps messianiques seront inaugurés par une nouvelle alliance qui déterminera les futures relations entre Dieu et son peuple (xxxi, 3 1 -34 ; cf. xxx-xxxiii). Ezéchiel introduit le royaume messianique par la ruine des nations païennes, mais il décrit aussi les temps nouveaux avec descaractères d’ordre spirituel(xxxiv, xxxvii, xxxix). Dans Daniel, lerègnedes saintss’ouvre avec le jugement du monde par Dieu, c’est la vie éternelle ; et cependant ce règne est encore à la fois nationaliste et transcendant : il est devenu une théocratie idéale qui n’est plus de la terre. Nous trouvons ainsi chez tous les prophètes, sous des traits nationaux, les caractères transcendants du royaume de Dieu. Le livre de la Sagesse et certains psaumes s’approchent davantage encore de l’Evangile.

Le salut et le royaume messianique sont deux quantités sensiblement identiques. Les prophètes ont rarement distingué un double avènement messianique, l’un préparatoire, l’autre définitif. Dans leur perspective, les distances se confondent et les deux ères messianiques se rapi)rochent souvent et se recouvrent.

L’auteur principal du salut, c’est Dieu, agissant conformément à ses promesses ; mais il se sert d’intermédiaires pour le réaliser. Moyse et David sont considérés comme des médiateurs ; les prophètes aussi, ces envoyés extraordinaires suscités aux moments de grande crise religieuse pour conjurer les apostasies, et maintenir vivantes les espérances messianiques. Mais le médiateur par excellence, c’est le Messie, soit qu’on le considère comme un roi délivrant le peuple de ses ennemis, soit qu’on entrevoie son rôle rédempteur (Is., 1, 111).

Après avoirdécrit l’objet de l’Alliance, demandons-nous quel en est le sujet. A qui les promesses sont elles adressées ? Au peuple d’abord ; c’est d’Israël que Dieu est le père, c’est Israël qui est le lils de lahvé (Ex., 1V, 22 ; Deut., Tiiv, I ; XXXII, 5-6 ; /s., 1, 4 ; xxx.g ; xLiii, 6 ; xLV, i 1 ; lxiii, 16 ; Os., i, io ; xi, i ; yer., iii, 4, 14, 19, 22 ; xxxi, 9, 22 ;.Mal., 2, 10). Les promesses concernent donc le peuple, la postérité d’Abraham. De là, l’origine des espérances nationales d’Israël, la conscience d’une situation privilégiée, l’attente d’un avenir meilleur, l’inébranlable conliance en la délivrance finale, œuvre de la justice salvilique de Dieu. Cette confiance ne s’est jamais perdue, elle est encore très vivace à l’époque néo-testamentaire et s’exprime avec une force poignante dans les apocalypses. Le peuple est l’unité qui compte, l’individu n’est pris en considération qu’en tant que membre du peuple.

Petit à petit, cei)endant, l’inlidélilé de beaucoup d’Israélites amène à distinguer, au sein même du peuple de Dieu, les impies qui ne lui appartiennent plus et les justes qui peuvent encore l’appeler leur père. Le jugement divin ne s’exercera pas seulement contre les peuples voisins oppresseurs, mais aussi contre Israël lui-même : on fait le partage dans la communauté même des méchants et des pieux, des pécheurs et des saints. C’est siu-toul dans les écrits prophétiques et dans les psaumes que cette concef)tion plus individualiste se fait jour. Elle apparaît dans Isaie, pour qui un reste seul sera sauvé, dans Jérémie et Ezéchiel pour qui les pieux seuls parmi les exiles formeront le noyau de la communauté de l’avenir ; elle est surtout manifeste dans le livre de la Sagesse (11, 16-18 ; V, 5 ; cf. £’ccZi., xxiii, 1-4 ; Li, 10). Auprogrès de l’individualisme, correspond le développement de la doctrine de la rétribution. Ce problème a vivement préoccupé les moralistes de l’Ancien Testament et n’a pas reçu du premier coup sa solution définitive. L’occasion de le poser était fréquemment fournie par le spectacle du bonheur terrestre des impies et des souffrances du juste (Pi., xxxvi, xLviii, LXXii ; livre deJoh). Qu’adviendra-t-il des justes et des pécheurs morts avant l’avènement du royaume ? auront-ils en vain pratiqué la justice ou poursuivi l’iniquité ? La solution complète de l’énigme doit être cherchée outretombe. Dès le jour de sa mort, le juste jouira de la ])aix et du bonheur, d’une rémunération relative, en attendant la date de la délivrance complète où l’individu humain, reconstitué par la résurrection, pourra participer pleinement aux joies du royaume (Dan., xii, 2).

Nous avons déjà suffisamment laissé entendre que si lespromcsses desalulconstituent l’apportde lahvé dans l’alliance conclue avec le peuple, celui-ci, à son tour, contracte vis-à-vis de Dieu des obligations spéciales ; il doit être un peuple juste. La justice pour Israël consiste dans la fidélité à la Loi. A la i)romesse, fondement objectif du salut de la part de Dieu, doit correspondre chez le peuple, comme condilion subjective d’appropriation du salul, la foi dans les promesses divines et conséquemment aussi l’accomplissement delà volonté divine, manifestation extérieure de cette foi. L’élection divine demande la fidélité (705., XXIV, 14 ; / «., xLviii, 1), l’obéissance (Deut., ix, 28), l’amour (flpK ?., vi, 5), la vie parfaite devant Dieu (den., XVII, i). Dans cette fidélité est incluse la confiance aux promesses (6’eH., xv, 6 ; IS.r., iv, 31 ; I’um., XIV, 1 1 ; h., vii, 9). Tout l’Ancien Testament témoigne de ce fait, que le salut pour Israël est une grâce, un pur effet de la bienveillance divine, conséquence dç l’élection et des ])roinesses gratuites de Dieu. Cette grâce du salul, Israël doit la recevoir avec une foi confiante. La foi nous rend agréables à Dieu, elle est le fondement de la justice. L’observation de la Loi est évidemment impliquée dans l’acceptation par la foi de l’alliance avec ses exigences. La 329

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juslitication par la fi)i ne contredit pasla juslilication l>ar la Loi : la jnslire récompense des œuvres, n’exclut pas Injustice gratuite, car les œuvres sont le l’ruit de la foi, aux yeux de laquelle le fait d’élre Israiilite, d’avoir la Promesse et la Loi, tout constitue une (fràce. La Loi elle-mènie n’est-elle pas une grande f^ràce, le chemin qui mène à la vie ?

Le christianisme aurait pu se rallaclier directement aux prophéties et aux psaumes, si le judaïsme strictement lég-alisle n’était intervenu. Sans nier précisément l’iuiportancc de la foi, le Pharisaïsme en vint à considérer la Loi davantage en elle-même, comme un tout, une unité, la base d’une économie. La Loi prit le pas sur l’esprit intérieur de foi, la justice propre remplaça la justice gratuite et la religion sombra pour une grande part dans la casuistique. C’est contre ces déformations que S. Paul polémiquera, en remettant en pleine lumière le rôle de la grâce de Uieu, celui de la foi et de la Loi.

Pour observer la Loi malgré toutes les sollicitations contraires du monde et de la chair (faiblesse de l’homme, penchant au mal inhérent à tous les descendants d’Adam, Eccli., i !.v, 1 4-20 ; XXI, 1 1 ; xxv, 23-24 ; XXXVII, 3), le Juif pieux pourra compter sur le secours divin, secours externe, dans la prédication des envoyés de Dieu, secours interne, dans la force divine que donnent la prière et les oblations. Pour reconquérir la justice perdue, il avait la foi en la bonté de Dieu, qui lui ouvrait les voies du repentir et de l’expiation.

Toutefois, le ràleilel Esprit (/iV/n, inlervenanldans la vie religieuse comme principe de force surnaturelle et surtout comme agent oïdinaire de sanctification, apparaît à peine dans r.

cicn Testament : on

n’y relate guère que les manifestations extraordinaires et miraculeuses de l’Esprit (voir cependant Ps. L, 12-13 ; cxLii, lo). La diffusion abondante des dons spirituels est plutôt donnée comme une caractéristique des temps messianiques. Le Messie lui-même est décrit comme rempli des dons de l’Esprit-Saint (/s., xi, 1, 2 ; xlii, i ss. ; lxi, 1). L’époque de son avènement est prédite comme une ère de largesses divines (/s., XXXII, |5 ; xLiv, I ss ; Ezech., xi, 19 ; xxxvi, 26 ; XXX VII, 14 ; XXXIX, 29 ;./oi’l, II, 28-29 ; ^ocli., XII, 10). On comprend donc que S. Jean ait pu écrire : L’Esprit n’était pas encore, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié (./oan., vii, 89). En cet endroit, l’Evangélisteexpliqueuneparole du Seigneurse rapportant manifestement à l’action sanctifiante de l’Esprit : Qui ciedit iii nie, fluminn de centre ejiis fluenl aqiiae vivae. S. Paul aussi, en de nombreux textes, rattache la mission de l’Esprit au Christ exalté et identifie pour ainsidire l’action de l’Espritdans les fidélesavec colle duMessie glorieux. En argumentant de ces passages, quelques théologiens se sont demandé si l’Esprit-Saint habitait dans les justes de l’ancienne alliance autrement que par les énergies de la grâce, zar’èv5, 5V£corv, tandis qu’il habiterait substantiellement et personnellement, zerT’îJTiyv, dans les justes du Nouveau Testament (Ita Pet.vils, de Trinil., 1. Vlll.c. 7). Les justes de l’ancienne Loi n’auraient pas été vraiment les fils adoptifs de Uieu. On s’est même demandé s’ils possédaient, dès lors, la sanctification intérieure que donne la participation permanente de la vie divine et que le Nouveau Testament rattache toujours à l’Esprit inhabilant ou à l’union avec le Christ ressuscité. Leur justice devrait se concevoir de la façon suivante : par la foi et l’observation de la Loi, le Juif, déjà agrégé au peuple de la promesse par la circoncision, aurait été justifié, c’est-à-dire qu’il aurait mérité d’être inscrit au nombre des futurs participants du royaume messianique. Mais il n’aurait pu goûler les joies du royaume dès l’instant

de sa mort, ne possédant pas encore les prémices de l’Esprit, germe de la gloire ; il aurait dû attendre aux limbes la venue du Christ lui apportant le don de l’Esprit. C’est ainsi qu’il faudrait comprendre le texte obscur de Ilebr., xi, 40 : Et lii umnes testimonio /idei probati non acceperiint iepromissionem(17rv/-^tJiyv) Deo pro nohis meliiis aliijuid proiidente, ut non sine niihis consumniarentur ; et celui plus obscur encore de la I » Pétri : Mortuis evangelizaiuni est ut… yiyaiit secundum Deum inspiritu (iv, 6 ; iii, 19-20) On s’expliquerait de la sorte la portée réelle de la descente du Christ aux enfers : Il serait allé porter aux justes privés jusque là de la vision béatifique, le donuni ^pir tus qui donne accès au Ciel. Dans cette hypothèse, il ne faudrait plus distinguer en étudiant l’économie ancienne du salut, entre la situation du juste telle que nous pouvons la déterminer par les seuls textes (le l’Ancien Testament, et cette situation telle qu’elle était en réalité. Mais cette manière de concevoir la sanctification sous l’ancienne alliance a contre elle la doctrine courante des théologiens. Les textes qui l’étaient sont obscurs et le langage de S. Paul, rattachant la sanctification sous le Nouveau Testament à l’action de l’Esprit du Christ glorieux, peut parfaitement s’expliquer tout en admettant que la justification intérieure était accordée aux justes de l’Ancien Testament en prévision des mérites du Christ. On pourrait argumenter aussi contre cette conception du fait que les disciples du Christ, au commencement de son ministère publie, administraient déjà le baptême de lEsprit (Joan.. iii, 22 ; iv, 2). Leur baptême est appelé le baptême du Christ, caractérisé auparavant par le Précurseur comme un baptême dans l’Esprit (yon «., i, 33). Cependant. S. Jean Chrysostome (in Joan. hom. xxix, 1) nie le caractère sacramentel du baptême des disciples et précisément à cause de la parole de S. Jean, vii, 89 : Nondum erat Spiritus datas, quia Jésus nondum erat glorificatus. On fait remarquer aussi que S. Paul (Gal., iv, 1-7) compare les Juifs sous la Loi à des héritiers mineurs qui sont donc réellement fils, et jouissent de l’amour paternel, encore qu’ils soient traités en fait comme esclaves. Seulement, ce texte ne parle pas des justes, mais des hommes en général ; il ne s’applique pas exclusivement aux Juifs, mais vise le genre humain tout entier (iv, 8-11). Et en tant qu’il concerne les Juifs sous la Loi, il ne paraît leur attribuer qu’une filiation juridique, ne permettant pas l’usage des biens paternels, et soigneusement distincte de l’adoption filiale (yi’î^jTiy.) que seul peut conférer le Fils de Dieu (iv, 4-6). Ce texte serait donc plutôt l’avoralde à la sanctification juridique. L’on voit que si cette hypothèse ne s’impose pas, elle est cependant intéressante à plus d’un titre et mériterait d’être l’objet d’un examen approfondi.

On ne trouvera pas exagérée l’importance que nous avons donnée à la notion de grâce dans l’ancienne alliance, si l’on considère le soin qu’apportent S.Paul et l’auteur de l’épître aux Hébreux à faire ressortir comment l’économie de la grâce sous la nouvelle alliance, trouve dans l’ancienne son point d’appui et sa confirmation. Aussi, avant de passer au N. T., disons un mot de la manière dont ces deux écrivains ont compris et exposé la doctrine de l’A. T.

S. Paul nous apjirend que les pharisiens regardaient la justice comme jilacée dans la sphère de leur activité naturelle et se flattaientde l’obtenir ex o/iere operato, par l’observation matérielle de la Loi. Cette justification parla Loi est impossible, nous dit l’.Apôtre, car qui peut observer toute la Loi ? Pour trouver l’économie véritable du salut, il faut remonter plus 331

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haut que la Loi, jusqu’à la Promesse faite par Dieu à Abraham. La Promesse est un testament gracieux, une espèce de contrat unilatéral par lequel Dieu s’oblige lui-même sous serment, sans subordonner son obligation à aucune circonstance extérieure. La Loi donnée au Sinaï est une alliance stricte, un contrat bilatéral, constituant une étape intermédiaire dont le rùle est de préparer l’accomplissement de la Promesse. L’alliance n’est pas identique au Testament, son objet est autre et son sujet aussi. L’alliance ne s’étend qu’aux Juifs, le Testament vise toute la postérité spirituelle d’Abraham ; l’infidélité à l’alliance n’implique pas le rejet de la Promesse, elle ne fait en quelque sorte qu’en hâter l’accomplissement, en nécessitant une alliance nouvelle, celle que Jérémie avait prédite et dont le Christ devait être le luédiateur. La justice est une grâce, elle repose sur la promesse divine et exige comme condition subjective la foi. De même que dans l’ancienne alliance, on était justilié en participantà lafoi d’Abraham aux promesses divines, ainsi on ne sera sauvé sous la nouvelle alliance que par l’union au Christ, le Messie attendu, l’objet de la Promesse. Le Nouveau Testament, loin de détruire l’Ancien, est préliguré par lui : la Promesse trouve son accomplissement dans le Christ ; la foi d’Abraham est le modèle de celle des chrétiens ; la terre de Chanaan est le type du royaume messianique ; la Loi elleuiéme préfigure les obligations nouvelles du croyant. Mais tandis ipie l’accoraplissenienl parfait de celle-là était impossible au Juif, le chrétien s’acquittera

« aisément de celles-ci, grâce au principe intérieur de

force puisé dans l’union avec le Christ (Gal., m ; Rom., iv).

L’auteur de l’épître aux Hébreux aussi greffe la nouvelle alliance sur l’ancienne. Comme Paul, il dépeint admirablement l’harmonie des deux Testaments, tout en faisant ressortir le caractère imparfait et transitoire delà Loi mosaïque. Comme Paul encore, il distingue dans l’Ancien Testament la Promesse purement gratuite faite à Abraham et à sa ])Ostérité spirituelle, qui tient de la nature du Testament, de la Loi, véritable alliance. Lanouvelleéconomierepose à la fois sur un Testament et sur une Alliance ; elle est supérieure à l’ancienne parce qu’elle a Jésus-Christ pour médiateur et pour garant, qu’elle est destinée à durer toujours et à consommer la perfection des saints (vu, 11-22 ; viii, 6-ia ; ix, 15-3y). Les saints de l’ancienne alliance ont entrevu le terme, sans l’atteindre, car il ne convenait pas qu’ils fussent consommés avant le Christ (xi, 40). Celte nouvelle alliance est moins la rupture que la perfection de l’ancienne : celle-ci était l’ombre, la figure, l’aiititype, la similitude de la nouvelle (x, 1). S. Paul considère la terre de Chanaan, objet des promesses faites à Abraham, comme le type du royaume messianique (ftom., IV, 13) ; l’épître au Hébreux oit dans le repos de la Terre promise, auquel aspiraient les Hébreux, la ligure du repos en Dieu, terme dernier des désirs de l’homme. L’écrivain sacré va même plus loin, il reconnaît une véritable évolution de l’espérance messianique dans l’Ancien Testament. Quand les Israélites entrèrent dans la Terre promise, ils constatèrent qu’ils n’avaient reçu qu’un acompte des promesses divines ; les perspectives se reculèrent et ils entrevirent un autre repos de Dieu (iv, 9-11). Ici, comme chez S. Paul, c’est la foi « pii donne accès au repos de Dieu et c’est l’infidélité ou la désobéissance qui en exclut. Ce repos, c’est Jésus, antitype de Josué, qui nous le promet et nous l’assure.

H. Evangiles synoptiques. — Le rapide exposé que nous venons de faire de l’économie du salut sous

l’Ancien Testament, nous trace le plan d’une étude de la grâce sous le Nouveau Testament. Ce sont de part et d’autre les mêmes éléments, mais transposés et spiritualisés. Le royaume messianique et le salut chrétien ; la Promesse et le Christ ; la confiance en la Promesse et la foi au Christ ; la Loi elles obligations morales du chrétien ; la circoncision et le baptême, le peuple élu et l’Eglise ; les prophètes et les ministres de l’Evangile : le parallélisme est parfait, mais il n’épuise pas toute la réalité nouvelle ; dans le Christ nous goûtons déjà les prémices du bonheur futur, le salut lui-même existe, mais à l’état caché et imparfait, attendant pour se manifester complètement, la pleine révélation <lu Fils de Dieu.

Un premier progrès fut réalisé par l’Evangile, en accentuant davantage l’idée de la paternité dit’ine, en lui donnant une signllication plus intime et plus douce, presque inconnue à l’Ancien Testament. Celui-ci sait, il est vrai, que Dieu est le père de tous les hommes et spécialement des justes (.Sap., 11, 1618), mais cette paternité est cependant avant tout juridique et nationale, et sert princifialement à Israël à revendiquer ses droits de fils aîné. Dans les Evangiles, Dieu est un père qui vient au secours de l’humanité, dont la bonté s’étend à tous les hommes, aux disciples d’abord (j)/<., vi, 1, 4, 6-18 ; v, 16, /lô), mais aussi aux ingrats et aux méchants (Mt., v, ! ^b). Cette attitude paternelle de Dieu envers l’humanité se manifeste surtout dans la grande grâce qu’il lui fait en lui donnant le royaume. Le roj aume, c’est la grande libéralité de Dieu à l’homme, c’est le contenu de l’Evangile, le but de la mission de Jésus.Leroraume de Dieu, dans l’Evangile, n’a rien d’un royaume politicpieet terrestre, tel que les Juifs contemporains l’attendaient, c’est un royaume d’ordre spirituel (.4//., xxii, 15-22 ;.l/f., XII, 13-iy : l.c, xx, 2 1-26), c’est l’opposé du royaume deSatan (Vf., xii, 28 ; /-c, xi, 20). El plus clairement que les prophètes, l’Evangile dislingue une double phase dans ce royaume : la phase délinitive et complète qui s’ouvrira par le jugement de Dieu et le retour du Christ et consacrera le règne parfait de la justice et de la vérité, le ciel, en un mot (.)/(., v, 8-12 ; xiii, 43 ; xxv, 34) ; et la phase préparatoire actuelle où la royauté de Dieu s’exerce déjà sur tous ceux qui accomplissent sa volonté (.l/c, xii, 34 ; I.I., XVI, lO ; XVII, 20-21). Dansée dernier sens, le royaume apparaît comme un but à atteindre par une démarche morale, comme un état d’âme, une vie nouvelle. Dans les deux sens, le royaume de Dieu est une f>rdce : en tant que royaume transcendant, il n’est donné qu’à ceux que Dieu a prédestinés (, ¥ ;., xxv, 34), c’est une libéralité gratuite de Dieu (Ml., xx, i-iG). Et cependant, il reste une réc()mi)ense proportionnée aux o’uvres d’un chacun (.1/ ;., XVI. 27 ; xxv, 14-30 ; Mc, viii, 38 ; Le., ix, 26 ; xix, 12-27).’^" tant f|ue réalité déjà présente, en tant qu’état de sainteté et de vie nouvelle donnant droit à l’héritage futur, le royaume de Dieu est aussi une grâce. Le temps de la grâce s’ouvre avec Jésus (A-c, IV, 18-21). Le royaume de Dieu est une vocation, on doit recevoir la parole du royaume(.l//.. xiii, Il ss.). Cette parole est comme une semence ipii s’épanouit spontanément en ceux en qui elle a été déposée, qui finalement arrive à maturité et porte ses fruits (Me, IV, 26-29). " royaume de Dieu est un don inappréciable, iineperle précieuse qu’il ne faut pas jeter aux chiens, qui vaut tout ce qu’on pourrait posséder d’ailleurs (.1//., VII, 6 ; XIII. 44-4*>)- Le royaume est prêché à tous, mais l’homme reste libre : il peut à son gré étouffer la semence ou contribuer à sa germination (.l/c, IV, 1-9 ;.1//, , xiii, 1-9 ; /.(., VIII, 4-8). L’Evangile du royaume im])lique déjà la doctrine de la prédestination et l’antinomie delà grâce divine et de la 333

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lilierté humaine, que S. Paul mettra en pleine lumière.

Pour avoir accès au royaume, et surtout pour } appartenir pleinement, il faut réaliser certaines cohililiunx. La première est de croire au message divin et de le confesser courageusement(.l/c., i. 15 ; xvi, 16). Cette foi suppose 1 adhésion à la personne de Jcsus-Clirisl, docteuret médiateur du salut (.’/c, viii, 38 ; AJl., X, Sa-Sg ; X’xv, 40, ^5). Elle est inséparable de la pénitence, du changement de cœur (.’//., iv, i^ ; Me. I, 15 ; f.c, V, 32). Le comniandemont par excellence de la vie chrétienne, celui qui résume tous les autres et les perfectionne, c’est le précepte de l’amour de Dieu et du prochain (.1//., xxii, 37-40). En un mot, les chrétiens doivent faire la volonté de Dieu (.1//., vii, 21), ils doivent pratiquer lajustice (.l//., v, 6, 20).Pour accomplir leurs obligations, ils peuvent compter sur le secours divin qu’on obtient par la prière persévérante (. ! /<., VI, 5-15 ; Lc, XI, i-13 ; xviii, 1-8).

Les membres du royaume de Dieu sur la terre ne vivent pas isolés ; le petit troupeau de ceux qui entendent l’appel de Jésus et le suivent constitue une société (.1//., XVI, 18). On entre dans l’Eglise par le baptême (l/c, XVI, 16 ; ^1//., xxviii, 19). En liii, pour avoir part au festin messianique, il faut être revêtu delà robe nuptiale (.1/ ?., xxii, ii-14).

Sur certains points, la doctrine des synoptiques postulerait des éclaircissements ou des développements. Il est telles questions qui ne sont touchées qu’en passant, et qui ne sont pleinement comprises qu’après avoir étudié S. Paul ou S. Jean. C’est ainsi que le rôle de l’Esprit-Saint ne reçoit guère plus de relief que dans l’Ancien Testament : on ne voit pas encore clairement son action permanente de sanctilication dans la Aie chrétienne. C’est ainsi encore que les textes relatifs à cette vie nouvelle qui constituela réalité présentement saisissable du royaume, ne nous conduisent pas jusque dans les profondeurs de l’ordre surnaturel. Cette vie nouvelle est-elle purement d’ordre psychologique et moral ? N’est-elle qu’une nouvelle orientation dévie déterminée par la foi en la révélation divine, ou bien est-elle aussi une réalité cachée, uneparticipation deviedivine, comme un écoulement d’Esi)rit-Sainl ? Il estdillicile de trancher la question avec certitude à l’aide des seuls synoptiques. Ils insistent en tout cas beaucoup plus sur le côté moral de cette vie nouvelle que sur son côté mystique. Il en est de même aussi pour les.ctes des.pôtres, qui nous parlent souvent de la force agissante de l’Esprit de Dieu, mais nous la montrent surtout dans l’effusion abondante des charismes sur les lidèles. Le rôle de médialeui- du salut qu’il faut reconnaître au Christ, n’est pas pleinement mis en lumière dans les premiers évangiles : Jésus nous est surtout présenté comme docteur, moins souvent comme Sauveur. On trouve déjà des indications précieuses pourtant sur le caractère de rédemption et de délivrance qui affecte le salut chrétien. Tous les hommes sont pécheurs et ont besoin de conversion (U/., v, 12 ; Le., xm, 1-5 ;.Vc, i, 15). Le Christ est venu apporter le pardon des péchés, il est venu sauver ce qui avait péri (/.c, IV, 18-19 ; ^’^'’°)- Son royaume se fonde sur les ruines du royaume de Satan, c’est la victoire du bien sur les énergies du mal (Mt., ix, 1-8 ; /.c., x, 17). Pour avoir accès au royaume, les hommes doivent être réconciliés avec Dieu, une nouvelle alliance doit s’établir, qui luoditiera les relations entre Dieu et l’humanité. Cette réconciliation, le Christ l’accomplira en donnant sa vie pour nous ; cette alliance, il la scellera par l’elTusion de son sang (. ! /<., xx, 28 ;.l/c., x, 45 ; -’//., XXVI, 28 ; Me., XIV, 24 ; ic. XXII, 20). La mort de Jésus ojière notre délivrance : cette phrase nous transporte du coup dans l’économie paulinieniic du salut.

m. Saint Paul. — L’idée juive du royaume, adoptée et spiritualisée par Jésus, se trouve encore à la base de la théologie de S. Paul. Pour lui aussi, le royaume et le salut sont deux quantités identiques : se sauver, c’est avoir part au royaume de Dieu, c’est contempler sa gloire dans le règne de la lumière. Le royaume est inauguré par le grand jugement de Dieu et ceux-là seuls y auront accès qui seront reconnus justes au tribunal de Dieu. Mais où le grand Apôtre creuse plus profondément le terrain que r.A.ncien Testament ou les s3noptiques, c’est en faisant pleinement ressortir l’impuissance radicale de l’humanité à réaliser la justice requise, c’est en montrant que cette justice est essentiellement une grâce, un moment dans la série des actes salviliqucs divins, c’est enfln en nous présentant le salut comme une délivrance et une rédemption.

.vanl de décrire les effets positifs de cette bonté divine se manifestant à riiumanité, considérons un moment l’aspect négatif du salut, ce qui le fait apparaître à S. Paul comme une libération, ce qui fait aussi que la justice nécessaire au salut est inaccessible aux forces de l’homme naturel.

L’humanité issue d’.dani est ennemie de Dieu, se trouve sous le coup d’une sentence de condamnation et d’exclusion du royaume. L’homme naît pécheur et esclave de la puissance du péché, puissance exlfèmement féconde, engendrant continuellement et partout une multitude d’actes mauvais. Cette puissance a à son service des agents nombreux et des auxiliaires puissants : la loi, les éléments supraterrestres, la chair, tout s’acharne à la perte des descendants d’Adam, en les maintenant sous le joug du péché. Qui brisera les chaînes ? Qui rapprochera l’homme de Dieu en réalisant la justice exigée ? Car aucune chair ne se glorilie en présence de Dieu, tous les hommes sont j)écheurs et privés de la gloire de Dieu (Honi., iii, 20, 23). Ce sont là des idées fondamentales dans la sotériologie de l’Apôtre. Le cri poignant de r.pôtre : Qui me délivrera du corps de cette mort ? (Hom., vii, 25) devrait être le cri de l’humanité juive et païenne. Il trouve même un écho lugubre dans la création inanimée qui tout entière souffre et soupire après l’heure de la délivrance (/l’om., vin, 19-22). Mais la réponse suit inimédialemeni : Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur (liom., vii, 25). Cette phrase contient les deux fondements objectifs du salut, la justice salvifique de Dieu et la rédemption du Christ. Le Fils accepte le rôle de Sauveur et même le désire, mais c’est le Père qui décrète le salut, toujours l’initiative lui en est attribuée (/foni., iii, 21, 24 ; Gui., li, "] ; II Cor.. V, ]8, 19 ; Eph.. 1, 6, 12, 14 ; Tit., iii, -).

C’est la justice salvilique de Dieu qui tolérait jadis les crimes des hommes ou ne leur infligeait que des peines sans proportion avec leur nombre et leur malice ; c’est elle qui dans l’Ancien Testament a donné gratuitement la Promesse à Abraham ; c’est elle qui, après la pédagogie de la Loi et des Eléments du monde, a opéré dans le Christ l’accomplissement de la Promesse. Si le Christ, par sa doctrine et par ses exemples, a tracé à l’homme la voie du salut — cet aspect de sa mission est principalement mis en lumière par les synoptiques, — c’est par sa mort et par sa résurrection qu’il nous a rendu le salut accessible, et il était réservé à Paul de développer jusque dans ses dernières conséquences, ce côté rédempteur de son rôle.

L’œuvre du Christ n’est pas celle d’un individu isolé de l’humanité, c’est l’œuvre du Messie, du second .dam, accomplie pour la communauté messianique, pour l’humanité nouvelle (Uom., v, 14). De même que le premier Adam fut le père de l’humanité 335

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psychique et charnelle, le dernier Adam, riiomnie céleste, doit être le père de l’humanité pneumatique (I Cor., XV, 45 ss.). Le Christ est la tête de son Eglise, le sauveur de son corps mystique, de l’Israël véritable, du peuple de Dieu (I Cor., x, 82 ; xii, a’j, 28 ; Eph., i, 23 ; II, 15, 19-22 ; IV, 1-16 ; v, 22-28 ; Col., I, 18, 24). Il s’ensuit (jne toutes les actions salviliques du Christ auront une portée vicariale et substitutive, qu’elles vaudront pour l’Iiumanité nouvelle dont il est le Chef. Or le Christ, par sa mort, sacrilice d’expiation volontaire, châtiment du péché et acte libre d’obéissance à Dieu, a détruit le péché sous sa double formalité de reatiis poenæ et de reatiis cutpæ : il a ainsi réconcilie l’humanité avec Dieu, il a réalisé en principe et en droit la justification du monde pécheur (Il Cor., v, 18-20). Par sa résurrection, il est entré — et l’humanité doit l’y suivre — dansun état spirituel glorieux où ni péché, ni mort, ni chair, ni loi, ni aucune puissance supraterrestre ne peuvent avoir accès et exercer leur tyrannie (II Cor., V, 17 ; Rom., vi, 3-14 ; Eph., 11, 2, 5 ; Col., II, 12-13 ; III, I sq.). L’humanité parcourt avec le Christ le cycle sotériologique qui doit la faire passer de la mort à la vie. Mais l’humanité sauvée par le Christ n’existe encore qu’à l’état idéal, d’une façon analogue à celle dont l’humanité pécheresse existait dans Adam. Elle doit naître du Christ au cours des âges par le moyen d’une génération spirituelle. Cette naissance s’opère par la foi. et d’une manière plus précise par le baptême chrétien qui nous unit au Ctirist en nous communiquant son Esprit et en nous appropriant ainsi tous les effets de la rédemption. Nous sommes ainsi tout naturellement amené à décrire d’après S. Paul le rôle de l’Esprit dans la vie chrétienne.

Saint Paul le premier a mis en pleine lumière le rôle sanctificatenr de l’Esprit-Saint, et il a fait apparaître ainsi ce qu’il y a de plus intime dans son action. Ce ne sont plus ici uniquement les énergies extraordinaires par lesquelles l’Esprit se manifestait ilans les héros des temps antiques, ce ne sont plus seulement les visions ou les révélations dont il gratifiait les prophètes, ni même les charismes dé])artis aux premiers chrétiens ; l’Esprit opère encore toutes ces choses, mais il fait bien plus ; il est devenu le principe réel, permanent et fécond, d’une vie nouvelle, d’une vie tout entière orientée vers Dieu.

L’Esprit que le chrétien reçoit par la foi, c’est-à-dire par la profession de la vie chrétienne opposée à la vie sous la Loi (Gal., 111, 2 s. ; iii, i^ ; iv, 6 ; v, 5 ; II Cor., IV, 13 ; Epli., I, 13-14), ou plus spécialement par un acte spécial de cette profession de foi, par le baptême (Honi., vi, i^ ; vii, 6 ; viii, i-13 ; I Cor., vi, 1 1 ; XII, 13 ; Tif., III, 4-/), nous unit intimement au Christ, parce qu’il est en même temps l’Esprit du Christ {ftoni., viii, 9) ; il nous constitue membres duChrist, fait que nous sommes dans le Christ et que le Christ est en nous. Cette relation entre le Christ glorieux et l’Esprit est tellement étroite, que souvent r.pôtre ne dislingue pas les deux termes. Vivre dans le Christ et vivre dans l’Esprit, sont uneseuleet même réalité et l’inhabitation du Christ dans l’àme ne se distingue pas de l’in habitation de l’Esprit-Saint (/ ?om., viii, 9-11). Le même baptême nous est présenté tantôt comme un baptême dans le Christ (Ga/..iii, 27 ; /iom., VI, 3), tantôt comme un baptême dans l’Esprit (I Cor., XII, 13). On aurait tort sans doute d’en conclure à ridentité personnelle du Christ et de l’Esprit, mais on a le droit d’en déduire que l’action du Christ glorieux dans l’àme est inséparable de celle de l’Esprit, ou plutôt qu’elle ne s’exerce que par le moyen de l’Esprit. Le Christ ressuscité communique

à ses fidèles l’Esprit divin qu’il possède lui-même dans sa plénitude. Il est comme le dépositaire et le distributeur par excellence du pneuma divin, il dispose de sa force et de sa vie, il exerce en un mot la dictature de l’Esprit. En vertu de cette relation intime, nous sommes en droit d’utiliser, pour décrire le rôle de l’Esprit, ces nombreux textes où l’on nous parle de l’action du Christ habitant dans l’àme du chrétien.

Par le moyen de l’Esprit, nous sommes incorporés à l’Eglise rachetée par le sang du Christ, et rendus par le fait même participants de tous les biens qu’il lui a acquis par sa mort. L’élat de l’homme spirituel est exactement le contre-pied de celui de l’homme charnel et pécheur. Par la communion avec l’Esprit de vie qui résidera en lui et s’unira mystérieusement à son esprit, sans l’absorber, ni le détruire, l’homme se revêt de Jésus-Christ (6’n/., iii, 27 ; Ilûin., VI, 3), il trouve en lui la justice et la justification (Gal., II, 17 ; iii, 2 5, 14 ; I Cor., i, 30 ; vi, 1 1 ; II Cor., V, 21 ; Hom.. viii, 1 : Til., iii, 5- ;), la sanctilication (I Cor., i, 30 ; vi, 11 ; Hom., xv, 16), l’adoption filialc(Ga/., iii, 26 ; tv, 6 ; Rom., viii, 14) ; il est délivré du péché, de la chair, de la Loi et de la mort (Rom., VIII, 2, 10, II, 13) ; il est constitué l’héritier des biens messianiques et en possède non seulement le gage et la promesse, mais les arrhes, le germe de la gloire et du corps spirituel (Gal., v, 5 ; Epli., , 13, !  ; n, 18 ; II Cor., i, 22 ; v, 5, etc.). L’Esprit apparaît donc bien aux yeux de saint Paul comme l opposé complet de l’état de péché et de mort : c’est la justice et la vie, le ternie de la rédemption, l’aurore des temps messianiques.

L’Esprit n’est pas uniquement dans l’homme, une réalité statique, c’est aussi un principe dynamique, une force, une source d’action. Il n’est pas seulement grâce sanctifiante, il est aussi motion divine et grâce actuelle. Par le moyen de l’Esprit, l’homme est non seulement justifié, il peut encore maintenir et accroître en lui la justice reconquise. L’Esprit est agissant. Il fait de nous une création nouvelle (II Cor., V, 17 ; Gal., VI, 15) ; il nous métamorphose graduellement en l’image du Seigneur glorieux (Il Cor., iii, 18) et prépare nos corps à la résurrection (Hom., VIII, 2y). Il établit sa demeure en nous comme en son temple (I Cor., iii, 16 ; flo ; »., viii, 9-11) ; il nous fait prier (Rom., vin. 15), et prie lui-même en nous, vient en aide à notre faiblesse, gémit en nous d’une façon mystérieuse, intercède pour nous auprès de ye (Gal., IV, 6 ; Rom., viii, 26-27). L’Esprit rend à notre esprit le témoignage de notre filiation divine (Hom., VIII, 15) ; il enseigne les hommes et distribue SCS dons selon son bon plaisir (I Cor., 11, 13 ; xii, 11). Il fortifie notre volonté, nous permet de réduire la chair à l’impuissance (Rom., viii, O-ii), se fait lui-même la loi de notre vie nouvelle, loi intérieure et illiiminalrice qui non seulement notifie le devoir, à l’instar des préceptes de la législation ancienne, mais

« hmne aussi la force de l’accomplir (I Cor., 11, 10-16 ; 

Hom., VIII, 2-1 1).

Celte action de l’Esprit n’est ni fatale, ni nécessitante. Le chrétien n’atteint pas du coup les sommets de la vie pneumatique, il y arrive lentementen correspondant aux inspirationsde l’Esprit, ensuivant les poussées de l’Esprit, en ne l’attristant pas (l Cor., m, I ss. ; Gal., v, 18 ; / ?om., viii, li ; Eph., iv, 30). Il faut produire les fruits de l’Esprit, l’amour, la joie, la paix, la longanimité, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la chasteté (Gal., v, 22-a3). De là aussi les pressantes exhortations île l’Apôtre à s’armer pour le combat, à se constituer soldat de la justice ; de là toutes ces instructions morales, tous ces avertissements, tous ces catalogues de péchés à 337

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éviter pour ne pas briser l’union avec le Christ et être exclu du royaume.

La m’cessité de ce secours divin, de cette coopération de l’Esprit se prouve assez par le tableau que saint l’aiil nous trace de la dégradation morale des païens, de l’impuissance des Juifs à observer la Loi, de lu lutte douloureuse qu’il constate chez tous les hommes entre la conscience qui voit le bien et la volonté qui défaille à l’accomplir (ICor., vi, ij-i i ; Iiom., iMii ; vii-viii ; Gal., v, 19-28 ; Tit., iii, 3 ss.). La chair est ojiposée à Dieu, elle ne peut se soumettre à sa loi : ceux qui vivent selon la chair ne peuvent plaire à Dieu. Mais par contre, ceux qui coopèrent à l’action de l’Esprif-Saint en eux, posent des actes méritoires de la vie éternelle : (I Si vous mortifiez par l’Esprit les tendances de la chair, vous vivrez >> (Rom., viii, 13). L’Esprit n’est-il pas d’ailleurs un Esprit de vie ? ne n( lis constilue-t-il pas fils de Dieu et cohéritiers du (Christ ?

La nécessité de la grâce actuelle pour l’accomplissement des œuvres salutaires se prouve tout aussi bien, selon nous, et en tout cas d’une façon plus directe, plus générale, ]dus en harmonie avec la nature de la grâce actuelle, qui dans le cours ordinaire des choses n’est que l’aituation de la grâce sanctiliante, par les textes que nous venons de citer que par ceux qu’on allègue d’ordinaire à l’appui de cette thèse. En elfct, les assertions de 1 Cvr., iv, 7 ; XV, y-io ; II ("or., iii, 6 (et aussi Vofl/i., xv, 4) ne visent directement que les Apùlres ou les ouvriers évangéliques, et l’on n’en déduit la nécessité de la grâce (pie moyennant un argument a pari ou a fortiori d’ailleurs légitime et fondé sur le sens littéral. Quant à Pliili p., II, 13 : « C’est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire en vue de satisfaire son inclination », le sens en demeure obscur. Les Philippiens doivent-ils accomplir leur salut avec crainte et tremblement (11, la) parce que Dieu le veut, agit en eux à cette (in et que s’ilsne correspondentpas à l’action et au désir de Dieu, ils encourront sa colère ? Nous n’aurions dans ce cas que l’allirmation de l’action divine. Ou bien doivent-ils craindre et trembler parce que, dans raccom[dissemenl de leur salut, ils dépendent de l’action <le Dieu ? Nous aurions alors l’allirmation de la nécessité de cette action divine.

L’Esprit est une force tendant naturellement à développer son action en ceux en qui il réside. En ce sens, on pourrait dire, sans doute, que la grâce actuelle est due à l’iiomme justifié, comme le concours divin est réclame j)ar la nature. Mais le don de l’Esprit lui-même est entièrement gratuit, comme est gratuite notre vocation à la foi et toute l’œuvre du salut. C’est un anneau dans cette chaîne admirable des actes salviCques divins, si bien décrite par saint Paul : « Ceux qu’il a connus d’avance, il les a aussi prédestinés à être conformes à l’image de son Fils, alin qu’il soit le premier-né entre plusieurs frères. Mais ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés et ceux qu’il a justifiés, il les a aussi gloriliés » (Hom., VIII, 2g-30). Tout l’Evangile de Paul ne vat-il pas à prouver contre les judaisants la gratuité absolue de la justilication et du salut ? Nonobstant cette liberté entière de la prédestination, dont personne n’a à demander cimipte à Dieu (Hom., ix), le salut est ofTert à tous les hommes (I Tim., it, 4), comme aussi les moyens de l’obtenir. Paul prêche l’Evangileaux sages et aux ignorants, aux Juifs cl aux Grecs : « L’Evangile est une force de Dieu en vue du salut, pour tout croyant, pour le Juif d’abord et pour le Grec » (Hom., i, 16). Il y a dans la doctrine de Paul des antinomies apparentes qu’il ne s’est pas préoccupé de résoudre et que le développement de la

théologie surtout a mises en relief. Au nombre de ces antinomies on pourrait sans doute compter la conception de la prédestination et de l’universalité du salut, comme aussi celle de la souveraine ellicacité de la grâce et de la libre coopération de l’homme, mais on en rencontrerait bien d’autres en poursuivant l’exposé de la sotériologie paulinienne.

Terminons cette esquisse par une double remarque d’une portée plus générale. Nous avons déjà suflisamment laissé entendre combien la notion d’esprit dans saint Paul est riche et complexe. Laissant de côté l’acception anthropologique du mot, nous constatons que l’Apôtre appelle esprit, non seulement la troisième personne de la sainte Trinité, mais encore l’ensemble des dons, des propriétés et des grâces que la présence de l’Esprit-Saint produit en nous. Il réunit sous la notion d’esprit ce que la théologie postérieure a distingué en inhabitation de lEsprit-Saint, grâce sanctiliante et grâce actuelle. Cette dernière aussi est ])resque toujours rattachée à la source d’où elle découle, l’Esprit de sainteté. L’al)sence de précision entre des notions connexes, mais distinctes, tient peut-être à ce que saint Paul nous présente avant tout l’Esprit, principe et agent de vie nouvelle, comme l’antidote de la chair, facteur de péché et de mort.

Il est hors de doute aussique cette vie nouvelledont parle si souvent Paul est à ses yeux bien plus qu’une orientation nouvelle de notre vie morale. La vie morale n’est qu’une conséquence, une suite, une obligation résultant de la présence en nous de cette réalité mystérieuse qu’est l’Esprit de vie. Le concept de ^wi dont nous entretiendra surtout S. Jean, est un concepl i-eligieiir, bien plus qu’un concept moral : il désigne le i)lus haut bien que nous possédions dans l’union avec le Christ vivant. Cette union est bien plus qu’une union de l’intelligence et de la volonté, qu’une conformité de vie, de tendance et de direction : c’est une union réelle et mystique. Et l’Esprit par le moyen duquel l’union s’opère, n’est i)as seulement une mentalité nouvelle créée par la foi, c’est un principe transcendant et divin, qui n’est pas le terme d’un progrès psychologique, mais le fruit de la grâce divine, produit en nous exapere operatu par le baptême. C’est ce qui résulte à toute évidence de la manière dont Paul décrit les efTets du baiitcme et les actions de l’Esprit ; c’est ce qu’admettent aussi bon nombre de critiques libéraux, allégés du souci de devoir confirmer par S. Paul leur foi protestante. La dilTlculté qu’il peut y avoir pour l’iiomme moderne à s’intellectualiser une semblable conception n’est pas une raison sullisante pour ne pas la reconnaître dans l’Ecriture.

A la doctrine de Paul, nous pouvons rattacher celle de la lettre aux Hébreux et des épltres catholi([ues (excepté les lettres johannines) qui ne contiennent d’ailleurs guère d’éléments nouveaux pour la solution du problème qui nous occupe.

La personne et le sacrifice de Jésus forment le centre de l’éijUre aux Hébreux. Toutefois, le développement de cette christologie oblige l’auteur à parler de la Loi ancienne dans ses rapports avec la nouvelle, et du salut chrétien. Le salut est rattaché à Jésus-Christ, pontife saint et parfait (vu, 26-28), qui s’est oITert une fois pour toutes sur la croix (ix, 11-12 ; X, Ii-13) et offre maintenant son sacrifice dans le ciel (vni, 1-5 ; IX, x) où il prie pour nous et nous appli((ue les mérites du sacrifice accompli sur la terre (vu, 20 ; IX, 24)- Ce sacrifice nous a rachetés (ix, 12, 15), a remis nos péchés (ix, 26-28), nous sanctifie el nous rend parfaits (x, 10, 14, 29). A tous ceux qui lui obéissent, Jésus procure pour l’éternité le salut 339

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et la rédeiiiplion (v, g ; ix, 12). Ce même sacrifice a scellé la nouvelle alliance (ix, l’j, 18), et nous donne entrée au ciel (x, 19, 20). Nous devons donc avoir confiance en Jésus, garder la foi (x, 38-39^, tenir ferme l’espérance (vi, 18-19), éviter le péché, vivre saintement et avec ferveur (vi, 12 ; x, 20 ; xii, i, 14).

Les épîtres de Jude et de Jacques ne dépassent guère non plus, pour la doctrine de la grâce, la conception des synoptiques. L’épilre de Jude décrit le jugement divin punissant les crimes de toutes sortes et met en lumière la récompense de la vie éternelle promise à ceux qui auront persévéré dans la foi, la prière et l’amour. L’épîtrede Jacques établit les points suivants : Dieu nous a engendrés par la parole de vérité, afin que nous soyons comme les prémices de ses créatures (1, 18). La pratique de la parole sauve les âmes, la foi sans les œuvres est stérile (11, 1’1-26). La prière confiante estexaucée(i..j ss.). La patience dans l’épreuve donne droit à la couronne de vie, le péché produit la mort (i, 12 ss.). L’Esprit de Dieu qui habite dans l’âme des fidèles suggère non la jalousie, mais l’humilité (iv, 5). L’onction sainte avec la prière est un véhicule de la grâce et de la rémission des péchés (v, 14-iô).

Les épîtres de Pierre sont plus riches en doctrine ; sans nous initier plus à fond au mystère de la grâce, elles nous rappellent les splendides envolées de S.Paul et deS.Jean.L’économiedu Nouveau Testament a été prédite par les prophètes (I Pet., i, 10). Cette économie est résumée en quelques mots : les fidèles sont élus par la prescience de Dieu ; l’élection s’opère par la sanctification de l’Esprit ; elle a pour but de nous maintenir dans l’obéissance et la propitiation obtenue par le sang de Jésus-Christ (i, 2). Cette sanclilication et cette régénération sont rattachées à la résurrection de Jésus-Christ par le moyen de la foi ; elles ont en vue une espérance vivante, un héritage immortel, incorruptible(i, 3-5, 9). Le baptême nous P"" riQe de nos fautes par le sang de Jésus-Christ dont il est une aspersion (11, 2/1 ; iii, 21)- Nous rencontrons même, seml>le-t-il, dans la première épître de Pierre )ine phrase tout à fait joliannique. « Vous avez été régénérés non d’une semence corruptilile, mais par une semence incorruptible par le Verbe vivant de Dieu et permanent » (i, 28). Serait-il exagéré de voir dans ce Verbe de Dieu vivant cl permanent, principe et semence de notre seconde naissance, plus que la parole évangclique, le Logos de S. Jean, et le Christ glorieux de S. Paul ? Notre auteur rattache manifestement la régénération à la résurrection du Christ ; or, nous savons par S. Paul que si le Christ souffrant est la cause méritoire de notre salut, le Christ vivant et glorieux en est la cause efiicicnte. Couinic conséquence de la régénération et conmie condition du salut, S. Pierre, avec tous les écrivains bibliques, demande la pratique des vertus : la charité, la patience, la soumission aux autorités.

La seconde épître de Pierre retrace de même l’économie du salut : le salut par Jésus-Christ (i, i), la vocation par Dieu (i, i-3, 10), la nécessité de la foi et des bonnes (vuvres (i, 10), le terme d>i « alut, le royaume (i, 1 1). Mais peut-être eontient-elle plus, et faut-il y lircaussi l’attestation de la participation des chrétiens, dès cette vie. à la nature divine. Cette afiiruiation n’aurait rien de surprenant après ce que nous a dit S. Paul touchant la communication aux (idèles de ri’ : sprit deDieu.ella Pri’iiii J’eiri, touchant la sanctilicnlion par l’Esprit (1, 2). Toutefois le texte allégué (II /’(/., 1, 4) est obscur et le sens n’en est pas définitivement fixé. Nous traduisons comnu- suit la protase (3-^ de cette célèbre période (8-7) si défectueusenienl rendue par la Vulgate : « Puisque sa divine puissance nois a donné, par la connais sance de celui qui nous a appelés par sa propre gloire et vertu, toutes les choses qui se rapportent à la vie et à la piété, choses qui sont pour nous des gages des dons précieux et magnifiques, afin que par elles, en fuyant la corruption de la convoitise mondaine, vousdeveniez participants de la nature divine ; à cause décela, etc. >' Dans ce texte, on nous rappelle les dons déjà reçus et les dons plus précieux et plus grands dont les premiers sont les gages. Les dons reçus sont : rv. r.v : jxa ~v. 77^5 ; « wv ; v > ! v-( v^’si^tiyy ; parmi les magnifiques promesses qui nous sont assurées par ces dons, il faut compter celle d’être xsivwvsi Oiia. :. } ; vT£ ! j ;. La participation de la nature divine est un terme qu’il faut atteindre en fuyant la corruption de la convoitise mondaine. Mais l’auteur nous jiroposel-il cette communion de vie divine comme une Un déjà obtenue en cette vie, ou comme un but à poursuivre pour l’autre vie ? Le consoilium divinæ nattirnc serait alors une formule équivalente au « règne éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ » proposé au verset 1 1 comme terme et récompense de notre vie morale. La même idée se rencontre 11, 20, et semble corroborer cette dernière interprétation.

IV. Littérature johannine. — D’après les Synoptiques, Jésusestvcnu prècheretfonderleroyaunie messianique : il en décrit l’établissement et les progrès, en fixe les caractères, en établit les lois, en prédit les destinées. Dans S. Jean, la i)erspective messianique, sans être totaleuient absente (Joan., xiv, 3), est certainement reléguée à l’arrière-plan. Soit qu’on le considère dans sa phase finale et transcendante, soit qu’on l’envisage dans son étape préparatoire, le royaume est devenu la t/e. Le salut que Jésus nous apporte, c’est la vie même de Dieu qu’il vient nous conmiuniqueret qui doit, si nous la développons en nous, nous rendre semblables au Père et aptes à le voir face à face. C’est la traduction que S. Jean nous donne de la prédication de Jésus ; on est frappé de sa ressemblance fondamentale avec la doctrine de Paul. En beaucoup d’endroits, les ternies de vie et d’Esprit pourraient s’échanger sans différence appréciable de sens. D’ailleurs, S. Paul ne nous parlet-il pas lui-même de l’esprit de vie (/t « ni., viii, 2) ; ne nous dit-il pas que l’esprit est vie (Hum., vilt, 10) et que le Christ glorieux est Esprit vivifiant (1 Cor., xv, 45) ? Il existe ce])endant entre la conception paulinicnne et la conception joliannique du salvit des différences d’aspect que nous voudrions signaler. Paul, le pharisien converti qui a vainement cherché la justification dans la Loi. le profond psychologue, ipii a longuement médité l’impuissance du Juif et la déchéance (lu gentil, l’ardent apolre des nations qui continuellement doit défendre son Evangile contre les attaques perfides d’adversaires acharnés, est naturellement amené à concevoir et à décrire la grâce dti Christ comme étant avant tout une grâce de parilon et de justification. Il nous dévclopjiera de préférence le coté négatif du salut, la rémission des péchés, le contraste entre la nature restaurée et la nature déchue, la mission du second Adam réparant surabondamment la faute du premier. Il parlera delà nouvelle créature et de l’Esprit mortifiant la chair, de l’adoption divine nous délivrant de l’esclavjigede la Loi et des Eléments du monde et nous plaçant devant Dieu dtins la situation d’un fils vis-à-vis de son Père. Jean, l’évangélistc parexcellcncede l’amotir divin, fera surtout ressortir le côté positif des réalités surnaturelles. Il mettra mieux en lumière l’existence de réléiueiit ilivin dans l’homme, il décrira la vie divine comuiuniquée par la naissance surnaturelle, et eu égard à cette génération divine, il 3’.1

GRACE

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appellera de préférence les eliréliens, enfanls de Dieu (non i)as uisi, luaiszuyx 0£’-û). Mais il ne s’aj^it iei ((ue d’une différence de point de vue ; essenliellenient, les deux doctrines sont équivalentes. S. Jean est loin d’if ; norer la rémission des péchés (yort ; i., iii, 14-21)et S. Paul connaît noire naissance de Uieu (Tit., iii, 5). Si le concept même de justilicalion n’inclut pas nécessairement l’oelroi d’une vie nouvelle, en réalité pourtant la jnstilicatioii ne se l’ait que moyennant la coniiiiunication de l’Esprit de ie qui nous rend fils de Dieu, libres de tout esclavage et héritiers du ciel. Celle conception de la vie, qui apparaît fréquemment dans répître aux Romains, se fait jour surtout dans tes lettres de la captivité avec lesquelles les écrits johanniques offrent des atlinités reniarqualdes.

Après avoir caractérisé de la sorte, dans ses jurandes lignes, la position de S. Jean, esquissons brièvement sa conception du salut chrétien. La grande grâce de Dieu consiste dans le don au monde de son Fils unique, alin qu’en lui, nous ayons la vie (/., iii, 15-16 ; 1./., I, a ; iii, 14 ; i^’, y ; *, ’.’^<’)- Pour nous donner la vie, le Verbe a du d’abord ellacer nos péchés (>/., I. 29 ; VIII, 31-471’' "’^’^)- ^ "^^^ effet, il est mort pour nous, victime propitiatoire pour nos péchés (I J., I. 7 ;  : i, 2 ; iv, 10). La foi est un don de Dieu (./., VI, 65). Sans la foi au Christ, on reste sous le coup de la colère divine ; parla foi au Christ souffrant et exalté, on se sauve, on passe de la mort à la vie, on obtient la vie éternelle (./., I, 12, 23 ; iii, 15, 36 ; V, 24 ; n. 20). La vie éternelle consiste à contempler Dieu tel qu’il est (I J., iii, 2, 3). Pour avoir part au royaume de Dieu, il faut joindre à la foi la naissance de Dieu, il faut devenir enfant de Dieu, il faul naitie d’en haut, c’est-à-dire, de l’eau et de l’Espril, il faut en un mot recevoir le baptême de l’Espri (-Saint (./., i, 12, 13, 2(j ; iii, 3, 5, 6).

L’activité de Dieu dans le baptême est appeléeune génération ; le principe de vie surnaturelle déposé dans la nature, est un germe de Dieu ( : -€f.uy. 0£^û), <’est pour celji que les chrétiens sont enfants de D ! eu, engei.drés de Dieu ou de l’Esprit (J., iii, 3-8 ;

VIII, 47 ; 1 J-, 11, 29 ; ’"'O ; ’^' T’^’ ^’'^i J’ï’' 1 1 s.). Cette naissance surnaturelle est une renaissance (./., iii, 3-17), non pas sans doute simplement dans le sens d’une naissance nouvelle venant ^.’ajouter à une naissance naturelle conii>lète, mais aussi dans le sens d’une délivrance d’un état antérieur de mort et d’une résurrection à la vie surnaturelle. Par cette naissance, nous sommes déjà, et nous serons surtout plus tard, semblables à Dieu (( /., III, 2) ; nous participons à la luiture divine (I y., III, 9) ; nous sommes en communion intime avec le Christ (./., xv, 6, 7) et avec l’Esprit (I J., 11, 20, 27). Cette coiniiiiinion reçoit son couronnement dans la vision béatilique (l /., iii, 2 ; Apoc, iii, 12 ; , xiv, ), mais elle est déjà très réelle ici-bas. car le IChrist et par lui la Trinité entière habitent dans ll’àine du juste (7., xiv, 23). Jésus est non seulement lia vérité montrant aux hommes le chemin du ciel, il lest aussi la source de vie : c’est lui qui communique tl’eau vive et le pain de vie, c’est-à-dire la grâce qui subsiste en la vie éternelle (J., iv, 10, 14 ; vi, 27). jCe pain céleste qui donne la vie au monde, c’est Id’abord la personne de Jésus, source de grâce par la [foi et le baptême (J., vi, 33, 35) ; c’est aussi, d’une ifaçon plus précise, la chair et le sang du Christ, Isource de grâce dans l’Eucharistie (./., vi, 51-58). Le Ibaptème et l’Eucharistie sont les rites sacramentels iprincipaux par le moyen desquels se propage le rèf gne intérieur et mystique que le Christ est venu fonder sur la terre. L’agent divin de la propagation de ce règne, l’intermédiaire obligé par lequel le Christ entre en communion avec ses lidèles, c’est l’Esprit Sainl, que Jésus glorifié enverra (J., vii, 37-38 ; xiv, 15-ig, 25-20 ; xv, 26 ; xvi, 7-15).

Toutes les notions développées jusqu’ici sont étroitement connexes : naissance surnaturelle, liliation divine, participation de la nature divine, union intime avec Dieu, ne sont à les bien considérer que des aspects multiples d’une même réalité. S. Paul rattache d’ordinaire la liliation adoptive à la mission de l’Esprit, S. Jean à la naissance de Dieu ; mais pour S. Jean aussi, la présence du Christ en nous nous est cerliliée ]iar le témoignage de l’Esprit (I /., III, 24 ; IV, 13). Etant données la complexité cl la richesse du concept d’Esprit chez S. Paul, on ne pourrait pas, semble-t-il, s’appuyer sur cette légère dilférence d’avec S. Jean, j]our assigner comme fondement à l’adoiition liliale, l’inhabitation de l’Esprit-Saint, de préférence à la grâce sanctifiante. C’est <e qu’ontfait cependant les Pères grecs et à leur suite cjuelques théologiens (Lbssus, Petau, Tho.massin, Schei : ben). Les Pères latins, S. Thomas et le concile de Trente s’en tiennent à la lettre de S. Jean.

La naissance divine, par le principe vital nouveau qu’elle nous communique, inaugure en nous la vie nouvelle. Cette vie nouvelle sanctilîe l’être et exclut le péché (I y., 111, 6, 9, 10 ; V. iG-18). Elle élève les I)uissances de l’âme et surnaturalise les actes. Elle devient une source de lumière et de connaissance surnaturelle (./.. VI, 4"’-46 ; xiv, 17, 26 ; 1 J., 11, 27). L’opération de l’Esprit-Saint dans les disciples aura pour princii)al effet une illumination intérieure grâce à laquelle la vérité révélée se manifestera tous les jours davantage à l’esprit des chrétiens (7., xvi, 13). La vie nouvelle déposée en nous par la génération divine est aussi un foyer intense d’amour surnaturel pour Dieu et les enfants de Dieu. La charité est inséparable de la grâce, elle est un fruit de l’Esprit, le moyen de le conserver, la source de toutes les vertus et un gage de salut. Comme l’amour peut se perdre, il fait l’olijet d’un commandement tout spécial (l J., iii, 4)’L’amour de Dieu pour nous et notre amour pour Dieu constituent le commerce de l’amitié (J., XV, 12 ss.).

Divinisée dans son être et ses facultés, l’âme chrétienne se sanctiliera progressivement et s’approchera de l’image de Dieu. La grâce s’épanouira en une magnilique floraison d’oeuvres méritoires. Mais aussi bien, cette grâce est nécessaire, sans elle, pas d’activité salutaire et fructueuse (./., v-iii, 47 ; xv, 1-7 ; I y., II, 29 ; iii, 6. g ; v, 18). L’actuation de la grâce en bonnes œuvres exige la libre coopération de rhommc. Pour demeurer en Jésus, il faut garder sa parole, observer ses commandements, conformer notre volonté à la sienne (J., vui, 51 ; xiv, 21 ; I J.). S’il arrive au chrétien de pécher, il pourra retrouver la vie par la médiation de Jésus-Christ (L/., 11, 1). I Car le chrétien justilié peut pécher (I Joaii., 11, i ; V, 16-17) ^* l’assertion catégorique de la première éjiitre de Jean (m, 9 ; v, 18) ne vise pas à nier cette possibilité. Oinnis, qui natus est ex Deo, peccalian non facit. quoniam semen ipsiiis in eo manet. et non potest peccare, quoniam er fJeo nains est. Etant donné le but de l’épilre, qui est d’éloigner les chrétiens du péché en leur inculquant la véritable doctrine ehristologique, ce texte ne peut signifier l’inamissibilité de la justice, mais seulement son inconipossibililé avec le péché. La justice et le péché ne peuvent [)as plus cohabiter que Dieu et le diable, car la justice est tille de Dieu et le péché est l’œuvre du diable. L’aflirmation de S. Jean revient donc à ceci : le juste né de Dieu, aussi longtemps qu’il se comporte en lils de Dieu et garde le semen divin déposé en lui par la régénération baptismale (Joan., iii, i ss.), ne pèche pas et ne peut pas pécher. Il cesserait 343

GRECQUE (ÉGLISE)

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alors d’être fils « le Dieu et deviendrait enfant du diable.

Telle est dans ses grandes lignes la doctrine de l’Evangile et des Epitres de Jean sur la grâce. Dans r.Vpocalypse, il est bien question de la rédemption par le sang du Christ, du triomphe du royaume de Dieu et des saints sur la tyrannie de Satan, de la récompense donnée aux justes et du châtiment des différents crimes, mais on y voit moins l’action proprement dite de l’Esprit-Saint et de la grâce sanctiiiant les tidèles.

La doctrine de Jean, plus encore que celle de Paul, s’oppose formellement à ce que nous entendions o)la vie nouvelle communiquée par la grâce sanctiliante d’une simple orientation nouvelle de la vie morale déterminée par la foi en la révélation divine ; b) la participation de la nature divine d’une pure assimilation morale à l’activité de Dieu et c) l’union avec le Christ d’une communauté de sentiment et de volonté. C’est là la Ihèse des protestants orthodoxes ; c’était aussi la position plus ou moins ouvertement défendue par c|uehjues catlioliques allemands, avant le concile du Vatican (p. ex. Kunx, Die Christtiche l.ehre von der gutlliclten Cnade nach ilireni inneren Zusaminenhang, Theul. Qiiartnlschtift, 1853, p. 69112 et 197-260, etdansune multitude d’autres écrits ; RucKGABEn, [’ntersucliiuit ; en iiŒr die l.ehre von der Kirche, Theol. Quartahchrift, 1868, 287-266. Touchant la conception que Kuhn se formait de la grâce, voir ScHA>Z, Zitr Eriniierung an Johannes Evangelist von Kuhn, Theol. Quarlatschrift, 188-). Quoi qu’on fasse, on ne rendra jamais pleinejuslice aux formules | pauliniennes et johannines, si l’on se refuse à y voir j l’allirmation de l’existence dans l’homme régénéré d’une réalité nij’stique mais réelle, d’un principe transcendant d’ordre divin qui le constitue lils de Dieu, membre du Christ et temple de l’Esprit-Saint. Nier cette réalité, ce serait enlever à l’ordre surnaturel tout son mystère et le réduire à la foi en la révélation divine.

Bibliographie. — Xous ne connaissons pas de monographie consacrée à l’étude des fondements scripluraires de la doctrine de la grâce. Par contre les ouvrages traitant des questions connexes sont innombrables. En dehors des commentaires, des histoires des dogmes, des études sur la religion d’Israël, des théologies de l’Ancien et du Nouveau Testament, on consultera utilement les ouvrages suivants :

Ouvrages catholiques. — Lebreton, /.es origines du dogme de la Trinité, Paris, lyio ; Batiffol, L’Enseignement de Jésus, Paris, 1906 ; Prat, La théologie de saint Paul, Paris, t. I, 1908, t. II, 1912 ; Tobac, Le problème de la justification dans S. l’uul, Louvain, 1908 ; Rademacher, Die iibernatià liche Lebensordnung nach der paulinischen und johanneischen Théologie, Fribourg-en-Brisgau, 1903.

Ouvrages non catholiques. — Dieclcmann, Die christtiche Lehre von der Gnade, Berlin, 1901 ; Boehmer, Der alttestamentliche l’nterbau des Ueiches Gottes, Leipzig, 1902 ; ’Volk, Die alttestamentliche Ileilsgeschichte ubersichtlich dargestelll, Giitersloh, igoS ; Kerswil, The O. T. doctrine of salvation, Pliiladelphie, 1904 ; Kôberle, Siinde und Gnade ini religiôsen Leben des Volkes Israël bis auf Chrislum, Miinchen, iQoS ; Stærk, Siinde und Gnade nach der Vorstellung des dlteren Judentums, Tiibingen, iyo5 ; Fritschel, Die Schriftlehre von der Cnademvahl, Leipzig, 1906 ; Nôsgen, Der Ileilige Geist, sein Wesen und die Art seines IVirkens erdrtert, Berlin, 1907 ; Lechler, Die btbiische Lehre

vom heiligen Geiste, Giitersloh, 1899 ; Swete, The hoir Spirit in the Ne^v Testament, London, 1909 ; Bômel, Der Begriff der Gnade iniNeuen Testament. Giitersloh, igoS ; Kræmer, Die Bedeutung der Gottesgemeinschuft fur dus siitliche Leben nach der l.ehre des Paulus, Xeukirchen, 190g ; A. Seeberg, Christi Person und ll’erk nach der Lehre seiner Jauger, Leipzig, 1910 ; Gennrich, /Jie £e/(re ton der Wiedergeburl, die christliche Zentrallehre in dogmengeschichtlicher und religionsgeschichtlicher Beleuchlung, Leipzig, 1907.

E. Tobac.