Dictionnaire apologétique de la foi catholique/Gouvernement ecclésiastique

Dictionnaire apologétique de la foi catholique
Texte établi par Adhémar d’AlèsG. Beauchesne (Tome 2 – de « Fin justifie les moyens » à « Loi divine »p. 162-168).

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE. —

I. Objections des modernistes et autres. — U. Caractère autoritaire du gouvernement de l’Eglise, affirmé plus fortement que jamais au xix' siècle : raison providentielle de ce fait. — III. Ce n’est point cependant un gouvernement sans garanties. — IV. On ne peut pas non plus reprocher à ce gouvernement une centralisation sans limites.

I. Objections des modernistes et autres. — Comme toutes les sociétés puissantes, l’Eglise a une forte discipline, et une autorité ferme. De tout temps, l’esprit d’indépendance et de révolte a élevé ses réclamations contre cette autorité. De nos jours, cet esprit ayant fait d’indéniables conquêtes dans la société civile, peut trouver dans ce fait un nouvel argument contre l’Eglise. Ne devrait-elle pas, elle aussi, accorder à ses sujets les garanties que proclament toutes les constitutions modernes ? ne devrait-elle pas faire sa place au mouvement déraoeralique ? D autre part, pour lutter précisément contre ces tendances et contre les autres périls qui l’entouraient, l’Eglise a dû de plus eu plus resserrer son unité. Xe serait-elle pas tombée ainsi dans une centralisation excessive ? Et ici, en plus des esprits insubordonnés de tout à l’heure, nous rencontrons en face de nous certains penseurs, d’ordinaire plus clairvoyants, qui. frappés de la centralisation excessive des Etats modernes et des abus qu’elle a entraînés, sont tout prêts à faire le même reproche à l’Eglise (on peut relever des préoccupations de ce genre chez Le Play et chez Taine).

Les modernistes devaient naturellement, après les américanistes, s’approprier ces attaques contre les prétendus excès du principe autoritaire. Voici comment l’encyclique Pascendi résume leur pensée à ce sujet : « Aux temps passés, c'était une erreur commune que l’autorité fût venue à l’Eglise du dehors, c’est-à-dire de Dieu immédiatement : en ce temps-là on pouvait à bon droit la regarder comme autocratique. Mais on en est bien revenu aujourd’hui… Xous sommes à une époque où le sentiment de la liberté est en plein épanouissement : dans l’ordre civil. la conscience publique a créé le régime populaire. Or, il n’y a pas deux consciencesdans l’homme, non plus que deux vies. Si l’autorité ecclésiastique ne veut pas, au plus intime des consciences, provoquer et fomenter un conflit, à elle de se plier aux formes démocratiques..A.u surplus, à ne le point faire, c’est la ruine. Car, il y aurait folie à s’imaginer que le sentiment de la liberté, au point où il en est, puisse reculer. Enchaîné de force et contraint, terrible en 313

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

314

serait l’explosion ; elle emporterait tout, Eglise et religion, u

Et plus loin, dans l'énuinéralion des réformes réclaaiées par les modernistes :

« (Jue le (Touvernenient ecclésiastique soit réformé

dans toutes ses brandies… Que son esprit, que ses procédés extérieurs soient mis en harmonie avec la oonsciencc qui tourne à la démocratie ; qu’une part soit donc faite dans le gouvernement au clergé inférieur et même aux laïques ; que l’autorité soit décentralisée, n

Sur le développement de ces mêmes idées aux époques précédentes, on peut voir en particulier la bulle Auctorem fidei, condamnant les erreurs du synode dePistoie, Denzixgkr-Ban.nwaht, 1509(13 ; 2), 1510, lôii ; Granderath, Histoire du concile du Vatican, t. I, p. 187 ; G. Goyau, L’Allemagne religieuse, le Catholicisme, t. II, cli. iv, g 4 ; t. IV, ch. vii, §3.

Contre ces prétentions des modernistes ou autres, l’argument essentiel, c’est l’argument d’autorité : établir quelle constitution JésusCUrist a donnée à son Eglise, d’où suivra nécessairement la condamnation de ces prétentions qui y sont directement opposées (cf. les articles Eglise, EviiQUEs, Papauté).

Mais on peut aussi, en face des considérants d’ordre humain que nous avons rapportés, établir l’excellence du gouvernement de l’Eglise considéré en lui-même, indépendamment de son origine divine. Les grands docteurs n’ont jamais négligé cet argument de raison ou de convenance ; c’est celui que nous allons développer ici.

II. Caractère autoritaire du gouvernement ecclésiastique, af armé plus fortementque jamais au xix* siècle ; raison providentielle de ce fait. — Lorsqu’on étudie l’histoire politique du xix" siècle, dans les difl'érents Etats, on est frappé de ce fait universel : partout le principe d’autorité perd peu à peu du terrain. Au début du siècle, un peu partout, le pouvoir politique s’exerçait sans discussion et sans contrôle. Peu à peu il a vu ses droits diminuer, et là où il n’a pas été renversé par les révolutions, il a du moins été contraint de laisser discuter ses actes. De là peut-être quelques avantages dans certaines situations données, et par exemple pour réagir contre la décadence des monarcliies absolues ; nousn’avons pas ici à l’examiner. Mais incontestablement, au milieu de tous ces changements politiques, le principe même d’autorité a été gravement atteint. Là même où il se défend encore, il n’a plus la même vigueur qu’avilrefois. En général, le monde moderne a trop pris 1 habitude de discuter son obéissance. Cette belle vertu, si importante dans la vie chrétienne, semble de nos jours de moins en moins comprise.

.u moment du concile du Vatican, on a pu se demander si cette idée de diminuer les droits de l’autorité, de lui disputer le terrain, n’allait pas faire irruption jusque dans l’Eglise. Dceluxger réclamait déjà le droit des laïques ; il désirait en somme que les autorités ecclésiastiques relevassent de l’opinion comme les chefs d’Etat modernes. Mgr Maret, dans son ouvrage Le Concile et lo Paix religieuse, sans aller aussi loin, se bornait, en proclamant la supériorité des conciles sur les Papes, à en demander la périodicité ; le chef de l’Eglise eut été, pour ainsi dire, soumis au contrôle d’un parlement. Mais depuis longtemps déjà une tendance tout opposée s'était dessinée dans les milieux catholiques. Pour les esprits vraiment perspicaces, ildevenait évident qu’il ne fallait rien concéder, sous quelque forme que ce fût, à l’esprit d’insubordination et de désordre, si l’on voulait garder encore quelque chose debout au

milieu des ruines amoncelées ; que, bien loin de llatler, comme le demandaient quelques-uns, les tendances du siècle à discuter l’autorité, il fallait au contraire la fortilier, en raison même des attaques dont elle était l’objet. Ainsi l’on sentait le besoin de rejeter certaines opinions moins sûres, qui avaient pu être tolérées dans une société ordonnée, mais qui devenaient un danger mortel au milieu de la dissolution contemporaine. Les doctrines gallicanes se trouvaient dès lors vouées à disparaître. Joseph DE Maistre surtout insista avec force sur cette idée ; après lui, le mouvement se continua ; il devait triompher au concile du Vatican. Ainsi, en face de ce déluge d’innovations plus ou moins libérales ou anarchiquesqui emportait tous les peuples modernes, la vieille constitution monarchique de l’Eglise fut allirraée avec plus de force et de clarté que jamais. Et il s’est trouvé qu’en accomplissant cet acte qui effraj’ait les esprits politiques et conciliants, qui devait à jamais rejeter le siècle loin de l’Eglise en blessant ses plus chères aspirations, on lui présentait au contraire le remède dont il commencerait bientôt à sentir le besoin. Les témoignages sont innombrables aujourd’hui d’hommes politiques ou autres.gèmissant sur le lléchissenientde l’autorité, sur le relâchement de tous les liens sociaux. Dans l’Eglise, spectacle tout opposé : plus que jamais depuis le concile, le loyalisme envers Rome, le dévoùment au Pape, l’esprit d’obéissance résultant d’une sorte d’amour filial pour l’autorité, la foi en une autorité suprême et le respect pour elle, c’est-à-dire tout ce qui fait les sociétés fortes et prospères, s’est afBrmé comme l’un des traits dominants de l’Eglise catholique. Le moment est donc bien mal venu pour les modernistes de conseillera cette Eglisede se modeler sur les sociétés modernes, qui auraient au contraire à recevoir d’elle tant de leçons.

Xe voyons pas d’ailleurs dans ce fait le simple effet d’un heureux hasard, mais bien plutôt une disposition de la Providence. C’est la leçon q>ie nous donne Léon XIU dans sa lettre au cardinal Gibbons sur l’Américanisme : « La Providence divine, écrit-il, a voulu que l’autorité du Siège Apostolique et son magistère fussent allirmés par une définition très solennelle, et elle l’a voulu précisément afin de prémunir les intelligences chrétiennes contre les périls du temps présent. La licence confondue un peu partout avec la liberté, la manie de tout dire et de tout contredire, enfin la faculté de tout apprécier et de propager par la presse toutes les opinions, ont plongé les espritsdans des ténèbres si profondes que l’avantage et l’utilité de ce magistère sont plus grands aujourd’hui qu’autrefois pour prémunir les fidèles contre les défaillances de la conscience et l’oubli du devoir. i>

lll. Ce n’est pas cependant un gouvernement sans garanties. — Il ne faut donc pas attendre de l’Eglise qu’elle accorde à ses enfants ces garanties constitutionnelles dont les modernes font tant d'état. Mais croire qu’il ne peut y en avoir d’autres, comme font d’ordinaire les publicistes libéraux, c’est faire preuve d’une singulière étroitesse d’esprit. De ce que l’Eglise a un gouvernement très dilTérent de nos régimes modernes, il ne s’ensuit pas du tout que les inférieurs y soient livrés à l’arbitraire, qu’il ne s’y trouve pas de garantie contre l’oppression. Je ne sais au contraire si aucune constitution en offre de pareilles.

1" garantie : le caractère religieux et surnaturel de ce gouvernement. — Bien mieux que les mécanismes extérieurs les plus ingénieux, les forces qui agissent sur la conscience des chefs i>rolègent les 315

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

316

subordonnés contre les excès du pouvoir. A ce point de vue, ceux qui obéissent à l’Eglise sont dans une situation exceptionnellement privilégiée. >'on seulement le pouvoir dont ils relèvent reconnaît la religion et toutes les lois qui en dérivent, le souverain domaine de Dieu et les comptes terribles que toutes les autorités d’ici-bas auront à lui rendre, mais tout son but, toute sa raison d'être est de rappeler ces vérités aux hommes. Il est donc, quelles que soient les défaillances de la nature humaine, aussi peu que possible exposé à les oublier lui-même. Tout l’enseignement traditionnel de l’Eglise, depuis la Bible et l’Evangilejusqu'à la /^e^ « /(i /(flsfo/o/is de S. Grégoire le Grand et au De consideratione de S. Bernard, vient encore fortitier ces convictions, réprimer tout ce qu’il y a de trop humain, tout ee qu’il peut y avoir parfois de féroce dans l'àpre jouissance de commander. U est impossible qu’après cela tout l’ensemble du gouvernement ne s’en trouve tempéré et adouci d’une manière plus qu’humaine.

?= garantie : le mode de sélection des chefs. — Ajoutons à cela le choix des chefs. L’Eglise étant une société spirituelle, l’hérédité n’y a pas de place. Mais tout n’y est pas pour cela livré à l'élection, dont le règne, en favorisant les ambitions et les intrigues, assure souvent si peu la nomination des plus dignes. Ce qui domine dans l’Eglise, c’est la désignation par en haut, le choix fait par les anciens, par les chefs ; mais tout d’abord le choix fait par Dieu lui-même, car pour entrer dans la carrière ecclésiastique, il faut un appel d’en haut. Et, pour reconnaître cet appel, les supérieurs ne considèrent pas surtout l’aptitude à manier les hommes, comme on le ferait dans une administration humaine, mais la piété et la pratique des vertus évangéliques. Les sujets ainsi choisis seron-t soumis à des obligations très austères, suffisantes par elles-mêmes pour écarter tout ce qui ne serait que médiocre, et, avant d'être admis à titre définitif, ils devront passer par l'épreuve de préparalions prolongées. Dans tout cela encore que de garanties pour les subordonnés I Et vraiment quiconque examine de bonne foi l’ensemble du clergé catholique nereconnaitra-t-il pas que jamais snr terre on n’a vu sélection aussi heureuse, réalisation aussi parfaite du gouvernement des meilleurs ?

Au sommet le Pape, élu, mais par un corps d'élite, peu nombreux, séparé du monde pendant la duréede l'élection, ce qui supprime la plupart des abus du régime électif, et encore élu aux deux tiers des voix, pour que son choix n’ait pas même l’apparence d’un triomphe de parti, qu’il soit vraiment l’homme de tous. Mode d'élection où.. Comte a signalé non sans raison un k ensemble de précautions successives vraiment admirable », « un véritable chef-d'œuvre de sagesse politique u (Cours de Philosophie positit-e, t. V, p. a45, édit. Littré).

î= garantie : la plénitude même d’autorité et de responsabilité du chef suprême. — Ici nous rencontrons la grande erreur du libéralisme politique, qui cherche toujours à alfaiblir l’autorité pour rempêclier de devenir oppressive. Bossuet a répondu depuis longtemps : n Ce que vous voulez faire faible à vous faire du mal…, le devientautant à proportion à vous faire du bien, u ( ('>= a^-ertissemeiit aux Protestants, § 56.) Ce souverain qvie vous rendez impuissant à vous opprimer devient impuissant à vous protéger. Comme cela est vrai à la lettre, de toutes les Eglises qui ont voulu se garder contre les empiétements de Rome ! Les vraies garanties contre les abus du commandement doivent être cherchées dans vine autre ligne que dans ces limitations et ces divisions du pouvoir, qui aboutissent ou bien à ruiner l’autorité,

ou à la déplacer, en la faisant passer d’un chef conscient et responsable à une assemblée où la responsabilité dispersée n’existe plus. Bossuet nous le dira encore : « Sans borner la puissance par la force que vous vous pouviez réserver contre elle, le moyen le plus naturel pour l’empêcher de vousopprimer, c’est de l’intéresser à votre salut. » (Ibid.) Et encore :

« Lui mettre (au souverain) l’Etat entre les mains, 

alin qu’il le conserve comme son bien propre, c’est un moyen très pressant de l’intéresser, o (Ibid.) Le fait même que le Souverain Pontife a d’une manière entière et stable le pouvoir sur toute l’Eglise, donne une solide garantie qu’il n’usera pas d’une pareille force à son détriment. Placé au centre de l’Eglise, maintenu en communication continuelle avec toutes ses parties, il est le premier à en ressentir tous les maux, le premier intéressé à y porter remède. Celte union, cette identité entrel’intérêtduchef et celui des membres, siimportantedanstoute société, n’est nulle part plus fortement et plus solennellement affirmée que dans l’Eglise catholique, aussi bien pour chaque Eglise particulière que pour tout l’ensemble. L'évêque, au jour de sa consécration, contracte un véritable mariage spirituel avec son Eglise ; elle devient son épouse, il n’a désormais plus de vie que pour elle. Là apparaît une des raisons profondes du célibat ecclésiastique : cet homme, qui va devenir le père des fidèles, a renoncé au préalable à toute autre paternité, son cœur ne sera pas partagé, il aimera son Eglise comme son propre héritage, comme un père aime ses enfants. Encore une fois, intéresser si étroitement le chef au bien de ses inférieurs, n’est-ce pas une combinaison plus heureuse et plus efficace que de limiter son pouvoir par des textes juridiques ?

i' garantie : l’esprit de tradition et de stabilité qui domine tout ce gouvernement. — D’ailleurs dans cette monarchie, la mieux ordonnée qui fut jamais, se trouvent aussi des lois fondamentales contre lesquelles rien ne saurait prévaloir. Ceux qui ont la direction de l’Eglise n’ont pas pour charge de la conduire à leur gré, mais bien de maintenir la constitution que Xotre-Seigneur Jésus-Christ lui a donnée. Constitution très souple assurément, fixée seulementdans ses très grandes lignes, et pouvant s’adapter en conséquence aux conditions les plus diverses, mais imposant néanmoins une limite au pouvoir. Et puis, même en dehors de ces quelques points strictement immuables, le gouvernement ecclésiastique s’inspire encore constamment de la tradition. Et quand une nouveauté disciplinaire s’impose, quel souci de la rattacher encore de quelque manière au passé ! D’ailleurs ces autorités gardiennes de la tradition sont elles-mêmes stables et, comme telles, indépendantes vis-à-vis de l’opinion. Combien un tel régime ofïre-t-il plus de garanties à ses sujets que nos démocraties modernes, capricieuses et changeantes, où une possession séculaire peut être à chaque instant mise en question par la tyrannie d’une majorité, ou même d’une minorité violente !

5* garantie : Les prescriptions canoniques concernant les droits des inférieurs. — L’Eglise ne veut nulle part l’arbitraire. Le gouvernement ecclésiastique doit être réglé par les saints canons. Le SaintSiège seul a le droit de s’en affranchir et d’en dispenser quand les circonstances le demandent ; et c’est ce qui permet de les appliquer avec prudence et vigueur. Or, parmi ces prescriptions canoniques, un grand nombre ont pour but de garantir les droits des inférieurs. Nomination des curés au concours, inamovibilité, établissement d’une officialilé dans chaque diocèse, autant d’institutions que le droit canon en principe impose partout, et qui offrent au 317

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

318

I

clergé du second ordre d’iniporlanles garanties. Ecoutons un canonisle très orthodoxe, même très ultraniontain :

« L’Eglise, qui manifeste suflisamment par sa discipline

qu’elle ne veut ni la tyrannie dans les chefs, ni la servitude dans les subordonnés, a cherché, de tout temps, à circonscrire le pouvoir absolu en lui imposant des barrières. Elle a eu constamment à cœur d’arrêter toute tendance à la domination et de venger les abus d’autorité commis contre les inférieurs, ayant toujours soin que ceux cijouissent d’une sage mesure de liberté et d’indépendance. » (L’abbé André, Cours alphabétique et méthodique de Droit Canon, art. 0//icialités.)

L’Eglise de France au xix’siècle s’est trouvée privée de ces garanties, et les évêques y ont joui d’un pouvoir à peu près discrétionnaire ; mais c’est parle fait du pouvoir civil, en vertu des articles organiques. Ce régime a pu avoir ses avantages dans les circonstances ditliciles où l’on se trouvait, mais il n’a jamais été considéré comme une condition vraiment normale pour l’Eglise.

A consulter : Emile Ollivier, L’Eglise et l’Etal au

Concile du Vatican, t. I, ch. iii, § 3 ; Tainb, Le Régime

ICI’.’, V. rb. I, § 8 ; oh. II, § a ; ch. ni, § 3 ; Du implet de l>r : l Canonique, tomes VII

le qu’envers et contre

ainlenue auclergé infé ilome. Pie IX, la défen gallicanes de Mgr Uar

: „, i ij i"’. i’j ! de S. Bernard au Pape

Innocent II, qui expriment très heureusement le caractère du gouvernement ecclésiastique : « Entre tout ce qui distingue voire primauté singulière, voici ce qui l’ennoblit plus spécialeuient… c’eslquevous pouvez arracher le pauvre de la main de plus puissant que lui. » (Lettre du 26 octobre 1865, citée par Ollivier, Concile du Vaticun, i.l, p. 298.)

Enlin, tout dernièrement. Pie X, par le décret Maxima cura (Actavpostolicæ Sedisvw’à août igio), qui s’applique expressément à tous les curés, aussi bien aiWS. desservants qu’auxautres, a établi des règles lixes pour le déplacement par voie administrative. Le principe de l’inamovibilité est d’abord rappelé,

« præscriptum generatim…, ut stabiles in suo ollicio

permanerent » ; puis vient une procédure détaillée d’une admirable sagesse, où les nécessités du gouvernement sont sauvegardées et en même temps les garanties les plus sérieuses accordées aux inférieurs ; cela au moment où la France républicaine n’arrive pas à mettre sur pied le statut des fonctionnaires.

6’garantie : Les assemblées : conciles, assemblées consultatives à tous les degrés de la hiérarchie. — Enlin, dans ce gouvernement si strictement monarchique, une place mesurée est faite cependant à la libre discussion. Les assemblées y ont un rôle réel, quoique non essentiel. Les Papes ont la plénitude de l’autorité pour gouverner toute l’Eglise ; cependant, dans les moments de crise, ce peut être un devoir pour eux de réunir un concile œcuménique pour parer [lar ce remède exceptionnel à des dangers pressants. Les conciles provinciaux sont exigés à intervalles périodiques par le droit canon. Ces réunions, il est vrai, diffèrent beaucoup de nos assemblées politiques modernes, ne fût-ce que par ce seul traitque les délibérations en sont secrètes. Mais ne faudrait-il pas voir là encore un trait de ce caractère sagement tempéré que nous retrouvons partout dans l’Eglise ? Ce régime de, libre discussion prend siviteune allure désordonnée, il est si exposé à franchir toutes les limites et à tout envahir 1 N’est-ce point prudence, en lui faisant une

juste place, de l’assujettir par précaution à des règles rigoureuses pour le maintenir à son rang subordonné ?


En outre, à tous les degrés de la hiérarchie, les supérieurs ont à leurs côtés une assemblée consultative dont l’inlluence est très appréciable. L’évéque doit consulter son chapitre ; il doit encore périodi(luement réunir son synode diocésain. Le Pape est assisté du Sacré-Collège, et, même lorsqu’une réunit pas de concile, il consulte continuellement sur les questions importantes l’épiscopat dispersé. On voit avec combien de raison le cardinal P11- ; disait en répondant à Mgr Maret :

« Est-il équitable d’emprunter au triste vocabulaire

de ce temps des expressions envenimées par les réactions politiques, et d’accumuler à propos du pouvoir le plus grave, le plus mesuré, le plus entouré de conseils humains, en même temps que le plus assisté de la protection d’en haut, les mots cent fois répétés de pouvoir personnel, de pouvoir séparé, de pouvoir arbitraire et despotique : suppositions accusatrices, que repousse l’expérience de dix-huit siècles d’exercice de cette autorité pontiflcale, toujours amie de la modération et des tempéraments, encore qu’elle n’ait jamais douté de son droit et de son pouvoir suprême ? « (Cardinal Pie, Œuvres, t. VI, p. 472.)

IV. On ne peut pa3 non plus reprocher â, ce gouvernement une centralisation sans limites.

A. Lu centralisation sous sa /orme lu plus odieuse, ta destruction de toutes les forces autonomes et l’absorption de tous les pouvoirs en u/t seul, est exclue par les principes mêmes de l’Eglise catholique : autonomie de l’Eglise, autonomie de l’Etat dans sa sphère, autonomie de la famille. — Ce que les crili([ues les plus sérieux de l’Etat moderne lui ont reproché sous le nom de centralisation, ce n’est pas tant d’avoir élargi les attributions de l’autorité centrale aux dépens des autorités locales, que d’avoir systématiquement détruit toutes les forces autonomes qui pouvaient limiter son action, s’opposant à la formation de toutes les œuvres collectives et perpétuelles, se chargeant, lui Etat, de toutes les besognes, et tendant à absorber tous les pouvoirs dans le sien. Prise ainsi dans son sens le plus rigoureux, la centralisation moderne est directement opposée aux principes mêmes de l’Eglise catholique ; il ne saurait donc en être question pour elle.

L’Eglise proclame d’abord sa propre autonomie vis-à-vis de lElat. Par son existence seule, elle constitue une force indépendante qu’il n’est pas possible de supprimer. Elle proclame l’indépendance du pouvoir spirituel vis-à-vis du temporel : toute une partie de l’activité humaine échappe, de ce fait, aux prises de l’Etat ; et ainsi elle a fait faire, suivant A. Comte, le plus grand progrès social à l’humanité.

N’entendant point se laisser absorber par l’Etat, elle ne prétend pas davantage à absorber celui-ci en elle ; elle reconnaît formellement son indépendance dans sa sphère propre. Ecoutons Léon XIII :

« Dieu a réparti entre le pouvoir ecclésiastique et

le pouvoir civil le soin de pourvoir au bien du genre humain. Il a préposé le premier aux choses divines et le second aux choses humaines. Chacun d’eux dans son genre est souverain ; chacun d’eux est renfermé dans des limites parfaitement déterminées et tracées en conformité exacte avec sa nature et son principe ; chacun d’eux est donc circonscrit dans une sphère où il peut se mouvoir et agir en vertu des droits qui lui sont propres. » (Encyclique Immortaie Dei.)

Le pouvoir indirect surle temporel, revendiqué en 319

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

320

certains c, is par l’Eglise, ne contredit nullement ces principes. Par le l’ait même qu’il n’est qu’indirect, il laisse intacte la distinction des deux pouvoirs et ne supprime pas l’autonomie de l’Etat (cf. Pape. Polvoiu indikkct).

Enlin l’Eglise revendique avec énergie et persévérance l’autonomie de la famille vis-à-vis de l’Etat. Tandis que les maîtres de l’Etat moderne s’inspirent du principe de Rousseau, que l’enfant appartient à la république avant d’appartenir à ses parents, l’Eglise ne cesse de redire aux parents qu’ils ont la charge de l’éducation de leurs enfants et qu’ils ne peuvent laisser usurper ce rôle par personne (cf. en [>articulier LÉox XIII, Encyclique Sapientine cliristiaiiae, 18 jauv. 1890). L’Eglise a su respecter ce principe, incnie quand elle aurait eu, semblait-il, intérêt à élargir davantage les droits de l’Etat aux dépens de la famille. C’est le cas d’une famille infidèle vivant sous la juridiction civile d’un prince chrétien. Le prince peut-il user de son pouvoir pour faire baptiser les enfants et les élever ensuite dans la religion chrétienne ? Non, répond l’Eglise, parce que, de droit naturel, le soin des enfants est conlié à leurs parents (cf. S. ÏHO.MA.S, IP II » ", q. 10, a. 12).

Ainsi partout 1 Eglise reconnaît des droits limités mais inviolables, des autorités diverses mais également respectables, agissant librement dans leur sphère, et se faisant naturellement contrepoids les unes aux autres : c’est le contre-pied de la centralisation absolue.

B. Vaux l’intérieur même de l’Eglise, efflurescence des associations religieuses : large aulonumie qui leur est reconnue. — Dans son gouvernement intérieur, elle s’organise d’après les mêmes principes. L’Etat moderne maintient en général les individus isolés, afin qu’ils n’aient d’autre lien entre eux que son autorité suprême. Partout au contraire, l’Eglise unit, groupe, associe, et d’une façon durable et perpétuelle. Aussi nulle part chez elle l’uniformité bureaucratique ; partout la Aie et la variété féconde. Les historiens du moj’en âge l’ont souvent remarque, mais le fait n’apparaît peut-être j)as moins dans l’admirable éclosion des congrégations religieuses au xixe siècle. Tous ces corps, anciens ou nouveaux, sont essentiellement spontanés ; ils se recrutent eux-mêmes par la libre volonté de leurs membres ; ils olicissenl à des supérieurs choisis dans leur sein et par leur propre suffrage. L’organisation de la vie religieuse représente ainsi, dans l’Eglise, un clément fort important de se//"^oce/71meH^ Or, bien loin de se montrer jalouse du développement de ces organismes formés spontanément dans son sein, l’Eglise les encourage de toute manière, elle les comble de faveurs et de privilèges. Par l’exemption, elle soustrait même partiellement les plus importants à l’autorité des évêques. pour leur assurer une plus large autonomie. Ainsi la puissance centrale de l’Eglise, la Papauté, s’est toujours faite la protectrice des plus saines libertés. Tandis que le pouvoir civil, et parfois, à sa suite, certains évêques, tachaient de restreindre l’inlluence et les droits des ordres religieux, considérés comme des forces trop indépendantes, les Papes au contraire les ont toujours soutenus. Voilà un point au moins, où le triomphe des idées ultramontaines sur les tendances nationales aura été vraiment libérateur. Tous les partisans des corps autonomes et spontanés, tous les ennemis du despotisme centralisateur devraient en convenir.

C. Dans les rapports du pouvoir central avec les églises parliculièresjes liens ont été en se resserrant ; cependant là encore la constitution de l’Eglise marque elle-même une limite, et ne permet pas une centralisation absolue. — Il est incontestable que l’unité

extérieure de l’Eglise entière a été se resserrant de plus en plus. Dans les derniers siècles surtout, et tout spécialement an xix’siècle, le pouvoir eu Pape sur toute l’Eglise et sur les évêques eux-mêmes a été allirmé i)lus clairement et exercé plus effectivement que jamais. Il semble que ce soit une loi de toute société vivante, de resserrer ainsi son unité, et c’est, le plus souvent, la condition de progrès de toute sorte. Il peut y avoir excès : la France moderne, par exemple, paraît en souffrir. Le tout est de savoir s’il y a eu excès de même dans l’Eglise ; un rapprochement superllciel ne suffit pas à le conclure. Ainsi, quand nous voyons l’Eglise resserrer son junité à mesure qu’elle a eu plus d’obstacles à vaincre, pourquoi nous étonner ou nous plaindre ? C’est une marque de la Providence divine sur elle, qui augmente ses forces par une concentration plus étroite, à mesure que ses besoins sont plus grands. Bien moins encore devons-nous trouver exagérées les délinitions du Concile du Vatican à ce sujet. Certes, l’autorité du Pape y est vigoureusement allirmée. Il n’a pas seulement « une primauté d’honneur, un office d’inspection ou de direction ; il possède encore la primauté de juridiction, un plein et suprême pouvoir de juridiction sur l’Eglise universelle…, la plénitude totale de ce pouvoir suprême, non pas indirectement et par extraordinaire, ui^is directement et à l’ordinaire, sur toutes les Eglises et sur chr.fune d’elles, sur tous les pasteurs et tous les fidèles, sur chacun des fidèles et chacun des pasteurs. » (Concile du Vatican, Constitution Pasior aeternus, cli. m.) Mais si ces formules établissent des précisions nouvelles, pour le fond elles n’innovent rien. Elles sont destinées à frapper au cœur tous ces sjstémes de fédéralisme ecclésiastique, gallican ou fébronien, qui, en réclamant pour les évêques l’indépendance vis-à-vis de Rome, les livraient sans défense aux bureaucraties d’Etat. EnGn elles laissent entier le droit des évêques, et de ce côté la constitution divine de l’Eglise marque elle-racnic îles limites à la centralisation.

à) Les pouvoirs subordonnés sont reconnus, dans l’Eglise, d’origine divine comme le pouvoir suprême ; ils ne sont pas de simples délégations. — Les pouvoirs subordonnés ne sont pas, dans l’Eglise, des créations récentes du pouvoir central, comme les intendances de l’ancien régime, ou les préfectures modernes. L’épiscopat est aussi ancien que la Papauté et que l’Eglise ; comme la Papauté et comme l’Eglise, il est d’institution divine. Celte haute anliquité et cette origine sacrée sont déjà de sérieuses garanties d’indépendance. Quelle différence par exemple entre un préfet du Rhône, dont le titre est une Invention du premier consul, datant d’un siècle à peu près, dont toute la raison d’être n’est guère que d’exécuter les ordres de la faction dominante au moment présent, et un archevêque de Lyon et de Vienne, primat des Gaules, successeur de saint Pothin et de saint Irénée qui ont planté la foi en France, et de tant d’autres prélats dont le nom paraît avec éclat dans notre histoire nationale ! Jamais un homme revêtu d’une pareille dignité ne pourra être réduit au rôle de pur instrument.

Les évêques, de plus, ne sont pas de simples vicaires du Pape, ils ont sur leur diocèse une juridiction qui leur est propre, et qui n’est pas une sinqile délégation. Ce sont bien, suiv.int le mot de Bri.i.ar-MiN, de vrais princes. Même de nos j<Hirs, où leurs droits ne s’exercent plus avec une aussi gran<le indépendance qu’à l’origine, ils gardi’ut en main les trois pouvoirs législatif, exéculif, ju(liciaire. Acondition de respecter les lois communes de l’Eglise, ils peuvent faire dans leiu’s diocèses les lois particulières ipil levir semblent oj)portunes ; ils rendent la justice à leurs 321

GOUVERNEMENT ECCLÉSIASTIQUE

322

clercs ou la l’ont rendre en leur nom, sauf appel aux li’il>unaux romains ; ils uomnicnl à toutes les cliari ; es, le plus souvent sans que Kome y intervienne en rien. Four un fonctionnaire civil, nous verrions là une a< ; sez jolie mesure d’indi’pendance.

b) Les cliefs subordunnés su/il inamovibles (condiliaii essentielle d indépendance). — Les cvèques ne sont pas révocables à volonté comme les fonctionnaires de nos Etats modernes. Us reçoivent leur julidietion du Souverain Pontife, mais une fois installés, ils sont inamovibles, à moins que, par des raisons canoniques, ils ne puissent plus exercer leur pouvoii- ; mais dans ces cas mêmes, on doit leur faire un procès, et de tels procès s’appellent causes ma/eiires. Cette inamovibilité est d’une importance extrême comme principe de décentralisation. Taine l’a remarqué avec g^rande justesse : ce qui maintenait encore beaucoup de libertés particulières sous l’absolutisme de l’ancien régime, c’est que les nombreux fonctionnaires, étant pour la plupart prop- aires de leur charge, se trouvaient pratiquement inamovibles. Chacun d’eux « était bien plus indépendant » que de nos jours ; « il ne craignait point d’être révoqué ni transféré ailleurs, brusquement, à l’inq^roviste, sur un rapport de l’intendant, pour une raison politique, alin de faire place, comme aujourd’hui, au candidat d’un député ou à la créature d’un ministre ». {I.a Hévolution, III. Le Gouvernement révolutionnaire, 1. IV, ch. t, S !) Mais il ne lui a point échappé qu’au milieu de l’instabilité actuelle, le pouvoir ecclésiastique fait exception ; là du moins, on trouve encore lixitc et indépendance : n Dans la ville ou le département, le maire et les conseillers généraux, nommés ou élus pour un temps, n’ont qu’un crédit temporaire ; le préfet, le commandant militaire, le recteur, le trésorier général ne sont que des étrangers de passage. Depuis un siècle, la circonscriiition locale est un cadre extérieur où vivent ensemble des individus juxtaposés, mais non associés ; il n’y a plus entre eux de lien intime, durable et fort ; de l’ancienne province il ne reste qu’une population d’habitants, sous des fonctionnaires instables. Seul, l’évéque s’est maintenu intact et debout, dignitaire à vie, conducteur en titre et en fait, entrepreneur sédentaire et persévérant d’un grand service, général unique et commandant incontesté d’une milice spéciale qui, par conscience et profession, se serre autour de lui, et. chaque matin, attend de lui le mot d’ordre, b (Taine, Le Brgime moderne, 1., ch. ii, § 2.) Notons encore que, partout où l’Eglise est libre, elle assure à l’évéque une dotation territoriale, et fait ainsi de lui un grand propriétaire, avec toutes les habitudes d’indépendance attachées à cet état. Ainsi, recruté par une sélection sévère où les intrigues électorales et les passions d’en bas n’ont point de part, pouvant se réclamer des plus vénérables ori ; ^nes, lixé sur place et solidement enraciné au sol, l’épiscopat catholique présente tous les traits d’une véritable et très forte aristocratie, et donc d’un sérieux contrepoids à toute domination trop exclusive. La Papauté, qu’on accuse si volontiers d’absolu[ tisme, a toujours maintenu cette stabilité qui fait la force de l’institution épiscopale. Pour la voir compro-’aise, il faut regarder les Eglises séparées ; là encore, î’est l’Etat qui s’est montré centralisateur. Bossikt Je notait déjà à propos de l’Angleterre sous Sdouard VI : « La maxime qu’on avait établie dès le emps de Henri VIII, était que le roi tenait la place Ju pape en Angleterre. Mais on donnait à cette nouvelle papauté des prérogatives que le pape n’avait jamais prétendues. Les évéques prirent d’Edouard de louvelles commissions, révocables à la volonté du roi, comme Uenri l’avait déjà déclaré ; et on crut que

pour avancer la Kéformation, il fallait tenir les évoques sous le joug d’une puissance arbitraire. » (Bossuet, Histoire des Variations, 1. Vil, § yC.) A rencontre de ce despotisme niveleur, Pie IX et le concile du Vatican l’ont répété après S. Grégoire, le Pape n’a rien plus à cœur que de sauvegarder les droits et la puissance des premiers pastems : « Mon honneur, c’est l’honneur de l’Eglise universelle. Mon honneur, c’est la i)leine vigueur de l’autorité de mes frères. Je ne suis vraiment honoré que quand on rend à chacun d’eux l’honneur qui lui est dû. «  (Constitution Pastor aeternus, ch. m.) Pie X l’a bien montré récemment, en condamnant le laïcisme des associations cultuelles, et l’on a pu voir à cette occasion ce que peut pour défendre ses droits un épiscopat serré autour de son chef.

c) Les évéques se réunissent périodiquement en assemblée. — Autre force encore pour l’épiscopat : ses réunions fréquentes. L’Eglise y tient beaucoup ; ici encore, comme partout, elle tend à associer et à unir. Aussi les conciles provinciaux ont-ils toujours trouvé dans les Papes leurs plus énergiques promoteurs. Avec grande raison, après avoir cité une exhortation de Pie IX à ce sujet, le cardinal Pie ajoutai !  : » Réponse sans réplique à ces accusations téméraires d’accaparement de toutes les attributions et de tendance à une centralisation sans bornes, que quelques-uns n’ont pas craint d’élever en ces derniers temps contre l’Eglise romaine. Les conciles particuliers sont un élément et une garantie de liberté et de nationalité pour les diverses provinces du monde catholique ; plusieurs conciles œcuméniques leur ont attribué ce caractère. Or, loin que le chef de l’Eglise prenne ombrage de la tenue de ces Etats provinciaux, c’est lui-même qui en demande la reprise, qui en regrette l’abandon, qui en démontre les avantages. » {Œuvres, t. II, p. 412.) Et nous pouvons ajouter, en nous appuyant sur l’exemple du cardinal Pie lui-même, que les défenseurs les plus dévoués des prérogatives de l’Eglise mère, n’ont pas été les moins zélés pour la célébration des conciles provinciaux. Il reprenait d’ailleurs immédiatement pour mettre toutes choses au point : « Il est vrai, les décrets de ces conciles particuliers ne sont promulgués qu’après qu’ils ont été reconnus du Saint-Siège ; et l’esprit le moins exercé comprendra la sagesse de cette règle, qui. en maintenant dans une certaine limite la liberté et la variété au sein de l’Eglise, ne permet pas néanmoins que sa constitution monarchique dégénère en une simple agrégation de provinces fédérées. » ((bid.) Admirons ici encore la pondération parfaite du gouvernement de l’Eglise ; et pour compléter le spectacle par un contraste, rapprochons ce trait noté par ïaine dans l’œuvre de Napoléon :

« la suppression de tous les centres de ralliement

et d’entente ».

d) Pour la nomination des chefs, les droits du pouvoir central ont été en augmentant, mais en faisant toujours une place aux désignations locales. — Les évéques, autrefois nommés à l’élection, sont aujourd’hui, en dehors des pays de concordat, généralement désignés par le Pape ; encore un point important sur lequel le pouvoir central a élargi l’exercice de ses droits. Les abus des élections le justifiaient assez. On s’est bien gardé cependant d’établir une centralisation uniforme. La législation en cette matière est assez diverse suivant les régions, mais partout elle vise à éclairer les choix du Souverain Pontife par l’avis autorisé des représentants des églises locales. Ce système tempéré de nomination par en haut après consultations diverses, excitait à juste litre l’admiration d’A. Comte, grand décentralisateur pourtant :

Tome H.

t^ ; ^ 323

GRACE

324

« L’organisation catholique, écrivait-il, a radicalement

perfectionne la nature de ce principe politique (le principe électif), en le rendant plus rationnel, par cela seul qu’elle substituait essentielleiuenl désormais le choix réel des inférieurs par les supérieurs à la disposition inverse…, sans toutefois que cette constitution nouvelle méconnvit essentiellement la juste influence consultative que devaient, pour le bien commun, conserver, en de tels cas, les légitimes réclamations des subordonnés. » (Cours de philosophie positive, t. V, p. 245.)

N’y a-t-il pas eu pourtant qiielques excès possibles dans le mouvement de concentration de l’Eglise autour de son chef ? Il faut le reconnaître,.insi, à force de regarder le pasteur suprême, certains ont pu oublier quelque peu les pasteurs particuliers, perdre de vue les intermédiaires hiérarchiques et le corps dont ils étaient membres. La facilité actuelle des communications risque aussi de devenir une vraie tentation. Bien des personnes en abusent pour soumettre directement àl’autorité suprême des questions qui devraient être tranchées sur place par les pouvoirs locaux. Mais en somme, signalerait-on encore quelques autres abus, le tout se réduirait à peu de choses, et surtout le remède n’est pas loin. Le pilote veille. Depuis le concile du Vatican surtout, en face des Eglises séparées où l’autorité épiscopale semble devoir être de plus en plus menacée par la poussée démocratique, nous avons vu chez nous le Pape user de son pouvoir mieux assuré pour affermir les droits des évcques et pour les grandir. Lkon XIII a insisté souvent en ce sens ; et le mouvement qui se fait aujourd’hui, sous les auspices de Pie X, pour la réorganisation de l’Eglise de France, ne tend-il pas à mettre plus en lumière que jamais le rôle éminent des évêques, et atout grouper autour d’eux ? Conclusion. — Concluons donc que l’Eglise catholique, centralisée, si l’on veut, en ce sens qu’elle dépend tout entière d’un seul chef dont l’autorité ne rencontre pas d’entrave, ne l’est cependant pas du tout au sens des sociétés modernes ; que toujours chez elle subsiste le jeu libre et harmonieux de ses dilférentes parties. Ne se refusant à aucun progrès légitime, elle a su proUter, pour resserrer son unité et pour mettre fin à bien des abus, des ressources que lui ont apportées les inventions modernes, la vapeur et l’électricité. Mais jamais chez elle une autorité omnipotente et Iracassière n’a prétendu se substituer aux elTorts des individus ; jamais elle ne s’est montrée hostile aux groupements formés par ses enfants. En délinitive, plus on examine de près l’Eglise catholique, plus on se rend compte que ses principes autoritaires, dont on a voulu faire un épouvantail pour l’indépendance légitime des hommes, lui permettent au contraire de concilier, dans une harmonie incomparable, à la fois l’ordre et la liberté.’Voilà où l’on peut arriver, comme nous le disions en commençant, par des arguments de raison, nu>me sans tenir compte de l’origine divine de l’Eglise. Résultat fort appréciable pour repousser les attaques dont le gouvernement ecclésiastique est l’objet. Il va sans dire d’ailleurs que, pour le but final auquel doit aboutir l’apologétique, ce résultat reste essentiellement incomplet. Que le gouvernement de l’Eglise soit humainement admirable, c’est ce dont tous ne semblent pas convenir, et c’est pourquoi nous avons pu nous attarder à le montrer. Ce point acquis, le terrain n’est encore que déblayé ; il resterait à montrer l’élément surnaturel animant tout ce bel organisme. Cela sortirait des limites de cet article ; mais évidemment celui qui refuserait d’aller jusipie là n’aurait aucune intelligence véritable de l’Eglis<’et de sa constitution.

BiBLiOGB.iVHiE. — Ce n’est point le lieu d’énumérer ici tout ce qui a été écrit sur le gouvernement de l’Eglise. Voici seulement, à titre d’indication, quelques ouvrages ou fragments d’ouvrages, où l’on trouvera la question traitée par des arguments de raison ou de convenance, selon le point de vue auquel on s’est placé dans cet article.

Parmi les scolastiques : saint Thomas, Contra Génies, liv. IV, ch. Lxxvi ; Bellarmin, De Summo Pontifice, 1. I ; Suarez, Defensio fidei cathoUcae, 1. III, cap. X, § 22 et a3.

Parmi les modernes : Joseph de Maistre, Du Pape : Blanc de Saint-Bonnet, De l’Infaillibilité : Hergenrôther, L Eglise et l’Etat chrétien, iv* essai, Le Pape et les és’éques.

Gustave Xeyrox, S. J.