Dictionnaire administratif et historique des rues de Paris et de ses monuments/Vins (halle aux)


Vins (halle aux).

Circonscrite par le quai Saint-Bernard, les rues Cuvier, Jussieu, Saint-Victor et des Fossés-Saint-Bernard. — 12e arrondissement, quartier du Jardin-du-Roi.
1re Partie. — Abbaye Saint-Victor.

Sur le vaste emplacement occupé par la halle aux vins, on ne voyait au XIe siècle que de rares et chétives constructions. Au milieu se trouvait une petite chapelle qui dépendait vraisemblablement d’une communauté religieuse. En 1108, Guillaume de Champeaux, archidiacre de Paris, se retira dans cette maison, et jeta les fondements de l’École célèbre qui donna tant de sujets distingués à l’Église. Cet archidiacre, ce chef de l’école de l’évêché de Paris, était fils d’un pauvre laboureur de Champeaux en Brie. Guillaume enseigna bientôt, avec le plus grand succès, la rhétorique, la dialectique et la théologie. Parmi ses disciples on remarquait Pierre Abailard. Le génie hardi de ce jeune clerc avait déjà épuisé toute la science. Ne trouvant plus d’athlète digne de lui parmi les étudiants, il combattit son bienfaiteur. Dans ces brillants assauts de science, dans ces thèses publiques, l’éloquence toute poétique d’Abailard triompha !… L’éclat de la réputation du maître fut terni. Honteux de sa défaite, Guillaume de Champeaux alla chercher l’obscurité et le repos dans l’église Saint-Victor, où il prit l’habit de chanoine régulier. De l’entrée de Guillaume à Saint-Victor date la gloire de cette maison. En 1113, Louis-le-Gros se déclara fondateur de cette abbaye. Guillaume de Champeaux, qui avait refusé le titre d’abbé de Saint-Victor, ne put résister aux sollicitations d’Hildebert, évêque du Mans, qui le pressa de reprendre ses fonctions de maître public à Saint-Victor. Abailard le poursuivit de nouveau, l’attaqua sur plusieurs questions, le força de s’avouer vaincu et de se rétracter. Enfin Guillaume se retira, il accepta l’évêché de Châlons-sur-Marne, et fit succéder aux talents du professeur, le zèle et l’humilité d’un apôtre. La faveur dont jouissait l’abbaye Saint-Victor attira bientôt tous les écoliers sur la rive gauche de la Seine. Cette célébrité fut une des causes qui contribuèrent à l’établissement du siège de l’Université de Paris sur la montagne voisine de Saint-Victor. La vie exemplaire des chanoines, le mérite supérieur de plusieurs d’entre eux tels que Hugues de Champeaux, Hugues de Saint-Victor, appelé le nouveau Saint-Augustin, de Richard de Saint-Victor et de beaucoup d’autres, unirent l’abbaye Saint-Victor à celle de Clairvaux. Saint Bernard entretint ces relations fraternelles par ses lettres et même par ses visites. Saint Thomas de Cantorbéry eut aussi une grande affection pour la maison de Saint-Victor qu’il habita lors qu’il vint à Paris. Les chanoines conservaient précieusement le calice qui avait servi au pieux archevêque. L’abbaye Saint-Victor était étroitement liée à la cathédrale, dont elle a pratiqué, jusqu’à la révolution, les rites et les usages religieux. Cette union était si intime que les évêques de Paris avaient, au XIIIe siècle, un appartement à Saint-Victor. Quelques actes de cette époque se terminent par cette phrase : Fait à Saint-Victor, dans la cour de l’Évêque.

Cette affection des évêques de Paris pour l’abbaye de Saint-Victor, explique comment plusieurs d’entre eux ont préféré être inhumés dans l’église de cette communauté que dans la cathédrale. Les évêques qui furent enterrés à Saint-Victor, sont Étienne de Senlis, mort en 1142 ; Maurice de Sully, mort en 1196 ; Guillaume d’Auvergne, en 1248 ; Renaud de Corbeil, en 1268 ; Guillaume de Beaufet, mort en 1319, et Guillaume de Chanac, mort en 1348. L’église Saint-Victor, réparée en 1443 par les soins de Jean de la Masse, trentième abbé, et par les libéralités de Charles VII, fut presqu’entièrement rebâtie sous le règne de François Ier. On ne conserva des anciennes constructions que le portail, le clocher et la crypte souterraine. Michel Boudet, évêque de Langres, Jean Bordier, abbé de Saint-Victor, posèrent, le 18 décembre 1517, les premières pierres de la nef et du chœur. Le bâtiment de l’église était si avancé en 1538, que Jacques, évêque de Calcédoine, vint au mois de juillet de cette année y bénir quatre autels. Le portail qui datait des XIIe et XIIIe siècles fut abattu et reconstruit sur de nouveaux dessins en 1760. C’est en cet état que l’église de Saint-Victor est arrivée jusqu’à la révolution. Le cloître, aussi ancien que le premier portail de l’église, était percé, à l’intérieur, de petites arcades supportées par des groupes de colonnettes d’un aspect délicieux. — La bibliothèque passait pour une des plus curieuses de Paris. Elle contenait plus de vingt mille manuscrits, parmi lesquels on distinguait une belle Bible du IXe siècle et un Tite-Live du XIIe siècle. On y voyait aussi un Coran dont un ambassadeur turc reconnut l’authenticité dans le siècle dernier, en le baisant et en écrivant un certificat sur le premier feuillet. — Peyresc affirme avoir vu, à Saint-Victor, un recueil manuscrit renfermant tous les détails du procès de Jeanne d’Arc. Ce travail avait été exécuté par ordre de l’abbé de Saint-Victor, qui vivait du temps de cette héroïne. L’abbaye Saint-Victor fut supprimée en 1790. Nous indiquerons, à la fin de cet article, l’emploi qu’on a fait des vastes terrains qui dépendaient de cette communauté célèbre.

2e Partie. — Ancienne Halle aux Vins.

« Bureau de la ville. — 12 mai 1664. (Ordonnance.) — Veu nostre procès-verbal des 17 et 18 avril dernier contenant la réquisition du sieur de Charamande et consorts intéressez en l’établissement d’une halle aux vins pour les marchands forains ; la descente par nous faite sur deux chantiers acquis par les susnommés hors la porte Saint-Bernard pour y construire la dite halle, le plan à nous présenté, ensemble le rapport, en conséquence de la permission accordée par sa majesté aux dits sieur de Charamande et consorts de faire bastir quelques halles aux endroits les plus commodes de ladite ville pour retirer à couvert les vins des marchands forains ayant à cet effect acquis deux chantiers hors la porte Saint-Bernard, des abbé, prieur et religieux du couvent de Saint-Victor et de la dame de La Fayette, etc. — Avons ordonné que les bâtiments et autres ouvrages à faire en ladite halle aux vins, seront construits en la manière et ainsi qu’il est porté audit rapport. »

Cette première halle aux vins était située à l’angle du quai Saint-Bernard et de la rue des Fossés du même nom.

3e Partie. — Communauté des Marchands de vins.

De graves abus paralysaient anciennement le commerce des vins. Henri III y porta remède par un édit du mois de mars 1577 qui fixa l’établissement des marchands de vins. Les statuts dressés par cette communauté furent enregistrés au Parlement, le 6 août 1588. Ils ont été confirmés par Henri IV, Louis XIII et Louis XIV. Les gardes et maîtres jouissaient des mêmes droits et privilèges acquis aux six corps marchands. Ils obtinrent pour armoiries, en 1629, un navire d’argent à bannière de France, flottant avec six petites nefs autour, et une grappe de raisin en chef sur un champ d’azur. Le droit de réception avait été fixé en 1776 à 600 livres. Le brevet d’apprentissage coûtait 12 livres.

4e Partie. — Nouvelle halle aux vins.

« Au palais de Saint-Cloud, le 30 mars 1808. — Napoléon, etc. Article 1er. Il sera formé dans notre bonne ville de Paris un marché et un entrepôt francs pour les vins et eaux-de-vie, dans les terrains situés sur le quai Saint-Bernard. — Art. 2e. Les vins et eaux-de-vie conduits à l’entrepôt conserveront la facilité d’être réexportés hors de la ville sans acquitter l’octroi. — Art. 3e. Cette exportation ne pourra avoir lieu que par la rivière, ou par les deux barrières de Bercy et de la Gare. Dans ce cas les transports devront suivre les quais et sortir en deux heures. — Art. 4e. Les vins destinés à l’approvisionnement de Paris n’acquitteront les droits d’octroi qu’au moment de la sortie de l’entrepôt. — Art. 5e. L’entrepôt sera disposé pour placer tant à couvert qu’à découvert jusqu’à 150,000 pièces de vin. — Art. 6e. Notre ministre de l’intérieur nous soumettra d’ici au 1er juin l’aperçu des dépenses que pourraient exiger l’achat des terrains, et les devis des constructions à faire etc… Signé : Napoléon. »

« Au palais des Tuileries, le 24 février 1811. — Napoléon, etc. Article 32e. Conformément à notre décret du 30 mars 1808, l’entrepôt des vins sera construit dans les terrains situés sur le quai Saint-Bernard, entre les rues de Seine et des Fossés-Saint-Bernard. — Art. 33e. Notre ministre de l’intérieur nous soumettra d’ici au 1er mai le devis et le plan des constructions à faire, leur estimation et celle des terrains à acheter. — Art. 34e. Les constructions qui doivent clore l’entrepôt seront achevées en 1812, les deux tiers de l’établissement seront formés en 1814 et le tiers restant en 1816. — Art. 35e. Les dispositions de notre décret du 30 mars 1808 seront maintenues. Signé Napoléon. »

« Trianon, le 14 juillet 1811. — Napoléon, etc… Article 1er. Les dispositions générales du projet de halle aux vins, indiquées dans le plan annexé au présent décret, sont approuvées. — Art. 2e. Les plans détaillés et devis estimatifs seront terminés avant le 1er août de la présente année. — Art. 3e. La première pierre de cet édifice sera posée le 15 août. Signé : Napoléon. »

Les rues Saint-Victor, Cuvier, le quai Saint-Bernard et la rue des Fossés du même nom, servent de limites à l’Entrepôt des Vins. Cet espace contient les emplacements de l’ancienne halle aux vins, de l’abbaye Saint-Victor, d’une partie de la terre d’Alez et de plusieurs maisons particulières. Ce bel établissement occupe une superficie de 134,000 m. Une ville du quatrième ordre et ses faubourgs seraient aisément placés dans l’enceinte de cet entrepôt. « Cet établissement (dit M. Gauché, auquel nous en devons la construction) est précédé d’une vaste place avec allées d’arbres le long du quai et dans les rues transversales. Il est divisé en cinq grandes masses de constructions, par les rues de Bordeaux, de Bourgogne, de Champagne, de Languedoc et de Touraine, ainsi appelées du nom des principaux vignobles de France. Deux de ces masses sont au centre, sous les noms de Magasins de l’Yonne et de la Marne. Les trois autres divisions ont quatre-vingt-neuf celliers, plus deux passages en galerie, conduisant à une plus grande galerie qui donne entrée à quarante-neuf caves. Les masses de constructions au-dessus des celliers sont moins grandes, parce qu’elles laissent autour d’elles une terrasse. Ces constructions sont également au nombre de cinq, dont deux sont sur les côtés (magasins de la Loire et de la Seine), les trois autres dans le fond, environnant le bâtiment destiné aux eaux-de-vie. Ce bâtiment est divisé en quarante magasins, séparés par une galerie, etc. Derrière les magasins des eaux-de-vie s’élèvent aussi deux bâtiments flanqués de pavillons avec bureaux, pour la grille de sortie sur la rue Saint-Victor. Un de ces bâtiments est destiné au mesurage des esprits, par le moyen des cylindres exactement jaugés, et dont les quantités sont reconnues sur une échelle placée près d’un tube de verre dans lequel le liquide se met au niveau de celui renfermé dans le cylindre. Cet appareil sert à mesurer en une seule fois les pièces contenant même jusqu’à six cents litres. Un deuxième bâtiment semblable est destiné à l’opération du mouillage ou de la réduction des eaux-de-vie, au degré convenu par les ventes. À gauche du magasin de la Loire et le long de la rue de Seine (aujourd’hui rue Cuvier), pour cacher l’irrégularité du terrain, on a construit vingt-et-un petits celliers d’inégale grandeur. L’excédant des terrains formant l’angle des rues Cuvier et Saint-Victor a été utilisé par la construction d’un grand magasin public, pour renfermer les eaux-de-vie, etc. D’après les plans présentés pour la disposition des marchandises, l’Entrepôt a été considéré comme pouvant contenir deux cent-huit mille pièces de vins, etc. Les magasins des eaux-de-vie en renferment plus de dix-sept mille. » — La halle aux Vins a coûté près de 20 millions à la ville de Paris. — Les terrains provenant de l’ancienne abbaye Saint-Victor et qui ne servirent pas à la formation de la halle aux Vins, furent vendus par la ville de Paris, les 15 mai et 30 octobre 1838. L’administration avait eu le soin de ménager sur cet emplacement le terrain nécessaire à la formation de deux rues, d’une place, et à l’élargissement d’une partie des rues Saint-Victor et Cuvier. Ces dispositions, immédiatement exécutées, ont répandu un peu d’aisance dans ce quartier trop longtemps oublié. Les deux percements ont reçu les noms de Guy de la Brosse et Jussieu (voir ces articles). C’est une heureuse idée, inspirée à l’administration municipale par le voisinage du Jardin des Plantes. La place a pris la dénomination de place Saint-Victor.