P.-G. Delisle (p. 212-238).


HYMNE NATIONAL

POUR LA FÊTE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Couronné le 20 septembre 1869.


Aime Dieu, et va ton chemin.


 Cieux, déroulez sur notre tête
 Vos voiles de pourpre et d’azur !
 Soleil, brille d’un feu plus pur !
 Que la terre en ce jour revête
 Toute sa gloire et sa beauté !
 Que l’onde plus mollement coule
 À travers le pré velouté !
 Que l’oiseau plus gaîment roucoule !

 Que tout s’unisse à ces concerts
 D’un peuple qui demande place
 Parmi les grands peuples qu’embrasse
 L’orbe éclatant de l’Univers !

Ah ! prêtez-moi votre voix infinie,
Chœurs éternels que j’entends en tout lieu !
Ah ! prêtez-moi votre sainte harmonie,
Esprits d’amour qui chantez devant Dieu !

Ouvrez, ouvrez votre aile diaphane,
Anges gardiens de mon jeune pays !
Écoutez-moi, mon chant n’est pas profane :
Portez à Dieu les hymnes que je dis !

 Vole moins lente,
 Ô belle nuit !
 Vole moins lente !
 Mon âme ardente
 Aime le bruit,
 La voix tremblante
 Du temps qui fuit !
 Éveille, éveille
 Tes doux échos.
 La fleur vermeille.
 Le chant des flots !
 Lève ton voile,
 Ô nuit d’amour !
 Lève ton voile
 Voici le jour !
 Brillante étoile
 Qui luis encor
 Comme un clou d’or

 Aux voûtes sombres,
 Dans ton essor
 Chasse les ombres !
 De tes doux feux,
 Aurore blonde,
 Éclaire, inonde
 Les champs des cieux !
 Parais, lumière !
 Ô jour, parais !
 Que la chaumière,
 Que le palais,
 Que la rivière,
 La cime altière
 De nos forêts
 Et la poussière
 De nos guérets
 Bondissent de joie !
 Que le papillon

 Tout de vermillon
 Dans le chaud rayon
 Du jour qui le noie,
 Plein d’amour déploie
 Son aile de soie,
 Se berce et tournoie
 Comme une fleur au vent !
 Qu’une chanson plus douce
 Monte du nid de mousse
 Sur le rameau mouvant !

 C’est jour d’ivresse !
 Que la tristesse
 Sèche ses pleurs !
 C’est jour de fête !
 Que chaque tête
 Porte des fleurs !


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L’aurore s’est levée et l’ombre s’est enfuie…
Sur l’humide forêt que le vent chaud essuie,
Ô soleil, tes rayons tombent comme une pluie !

Enfants du Canada, laissez le fier taureau
Bondir, libre du joug, sur l’herbage nouveau !
Laissez dans le sillon le soc et le hoyau !

 C’est la fête immortelle
 Et sans cesse nouvelle
 Où l’amour se révèle,
 L’amour du sol natal !
 Où l’espoir se ranime
 À ton aspect sublime,
 Drapeau national !


Ô Bardes, accordez vos violons rustiques !
Que vos refrains joyeux et vos pieux cantiques
Montent comme un parfum jusqu’aux divins Portiques.

Mêlez vos nobles voix aux bruits vagues des eaux.
Aux murmures du vent qui berce les roseaux.
Aux accords printaniers des sauvages oiseaux !

 C’est l’heure douce et pure
 Dans toute la nature
 Où le peuple se jure
 Une sainte union !
 Où ta force s’affirme,
 Où le Seigneur confirme
 Tes droits, ô nation !


Brunes filles des champs, dansez sur la prairie !
Vierges, cueillez des fleurs, la pelouse est fleurie.
Cueillez des fleurs, ô vous les fleurs de la Patrie !

Que l’aigle qui s’élance à son roc de granit,
L’hirondelle qui vient lorsque l’hiver finit
Aux vieux toits du hameau pendre son humble nid :

Que la rose entrouverte au front de la charmille,
Et la nappe d’azur où l’étoile scintille ;
Et la voile de lin sur la nef qui vacille ;

Que l’arbre couronné d’un feuillage odorant,
Le brouillard qui revêt son manteau transparent,
L’ondine qui se baigne et se berce au courant ;

Ah ! que tout ce qui brille : Étoiles, fleurs ou flammes :
Que tout ce qui soupire : Oiseaux, brises ou lames !
Et que tout ce qui prie : Hommes, anges ou femmes !

Entonne en ce beau jour un hymne solennel
Comme il en retentit quand l’Archange Michel
Plongea dans les enfers tous les damnés du ciel !

 C’est l’heure douce et pure
 Dans toute la nature
 Où le peuple se jure
 Une sainte union !
 Où ta force s’affirme,
 Où le Seigneur confirme
 Tes droits, ô nation !

 C’est la fête immortelle
 Et sans cesse nouvelle
 Où l’amour se révèle
 L’amour du sol natal !
 Où la foi se ranime
 À ton aspect sublime,
 Drapeau national !

Ah ! prêtez-moi votre voix infinie,
Chœurs éternels que j’entends en tout lieu !
Ah ! prêtez-moi votre sainte harmonie,
Esprits d’amour qui chantez devant Dieu !!

 Peuple, entonne des chants de gloire !
 Peuple, en ce jour réjouis-toi ;
 Ton drapeau qu’aimait la victoire
 Sut faire respecter ta loi !

 Jamais de ta splendeur première
 Tu n’es tombé dans la poussière
 Où roulent tant de nations !
 Et jamais sur ton front sublime
 Nul n’a pu voir la main du crime
 Buriner ses honteux sillons !

 Revêts tes vêtements de joie !
 Défends ta foi, ta liberté !
 Bénis ! bénis la main qui broie
 Les fers de la captivité !
 Abhorre le froid égoïsme ;
 Il traîne un peuple au servilisme
 Et le dépouille de son cœur !
 À l’horizon des temps, regarde
 Tout ce que l’avenir te garde
 De paix de gloire et de splendeur !

 Méprise la voix de ce traître
 Pour qui le peuple est un troupeau !…
 Brise le sceptre de ton maître
 S’il devient le fouet d’un bourreau !…
 Ne laisse pas la tyrannie
 Mettre un cachet d’ignominie
 Sur ton sacré bandeau de roi !
 Et souviens-toi que ton pied foule
 Un sol où depuis longtemps coule
 Le sang des héros de la foi !

 Qui donc dit que tu dégénères,
 Ô peuple autrefois tant vanté ?
 Que dans leurs sépulcres tes pères
 S’indignent de ta lâcheté ?
 Que muet tu courbes la tête
 Sous le joug honteux que t’apprête

 N’importe quel maître étranger ?
 Qu’en tombant tu n’aurais pas même
 Pour le tyran un anathème,
 Pas même un fils pour te venger ?

 Peuple, tu te souviens encore
 Des grandes leçons des aïeux ?
 Tu te souviens que ton aurore
 D’un vif éclat remplit les cieux ?
 Que les langes de ton enfance
 Étaient ces drapeaux que la France
 Promenait au champ de l’honneur ?
 Qu’au bruit d’une salve guerrière
 Le feu brillait sous ta paupière
 Et les élans brisaient ton cœur ?

 Tu te souviens de ces campagnes
 Sous le ciel rude des hivers,
 À travers les âpres montagnes
 Et dans les glaces des déserts,
 Où les soldats de la Patrie,
 Par leur audace et leur furie.
 Foudroyaient de vieux bataillons,
 Et chassant des troupes navrées,
 Jusqu’en de lointaines contrées
 Allaient planter leurs pavillons !

 Tu te souviens du promontoire
 Où Lévis longtemps attendu
 De la France par la victoire
 Sut racheter l’honneur perdu ?
 Et n’est-il plus dans ta mémoire
 Celui qui promena ta gloire

 Du pôle nord jusqu’au midi ?
 Qui sembla commander à l’onde
 Et qui vit tout le nouveau monde
 De ses nobles faits étourdi ?…

 Peuple, tu te souviens des braves
 Que des tyrans mirent à mort
 Parce qu’ils brisaient tes entraves
 Et voulaient adoucir ton sort ?
 Ton âme s’éveille et tressaille
 Au souvenir d’une bataille
 Comme celle de Carillon !
 Tu vois encor notre héroïne
 Debout sur son fort en ruine
 Lancer la foudre en tourbillon !

 Et tu serais un peuple lâche !
 Tu serais un peuple abaissé !…
 Trop faible pour remplir la tâche
 Que te cède un brillant passé !
 Qui donc ainsi te calomnie,
 Ô canadien, race bénie
 Que n’a pu briser le malheur ?
 Ton nom n’a-t-il plus de prestige ?
 Sorti d’une si belle tige,
 N’es-tu qu’une débile fleur ?…

 Es-tu donc, ô Patrie.
 Une terre flétrie
 D’où s’enfuit la vertu ?
 Où comme un grand poète
 Dans ses chants le répète,
 Ô ma Patrie, es-tu

 La Vierge couronnée
 Qu’une troupe avinée
 Traîne dans les égouts !
 N’as-tu plus l’innocence,
 La gloire et la puissance
 Qui faisaient des jaloux ?

Je t’aime, ô sol natal ! Je t’aime et te révère !
Que Dieu verse sur toi ses bienfaits les plus doux !
Jusqu’au jour où le ciel deviendra notre terre
La terre où nous vivons doit-être un ciel pour nous !

 Ô vous que je contemple
 Près de notre saint temple,
 Vains autels des faux Dieux,
 Retombez en poussière !

 Votre froide prière
 Est une injure aux cieux !
 Meurs, perfide idiome
 Qui glisses sous le chaume
 Comme sous les lambris !
 Que la langue d’un père
 Ne soit pas étrangère,
 Juste ciel ! à ses fils !

Je t’aime, ô sol natal, je t’aime et te révère :
Que Dieu verse sur toi ses bienfaits les plus doux !
Jusqu’au jour où le ciel deviendra notre terre,
La terre où nous vivons doit-être un ciel pour nous !

 Je vous aime, rivages,
 Ciel de feu, blancs nuages,

 Fleuves majestueux,
 Bois remplis de mystères,
 Montagnes solitaires,
 Torrents impétueux,
 Hivers, vents et tempêtes,
 Printemps d’amour qui jettes
 Mille arômes nouveaux,
 Été d’azur, automne
 Que la moisson couronne,
 Brillants chœurs des oiseaux !…

Je t’aime, ô sol natal ! je t’aime et te révère !
Que Dieu verse sur toi ses bienfaits les plus doux !
Jusqu’au jour où le ciel deviendra notre terre,
La terre où nous vivons doit-être un ciel pour nous !


 Ô Patrie adorée
 Est-il une contrée
 Aussi belle que toi ?
 Aux jours sombres d’orage
 Tu puises le courage
 Dans l’amour et la foi !
 Tu n’es pas affaiblie
 Par un lâche repos !
 Ô terre des héros,
 Tu n’es pas avilie !
 Non ! j’en appelle à vous,
 Antiques sanctuaires
 Où je prie à genoux,
 Non ! j’en appelle à vous,
 Ô cendres de mes pères !


Sortez de votre tombe, ô Mânes des aïeux !
 Laissez vos linceuls de poussière !
Secouez le sommeil qui pèse sur vos yeux.
 Mânes, parlez à ma prière !
Dites, n’est-il plus beau votre cher Canada
 Et sa gloire est-elle périe ?
La terre qu’autrefois votre sang féconda
 N’est-elle plus jamais fleurie ?
Voyez nos champs couverts d’une riche moisson,
 Voyez nos villes florissantes.
Dans nos beffrois d’argent entendez-vous le son
 De nos cloches retentissantes ?…
Ah ! si notre vertu chancelle un seul moment,
 Si jamais notre foi succombe,
Pour nous marquer au front d’un stigmate infamant,
 Mânes, sortez de votre tombe !…


Sortez de votre tombe, ô Mânes des aïeux !
 Nos bois, nos champs et nos montagnes.
Ont pour vous saluer des échos merveilleux !…
 Pour revoir nos vertes campagnes,
Pour revoir le beau ciel que vous avez chanté
 Aux jours lointains de votre vie ;
L’orgueilleux Saint-Laurent que vous avez dompté
 Et dont chaque vague asservie
Semble redire encor votre nom glorieux ;
 Pour voir si nos grandes rivières
Promènent aujourd’hui sous de plus pâles cieux
 Des ondes moins pures, moins fières ;
Pour voir si le soleil dore moins nos coteaux
 À l’heure où gémit la colombe,
Et si dans nos forêts les concerts sont moins beaux,
 Mânes, sortez de votre tombe !…


Sortez de votre tombe, ô Mânes des aïeux !
 Un peuple entier est dans l’attente !
Mânes, pour le juger paraissez en ces lieux !
 Dites si d’une âme contente
Il ne s’élance pas au milieu du danger,
 Si son front porte quelque honte,
S’il s’est laissé flétrir par un maître étranger !
 Connaît-il un bras qui le dompte
Ce peuple de héros que vous avez formé ?
 Sa foi s’est-elle donc éteinte ?
Le temple qu’il vénère est-il jamais fermé ?
 Et quand s’est-il courbé par crainte
Devant l’iniquité qui violait ses droits ?
 A-t-il l’air d’un peuple qui tombe ?
Pour le dire aux pervers qui méprisent ses lois.
 Mânes, sortez de votre tombe !…

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 Ô mon luth, suspend tes accords ;

 Repose aux branches reverdies…
 Quel flot de saintes mélodies
 S’élève soudain de nos bords !…

 Est-ce votre voix infinie,
 Chœurs éternels que j’entends en tout lieu ?
 Est-ce votre douce harmonie,
 Esprits d’amour qui chantez devant Dieu ?

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 Cieux, déroulez sur notre tête
 Vos voiles de pourpre et d’azur !
 Soleil, brille d’un feu plus pur !
 Que la terre en ce jour revête
 Toute sa gloire et sa beauté !
 Que l’onde plus mollement coule
 À travers le pré velouté !
 Que l’oiseau plus gaîment roucoule !

 Que tous s’unisse à ces concerts
 D’un peuple qui demande place
 Parmi les grands peuples qu’embrasse
 L’orbe éclatant de l’univers !

..............................................................................................................................................................

Ouvrez ! ouvrez votre aile diaphane,
Anges gardiens de mon jeune pays !
Mon humble chant n’a pas été profane,
Portez à Dieu les hymnes que j’ai dits !