Deux poëmes couronnés/01/01

P.-G. Delisle (p. 9-18).

LA DÉCOUVERTE DU CANADA

Poëme couronné le 11 septembre 1867
A solis ortu usque ad occasum, laudabile nomen Domini.

De l’aurore au couchant le nom du Seigneur est digne de louange.

Ps. 112.

I

L’ANGE DU CANADA

Quels sons mélodieux ! quelle ardente prière
Montent comme un parfum au trône de lumière
Où s’est assis le Dieu de toute éternité !
Sur le front des élus quelle sérénité
Plus douce que l’éclat de l’aube matinale !
Quel cantique joyeux des harpes d’or s’exale !

Quels accents jusqu’alors au ciel même inouïs
Font entendre les luths des anges réjouis !
« De l’aurore au couchant, disent les chants des anges,
« Le saint nom du Seigneur est digne de louanges !
« Dieu parle, et l’univers sur son axe brûlant.
« Frémit d’un saint transport et l’adore en tremblant.
« Lui seul est éternel. Son bras soutient la terre :
« Il pourrait la briser comme un jouet de verre.
« Le vagabond nuage obéit à sa voix ;
« Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.
« Il paraît, et l’éclat de son auguste face
« Fait pâlir les soleils qui roulent dans l’espace.
« Que tout genou fléchisse à son nom glorieux !
« Que la terre le craigne et qu’on le chante au cieux !

Et pendant que l’écho des célestes Portiques
Répète des Élus les concerts magnifiques,

Comme l’écho des bois, à l’approche du jour,
Répète des oiseaux les cantates d’amour,
Vers le Père Éternel dont toute vie émane
On voit venir un ange au regard diaphane :
Son pied glisse léger sur les brillants rubis
Qui parsèment du ciel les merveilleux tapis ;
Il replie en marchant ses ailes fatiguées ;
De ses longs cheveux d’or les boucles prodiguées
Retombent mollement et flottent sur son cou.
Un nœud retient sa robe au dessus du genou.
Il répand sur ses pas un parfum agréable,
Et porte pour couronne une branche d’érable.

Alors sont suspendus les chants mélodieux ;
Les luths divins alors restent silencieux.
Un aimable sourire accueille à son passage
Cet ange voyageur dont l’auguste visage,

À travers les rayons de l’immortalité,
Laisse voir les soucis dont il est agité.
Et quittant aussitôt la droite de son Père,
Vers l’Esprit glorieux qui monte de la terre
Se hâte de venir le Fils du Tout-Puissant.
Il aime cette terre où fut versé son sang :
C’est lui qui vint briser ses entraves funèbres
Et porter la lumière à travers ses ténèbres.

Mais le père du mal vaincu par le Sauveur
S’est levé de nouveau la haine dans le cœur :
Ses ministres maudits s’en vont par tout le monde
Semant les noirs conseils et la discorde immonde.

Pour garder ses Élus contre les ennemis
Que l’enfer irrité dans sa rage a vomis

Comme les noirs cailloux et les cendres brûlantes
Que jettent les volcans sur des plaines brillantes.
Le Seigneur a choisi dans sa divine cour
De fidèles Esprits au cœur brûlant d’amour.

 C’est un de ces gardiens dont le saint ministère
Est d’inspirer l’amour aux peuples de la terre
Qui vient d’entrer aux cieux. Quelle est sa mission ?
Pourquoi sur son front pur se peint l’affliction ?
Pourquoi son œil limpide est-il devenu terne ?
Devant le Tout-Puissant trois fois il se prosterne,
Et le ciel avec lui trois fois tombe à genoux.
— « Ô Dieu d’amour, dit-il, Dieu dont le nom si doux
« Devrait pour tout mortel être un objet d’hommage,
« Je n’ai pas encor vu sur la lointaine plage
« Où j’erre solitaire, hélas ! depuis longtemps,
« Les cœurs montrer vers vous purs, honnêtes, contents !

« L’immense Canada sur ses féconds rivages
« Ne voit se promener que d’ignares sauvages,
« Malheureuses tribus que le roi des enfers
« Se vante de tenir à jamais dans ses fers !
« Naguère cependant un des fils de la France.
« L’humble et pieux Cartier, apporta l’espérance
« À mon cœur abattu par les chagrins amers.
« Sur de frêles vaisseaux il traversa les mers.
« Il vint bravant la mort, sans orgueil et sans crainte,
« Aux confins du pays arborer la croix sainte.
« Inspiré du démon, un vieux chef Indien
« Voulut fouler aux pieds l’étendard du chrétien :
« Ces vastes bois, dit-il, voilà mon héritage :
« Je ne veux pas qu’un autre avec moi les partage !
« Va-t’en, Visage-Pâle, au pays d’où tu viens,
« Et ne t’obstine pas à me ravir mes biens !
« Maintenant, Ô Seigneur, le marin intrépide
« A repassé la mer sur son vaisseau rapide,

 « Et le suave espoir qu’il m’avait apporté,
« Comme une ombre qu’efface une vive clarté,
« S’est, hélas ! tout à coup envolé de mon âme !
« Ne laissez pas, Dieu grand, triompher cette trame
« Que les anges maudits, de votre nom jaloux,
« Au fond de leur abîme, ourdirent contre vous ;
« Et daignez éclairer, sur ces rives si belles,
« Du flambeau de la foi les pauvres infidèles !
« Je volerai moi-même au pays de Cartier :
« J’animerai la foi de ce roi chevalier
« Qui gouverne aujourd’hui la France catholique :
« Il revendiquera sa part de l’Amérique :
« Et vous serez béni sous ces immenses bois
« Qui pour vous célébrer n’ont pas encor de voix ! »

 Ainsi parle à genoux aux pieds de Dieu le Père
L’ange du Canada. Sa voix douce qu’altère

Un mélange d’amour et de timidité,
A le plaintif accent du filet argenté
Qui cherche son chemin dans la fente des pierres.
Comme deux diamants, sous ses blondes paupières
Coulent deux larges pleurs qu’il essuie en secret.
Ses habits éclatants de l’antique forêt
Versent autour de lui les suaves arômes.
Le silence est profond sous les célestes dômes,
Et tout le ciel attend avec anxiété
Que le Dieu trois fois saint dicte sa volonté
À cet ange gardien d’une terre nouvelle.
Les accords ravissants de la harpe éternelle,
Et les accents d’amour des Esprits glorieux
Ne font pas tressaillir les profondeurs des cieux
Comme un seul mot tombé de la bouche du Père :
— « Ministre bien aimé, dit le Très-Haut, espère :
« Ton zèle infatigable a su toucher mon cœur.
« Je changerai bientôt tes peines en bonheur :

« Tu n’auras pas en vain travaillé pour ma gloire,
« Et Lucifer sur nous n’aura pas la victoire.
« Cette rive sauvage où tu t’es exilé,
« Ce pays inconnu de barbares peuplé
« Que l’orgueilleux Satan tient dans son esclavage,
«  Brisera ses liens, sera mon héritage !
« Et c’est de ce pays aujourd’hui tant obscur
« Qu’un jour je recevrai l’hommage le plus pur !
« Va, Messager fidèle, aux rivages de France,
« Va déjouer l’enfer. Fais briller l’espérance
« D’une éclatante gloire et d’un bienfait divin
« Aux yeux du grand monarque et du pieux marin. »

 Et cessant de parler, le Dieu de la sagesse
Mit sur le front de l’ange un baiser de tendresse.
Alors la molle lyre et le clairon d’airain,
Et la harpe et le luth résonnèrent soudain.

« De l’aurore au couchant, disaient les chants des anges…
« Le saint nom du Seigneur est digne de louanges !
« Dieu parle, et l’univers sur son axe brûlant,
« Frémit d’un saint transport et l’adore en tremblant.
« Lui seul est éternel. Son bras soutient la terre.
« Il pourrait la briser comme un jouet de verre.
« Le vagabond nuage obéit à sa voix ;
« Le tonnerre et le vent reconnaissent ses lois.
« Il paraît, et l’éclat de son auguste face
« Fait pâlir les soleils qui roulent dans l’espace.
« Que tout genou fléchisse à son nom glorieux !
« Que la terre le craigne et qu’on le chante aux cieux ! »