Description historique et géographique de l’Indostan/Introduction/5

DIVISION DE L’INDOSTAN
DU TEMPS D’ACBAR.

Je n’entreprendrai pas de tracer les variations fréquentes que subirent les limites de cet empire, depuis l’époque des conquêtes des Mahométans, selon que la politique de ce temps faisait transférer le siège du gouvernement de Ghizni à Lahore, à Delhi ou à Agra. Pour remplir le but que je me propose, il me suffit d’avoir déja fait connaître au lecteur que les provinces de l’Indostan-propre restèrent rarement sous la domination d’un seul chef, pendant vingt années consécutives, à partir de la plus haute antiquité, jusqu’au règne d’Acbar, dans le seizième siècle ; que le Malwa, Agimère, le Guzerat, le Bengale, etc., furent successivement indépendans ; et que quelquefois l’empire de Delhi fut circonscrit dans les limites de la province de ce nom.

Sous le long règne d’Acbar, dans le seizième siècle, l’administration intérieure de l’Empire fixa toute l’attention du souverain. Il fit faire des recherches exactes sur les revenus, la population, les produits, la religion, les arts, le commerce, l’étendue et la position relative de chaque district en particulier. Abul Fazil rassembla la plupart de ces notions utiles et intéressantes dans un livre intitulé l’Ayin-Acbaree[1] ou les Instituts d’Acbar que l’on regarde encore aujourd’hui comme un registre authentique. Acbar commença par diviser l’Indostan-propre en onze Soubahs[2], ou provinces, dont quelques-uns étaient aussi étendus que nos royaumes d’Europe. Les Soubahs furent ensuite divisés en Circars, et les Circars sous-divisés en Purgunnahs. Si je donnais des dénominations européennes à ces divisions, je les appellerais royaumes, comtés et cantons[3]. Les onze Soubahs se nommaient Lahore, Moultan y compris Sindy, Agimère, Delhi, Agra, Oude, Allahabad ou Illahabad, Bahar, Bengale, Malwa et Guzerat[4]. Un douzième Soubah, celui de Cabul, fut formé des pays contigus aux sources occidentales de l’Indus, et renferma Candahar et Ghizny. Les conquêtes que l’on fit dans le Deccan donnèrent occasion de former les Soubahs de Bérar, de Candeish et d’Amednagur, de sorte qu’il y en eut quinze.

Un coup-d’œil jetté sur la carte fera mieux connaître au lecteur les positions respectives de tous ces Soubahs, et des pays adjacens, que je ne pourrais le faire par une explication de plusieurs pages. Je crois cependant qu’il est nécessaire de présenter quelques observations sur les limites des Soubahs limitrophes du Deccan, afin de donner une idée de l’étendue des nouvelles conquêtes.

Le Guzerat s’étendait alors au sud jusqu’à Damawn, où il devenait contigu au district de Baglana, division d’Amednagur.

Le Malwa s’étendait au sud de la Nerbuddah, et touchait par un de ses angles à Baglana et à Candeish, au sud-ouest et au sud, et au Bérar à l’est. La Nerbuddah formait le reste de la limite méridionale du Malwa et d’Allahabad. Le gouvernement du Bengale s’étendait jusqu’à Cattak ou Cuttak, et le long de la rivière de Mahanuddy ; mais il paraît que le Soubah d’Orissa n’était pas encore formé à cette époque.

Le Soubah de Candeish[5], le plus petit de tous, alors érigé dans le Deccan, occupe l’espace compris entre le Malwa au nord, le Bérar à l’est, et Amednagur à l’ouest et au sud. Le Bérar, conformément à sa description actuelle, était borné au nord par Allahabad et le Malwa, par Candeish et Amednagur à l’ouest, par Tellingana et Golconde au sud, et à l’est par Orissa. Il paraît qu’Acbar n’avait soumis que la partie occidentale du Bérar. Amednagur[6], le plus méridional des Soubahs d’Acbar, avait pour limites au nord, Candeish et le Malwa, les Gattes ou Monts Balagat à l’ouest, Bejapour ou Visiapour et Tellingana au sud, et le Bérar à l’est. L’Ayin Acbaree ne fait aucune mention des limites du Soubah d’Amednagur ; et comme Acbar eut pendant presque tout son règne la guerre dans le Deccan, on peut supposer que les limites d’Amednagur éprouvèrent de perpétuels changemens. Le Soubah de Tellingana dont Acbar ne possédait qu’une partie, est appelé dans l’Ayin Acbaree un Circar du Bérar. Tellingana dont Warangole[7] était la capitale, comprenait le pays situé entre la Kistnah, le Godavery et l’est de Visiapour (répondant à la province moderne de Golconde) ; et il est probable que c’était dans des temps plus éloignés un vaste royaume. On dit que la langue Tellinga est encore en usage depuis la rivière de Pennar dans le Carnate, jusqu’à Orissa, le long des côtes, et dans l’intérieur à une distance considérable. Ainsi nous pouvons fixer la division géographique de l’Indostan-propre, du temps d’Acbar ; mais quant à celle du Deccan en général, je n’ai vu aucun mémoire qui en conservât la moindre trace. Il paraît qu’Acbar soumit à sa domination la partie occidentale du Deccan, jusqu’au dix-huitième degré de latitude septentrionale. Sous ses successeurs, le reste de cette contrée fut entièrement conquis avec la prequ’île, ou devint tributaire du trône de Delhi, à l’exception de quelques cantons hérissés de montagnes occupés par les Marattes. Il s’y forma même un gouvernement sous le nom de Deccan[8], dénomination qui, dans son acception la plus étendue, comprend toute la presqu’île au sud de l’Indostan-propre. Mais dans son acception ordinaire, on n’entend que le pays situé entre l’Indostan-propre, le Carnate et Orissa, c’est-à-dire, les provinces de Candeish, Amednagur, Visiapour, Golconde, et la partie occidentale du Bérar. Lorsque l’empire Mogol eut reçu ses plus grands accroissemens par la conquête de cette vaste province, son revenu annuel excédait trente-deux millions de livres sterling [9]. Pour mettre le lecteur à portée d’apprécier la valeur absolue de cette somme, il est nécessaire de répéter que les productions de la terre se vendent quatre fois moins cher dans l’Indostan qu’en Angleterre.


  1. J’ai la satisfaction d’apprendre à mes lecteurs que Mr. Gladwin a publié dans le Bengale la traduction complète de l’Ayin-Acbaree, sous les auspices de Mr. Hastings, qui en protégeant la littérature utile, fournit les moyens de connaître le recueil le plus estimable des particularités qui concernent l’état ancien de l’Indostan.
  2. Il est probable qu’Acbar aura changé les limites de plusieurs des anciens Soubahs, en ajoutant ou supprimant des Circars, pour donner plus d’ensemble à chaque province, et en rendre le chef-lieu plus central.
  3. Peu de Circars ont moins d’étendue que les plus grands comtés d’Angleterre.
  4. Quelques Indous pensent que le Guzerat est hors des limites de l’Indostan.
  5. Acbar le nomma Dandeish, en l’honneur du prince Daniel ; mais il a repris son ancien nom.
  6. La ville d’Amednagur, qui avait été dans l’origine la capitale du Soubah, donna son nom à toute la province ; mais on y a substitué depuis celui de la forteresse de Dowlatabad, de même que le nom de Tellingana a fait place aujourd’hui à celui de Golconde.
  7. Ferishta l’appelle Arinkill. Le rempart de cette place dont il subsiste encore des ruines, prouve que ce fut une ville très-étendue.
  8. Je ne prétends pas insinuer que le pays en question ne reçut pour la première fois le nom de Deccan que sous les successeurs d’Acbar. Au contraire, il avait porté ce nom dans les temps les plus reculés. Le mot Deccan signifie Sud ; comme Poorub signifie Est, lorsqu’on l’applique au Bengale et à ses dépendances.
  9. M. Frazer, dans sa vie de Nadir Shah, donne le tableau suivant du revenu des provinces sous Aureng-Zeb.

    Lacks de roupies. Lacks de roupies.
    Delhi 
    305½
    Orissa 
    36   
    Agra 
    286½
    Cabul et Cachemire 
    97½
    Agimère 
    165   
    Malwa 
    101   
    Moultan 
    54   
    Guzerat 
    152   
    Sindy 
    23   
    Bérar 
    153½
    Lahore ou Panjah 
    206½
    Candeish 
    112   
    Oude 
    80½
    Dowlatabad ou Amednagur 
    259   
    Allahabad 
    114   
    Beder 
    93½
    Bengale* 
    131   
    Hydrabad ou Golconde 
    278½
    Bahar 
    101½
    Visiapour 
    269½

    Total — 30 crores, 18 lacks de roupies, ou environ trente-deux millions de livres sterling.

    * Les revenus nets du Bengale sont portés dans l’Ayin-Acbaree, vers la fin du seizième siècle à 149 lacks et demi ; sous le Nabab Sujah Cawn, en 1727, à 142 et demi ; et en 1778 à 197 lacks.