Description du royaume du Cambodge/Notice chronologique



NOTICE CHRONOLOGIQUE
SUR
LE PAYS DE TCHIM-LA,

DEPUIS 616 JUSQU’À NOS JOURS[1].



La douzième année Taï-nie (616) du règne de Yang-ti de la dynastie des Souï, à la seconde lune, le pays de Tchin-la commença à payer le tribut, et à envoyer des ambassadeurs. (Souï-chou, Vie de Yang-ti.)

La treizième année Taï-nie (617), le pays de Tchin-la envoya des ambassadeurs qui payèrent le tribut.

Suivant la description de Tchin-la, ce royaume est situé au sud-ouest de Lin-ye : il dépendoit autrefois du Fou-nan. En partant de Ji-nan-kiun, un vaisseau parvient, en soixante jours de course vers le midi, au pays de Tchhe-kiu. À l’ouest est le pays de Tchu-kiang[2] ; le nom de famille du roi est Tchha-li ; son nom propre est Tchi-to-sse-na. Dès le temps de son aïeul, le pays étoit devenu puissant, et Tchi-to-sse-na soumit tout le Fou-nan à son autorité. À sa mort, son fils I-che-na-sian-taï lui succéda. Il demeure dans une ville nommée I-che-na. Cette ville contient 20,000 maisons. Au centre est une grande salle où le roi s’occupe des affaires du gouvernement. On compte trente villes dans lesquelles il y a plusieurs milliers de maisons. Chaque ville a un gouverneur dont le titre est le même que dans le Lin-ye. Tous les trois jours le roi se rend à la salle d’audience, et s’assied sur un lit orné de cinq espèces d’aromates et de sept sortes de pierres précieuses. On étend au-dessus un voile précieux en forme de pavillon. Les colonnes qui le soutiennent sont d’un bois veiné ; les parois sont ornées d’ivoire et de fleurs d’or. Ce pavillon ressemble à un petit palais suspendu, tout éclatant d’or. De même que dans le pays de Tchhi-thou[3], il y a deux réchauds d’or avec des aromates, portés par deux hommes aux côtés du roi. Chaque fois que le roi se montre en public, il se couvre les reins d’une sorte de ceinture ornée de coquillages, qui tombe au-dessous des reins jusqu’aux jambes, et porte sur sa tête une tiare enrichie de perles et de pierres précieuses. Ses souliers sont faits de paille de diverses couleurs. Il a à ses oreilles des pendans d’or. Il est toujours habillé de blanc. Sa chaussure est ornée d’ivoire. Quand il paroît la tête nue, il ne met pas de pierres précieuses dans ses cheveux. Les vêtemens des officiers sont pour la plupart semblables à ceux du roi. Il y a cinq sortes de grands-officiers ; savoir :

1.o Les kou-lo-tchi ;

2.o Les kao-siang-phing ;

3.o Les pho-ho-to-ling ;

4.o Les che-ma-ling ;

5.o Les jan-to-leou, puis une multitude d’autres officiers inférieurs.

Quand ces officiers paroissent devant le roi, ils touchent trois fois la terre du front au bas des marches de son trône. Le roi leur ordonne de monter les degrés, et alors ils s’agenouillent en tenant leurs mains croisées sur leurs épaules. Ils vont ensuite s’asseoir en cercle autour du roi, pour délibérer sur les affaires du royaume. Quand la séance est finie, ils s’agenouillent de nouveau, se prosternent et s’en vont. Devant la porte de la salle où est le trône, il y a mille gardes revêtus de cuirasses, et armés de lances.

Ce pays a d’étroites alliances avec les deux royaumes de Thsan-pan[4] et de Tchu-kiang. Il a de fréquentes guerres avec ceux de Ling-ye et de Tho-youan. L’usage des habitans est de toujours marcher armés et cuirassés, comme s’ils étoient en guerre. De là vient qu’ils font souvent usage de leurs armes.

Quand le roi vient à mourir, la reine, sa femme légitime, ne lui succède pas. Le jour où un nouveau roi monte sur le trône, on mutile tous ses frères. À l’un on ôte un doigt, à l’autre on coupe le nez. On pourvoit ensuite à leur subsistance, chacun dans un endroit séparé, sans leur permettre d’exercer aucune charge.

Les hommes sont d’une petite stature, et ont le teint de couleur noire ; mais il y a des femmes qui sont blanches. Les habitans nouent leurs cheveux, et ont des pendans d’oreilles. Ils sont d’un tempérament actif et robuste. Leurs maisons et les meubles dont ils se servent ressemblent beaucoup à ceux du Tchhi-thou (Siam). La main droite, chez eux, est regardée comme pure, et la main gauche comme impure. Chaque matin ils font des ablutions : ils se servent de petits rameaux de peuplier pour se nettoyer les dents. Après avoir lu leurs livres ou récité leurs prières, ils font de nouvelles ablutions, puis ils prennent leurs repas. Quand ils ont cessé de manger, ils se nettoient encore les dents avec leurs rameaux de peuplier, et récitent de nouvelles prières. Dans leurs alimens, ils emploient beaucoup de beurre, de crème, de sucre en poudre, de riz, de millet dont ils font des gâteaux ou pains. Avant l’heure du repas, ils ont coutume de prendre quelques morceaux de viande grillée avec du pain, qu’ils mangent avec un peu de sel.

Quand ils se marient, ils n’envoient à leur femme, pour présent de noces, qu’une robe. Puis, quand le jour est choisi, l’entremetteur va au-devant de l’épouse. Les familles du mari et de la femme restent huit jours sans sortir. Jour et nuit les lampes restent allumées. Quand la cérémonie des noces est terminée, l’époux partage le bien de ses parens et va s’établir dans une maison à lui. À la mort de ses parens, il prend encore part à ce qui reste de la succession, tout comme s’il n’avait pas reçu de dot. Autrement le bien rentre au trésor public.

Les funérailles se font de cette manière : les enfans de l’un et de l’autre sexe passent sept jours sans manger ni raser leurs cheveux, et poussent de grands cris. La parenté s’assemble avec les prêtres de Fo, les prêtresses ou les bonzes de Tao, et reconduisent le mort en chantant et en jouant des instrumens de musique. On brûle le corps sur un bûcher fait de toutes sortes de bois aromatiques, et on conserve les cendres dans une urne d’or ou d’argent. Quand l’urne est remplie, on la porte au milieu d’une grande rivière. Les pauvres se servent d’une urne de terre cuite peinte de différentes couleurs. Souvent ils ne brûlent pas le corps, mais ils le portent au milieu des montagnes, et laissent aux bêtes sauvages le soin de le dévorer.

Au nord de ce royaume, il y a beaucoup de montagnes entrecoupées par des vallées. Vers le midi, il y a de grands marécages ; et, comme le climat est si chaud que jamais on ne voit ni neige ni gelée blanche, il y a beaucoup d’exhalaisons pestilentielles et d’insectes venimeux. La terre, en revanche, produit du riz, du seigle, un peu de mil et de gros millet. Les fruits et les herbes potagères sont les mêmes que ceux du Ji-nan et de Kieou-tchin. Parmi ceux qui diffèrent, on remarque le pho-na-so, arbre qui ne porte pas de fleurs (ou espèce de figuier) ; les feuilles ressemblent à celles du figuier-caquo, et ses fruits, au melon ; le’an-lo, les fleurs et les feuilles ressemblent à celles du jujubier, et le fruit à une prune ; le phi-ye, la fleur est comme celle du coignassier, et la feuille ressemble à celle de l’amandier ; le fruit est comme celui du mûrier à papier ; le pho-thian-lo, les feuilles, les fleurs et les fruits ressemblent à ceux du jujubier, mais sont plus petits ; le i-ko-pi-tho, sa fleur ressemble à celle du lin-khin ou sorbier[5] ; ses feuilles sont comme celles de l’orme, mais plus épaisses ; le fruit est semblable à une prune, mais de la grosseur d’un ching[6]. La plupart des autres fruits sont les mêmes que ceux de Kieou-tchin.

Il y a dans la mer un poisson nommé kian-thoung ; il a quatre pieds et n’a point d’écailles. Son nez est comme la trompe de l’éléphant ; il souffle de l’eau à la hauteur de cinquante à soixante pieds. Le feou-hou est un autre poisson semblable à une anguille, ayant le museau terminé comme le bec d’un perroquet, et huit pieds. Il y a aussi de grands poissons qui, quand ils sortent de l’eau à mi-corps, paroissent comme des montagnes.

À la cinquième ou sixième lune, il court un vent pestilentiel. Pour s’en garantir, on fait, hors de la porte occidentale de la ville, des sacrifices avec des cochons, des bœufs ou des agneaux de couleur blanche. Si on ne le faisoit ainsi, les grains ne viendroient pas à maturité, les animaux domestiques mourroient, et une multitude d’hommes succomberoient aux épidémies.

En approchant de la capitale, on trouve une montagne nommée Ling-kia-po-pho. Il y a sur le sommet un temple qui est toujours gardé par cinq mille hommes de troupes. À l’est de la ville est un autre temple de l’esprit nommé Pho-to-li, auquel on sacrifie des hommes. Chaque année le roi va dans ce temple faire lui-même un sacrifice humain pendant la nuit. Le temple est aussi gardé par mille soldats. C’est ainsi qu’ils honorent les esprits. Il y a beaucoup de gens qui suivent la loi de Bouddha, et aussi beaucoup d’autres qui croient à la loi des Tao-sse. Les Bouddhistes et les Tao-sse dressent des images dans les maisons où s’arrêtent les voyageurs[7].

La treizième année taï-nieï (617), les gens de ce pays envoyèrent un tribut et des ambassadeurs. Yang-ti combla ces derniers d’honneurs ; mais néanmoins le commerce fut ensuite interrompu.

Sous les Thang.


La …[8] année wou-te (617) du règne de Kao-tsou, les habitans de Tchin-la envoyèrent des ambassadeurs avec un tribut. On ne trouve pas ce fait dans l’histoire des Thang, à l’article de la Vie de Kao-tsou ; mais on lit ce qui suit dans la notice sur Tchin-la.

Le pays de Tchin-la s’appelle aussi Ki-mieï. C’était autrefois un état dans la dépendance du Fou-nan. Il est situé à 20,700 li de la capitale. À l’est, il touche au Tchhe-khiu ; à l’ouest, il confine à Piao ; au midi, il est borné par la mer ; au nord, il est frontière de Tao-ming ; au nord-est, il touche au district de Houan-tcheou.

Au commencement des années tching-kouan (vers 627 ), le roi de ce pays, Cha-li-i-kin-na, réunit le Fou-nan à ses états.

Dans ce pays, les maisons sont toutes tournées vers l’orient ; et, en s’asseyant, on a le visage dans la même direction. Quand il vient un hôte, l’usage est de lui offrir de l’arèque, du camphre et d’autres parfums, car on ne boit pas de vin les uns avec les autres. Leurs débauches n’ont lieu qu’avec leurs femmes ; ils boivent avec elles dans leurs maisons, en évitant la présence des parens auxquels ils doivent du respect. Ils ont cinq mille éléphans de guerre. Les meilleurs sont nourris avec de la viande. Ils sont toujours en commerce avec le Thsan-pan et le Piao : ils ont de fréquentes guerres avec ceux de Hoani et de Kan-tho-youan.

Depuis les années wou-te jusqu’aux années ching-li[9], ils sont venus quatre fois payer le tribut.

D’autres mémoires fournissent à peu près les mêmes détails. Suivant ces mémoires, le pays de Tchin-la est au midi, à 500 li de Houan-tcheou. L’usage est, dans ce pays, que quand on reçoit un hôte on prépare de l’arèque, du camphre et d’autres parfums dont on fait un présent qui tient lieu de régal. Les débauches ont lieu en particulier, dans l’intérieur des maisons, où chacun boit avec sa femme. Si l’on se trouve vis-à-vis d’un supérieur, on se retourne (par respect). Les époux ne permettent pas qu’on les voie ensemble au lit. C’est un usage assez semblable à celui de la Chine. Les habitans ne portent point de vêtement ; et, quand ils voient un homme habillé, ils se moquent de lui. Il ne font usage ni de sel ni de fer, et ils tuent les oiseaux et les autres animaux avec des arbalètes faites de bambou.

La …… année khaï-youan[10] du règne de Youan-tsoung, le pays de Tchin-la fut partagé en deux états, le Tchin-la d’eau et celui de terre. Le roi de Tchin-la de terre étant mort, son parent vint à la cour. Il n’est point parlé de cet événement dans la Vie de Youan-tsoung.

Dans la notice sur Tchin-la, on lit qu’après les années chin-loung, ce pays fut partagé en deux états. La moitié septentrionale, remplie de montagnes et de vallées, fut nommée Tchin-la de terre. La moitié méridionale, bornée par la mer et remplie de lacs, fut appelée Tchin-la d’eau. Ce dernier a 800 li d’étendue. Le roi demeure dans la ville de Pho-lo-ti-pa. Le Tchin-la de terre est aussi nommé Wen-tan ou Pho-leou. Le pays a 700 li. Le roi a le titre de tsieï-khiu. Au temps des années khaï-youan et thian-phao, le roi étant mort, il vint un de ses parens avec vingt-six personnes. On honora l’ambassadeur du titre de ko-i-tou-weï (protecteur vraiment patient).

La quatorzième année ta-li (779) du règne de Sou-tsoung, le vice-roi du Tchin-la de terre, nommé Pho-mi, vint à la cour avec sa femme. Ce fait n’est point raconté dans la Vie de Sou-tsoung ; mais on lit dans la notice sur le Tchin-la que, dans les années ta-li, le vice-roi dont on vient de parler étant venu à la cour avec sa femme, offrit en tribut onze éléphans apprivoisés. On accorda à ce pho-mi le grade de second président, inspecteur du palais, et on lui donna de plus le surnom de Pin-han, hôte de l’empire. Te-tsoung étant monté sur le trône dans ces entrefaites, les oiseaux précieux et les animaux rares furent réformés. Les éléphans apprivoisés que les barbares du midi avoient offerts, et qui étoient rassemblés dans diverses maisons de plaisance, au nombre de trente-deux, furent tous transportés au nord de la montagne King.

La …… année youan-ho[11] du règne de Hian-tsoung, les habitans du Tchin-la d’eau envoyèrent payer le tribut. On ne trouve pas ce fait dans la Vie de Hian-tsoung, mais dans la notice sur le Tchin-la, à l’époque des années youan-ho.


Sous les Soung.


La sixième année tching-ho (1116) de Hoeï-tsoung, en hiver, à la douzième lune, les habitans de Tchin-la vinrent payer le tribut. Selon la notice jointe à l’histoire des Soung, le pays de Tchin-la est aussi nommé Tchan-la. Ce royaume est au midi de celui de Tchan-tching ; à l’est, il est borné par la mer, et à l’ouest il touche au Phou-kan ; au midi, il est limitrophe de Kia-lo-hi. Les villes qu’on y trouve, les villes fortifiées, les mœurs des habitans ressemblent à celles de Tchan-tchhing. Le pays a 7000 li d’étendue. Il y a une tour de cuivre avec vingt-quatre tourelles pareillement en cuivre, et huit figures d’éléphant de même métal, placées comme pour garder les tours, et pesant chacune quatre milliers de livres.

Il y a dans ce royaume des éléphans de guerre au nombre de deux cent mille avec une multitude de chevaux, mais qui sont petits. La sixième année tching-ho, à la douzième lune, une ambassade vint de ce pays offrir ses respects à l’empereur. Le premier ambassadeur ayant le rang de ministre et général du titre de la respectueuse conversion, se nommoit Kieou-ma-seng-ka ; le second ambassadeur, ayant le même rang avec le titre de la pacifique conversion, se nommoit Ma-kiun-ming-ki-sse. Il y avoit avec eux quatorze autres personnes qui vinrent apporter le tribut. On leur donna, pour récompense, des robes de cour. Suivant ce que Seng-ka dit à l’empereur, le royaume d’où venoient les ambassadeurs, quoique éloigné de 10,000 li, avoit les regards fixés sur les heureux changemens qui s’opéroient dans le sort des peuples, par les saintes institutions de l’empire. Les bienfaits que les ambassadeurs avoient reçus les attachoient plus étroitement encore par les liens de la reconnaissance ; mais ils souhaitaient ardemment obtenir la permission de venir à la cour, vêtus des robes dont l’empereur leur avoit fait présent. On leur accorda cette permission, et on leur donna par écrit toutes les instructions nécessaires. L’année suivante, à la troisième lune, on les renvoya.

La deuxième année siouan-ho (1120), à la douzième lune, on reçut un tribut de Tchin-la. C’est ce que rapporte l’histoire des Soung, dans la Vie de Hoeï-tsoung. On lit de plus, dans la notice sur Tchin-la, que l’ambassadeur de ce pays, général et ministre, nommé Ma-la-ma-thou-fang, vint à la cour, et qu’on donna des titres à son maître, ainsi qu’au roi de Cochinchine et à plusieurs autres.

La deuxième année kian-yan (1128), on éleva en dignité le roi de Tchin-la : on lui donna le titre de chi-i avec le rang de gouverneur perpétuel. Ce fait n’est point dans la Vie de Kao-tsoung, mais dans la notice sur Tchin-la. Le titre qu’avoit auparavant le prince de ce pays était celui de kin-pheou-pin-tchin-kian-kiao-sse-thou.

La sixième année khing-youan (1201) du règne de Ning-tsoung, les habitans de Tchin-la, de Chou-i et de Tchin-li-fou[12] envoyèrent un tribut composé de raretés du pays, avec une lettre. Ce fait n’est pas raconté dans la Vie de Ning-tsoung ; mais on lit dans la notice sur le Tchin-la que, parmi les territoires dépendans de ce pays, se trouve celui de Tchin-li-fou, situé dans la partie du sud-ouest. Au sud-est, ce pays touche à Po-sse-lan, et au sud-ouest à Teng-lieou-meï. On y trouve soixante tribus rassemblées en autant de bourgades. La sixième année khing-youan, le roi de ce pays monta sur le trône. Il régna vingt ans. Il envoya une lettre avec un tribut composé de raretés du pays et de deux éléphans apprivoisés. On récompensa largement ce zèle ; cependant, en raison de la longueur du chemin qu’il fallait faire par mer, il ne renvoya pas de nouveau tribut.

Sous les Ming.


La quatrième année houng-wou (1371) du règne de Taï-tsou, le pays de Tchin-la envoya des ambassadeurs et un tribut. Selon l’histoire des peuples étrangers qui est jointe à celle de la dynastie Ming, le Tchin-la est situé au midi de la Cochinchine, et on peut y aller de ce dernier pays en trois jours et trois nuits, si on a un vent favorable. Ce pays a payé le tribut sous les Souï, sous les Thang et sous les Soung. Dans les années khing-youan des Soung, le roi de Tchin-la subjugua la Cochinchine et la réunit à ses états ; et, en raison de cet événement, le nom du pays fut changé en Tchan-la[13] ; sous les Youan, l’ancien nom de Tchin-la fut rétabli. La troisième année houng-wou, à la huitième lune, il vint un ambassadeur nommé Kouo-tching avec quelques autres. On combla ce pays de grâces et de récompenses. La quatrième année, à la onzième lune, le pa-chan ou souverain de ce royaume, nommé Hou-eul-na, envoya un ambassadeur muni d’une lettre et d’un tribut composé de choses précieuses du pays. L’année suivante, le premier jour de l’an, on fit présent au roi du calendrier impérial, et de pièces d’étoffes de différentes couleurs. Les ambassadeurs furent aussi récompensés, et on leur donna un envoyé pour les accompagner.

La géographie générale des Ming donne les détails suivans sur le Tchin-la : à l’est, ce pays est borné par la mer ; à l’ouest, il touche à Phou-kan ; au midi, il tient à Kia-lo-hi ; au nord, il est voisin de la Cochinchine. C’était jadis une dépendance du Fou-nan. On le nomme encore Tchan-la. Le nom de famille du roi est Cha-li, et son nom propre Ti-to-sse-na. Il a commencé à réunir le Fou-nan à ses états. Ce pays a été connu au temps des Souï, dans les années taï-nieï. Sous les Thang, il a payé quatre fois le tribut, entre les années wou-te et ching-i. Après les années chin-loung, le pays a été partagé en deux états. La partie voisine de la mer, basse et remplie d’étangs, se nomma Tchin-la d’eau ; la partie septentrionale, qui est très-montagneuse, fut appelée Tchin-la de terre. Ces deux états furent ensuite réunis en un seul. Dans les années tching-ho, il en vint une ambassade avec un tribut. Au commencement des années siouan-ho, on accorda le titre de roi au prince du Tchin-la ainsi qu’à celui de Cochinchine, etc. Dans les années khing-youan, les habitans de Tchin-la firent une grande guerre aux Cochinchinois qu’ils soumirent, et auxquels ils donnèrent pour roi un homme de Tchin-la. C’est pourquoi la Cochinchine dépendoit alors du Tchin-la. Parmi les autres états qui leur étoient soumis, on comptoit Thsan-pan, Tching-li, Teng-lieou-meï, Phou-kan et quelques autres. Les tribus qui forment la population sont au nombre de soixante. La terre a 7000 li d’étendue. Sous la dynastie actuelle, au commencement des années houng-wou, le roi Hou-eul-na a envoyé un officier nommé Naï-ye-ki pour faire un hommage de raretés du pays. Depuis ce temps, les tributs n’ont pas cessé d’être envoyés.

Suivant l’histoire du monde, l’usage est, dans le Tchin-la, de tourner les portes des maisons du côté de l’orient : l’orient, chez eux, est le côté le plus respecté. Les habitans, hommes et femmes, nouent leurs cheveux, et portent des pendans d’oreilles ; ils sont actifs et vigoureux. La main droite est regardée comme pure, et la gauche comme impure.

Le Traité sur les barbares rapporte que la terre, dans le Tchin-la, est grasse et fertile. Les champs ne sont pas cultivés et n’ont pas de limites. On voit ce qu’ils peuvent porter, et chacun y sème ce qu’il veut.

Le Traité sur les barbares des îles dit que dans le Tchin-la il y a une ville de 70 li de tour. Le palais contient trente appartemens, la plupart pleins de magnificence. Le roi et les grands portent sur la tête des ornemens d’or enrichis de pierreries, et souvent des fleurs. Les champs sont excessivement fertiles. Les hommes et les femmes nouent leurs cheveux. Les filles se marient dès qu’elles ont accompli leur dixième année. Elles s’entourent le corps de tissus brodés, et se teignent en rouge le front et les sourcils. Il y a un proverbe qui dit : riche comme le Tchin-la.

L’histoire de la province de Kouang-toung dit que, vers le commencement des années houng-wou, Hou-eul-na, roi de Tchin-la, envoya un de ses officiers, nommé Naï-ye-ki, avec quelques autres, pour offrir une lettre et des présens. Ces présens consistoient en éléphans, ivoire, bois de Japan, poivre, cire jaune, cornes de rhinocéros, ébène, bois veiné de jaune, parfum nommé thou kiang-hiang, pierres précieuses, queues de paon, etc. À leur retour, le grand-juge de la province de Kouang-toung fut chargé de recevoir les ambassadeurs, et de prendre les soins relatifs à leur départ.

La sixième année houng-wou (1373), tribut du pays de Tchin-la, suivant l’histoire des étrangers. Suivant le code des institutions de la dynastie des Ming, on accorda au roi le calendrier impérial, des pièces d’étoffes et autres objets de cette espèce.

Tribut du pays de Tchin-la, la douzième année houng-wou (1379). Suivant l’histoire des étrangers, le roi Thsan-tha-kan-wou-tche-the-tha-tchi envoya un ambassadeur avec un tribut. On lui donna un repas et des présens comme par le passé.

Tribut du pays de Tchin-la, la treizième année houng-wou (1380), suivant la même histoire.

La seizième année houng-wou (1383), on envoya, dans le pays de Tchin-la, des inspecteurs munis de patentes, et autorisés à accorder des titres au roi de Tchin-la. Suivant l’histoire des peuples étrangers, les officiers chinois allèrent dans ce pays avec le pouvoir d’examiner les voyageurs chinois qui s’y trouvoient. Ceux dont les passe-ports n’étoient pas scellés du sceau des officiers, ou sembloient faux, furent, avec la permission du roi du pays, arrêtés et chargés de chaînes[14]. On envoya ensuite de nouveaux officiers qui portèrent au roi trente-deux pièces d’étoffes brochées d’or et dix-neuf mille vases de porcelaine. Le roi renvoya aussi un tribut.

La dix-neuvième année houng-wou (1386), on chargea de nouveau des officiers nommés Lieou-min, Thang-king avec quelques autres, de porter au roi de Tchin-la des vases de porcelaine pour le récompenser.

La vingtième année (1387), le tribut fut payé, par ceux de Tchin-la, en éléphans et en parfums. L’occasion de ce tribut fut le retour de Thang-king et des autres. Les ambassadeurs amenèrent cinquante-neuf éléphans, et apportèrent 60 mille livres pesant de parfums. On donna à ces envoyés, pour leur prince, un sceau d’argent doré. Le roi et la reine eurent encore d’autres présens. Le roi, qui se nommoit Thsan-lieï-phao-pi-sie-kan-phou-tche, envoya encore un tribut d’éléphans et d’autres raretés de son pays.

L’histoire de la province de Kouang-toung dit qu’un marchand nommé Thang-king étant venu de Tchin-la, le roi de ce pays envoya cinquante éléphans et 60 mille livres de parfums. Depuis ce temps, le tribut fut payé régulièrement.

La vingt-unième année houan-wou (1388),

nouveau tribut de Tchin-la, en éléphans et en parfums. Ce tribut consistoit, suivant l’histoire des étrangers, en vingt-huit éléphans, trente-quatre valets pour les servir, et quarante-cinq autres esclaves des pays étrangers. En récompense, on leur donna un sceau.

Trois tributs dans le courant de la vingt-deuxième année houng-wou (1389).

Nouveau tribut la vingt-troisième année (1390).

La première année young-lo (1403) du règne de Tching-tsoung, on envoya dans le pays de Tchin-la des officiers nommés Tsiang-pin-hing et Wang-tchhou, pour y publier la patente d’investiture accordée au prince de ce pays. Suivant l’histoire de la province de Kouang-toung, où ce fait se trouve aussi raconté, les envoyés chinois rapportèrent que le climat du Tchin-la étoit toujours chaud. Les productions de la terre y mûrissent toute l’année. On fait bouillir l’eau de la mer pour faire du sel. Les hommes et les femmes nouent leurs cheveux, et portent des habits courts, et se ceignent d’une toile ; ils ne vont pas nus ; mais, dans les pays dépendans de celui-là, il y a des peuples qui vont entièrement nus, et qui même se moquent des hommes habillés qu’ils voient. D’après leurs lois, on coupe le nez, on mutile, ou l’on fait mourir les criminels, suivant la gravité du crime. On coupe la main ou les pieds aux voleurs. Si un homme du pays tue un Chinois, on le punit de mort ; si un Chinois tue un homme du pays, il peut se racheter avec de l’or ; s’il n’en a point, on vend sa personne pour racheter son crime.

La deuxième année young-lo (1404), il vint un tribut du Tchin-la. Le roi, nommé, selon l’histoire des peuples étrangers, Thsan-Lieï-Pho-pi-ya, envoya un ambassadeur avec un tribut. On avoit averti le roi de Tchin-la que trois soldats chinois avaient déserté sur ses terres, et on avoit demandé qu’il les fît chercher. Le roi n’ayant pu les trouver envoya en échange trois de ses sujets. Quand l’envoyé qui les amenoit fut parvenu devant l’empereur, celui-ci lui dit : « Des Chinois se sont sauvés chez vous : vous ne sauriez être responsables de leur faute ; les langues des deux pays sont différentes ; les mœurs et les coutumes ne sont point semblables ; quelle utilité pourrions-nous retirer de ces hommes ? » Et il ordonna que l’envoyé reçût en présent des habits de cérémonie, et qu’il pût s’en retourner dans son pays.

L’histoire de Kouang-toung ajoute à ces détails que les envoyés du roi de Tchin-la, Naï-chi et neuf autres apportèrent un tribut, et reçurent en récompense des billets ou assignats, et des étoffes. La requête qu’ils présentèrent portoit que, les recherches ayant été vaines pour arrêter les trois militaires chinois qui avoient déserté, on livroit en échange trois hommes du pays. L’empereur refusa cette offre, fit donner, par le li-pou, à ces hommes, des habits et des vivres, et les renvoya dans le Tchin-la. Le président Li-tchi-kang et autres représentèrent que les Chinois fugitifs avoient peut-être été cachés, et qu’il ne faudroit pas renvoyer les ôtages proposés, à moins que les déserteurs ne fussent rendus ; mais l’empereur répondit qu’on n’avoit voulu ni lui désobéir ni le tromper, et qu’un prince devoit imiter le ciel et la terre autant qu’il étoit en lui.

La troisième année young-lo (1405), on envoya un officier pour rendre les derniers devoirs au roi de Tchin-la et pour installer son successeur. Il s’ensuivit une ambassade par laquelle ce dernier fit ses remercîmens à l’empereur. L’histoire des étrangers ajoute que, des ambassadeurs étant venus annoncer la mort du feu roi, on désigna un grand, ayant le rang de houng-lou, nommé Wang-tseu, pour aller assister à ses obsèques, et des officiers nommés Wang-tsoung et Pi-tsin pour établir sur le trône le fils du défunt, Thsan-lieï-tchao-phing-ya. Quand Pi-tsin et les autres s’en revinrent, le nouveau roi chargea des envoyés de les accompagner, et d’aller remercier l’empereur. L’histoire de la province de Kouang-toung nomme le feu roi Thsan-lieï-pho-pi-ya, et dit que son successeur étoit son fils aîné. On fit présent à ce dernier de pièces d’étoffes et d’autres choses.

La sixième année young-lo (1408), tribut du pays de Tchin-la, selon l’histoire des étrangers. Nouveau tribut la douzième année. Cette fois, les envoyés se plaignirent que les invasions des Cochinchinois les avoient plusieurs fois empêchés d’arriver à la Chine. L’empereur envoya un officier pour les reconduire, et pour porter au roi de la Cochinchine l’ordre de cesser les hostilités et de revenir à de meilleurs sentimens.

La quinzième année young-lo (1417), nouveau tribut du Tchin-la, indiqué par l’histoire des étrangers. Autre ambassade la dix-septième année (1419), à la troisième lune. Celle-ci apporta une lettre écrite en lettres d’or par Thsan-lieï-tchao-phing-ya. Le tribut consistoit en éléphans apprivoisés et en productions du pays.

Nouveau tribut la troisième année king-thaï (1452) du règne de Taï-tsoung.

Suivant l’histoire des étrangers, il vint encore des ambassades du Tchin-la dans les années siouan-te (1426 à 1435) et king-thaï. Par la suite, il n’en est pas venu régulièrement.

La ville capitale du Tchin-la a 70 li de tour. L’étendue du pays est de plusieurs milliers de li. Il y a dans le royaume une tour et un pont d’or. On compte jusqu’à trente palais ou résidences. Chaque année, à une certaine époque, le roi tient une assemblée générale. On réunit des singes, des paons, des éléphans blancs, des rhinocéros, dans une maison de plaisance nommée l’Île des Cent Tours. On leur sert à manger dans des auges et des vases d’or. De là vient le proverbe du riche Tchin-la. Le peuple y est en effet riche ; le temps est toujours chaud ; on n’y connoît ni la gelée ni la neige. Il y a plusieurs récoltes par an. Les hommes et les femmes nouent leurs cheveux ; ils portent des habits courts et des ceintures de toile. Les supplices les plus ordinaires sont de couper le nez, de mutiler, de faire mourir, selon la gravité du crime. On coupe aux voleurs les pieds ou les mains. Si un barbare tue un Chinois, le coupable est puni de mort. Si un Chinois tue un barbare, il est mis à l’amende : s’il ne peut la payer, il est vendu pour racheter son crime. Les Chinois reçoivent des barbares le nom de gens de Hoa ou d’hommes de la fleur ; il en est de même chez tous ces peuples d’au-delà de la mer. Quand deux personnes se marient, les deux époux restent huit jours sans sortir de leur maison avec les lampes allumées jour et nuit.

Quand un homme meurt, on le place dans un lieu désert, laissant aux oiseaux de proie le soin de le dévorer. Quand le cadavre est entièrement dévoré, on regarde cela comme un bonheur. Lorsqu’on est en deuil, on rase ses cheveux. Les femmes se coupent les cheveux au-dessus du front, de la grandeur d’un denier, pour marquer, disent-elles, la reconnoissance qu’elles portent à leurs proches. Les lettres s’écrivent sur de la peau de cerf ou d’autres animaux, teinte en noir, et vernie, et sur laquelle on fait de petits traits.

Les arbres ne se dépouillent jamais de leurs feuilles. La dixième lune est chez eux le commencement de l’année. Ils intercalent la neuvième lune. La nuit se partage en quatre veilles. Il y a des hommes habiles dans l’astronomie, lesquels savent supputer les jours et les mois, et calculer les éclipses. Dans ce pays, on nomme un homme lettré pan-ki ; un prêtre de Fo, tchou-kou ; un tao-sse, pa-sse. Les pan-ki n’étudient point les livres. Ceux d’entre eux qui occupent des places ont le titre de hoa-kouan. Auparavant, ils portent suspendue au col une pièce de soie blanche pour se distinguer. Ils honorent la couleur blanche à cause de cet ancien usage.

Les bonzes de la religion de Bouddha mangent du poisson et de la chair ; pour honorer Fo, ils se bornent à ne pas boire de vin.

Les habitans de ce pays le nomment Kan-phou-tchi[15]. Ce nom a été ensuite altéré et changé en celui de Kan-pho-tche. Depuis les années wan-li (1573 à 1619), on l’a encore nommé Pou-se oriental.

Selon le code des institutions de la dynastie des Ming, la troisième année king-thaï (1452), on donna au roi de Tchin-la deux pièces de soie brodée, six pièces de damas, quatre pièces de gaze de soie. La reine eut quatre pièces de damas et trois pièces de gaze. Le chef de l’ambassade, les interprètes et les autres agents reçurent une grande robe, du damas et du taffetas. On leur donna un repas de cérémonie. À leur retour, l’intendant de la province de Kouan-toung eut ordre de les traiter une fois. Pendant les dix jours qu’ils séjournèrent, on leur délivra, par dix personnes, deux moutons, deux oies, deux poules, vingt bouteilles de vin, un boisseau de riz, cinq boisseaux de farine et des légumes pour la cuisine.


  1. Si l’on vouloit rechercher les connoissances que les Chinois ont pu avoir sur Camboge, antérieurement au septième siècle, il faudroit lire l’histoire de la province de Fou-nan, à laquelle ce pays a appartenu, et les Considérations générales sur les contrées du midi où l’on trouve des détails intéressans sur la révolution qui sépara la Cochinchine et les états voisins de l’empire de la Chine, et qui y introduisit les coutumes indiennes et l’écriture des Brahmanes, ainsi que sur le commerce des Indes et de l’empire romain, par la mer du Midi, au temps de la dynastie des Han. Voyez le livre 89.e de la grande collection intitulée Pian i tian, à la bibliothèque du Roi.
  2. Tchu Kiang, le fleuve rouge.
  3. Tchhi-thou, terre rouge, est un des noms chinois du royaume que les Européens nomment Siam.
  4. Ce pays, situé au nord-ouest du Wen-tan, dépendoit du Tchin-la, vers 625, lorsqu’il en vint une ambassade avec celle du pays de Tao-ming. Thsan-pan pourroit être Ciampa.
  5. C’est plutôt le pyrus baccata.
  6. Dixième d’un boisseau.
  7. Il est plus vraisemblable que là, comme à la Chine, les voyageurs s’arrêtent dans les édifices consacrés au culte.
  8. Lacune du texte. Je crois qu’il faut suppléer la huitième année. Voyez la note sur le Thsan-pan, ci-dessus p. 14.
  9. Depuis 627 jusqu’en 698.
  10. Entre 627 et 649.
  11. Entre 806 et 820.
  12. Ou Tchin-li-fou, ville dépendante de Tchin-la.
  13. Tchan-tching, Cochinchine.
  14. Cet événement, sur lequel il n’y a aucun détail, tient sans doute aux précautions que l’empereur des Ming, récemment monté sur le trône, prit contre les partisans de la dynastie mongole.
  15. On voit là l’origine du nom de Camboge ou Cambodia que les Européens ont adopté. Suivant le père Alexandre de Rhodes, les Annamites nomment Kao-mien le Camboge proprement dit, et donnent à la partie de ce pays que nous nommons Ciampa, les noms de Mloï, Tri-tri et Tchiem-thanh.