Description du royaume du Cambodge/Description du pays de Tchin-la




TCHIN-LA FOUNG THOU KI


ou


DESCRIPTION DU PAYS DE TCHIN-LA.






PRÉFACE.


Le pays de Tchin-la est aussi nommé Tchen-la. Les gens du pays le nomment eux-mêmes Kan-phou-tchi. Sous la dynastie actuelle, les livres sacrés des Tibétains nomment ce pays Kan-phoù-tchi, ce qui est très-voisin de Kan-phou-tchi.

En partant de Wen-tcheou[1] on traverse l’Océan dans la direction du Ting-weï[2]. Au-delà du bras de mer qui s’étend entre le Fou-kian, le Kouang-toung et les îles, on passe la mer des Sept Îles, on traverse celle de Kiao-tchi, et l’on arrive à Tchen-tching[3]. De là, par un bon vent, on peut en quinze jours arriver à Tchin-phou qui est la limite de ce pays. De Tchin-phou on va dans la direction de Kouen-chin[4], on traverse la mer de Kouen-lun, et on trouve une suite de goulets, au nombre de plusieurs dizaines. Il n’y a que le quatrième dans lequel on puisse entrer. Tous les autres sont obstrués par les sables et peu profonds, ce qui fait qu’on ne peut y pénétrer avec de grands vaisseaux. Comme tout le rivage est bordé de vieux arbres et couvert de plantes parasites, de sable jaune, de roseaux blanchâtres, il est extrêmement difficile de reconnoître l’entrée. Aussi les marins regardent-ils cette découverte comme une chose trèspénible. Depuis l’embouchure du goulet on va vers le nord ; et, aidé par le courant[5] on atteint en quinze jours le pays de Tchha-nan, qui est dans la dépendance de ce royaume. À Tchha-nan, on change de barques, et on prend des bateaux avec lesquels on est porté par le courant[6], en dix jours. On passe devant le bourg de Pan-lou (moitié du chemin), devant celui de Bouddha ; on traverse des endroits où l’eau est basse, et l’on atteint le pays où est la ville de Kan-pang-thsiu[7], à 50 li.

Je remarque que, dans les livres où l’on décrit les pays étrangers, on donne à ce royaume une largeur de 7000 li. Au nord, il touche à la Cochinchine qui en est éloignée de quinze jours de chemin ; au sud-ouest, il confine à Siam, à peu près à la même distance ; au midi, il est à dix jours de Fan-iu ; à l’est, est la grande mer[8]. Ce royaume étoit autrefois fréquenté par les marchands qui alloient et venoient. Les princes de l’auguste dynastie régnante voulant, conformément aux vues du ciel, affermir l’autorité que le prince des Youan avoit fondée dans les quatre mers, établirent des inspecteurs pour la Cochinchine, et envoyèrent dans ce pays cent hommes de la garde, pris parmi ceux qui portent une peau de tigre, et mille de ceux qui ont un bouclier doré, pour contenir ces contrées et les empêcher de se révolter. L’année i-weï, parmi celles qui portèrent le titre de youan-tching (1295), à la sixième lune, l’empereur m’ordonna d’aller publier ses ordres. Je me préparai à partir ; et, l’année suivante, à la deuxième lune, je partis de Ming-tcheou. Le vingtième jour, je sortis du port de Wen-tchou, et j’entrai en pleine mer. Le quinzième jour de la troisième

lune, j’abordai à la côte de la Cochinchine. Je fus arrêté par les vents contraires, de sorte que je n’arrivai que la septième lune au terme de mon voyage. Dans les années taï-té, ting-yeou du cycle (1297), je me rembarquai ; et, le 12 de la huitième lune, j’atteignis le rivage de Sse-ming, et je débarquai. Quoique je n’aie pu acquérir une connoissance complète des mœurs, des productions et des affaires du pays que j’ai visités, le sommaire de mes observations sur tous ces points paroîtra peut-être mériter quelque attention.

De la ville capitale.


La ville capitale peut avoir 20 li de tour : elle a cinq portes, chacune double. Celle qui est tournée vers l’orient a deux ouvertures ; les autres n’en ont qu’une. Au-delà des portes est un grand fossé, et, au-delà du fossé, des boulevards de communication avec de grands ponts. De chaque côté du pont, il y a cinquante quatre statues de pierre représentant des divinités : elles sont très-grandes, et ressemblent à des statues de généraux, et ont la physionomie menaçante. Les cinq portes sont pareilles. Les piles des ponts sont toutes en pierre, et les arches sont figurées en forme de serpent. Chaque serpent a neuf têtes. Les cinquante-quatre statues tiennent toutes un serpent à la main, et l’on défend aux passans d’en approcher. Au-dessus des portes de la ville, il y a de grandes têtes de Bouddha en pierre, à cinq faces tournées vers l’occident ; celle du milieu a une coiffure ornée d’or. Des deux côtés de la porte sont des figures d’éléphant, sculptées sur la pierre. Toutes les villes sont entourées de murs en pierre, et ont environ deux tchang ; les pierres sont très-grandes, bien liées et très-solides ; il n’y croît pas de mauvaises herbes ; il n’y a point de parapets. Au-dessus des murs, on a planté en certains endroits de grands arbres nommés kouang-lang, disposés régulièrement. D’espace en espace, il y a des constructions creuses ou bastions qui font saillie en dedans, comme une digue, et qui ont plus de dix tchang d’épaisseur. À chaque bastion, il y a une grande porte qui s’ouvre le jour et se ferme la nuit ; l’inspecteur de ces portes a soin de ne pas laisser entrer les chiens[9]. Les villes sont exactement carrées, et à chaque angle est une tour en pierre ; on ne laisse point non plus entrer les hommes qui, en punition de quelque crime, ont eu les doigts des pieds coupés.

Dans un endroit du royaume, il y a une tour en or, entourée de vingt autres tours de pierre, et de plus de cent maisons également en pierre, toutes tournées vers l’orient. Il y a aussi un pont en or[10] et deux figures de lion, faites de même métal, à droite et à gauche du pont ; on y voit aussi une statue de Bouddha en or, à huit corps, placée au bas des maisons du côté droit. Au nord de la tour d’or, à environ un li, est une tour de cuivre beaucoup plus haute que la première, et qu’on ne peut regarder sans étonnement ; au pied sont aussi une dizaine de maisons de pierre ; à un li plus loin vers le nord, est la résidence du roi du pays. Dans l’intérieur du palais, il y a encore une tour d’or. Je pense que les éloges donnés par les marchands qui viennent de ce pays, à la richesse du Tchin-la, proviennent de l’admiration que leur ont inspirée ces monumens.

En sortant par la porte du midi, on trouve, à la distance d’un demi-li, une tour de pierre qui a été bâtie, suivant la tradition par Lou-pan, dans l’espace d’une nuit. Le tombeau de Lou-pan est hors de la porte du midi, à un li, dans une enceinte d’environ dix li ; on y voit plusieurs centaines de maisons de pierre.

Le lac oriental est à l’est de la ville, à dix li, et il peut avoir cent li de tour ; au milieu est une tour de pierre et un autre édifice de pierre. On voit dans la cour une statue en cuivre de Bouddha couché ; une fontaine dont l’eau ne s’arrête jamais, jaillit de son nombril.

Le lac septentrional est au nord de la ville, à cinq li ; dans ce lac est une tour d’or carrée, avec plusieurs édifices en pierre, un lion d’or, une statue de Bouddha du même métal, un éléphant, un bœuf et un cheval, tous trois en cuivre, et quelques objets du même genre.

Du palais.


Le palais du roi, les maisons des officiers, et autres édifices principaux, sont tous tournés vers l’orient. Le palais du roi est au nord de la tour et du pont d’or ; près de la porte est une enceinte ou un parc de cinq ou six li de tour ; les tuiles qui recouvrent la façade du palais sont en plomb ; celles des autres parties de l’édifice sont en terre cuite de couleur jaune ; les colonnes et les poutres de traverse sont très-grandes, et toutes couvertes de peintures qui représentent Bouddha ; le sommet se termine par un magnifique donjon ; sur les ailes, on a ménagé de doubles galeries avec une esplanade qui se termine par une rotonde en talus. Dans le lieu où se tient le conseil, il y a une fenêtre à treillis d’or ; à gauche et à droite sont deux piliers carrés, au haut desquels on a placé quarante ou cinquante miroirs, qui font que les objets sont représentés aux côtés de la fenêtre, de manière à être aperçus par ceux qui sont en bas.

J’ai ouï dire que, dans l’intérieur du palais, il y avoit beaucoup d’autres choses merveilleuses ; mais il y avoit une défense extrêmement sévère de les laisser voir. C’est dans la tour d’or du palais que le roi passe la nuit. Plusieurs personnes du pays, d’un rang distingué, m’ont raconté qu’anciennement il y avoit dans la tour une fée sous la forme d’un serpent à neuf têtes, laquelle étoit la protectrice du royaume ; que, sous le règne d’un des rois du pays, cette fée prenoit chaque nuit la figure d’une femme, et venoit trouver le prince[11] ; et, quoiqu’il fût marié, la reine sa femme n’osoit entrer chez lui avant une certaine heure ; mais, au signal de deux coups, la fée se retiroit, et le prince pouvoit recevoir la reine ou ses autres femmes ; si la fée étoit une nuit sans paroître, c’étoit un signe de la mort prochaine du roi ; si le roi, de son côté, manquoit au rendez-vous, on pouvoit être sûr qu’il y auroit un incendie, ou quelque autre calamité.

Après le palais, les maisons des princes de la famille royale et des grands officiers ont les dimensions et une hauteur plus considérables que celles des particuliers ; du reste, toutes sont couvertes en chaume ; il n’y a que les temples dont la façade et les constructions de derrière peuvent êtres recouvertes en tuiles. Les maisons des magistrats ont aussi des dimensions particulières, réglées d’après le rang des possesseurs ; celles des moins considérables sont, comme celles des simples particuliers, recouvertes en chaume ; car ceux-ci n’oseroient faire usage de tuiles. Les maisons des bourgeois varient de grandeur suivant la richesse ou la pauvreté des propriétaires ; mais les plus riches ne se hasarderoient pas à construire une maison semblable à celle des officiers de l’état.

Des habillemens.


Depuis le roi jusqu’au dernier des habitans, les hommes comme les femmes nouent leurs cheveux au haut de leur tête ; ils vont les bras nus, et les reins ceints seulement d’une ceinture de toile ; quand ils sortent, ils ajoutent un grand morceau de toile par-dessus le petit ; ces morceaux de toile varient suivant les conditions ; celui que porte le roi a des ornemens d’or fin, pesant trois ou quatre onces, et qui sont d’une beauté admirable.

Les gens du pays fabriquent eux-mêmes leur toile ; mais les marchands qui vont et viennent de Siam et de Cochinchine en apportent aussi, et la plus estimée est celle qui vient des mers de l’occident, à cause de la beauté du travail et de la finesse du tissu ; aussi, parmi les hommes, n’y a-t-il que le roi qui ait le droit d’envelopper sa tête de toile à fleurs de cette espèce ; il porte encore une couronne d’or enrichie de diamans ; quelquefois, quand il ne porte pas cette couronne, il roule un morceau de toile de coton avec des fleurs odoriférantes, comme le jasmin des Indes, autour du nœud que forment ses cheveux, et, au-dessus du front, il place une grosse perle qui pèse plus de trois livres[12] ; il a, aux mains, aux pieds et à chaque doigt, des anneaux et des bracelets d’or, avec des opales ; il a les pieds nus, et la plante de ses pieds, ainsi que la paume de ses mains, est teinte en rouge avec le suc de feuilles de cette couleur ; quand il sort, il tient à la main une épée d’or. Parmi les gens du peuple il n’y a que les femmes qui puissent teindre leurs pieds et leurs mains ; les hommes n’oseroient le faire. Les grands et les parens du roi ont le droit de se vêtir d’étoffes fines et brodées ; mais il n’y a que les femmes du palais qui puissent porter des étoffes de cette espèce à deux chefs ; les femmes du peuple en portent aussi. Tout nouvellement un Chinois s’est mis aussi à en porter, et on n’a pas osé lui en faire un crime, les an-ting[13] et les pa-cha l’ayant justifié sur l’ignorance où il étoit des usages du pays.

Des officiers.


Il y a dans ce pays des ministres, des généraux, des présidens chargés d’observer le ciel, et d’autres grands officiers qui ont sous eux des adjoints, des juges et d’autres employés ; seulement leurs titres ne sont pas les mêmes qu’en Chine : la plupart sont pris parmi les membres de la famille royale ; et, quand on n’en trouve pas, on choisit jusqu’à des femmes qui exercent des emplois ; leurs revenus et leurs honneurs sont réglés d’après leur rang ; au premier rang sont ceux qui ont le droit de se servir de chaises-à-porteurs ou de palanquins d’or, et de quatre parasols à manche d’or ; puis ceux qui ont la chaise d’or et deux parasols ; les troisièmes ont la chaise d’or avec un seul parasol ; ceux du quatrième ordre n’ont que le parasol à manche d’or ; ceux du cinquième ordre ont un parasol à manche d’argent ; il y a encore des officiers qui ont la chaise d’argent et le parasol d’or. Tous les officiers d’un rang élevé se nomment pa-ting ou an-ting ; ceux qui ont le parasol à manche d’argent se nomment sse-la-ti.

Pour faire ces parasols on se sert de taffetas rouge de la Chine, et les pendans tombent jusqu’à terre ; les parapluies sont de taffetas vert, huilé ou verni, et les pendans sont très-courts.

Des trois religions.


Ceux qui sont de la secte des lettrés s’appellent Pan-ki ; les prêtres de Bouddha se nomment Tchou-kou, les Tao-sse, Pa-sse. Il n’y a que les Pan-ki dont le fondateur n’est pas connu ; ils n’ont rien de ce qu’on appelle collége ou salle d’études, et il seroit fort difficile de dire quels sont les livres qu’ils étudient. Ils sont vêtus de toile comme les gens du commun, excepté qu’ils portent sur le front[14] un ruban blanc, qui est la seule marque distinctive à laquelle on reconnoisse qu’ils sont lettrés. Ceux des Pan-ki, qui entrent dans les charges, deviennent de grands personnages, et le ruban blanc qu’ils portent au cou[15] ne les quitte jamais pendant toute leur vie.

Les Tchou-kou se rasent les cheveux ; ils portent des habits jaunes et ont le bras droit nu. Ceux qui sont les moins élevés en dignité, se ceignent d’un morceau de toile jaune, et marchent pieds nus. La plupart de leurs temples sont couverts en tuiles, et il n’y a dans l’intérieur qu’une seule statue, qui représente Chakia Bouddha ; ils la nomment Phou-laï ; elle est vêtue de rouge et faite d’argile peinte avec du vermillon et de la couleur bleue. Excepté cette statue, on n’en voit pas d’autres dans leurs temples. Les représentations de Bouddha qui sont dans les tours, sont faites de cuivre coulé. Ils n’ont ni cloches, ni tambours, ni cymbales, ni drapeaux, ni dais précieux. Tous les prêtres mangent du poisson et de la viande ; seulement ils s’abstiennent de boire du vin, mais ils se servent de viande et de poisson dans leurs cérémonies à l’honneur de Bouddha. Ils font chaque jour un sacrifice, et recueillent ce qui est mis à part pour cela, dans la maison de celui qui le fait faire ; car ils n’ont dans leurs temples ni cuisine ni foyers. Les livres sacrés qu’ils récitent sont en grand nombre, et tous écrits sur des feuilles de palmier qu’on place l’une sur l’autre bien régulièrement ; on écrit dessus avec des lettres noires, sans se servir ni de pinceau ni d’encre, mais avec je ne sais quelle matière qui m’est inconnue. Les prêtres font aussi usage de chaises-à-porteurs d’or ou d’argent, et de parasols ;

quand le roi a quelque affaire importante, il les mande pour les consulter. Il n’y a point de ni-kou ou de prêtresses.

Les Pa-sse sont vêtus comme les gens du peuple, excepté qu’ils portent sur leur tête une toile rouge ou blanche, comme la coiffure des femmes tartares, mais plus basse. Ils ont aussi des édifices et des tours, ainsi que des couvens et des temples, mais qui ne peuvent se comparer, pour la magnificence, aux monastères des Bouddhistes dont la religion est aussi bien plus florissante. Dans leurs temples il n’y a point de représentations particulières, mais seulement un amas de pierres, comme celui qui sert à la Chine pour les sacrifices au ciel et à la terre. Ils ne savent pas non plus d’où ils tirent leur origine ; il y a aussi des religieuses de leur secte ; ils ont la permission de couvrir leurs tours et leurs édifices avec des tuiles. Les Pa-sse ne partagent pas le repas d’un homme étranger à leur secte, et ne souffrent pas qu’on les voie manger ; ils ne boivent pas de vin. Je ne les ai jamais vus lire leurs livres sacrés, ni faire de bonnes œuvres. On a coutume d’envoyer leurs enfans aux écoles des prêtres de Bouddha pour y être instruits ; ils en sortent quand ils sont grands ; je n’ai pu savoir ce qu’ils y apprennent.

Des mœurs des habitans.


Les habitans ne connoissent d’autres mœurs que celles des barbares du midi ; ils sont grossiers, fort laids, et ont le teint très-noir. Je ne sais si cela ne vient pas de ce qu’ils habitent la plupart dans des îles au milieu de la mer, ou dans des lieux exposés dans l’intérieur des terres ; car pour les dames du palais, et même parmi les femmes de Nan-pheng[16], il y en a qui ont le teint d’un blanc éclatant comme de la pierre de iu, et cela vient de ce qu’elles ne voient ni le ciel ni la lumière du soleil. Ils mettent pour la plupart un morceau de toile autour de leurs reins ; du reste, hommes et femmes vont nus, la poitrine découverte, les cheveux noués sur la tête, les pieds nus ; la reine elle-même ne va pas autrement. Le roi a cinq épouses ; l’une qui est la principale, et les quatre autres d’un rang inférieur. Quant aux concubines, j’ai entendu dire qu’il y en avoit de trois à cinq mille, qui sont encore distribuées en plusieurs classes ; elles ne sortent jamais. Une fois, j’ai été admis dans l’intérieur du palais, en présence du roi du pays. Il sortit de son appartement avec la reine ; et, quand il s’assit, sa première femme se plaça au milieu de la fenêtre d’or ; les autres femmes se rangèrent, des deux côtés, au bas des fenêtres des galeries, pour me regarder. Quand un particulier a de belles filles, on les fait entrer dans le palais ; celles d’entre elles qui vont et viennent sont employées au service ; elles sont appelées Tchin-kia-lan, et leur nombre n’est pas moindre d’un à deux mille, il y en a parmi elles qui ont leurs maris, et qui habitent confondues avec les autres personnes de la ville ; elles ne se distinguent que parce qu’elles se rasent les cheveux aux deux côtés des joues, et se peignent avec du cinabre les joues ainsi que les tempes ; c’est là le signe distinctif des Tchin-kia-lan. Il n’y a que ces femmes qui aient le droit d’entrer dans le palais ; les autres n’y sont pas admises. Devant et derrière le palais, il y a sans cesse des femmes qui se tiennent sur les avenues, les cheveux noués simplement, sans aiguille de tête et sans peigne, ni aucun autre ornement ; elles ont seulement au bras un bracelet d’or, des anneaux d’or aux doigts, comme en ont les Tchin-kia-lan et toutes les femmes du palais en général.

Les hommes et les femmes s’oignent le corps avec différens parfums, composés avec du santal, du musc, etc. On honore Bouddha dans toutes les maisons. Il y a dans le pays un grand nombre d’hermaphrodites qui, chaque jour, vont en troupes de plusieurs dizaines dans les marchés et sur les places. Il y a aussi des gens (de mauvaise vie) qui s’empressent d’inviter les Chinois à venir loger chez eux ; mais la chère qu’on y fait est bien mauvaise et bien désagréable.

Des femmes en couche.


Après qu’une femme de ce pays est accouchée, on prépare du riz chaud, on y ajoute du sel, et on le lui met sur le ventre[17] pendant un jour et une nuit, après quoi on l’ôte, et par ce moyen elle évite toutes les incommodités qui suivent les couches, et conserve toujours l’avantage d’être comme une fille. Dans le commencement, quand j’entendis parler de cet usage, je le traitai de mensonge, ou du moins j’avois de grands doutes sur l’exactitude du fait ; mais, dans la maison où j’étois logé, il y eut une femme qui accoucha d’un fils, et cela me fournit l’occasion de prendre des informations plus précises. Dès le lendemain, elle s’en alla à la rivière avec son enfant, et se baigna, ce qui m’étonna beaucoup, et je vis la vérité de ce qu’on m’avoit dit.

Les femmes de ce pays sont très-lascives. Quand le mari ne trouve pas les qualités qu’il recherche, il achète des concubines, et abandonne son épouse légitime[18]. Si un mari s’éloigne pour quelque affaire pendant quelques nuits, et qu’il soit absent plus de dix nuits, alors sa femme dit : Je ne suis point un démon, comment pourrois-je dormir seule ? et cela suffit pour l’engager dans la conduite la plus licencieuse. J’ai cependant ouï dire qu’il y avoit aussi des femmes fidèles. Les femmes vieillissent très-promptement ; car, comme elles se marient et ont des enfans de très-bonne heure, une femme de vingt ou de trente ans est comme à la Chine une femme de quarante ou de cinquante.

Des filles.


Quand un père élève une fille, ses parens lui adressent ce vœu : Puisses-tu être demandée en mariage par cent mille époux ! Une fille riche se marie ordinairement entre sept et neuf ans. Celles qui sont très-pauvres attendent quelquefois jusqu’à onze ans. On ne manque pas de charger un prêtre de Bouddha ou un tao-sse de leur enlever leur virginité. Cette fonction se nomme tchin-than[19]. Chaque année, à l’époque qui répond à la quatrième lune de la Chine, l’officier du lieu fait publier le jour qui a été choisi pour le tchin-than, et avertit ceux qui ont des filles à marier de venir d’avance lui déclarer leur intention. L’officier leur donne un grand cierge, sur lequel on fait une marque ou une tache ; et le temps de la nuit qui s’écoule jusqu’à ce que la flamme du cierge ait atteint la marque, est le temps fixé pour le tchin-than. Un mois, quinze jours, ou dix jours avant l’époque, le père et la mère choisissent un prêtre de Fo ou un tao-sse, suivant le monastère qui se trouve dans le lieu où ils habitent. Il y en a aussi quelques-uns auxquels on a recours de préférence dans des occasions semblables. Les maisons riches sont ordinairement préférées, et les pauvres n’ont pas le choix. Une maison riche fait en ce cas des présens de vin, de riz, de toile, d’arèque, de vases d’argent, et autres choses qu’on peut évaluer à une centaine de charges, deux ou trois onces d’argent de Chine. Les moindres présens vont à trente ou quarante, ou du moins dix à vingt charges, selon la richesse ou la pauvreté de la maison. La difficulté de se procurer les présens nécessaires est la cause qui fait que les filles pauvres attendent quelquefois jusqu’à leur onzième année. Il y a des gens qui donnent aux filles pauvres de l’argent pour le tchin-than, et cela est regardé comme une bonne œuvre ; car, dans une année, un prêtre ne peut satisfaire qu’une seule fille ; et, s’il vouloit accorder davantage, on ne le lui permettroit pas. Cette nuit, on prépare un grand festin, on fait venir des musiciens, des tambours ; on assemble les parens et les voisins. On attache au-dehors de la porte un pavillon où sont peintes des figures d’hommes et d’animaux au nombre de dix, quelquefois de trois ou quatre seulement. Les pauvres n’en mettent pas. Cela paroit être un ancien usage. Au bout de sept jours, on va, le soir, avec une chaise-à-porteurs, un parasol, les tambours et la musique, au-devant du prêtre, et on l’amène à la maison. On construit deux dais avec des étoffes de diverses couleurs ; on fait asseoir la fille sous l’un et le prêtre sous l’autre. On ne peut entendre les paroles de celui-ci, à cause du bruit des tambours et de la musique. Pour cette nuit, il n’est retenu par aucune défense[20] ; mais, comme il n’est pas permis à un Chinois d’assister à cette cérémonie, je ne sais ce qui en est. Au moment où le jour va paroître, on reconduit le prêtre avec la chaise, le parasol, le tambour et la musique. Il faut encore lui faire des présens d’étoffes et d’autres choses du même genre, pour racheter la personne de la fille ; sans cela, elle resteroit en sa possession, et elle ne pourroit en épouser un autre. C’est ce que j’ai vu moi-même dans l’année taï-te, ting-yeou du cycle, la quatrième lune, la sixième nuit. Avant cette cérémonie, le père et la mère dorment dans le même lieu que leur fille ; mais après, elle couche dans une chambre séparée ; ils n’ont plus de droits sur elle ; elle est entièrement émancipée. Quant aux mariages, quoiqu’on pratique la cérémonie des présens de noces, ils se font sans beaucoup de précautions. Il y a beaucoup de femmes qui ont commencé par mener une vie licencieuse, et qui se marient ensuite. Dans leurs mœurs, cela n’a rien de honteux ni de surprenant. La nuit du tchin-than il y a quelquefois dans la ville plus de dix maisons où on pratique la cérémonie à la fois. Les prêtres et les tao-sse qu’on reconduit se rencontrent dans la rue, et on entend de tous côtés le bruit des tambours et de la musique.

Des esclaves.


Les esclaves qu’on a dans les maisons sont des sauvages qu’on achète pour faire le service. Ceux qui en ont le plus en ont une centaine ; le moins qu’on en ait, c’est dix ou vingt. Il n’y a que les gens tout-à-fait pauvres qui n’en ont pas du tout. Ces sauvages sont des hommes qu’on trouve dans les montagnes et dans les lieux déserts : il y en a une tribu qu’on a coutume d’appeler Thoung ou chiens. Quand on en amène dans une ville, ils n’osent ni entrer dans les maisons ni en sortir. Dans une dispute, c’est une grave injure que d’appeler son adversaire chien : celui qu’on nomme ainsi en conçoit le plus vif ressentiment. Cette espèce d’hommes est méprisée par les autres, au point qu’un esclave jeune et robuste n’est évalué qu’à cent morceaux de toile ; ceux qui sont vieux ou foibles n’en valent que trente ou quarante. On ne leur permet de se reposer et de s’asseoir qu’au bas de la maison ; ou si, pour leur service, on leur permet de monter, il faut, avant d’entrer, qu’ils se mettent à genoux en joignant les mains sur le front. Ils appellent leur maître pa-to, et la maîtresse de la maison mi. Pa-to signifie père, et mi mère. Si on les frappe pour quelque faute, ils se prosternent la tête contre terre, et reçoivent les coups sans oser faire le moindre mouvement. Ces hommes[21] se marient entre eux, et jamais leurs maîtres ne voudroient s’allier avec eux. Il y eut un Chinois établi dans ce pays, qui, n’ayant pas de femme, en prit une sans s’embarrasser de ce qu’elle appartenoit à cette classe d’individus. Son hôte l’ayant appris, ne voulut pas le lendemain s’asseoir près de lui, parce qu’il avoit eu commerce avec une femme sauvage. Si une femme devient grosse par un commerce avec un étranger, le maître ne daigne lui demander aucune explication, car c’est une chose au-dessous de lui ; mais il profite de cette circonstance, qui lui procure un esclave de plus. Si quelqu’un d’eux s’échappe et qu’on le reprenne, on le marque au visage avec du bleu, ou bien on lui passe un anneau de fer au cou pour le retenir ; il y en a aussi qui ont de ces anneaux au bras ou à la cuisse.

De la langue.


La langue de ce pays est composée de mots et de syllabes qui lui sont propres ; et, malgré la proximité, les Cochinchinois et les Siamois ne la comprennent pas[22]. Voici quelques échantillons de ce langage.
Un se dit : — meï (Annam. mot).
Deux, — pieï (A. haï).
Trois, — pi (A. ba).
Quatre, — pan (A. bon).
Cinq, — phou-kian.
Six, — phou-kian-meï. C’est-à-dire, cinq-un, cinq-deux, etc.
Sept, — phou-kian-pieï.
Huit, — phou-kian-peï.
Neuf, — phou-kian-pan.
Dix, — ta (A. tap-mouo).
Père, — Pa-to (sanscrit, Pita).
Oncle, — Pa-to.
Mère, — (Ann. me).

On donne ce même nom par honneur aux tantes, aux belles-sœurs, aux veuves et aux femmes du voisinage, ainsi qu’aux femmes âgées.

Frère aîné, — pang.
Sœur aînée, — id.
Frère cadet, — pou-wen.
Oncle maternel, — khi-laï.
Beau-père, — phou-laï[23].

Les mots que nous mettrions après se placent ordinairement avant chez eux, comme dans cet exemple : Au milieu de cette conspiration ils se tuent les uns les autres.

Dans les pays voisins, il y a des gens qui cultivent le cardamome et le coton, et qui fabriquent de la toile : cette toile est extrêmement grossière, et les dessins qu’on y fait sont très-bizarres[24].

De l’écriture.


Ordinairement les livres et les écritures publiques sont sur de la peau de cerf ou de daim teinte en noir, et taillée de la grandeur et de la largeur dont on a besoin. On se sert d’une pâte semblable à la chaux blanche de la Chine, dont on fait de petits bâtons qu’on nomme navette ; on tient ce crayon dans la main, et on s’en sert pour tracer des caractères qui ne s’effacent jamais. Quand on a fini d’écrire, on le place derrière son oreille.

Les traits des caractères sont distincts et l’on peut reconnoître l’écriture d’un homme. On les fait disparoître en prenant quelque chose d’humide pour les frotter. La plupart des caractères ont des formes qui ressemblent à celles des lettres Hoeï-hou[25]. On écrit d’arrière en avant, et non pas de haut en bas : c’est ce que j’ai appris par moi-même. On m’a dit que ces caractères n’avoient point d’accens ni de voyelles, et que leur forme approchoit de celle des lettres mongoles, à la différence de deux ou trois lettres seulement. Au commencement, ces peuples n’avoient pas de sceaux ; mais à présent, dans les actes publics, ils ont des caractères gravés et des signes écrits ou signatures.

De la manière de calculer le temps.


La dixième lune de la Chine est la première lune chez eux ; elle se nomme kia-te. On construit à cette époque, devant le palais du roi, un échafaud sur lequel il peut tenir un millier de personnes. On le garnit entièrement de lanternes sphériques et peintes qui sont suspendues tout autour. Vis-à-vis, à la distance de deux cents pieds, on élève une charpente en forme de tour, et on y place des mâts de la hauteur de deux cents pieds. On en dresse chaque nuit trois ou quatre, et même cinq ou six, et l’on allume au sommet de ces mâts des feux d’artifice qui sont aperçus par les habitans des cantons et des villes voisines. Le soir, on invite le roi à sortir pour voir allumer les feux : on les voit de plus de dix lieues. Les pièces d’artifice sont de la grosseur d’un canon, et le bruit de la décharge fait trembler toute la ville. Ensuite les officiers de la ville, les personnes d’un rang distingué allument de grands cierges. La quantité d’arèque qui se consomme alors est très-considérable. Le roi invite aussi les grands à assister à la fête, qui dure la moitié du mois. Il y a de même une fête dans chaque mois ; à la quatrième lune, le jeu du mail ; à la neuvième lune, l’assemblée de la chasse : on vient de différentes parties du royaume dans la ville, et on s’assemble devant le palais. À la cinquième lune se fait l’assemblée de l’eau de Bouddha. On conduit dans toutes les parties du royaume les différentes images de Bouddha pour les laver en même temps que le roi se baigne solennellement. On vient à cette fête par terre et en bateaux. Le roi monte dans un pavillon pour assister à la cérémonie. À la septième lune, on brûle la paille des champs : à ce temps de l’année, la paille nouvelle est déjà mûre. On se rend hors de la porte du midi, et on y met le feu en l’honneur de Bouddha. Les femmes n’y vont pas en grand nombre, et le roi n’y assiste pas. À la huitième lune on fait le yaï-lan. Le yaï-lan est une sorte de danse : le roi fait le yaï-lan dans l’intérieur de son palais ; on y voit des combats de porcs et d’éléphans. Le roi invite les gens de sa cour à y assister. On passe ainsi une dizaine de jours en divertissemens. Je ne me rappelle pas quelles sont les fêtes des autres mois.

Il y a dans ce pays des hommes habiles dans l’astronomie, et qui savent prédire les obscurcissemens et les éclipses du soleil et de la lune ; mais la méthode n’est pas la même qu’à la Chine ; l’année est intercalaire, mais on n’intercale jamais que la neuvième lune, parce qu’on ne sait pas faire l’intercalation autrement. On partage la nuit en quatre veilles ; les périodes de sept jours existent chez eux comme dans le kaï-pi et le kian-tchu des Chinois. Ces peuples ne connoissent pas les noms de famille, et ne célèbrent pas le jour anniversaire de la naissance ; mais il y a parmi eux beaucoup de gens qui prennent le nom du jour où ils sont nés. Il y a deux jours très-heureux, trois jours indifférens, et quatre jours très-malheureux : à tel jour on peut aller vers l’orient ; à tel autre on peut aller vers l’occident. Les femmes savent faire ces sortes de supputations ; mais les noms des douze années du cycle dont elles font usage sont les mêmes qu’à la Chine ; il n’y a que les noms qui diffèrent : le cheval, par exemple, se nomme pou-se ; le coq, louan ; le porc, tchi-lou ; le bœuf, ko, et ainsi des autres.

Des procès.


Il y a chez ce peuple beaucoup de procès, quoique sur des sujets de peu d’importance. J’ai entendu dire qu’autrefois le roi ne faisoit pas usage de la bastonnade, mais qu’il condamnoit seulement à des amendes pécuniaires, et que, dans le cas de désobéissance ou de révolte, il ne faisoit pas enchaîner et décapiter les criminels ; seulement, on creusoit la terre au dehors de la porte occidentale de la ville, on faisoit une fosse, et on y plaçoit le criminel, après quoi on recouvroit son corps de terre et d’une forte maçonnerie. Ceux qui étoient moins coupables étoient punis par l’amputation des mains, des pieds ou des doigts, quelquefois du nez ; il n’y a que les adultères et les receleurs contre lesquels la loi ne décernoit pas de punitions. Le mari d’une femme adultère, qui avoit connoissance de son crime, étoit en droit de faire souffrir au séducteur une sorte de question qui se donne avec deux morceaux de bois dans lesquels on serre les pieds de manière à causer une douleur intolérable, et d’exiger l’abandon de tout son bien, après quoi il pouvoit s’en aller sain et sauf. Les escrocs et imposteurs étoient quelquefois mis à mort à la porte de la ville, et traînés ensuite avec une corde pour être exposés hors de la ville, dans quelque endroit inhabité ; il n’y avoit alors pas de rapport de juge ni d’information ; quand un homme prenoit un voleur, il pouvoit le mettre dans une prison, et l’y accabler de coups. Il y a maintenant différentes manières de s’y prendre : si un particulier a perdu quelque chose et qu’il soupçonne un homme de l’avoir volé, et que celui-ci ne veuille pas le laisser connoître, on met de l’huile dans un chaudron, on la fait bouillir, et on dit à l’homme qu’on soupçonne, d’y plonger la main ; si cet homme est véritablement le voleur, sa main est entièrement brûlée ; autrement la chair et la peau restent comme auparavant. On dit que ces peuples ont encore l’usage que voici : Si deux familles ont un procès, tel qu’on ne puisse discerner le vrai du faux, il y a devant le palais de petites tourelles en pierre, au nombre de douze ; on fait asseoir les deux parties, chacune sur une de ces tourelles ; les parens des deux familles sont placés dans l’intervalle. Les plaideurs restent ainsi assis, tantôt un jour ou deux, tantôt trois ou quatre jours ; celui des deux qui n’a pas le bon droit pour lui, ne manque pas de tomber malade et d’être contraint de se retirer ; ou il lui vient sur le corps des ulcères et des furoncles, ou il est pris d’un catarrhe ou d’une fluxion de poitrine, ou de toute autre incommodité ; celui qui a la justice pour lui se retire sans avoir la moindre chose. C’est de cette manière qu’on discerne le vrai du faux, et c’est ce qu’on nomme le jugement de Dieu. Telle est la manière de raisonner des gens de ce pays.

Des maladies et de la lèpre en particulier.


Parmi les habitans de ce royaume, il y a communément beaucoup de malades ; cela vient de ce qu’ils sont toujours dans l’humidité ou dans l’eau, et de ce qu’ils se baignent trop souvent la tête dans les rivières ; souvent ces maladies se guérissent d’elles-mêmes. Mais il y a surtout beaucoup de lépreux sur les grandes routes ; et, quoique des hommes sains couchent et mangent avec eux, ils ne contractent pas leur mal ; on dit que c’est le climat du pays qui est la cause de cette maladie. Il y a eu un roi qui en a été affligé ; ses sujets ne s’en sont pas effrayés. Selon mon opinion, cette maladie est ordinairement produite par le libertinage et l’abus des bains. J’ai appris qu’après s’être livrés aux excès de la débauche, les gens de ce pays entrent dans le bain. De dix malades attaqués de dyssenterie, il en meurt huit ou neuf.

On trouve dans les marchés des remèdes qui ne ressemblent en rien à ceux de la Chine ; je ne sais avec quoi ils sont préparés. Il y a aussi des espèces d’enchanteurs qui se mêlent de guérir les malades, et dont les procédés sont extrêmement ridicules.

Des morts.


Quand un homme est mort, on ne l’enferme pas dans une bière, mais on l’enveloppe dans une natte de roseaux recouverte de toile ; quand on sort pour le convoi, on porte, devant et derrière, des bannières, et on l’accompagne avec des tambours et des instrumens de musique ; on sème tout le long du chemin du riz grillé, et l’on arrive ainsi loin des endroits cultivés, dans un lieu où il n’y a aucun habitant ; on y laisse le corps, pour attendre que les oiseaux de proie, les chiens ou d’autres animaux viennent le dévorer. Quand le cadavre a été promptement dévoré, ils disent que le père et la mère du mort sont heureux, et que le ciel récompense leurs bonnes actions ; s’il n’est point dévoré ou s’il ne l’est qu’imparfaitement, ils disent que son père et sa mère ont péché. Il y a encore à présent quelques habitans qui brûlent leurs morts ; ce sont tous des descendans d’émigrés chinois.

Quand un père ou une mère viennent à mourir, on ne leur rend pas d’honneurs funèbres ; un fils se rase les cheveux, une fille en coupe aux deux côtés des joues de la grandeur d’un denier, et voilà toute leur piété filiale[26].

Il y a une sépulture avec une tour pour les rois ; mais on ignore l’usage d’ensevelir les corps, et l’on n’enterre que les os.

De la culture des terres.


Le plus souvent on fait trois et quatre récoltes dans une année ; car le temps est dans les quatre saisons, comme chez nous, à la cinquième ou sixième lune[27]. On ne connoît ni la gelée blanche ni la neige. Dans ce pays, il y a de la pluie pendant la moitié l’année ; et, pendant l’autre moitié, il n’y en a pas du tout. Depuis la quatrième lune jusqu’à la neuvième[28], il pleut tous les jours. Après le solstice d’été, il tombe tant de pluie, que tous les fleuves débordent, et que les eaux s’élèvent jusqu’à sept ou huit tchang[29], et recouvrent la cime des plus grands arbres ; tous les habitans des bords des rivières se retirent dans les montagnes[30] ; ensuite, depuis la dixième lune jusqu’à la troisième[31], la pluie cesse absolument, les fleuves permettent à peine le passage aux plus petites barques, et les endroits les plus profonds n’ont pas plus de trois à cinq tchhi[32] ; alors les habitans reviennent pour les travaux de la terre, dont l’époque se trouve ainsi fixée : quand les grains sont mûrs, c’est l’époque de l’inondation ; l’espace où elle s’étend est celui que l’on cultive et où on fait les semailles. Dans les opérations d’agriculture, on n’emploie pas de bœufs, ni de charrue, ni de herse, ni de faucille, ni de houe, ni d’autres instrumens semblables. Quoique les grains qu’on sème ressemblent à ceux de la Chine, il y a des différences dans la manière de les cultiver. Les Cambogiens en ont une espèce qui vient dans les terrains bas sans qu’on la sème. Quand l’eau s’élève à dix pieds, l’épi la suit et se tient toujours à la même hauteur qu’elle. Ils ne font pas usage de fumier pour leurs grains ni pour leurs herbes potagères ; cela leur paroît malpropre et impur. Les Chinois qui sont venus s’établir dans ce pays ne pensent pas ainsi, et fument leurs terres comme on le fait en Chine[33] ; mais je crains que ce ne soit ce qui les fait mépriser.

Deux ou trois familles se réunissent pour creuser en commun la terre, et faire une fosse qu’on recouvre avec des herbes, et qu’on bouche quand elle est pleine, pour en refaire une autre ailleurs. Quand ils sont montés aux latrines, ils entrent dans l’eau pour se purifier ; dans ces occasions, ils ne font usage que de la main gauche, réservant la droite pour prendre leurs mets. Quand ils voient un Chinois monter aux latrines et se servir de papier qu’il jette ensuite, ils se moquent de lui, et ne veulent pas même le laisser entrer chez eux[34]. Il y a jusqu’à des femmes qui se tiennent debout en urinant ; c’est assurément une chose très-ridicule[35].

Des montagnes et des rivières.


En entrant du côté de Tchin-phou, on trouve de grandes plaines couvertes de forêts épaisses et ténébreuses. Le grand fleuve divisé en plusieurs bras larges, et qui s’étendent de tous côtés à plusieurs centaines de li ; de vieux arbres, des plantes grimpantes, des broussailles forment des bois épais, sombres et impénétrables, où l’on n’entend que les cris des oiseaux et des quadrupèdes[36]. Parvenu à la moitié de ces bras du fleuve, on commence à voir des clairières, mais pas un pouce de terrain cultivé ; de grands arbres, du millet sauvage, quelques joncs, et voilà tout. Les bœufs sauvages se réunissent en ces endroits, et forment des troupes de plusieurs milliers. Il y a aussi des forêts de bambous qui s’étendent à plusieurs centaines de li ; entre les bambous, croissent des rejetons épineux qui sont extrêmement amers. Des quatre côtés, le pays est borné par de hautes montagnes.

Des productions des montagnes.


Il y a dans les montagnes beaucoup d’espèces d’arbres particuliers. Dans les lieux où il n’y a pas d’arbres, on voit beaucoup de rhinocéros et d’éléphans qui vivent en troupes. On trouve des oiseaux rares et des animaux singuliers dont on ne peut estimer le nombre. Parmi les marchandises fines on remarque le duvet d’oie, l’ivoire, la corne de rhinocéros, la cire jaune ; au nombre des communes est le kiang-tchin[37], le cardamome, le jaune de gingembre, le tseu-keng[38], l’huile de palmier[39], et le duvet de certains oiseaux aquatiques[40] ; il est assez difficile de se les procurer, à cause de l’épaisseur des forêts. Dans les bois où il y a des lacs qui renferment du poisson, les oiseaux sortent des bois pour en attraper ; les gens du pays se couvrent le corps de feuilles d’arbres, et s’asseyent au bord de l’eau, et ayant à côté d’eux une femelle dans une cage pour les attirer ; ils tiennent à la main un petit filet ; et, quand les oiseaux s’approchent, ils les y enveloppent. Il y a des jours où ils prennent de trois à cinq oiseaux ; d’autres fois le jour entier s’écoule sans qu’ils en prennent un seul.

Quant à l’ivoire, on le recueille dans les montagnes et dans les déserts. Chaque éléphant mort fournit deux dents ; une ancienne opinion veut que l’animal en change chaque année ; c’est une

erreur. L’ivoire qu’on se procure en se mettant en embuscade pour tuer l’éléphant, est le plus estimé ; après celui-ci, vient celui qu’on recueille en suivant la trace des éléphans qui sont morts de mort naturelle ; l’ivoire qui provient des éléphans morts de vieillesse dans le fond des montagnes, est le moins estimé.

La cire jaune se récolte dans les villages, et se trouve dans le creux des vieux arbres pourris[41] ; il y en a une espèce qui provient d’une mouche dont le corselet est mince, et qui ressemble à une fourmi ; chaque récolte peut s’élever à deux ou trois mille boules ; de ces boules, les plus grosses pèsent trente à quarante livres ; les plus petites ne sont jamais au-dessous de dix-huit à dix-neuf livres.

Les plus belles cornes de rhinocéros sont celles qui sont blanches avec des veines circulaires ; les noires sont les plus communes.

Le kiang-tchin naît dans les endroits les plus épais des forêts ; les gens du pays ont beaucoup de peine à l’abattre et à le couper, car ce n’est autre chose que le cœur d’un arbre ; le bois blanc qui est autour peut avoir huit à neuf pouces d’épaisseur ; le moins épais a quatre à cinq pouces[42].

Le cardamome est cultivé par les sauvages, sur les montagnes. Le jaune de gingembre est une espèce de résine qu’on trouve entre les arbres[43]; les habitans ont la précaution de couper l’arbre une année d’avance ; il coule goutte à goutte une résine que l’on recueille l’année suivante.

Le tseu-keng[44] naît sur les branches d’une

. certaine espèce d’arbre ; il a la forme du lichen qui naît sur le mûrier ; il est aussi très-difficile à avoir.

L’huile de palmier est faite avec le fruit d’un grand arbre, lequel ressemble à un coco, mais est arrondi ; il y a dedans plusieurs dizaines de graines ; on en trouve aussi entre les poivriers, où l’herbe qui les produit s’enroule autour de leur tronc, et naît en touffes comme des herbes communes ; celle qui est de couleur bleuâtre a la saveur la plus forte.



Du commerce.


Dans ce pays ce sont les femmes qui ont le plus d’habileté pour le commerce ; c’est pourquoi ceux des Chinois qui y viennent, et qui commencent par prendre à leur service une femme, y trouvent de l’avantage, à raison de leur habileté dans le négoce.

Il y a marché tous les jours, depuis cinq ou six heures du matin jusqu’à midi, heure où le marché se ferme ; au lieu de boutique on couvre seulement avec des nattes un espace de terre ; chacun a sa place que l’officier public lui loue. Dans les petits marchés on fait des échanges de riz ou d’autres grains, ou de marchandises chinoises. Dans les marchés plus considérables, on vend des toiles, et, dans les grandes affaires, on traite des matières d’or et d’argent. Les gens de ce pays sont extrêmement simples ; quand ils voient un Chinois, ils lui témoignent un grand respect, ils l’honorent comme un Dieu, et se prosternent devant lui. Cependant il s’y trouve aussi bon nombre de fripons, qui profitent de la multitude de ceux qui viennent commercer, pour exercer leur métier.

Des marchandises chinoises qu’on souhaite acheter en ce pays.


Je crois que ce pays ne produit ni or ni argent ; car l’or et l’argent de la Chine sont la marchandise que les Cambogiens mettent au premier rang. Ce qu’ils estiment le plus ensuite, c’est l’étoffe tissue en soie torse, de différentes couleurs ; ils mettent après l’étain de Tchin-tcheou[45] les coffres vernis de Wen-tcheou, les vases de porcelaine bleue de Thsiouan-tcheou ; le vif-argent, le cinabre, du papier, du soufre, du salpêtre, du santal, du pe-tchi[46], du musc, de la toile de chanvre, de la toile de hoang-thsao, des parapluies, des marmites de fer, des vases de cuivre, du mou-tchu, de l’huile de l’arbre appelé thoung[47], des cribles, des peignes de bois, des aiguilles ; ils estiment aussi les nattes comme celles de Ming-tcheou ; néanmoins ce qu’ils souhaitent par-dessus tout, c’est du blé, mais il n’est pas permis d’y en porter.

Des herbes et arbres.


Il n’y a que le grenadier, la canne à sucre, le nymphæa et sa racine, l’igname[48], le pêcher, le figuier d’Inde et le kioung[49] qui soient comme ceux de la Chine, le li-tchi[50] et l’orange sont de la même forme, mais ils sont aigres. Le reste des végétaux de ce pays est inconnu à la Chine. Il y a un très-grand nombre d’espèces d’arbres particuliers, et un plus grand nombre encore de plantes, la plupart odorantes et belles à voir. Il y a aussi une infinité de fleurs qui croissent dans l’eau, et dont je ne sais pas les noms ; mais pour des pêchers, des poiriers, des amandiers, des alisiers, des pins, des crotons, des cyprès[51], des pruniers, des jujubiers, des cerisiers, des saules, des canneliers[52], le jonc appelé lan[53], le chrysanthemum, le jouï, et autres espèces semblables, il n’y en a point du tout. Dans le nombre des fleurs qui y croissent, on trouve des nymphæa en fleurs dès la première lune.

Des oiseaux.


Parmi les oiseaux, il y a le paon, les feï-thsouï, le perroquet qui ne se trouvent pas à la Chine ; les autres, comme l’épervier, le corbeau, le lousse[54], le cormoran, la cigogne, la grue, le canard sauvage et le hoang-tsio s’y trouvent pareillement ; ceux qui ne vivent pas dans ce pays sont la pie, l’oie sauvage, le faucon, le loriot, l’hirondelle tou-iu, le pigeon et d’autres espèces analogues.

Des quadrupèdes.


Au nombre des quadrupèdes on remarque le rhinocéros, l’éléphant, le bœuf sauvage et le cheval de montagnes, qui ne se trouvent pas à la Chine ; les autres, comme le léopard, la panthère, l’ours, l’ours à crinière, le sanglier, le grand cerf, le daim, le singe, le renard, sont en très-grande quantité ; ceux qui sont rares sont le lion, le sing-sing[55], le chameau. On ne parle pas du coq, du canard, du cheval, du bœuf, du cochon, du mouton. Les chevaux sont très-petits. Il y a beaucoup de petits bœufs ; les habitans les montent ; mais, quand ils meurent, ils n’osent se nourrir de leur chair, ni les écorcher ; ils les laissent pourrir, fondés sur ce que ces animaux consacrent leur force au service de l’homme ; mais ils les attèlent aux chars. Autrefois ils n’avoient pas d’oies domestiques ; il n’y a pas long-temps que des marins y en ont porté l’espèce de la Chine. Ils ont des rats gros comme des chats ; ils en ont une autre espèce dont la tête ressemble absolument à celle d’un petit chien qui vient de naître.

Des plantes potagères.


Parmi les plantes potagères, on distingue les oignons, la moutarde, le poireau, la berengène, le melon d’eau, le concombre, la citrouille, la blette ; il n’y a point de raves, de laitues, de chicorée, d’épinards ; les concombres et les berengènes viennent dès la première lune ; l’arbrisseau qui porte la berengène vit plusieurs années sans se flétrir[56]. L’arbre à coton s’élève plus haut que les maisons, et vit plus de dix ans sans être replanté. Il y a beaucoup de plantes potagères dont je ne connois pas les noms ; il y en a aussi un très-grand nombre qui croissent dans les eaux.

Des poissons et des reptiles.


Le poisson le plus commun est la carpe noire, dont il y a grande abondance. Il y a aussi beaucoup de carpes, de sardines, de thsao-iu ; les plus gros pèsent deux livres et davantage. Il y a en outre beaucoup de poissons dont je ne sais pas les noms ; ils vivent en abondance dans les endroits du fleuve où l’eau est basse. Quant au poisson de mer, il y en a de toute espèce, et en particulier des lamproies ; il y a aussi des anguilles de lacs et des grenouilles. Les gens du pays ne mangent pas ces dernières ; aussi, dès l’entrée de la nuit, elles couvrent les chemins dans toutes les directions. Les tortues et les crocodiles de la grosseur d’un ho-tchu[57] sont bons à manger, ainsi que la tortue de Lou-tsang ; les écrevisses du Tcha-nan pèsent une livre et davantage. La tortue de Tchin-fou a les pieds longs de huit à neuf pouces, au moins ; le crocodile est de la grandeur d’une barque ; il a quatre pieds, et ressemble tout-à-fait au dragon[58], excepté qu’il n’a pas de cornes ; il a le ventre très-mou. On peut pêcher des pétoncles, de petites huîtres, et des buccins, dans les endroits peu profonds des rivières ; seulement on ne voit pas de crabes ; je crois pourtant qu’il y en a, mais que les habitans du pays n’en mangent pas.

Des boissons fermentées.


Il y a quatre sortes de vins : le premier qu’on nomme en chinois vin de miel, est fait avec un ferment de miel et moitié d’eau ; le second étoit nommé par mon hôte pheng-ya-sse ; il est fait avec les feuilles d’un arbre qu’on nomme pheng-ya-sse ; le troisième est fait avec du riz, ou avec des restes de riz cuit ; on le nomme pao-leng-kio, car pao-ling-kio signifie riz ; le dernier est le vin de sucre cristallisé[59], qui est fait avec du sucre ; il y entre aussi de l’eau de rivière. Il y a encore le vin d’armoise, car la feuille d’une espèce d’armoise qui croît au bord des eaux fournit un suc qui est propre à fermenter.

Des assaisonnemens.


L’eau-de-vie n’est nullement défendue en ce pays. On en tire de Tchin-phou, de Pa-kian, et autres lieux sur le bord de la mer, où on la distille. On trouve dans les montagnes une pierre dont la saveur est plus forte que le sel ; on peut la polir et en faire des vases. Les habitans ne savent pas préparer le vinaigre ; quand ils veulent donner un goût acide à une sauce, ils se servent d’une feuille de l’arbre hian-phing ; si l’arbre a déjà poussé des gousses, ils s’en servent ainsi que des graines, quand l’arbre en porte. Ils ne font pas non plus de soya, parce qu’ils n’ont pas de dolichos ni de blé. Ils ne savent pas encore préparer le levain ; car, pour l’hydromel et le vin de feuilles d’arbres qu’ils font, ils n’emploient qu’une préparation vineuse qui ressemble au vin blanc de Khing-kian.

Des vers à soie.


Les gens de ce pays ne s’appliquent pas au soin des vers à soie ni à la culture des mûriers. Les femmes ne savent non plus ni coudre ni faire des habits ; à peine savent-elles tisser la toile de coton ; elles ne savent faire aucun des ouvrages de leur sexe, pas même filer ; elles fabriquent leur fil avec leurs mains ; car elles n’ont ni métier ni navette ; elles attachent, d’un bout, la toile à leurs reins, et elles l’accrochent de l’autre bout ; au lieu de navettes, elles se servent d’un tube de bambou. Il n’y a pas long-temps que des Siamois, étant venus s’établir dans ce pays, ont voulu s’occuper de nourrir des vers à soie et de planter des mûriers ; ils ont fait venir de Siam la race des uns et des autres. Ils n’ont pas non plus de chanvre ni de tchu ; ils n’ont que du lo-ma. Quand les Siamois veulent de la soie, ils la tissent eux-mêmes, et en font des habits de couleur noire. Les Siamoises qui ont à faire des ouvrages de couture ou des habits, emploient des gens du pays qu’elles louent pour fabriquer de la toile et raccommoder leurs habits.

Des meubles.


Ordinairement les gens du peuple n’ont, outre leurs maisons, ni tables, ni bancs, ni écuelles, ni terrines, ni rien de semblable ; seulement, pour accommoder leur riz, ils se servent d’un plat de terre ; pour préparer leur bouillon, ils ont de même un vase de terre cuite. Un trou dans la terre avec trois pierres forment leur foyer. La noix du cocotier leur sert de cuiller ; ils mangent leur riz dans des assiettes de terre de la Chine, ou dans des plats de cuivre. Pour mettre leur bouillon, ils font une petite écuelle avec des feuilles d’arbres ; et, quoiqu’elle soit remplie de jus, elle ne coule pas. Ils font aussi de petites cuillers avec la feuille de l’arbre kiao ; ils s’en servent pour porter le jus à leur bouche et la jettent quand ils ont fini. Ils s’en servent aussi dans leurs sacrifices à Bouddha ; ils ont pourtant des vases d’étain et de terre cuite, qu’ils tiennent remplis d’eau pour y tremper leurs mains. Pour manger, ils ne se servent que de leurs mains dont ils prennent leur riz ; sans cela, ils ne sauroient laisser couler l’eau. Pour boire leur vin, ils ont un gobelet d’étain, mais les pauvres ont un pot en terre cuite ; les gens riches ont un vase d’argent pour chaque personne, il y en a même qui en ont d’or. Dans les fêtes on fait usage d’un grand nombre d’ustensiles et de vases, ainsi que de mesures et d’instrumens en or. On étend à terre, pour se coucher, des nattes de Ming-tcheou, ou quelquefois des peaux de léopards, de cerfs et de daims, ainsi que des tissus d’herbes. On a adopté depuis peu l’usage d’une table courte et haute d’un pied ; pour dormir, on y étend une natte et on se couche sur la planche. Il y a aussi quelques personnes qui ont des lits courts. Ce sont les Chinois qui vont et viennent qui ont introduit ces usages. À leur repas, ils se servent d’une nappe de toile ; chez le roi, elle est faite de gaze brodée en or. Ces objets leur sont fournis par les marins et les marchands. Ils ne font pas moudre leurs grains ; ils se servent seulement d’un pilon et d’un mortier, ou simplement d’une pierre.

Des chars et des chaises-à-porteur.


Les chaises-à-porteur sont faites d’une pièce de bois courbée dont les deux extrémités se relèvent, et sont embellies par des ornemens d’or et d’argent ; c’est ce qui distingue les chaises d’or et d’argent (dont il a été parlé plus haut). À chaque extrémité, à la distance d’un pied, est un crochet où l’on attache un morceau de toile. Pour traîner la chaise, on se sert d’une corde placée aux deux extrémités de la pièce de bois, dans les deux crochets, et la toile est ainsi tirée par deux hommes. Il y a aussi des chaises formées d’une petite nacelle tissue d’osier, et garnie d’étoffes de différentes couleurs ; quatre hommes la portent, et il y en a qui suivent par derrière, pour les relayer, suivant la longueur du chemin. Il y a aussi des gens qui vont sur des éléphans, ou qui montent à cheval ; il y en a même qui se servent de chars faits exactement comme ceux des autres pays. Les chevaux n’ont pas de selle, ni les éléphans de banc sur lequel on puisse s’asseoir.

Des vaisseaux.


Les grandes barques sont faites de planches d’un bois dur ; ceux qui les construisent n’ont pas de scie, ils ne se servent que de la hache. On perd beaucoup de bois et de peine pour fabriquer une planche ; quand on veut faire une pièce de bois, on rabote l’arbre. Les maisons sont construites de la même manière. Pour les barques on emploie des clous de fer, et on fait les voiles avec les feuilles de la plante kiao, soutenues par des morceaux de bois de palmier ; ces barques se nomment sin-nou ; elles ont de longues rames ; le goudron dont on les enduit est de l’huile de poisson mêlée avec de la chaux. Les petites barques sont faites avec un grand arbre creusé au moyen du feu, et soutenu par une traverse en bois ; le ventre est large, et les deux extrémités vont en pointe ; elles n’ont pas de voiles ; elles peuvent contenir plusieurs hommes ; on les fait aller à rames, et on les nomme phi-lan.

Des provinces du pays.


Il y a dans le pays quatre-vingt-dix provinces ou districts, tels que Tchin-phou, Tcha-nan, Pa-kian, Mou-liang, Pa-sieï, Phou-maï, Tchi-kouen, Mou-tsin-po, Laï-kan-keng, Pa-sse-li[60]. Je n’ai pu savoir le nom des autres. Il y a dans chaque district un officier pour le commander. Les villes sont entourées de palissades de bois, plantées régulièrement.

Des villages.


Dans chaque village, il y a un temple ou une tour ; et, quelque peu peuplé qu’il soit, il y a des gens pour les garder. Le nom du chef du village est maï-tsiei. Il y a sur les grands chemins des stations pour ceux qui veulent se reposer, comme nos relais de poste ; on les nomme sen-mou. La guerre que les habitans ont eue à soutenir nouvellement contre les Siamois, a rendu ce pays très-peu peuplé.

De la récolte du fiel.


Autrefois, à la huitième lune, on faisoit la récolte du fiel. Le roi de Cochinchine exigeait chaque année une urne de fiel humain[61] ; il lui en falloit le fiel d’un grand nombre d’hommes ; il envoyoit, pendant la nuit, de tous côtés, des hommes qui se rendoient dans les villes et dans les villages, et qui, quand ils rencontroient des gens marchant de nuit, leur passoient une corde au col, et, à l’aide d’un couteau dont ils étoient munis, leur ouvroient le flanc droit, au-dessous des côtes, et leur enlevoient la vésicule du fiel ; ils continuoient ainsi jusqu’à ce qu’ils en eussent assez pour la provision du roi de la Cochinchine ; il n’y avoit que les Chinois dont ils ne prenoient pas le fiel, parce qu’une année qu’on avait pris par mégarde le fiel d’un Chinois, et qu’on l’avoit mêlé avec ceux qui étoient déjà dans l’urne, le tout pris une mauvaise odeur et se gâta de manière à ne pouvoir servir. Cet usage de la récolte du fiel a cessé depuis quelques années ; il n’en reste de trace que dans la charge de collecteur de fiel, officier qui se tient en dedans de la porte septentrionale.

D’un prodige.


Au-dedans de la porte orientale, il y eut un habitant du pays qui séduisit sa sœur cadette ; la chair et la peau des deux coupables s’unirent si bien qu’elles ne purent se détacher ; et, après avoir été trois jours sans manger, ils moururent tous deux. J’ai vu un homme de la famille Sieï, qui avoit demeuré trente-cinq ans dans ce pays ; il m’a assuré avoir été deux fois témoin d’un fait semblable, et que ce prodige étoit chez eux l’effet de leur application à la sainte doctrine de Bouddha.

Des bains.


La chaleur de ce pays étant toujours brûlante et sans interruption, on ne peut passer un jour sans se baigner une ou deux fois ; il n’y avoit d’abord ni maison de bains, ni baignoires, ni rien de semblable. Chaque famille a seulement une mare, ou du moins deux ou trois familles se réunissent pour en avoir une ; ils y entrent nus, sans distinction de sexe ; seulement, quand le père la mère ou les personnes d’un âge respectable se baignent, les enfans ou les jeunes gens n’osent entrer dans la mare ; ou, si les jeunes gens se trouvent avant dans le bain, les personnes âgées s’en retournent. Ces troupes de baigneurs, méconnaissant les lois de la décence, se bornent, en entrant dans l’eau, à cacher de leur main gauche ce que la pudeur défend de laisser voir. Tous les trois ou quatre jours, ou tous les cinq ou six jours, les femmes de la ville vont trois à trois, ou cinq à cinq, se baigner ensemble dans le fleuve hors de la ville ; en arrivant au bord, elles se dépouillent de la toile qui les couvre, et entrent dans l’eau pêle-mêle, et y nagent quelquefois au nombre de mille ; quoiqu’il y ait des femmes de la première condition, elles n’attachent à cela aucune honte ; on les voit nues de la tête aux pieds. Dans le grand fleuve, il ne se passe pas de jours qu’on n’en voie ainsi quelques-unes. Les Chinois prennent plaisir à aller, les jours de fête, voir leurs jeux dans l’eau. J’ai entendu dire qu’il arrivait souvent à ces bains des aventures galantes. L’eau est toujours douce comme de l’eau chaude, excepté à la cinquième veille, qu’elle se rafraîchit un peu ; mais, au lever du soleil, elle s’échauffe de nouveau.

De l’émigration.


Ceux des Chinois qui entendent la navigation gagnent beaucoup dans ce royaume ; ils n’ont pas besoin de vêtemens, ils gagnent facilement de quoi se nourrir ; ils se marient, bâtissent une maison, se procurent aisément les meubles nécessaires, et font du commerce ; aussi beaucoup de déserteurs se réfugient-ils en ce pays.

De la cavalerie.


Les cavaliers vont le corps et les pieds nus ; ils tiennent de la main droite une lance, et de la main gauche un bouclier ; du reste, ils ne connoissent pas l’usage des arcs, des flèches, des pierriers, des cuirasses, des casques, etc. J’ai ouï dire que quand ils font la guerre aux Siamois, ils forcent le peuple à s’armer ; du reste, ils n’entendent rien aux préparatifs ni aux combinaisons de la guerre.

Du cortége du roi dans les promenades.


J’ai appris que le prédécesseur du roi régnant étant mort, on prit les précautions pour empêcher les malheurs qui auroient pu arriver. Le nouveau roi étoit le gendre de son prédécesseur ; il avoit fait son occupation des armes. Le père de la princesse aimoit tendrement sa fille ; celle-ci déroba secrètement l’épée d’or, et se rendit près de son mari ; le propre fils du roi, qui se trouvoit frustré de la succession, voulut lever des troupes ; mais le nouveau roi, en ayant été prévenu, lui fit couper les doigts des pieds, et le tint en sûreté dans une prison obscure, où il le fit ensuite mourir. Alors, ne craignant plus rien de ses parens, il commença à sortir de son palais. Dans l’espace d’une année que j’ai été retenu dans ce pays, j’ai vu le roi sortir quatre ou cinq fois : la cavalerie marchoit en avant, avec les drapeaux, les bannières, les tambours, la musique ; derrière étoient les femmes du palais au nombre de trois à cinq cents, vêtues de toile peinte, avec des fleurs dans leurs cheveux, tenant à la main de grands cierges, et marchant en bataillon. Quoique ce fût en plein jour, les cierges étoient allumés ; il y avoit aussi des femmes qui portoient des vases d’or et d’argent du palais, divers ornemens, et d’autres choses dont l’usage ne m’étoit pas connu. Il y avoit aussi des femmes armées de lances et de boucliers, et qui forment la garde intérieure du palais, aussi rangées en bataillon. Il y avoit ensuite des chars traînés par des chèvres ; d’autres traînés par des chevaux, les uns et les autres enrichis d’ornemens d’or. Les grands officiers, les magistrats, les princes, tous montés sur des éléphans avec des parasols rouges qu’on apercevoit de loin, et dont on n’eût pu compter le nombre, précédoient la reine et les femmes du roi, avec leurs suivantes, les unes dans des palanquins, les autres sur des chars, ou sur des chevaux, ou sur des éléphans, ayant des parasols dorés, au nombre de plus de cent ; après elles venoit le roi lui-même, debout sur un éléphant, tenant à la main une épée précieuse ; les défenses de l’éléphant étoient dorées ; et l’on tenoit autour de lui vingt parasols blancs enrichis de dorures, dont les manches étoient d’or ; tout autour étoient des troupes nombreuses d’éléphans, et de la cavalerie pour servir de gardes. Quand le prince ne va pas très-loin, il se sert seulement d’une chaise dorée, portée par les femmes du palais. Ordinairement, dans ses courses, on porte devant lui de petites tours d’or et des figures de Fo du même métal ; ceux qui voient passer son cortége doivent se mettre à genoux et frapper la terre du front ; on nomme cette cérémonie san-pa, ceux qui ne s’en acquitteroient pas seroient infailliblement arrêtés par les esclaves de la présence.

Le roi tient son conseil deux fois par jour ; il n’y a pas d’ordre déterminé pour l’expédition des affaires. Les grands et ceux d’entre le peuple qui souhaitent de voir le prince sont assis dans une salle où ils s’asseyent par terre en l’attendant ; quelque tems après on entend dans l’intérieur du palais de la musique et des voix ; ceux qui sont hors de la salle, sonnent de la conque pour annoncer l’arrivée du roi. J’ai appris qu’il ne se sert, pour venir au conseil, que d’un char doré. Bientôt deux femmes paroissent et relèvent les rideaux ; alors le roi se montre à la fenêtre dorée, armé d’une épée ; les grands et les autres assistans joignent leurs mains et frappent la terre du front ; le bruit des conques cesse ; alors ils se relèvent, et, dès que le prince est assis, ils s’assèyent pareillement sur des peaux de lion qui sont une grande rareté dans le pays. Quand le conseil est fini, le roi se retourne, les deux femmes laissent tomber les rideaux, chacun se lève et s’en va. Ainsi, quelque barbares que soient ces habitans du midi, leur barbarie ne va pas jusqu’à ignorer ce que c’est qu’un roi.




Suivant l’encyclopédie, on peut, de Kouang-tcheou, aller par mer au royaume de Tchin-la, en dix jours, si l’on est poussé par le vent du nord. Le climat de ce pays n’est jamais froid. Dans les mariages, c’est l’époux qui va demeurer dans la maison de sa femme. Quand une fille a atteint sa neuvième année, on invite un prêtre à venir réciter les prières et pratiquer les cérémonies prescrites par la loi des Hindous[62]. Le lendemain, la fille se marie, et l’on fait de grandes réjouissances. Les filles se marient toutes dès qu’elles ont atteint dix ans. On coupe les pieds et les mains aux voleurs, on leur imprime une marque sur la poitrine, sur les épaules ou sur le visage. Les criminels condamnés à mort sont décapités. Si un homme du pays tue un Chinois, on suit la loi du royaume, c’est-à-dire que le coupable est mis à mort ; si un Chinois tue un homme du pays, on exige une grosse amende ; et, si le coupable n’a pas de quoi la payer, on le vend pour racheter son crime. Ce pays touche, au nord, à la Cochinchine ; de l’autre côté, à l’ouest, il est borné par le royaume de Pheng occidental et par les autres états voisins.

  1. Sur la côte de Tche-kiang.
  2. S. ¼ S. O.
  3. Cochinchine.
  4. S. O.
  5. Apparemment par le flux ; il y a en chinois chun-chout, obsecundante aqua.
  6. Même expression dans le texte chinois.
  7. Ce nom ressemble beaucoup à celui de Cupangsoap, dans la relation d’Hamilton (Collection de Pinkerton, Tom. VIII, p. 477). Mais comment concilier la relation chinoise qui place Kan-pang-thsiu dans les terres, avec le récit du voyageur anglois qui fait de Cupangsoap un port de mer comme Pontiamas ?
  8. J’ajouterai à ces positions celles que d’autres articles tirés de Pian-i-tian indiquent par rapport au Tchin-la. Seng-kao est au nord-ouest de Tchin-la-d’eau. Il fut soumis par ceux de Tchin-la, ainsi que les pays de Wou-ling, de Kia-tsa, de Kieou-mi, de Hoan-wang, de Fou-na, vers 655. Tou-ho-lo est à l’ouest de Tchin-la. — Theou-ho au midi — Ko-lo-che-fen et Ho-lo-sieou-lo-fen, au sud-ouest — Piao, Tchu-po, ou, dans la langue même du pays, Tho-lo-tchu-tche-po, à l’ouest de Tchin-la, et à l’orient de l’Indoustan. San-fo-thsi (la côte orientale de la presqu’île Malaise), entre Tchin-la et Java. Il y a, dans les livres 89 à 108 du Pian-i-tian, des notices très-curieuses et quelquefois très-étendues sur tous ces pays et sur un très-grand nombre d’autres.
  9. Kheou, littéralement, chiens. Voyez plus bas le chapitre qui traite des esclaves.
  10. Sur tous ces monumens d’or, c’est-à-dire dorés ou recouverts de plaques d’or, et quelquefois d’argent et de cuivre, que les Bouddhistes ont élevés dans différentes parties de l’Inde orientale, on peut voir la relation du Tonquin de P. Marini, celle du voyage du major Symes à Ava, etc. La prodigieuse consommation d’or et d’argent qui a lieu dans ces contrées a attiré l’attention de quelques écrivains économistes, qui ont pensé qu’elle pouvoit compter pour quelque chose dans les questions relatives à la balance et à l’écoulement des métaux précieux, dans les différentes parties de l’ancien continent. La dorure de tant de monumens, de statues et d’ornemens doit en effet coûter des sommes énormes, et exiger, chez des peuples où les procédés des arts sont encore peu avancés, une quantité d’or très-considérable ; c’est de quoi l’on peut juger par comparaison : la dorure du dôme de l’hôtel des invalides, à Paris, a coûté 94,059 fr. ; la lanterne seule avec la flèche a été dorée à plein, comme les monumens de l’Inde ; elle a coûté 18,540. Le pied superficiel est évalué à 3 fr. 56 c., et le dôme sans la flèche en contient 21,210. La main d’œuvre est moins chère aux Indes ; mais aussi l’art de battre l’or en feuille d’une extrême ténuité n’y est pas très-perfectionné, et on doit en perdre beaucoup dans la dorure. Qu’on juge donc de ce qu’il en peut coûter pour recouvrir d’or des statues colossales, des ponts, et des tours d’une grande élévation, comme on en voit dans diverses parties de l’Inde orientale.
  11. Ut ipsi misceretur.
  12. Dans cette phrase, le mot kin, livre, semble corrompu. Comme il s’agit de pays étrangers, on n’a pas de moyen de rectifier cette faute, et l’on suit textuellement l’original. Note de l’éditeur chinois.
  13. Voyez le chapitre suivant.
  14. Ting, front, dans le texte, est peut-être une faute pour hiang, le cou qu’on lit plus bas ; les deux caractères se ressemblent beaucoup, et il est difficile de savoir précisément où est la faute.
  15. Voyez la note précédente. — Amiot a fait sur ce passage un contre-sens palpable : il dit (Mém. Chin., tom. XIV, p. 119) que le cordon blanc des Pan-ki sert à rappeler sans cesse dans l’esprit des magistrats supérieurs que celui qui le porte n’est pas encore placé. On a vanté la sagesse de cet usage, qui rendoit les titres et les besoins d’un homme de mérite toujours présens aux yeux des dépositaires du pouvoir. Cette idée ingénieuse ne repose, comme on voit, que sur un malentendu.
  16. Nan-pheng peut être un des noms de la ville capitale, qui est située au midi par rapport au palais du roi. Nan-pheng signifieroit campement méridional, mais on verra plus bas que la partie occidentale de Camboge, du côté de Siam, est nommée Si-pheng, le campement occidental. Ainsi Nan-pheng pourroit être un des noms du Tchin-la d’eau, ou de la partie australe de Camboge, c’est-à-dire des provinces de Pa-sse-li et de Mou-tsin-po ; il seroit alors remarquable qu’on trouvât des femmes blanches dans le nombre des habitans d’une région comprise entre les 9e. et 10e. parallèles.
  17. Eamque vulvæ applicant.
  18. Il y auroit une autre manière d’entendre cette phrase, par laquelle on justifieroit mieux la proposition qui la précède. Le sens que nous avons préféré est le moins immoral, mais ce n’est pas une raison pour que ce soit le véritable.
  19. Strati dispositio.
  20. Audivi illum cum virgine simul in proxinum cubiculum ingredi, ibique eam, manu adhibita, constuprare. Manum deinde in vinum immittit, quo, si quibusdam credideris, pater, mater, proximi tandem atque vicini, frontem signant ; si aliis, vinum ore ipsi degustant. Sunt et qui sacerdotem puellae, plene coitu misceri asserunt, alii contra contendunt.
  21. L’auteur chinois se sert ici lui-même des expressions de phin et de meou, qui désignent les mâles et les femelles des quadrupèdes.
  22. Ce n’est pas ce que dit le P. Alexandre de Rhodes, dans la préface de son Dictionarium Annamiticum ; il assure, au contraire, que la langue annamitique est entendue non seulement dans les deux royaumes de Tonquin et de Cochinchine, mais dans celui de Kao-bang, et dans les autres pays voisins, tels que Ciampa, Camboge, Lao et Siam.
  23. Ajoutez à ces mots ceux qui sont épars dans le reste de la relation. An-ting ou Pa-ting, magistrat. — Pa-cha, autre titre de charge. — Sse-la-ti, id. — Panki, lettré. — Tchou-kou, religieux. — Pa-sse, Tao-sse. — Phou-laï, Bouddha. — Tchin-kia-lan, dames du palais. — Kia-té, la première lune. — Yaï-lan, sorte de danse. — Pou-se, cheval. — Louan, coq. — Tchi-lou, porc. — Ko (sanscrit, gau), bœuf. — Pheng-ya-sse, nom d’un arbre et d’une boisson fermentée. — Pao-leng-kio, riz. — Sin-nou, barque. — Phi-lan, canot. — Mai-tsïei, chef d’un village. — Sen-mou, relais. — San-pa, salut qu’on doit au prince du pays.
  24. Il est évident que ce paragraphe est déplacé, et qu’on l’a mis par erreur en cet endroit. Il pourroit bien en être de même de la phrase précédente ; mais je traduis littéralement.
  25. C’est-à-dire aux lettres des Ouigours, usitées chez les Tartares du nord.
  26. Amiot a encore très-mal entendu ce passage. Voyez les Mém. chin., tom. XIV, p. 114.
  27. Les mois de juin et de juillet.
  28. Depuis mai jusqu’en octobre.
  29. Un tchang vaut 3,05 m. ; 8 tchang valent donc environ 24,40 m.
  30. Comparez la lettre du P. Emmanuel Carvali, dans les Epistolæ recentiores de rebus japonicis, etc., p. 792, et les Relatione delle Missioni, p. 95.
  31. Depuis novembre jusqu’en avril.
  32. Le tchhi est de 0,305 m. ; cinq tchhi font donc 1,525 m.
  33. C’est-à-dire avec des excrémens humains.
  34. Comparez les voyageurs arabes de l’abbé Renaudot, anciennes Relations, etc., p. 17 et 44.
  35. Id. p. 96.
  36. Voyez les Relatione delle Missioni de’ Vesoovi, etc., part. 3, p. 95.
  37. Sorte de parfum qui naît dans toutes les montagnes des mers du midi, selon le Catalogue des parfums de Houng-thsou. Voyez la note plus bas.
  38. Voyez la note plus bas.
  39. Dans le texte, l’huile de ta-foung-tseu : c’est un grand arbre qui croît dans les contrées méridionales ; les fruits ressemblent au coco, ils sont arrondis, et, au milieu, il y a plusieurs dizaines de noyaux de la grosseur d’une truffe, remplis d’une amande blanche qui jaunit en vieillissant ; l’huile qu’on en tire est employée en médecine. Voilà ce qu’on lit sur le ta-foung-tseu dans le traité des parfums, de l’Encyclopédie japonaise.
    Depuis que j’ai rédigé cette traduction, j’ai eu l’occasion de voir en nature les fruits du ta-foung-tseu : ils ont beaucoup de ressemblance avec ceux de ce palmier originaire de Guinée, qu’Aublet a décrit sous le nom d'Avoira, (Hist. des Pl. de la Guiane, Suppl., p. 97), et dont on tire l’huile de palmier, et le Thio-thio ou beurre de Galaham.
  40. On les nomme thsouï et feï, en mantchou oulgiyan-tchetsike, et khaïloun-tchetsike. On fait des ornemens avec leurs plumes ; le premier est aussi petit qu’une hirondelle ; il a le plumage d’un bleu noirâtre, et les ailes d’un beau bleu, avec des taches de diverses couleurs ; il vole au-dessus des eaux pour attraper le poisson. Le feï est de la grosseur d’une tourterelle ; son plumage est violet et rougeâtre ; ses ailes sont tachetées de bleu clair ; il n’a pas de couleurs vives.
  41. Mel et ceram montes suppeditant. J. Koffler, Hist. Cochinch. Descript., p. 30.
  42. Kiang-tchin est le nom qu’on donne au santal rouge ; on le désigne encore par la dénomination de ki-kou-hiang, parfum en os de poule, et cette dénomination s’applique aussi au bois d’aloës, en chinois tchin-yang, en langue fan ou samskrite a-kia-lou (aloexylum agallochum, Loureir. Flor. Cochinch. Ed. Wilden. p. 327.) Je serois assez porté à croire qu’il y a eu ici quelque confusion, et que l’auteur chinois a voulu parler du Calamba ou Calambouc, sorte de bois d’aigle qui est une des productions les plus remarquables de Camboge, et qui, pour cette raison, ne doit pas avoir été passé sous silence dans la description des raretés de ce pays. Voyez le P. Borri, Relat. de la Cochinchine p. 28. — Marini p. 46. — Voyage du P. Alex. de Rhodes, p. 63. — Koffleri, Hist. Cochinch., Append., p. 115, etc.
  43. Cambogia guttifera, ou garcinia cambogia. La description qu’on fait ici ne convient pas à la terra merita qu’on appelle aussi jaune de gingembre ; mais le nom le plus ordinaire de la gomme gutte est theng-hoang, ou hoang-kiang. Ce qui me décide à voir ici la gomme gutte, c’est qu’il est impossible qu’on ait oublié d’en parler en décrivant les productions du Camboge. D’ailleurs, il s’agit ici d’une gomme qui coule d’un arbre par incision, et cela, je crois, lève toute difficulté.
  44. C’est le mot chinois qui a été mal lu, tsée-pien, par le missionnaire qui a traduit les Observations de physique de l’empereur Kang-hi. (Mém. chin., tom. 4,. p. 478.) L’ouvrage même que nous traduisons est cité par Khang-hi à propos de la cochenille apportée d’Amérique par les Européens. Voici le passage entier dans lequel on trouve des détails qui manquent dans notre original : « Il est dit, dans le Fong-tou-ki du royaume de Tchin-la, que l’insecte tsée-pien vient et croît sur un arbre qui s’élève à la hauteur de dix pieds, dont les branches sont fort déliées, les rameaux très-multipliés, et les feuilles un peu approchantes de celles du mûrier. Les gens du pays le ramassent précieusement, et s’en servent pour teindre leurs étoffes de soie. Il est très-difficile d’en avoir. » Et plus haut : « Je trouve dans le kia-tching-chée que le tsée-y se tiroit du royaume de Tchin-la, et se nommoit te-kin ; il fait dire à un homme du pays : de petits insectes montant de la terre sur des arbres, s’y logent, s’y multiplient : c’est avec ces insectes qu’on fait le te-kin. » L’empereur conclut en disant : « Tous ces détails sont faciles à rapprocher de ce qu’on dit de la ko-tcha-ni-la (cochenille) qui donne un rouge si supérieur au nôtre. Il me paroît hors de doute que le tsée-y dont se servoient les peintres, il y a tant de siècles, étoit une espèce de ko-tcha-ni-la. »
  45. Sur les côtes du Fou-kian.
  46. C’est une plante de la famille des ombellifères, très-analogue au petroselinum macedonicum.
  47. Bignonia tomentosa. On se sert de l’huile ou de la résine de cet arbre pour vernir les poutres, les tables, etc.
  48. Ou l’arum esculentum.
  49. C’est une espèce d’ombellifère.
  50. Dimnocarpus li-tchi.
  51. Cupressus Japonica.
  52. Laurus cinnamomum.
  53. Limodorum striatum.
  54. C’est une espèce de cormoran différente de la suivante.
  55. Le sing-sing est représenté, dans quelques descriptions, comme un animal fabuleux, qui a une tête de chien et un corps d’homme, qui parle, etc. ; mais il y a tout lieu de croire qu’on a désigné par ce nom l’orang-outang ou le jocko.
  56. Les mêmes espèces de plantes potagères sont indiquées par Koffler. Voyez l’abrégé de sa Description de la Cochinchine, fait par Eckart et publié par de Murr, p. 30.
  57. Le ho-tchu doit être une sorte de mesure, dont la valeur ne m’est point connue.
  58. Loung, le dragon, animal fabuleux.
  59. Thang kian tsieou.
  60. Tous ces noms sont ici orthographiés à la chinoise, et doivent beaucoup différer dans la prononciation du pays. Il n’est pas très-aisé d’en faire une application exacte. On devra comparer les divisions des provinces méridionales de la Cochinch. dans l’ouvrage de Koffler, p. 25, dans le voyage de M. Barrow, dans les Observations de M. P. (Poivre), insérées à la fin du tom. 3 du Choix de lectures de M. Mentelle, et surtout dans le tom. 6 (malheureusement inédit) de la Nouvelle Géographie de Pinkerton, entièrement refondue et considérablement améliorée par M. Walckenaer.
  61. Sur cet usage abominable, qui paroît tenir à des idées de magie, on peut voir la Relation du royaume de Lao, par le P. Marini, p. 349 de la traduction françoise.
  62. Deinde virginitatem aufert digito, quo et frontem subindè rubra macula notat ; maculam accipit et mater puellæ. Hoc est quod vacant Li-chi.