Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 72-77).

CHAPITRE XJ.
Des mouvances, redevances, etc.

Il y a, peut-être, autant de sortes de mouvances et de redevances dans le Merryland que dans quelqu’autre pays du monde, et il seroit aussi difficile qu’inutile de les distinguer ou nombrer ici. Les terreins qu’on occupe sont sujets, les uns à la taille spéciale, d’autres à la génerale. Les uns sont fiefs de Haubert ou tenus noblement ; les autres fiefs roturiers : on en prend quelques-uns à ferme seulement pour le temps qu’on s’y plaît. D’autres sont tenus par un bail à vie. Ces derniers sont les plus communs, et quoique ce soit une façon gênante, c’est cependant celle que la loi autorise le plus.

La manière dont on prend un terrein à bail perpétuel, et les circonstances qui accompagnent cette action, sont assez singulières pour que nous en fassions un objet de remarque. Quand un homme a résolu de prendre une ferme, il demande d’abord l’agrément du propriétaire et de tous ceux qui pourroient y avoir quelques droits. Toutes choses convenues, on publie à haute voix, dans une nombreuse assemblée, le nom, les qualités de l’acquéreur, et ce qui peut désigner particulièrement la ferme qu’il veut occuper, afin que les oppositions au marché, s’il doit y en avoir, aient le temps de se former. Les principales qui puissent se rencontrer, sont par exemple, si la ferme avoit été louée auparavant à quelqu’un qui vivroit encore, ou si le futur fermier avoit déjà quelqu’autre ferme sur les bras, car on ne doit pas en avoir plusieurs à la fois ou s’il étoit incapable de gérer son bien et dans l’impuissance d’exploiter la ferme proposée.

Si après un délai convenable, il ne se découvre aucune opposition valide, le bail se passe ainsi. Les gens qui ont coutume de remplir ces fonctions, après avoir lu une courte exposition des titres et qualités du fermier, lui demandent d’avouer, en vérité, s’il ne connoît pas lui-même quelque empêchement légal, et s’il veut réellement prendre une ferme, s’il consent à la garder bonne ou mauvaise toute sa vie, renonçant d’avance aux bénéfices qu’il pourroit faire sur d’autres qui seroient à sa bienséance. L’homme ayant répondu d’une manière satisfaisante à tous ces différens articles, alors la personne préposée bénit l’entreprise, prie pour qu’elle ait un heureux succès, et disant une chanson, elle expose le bonheur à venir du fermier et les fruits de la fécondité de la terre. La cérémonie achevée, l’homme prend possession de sa ferme, la parcourt rapidement, et s’arrêtant pour l’ordinaire au milieu, il travaille jusqu’à ce que le sommeil le surprenne, et dans quelque saison que ce soit, il continue son labeur avec tant d’ardeur pendant quelques jours, qu’enfin il est obligé de se donner relâche.

Ces fermes à bail éternel ont été la ruine de bien des fermiers. Beaucoup de gens inconsidérés prennent de tels engagemens sans penser aux suites, et sans avoir acquis une connoissance suffisante de la ferme dont ils veulent se charger ; de sorte qu’ils trouvent souvent une terre ingrate qui leur donne bien sujet de se répentir de leur marché ; mais ce malheur est sans remède, et ne peut recevoir que de vains palliatifs : ces inconvéniens ont détourné bien du monde de prendre de ces baux à perpétuité : d’autres se croyant grévés dans leur indissoluble marché, deviennent de mauvaise humeur, négligent le labour de leur terre, et même abandonnent entièrement le soin de la ferme, et vont en occuper une autre, mais clandestinement.

Ceux qui ne se sentent pas le courage de prendre des fermes aux conditions ci-dessus, en louent sans terme fixe, à tant tenu, tant payé, et les quittent librement quand ils en sont ennuyés. Ces biens-là sont rarement sans maître, sur-tout si l’exposition en est agréable, l’air serein, le sol ferme, la maison bien ornée, jolie quoique petite, et les alentours rians.

On trouve dans cet empire beaucoup de grands cantons qui sont communs, où une multitude de laboureurs travaillent et donnent en passant quelques coups de bêche, mais ils sont si mauvais qu’ils ne rapportent que des fruits pernicieux : n’en parlons pas davantage, et gémissons seulement qu’il puisse exister des gens assez fous pour les rechercher de préférence.

Un autre inconvénient des fermes du Merryland, c’est l’impossibilité de les enclore si bien qu’on en défende l’entrée à des voisins alertes, qui veillent toujours pour saisir le premier moment favorable à une invasion. Il est assez surprenant que dans un pays où l’on rencontre beaucoup de communes et à bon marché, on soit si curieux de pénétrer dans l’enclos de son voisin qui nous est défendu, au risque d’être puni sévèrement, si l’on étoit pris sur le fait, car la loi y est formelle.