Traduction par Anonyme.
chez les veuves sulamites, aux petits appartements de Salomon (A. Boutentativos). (p. 77-83).

CHAPITRE XII.


Du port des bayes, criques, bancs, rochers et autres endroits dangereux, avec une note des marées et divers courans ; enfin des guides pour que les marins étrangers puissent se conduire sûrement en voulant mouiller au Merryland.


Ce ne seroit plus vouloir finir que de nommer toutes les bayes, ou de marquer tous les rochers qui se trouvent avant d’entrer au port du Merryland ; mais je donnerai seulement au lecteur les meilleures instructions possibles, pour le piloter dans cette charmante contrée, en lui décrivant avec exactitude les deux chemins qu’on tient le plus souvent pour y arriver, laissant néanmoins à chacun la liberté de choisir celui qui lui plaira davantage.

Ceux qui prennent le chemin haut, rencontrent d’abord le continent ; il le dépassent promptement, et saluent le fort ; quelquefois ils y paient un droit, d’autres vont plus avant, sans rien donner ; ensuite, si le vent est favorable, ils gouvernent le long du rivage où règne ordinairement bonne brise, et s’il ne s’élève point de tempête, ils entrent avec la marée, et mouillent hardiment au port ; mais si le temps est orageux et la marée contraire, il vaut mieux mettre en travers, jusqu’au calme et apparence de bon vent. Il ne faut cependant pas être découragé par les petites bourasques qui s’élèvent de temps en temps, car quelques violentes qu’elles vous paroissent, elles cessent bientôt après, sans avoir causé de dommages, et même en est-il quelques-unes qui vous font arriver plus vite, et vous facilitent l’entrée.

Lorsqu’on prend la route d’en-bas, il faut gouverner bien droit, le rivage étant resserré à bas-bord ; mais le courant vous porte directement dans le port. Quelque route que l’on choisisse, il faut être pourvu d’une excellente fléche : j’ai connu des gens qui n’ont pu achever leur voyage, et, sur le point de surgir au port, se sont trouvés contraints d’y renoncer, par le défaut de leur instrument qui se trouvoit hors d’état de servir, précisément dans l’occasion décisive.

Il faut aussi faire de fréquentes observations, et ne point craindre sa peine, pour sonder souvent, ainsi que dit M. Collin dans son pilote-côtier : » Il faut principalement prendre garde aux marées qui souvent vous nuisent, et avoir l’art d’en profiter ; car, lorsque vous avez la voile serrée sur le vent, et que la marée contraire vient à vous prendre, vous tombez alors trop au-dessous du vent ». Le même auteur observe ailleurs que la marée vous fait entrer promptement, quand il y a calme et peu de vent : quoiqu’en général, au Merryland, les marées vous soient favorables, et vous poussent au port, notez qu’il y a un temps, une fois par mois, où elles deviennent rouges pendant plusieurs jours, et alors on n’entre pas ; il se trouve cependant des gens peu scrupuleux, qui viennent mouiller au port, quand elles sont les plus hautes.

Au lieu de prendre l’un ou l’autre de ces deux chemins, certaines personnes en cherchent quelquefois d’autres détournés. Je ne les condamne, ni ne les approuve : je pense seulement que c’est plutôt pour varier, que parce que ces sentiers soient réellement plus commodes.

Des pilotes expérimentés nous ont enseigné beaucoup de voies differentes, pour parvenir heureusement au Merryland ; entr’autres, l’ingénieux marin, M. Nitéra[1], a publié plusieurs descriptions géographiques, avec gravures, relatives à ce sujet intéressant ; j’y renvoie le lecteur, plutôt que d’allonger ce chapitre. D’ailleurs, je ne crois pas bien nécessaire de donner tant d’instructions, la route étant si aisée, qu’un aveugle la trouveroit, pourvu qu’il y eut déjà passé une ou deux fois ; et s’il venoit à s’égarer, il auroit au besoin dix guides au lieu d’un, qui le remettroient en son chemin, car il y en a toujours là de prêts à obliger les étrangers, ainsi qu’il m’est arrivé à moi-même dans ma première jeunesse, lorsque je n’étois pas encore bien expert. Quand nos marins approchent des côtes, ils diminuent de voiles la nuit, de peur d’échouer sur le rivage et attendent le jour pour mouiller, précaution prudente qu’on ne sauroit blamer ; mais lorsqu’on voyage au Merryland, c’est toute autre chose ; l’on n’a point à redouter l’obscurité, au contraire elle vous favorise, et vous arrivez au port souvent plus sûrement qu’en plein jour.

Finissons par un dernier avis bien essentiel. Prenez sur-tout garde de mouiller dans un mauvais ancrage : il y en a beaucoup de si dangereux, qu’ils ont bientôt gâté le meilleur cable. Ceux d’une couleur jaunâtre, ou grise, ne sont pas selon moi, bien à rechercher ; les bruns méritent la préférence ; mais comme la plupart des navigateurs n’ont pas le choix libre, il faut qu’ils se contentent de ceux qu’ils peuvent aborder.

Maintenant que j’ai conduit mon lecteur jusqu’au port du Merryland, je souhaite qu’il s’y plaise autant que moi. je lui ai donné une assez riante perspective de cette délicieuse contrée, et j’ai tâché de l’y mener sûrement, en l’avertissant prudemment des coups de mer, tempêtes, écueils, etc. Je serai trop récompensé de mon travail et des peines que j’ai prises pour mettre de l’exactitude dans ce petit traité, ce qui n’a pu se faire que par un grand nombre d’expériences, s’il fait en ce pays charmant de fréquens et d’heureux voyages qui le comblent, non de richesses, ce souhait est trop commun et trop financier, mais, d’inexprimables plaisirs.

FIN.
  1. Arétin.