Description de la Chine (La Haye)/Tchong yong, ou Le milieu immuable

Scheuerleer (2p. 391-394).


TCHONG YONG,
OU
LE MILIEU IMMUABLE.


Second livre classique, ou canonique du second ordre.


Cet ouvrage qui est de Confucius, a été rendu public par son petit fils Tse sseë : il y parle du milieu qu’on doit tenir en toutes choses. Tchong signifie milieu ; et par yong on entend ce qui est constant, éternel, immuable. Il prétend prouver que tout homme sage, et principalement ceux qui sont chargés du gouvernement des peuples, doivent suivre ce milieu, en quoi consiste la vertu. Il commence d’abord par définir la nature humaine, et ses passions : puis il apporte divers exemples de vertus, et entr’autres de la piété, de la force, de la prudence, du respect filial, qui sont comme autant de modèles du milieu qu’on doit tenir. Il montre ensuite que ce milieu et sa pratique est la voie droite et véritable, que l’homme sage doit suivre, pour acquérir la plus haute vertu. Ce livre est partagé en trente-trois articles.

Dans le premier, il dit que la loi du Ciel est gravée dans la nature même de l’homme ; que la conduite de cette nature, ou plutôt la lumière secrète qui éclaire sa raison, est la voie droite qu’il doit suivre dans ses actions, et qu’elle devient la règle d’une vie sage et vertueuse ; qu’il ne faut jamais s’écarter de cette voie ; que pour cela l’homme sage doit sans cesse veiller sur les mouvements de son cœur et sur ses passions ; que ces passions tiennent le milieu, et ne tendent ni à droite, ni à gauche, lorsqu’elles sont tranquilles ; que quand elles s’élèvent, si on sait les retenir et les modérer, alors elles s’accordent avec la droite raison ; et par cet accord l’homme tient cette voie droite, ce milieu qui est la source et le principe des actions vertueuses.

Dans le second article jusqu’au douzième, il déplore le triste état de la plupart des hommes, dont il y en a si peu qui s’attachent à suivre ce milieu, en quoi consiste la vertu. Il entre ensuite dans le détail de quelques vertus, et il explique quel est le milieu de la prudence, de la piété, et de la force. Il confirme sa doctrine par des exemples d’anciens empereurs, et de quelques disciples de Confucius.

Dans le douzième et treizième article, il fait voir que cette science du milieu est sublime, difficile, subtile dans la spéculation ; mais que dans la pratique elle est aisée et commune ; qu’elle s’étend aux actions les plus ordinaires de la vie, au respect qu’un enfant doit à ses parents, à la fidélité d’un sujet envers son prince, à la déférence d’un cadet pour son aîné, à la sincérité dont use un ami avec son ami.

Dans le quatorzième, il montre qu’en tenant ce milieu, un homme sage se borne aux devoirs de son emploi, et ne se mêle point d’autres affaires ; que dans quelque état, dans quelque condition, dans quelque lieu qu’il soit, il est toujours égal, toujours maître de lui-même, se possédant également dans l’agitation des affaires, et dans le repos d’une vie privée ; qu’il n’est jamais fier, ni orgueilleux dans une haute fortune, comme il n’a rien de bas ni de rampant dans une condition vile et abjecte.

Dans le quinzième article jusqu’au vingt-unième il rapporte des exemples de princes, qui possédaient la science du milieu, et qui la mettaient en pratique : il cite entr’autres les empereurs Chun, Ven vang, Vou vang et assure que le Ciel a récompensé le respect qu’ils portaient à leurs parents, en les élevant à l’empire, et en les comblant de richesses et d’honneurs. Il rapporte ensuite les cérémonies que ces princes ont instituées, tant pour honorer le Seigneur du Ciel, que pour donner des marques publiques de leur souvenir et de leur respect, pour la mémoire de leurs parents défunts.

Dans le vingt-unième, il montre, que, pour bien gouverner les autres, il faut savoir se gouverner soi-même ; que le règlement des mœurs consiste principalement en trois vertus ; savoir, la prudence, la droiture de cœur, et la force ; que la prudence est nécessaire pour connaître ce juste milieu, dont il est question ; la droiture du cœur pour le suivre ; la force pour y persévérer. Il rapporte ensuite neuf vertus que doit avoir un empereur, pour gouverner sagement l’empire. 1° Il faut qu’il règle sa vie et toute sa conduite, 2° Qu’il honore particulièrement les personnes sages. 3° Qu’il aime tendrement ses parents. 4° Qu’il traite avec distinction les premiers ministres de l’empire. 5° Qu’il traite les mandarins, et ceux qui aspirent aux charges, comme il se traite lui-même. 6° Qu’il prenne soin de ses sujets, comme de ses propres enfants. 7° Qu’il attire dans son État ceux qui excellent dans quelque art, ou dans quelque profession utile. 8° Qu’il reçoive avec bonté les étrangers et les ambassadeurs des autres princes. 9° Qu’il contienne dans les règles du devoir tous les rois de l’empire, et les princes tributaires. Après quoi il explique l’avantage que le prince retirera de la pratique de ces neuf vertus. Si sa vie est bien réglée, elle servira de modèle à ses sujets, qui formeront leurs mœurs sur son exemple. S’il honore les personnes sages, il trouvera dans leurs instructions et dans leurs avis un grand secours, pour se conduire lui-même, et pour conduire sagement les autres. S’il aime ses parents et ses proches, ceux-ci ne regarderont point d’un œil jaloux sa grandeur et son élévation ; mais ils feront de communs efforts, pour maintenir sa dignité et sa puissance. S’il traite avec honneur les premiers ministres de l’empire, quand il surviendra quelque affaire épineuse et difficile, il sera aidé de leurs conseils et de leur crédit, et il saura à quoi s’en tenir dans les résolutions qu’il faudra prendre. S’il traite les autres mandarins comme lui-même, la reconnaissance qu’ils auront pour un si bon prince, les rendra plus exacts et plus zélés dans l’exercice de leurs charges. S’il prend soin de ses sujets, comme de ses enfants, ses sujets l’aimeront comme leur père. S’il attire dans son empire des gens habiles en toutes sortes d’arts, ils y amèneront les richesses et l’abondance. S’il reçoit avec bonté les étrangers, sa réputation remplira les quatre parties du monde, et l’on viendra de toutes parts, augmenter le nombre de ses sujets, pour goûter les douceurs d’un si sage gouvernement. Enfin, s’il contient dans le devoir les princes tributaires, son autorité sera respectée, et la paix régnera dans l’empire.

Dans les douze articles suivants, il fait voir que ces vertus ne méritent point un si beau nom, si elles ne sont véritables et exemptes de tout déguisement ; que la vérité est l’essence de toute vertu ; que l’homme sage qui veut suivre ce milieu, en quoi consiste la vertu, doit s’attacher à l’étude de la vérité ; qu’elle réside dans le cœur par l’affection, et qu’elle se produit au-dehors par l’exécution ; que quand on l’a une fois acquise, on étend ses vues et ses soins à toutes choses ; on prévoit les choses à venir, comme si elles étaient présentes ; qu’enfin celui qui a acquis la perfection de la vraie vertu, s’il a en main l’autorité souveraine, ne peut établir que des lois sages et utiles au bien des peuples.

Enfin dans le trente-troisième et dernier article, il prouve que pour acquérir cette perfection, dans laquelle consiste le milieu de la vertu, il n’est pas nécessaire de faire des choses difficiles, pénibles, extraordinaires : il suffit de s’appliquer particulièrement à une vertu, qui toute intérieure, toute cachée, toute imperceptible qu’elle est aux yeux des hommes, ne laisse pas de se produire au-dehors, de se faire connaître et admirer ; de même que le poisson qui se cache au fond d’une eau claire, est toujours aperçu au-dehors ; et il appuie cette doctrine de quelques exemples des anciens empereurs Ven vang, et Vou vang, dont il est parlé dans les livres canoniques intitulés Y king, Chu king et Chi king.