Description de la Chine (La Haye)/Le Ta hio, ou L’école des adultes

Scheuerleer (2p. 389-391).


LE TA HIO,
OU
L’ÉCOLE DES ADULTES,


Premier livre classique ou canonique du second ordre.


Confucius est l’auteur de cet ouvrage, et Tseng seë son disciple en est le commentateur. C’est celui que les commençants doivent étudier d’abord, parce qu’il est comme la première entrée du temple de la sagesse et de la vertu. On y traite du soin qu’on doit prendre de bien se gouverner soi-même, afin de pouvoir ensuite gouverner les autres, et de la persévérance dans le souverain bien, qui n’est, selon lui, autre chose, que la conformité de ses actions avec la droite raison. L’auteur appelle son livre Ta hio, ou la grande science, parce qu’il est fait principalement pour les princes et pour les Grands, qui doivent apprendre à bien gouverner les peuples.

Toute la science des princes et des Grands d’un royaume, dit Confucius, consiste à cultiver et à perfectionner la nature raisonnable qu’ils ont reçue du Tien, et à lui rendre cette lumière et cette clarté primitive, qui a été affaiblie ou obscurcie par les diverses passions, afin de se mettre en état de travailler ensuite à la perfection des autres. Pour y réussir, il faut donc commencer par soi-même, et pour cela il est important de bien pénétrer la nature des choses, et s’efforcer d’acquérir la connaissance du vrai bien et du vrai mal, de fixer la volonté dans l’amour de ce bien, et dans la haine de ce mal, de conserver la droiture du cœur, et de bien régler ses mœurs. Quand on s’est ainsi renouvelé soi-même, on n’a pas de peine à renouveler les autres, et par ce moyen on voit aussitôt régner la concorde, et l’union dans les familles ; les royaumes sont gouvernés selon les lois, et tout l’empire jouit d’une paix et d’une tranquillité parfaite.

Le docteur Tseng, pour donner plus d’étendue à la doctrine de son maître, l’explique en dix chapitres. Dans le premier il fait voir par des textes des livres canoniques, et par les exemples de quelques anciens empereurs, en quoi consiste le renouvellement de soi-même, et ce qu’il faut faire, pour rendre à la nature raisonnable cette clarté primitive qu’elle a reçue du Ciel.

Dans le second, il apprend de quelle manière on doit renouveler l’esprit et le cœur des peuples.

Dans le troisième, il montre comment on doit s’y prendre, pour parvenir à la perfection. Il présente pour modèle l’application d’un habile artisan, qui veut perfectionner son ouvrage, et il rapporte l’exemple de quelques princes, qui apportaient une attention continuelle à régler leurs actions et leur conduite.

Dans le quatrième, il prouve qu’avant toutes choses il faut avoir en vue sa propre perfection, et qu’ensuite on vient aisément à bout de perfectionner les autres. Dans le cinquième, il explique ce que c’est que de pénétrer et d’approfondir la nature des choses, afin d’avoir une parfaite connaissance du bien et du mal.

Dans le sixième, il enseigne qu’on ne doit point se tromper soi-même, mais qu’il faut s’appliquer d’un cœur sincère à l’étude et à la pratique de la vertu, à fixer sa volonté dans l’amour du bien, et dans la haine du mal, et se mettre à l’égard de l’un et de l’autre dans la même disposition, où l’on est à l’égard de la beauté, qu’on est porté à aimer, et de la laideur, qu’on est porté naturellement à haïr.

Dans le septième, il fait voir que pour régler ses mœurs, il faut savoir gouverner son cœur, et surtout se rendre maître de quatre principales passions capables d’y jeter le trouble et la confusion ; savoir la joie, la tristesse, la colère, et la crainte ; qu’à la vérité ces passions sont inséparables de la nature humaine, mais qu’elles ne peuvent jamais nuire à celui qui sait les dominer ; et que son cœur est comme un clair miroir, que les objets qu’on lui présente ne sont pas capables de salir.

Dans le huitième, il montre que, pour établir l’union et la paix dans une maison, il faut que le père de famille sache régler ses affections, afin qu’il ne se conduise point par un amour aveugle, mais qu’il suive en tout les lumières de la droite raison ; sans quoi il ne verra jamais les défauts de ceux qu’il aime, ni les belles qualités de ceux qu’il a pris en aversion.

Dans le neuvième, il prouve que la manière sage et prudente, dont les familles sont gouvernées, est la base et le fondement du sage gouvernement d’un royaume ; que c’est le même principe qui fait agir, et qui donne le mouvement dans l’un et dans l’autre ; que, si l’on respecte ses parents, si on leur obéit, on respectera de même le roi, et on lui obéira ; que si dans les ordres qu’on donne, on traite avec bonté ses enfants et ses domestiques, on usera de la même douceur envers ses sujets ; que c’est là le sage conseil que l’empereur Vou vang donnait au roi son frère, en lui disant : aimez votre peuple, comme une tendre mère chérit son petit enfant ; que cet amour est inspiré par la nature, et qu’il ne demande point d’étude ; qu’on n’a jamais vu qu’une fille, avant que de se marier, étudiât comment elle doit s’y prendre, lorsqu’il s’agira d’allaiter son fils ; qu’un sage prince reçoit la même inclination de la nature, et que son exemple est la règle sur laquelle sa famille se gouverne : le gouvernement de sa famille est le modèle du gouvernement de son État.

Dans le dixième, il fait voir que pour bien gouverner un État, un prince doit juger des autres par lui-même ; que ce qui lui déplaît dans les ordres que lui donne celui qui a droit de lui commander, il doit se donner de garde de le commander à ceux qui lui sont soumis ; qu’il doit gagner le cœur de ses sujets par sa vertu, et leur en inspirer l’amour par ses exemples ; que le bonheur d’un État n’est pas d’avoir de l’or et de l’argent, mais d’avoir grand nombre d’hommes vertueux ; qu’un sage prince doit être surtout très attentif au choix qu’il fait de ses ministres ; qu’il ne doit jeter les yeux que sur des hommes justes, sages, équitables, et désintéressés ; que le cœur de ses sujets est pour lui un trésor inépuisable ; qu’il perdra ses richesses, s’il cherche à en amasser ; et que s’il les répand libéralement au milieu de son peuple, il ne cessera jamais d’être riche ; qu’enfin il ne goûtera de bonheur, qu’autant qu’il rendra ses peuples heureux, et qu’il préférera le bien public à ses intérêts particuliers.