Description de la Chine (La Haye)/Le Chu king, second livre canonique du premier ordre

Scheuerleer (2p. 353-357).



LE CHU KING.


Second livre canonique du premier ordre.


Ce monument s’appelle aussi Chang chu, c’est-à-dire, livre qui parle des anciens temps. Il est divisé en six parties : les deux premières contiennent ce qui s’est passé de plus mémorable sous les règnes de Yao, de Chun, et d’Yu. Ces premiers princes sont regardés comme les législateurs de la nation chinoise. Yao qui a régné près de cent ans, s’est rendu célèbre par sa grande piété, par sa justice, par sa clémence, par sa sagesse, et par le soin qu’il a pris d’établir dans l’État la forme d’un bon gouvernement.

Comme alors, disent les Chinois, on faisait plus de cas de la vertu, que des autres qualités, ce prince ne trouvant point dans son fils les talents nécessaires pour bien gouverner les peuples, déclara en mourant qu’il choisissait un de ses sujets, nommé Chun, pour lui succéder à l’empire, et il lui donna sa seconde fille en mariage.

On loue Chun de la patience, du respect, et de la soumission qu’il avait pour ses parents, et de l’amour qu’il portait à son frère, tout vicieux qu’il était. Il imita Yao dans le choix d’un successeur. Prêt de mourir, il jugea que son fils manquait des qualités nécessaires pour gouverner sagement l’empire ; il jeta les yeux sur un de ses ministres nommé Yu, qui lui avait rendu d’importants services pendant sa vie, et qui l’avait fort aidé de ses conseils dans l’administration de l’État.

Ces deux princes réglèrent les cérémonies qu’on devait observer dans les sacrifices, partagèrent l’empire en diverses provinces, marquèrent leur différente situation par rapport aux constellations célestes, réglèrent le tribut que le peuple devait payer au prince, et firent quantité d’autres ordonnances très utiles à l’instruction des Grands de l’empire, au soulagement des peuples, à la réformation des mœurs, et à la tranquillité publique.

Ce fut Yu qui durant la vie de son prédécesseur, prit le soin de faire écouler dans la mer les eaux, qui couvraient une partie des campagnes de l’empire. Enfin ces trois rois sont les héros de la nation : la doctrine qu’ils ont enseignée et pratiquée, les a placés sur le trône : leurs exemples et les enseignements qu’ils ont laissés à la postérité, sont pour les Chinois autant d’oracles, qu’ils écoutent avec respect, et autant de lois auxquelles ils sont obligés de se conformer.

Cet empereur voulut imiter ses prédécesseurs, et laisser l’empire à un de ses sujets nommé , qui l’avait aidé à porter le poids du gouvernement ; mais les peuples s’y opposèrent, en lui représentant qu’il ne devait pas faire cette injustice à son fils, qui était si digne du trône. Ce fils lui succéda, et la couronne passa successivement à ses descendants jusqu’à l’empereur Kié. Les vices et la cruauté de ce dernier prince, le rendirent un objet d’horreur, et il fut le dernier de cette première famille, qui donna dix-sept empereurs, et régna 458 ans.

La troisième partie du Chu king contient ce qui s’est passé sous la seconde famille impériale, dont Tching tang est le chef. Ce prince prit possession de l’empire 1.776 ans avant l’ère chrétienne. L’empereur Kié s’étant rendu infiniment odieux aux peuples et aux Grands, par ses vices, et par sa cruauté, et l’empire étant menacé d’une ruine prochaine, les princes et les ministres prièrent Tching tang de les délivrer d’un joug si tyrannique. Tching tang sollicité continuellement par les remontrances des peuples, se rendit enfin à leurs prières, malgré ses répugnances. Il déclara la guerre au tyran Kié : il le défit entièrement dans un combat, et l’obligea de s’exiler lui-même à Nan chao, où il mourut trois ans après sa défaite.

Ce nouvel empereur se distingua par sa piété, et par son amour pour les peuples. Ce fut lui, qui après sept années consécutives d’une stérilité générale, qui avait tari jusqu’aux rivières et aux fontaines, et qui fut suivie de la peste et de la famine, s’offrit en sacrifice pour son peuple, et pria le Ciel de détourner sur lui sa colère, et de faire cesser la misère publique.

Après avoir jeûné trois jours, et s’être rasé la barbe en signe de douleur, il monta dans une chaise traîné par des chevaux blancs, parce que cette couleur est celle qui à la Chine marque le deuil ; et suivi de toute la cour, il se rendit sur une colline appelée Sang lin. Là, se dépouillant de son manteau royal, et se revêtant d’une peau d’agneau, les pieds et la tête nus, il se regarda comme l’unique cause des calamités qui affligeaient son peuple ; et faisant un humble aveu de ses fautes, il éleva ses mains au Ciel, et le conjura de l’agréer pour victime, s’offrant de tout son cœur à mourir, pourvu que son peuple fût épargné.

À peine eut-il fini sa prière, que le Ciel se couvrit de nuages, qu’une pluie générale arrosa toutes les campagnes de l’empire, et fut suivie d’une abondance récolte. En mémoire de ce bienfait, il institua une espèce de musique appelée ta hoe, qui signifie grâce signalée obtenue du Ciel.

Quand les idolâtres ont des difficultés sur le mystère de l’incarnation, et sur la passion de J.-C. on leur remet devant les yeux ce trait de leur histoire. « Vous admirez, leur dit-on, et vous proposez pour modèle à tous les princes, celui de vos empereurs, qui se dépouillant de sa dignité, se fit la victime publique, et s’offrit en sacrifice pour ses sujets : combien plus devez-vous admirer la sagesse et la charité infinie de J.-C. qui s’étant revêtu de notre chair, se fait réellement une victime de propitiation, pour satisfaire à la justice divine, et pour procurer par l’effusion de son sang, le salut de tous les hommes ? » Cette raison tirée de leur histoire leur paraît convaincante, et fait plus d’impression sur leurs esprits, que les raisonnements les plus solides.

On trouve dans cette troisième partie du Chu king, les sages ordonnances de cet empereur, les belles instructions que le colao Tsong hoei lui donna, et à son fils Tai Kia ; les conseils et les avertissements qu’il reçut d’un autre colao nommé Y in ; d’autres beaux règlements d’un colao nommé Fou yue que l’empereur Cao tsong qui avait vu sa figure en songe, fit chercher de tous côtés, et qu’on trouva enfin parmi des maçons. Ce prince rétablit son premier ministre, et fit de grands progrès dans la vertu, en suivant les conseils pleins de sagesse d’un homme si rare, qu’il regardait comme un présent venu du Ciel.

Les descendants de Tching tang régnèrent environ 600 ans, jusqu’à Tcheou, qui fit revivre par sa tyrannie et par la cruauté le règne barbare de l’infâme Kié. Aussi les Chinois, quand ils parlent d’un méchant homme, disent que c’est un Kié, ou un Tcheou : à peu près de même qu’en Europe, on dit, en parlant d’un mauvais prince et d’un tyran, que c’est un Néron ou un Dioclétien.

Les trois dernières parties renferment ce qui s’est passé sous la troisième race dont Vou vang est le fondateur ; et on y lit les sages maximes et les belles actions des cinq premiers princes de cette race. Il n’y a eu aucune famille impériale plus florissante : elle compte 873 années de règne, et 35 empereurs.

Vou vang, qui en est le chef, était roi d’une partie de la province de Chen si : il prit les armes contre le tyran Tcheou, le vainquit, et fut proclamé empereur par le suffrage unanime des Grands de l’empire, et de tous les peuples. Son premier soin fut de rendre ses hommages à l’Etre suprême, de rétablir la paix et la tranquillité dans l’empire, et de procurer l’abondance à ses sujets, qui gémissaient depuis longtemps sous la tyrannie de son prédécesseur. Il fit ouvrir les prisons, et rendit la liberté à ceux qui y étaient détenus ; il fit chercher soigneusement les gens de mérite, qui avaient renoncé à leurs emplois et à leurs dignités, dans les derniers troubles, pour se faire un asile dans la retraite, et dans une condition privée : il les combla d’honneurs, et leur donna sa confiance.

Sa libéralité royale s’étendit principalement à ceux qui s’étaient toujours distingués par leur sagesse, leur bonne foi, et leur probité : et l’on vit renaître ces heureux temps, où il suffisait d’être vertueux pour être riche et honoré : il les fit entrer dans ses conseils, et les prit pour ses ministres. Il rétablit les poids et les mesures, il perfectionna les lois et les Constitutions de l’empire ; il rendit le premier éclat à de nobles familles, qui descendaient de Hoang ti, l’un des fondateurs de la monarchie chinoise, et d’Yao, de Chun, et d’Yu, premiers législateurs de l'empire, que Tcheou s’était efforcé d’éteindre, en les tenant dans l'obscurité.

Ces familles illustres se virent tout à coup, par la protection du nouvel empereur, revêtues de leurs premières dignités, et de nouveaux titres d’honneur qu’il y ajouta. Enfin il fut très attentif à augmenter la piété filiale, et à perpétuer la mémoire des parents défunts, en enjoignant aux enfants de leur rendre après leur mort, les mêmes honneurs et les mêmes devoirs, qu’ils leur rendaient pendant leur vie.

On décrit encore les sages enseignements de Tcheou kong, frère de l’empereur Vou vang, qui se rendit à jamais recommandable par sa bonne foi, par sa sagesse, et par ses autres vertus. L’empereur en mourant lui confia son fils aîné, et le gouvernement de l’empire durant la minorité. On lui attribue l’invention de l'aiguille aimantée ou de la boussole. Les ambassadeurs de Tong king et de la Cochinchine, étant venus apporter leur tribut au nouvel empereur, avaient essuyé beaucoup de fatigues dans la traversée, par les différents détours qu’ils avaient faits, faute de savoir se conduire. Tcheou kong leur donna une boussole, qui les guida dans leur retour, et qui leur procura une navigation heureuse.

Enfin, on trouve dans le Chu king qui est parmi les Chinois de la plus grande autorité, le vice puni, et la vertu récompensée ; plusieurs belles instructions, qui apprennent à bien gouverner un État ; de sages règlements pour l'utilité publique ; les principes, les règles, et les modèles des mœurs dans les premiers héros qui ont gouverné l’empire, et pour la mémoire desquels la nation a toujours conservé un respect extraordinaire. On verra volontiers quelques extraits de ce livre. Le P. de Prémare, ancien missionnaire de la Chine, qui a pris soin de les faire, assure qu’il les a traduits avec toute la fidélité et l'exactitude possible.