Description de la Chine (La Haye)/Idée générale

Scheuerleer (Tome Premierp. 1-45).


DESCRIPTION
DE LA CHINE
ET
DE LA TARTARIE CHINOISE.


Idée générale de l’Empire de la Chine


Le royaume de la Chine est nommé par les Mongols occidentaux Catay, par les Tartares Mantcheoux, Nican courou et par les Chinois Tchong koué, sans qu’on puisse dire au vrai ce qui a donné lieu au nom que nous lui donnons en Europe, si ce n’est peut-être que la première famille royale, qui a porté vers l’occident les armes victorieuses, se faisait appeler Tsin ou Tai tsin.

L’armée navale de l’empereur Tsin chi hoang, qui alla à Bengale, à ce que rapporte l’histoire chinoise, doit avoir fait connaître aux peuples indiens le nom de Tsin, dont la puissance se faisait sentir si loin ; et ce nom passant des Indes en Perse et en Égypte, est apparemment parvenu jusqu’à nous, vers l’an avant Jésus-Christ 230 ; c’est ce qui paraît le plus vraisemblable.

Quoiqu’il en soit du nom, il est certain que la Chine est le plus grand et le plus beau royaume connu : car je ne voudrais pas répondre qu’il n’y eût quelque autre nation polie dans les terres australes, ou dans quelques autres contrées inconnues. Lorsqu’après avoir quitté l’Europe, on aborde aux terres les plus voisines de l’Afrique, ne semble-t-il pas qu’on soit tombé dans un autre monde ? Les peuples mêmes des Indes, quoiqu’un peu moins grossiers, ont tant d’impolitesse, lorsqu’on les compare à nos nations civilisées, qu’ils peuvent passer pour demi-barbares. Qui aurait cru qu’au bout de tant de barbarie se trouverait un peuple puissant, policé, habile dans les arts, et appliqué aux sciences ?

Quand dans le XIIIe siècle Marc-Paul Venitien publia sa première relation, combien de gens la prirent-ils pour un tissu de fables, où le vraisemblable n’était pas même gardé ! Aussi vit-on alors des critiques, qui, par des conjectures semblables à celles de quelques-uns des écrivains de notre temps, s’efforcèrent d’en prouver la supposition. Il est cependant certain que ce voyageur, qui suivait les Tartares occidentaux, lorsqu’ils achevaient la conquête de la Chine, n’a rien avancé que de vrai. On peut aisément le reconnaître dans ce qu’il rapporte de certaines villes, qui subsistent encore telles qu’il les a décrites, et qui conservent le même nom qu’il leur a donné. Car qui ne voit que ce qu’il appelle Cingiang situé au bord du Kiang[1], est la ville de Tchin kiang près de ce grand fleuve ? Ce qu’on trouve de différence, ne peut-il pas s’attribuer, partie à la diversité du langage tartare, partie à la corruption des mots chinois prononcés par des étrangers, qui n’ont pas eu encore le temps de se faire l’oreille à une langue si différente de toutes les autres ?


Étendue de la Chine.

La Chine est du nord au sud plus longue que la Tartarie, dont nous donnons la géographie, et moins large qu’elle, si on la prend de l’est à l’ouest. Mais, de quelque sens qu’on la prenne,. elle n’a pas moins en ligne droite de 360 de nos grandes lieues à 20 le degré. Elle est divisée en quinze provinces. Celles de Chen si, de Chan si, de Pe tche li, s’étendent le long de la fameuse muraille qui la divise au nord de la Tartarie : celles de Chan tong, de Kiang nan, de Tche kiang, de Fo kien sont sur la mer Orientale. Celles de Quang tong, de Quang si, d’Yun nan, de Se tchuen sont les bornes du midi et de l’occident. Le milieu est occupé par celles de Ho nan, de Hou quang, de Koei tcheou et de Kiang si.


Juridiction ou gouvernement.

Chaque province est subdivisée en certain nombre de juridictions, qu’on nomme Fou en chinois, d’où dépendent d’autres beaucoup moins étendues, nommées Tcheou et Hien : de la même manière que nos bailliages et les justices subalternes sont subordonnées aux présidiaux ; les présidents de celles-là sont appelés Tchi fou, et les administrateurs de celles-ci se nomment Tchi tcheou, et Tchi hien[2]. De là vient qu’on trouve toujours dans l’enceinte d’une seule ville appelée fou un mandarin nommé tchi fou, et au moins un autre qui est tchi hien : car dans les plus grandes villes, outre le tchi fou sont encore deux mandarins inférieurs avec le titre de tchi hien, parce que le territoire étant trop étendu, on l’a partagé en deux districts, dont chacun ressortit en première instance au tribunal de son tchi hien.


Fou, ville du premier ordre, etc.

L’un et l’autre tribunal a même toujours un nom particulier, et relève immédiatement de celui du Tchi fou beaucoup plus nombreux, plus puissant, et le plus souvent nommé différemment. Par exemple, outre les six grandes Cours souveraines qui sont à Peking, il y a encore le tribunal propre de cette ville, qui est la capitale de l’empire, et qui est nommée chun tien. Sous ce tribunal il y a encore deux tribunaux subalternes de deux hien ou villes du troisième ordre, dont l’une s’appelle Tai hing et l’autre Ven ping.

Au reste, quand on parle de hien ou ville du troisième ordre, il ne faut pas s’imaginer que ce soit un district de peu d’étendue : il y a tel hien qui a 60, 70, et même 80 lieues de circuit, et qui paye à l’empereur plusieurs millions de tribut.

Ce que nous avons dit ci-dessus des villes Tai hing et Ven ping s’entend aussi de plusieurs autres villes, à proportion de l’étendue des terres que les habitants possèdent ; de sorte que c’est beaucoup augmenter le nombre des villes de ce royaume, que de les compter par les catalogues qu’on trouve presque partout imprimés des hou, des hien, sans faire de distinction entre ceux qui sont renfermés dans une même enceinte, et ceux qui sont séparés.

Il se trouve dans les provinces quelques villes, qui ont des tribunaux qu’on nomme ouei, dont les mandarins ont le titre de ouei cheou pei et ce sont des officiers de guerre. Leur juridiction ne s’étend pas d’ordinaire hors des murs : il y en a d’autres qui sont dans des villages, et ceux-là communément ne connaissent que des matières qui concernent une certaine sorte de personnes obligées par leur condition et par leur naissance aux charges de l’État.

Ces tribunaux distingués aussi par leur nom, sont quelquefois, de même que les tribunaux du tchi fou et des deux tchi hien, renfermés dans la même enceinte. Et si on s’en tient aux listes des mandarins, ou aux histoires des provinces, sans rien approfondir davantage, on pourra compter trois villes pour une. C’est ainsi par exemple, que la ville, qui dans l’histoire de la province de Koei tcheou est nommée Li ping fou, est la même réellement, qui, dans la province de Hou quang est appelée Ou cai ouei, parce qu’étant sur les limites des deux provinces, elle est le siège d’un tchi fou soumis à la province de Koei tcheou, et d’un ouei cheou pei, qui relève de la province de Hou quang, comme officier de guerre.

Sans entrer dans un plus grand détail, cet exemple suffit pour faire comprendre que le nombre des villes, quoiqu’en effet fort grand, l’est cependant beaucoup moins qu’on ne le fait dans presque toutes les relations imprimées ; et que pour parler sûrement de la géographie d’un grand pays, il faut l’avoir parcouru, non seulement avec dessein de s’en instruire, mais encore avec certains secours nécessaires pour y réussir.

Tous ces tribunaux de Tchi fou, Tchi tcheou, Tchi hien, Ouei cheou pei, dépendent du viceroi et des quatre autres officiers généraux qui sont ses assesseurs, suivant la nature des affaires. S’il s’agit de finances et de matières civiles, l’affaire est portée au trésorier général, ou pou tching se. Si c’est une cause criminelle, elle est renvoyée au lieutenant criminel, ngan tcha se. S’il s’agit d’affaires qui regardent les postes, le sel, etc. on a recours à l’yen tao. Enfin s’il s’agit des vivres qu’on lève comme tribut, on s’adresse au leang tao : mais outre ces affaires, qui sont essentiellement attachées à leur tribunal, le peuple peut encore s’adresser à eux pour différentes affaires, parce que tous les tribunaux subalternes de la province dépendent d’eux, et qu’ils sont par leur emploi les conseillers nés du viceroi. C’est sous cette qualité qu’ils sont obligés plusieurs fois chaque mois de se rendre au tribunal de ce grand mandarin, pour délibérer et dire leur sentiment sur ce qui se passe de plus important dans la province.

Comme les officiers des troupes dépendent aussi en quelques sorte du viceroi, et qu’ils sont obligés sous de grandes peines, de l’informer des moindres mouvements du peuple, qui surviennent dans l’étendue de leurs départements, il arrive que presque toutes les affaires, soit civiles, soit criminelles, soit militaires du gouvernement, reviennent enfin à son tribunal ; et il est d’autant plus respectable, que les Cours souveraines de Peking ne décident ordinairement que sur ses informations, et qu’elles ratifient presque toujours la sentence qu’il a portée contre les mandarins, qu’il a droit de casser, en leur ôtant même le sceau par avance.

Il est vrai que le trésorier général et le lieutenant criminel peuvent accuser le gouverneur de la province ; mais comme ils craignent d’avoir le dessous, et qu’ils se perdent mutuellement par cette dissension, que les lois condamnent comme nuisible au bien du peuple, ils ne s’accordent que trop bien, et ferment les yeux sur la conduite l’un de l’autre. S’ils en viennent à un éclat, il faut que la chose soit si criante, qu’elle ne puisse manquer d’être portée en cour, ou qu’elle intéresse extrêmement leur honneur particulier, ou leur propre repos.

Ceux-mêmes que l’empereur envoie dans les provinces, pour les affaires et le bien du peuple, reviennent souvent gagnés par les honnêtetés et par les présents des grands mandarins, et n’ont garde de faire un rapport trop désavantageux à leurs bienfaiteurs, lors même qu’ils croient ne pouvoir éviter d’en faire des plaintes à Sa Majesté. Ainsi c’est à la pénétration du prince à découvrir ce qu’ils enveloppent, et à les suivre dans leurs détours, pour être instruit de la vérité. C’est à quoi feu l’empereur Cang hi réussissait admirablement bien, comme on pourrait le prouver par divers exemples si c’était ici le lieu de parler de sa haute sagesse, connue d’ailleurs et depuis longtemps dans les royaumes les plus éloignés.

On peut dire cependant que malgré sa vigilance et sa pénétration, il y a eu sous son règne bien des désordres en ce genre : mais son quatrième fils, qui lui a succédé, y a apporté des remèdes efficaces, en fournissant libéralement aux frais que ses envoyés sont obligés de faire, et en punissant rigoureusement ceux qui ont reçu et ceux qui ont donné.

Les censeurs publics de l’empire nommés catao yu se qui résident à et qui ont inspection non seulement sur tout l’empire, mais encore chacun d’eux sur une province, sont les plus redoutés de tous les grands mandarins. Comme ces censeurs sont très vigilants, et ont leurs espions, ils ne peuvent guère ignorer ce qui s’y passe, et il est de leur intérêt que le bon ordre y règne. Si quelque mandarin manque à son devoir, dans quelque chose d’important pour le repos du peuple, et que le viceroi n’en avertisse pas au plus tôt, ils sont obligés d’en informer les Cours souveraines et l’empereur par une accusation publique, quand même ils n’auraient que des demi-preuves de ce qu’ils avancent : et s’ils sont les premiers par qui l’empereur apprenne le désordre, cela leur fait beaucoup d’honneur. S’ils y manquent, ils s’exposent à une réprimande de l’empereur, et même à perdre leur charge. On n’exige d’eux aucune preuve bien certaine, il suffit que leur dénonciation ait une apparence de vérité, qui puisse donner lieu aux informations qu’ensuite on a coutume de faire.

La crainte qu’on a de ces censeurs publics, est peut-être ce qui contribué le plus à maintenir l’ordre et les coutumes anciennes, et à prévenir les troubles et les mouvements causés d’ordinaire par l’amour de la nouveauté, dont le peuple n’est que trop susceptible. Ce qui d’ailleurs leur donne de l’autorité, c’est que s’il leur arrive d’être maltraités, ou par les intrigues des Grands qu’ils accusent, ou par les empereurs qui s’offensent des avis que leur charge les oblige de leur donner, toute la nation les regarde comme les pères de la patrie, et, s’il est permis d’employer ce terme, comme les martyrs du bien public. On trouve souvent dans quelques-uns de ces censeurs une intrépidité, qui fait voir que cette nation a beaucoup de grandeur d’âme.

Au reste, quoique le gouverneur de la province ait sous lui les quatre grands officiers, dont nous venons de parler, et que les mandarins des justices subalternes aient toujours un et quelquefois deux assesseurs, les affaires toutefois ne sont point ordinairement jugées à la pluralité des voix : chaque magistrat, grand ou petit, a son tribunal ou yamen, et dès qu’il s’est fait instruire par les parties, après quelques procédures en petit nombre, dressées par les greffiers, huissiers, et autres gens de pratique, il prononce tel arrêt qui lui plaît. Quelquefois après avoir jugé les deux parties, il fait encore donner la bastonnade à celui qui a perdu son procès, pour l’avoir intenté mal à propos, ou soutenu contre toute apparence de bon droit.


Châtiments ordinaires.

La bastonnade est une peine ordinaire, dont on châtie le peuple. Elle ne peut être imposée à un mandarin, quelque peu considérable qu’il soit, s’il n’est auparavant destitué de son emploi ; ce qui n’empêche pas néanmoins le cours de la justice du viceroi de la province, puisqu’il a le pouvoir de le casser dans certaines occasions, sans attendre la réponse des Cours souveraines, auxquelles il est seulement obligé de rendre compte des raisons qu’il a eues d’en user de la sorte.

Pour l’ordinaire les Cours souveraines se conforment à son rapport, et souvent même ordonnent qu’on fasse le procès du coupable ; mais il peut se rendre à Peking pour y justifier sa conduite, en présentant sa requête à une Cour souveraine, ou même en faisant porter sa plainte à l’empereur. Ce qui sert de frein au viceroi pour ne pas agir trop légèrement, et pour ne pas abuser de son autorité.

Le plus grand châtiment après la bastonnade, est une espèce de carcan fait de deux pièces de bois, d’une largeur et d’une épaisseur différentes selon la nature du crime, échancrées au milieu, entre lesquelles on insère le col du coupable, en les rejoignant exactement, et les scellant du sceau du tribunal mis sur une bande de papier, où est marqué le temps que doit durer la peine, et la qualité du crime qui l’a mérité.

Il n’y a que ces deux sortes de châtiments, avec la prison, que les lois chinoises permettent aux mandarins des provinces d’imposer aux criminels ; ils peuvent aussi condamner à l’exil, mais il faut que leur jugement soit examiné par les Cours souveraines. Le châtiment dont ils punissent les coupables, ne doit jamais aller jusqu’à la mort. Cependant nonobstant cette loi, s’il arrive qu’en certaines circonstances la nature du crime demande une prompte justice, comme quand il s’agit de sédition, ou de révolte, l’empereur accorde au tsong tou, et même au viceroi, l’autorité de punir sur-le-champ de mort les coupables.

Il est vrai que la loi, qui ordonne de renvoyer à la cour toutes les causes criminelles qui méritent la mort, paraîtrait en Europe être sujette à bien des inconvénients, mais il n’en est pas ainsi à la Chine, et il faut qu’il y ait encore plus d’inconvénient à rendre les mandarins arbitres de la vie des peuples, puisque les législateurs, qui connaissaient le génie de la nation, ont cru devoir leur ôter le pouvoir de faire mourir qui que ce soit de leurs sujets.


Supplices des criminels.

Les trois genres de supplices qui vont à la mort, sont d’étrangler, de trancher la tête, et de couper en morceaux : on ne punit de ce dernier que les criminels, les rebelles, les criminels de lèse-majesté, les assassins de leurs maîtres, les voleurs barbares et cruels.

Le supplice le plus commun que la cour détermine pour les crimes ordinaires qui méritent la mort, c’est d’étrangler le criminel. Le second genre de supplice est de trancher la tête. Celui qui y est condamné, n’est point exposé le jour de l’exécution sur un échafaud ; il est à genoux dans une place publique, les mains attachées par derrière. Un bourreau le tient de telle sorte qu’il ne puisse remuer ; tandis que l’autre le prenant aussi par derrière, lui enlève la tête d’un seul coup, et le renverse dans le moment avec tant d’adresse, qu’il ne tombe pas une goutte de sang sur ses habits, qui sont souvent ce jour-là plus propres qu’à l’ordinaire : ses parents et ses amis auraient honte de le méconnaître dans ce temps de calamité : ils lui envoient souvent des habits neufs, et font même préparer des viandes sur son passage, ou lui présentent à boire.

Ce sont ordinairement des soldats qui sont employés à ces sortes d’exécutions, et cet emploi n’a rien d’odieux. Il leur est même honorable de le faire adroitement. A Peking l’exécuteur de justice accompagne le criminel ceint d’un tablier de soie jaune, et ayant son coutelas enveloppé de soie de même couleur, qui est la couleur impériale, pour faire voir qu’il est revêtu de l’autorité de l’empereur, et par là inspirer du respect aux peuples.

A la vérité on trouve dans les livres chinois plusieurs autres espèces de supplices, quelques-uns même assez extraordinaires, mais on y fait observer en même temps, qu’ils n’ont jamais été employés que par des princes barbares, et regardés par toute la nation comme des tyrans. Il faut, disent-ils, être juste sans être cruel.

Si le pouvoir du magistrat dans les affaires criminelles est ainsi restreint par les lois, il est comme absolu dans des matières civiles, puisque toutes les affaires qui regardent purement les biens des particuliers, sont jugées par les grands officiers des provinces, sans appel aux Cours souveraines de Peking auxquelles cependant les particuliers dans les grandes affaires peuvent porter leurs plaintes.


Levée des tailles.

Ce qui donne le plus d’occupation aux mandarins inférieurs, soit Tchi tcheou, soit Tchi hien, soit Ouei cheou pei, c’est la levée des tailles, dont ils sont chargés personnellement. Quoique toutes les terres soient mesurées, et que ce qu’on doit donner par chaque arpent, soit déterminé dans chaque province, à proportion de la bonté du terroir ; cependant, soit pauvreté, soit avarice, il est assez ordinaire que le peuple attende pour payer, le temps où il est harcelé par les gens du tribunal. Il arrive même que pour se faire payer il en faut venir aux coups. Et quand on reproche à ces espèces de sergents la dureté avec laquelle ils pressent le payement, ils disent pour s’excuser, que quand on les envoie dans un village, avec ordre de se faire payer s’ils ne rapportent pas la taille, leurs maîtres les soupçonnent ou de n’avoir pas fait leur devoir, ou d’avoir reçu des présents ; que sur ce simple soupçon, sans autre examen, on leur fait donner la bastonnade. Les mandarins d’autre part prétendent justifier leur conduite, par la nécessité indispensable où ils sont d’en agir de la sorte. Ils répètent sans cesse, que n’ayant pu tirer les droits du peuple dans le temps marqué, ils se sont vus plus d’une fois obligés de satisfaire l’empereur de leurs propres deniers, de crainte d’être cassés de leurs emplois, ce qui est vrai et connu de tous ceux qui savent les affaires ; que d’ailleurs plusieurs provinces sont fort obérées, et qu’elles doivent au trésor royal de gros arrérages, dont apparemment elles ne s’acquitteront jamais. Mais pour obvier à cet inconvénient, l’empereur régnant a réglé que désormais les propriétaires des terres seront tenus de payer la taille, et non pas ceux qui les cultivent.

Outre les grands mandarins de chaque province que j’ai nommés, il y en a encore un plus considérable, appelle tsong tou. Sa juridiction s’étend sur deux provinces ou si nous voulons comparer les vicerois à nos intendants, quoiqu’il y ait beaucoup de différence pour l’autorité et pour l’étendue du district, elle s’étend au moins sur deux généralités : car dans les provinces les plus vastes, telles que sont le Hou quang, le Chen si etc, le tsong tou n’a soin que d’une province, mais la province est partagée en deux gouvernements, et chaque gouvernement a son viceroi. Il doit garder des ménagements avec eux, et le détail en est fixé par les lois et par la coutume car il n’est leur supérieur qu’en certaines choses, quoiqu’il puisse toujours décider en cas qu’on appelle à lui du tribunal de chaque gouverneur de ses provinces.


Noms des provinces et des villes qui en dépendent.

Après avoir donné cette idée générale des magistrats et des juridictions, il est bon de faire connaître en détail les noms de chaque province, avec les villes qui en dépendent. Cela est d’autant plus nécessaire, qu’on trouve beaucoup d’erreurs dans les relations imprimées ; apparemment parce que les auteurs ont suivi les anciens catalogues, sans faire distinction de leur temps et du nôtre ; ou qu’ils s’en sont rapportés à leurs amis chinois, qui, quoique bacheliers et docteurs, sont souvent aussi peu habiles dans la connaissance de leur pays, que le sont quelquefois en Europe de vieux jurisconsultes, qui ne se sont jamais mis en peine de connaître les terres qui sont hors de leur district.

La Chine compte cent soixante-treize tribunaux ou juridictions immédiatement soumises aux officiers généraux et gouverneurs de chaque province, nommés en chinois Fou. Il y a mil quatre cent huit tribunaux inférieurs, ou juridictions subalternes, qui dépendent immédiatement des Tchi fou, dont onze cent soixante-treize ont le titre de hien, et deux cent trente-cinq ont celui de Tcheou. Ceux-ci cependant diffèrent un peu entr’eux. La plupart n’ont nulle autorité sur les hien, et quelques-uns ont une juridiction sur un, deux, et quelquefois sur quatre hien, presqu’égale à celle des Tchi fou. Il y en a même plusieurs qui ne dépendent point du Tchi fou et qui relèvent immédiatement du Viceroi. Nous en donnerons ici la liste, qui offre d’abord toutes les subdivisions de chaque province. Si elle paraît ennuyeuse, on n’a qu’à la passer, et ne la consulter que quand on en aura besoin, pour mieux entendre ce que nous avons à dire.




PREMIÈRE PROVINCE
PE TCHE LI, ou TCHE LI, ou LI PA FOU,

subdivisée en neuf fou, ou Villes du premier Ordre.

1. Chun tien fou. Capitale du Royaume. C’est dans cette Ville que réside la Cour, c’est pourquoi on l’appelle Peking, c’est-à-dire, Cour du Nord. Elle gouverne 6 tcheou, ou Villes du second Ordre, et 20 hien, ou Villes du troisième Ordre.

2. Pao ting fou, Capitale de la Province de Pe tche li, où est le Gouverneur du Tcheli. Ce fou gouverne 3 tcheou et 17 hien.

3. Ho kien fou, 2. Tcheou et 15 hien.
4. Tchin ting fou, 5 Tcheou et 27 hien.

5. Chun te fou. 9. hien.
6. Quang ping fou. 9. hien.
7. Tai ming fou. 1. tcheou et 10. hien.
8. Yung ping fou. 1. tcheou et 5. hien.
9. Suen hoa fou. 2. tcheou et 8. hien.




II°. PROVINCE.
KIANG NAN,


partagée en deux Parties, Orientale et Occidentale. Chacune est subbdivisée en sept Fou.

PARTIE ORIENTALE.

1. Nan King, autrement Kiang ning fou. La métropole de toute la province. Là réside le Tsong tou (* Grand Officier dont la Juridiction s’étend sur deux Provinces.) de Kiang nan et de Kiang si. Ce fou gouverne 8 hien.
 
2. Sou tcheou fou, capitale de la partie orientale, où demeure le gouverneur de la partie orientale, Y tong. Ce fou gouverne 1 tcheou et 7 hien.

3. Song Kiang fou, gouverne 4 hien.
4. Tchang tcheou fou, 5 hien.
5. Tchin Kiang fou, 3 hien.
6. Hoai ngan fou, 2 tcheou et 9 hien.
7. Yang tcheou fou, 6 hien.


PARTIE OCCIDENTALE.

1. Ngan king fou, capitale de la partie occidentale où réside le gouverneur de la partie occidentale, Y si. Ce fou gouverne 6 hien.

2. Hoe tcheou fou gouverne 6 hien.
3. Ning koue fou, 6 hien.
4. Tchi tcheou fou, 6 hien.
5. Tai ping fou, 3 hien.
6. Fong yang fou, 3 tcheou et 13 hien.




III°. PROVINCE.
KIANG SI,
subdivisée en 13 Fou

1. Nan tchang fou, métropole de la province, où réside le gouverneur de la province. Ce fou gouverne 1 tcheou et 7 hien.

2. Iao tcheou fou, 7 hien.
3. Quang fin fou, 7 hien.
4. Nan kang fou, 4 hien.
5. Kieou Kiang fou, 5 hien.
6. Kien tchang fou, 5 hien.
7. Fou, ou Vou tcheou fou, 6 hien.
8. Ling kiang fou, 4 hien.
9. Kin gan fou, 9 hien.
10. Choui tcheou fou, 3 hien.
11. Yuen tcheou fou. 4 hien.
12. Kan tcheou fou. 12 hien.
13 Nan ngan fou, 4 hien.




IV° PROVINCE.
FO KIEN.
subdivisée en 9 Fou.

1. Fou tcheou fou, métropole de la province, où réside le tsong tou des deux provinces Fo Kien et Tche Kiang, et où réside aussi le gouverneur de Fo kien. Ce fou gouverne 9 hien.

2. Tsuen tcheou fou, 7 hien.
3. Kien ning fou, 8 hien.
4. Yen ping fou, 7 hien.
5. Ting tcheou fou, 8 hien.
6. Hing hoa fou, 2 hien.

7. Chao ou fou. 4 hien.
8. Tchang tcheou fou. 10 hien.
9. Tai van fou. 2 hien.




V° PROVINCE.
TCHE KIANG.
subdivisée en onze Fou.

1 Hang tcheou fou, métropole de la province où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 9 hien.

2. Kia hing fou, 7 hien.
3. Hou tcheou fou, 1 tcheou et 6 hien.
4. Ning po fou, 6 hien.
5. Chao hing fou, 8 hien.
6. Tai tcheou fou, 6 hien.
7. Kin hoa fou, 8 hien.
8. Kiu tcheou fou, 5 hien.
9. Nien, ou Yen tcheou fou, 6 hien.
10. Ouen tcheou fou, 5 hien.
11. Tchu tcheou fou, 10 hien.




VI°. PROVINCE.
HOU QUANG,
partagée en deux Parties, Septentrionale et Méridionale.
PARTIE SEPTENTRIONALE SUBDIVISÉE EN HUIT FOU.

1. Vou tchang fou. La Métropole de toute la province, et la capitale de la partie boréale nommée Hou pe. Là réside le Tsong tou des deux parties, et le Gouverneur du Hou pe. Ce fou gouverne un tcheou et 9 hien.

2. Han yang fou. 2 hien.
3. Ngan lou fou. 2 tcheou et 5 hien.
4. Siang yang fou. 1 tcheou et 6 hien.
5. Yuen yang fou. 6 hien.
6. Te ngan fou. 1 tcheou et 5 hien.
7. Hing Tcheou fou. 2 tcheou et 11 hien.
8. Hoang Tcheou fou. 1 tcheou et 8 hien.


PARTIE MERIDIONALE SUBDIVISEE EN SEPT FOU,

1. Tchang tcha fou, capitale de la partie méridionale, nommée Hou nan, où réside le gouverneur du Hou nan. Ce fou gouverne 1 tcheou et 11 hien.
 
2. Yo Tcheou fou. 1 tcheou et 7 hien.
3. Pao hing fou. 1 tcheou et 4 hien.
4. Hing Tcheou fou. 1 tcheou et 9 hien.
5. Tchang te fou. 4 hien.
6. Tching Tcheou fou. 1 tcheou et 6 hien.
7. Yung Tcheou fou. 1 tcheou et 7 hien.




VII°. PROVINCE.
HO NAN,
subdivisée en huit fou.

1. Cai fong fou, métropole de la province où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 4 tcheou et 30 hien.

2. Koue te fou. 1 tcheou et 8 hien.
3. Tchang te fou. 1 tcheou et 6 hien.
4. Oue Kiun fou. 6 hien.
5. Hoai king fou. 6 hien.
6. Ho nan fou. 1 tcheou et 13 hien.
7. Nan yang fou. 2 tcheou et 10 hien.
8. Iu nhing fou. 2 tcheou et 12 hien.




VIII°. PROVINCE.
CHAN TONG,

subdivisée en six Fou.

1. Tsi nan fou, métropole de la province où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 4 Tcheou et 26 Hien.

2. Yen Tcheou fou. 4 Tcheou et 23 Hien.
3. Tong tchang fou. 3 Tcheou et 15 Hien.
4. Tsing Tcheou fou. 1 Tcheou et 13 Hien.
5. Teng Tcheou fou. 1 Tcheou et 7 Hien.
6. Lai Tcheou fou. 2 Tcheou et 5 Hien.




IX° PROVINCE.
CHAN SI,
subdivisée en cinq Fou.

1. Tai yuen fou, métropole de la province où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 5 Tcheou et 20 Hien.

2. Ping yang fou. 6 Tcheou et 28 Hien.
3. Lou yang fou. 8 Hien.
4. Fen Tcheou fou. 1 Tcheou et 7 Hien.
5. Tai tong fou. 4 Tcheou et 7 Hien.




X° PROVINCE.
CHEN SI,

partagée en deux Parties, Orientale et Occidentale, chacune est subdivisée en quatre Fou.

PARTIE ORIENTALE. Y tong.

1. Si ngan fou, Métropole de toute la Province, et Capitale de la Partie Orientale Y tong. Là réside le Tsong tou des deux parties.

Parties du Chen si, et de la Province de Se tchuen. Là réside aussi le Gouverneur de la Partie Orientale. Ce fou gouverne 6 tcheou et 31 hien.

2. Yen nan fou. 3 tcheou et 16 hien.
3. Fong tsiang fou. 1 tcheou et 7 hien.
4. Han tchang fou. 2 tcheou et 14 hien.


PARTIE OCCIDENTALE Yi si.

1. Ping leang fou gouverne 3 tcheou et 7 hien.
2. Kong tchang fou. 3 tcheou et 10 hien.
3. Ling tao fou. 2 tcheou et 3 hien.
Lan tcheou est un des tcheou où réside le gouverneur de la partie occidentale.

4. Hing yang fou.




XI°. PROVINCE.
SE TCHUEN,
subdivisée en dix fou.

1. Tching tou fou, métropole de Se tchuen, où réside le viceroi. Ce fou gouverne 6 tcheou et 19 hien.

2. Pao ning fou. 2 tcheou et 8 hien.
3. Chun king fou. 2 tcheou et 7 hien.
4. Su tcheou fou. 10 hien.
5. Tchong king fou. 3 tcheou et 11 hien.
6. Ouei tcheou fou. 1 tcheou et 9 hien.
7. Ma hou fou. 1 hien.
8. Long ngang fou. 3 hien.
9. Tsun y fou.
10. Tong tchuen fou.




XII° PROVINCE.
QUANG TONG,
subdivisée en dix fou.

1. Quang tcheou fou, métropole de la province où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 1 tcheou et 16 hien.

2. Chao tcheou fou. 6 hien.
3. Nan hiung fou. 2 hien.
4. Hoei tcheou fou. 1 tcheou et 10 hien.
5. Tchao tcheou fou. 11 hien.
6. Tchao King fou, où demeure le Tsong tou de Quang tong et de Quang si, gouverne 1 tcheou et 11 hien.

7. Cao tcheou fou. gouverne 1 tcheou et 5 hien.
8. Lien tcheou fou. 1 tcheou et 2. hien.
9. Loui tcheou fou. 3 hien.
10 Kiun tcheou fou, dans l’Isle de Hai nan. 3 tcheou et 10 hien.




XIII°. PROVINCE.
QUANG SI,
subdivisée en douze fou.

1. Quei ling fou, métropole de la province, où réside le gouverneur. Ce fou gouverne 2 tcheou et 7 hien.
2. Leou tcheou fou 2 tcheou et 10 hien.
3. King yuen fou. 2 tcheou et 5 hien.
4. Se nguen fou. 1 tcheou et 2 hien.
5. Ping lo fou. 1 tcheou et 7 hien.
6. Ou tcheou fou. 1 tcheou et 9 hien.
7. Tsin tcheou fou. 3 hien.
8. Nan ning fou. 4 tcheou et 3 hien.
9. Tai ping fou. 12 tcheou et 2 hien.

10. Se ming fou gouverne 4 tcheou.
11. Tchin ngan fou. 1 tcheou.
12. Se tching fou. 2 tcheou.




XIV° PROVINCE.
YUN NAN,

subdivisée en dix-neuf fou.

1. Yun nan fou, métropole de la province, où réside le tsong tou d’Yun nan et de Koei tcheou et où réside aussi le gouverneur de la province. Ce fou gouverne 4 tcheou et 7 hien.

2. Tali fou. 4 tcheou et 3 hien.
3. Ling ngan fou. 4 tcheou et 5 hien.
4. Tchou (* ou Tsu ou Tsou) hiung fou. 2 tcheou.
5. Tchin kiang fou. 2 tcheou et 2 hien.
6. King teng fou. ni tcheou, ni hien.
7. Quang nan fou. ni tcheou, ni hien.
8. Quang si fou. 2 hien.
9. Chun ning fou. 1 tcheou.
10. Ku tcheou fou. 5 tcheou et 2 hien.
11. Yao ngan fou. 1 tcheou et 1 hien.
12. Ko king fou. 1 tcheou.
13. Ou ting fou. 2 tcheou et 1 hien.
14. Li kiang fou. nul tcheou, nul hien.
15. Yuen kiang fou. de même.
16. Mong hoa fou. de même.
17. Yung tchang fou. 1 tcheou et 2 hien.
18. Yung pe fou. sans tcheou, sans hien.
19. Cai hoa fou. de même.




XV° PROVINCE.
KOEI TCHEOU,
subdivisée en onze fou.

ï. Koei yang fou, Métropole de la Province, où réside le Gouverneur. Ce fou gouverne 3 tcheou et 4 hien.

2. Se tcheou fou. ni tcheou, ni hien.
3. Se nan fou. 3 hien.
4. Tchin yuen fou. 2 hien.
5. Che tsin fou. 1 hien.
6. Tong gin fou. 1 hien.
7. Li ping fou. 1 hien.
8. Ngan chan fou. 3 tcheou et 5 hien.
9. Tou yun fou. 2 tcheou et 2 hien.
10. Ping yue fou. 1 tcheou et 4 hien.
11. Ouei ning fou. 3 tcheou et 3 hien.



Nature du terroir de ces provinces.

A voir cette liste, on pourrait penser que les provinces les plus grandes et les meilleures, sont celles qui ont le plus de ces villes dans leur dépendance. Cela serait vrai, si la nécessité de contenir des peuples à demi sauvages, ou qui portent impatiemment le joug de l’autorité tels qu’il y en a dans certaines contrées, n’avait pas obligé les empereurs à multiplier les mandarins considérables. D’où il est arrivé que les contrées les moins fertiles, comme sont celles de Koei tcheou, en ont à proportion un plus grand nombre, que les plus belles provinces.

Il est vrai, qu’à parler en général, les terres de toutes les provinces, et même celles de Koei tcheou, sont assez abondantes, qu’elles rapportent même deux fois l’an dans certains pays, et qu’en d’autres le travail infatigable des laboureurs leur donne une fécondité, qu’on ne devrait pas espérer de la nature du terroir. C’est, par exemple, un effet de leurs soins, que le blé croisse dans des lieux bas et aquatiques.

Mais comme les terres propres à être ensemencées, ne sont pas en assez grand nombre dans plusieurs provinces remplies de montagnes, la plupart incapables de culture, cela fait qu’il y a une très grande différence entre elles ; et il arrive que tout ce qui se recueille dans l’empire, ne suffit qu’à peine pour l’entretien de tant d’habitants.

Ce ne sont pas les seules provinces d’Yun nan, de Koei tcheou, de Se tchuen, de Fo kien, qui sont si montueuses, qu’elles ne sauraient être suffisamment cultivées. La province de Tche kiang si féconde dans sa partie orientale, a des montagnes affreuses à l’occident. Les terres des provinces de Quang tong et de Quang si, si belles et si fertiles le long de la mer, deviennent affreuses et presque stériles dans plusieurs endroits à mesure qu’on s’en éloigne. La province de Kiang nan a tout le grand district de Hoei tcheou fou, plein de montagnes très hautes et presque inhabitables. On en voit encore plus dans les provinces de Chen si et de Chan si, ce qu’il y a de plaines mises ensemble, ne va pas à la quatrième partie de ces provinces.

Quand on vient de la province de Quang tong, qu’on a navigué entre les montagnes escarpées, qui en bordent la rivière, et qu’on a passé ensuite, après une journée de chemin par le Mei lin, dans la rivière de la province de Kiang si, on commence alors à découvrir le plus beau pays de la Chine, partie sur le plus grand fleuve, où sont les belles villes de Ngan king fou, Kiang ning fou, ou Nan King, et Tchin kiang fou, partie sur le grand canal, yu leang ho, bordé des villes les plus riches et les plus peuplées de la province de Kiang nan, comme Hoai ngan fou, Yang tcheou fou, Tchang tcheou fou, Sou tcheou fou et partie sur les bords de la mer de la province de Tche kiang, où sont les terres de Hang tcheou fou métropole, de Hou tcheou fou, de Kia hing fou, qui seules fournissent plus de soie à la Chine que toutes les terres des autres provinces.

On ne peut en effet rien voir de plus beau que ces campagnes, toutes unies et mises, ce semble, au niveau. Elles sont semées de villes et de gros villages, et coupées d’une infinité de canaux tous navigables, sans qu’où y coure le moindre danger : l’eau en est belle et excellente à boire. Ces canaux se communiquent les uns aux autres, et sont couverts d’un nombre incroyable de barques magnifiques. Ces campagnes sont cultivées avec un soin et un travail, dont il n’y a que le peuple chinois qui soit capable ; elles sont du reste si fertiles, qu’en plusieurs endroits elles produisent du riz deux fois l’année. Il arrive même assez souvent qu’entre les deux récoltes elles donnent encore de petits grains et du froment.

Mais qui jugerait du gros de la Chine par cette contrée, s’en ferait certainement une fausse idée. La connaissance d’un certain nombre de villes fort étendues, ne suffit pas pour en porter un jugement exact ; et, sans l’occasion qu’ont eu les missionnaires de parcourir l’empire pour en dresser la carte géographique, nous ignorerions encore que dans la plupart des grands gouvernements, on trouve des contrées de plus de vingt lieues très peu peuplées, presque incultes, et assez souvent si sauvages, qu’elles sont tout à fait inhabitables.

Comme ces contrées sont éloignées des grandes routes qu’on suit dans les voyages ordinaires, elles ont aisément échappé à la connaissance des autres missionnaires, et des auteurs des relations imprimées. Si quelques-uns d’eux louent beaucoup la province de Chen si et de Se tchuen, c’est qu’ils ont vu le district de Si ngan fou partagé en trente-sept villes, la plupart assez riches et bien peuplées. Il en est de même des éloges qu’ils font des terres de Tching tou fou, qui est coupé par des canaux faits à la main, sur le modèle de ceux des provinces de Kiang nan et de Tche kiang. Ils n’ont pas cru, sans doute, que les contrées qu’ils n’avaient pas eu occasion de voir, pussent être aussi différentes qu’elles le sont en effet, du pays qu’ils avaient parcouru.

Les provinces de Ho nan et de Hou quang, sont généralement estimées par ces écrivains, et elles méritent de l’être : car après celle de Kiang nan elles sont les plus peuplées et les plus fertiles. Ce n’est pas que le Ho nan n’ait du côté de l’ouest une assez grande étendue de pays dépeuplée et inculte, et que le Hou quang n’ait aussi des déserts encore plus vastes. Mais c’est que, vu la quantité des terres naturellement fertiles, l’abondance est dans ces deux provinces, presque toujours assez grande, pour fournir du riz et d’autres grains aux provinces voisines, et surtout à celle de la cour : car quoique la province de Pe tche li ne soit qu’une vaste et large plaine, bornée à l’ouest et au nord par des montagnes, et à l’est par l’océan, le terroir en est toutefois si sec et si peu arrosé de ruisseaux, qu’il ne produit presque point de riz, dont les Chinois ont peine à se passer. Il ne produit que du froment, avec quantité de petits grains. C’est ce qui fait que cette province, et surtout Peking, qui est l’abord de tout l’empire, ne peut subsister sans le secours des denrées qui s’apportent de ces provinces, et de presque toutes les autres provinces de l’empire.

A parler en général, tout ce qui est en deçà du nord du fleuve Hoang ho n’est guère plus fertile en riz que le Pe tche li, et ne compte que sur la récolte du froment, des petits grains, et des légumes. Cependant si les Chinois prenaient autant de soin à cultiver les arbres fruitiers, qu’on en prend en Europe pour avoir de beaux vergers, ils auraient presque toutes les sortes de fruits qu’on y trouve. Les noyers, les châtaigniers, les pruniers, les poiriers, les pommiers, les pêchers, les abricotiers, les cerisiers, y viennent bien presque partout. Les vignes, les figuiers, les grenadiers, multiplient extrêmement en certains cantons de ces provinces boréales. La différence qui se trouve, est qu’ils ont moins d’espèces de chaque fruit. Ils n’ont que trois ou quatre sortes de pommes, sept à huit sortes de poires, autant de pêches, et nulle bonne espèce de cerise.

Mais les Chinois en sont bien dédommagés par d’autres fruits excellents qui nous manquent : ils en ont un qui n’est nulle part en Europe ; ils l’appellent tse tse, et les Portugais de Macao lui donnent le nom de figues, parce que ce fruit étant séché devient farineux, et est aussi sucré que les figues. Les arbres qui le portent, quand ils sont entés, sont très beaux. On en voit un grand nombre surtout dans le nord de la province de Ho nan. Ils sont du moins aussi hauts et aussi touffus que nos noyers de médiocre grandeur. Les feuilles sont larges, d’un beau vert, mais sur l’arrière-saison elles deviennent d’un rouge agréable. Les fruits sont aussi gros que nos belles pommes ; à mesure qu’ils mûrissent, ils prennent une couleur aurore.

Quoiqu’ils soient de différente espèce, que les fruits des uns aient la peau plus délicate, plus transparente, et plus rougeâtre ; et que ceux de quelques autres, pour être mangés avec agrément, doivent mûrir sur la paille, il est toujours certain qu’ils sont tous agréables à la vue, et d’un bon usage. On en trouve aussi dans les provinces qui sont en deçà du Hoang ho, et ce n’est pas un petit avantage, que cette espèce d’arbre puisse croître dans des terroirs si différents.

Dans ces provinces méridionales la terre produit d’autres fruits, qui sont encore plus estimés des Chinois : car, outre les orange de plusieurs sortes, les limons, les citrons, qu’on a en Europe depuis bien des années, on trouve dans les provinces de Fo Kien, de Quang tong, de Quang si, deux espèces de fruits que nous n’avons pas. Celui qu’ils nomment li tchi (s’il est de la bonne espèce, car il y en a de plusieurs) est de la grosseur d’une datte ; son noyau est également long et dur ; il est couvert d’une chair molle, pleine d’eau, et d’un goût exquis : il ne conserve ce goût qu’en partie, lorsqu’il se sèche, et il devient noir et ridé comme nos prunes ordinaires : la chair est renfermée dans une écorce, qui au-dehors ressemble à du chagrin, mais qui est unie au-dedans, et d’une figure presqu’ovale.


Du Long yen

L’autre espèce, dont on fait à la Chine un grand débit, s’appelle en chinois long-yen c’est-à-dire, œil de dragon. Sa figure en est ronde, jaunâtre, la chair blanche, aqueuse, et souvent aigrelette. On prétend que si elle n’est pas si agréable que celle du li-tchi, elle est plus saine et qu’elle ne fait jamais de mal. Quoiqu’il en soit, ces deux sortes de fruits sont excellents.

Mais les fruits qu’on appelle dans les Indes pamplimouse et à la Chine yeou tse, aussi bien que ceux qu’on nomme ici tçin lan ou quang lan n’ont rien pour le goût, qui doive les faire souhaiter.


Du Yeou tse

Les premiers sont ordinairement plus gros que nos citrons, la chair en est souvent rougeâtre, d’autrefois blanche, et a un goût d’aigre-doux. L’arbre est plus épineux que les citronniers.


Du Quang lang.

Les seconds sont d’une figure et d’une couleur qui approche de celle de nos grosses olives ; c’est une des dix espèces dont il est parlé dans les livres qui traitent des olives, et tout ce qu’ils expliquent de leur nature, de leur couleur, du terroir où elles croissent, leur convient très bien, et il y a lieu de croire que si l’on les préparait comme on les prépare en Europe, elles y auraient le même goût. L’arbre est grand, et la feuille est semblable à celle de nos oliviers.

Quand ils veulent cueillir les olives avant qu’elles soient dans leur parfaite maturité, et telles qu’on les cueille pour être mangées, au lieu de les abattre à grands coups de gaule, ce qui casse les branches, et nuit à l’arbre, il font un trou au tronc de l’arbre dans lequel ils mettent du sel, et après l’avoir bouché, on voit au bout de quelques jours le fruit se détacher et tomber de lui-même.

Parmi les autres arbres il ne faut pas en omettre deux qui, outre ce qu’ils ont de singulier, sont d’usage dans les repas.


Autres espèces d’arbres. Hoa tsiao

L’un produit une espèce de poivre nommé Hoa tsiao. C’est l’écorce d’un grain aussi gros qu’un pois, qui renferme un petit noyau d’un goût trop fort et trop âpre pour être employé. La couleur en est grise, mêlée de quelques filets rouges. La plante qui le produit, croît en quelques quartiers en buissons épais, et ailleurs en arbre assez haut. Son goût est moins piquant, et beaucoup moins agréable que celui de notre poivre, et ne sert guère que dans les ragoûts des gens du peuple.

L’autre arbre produit des pois ; sa figure, sa couleur, sa gousse, et le goût quoiqu’un peu sauvage, font voir qu’ils sont de l’espèce des pois ordinaires. L’arbre est assez commun dans plusieurs provinces ; il s’élève très haut ; il étend ses branches fort au large, et ne cède presqu’à aucun autre en grosseur.

Mais parmi les arbres dignes de l’attention du public, et capables d’exciter l’envie des Européens, il n’y en a pas qui la mérite mieux que les quatre, dont je vais parler.


Arbre du vernis

Le premier est l’arbre du vernis tsi chu. Il n’est ni haut, ni touffu, ni étendu ; son écorce est blancheâtre : sa feuille ne ressemble pas mal à celle des cerisiers sauvages. La gomme qu’il distille goutte à goutte, ressemble assez aux larmes de térébinthe. Il rend beaucoup plus de liqueur, si on lui fait une incision, mais il périt aussi plus tôt.

On dit ordinairement que cette liqueur tirée à froid, a je ne sais quelles qualités vénéneuses, dont on n’évite les mauvais effets qu’en tâchant de n’en pas recevoir la vapeur, quand on la change de vase, ou qu’on l’agite. C’est aussi une précaution qu’il faut prendre, quand on la cuit.

Quoiqu’il en soit, il est certain que ce vernis n’en est pas moins estimé, et qu’il est continuellement mis en œuvre par une infinité d’ouvriers. Il prend toutes les couleurs qu’on veut y mêler et s’il est bien fait, il ne perd rien de son lustre et de son éclat, ni par les changements de l’air, ni par la vieillesse du bois où on l’a appliqué.

Mais pour le bien faire, il faut du temps et du soin, car une ou deux couches ne suffisent pas, il y faut revenir plusieurs fois, attendre que la couche qui a été mise égale et mince, soit sèche sans être durcie, prendre garde si celle qu’on met est plus forte, ou d’une couleur plus foncée, et tâcher de venir peu à peu à un certain tempérament, qui seul rend l’ouvrage solide, uni, et éclatant : c’est ce que l’expérience seule apprend aux habiles ouvriers.

Comme il faut mettre quelquefois l’ouvrage dans des lieux humides, quelquefois même le tremper dans l’eau et enfin le tourner et en disposer à son gré : on en fait rarement de gros ouvrages, comme seraient les colonnes arrêtées sur des bases de pierre, dont les bâtiments chinois sont soutenus, celles de la grande salle de l’empire, qu’on décrira dans la suite, et celles de l’appartement de l’empereur ; toutes ces colonnes ne sont point enduites d’un vrai vernis, mais d’une autre liqueur qu’on nomme tong yeou.


Tong yeou, arbre dont on tire de l’huile

Le second arbre est le tong chu, duquel on tire cette liqueur, qui approche du vernis : quand on le voit d’un peu loin, on le prend pour un vrai noyer. Les mandarins tartares, qui étaient venus de Peking avec les missionnaires, et qui n’en avaient jamais vu, y furent trompés, tant il est semblable au noyer, soit par la forme et la couleur de l’écorce, soit par la largeur et le contour des feuilles, soit par la figure et la disposition des noix. Ces noix ne sont pleines que d’une huile un peu épaisse, mêlée avec une pulpe huileuse, qu’on pressure ensuite, pour ne pas perdre la plus grande quantité de la liqueur.

On rapporte que quelques domestiques, qui préparaient leur souper, s’étant servi d’un chaudron où on avait fait cuire cette huile quelques jours auparavant, en furent très incommodés : ce qui fait bien voir qu’elle tient de la malignité du vernis. Pour la mettre en œuvre, on la fait cuire avec de la litharge ; et on y mêle, si on veut, de la couleur : souvent on l’applique sans mélange sur le bois, qu’il défend de la pluie : on l’applique aussi sans mélange sur les carreaux qui forment le plancher d’une chambre ; ils deviennent luisants ; et pourvu qu’on ait soin de les laver de temps en temps, ils conservent leur lustre. C’est ainsi que sont faits les pavés des appartements de l’empereur et des Grands de l’empire.

Mais si on veut faire un ouvrage achevé, s’il s’agit, par exemple, d’orner une salle, une chambre, un cabinet, on couvre les colonnes et la boiserie de filasse, de chaux, ou d’autres matières semblables préparées en pâte. On laisse sécher le tout jusqu’à un certain degré ; ensuite ayant mêlé dans l’huile telle couleur qu’on veut, et après l’avoir fait cuire à l’ordinaire, on l’applique avec des brosses, suivant le dessein qu’on s’est formé. On dore quelquefois les moulures, les ouvrages de sculpture, et tout ce qui est relevé en bosse mais sans le secours de la dorure, l’éclat et le lustre de ces ouvrages ne cèdent guère à celui du vernis, que les Chinois nomment tsi.

Comme le vernis se vend assez cher, et qu’au contraire cette huile est à bon marché, les marchands ont accoutumé de mêler au vernis une assez grande quantité d’huile de tong-yeou sous prétexte qu’il en faut mettre un peu, pour que le vernis se délaie et s’étende plus aisément. C’est encore du tong-yeou qu’on fait des habits propres à se défendre de la pluie, tels que sont ceux qui se sont en Europe de toile cirée. Mais ils ne peuvent servir que dans les parties septentrionales.

Enfin on peut dire que l’arbre tong chu est un des plus utiles qui soit à la Chine, et qu’on aurait le plus de raison de souhaiter en Europe.


Arbre qui porte le suif.

Le troisième arbre est celui qui porte le suif. Il est de la hauteur d’un grand cerisier. Le fruit est renfermé dans une écorce qu’on appelle yen kiou, et qui s’ouvre par le milieu quand il est mûr, comme celle de la châtaigne. Il consiste en des grains blancs de la grosseur d’une noisette, dont la chair a les qualités du suif ; aussi en fait-on des chandelles, après l’avoir fait fondre, en y mêlant souvent un peu d’huile ordinaire, et trempant les chandelles dans la cire qui vient sur l’arbre dont je vais parler : il s’en forme autour du suif une espèce de croûte qui l’empêche de couler. J’en dirai davantage dans la suite.


Arbre où l’on prend la cire

Le quatrième est le plus rare : il se nomme pe la chu c’est-à-dire, l’arbre de la cire blanche. Il est moins haut que l’arbre du suif, dont il diffère aussi par la couleur de l’écorce, qui est blancheâtre, et par la figure des feuilles plus longues que larges. De petits vers s’attachent à ces feuilles et s’y étant enveloppés pendant quelque temps, y laissent des rayons de cire bien plus petits, que les rayons de miel faits par les abeilles. Cette cire est très dure, et très luisante, et coûte beaucoup plus cher que la cire des abeilles. Ces vers une fois accoutumés aux arbres d’un canton, ne s’en écartent qu’en certaines circonstances, et quand ils ont une fois disparu, on ne les voit plus revenir, et il en faut chercher d’autres. Il y a des marchands qui font ce commerce.


Des bambous

Nous joindrons aux arbres utiles, les cannes, que les Chinois appellent tchou tse et nos Européens bambous. Le jet en est aussi haut que le tronc de la plupart des arbres, et quoiqu’il soit creux en dedans, et qu’il ne soit plein que dans les nœuds, il ne laisse pas d’être très dur, capable de soutenir de grands fardeaux, et, en certains endroits, des maisons de bois assez vastes. On peut le couper en fils déliés, et alors on en fait des nattes, des boîtes, et différents ouvrages assez propres.

Lorsqu’on le brise par morceaux, et qu’on le laisse pourrir et bouillir dans l’eau, jusqu’à ce qu’il soit réduit en une espèce de pâte, on en fait plusieurs sortes de papier fin ou grossier qui a cours dans le commerce. Le bambou est encore d’usage dans les conduits d’eau, dans les canaux, et dans plusieurs autres occasions, dont le détail serait trop long. Au reste on en voit de tant de sortes dans les diverses provinces, soit pour la grosseur, soit pour la couleur, et les autres qualités, qu’il serait ennuyeux d’en faire la description.

Parmi les arbres qu’on emploie en Europe aux ouvrages de charpente et de menuiserie, il y en a peu qu’on ne trouve à la Chine. Dans les provinces septentrionales on emploie le sapin à bâtir. Dans les méridionales au-delà du grand fleuve, on le sert ordinairement de chamou.


Nan mou, bois très estimé à la Chine.

Le plus estimé de tous ces bois, est celui qui s’appelle en Chinois nan mou. Les colonnes des appartements et les salles anciennes du palais impérial, en sont toutes construites, de même que les fenêtres, les portes, et les poutres. Les relations en parlent comme du cèdre chinois, peut-être parce qu’il passe dans l’esprit de la nation pour un bois incorruptible, et qui, par cette raison, doit être préféré à tous les autres. Quand on veut faire un bâtiment, disent les Chinois, qui puisse durer toujours, il faut employer le seul bois de nan mou.

Cependant les feuilles de nan mou, au moins celles qui ont été vues des missionnaires, ne sont point semblables à celles des cèdres, telles qu’elles sont décrites par les auteurs qui ont vu les cèdres du mont Liban. Cet arbre est un des plus élevés qui soit. Le tronc en est fort droit. Il pousse ses branches suivant sa longueur : elles ne commencent néanmoins qu’à une certaine hauteur, et elles se terminent en bouquet vers la pointe.


Tse tan ou bois de rose.

Le nan mou estimé par les Chinois, n’a pourtant rien qui approche de la beauté du bois nommé tse tan, qu’on appelle à la cour bois de Rose. Il est d’un noir tirant sur le rouge, rayé, et semé de veines très fines, qu’on dirait être peintes. Il est d’ailleurs propre aux ouvrages les plus délicats de menuiserie. Les meubles qu’on fait de ce bois, sont fort estimés dans tout l’empire, et dans les provinces boréales : ils se vendent plus cher que ceux auxquels on a appliqué le vernis.


Bois de fer.

Si on a égard à la force et à la dureté, il n’y a peut être nulle part aucun bois, qui soit comparable à celui que les Portugais, pour s’accommoder à l’expression chinoise, tié ly mou, appellent Pao de ferro, c’est-à-dire, bois de fer. L’arbre est aussi haut que nos grands chênes ; mais il en est différent par la grosseur du tronc, par la figure de la feuille, par la couleur du bois, qui est plus obscure, et surtout par le poids.

Les ancres des vaisseaux de guerre sont faits de ce bois, et les officiers de l’empereur, qui accompagnèrent les missionnaires lorsqu’ils allèrent dans l’île Formose, ou Tay ouan, prétendaient qu’elles étaient meilleures que les ancres de fer des vaisseaux marchands chinois ; c’est de quoi nous ne conviendrions pas. Car les pattes ne sauraient être assez aiguës, ni assez fortes, pour rendre l’ancrage bien sûr ; et en donnant, comme ils font, à la verge, plus du double de la longueur des ancres de fer, ils en diminuent la force, quelque grande qu’ils la veuillent supposer dans cette espèce de bois.


Arbrisseaux. Thé. Ses différentes espèces.

Si des arbres on passe aux arbrisseaux, ceux qui portent le thé, doivent être placés au premier rang, parce qu’ils sont à la Chine d’un plus grand et d’un meilleur usage. Le nom de Thé nous est venu du patois, qui se parle à Tsuen tcheou, et à Tchang tcheou fou de la province de Fo kien. Dans le reste de l’empire on se sert du mot tcha comme on le nomme aussi dans les relations portugaises. Mais ce mot comprend bien des espèces de thé, si l’on distingue toutes celles qui dans les provinces ont quelques différences par rapport au nom. A en juger cependant par les propriétés, on peut en quelque manière les réduire toutes à quatre : savoir au song lo tcha, au vou y tcha, au pou eul tcha et au lo ngan tcha.

Le premier est ainsi appelé d’une montagne de Kiang nan dans le ressort de Hoei tcheou fou, dont la latitude est de 29 degrés 58 minutes 30 secondes, qui s’appelle Song lo chan. Elle n’est ni haute, ni fort étendue : elle est toute couverte de ces arbrisseaux, qu’on y cultive sur son penchant, de même qu’au bas des montagnes voisines.

On plante ces arbrisseaux du thé song lo, que nous appelions thé vert, à peu près comme les vignes, et on les empêche de croître ; sans quoi ils iraient jusqu’à six et sept pieds de hauteur : il faut même les renouveler après quatre ou cinq ans, autrement la feuille devient grossière, dure et âpre. La fleur en est blanche, et a la forme d’une rose composée de cinq feuilles. Quand la fleur se passe dans l’arrière saison, on trouve sur la plante une baie, qui a la figure d’une noix charnue, peu humide, et sans mauvais goût.

Ce que je dis de la hauteur de ces arbrisseaux, regarde ceux qui croissent dans la province de Kiang nan ; car ailleurs on laisse croître ces arbrisseaux à leur hauteur naturelle, qui va jusqu’à dix ou douze pieds. C’est pourquoi quand l’arbre est jeune, on fait pencher les branches pour en cueillir plus aisément les feuilles. Le Song lo tcha conservé pendant plusieurs années, est un excellent remède contre plusieurs maladies.

Le Vou y tcha naît dans la province de Fo kien et tire aussi son nom de la fameuse montagne Vou y chan située dans le district de Kien ning fou et éloignée de deux lieues de la petite ville de Tsong gan hien au 27e degré de latitude nord 47 minutes 38 secondes, suivant des observations faites sur le lieu. Cette montagne est la plus célèbre de la province : on y voit quantité de temples, de maisons, d’hermitages de bonzes de la secte de Tao kia qui y attirent un grand concours de peuples.

Dans le dessein de faire passer cette montagne pour le séjour des immortels, ils ont fait placer des barques, des chariots, et d’autres choses de cette nature, dans les trous des rochers les plus escarpés, le long d’un ruisseau qui en fait le partage : de sorte que ces ornements, tout bizarres qu’ils sont, paraissent au peuple grossier, tenir du prodige, et n’avoir été mis dans ces endroits impraticables, que par une force plus qu’humaine. La terre de la montagne qui produit cette plante, est une terre légère, blanchâtre, et sablonneuse.

La hauteur, la grosseur, la culture des arbrisseaux Vou y tcha est la même que celle des arbrisseaux Song lo tcha. La seule différence qu’il y ait, c’est que les feuilles du Song lo sont plus longues et plus pointues, que leur décoction rend l’eau verte, et qu’on s’aperçoit aisément par l’usage qu’il est corrosif. Au contraire les feuilles du Vou y tcha sont courtes, plus arrondies, un peu noirâtres, et donnent à l’eau une couleur jaune, sans aucune âpreté, et sans rien avoir, dont l’estomac le plus faible ne puisse s’accommoder. Aussi le Vou y tcha est-il généralement dans tout l’empire, le thé le plus recherché pour l’usage ; on a peine à en avoir de bon dans les provinces septentrionales, où l’on ne vend ordinairement que de celui qui est composé de feuilles déjà grosses. Car plus les feuilles du vou y cha de même que celles du Song lo, sont jaunes, tendres et fines, plus elles sont estimées. On en fait sur les lieux de trois sortes.

La première est de la feuille qui a été cueillie sur les arbrisseaux les plus récemment plantés, ou, comme s’expriment les Chinois, de la première pointe des feuilles. C’est ce qu’ils appellent Mao tcha : on ne s’en sert guère que pour faire des présents, ou pour l’envoyer à l’empereur.

La seconde est des feuilles, dont la croissance est sensible. C’est celui qu’on vend sous le nom de bon Vou y tcha. Ce qui reste ensuite sur les arbrisseaux de feuilles, qu’on laisse grossir, fait la troisième espèce, qui est très bon marché.

On en fait encore une autre espèce de la fleur même ; mais il faut le commander, et avancer un prix excessif pour l’avoir. Les missionnaires géographes en ayant trouvé un peu par le moyen des mandarins, en firent préparer deux ou trois fois à la manière ordinaire, sans jamais remarquer aucun effet sensible : l’eau ne prit presque point de couleur, à peine avait-elle quelque goût et c’est apparemment pour cela que ce thé n’est pas en usage, non pas même dans le palais, ni pour la bouche de l’empereur. Le Thé impérial est celui que nous avons nommé avec les Chinois Mao tcha : on en trouve à vendre dans les lieux voisins des montagnes Song lo et Vou y pour 40 à 50 sols la livre.

À ces deux espèces de Thé ou de Tcha, on doit rapporter toutes les autres sortes, auxquelles on donne différents noms, comme sont le Lou ngan tcha, le Hai tcha, etc. Le Lou ngan tcha tire son nom de la ville de Lou ngan tcheou : quoique le bon Thé de cette espèce ne se trouve et ne se cultive que sur la pente des collines de la petite ville nommée Ho chan hien, qui en est éloignée de sept lieues. L’ayant examinée sur les lieux, on n’y remarqua aucune différence du Song lo tcha, ni dans la structure des feuilles, ni dans la manière dont on le cultive. S’il donne à l’eau une autre couleur, et si étant frais il paraît au goût un peu moins âpre ou moins corrosif, cela se peut attribuer à la diversité du terroir, dont l’effet est sensible dans plusieurs plantes, et surtout, comme on le voit en Europe, dans les vignes d’une même espèce de raisins, qui sont plus doux ou plus âpres dans les différents cantons d’une province assez petite, et encore plus dans les terres des provinces éloignées.

Les Chinois cependant trouvent que l’effet en est fort différent. Le Song lo est chaud et corrosif ; le thé Lou ngan n’est point corrosif, et est tellement tempéré qu’il n’est ni froid, ni chaud. Il est estimé propre à conserver la santé. Le Hai tcha vient de Kan tcheou fou de la province de Kiang si et ne diffère en rien du Lou ngan tcha, non pas même dans le goût plus ou moins âpre. Ainsi on peut dire qu’il est de l’espèce du Song lo tcha.

Il en est ainsi des autres espèces de thé : par exemple, celui dont se servent les Mongols en Tartarie, et qu’on nomme Kaiel tcha ou Kartcha, n’est composé que de feuilles, soit du Song lo, soit du Vou y tcha qu’on a laissé grossir, et qu’on mêle sans choix, parce que les Chinois jugent que tout est bon pour des Tartares, qui sont incapables de distinguer le thé grossier du thé délicat, et qui sont accoutumés à le mêler avec le lait, dont ils font un breuvage assez agréable et assez nourrissant, qu’ils prennent indifféremment à toutes les heures du jour.

Mais il ne faut pas aussi confondre avec le vrai thé, tout ce que les Chinois appellent tcha. Car ils prodiguent ce nom à des plantes qui ne le méritent pas et qui sont en effet nommées autrement par ceux qui n’ont pas intérêt de les faire valoir. Par exemple, dans la province de Chan tong, ce qu’on vend sous le nom de Meng ing tcha comme un thé admirable, n’est proprement qu’une mousse, qui croît sur les rochers d’une montagne de la ville Meng ing hien. Le goût en est fort amer. En quoi elle a quelque rapport au vrai thé, c’est qu’elle facilite la digestion, quand on la boit chaude après le repas.

On voit du thé semblable dans quelques endroits des provinces encore plus boréales que Chan tong ; quoiqu’il ne soit pas fait de feuilles, il ne laisse pas d’être appelé par les marchands tcha yé, feuilles de thé. Dans le pays où le vrai thé ne croît pas communément, tout ce qui a du rapport au goût ou aux effets du thé, s’emploie par le peuple, qui n’y fait pas tant d’attention, et à qui ce thé, tout grossier qu’il est, devient un régal. On en cueille assez souvent sur des arbres, qui ayant été transplantés depuis fort longtemps, ont dégénéré par la diversité du sol qui ne leur convient pas. Et pour en diminuer le prix, on en fait sa provision, lorsque les feuilles ont vieilli, et sont devenues dures et grandes : aussi le goût en est-il âpre et insipide, quoique d’ailleurs il produise les mêmes effets dans ceux qui le prennent, que produit l’usage ordinaire du thé, soit de celui que les Chinois appellent Song lo tcha, soit de celui qu’ils appellent Vou y tcha.

La troisième espèce de thé est de celui que nous avons nommé Pou eul tcha, qui signifie, thé du village Pou eul. Ce village est dans la province d’Yun nan et est limitrophe du Pegou, d’Ava, de Laos, et de Tung king. Le commerce de cette plante rend ce village considérable. Les marchands s’y rendent, parce qu’il est le plus voisin des montagnes qui produisent cette sorte de thé : l’entrée en est défendue aux étrangers par les gens du pays. On permet à quelques-uns d’approcher jusqu’aux pieds des montagnes, pour recevoir la quantité de thé, dont ils sont convenus.

C’est d’eux qu’on a appris que les arbres de ce thé sont hauts, touffus, plantés sans ordre, qu’ils croissent sans culture. Les feuilles sont plus longues et plus épaisses que celles du Song lo tcha et du Vou y tcha. On roule ces feuilles, et on en fait une masse, qui se vend à bon prix. Ce thé est d’un usage commun dans les provinces d’Yun nan et de Koei tcheou : il n’a rien d’âpre au goût mais aussi il n’a rien d’agréable. On coupe en morceaux cette boule : on en jette dans l’eau bouillante, comme on fait pour l’autre sorte de thé ; l’eau en devient rougeâtre.

Les médecins chinois assurent que cette boisson est salutaire : elle paraît l’être en effet. Les missionnaires et ceux de leur suite s’en trouvèrent bien dans les légères incommodités, qui sont inséparables d’un grand voyage, telles que sont certaines échauffaisons causées partie par l’assiduité du travail, partie par les chaleurs excessives de l’été. Elle est surtout excellente pour apaiser les douleurs de la colique, pour arrêter le cours de ventre, pour rendre l’appétit, mais alors pour la dose, elle doit être une fois plus forte que celle du thé ordinaire.


Arbre dont on tire de l'huile

Il y a un autre arbre qui produit un fruit, dont on tire l’huile nommée tcha yeou. Cette huile, lorsqu’elle est fraîche, est peut-être la meilleure de la Chine. Quoique par le contour de la feuille, par la couleur du bois, et par quelques autres qualités, il approche beaucoup des arbrisseaux du vou y tcha, il en est néanmoins différent non seulement par sa grandeur, par sa grosseur, par sa structure, mais encore par les fleurs et par les fruits qui sont naturellement huileux, et qui le deviennent encore davantage lorsqu’on les garde après la récolte.

Ces arbres sont d’une médiocre hauteur, et croissent sans aucune culture sur le penchant des montagnes, et même dans les vallées pierreuses. Ils portent des baies vertes d’une figure irrégulière, remplies de quelques noyaux médiocrement durs, et plutôt cartilagineux que osseux.


Arbrisseaux qui portent des fleurs.

Les arbres et arbrisseaux à fleurs sont en grand nombre dans toutes les provinces de cet empire. Les Chinois ont en cela de l’avantage sur les Européens, comme les Européens en ont sur eux pour les fleurs qui viennent de graines et d’oignons. On y voit de grands arbres couverts de fleurs qui ressemblent parfaitement à la tulipe. Un autre porte des fleurs semblables à la rose, qui mêlées parmi ses feuilles vertes, font un très bel aspect.

Parmi les arbrisseaux, je n’en sache guère que trois ou quatre espèces, dont les fleurs soient odoriférantes. Celles que les Chinois nomment mo li hoa sont les plus agréables. L’arbrisseau qui les porte, croît aisément dans le sud, à une assez bonne hauteur, mais dans le nord de la Chine il ne devient jamais plus haut que de cinq à six pieds, quoiqu’on ait soin pendant l’hiver de le conserver dans des serres faites exprès. Sa fleur ressemble beaucoup à celle du jasmin double, soit pour la figure, soit pour la couleur. L’odeur en est plus forte, et n’en est pas moins agréable. La feuille en est entièrement différente, et approche plus de celle des jeunes citroniers.

L’arbre qui porte les fleurs nommées kuey hoa, qui est très commun dans les provinces méridionales, et quelquefois aussi haut qu’un chêne, est rare dans tout le nord de la Chine : ces fleurs sont petites, de différente d’une odeur très douce. C’est principalement dans les provinces de Tche kiang, de Kiang si, d’Yun nan et Quang si, qu’on en voit des arbres fort hauts ; et c’est dans ces arbres, qui sont de la même espèce que les arbrisseaux, qu’on remarque encore mieux, que les feuilles ressemblent à celles de nos lauriers.

Ces fleurs sont ordinairement jaunes, très petites, et pendent à l’arbre en une si grande quantité de grappes, que quand elles tombent, la terre en est toute couverte : l’odeur en est si agréable que l’air en est parfumé fort au loin. Il y en a qui donnent des fleurs aux quatre saisons. Lorsque la fleur est tombée, l’arbre pousse en assez peu de temps d’autres fleurs ; de sorte qu’on en a très souvent même en hiver.

Il y a encore une espèce de plante, qu’on ne conserve hors des provinces maritimes, qu’avec beaucoup de soin. C’est celle qui porte la fleur nommée lan hoa y ou lan ouey hoa. Son odeur a encore plus d’agrément que celle du mo li hoa ou du kuey hoa ; mais la vue en est moins belle et sa couleur la plus ordinaire tire un peu sur la cire.

Les fleurs les plus doubles et les plus belles à voir, mais qui n’ont nulle odeur, croissent en roses sur des arbres et arbrisseaux, qu’on croirait être une espèce de pêcher et de grenadier. Elles sont d’une couleur très vive, et ne produisent aucun fruit.

Un arbrisseau, qui a encore moins de rapport aux nôtres, est celui que les Chinois nomment à Peking ouen kuang chu : car il a au moins trois noms différents suivant les provinces différentes. La couleur de la fleur est blanche ; mais ses feuilles étant rangées, sont comme une double, et même comme une triple rose. Le calice devient ensuite un fruit de la figure d’une pêche, mais dont le goût est tout à fait insipide : il est rempli dans ses loges de quelques pépins, ou plutôt de semences couvertes d’une peau cartilagineuse et noirâtre.

Les pivoines sont en plusieurs endroits de la Chine, beaucoup plus belles que celles d’Europe ; et, sans parler de la diversité des couleurs, elles ont encore dans quelques endroits cela de singulier, qu’elles répandent une odeur douce et tout à fait agréable. C’est ce qu’on trouve de meilleur dans les parterres de fleurs, où l’on ne voit d’aucune autre espèce de fleurs, qui puisse entrer en comparaison avec nos œillets, nos tulipes, nos renoncules, nos anémones, et autres fleurs semblables.

Dans les viviers faits exprès, et souvent dans les marais, on voit des fleurs que les Chinois estiment beaucoup : ils les appellent lien hoa et les cultivent avec grand soin. Il est cependant vraisemblable que ce sont des fleurs de nénuphar, ou de nymphéa, dont on fait peu de cas en Europe. Pour s’en assurer, il suffit de considérer les feuilles, le fruit, et la tige : mais le soin qu’on en prend, fait que les fleurs sont doubles, et ont même, dit-on, jusqu’à cent feuilles ; les couleurs en sont plus vives et plus variées qu’en Europe. Dans les fleurs simples, comme dans les nôtres, le calice n’a d’ordinaire que cinq feuilles, dont le pistil se grossit en forme de cône, et est partagé dans sa longueur en plusieurs loges, où l’on trouve des fruits fort blancs, plus gros que nos fèves.

On attribue à cette plante, dont on fait usage dans tout l’empire, grand nombre de belles qualités ; quelques-unes paraissent être certaines, comme lorsqu’on assure qu’elle est rafraîchissante ; d’autres incertaines, comme lorsque les Chinois disent qu’elle amollit le cuivre dans la bouche, en le mêlant avec un morceau de la racine. J’aurai occasion d’en parler ailleurs. Ce qu’on appelle en chinois pe tsi, est vraisemblablement une espèce de petit nénuphar : le suc n’a rien au goût de corrosif, quoiqu’il soit agréable.


Herbes potagères.

Le menu peuple de la Chine ne vivant presque que d’herbes, de racines, et de légumes, avec le riz qui est la nourriture ordinaire, ils cultivent avec soin leurs jardins potagers, et ils sont très attentifs à ne pas laisser le moindre morceau de terre inutile ; ils en sèment ou plantent différentes espèces, qui se succèdent les unes aux autres, de telle manière qu’ils ne laissent jamais reposer leurs terres. Ils en ont un très grand nombre, plusieurs de celles que nous avons en Europe, et plusieurs autres que nous n’avons pas.

Les semences des choux cabus, l’oseille, la ruë, et quelques autres, qu’on a fait venir des Indes, meurent ou dégénèrent au bout de deux ou trois ans ; ils ont cependant de vrais choux, mais ils ne pomment point, ils ont aussi le persil depuis longtemps, puisqu’il a un nom dans leurs livres, et qu’ils l’appellent chin tsai ; mais il n’a ni la beauté, ni la douceur du nôtre.

Parmi les herbes potagères que nous n’avons pas, il n’y a guère que celle qu’ils nomment pe tsai, qui mériterait d’avoir place dans nos bons potagers : aussi est-elle excellente et d’un très grand usage. Quelques-uns l’ont prise pour une espèce de laitue, mais ils se trompent : car si par les premières feuilles elle ressemble assez à la laitue romaine, elle en est différente par la fleur, par la semence, par le goût, et par sa hauteur ; elle est meilleure dans les pays du nord, ou on la laisse attendrir par les premières gelées blanches.

La quantité qu’ils en sèment, est presque incroyable. Dans les mois d’octobre et de novembre, les neuf portes de Peking sont embarrassées de chariots qui en sont chargés, et qui défilent depuis le matin jusqu’au soleil couchant ; ils multiplient comme à l’infini les espèces ordinaires, qui naissent le plus facilement dans chaque terroir. Ils les salent ou les font confire, afin de les conserver et de les mêler avec le riz pour lui donner du goût ; car le riz n’étant cuit qu’à l’eau, est pour l’ordinaire insipide.

Il y a quelques provinces méridionales où l’on cultive dans les jardins des mauves : on en fait bouillir la feuille, et on l’apprête avec de la graisse ou avec de l’huile, comme nous préparons nos laitues ou nos épinards avec du beurre. Ce légume est très sain et laxatif, sans causer aucune incommodité.


Herbes médicinales.

Les herbes médicinales, qu’on ne trouve point réunies, comme à Paris, dans un jardin royal des plantes, doivent être sans doute en grand nombre dans une si vaste étendue de pays, et dans une si grande diversité de climats. Mais sans entrer dans le détail des différences qu’il y a entre celles de la Chine et les nôtres, ce qui d’ailleurs n’est pas du dessein de cet ouvrage, nous nous contenterons de parler succinctement des plantes estimées les plus utiles, et les plus singulières, au moins de celles qui ont paru telles aux missionnaires lorsqu’ils parcouraient les diverses provinces de ce vaste empire.


Rhubarbe.

La rhubarbe croît en abondance, non-seulement dans la province de Se tchuen, mais encore dans les montagnes de Chen si, nommées Sue chan, montagnes de neige : elles s’étendent depuis Leang tcheou jusqu’à Sou tcheou et à Si ning tcheou ; on en tire une incroyable quantité de ces seuls cantons, où plusieurs fois les missionnaires, en faisant la carte pendant les mois d’octobre et de novembre, ont rencontré des bandes de chameaux chargés de sacs faits en forme de rets de corde pleins de rhubarbe. Les fleurs ressemblent à des campanes découpées à plusieurs pointes. Les feuilles sont longues et un peu âpres, même au toucher. La chair est blanchâtre quand elle est fraîche, et ne prend qu’en séchant, la couleur qu’on lui voit chez les marchands.


Fou ling.

La plante que quelques-uns de nos auteurs ont appelé radix xina et que les Chinois nomment fou ling, est la plus employée par les médecins chinois. Elle croît surtout dans le Se tchuen ; ses feuilles rampent à terre, s’étendent en long, sans beaucoup s’élargir. Les racines au contraire grossissent beaucoup ; et, si l’on en croit les Chinois, il s’en trouve de la grosseur de la tête d’un enfant.

Ce qu’il y a de certain, c’est que soit qu’elle soit grosse, soit qu’elle soit petite elle renferme comme sous un noyau une chair blanche, moelleuse, un peu gluante : et c’est apparemment à cause de sa blancheur, que la bonne espèce est appelée pe fou ling, comme qui dirait fouling blanc. Il diffère d’un autre, dont on se sert aussi beaucoup, parce qu’il est à meilleur marché et qu’il croît sans culture dans plusieurs endroits de la Chine : on le regarde comme une espèce de fou ling sauvage.

Il y a de nos missionnaires qui sont du pays où se trouvent les truffes en France qui assurent que le pe fou ling du Chen si est véritablement truffe. Sa couleur est presque verte, mais elle devient un peu jaunâtre quand elle est sèche. On ne peut douter des bons effets de cette plante, après l’expérience que la nation entière en a faite. Il resterait toutefois à déterminer à quelle maladie elle est la plus propre : c’est ce qui n’est pas facile, car on a observé que les médecins chinois la font entrer presque dans toutes les recettes.


Fen se.

La racine de la plante qu’on nomme fen se n’est pas dans un usage si commun, mais elle est d’un plus grand prix ; elle est même rare dans la province de Se tchuen, où elle naît entre le 30e et le 49e parallèle ou latitude. Elle est certainement de qualité chaude, et est regardée comme un excellent remède dans les maladies causées par les humeurs froides, dans toutes sortes d’obstructions.

Sa figure est singulière : elle est fort ronde d’un côté, et presque plate de l’autre, elle tient à la terre par des filaments, surtout par un assez gros, qui est au milieu des autres, et qui est engagé plus avant qu’eux dans la substance même de la racine : de la superficie courbe sortent diverses tiges, qui ne sont point jointes ensemble, mais qui se divisant dès le pied, font chacun a part un petit bouquet. Ainsi on la distingue aisément. On en jette ordinairement les branches, et on ne conserve que la racine qu’on vend cuite, ou au moins passée au bain-marie.


Ti hoang.

Ti hoang est une autre racine d’une plante qui est fort belle, et qui croît surtout au nord de la province de Ho nan à 35 degrés 6 minutes 10 secondes dans le district de Hoai king fou. On pourrait d’abord la prendre pour une espèce de réglisse à fleur légumineuse et à gousse courbe. Mais quand on en examine les feuilles, les semences, et le goût, on est embarrassé de dire à quelle espèce on doit la ranger. Quoiqu’il en soit, il est constant que son usage est à la Chine assez commun, et qu’on s’en sert avec succès pour fortifier l’estomac, et pour réparer peu à peu les forces perdues.


San-tsi.

Mais de toutes les plantes dont nous venons de parler, nulle n’est si précieuse que le san-tsi ; après le gin seng, c’est celle que les médecins de cet empire estiment davantage. Ils attribuent presque les mêmes vertus à l’une et à l’autre. Ils veulent cependant que le san-tsi soit meilleur dans les maladies des femmes et dans toutes les pertes de sang. Il ne ressemble nullement au gin seng par sa figure. Dans la province de Quang si où il croît, on ne peut le trouver que sur des hauteurs de montagnes difficiles à grimper.

Une espèce de chèvre grise aime fort à brouter cette plante, et comme elle en fait sa nourriture, son sang, disent les Chinois, s’empreint des qualités médicinales. Il est certain que le sang de ces chèvres a des effets surprenants dans les chutes de cheval, et dans de semblables accidents ; c’est de quoi les missionnaires ont été témoins plusieurs fois. Quelques-uns de leurs domestiques renversés par des chevaux ombrageux, et se trouvant presque sans mouvement et sans parole, ont été si parfaitement guéris par ce remède, que le lendemain ils étaient en état de continuer la route.

Il ne faut pas oublier qu’on regarde cette potion comme un remède spécifique pour la petite vérole. On en voit de fréquents effets : les boutons noirâtres et infects, deviennent vifs et d’un beau rouge, aussitôt que le malade a pris le remède ; c’est pourquoi il est employé dans plusieurs maladies, qu’on croit venir des mauvaises qualités du sang. Ce qu’il y a de fâcheux, c’est qu’on n’en trouve pas aisément, qu’il est cher, et qu’en donnant même un assez grand prix, on n’est pas toujours assuré d’en avoir de pur, et qui ne soit pas mêlé.

Dans les expériences dont on vient de parler, on se servit du sang qu’on avait fait tirer d’une de ces chèvres, qui avait été prise par des chasseurs : et quand on y employa la plante san-tsi, ce fut toujours de celle qu’on trouve dans cette province, et telle que les mandarins des lieux ont coutume d’offrir aux mandarins leurs supérieurs, et aux protecteurs qu’ils ont à la Cour.


Arbres de casse.

On trouve dans la province d’Yun-nan, du côté du royaume d’Ava des arbres de casse (cassia fistula). Ils sont assez hauts, et portent de longues gousses ; c’est ce qui l’a fait nommer par les Chinois tchang-ko-tse-chu, l’arbre aux fruits longs. Ses gousses sont en effet plus longues que celles qu’on voit en Europe. Elles ne sont point composées de deux cosses convexes comme celle des légumes ordinaires, mais d’une espèce de tuyau creux, divisé par des cloisons en forme de cellules, qui contiennent une substance moelleuse, et tout à fait semblable à la casse, dont nous nous servons.

Nous ne parlerons pas ici des arbres, qui fournissent le bétel, quoiqu’on l’emploie utilement dans plusieurs incommodités, et qu’il soit d’un usage fort commun dans les provinces du midi ; non plus que des palmiers, des bananiers, des cotonniers, des mangliers, des ananas, et de plusieurs autres plantes qui naissent dans les Indes, puisqu’on en trouve la description dans tant de relations de ces pays-là.


Cannelle.

Nous remarquerons seulement que la cannelle chinoise croît dans le district de Tsin tcheou fou, de la province de Quang si, principalement sur la montagne Pe che. Elle est à la Chine même moins estimée, que celle qu’on y apporte du dehors. Sa couleur tire plutôt sur le gris que sur le rouge, qui est la couleur de la bonne cannelle de Ceylan. Elle est aussi plus épaisse, plus âpre, et moins odorante, et il s’en faut bien qu’elle ait la même vertu de fortifier l’estomac et de réjouir le cœur. On ne peut nier cependant qu’elle n’ait les qualités de la cannelle, quoique dans un moindre degré de perfection. L’expérience en est une preuve sans réplique. On en trouve même quelquefois de plus piquante au goût, que celle qui vient des Indes, où l’on assure qu’elle prend aussi une couleur grise lorsqu’elle est trop longtemps à sécher.


Simples propres à la teinture.

Ce n’est pas ici le lieu de parler des simples des drogues, dont se servent les ouvriers à la Chine ; c’est ce qui pourrait entrer dans une histoire naturelle de cet empire. Je dirai pourtant un mot de la plante nommée tien ou bien tien-hoa. Elle est fort commune dans les provinces, et d’un grand usage : lorsqu’elle est macérée dans l’eau, et préparée dans de grandes cuves, ou dans de petits étangs, elle rend une couleur bleue, dont les teinturiers se servent. Celles de Fo kien donnent une plus belle teinture et sont les plus estimées, pour une sorte de peinture qu’on appelle tan-mei.

On ne se sert presque que des sucs de fleurs et d’herbes, pour peindre sur le satin et sur le taffetas satiné, toutes sortes de fleurs et de figures, dont les Chinoises se font des habits, des garnitures, et des meubles. Ces couleurs qui pénètrent la matière, ne passent point ; et comme elles ne sont point de corps, elles ne s’écaillent jamais. Elles semblent être tissues avec finesse, quoiqu’elles ne soient que peintes d’une manière tendre.


Animaux.

On n’a pu avoir assez de connaissance des animaux singuliers, qui se trouvent, dit-on, dans les montagnes de cet empire. Ce qu’on raconte de quelques-uns, a si peu de vraisemblance, qu’il me paraît indigne de l’attention du public. Ce qu’on rapporte constamment dans le Se tchuen, de l’animal appelé sin fin fait juger que c’est une espèce de singe, lequel diffère des autres, soit par la grandeur, qui est, dit-on, presque égale à celle des hommes d’une taille médiocre, soit par une plus juste conformité d’actions presque humaines, et par une plus grande facilité à marcher sur ses deux pieds de derrière.

Ce qu’on dit pareillement de l’animal gin-hiung, l’homme-ours qui est dans les déserts de la province de Chen si, ne se doit entendre que de la grandeur extraordinaire des ours de ce canton-là, comparée à la grandeur des hommes. De même qu’il est certain que l’animal nommé ma-lou, cheval-cerf, n’est qu’une espèce de cerf guère moins haut que les petits chevaux des provinces de Se tchuen et d’Yun nan, qu’on nomme tchuen-ma.

On trouve encore dans l’Yun nan des cerfs d’une espèce, qu’on ne voit nulle part ailleurs, et dont la différence consiste en ce qu’ils ne deviennent jamais plus grands ni plus gros, que des chiens ordinaires. Les princes et le Grands en nourrissent par curiosité dans leurs jardins.

Mais on doit regarder comme une fable, la description qu’on trouve dans quelques livres chinois du cheval tigre. Il ne diffère, disent-ils, du cheval, qu’en ce qu’il est couvert d’écaille, et il ressemble au tigre par ses ongles, et surtout par son humeur sanguinaire, qui le fait sortir de l’eau vers le printemps, pour se jeter sur les hommes et sur les animaux.

Les missionnaires ont suivi presque toute la rivière Han qui arrose dans la province de Hou quang le territoire de Siang yang fou, où ils font naître cet animal. Ils ont parcouru les montagnes affreuses de Yun yang fou et ils n’y ont jamais ni vu ni entendu parler d’un animal semblable, quoique les gens du pays ne manquassent pas de leur faire remarquer beaucoup de choses peu dignes d’attention, et que d’ailleurs les Tartares avaient grand soin de s’informer de ce qu’il y avoir de singulier, dans le dessein d’en régaler l’empereur, qui avait du goût pour l’histoire naturelle, et qui la jugeait très utile au bien public.


hiang-tchang-tse.

Ce qu’on dit du hiang-tchang-tse ou daim odoriférant, est très certain ; cet animal même n’est pas rare : on en trouve non seulement dans les provinces méridionales, mais encore dans celles qui sont à l’occident de Peking à quatre ou cinq lieues. C’est une espèce de daim sans cornes, dont le poil tire sur le noir. Sa bourse de musc est composée d’une pellicule fort fine, et couverte d’un poil fort délié. La chair même de cet animal est bonne à manger, et on la sert sur les meilleures tables. On aura lieu d’en parler dans la suite.


Oiseaux.

Dans les provinces Australes, de Quang-tong, et sur-tout de Quang-si, on voit des Perroquets de toutes sortes, et entièrement semblables à ceux qu’on apporte de l’Amérique. C’est le même plumage, même facilité de parler, mais ils ne sont point comparables aux oiseaux qu’on nomme kin ki, poules d’or : on les trouve dans les provinces de Se-tchuen, d’Yun nan, et de Chen si. Nous n’avons nul oiseau en Europe, qui en approche. La vivacité du rouge et du jaune, le panache de la tête, les nuances de la queue et la variété des couleurs de ses ailes dans un corps bien proportionné, lui ont fait sans doute donner le nom de poule d’or, pour marquer la préférence qu’elle doit avoir sur les oiseaux les plus estimés. Sa chair est plus délicate que celle du faisan ; de sorte que cet oiseau est peut-être celui de l’orient, qui mérite d’être le plus souhaité en Europe.


Tung-hoa-fong.

Rien ne serait plus admirable qu’un petit oiseau nommé tung-hoa-fong, dont parlent quelques géographes chinois. Selon eux, la variété de ses couleurs est surprenante, et son bec est d’un rouge éclatant, qui tire sur le vermillon. Mais dans la province de Se tchuen, et à Tching tou fou même, où ils le font naître, on ne sait ce que c’est que cet oiseau, dont la durée, disent-ils, n’égale que celle de la fleur tang-hoa et dont la beauté surpasse celle de l’oiseau fong hoang, qui serait notre phénix, s’il y en avait un au monde, tel qu’il est dans nos livres.


Fong hoang.

Il est au moins certain que le fong hoang dont on voit la figure peinte, brodée sur une infinité d’ornements, ne paraît dans aucune des villes et des montagnes, auxquelles on a donné son nom. A Fong tsiang fou dans la province de Chen si où l’on veut qu’il soit, il n’est pas plus connu qu’ailleurs, ainsi que nous l’avons déjà remarqué, en parlant de fong hoang tching de la Tartarie.


Hai tsing.

On compte avec raison parmi les beaux oiseaux, celui qu’on appelle hai tsing. Il est rare. On n’en prend que dans le district de Han tchong fou, dans la province de Chen si, et dans quelques cantons de la Tartarie. il est comparable à nos plus beaux faucons ; il est cependant plus gros et plus fort. On peut l’appeler le roi des oiseaux de proie de la Tartarie et de la Chine : car c’est le plus beau, le plus vif, et le plus courageux ; aussi est-il si estimé, que dès qu’on en a pris un, on doit le porter à la Cour, où il est offert à l’empereur, et remis ensuite aux officiers de la fauconnerie.


Papillons.

Les papillons de la montagne nommée Lo seou chan qui est située dans le district de Hoei tcheou fou de la province de Quang tong, sont pareillement si estimés, qu’on en envoie à la cour des plus rares et des plus gros. Ils entrent dans de certains ornements qu’on fait au palais : leurs couleurs sont extraordinairement variées, et d’une vivacité surprenante. Ces papillons sont beaucoup plus gros que ceux d’Europe, et ont les ailes bien plus larges. Ils sont comme immobiles sur les arbres pendant le jour, et ils s’y laissent prendre sans peine. C’est sur le soir qu’ils commencent à voltiger, de même à peu près que les chauve-souris, dont quelques-uns semblent égaler la grandeur par l’étendue de leurs ailes. On trouve aussi de beaux papillons dans les montagnes Si chan de la province de Pe tche li, et qu’on recherche pareillement ; mais ils sont petits, et ne se comparent pas à ceux du mont Lo seou chan.


Montagnes, et mines qui s’y trouvent.

Les montagnes de la Chine sont encore recommandables par les mines de différents métaux. Elles sont pleines, disent les Chinois, d’or et d’argent. Mais des vues politiques ont empêché jusqu’ici d’y travailler : le repos de l’État pourrait en être troublé par trop de richesses, qui rendraient le peuple fier, et lui feraient abandonner l’agriculture.

Cette extraordinaire abondance de trésors cachés dont on parle, devient donc assez inutile : car quoique le feu empereur Cang hi dont la sagesse est connue, ait quelquefois donné permission d’ouvrir des mines d’argent, et qu’il en ait même fait ouvrir par des gens de sa maison, qui ont soin de son domaine en plusieurs endroits, on leur a fait cesser ce travail au bout de deux ou trois ans, et ce n’est pas, dit-on, parce qu’il y avait peu de gain à faire, mais bien plutôt pour ne pas donner occasion à la canaille de s’attrouper. On dit que ceux qui travaillent aux mines d’argent, ouvertes de tout temps dans la province d’Yun nan, y ont fait autrefois un gain considérable.

On ne peut douter qu’il n’y ait des mines d’or. Ce qu’on a d’or à la Chine, se tire des mines, et principalement du sable des rivières et des torrents, qui descendent de certaines montagnes situées dans la partie occidentale des provinces de Se tchuen et d’Yun nan. Cette dernière province est la plus riche des deux. Les peuples nommés Lolo, dont je parlerai dans la suite, qui occupent la partie la plus voisine des royaumes d’Ava, de Pegou, et de Laos, doivent avoir beaucoup d’or dans leurs montagnes : ce qui le prouve, c’est que leur coutume est de mettre une bonne quantité de feuilles d’or dans les bières des personnes illustres, ou qui ont mérité leur estime.

Leur or n’est pas beau à la vue, peut-être parce qu’il n’est pas purifié ; apparemment que les Lolos ne sont pas plus habiles à fondre l’or que l’argent, qui est encore plus mêlé et plus noir, mais qui devient pur et aussi beau que tout autre, lorsqu’il a passé par le creuset des ouvriers chinois. L’or le plus beau et le plus cher, est celui qu’on trouve dans les districts de Li kiang fou, et de Yang tchang fou.

Comme ce qui s’en retire n’est pas monnayé, il est employé au commerce, et devient marchandise : mais le débit en est peu considérable dans l’empire, parce que l’or n’est guère mis en œuvre que par les doreurs, et dans quelques légers ornements. Il n’y a que l’empereur qui s’en est fait faire quantité de vaisselle.


Mines de charbon de pierre.

Les mines de charbon de pierre sont en si grande quantité dans les provinces, qu’il n’y a apparemment aucun royaume au monde, où il y en ait tant, et de si abondantes. Il s’en trouve sans nombre dans les montagnes des provinces de Chen si, de Chan si et de Pe tche li ; aussi s’en sert-on pour tous les fourneaux des ouvriers, dans les cuisines de toutes les maisons, et dans les hypocaustes des chambres qu’on allume tout l’hiver. Sans un pareil secours, ces peuples auraient peine à vivre dans des pays si froids, où le bois de chauffage est rare, et par conséquent très cher.


Mines de fer, d’étain, et d’autres métaux.

Il faut aussi que les mines de fer, d’étain, de semblables métaux d’un usage ordinaire, soient très abondantes, puisque le prix en est bas presque dans tout l’empire. Les missionnaires géographes ont été témoins de la fécondité d’une mine de totenague dans la province de Hou quang, dont on avait tiré en peu de jours plusieurs centaines de quintaux.


Mines de cuivre

Celles de cuivre ordinaire, qui sont dans les provinces d’Yun nan, et de Koei tcheou, fournissent depuis plusieurs années, toute la petite monnaie qui se frappe dans l’empire. Mais le cuivre le plus singulier, est celui qu’on appelle pe tong, cuivre blanc. Il est en effet blanc de sa nature, quand on le tire de la mine ; et encore plus blanc en dedans qu’en dehors, quand on en rompt les grains.


Cuivre blanc.

On en a apporté à Peking et l’on en a fait toutes sortes d’épreuves, par lesquelles on s’est assuré qu’il ne doit sa couleur à aucun mélange, et qu’au contraire le mélange le rend moins beau : car quand il est bien préparé, il ressemble parfaitement à de l’argent ; et si ce n’était pas une nécessité d’y mêler un peu de totenague, ou de semblable métal, pour l’amollir, et empêcher qu’il ne soit cassant, on en pourrait faire des ouvrages d’autant plus singuliers, qu’il n’y a peut-être pas hors de la Chine une semblable espèce de cuivre : on n’en trouve même que dans la province d’Yun nan. Ceux qui veulent lui conserver sa belle couleur, y mêlent la cinquième partie d’argent au lieu d’autre métal.


Cuivre rouge.

Pour ce qui est du cuivre nommé tse lay tong, ou cuivre qui vient de lui-même, il paraît certain que ce n’est autre chose, qu’un cuivre rouge et détaché par les grandes pluies des hautes montagnes d’Yun nan, et trouvé ensuite dans le sable, et dans les cailloux, après que les torrents se sont désenflés, ou que leur lit est à sec.

Les Chinois attribuent aux bracelets de tse lay tong la propriété de fortifier les bras contre les attaques de la paralysie, ou plutôt d’empêcher qu’ils ne deviennent insensibles par la décharge de certaines humeurs. Un des Tartares qui était avec les missionnaires, ayant fait faire des bracelets d’or d’Yun nan à la place de ceux de tse lay tong, dont il s’était d’abord servi, se trouvait autant soulagé par l’usage de ceux-là que par l’usage de ceux-ci : ce qui peut faire douter de l’effet de ce métal ainsi employé extérieurement. Il ne laisse pas d’être en réputation dans la province d’Yun nan et même à Peking.


Carrières de pierres singulières.

S’il était bien vrai, comme on l’assure, que le hiung hoang est un souverain remède contre toutes sortes de venin, on devrait le préférer aux rubis même d’Yun nan et le regarder comme une source de richesses pour l’empire : car non seulement dans le Yun nan mais encore dans plusieurs autres provinces, même boréales, comme le Chen si, l’on en trouve des mines, ou plutôt des carrières ; ce n’est pas un minéral, mais une pierre molle, dont on fait sans peine toutes sortes de vases en sculpture, et qu’on teint avec du vermillon. Sa couleur naturelle tire sur le jaune, et paraît quelquefois marquetée de points noirâtres.

Ce que disent les géographes chinois, que cette pierre est un excellent spécifique contre les fièvres malignes, ne paraît pas trop certain : du moins on ne s’en sert point à ce dessein dans les lieux, où il s’en trouve en abondance : ou il faut croire que si elle a en effet cette propriété, les médecins n’en ont pas fait l’épreuve.


Pierre d’azur.

La pierre d’azur n’est pas fort chère dans l’Yun nan, où on la trouve en différents endroits, et elle ne diffère en rien de celle qu’on apporte en Europe. Elle se trouve aussi dans la province de Se tchuen et dans le district de Tai tong fou, de la province de Chan si, qui fournit peut-être le plus beau yu che de la Chine. C’est une espèce de jaspe, d’un blanc semblable au blanc de l’agate : il est transparent, quand il est travaillé, et quelquefois tacheté.


Rubis.

Les rubis qu’on vend à Yun nan fou sont de vrais rubis, mais fort petits. On n’a pu savoir de quel canton de la province on les tire. On voit aussi là même quelques autres espèces de pierres précieuses, mais on dit qu’elles viennent de dehors, et surtout du royaume d’Ava, au moins sont-elles apportées par les marchands de ce pays-là, qui viennent faire leur commerce à Yung tchang fou dont la juridiction s’étend jusque sur cette frontière.


Cristal de roche.

Le plus beau cristal de roche ne vient pas de la province d’Yun nan ; il se trouve dans les montagnes de Tchang tcheou fou et de Tchang pou hien, de la province de Fo kien, situées au 24e degré 10 minutes. Les ouvriers de ces deux villes sont habiles à le mettre en œuvre, ils en font des cachets, des boutons, des figures d’animaux, etc.


Carrières de marbre.

On voit dans cette province, aussi bien que dans plusieurs autres, des carrières de marbre, qui ne céderait point à celui d’Europe, s’il était également bien travaillé. On ne laisse pas de trouver chez les marchands différentes petites pièces assez bien polies, et d’une assez belle couleur : par exemple, les tablettes nommées tien tsan, dont on orne quelquefois les tables des festins, sont fort jolies, et marquées de diverses couleurs, qui, quoique peu vives, représentent naturellement des montagnes, des rivières, et des arbres : elles sont faites d’un marbre qu’on tire ordinairement des carrières de Tai ly fou, dont on ne choisit que certains morceaux.

Mais, quoique le marbre ne manque pas à la Chine, on ne voit aucun palais, aucun temple, aucun autre édifice à Peking, ni ailleurs, qui en soit entièrement construit. Bien que les bâtiments chinois ne portent que sur des colonnes, il ne paraît pas qu’ils aient encore tenté, ou qu’ils aient su employer le marbre de couleur, à la place des bois dont on a coutume de les faire. Les bâtiments mêmes de belle pierre de taille y sont rares. La pierre n’est employée que dans les ponts et les arcs de triomphes, nommés pay leou, qui ornent les rues d’un grand nombre de villes dans chaque province.


Arcs de triomphe.

Les arcs de triomphe ont la plupart pour ornements des figures d’hommes, d’oiseaux, de fleurs fort ressemblantes, et travaillées à jour, qui sont comme liées ensemble par des cordons en saillie, vidés nettement, et engagés les uns dans les autres sans confusion. Ce qui montre l’habileté des anciens ouvriers : car on remarque que les arcs de triomphe nouvellement érigés en quelques villes, n’ont rien qui approche des anciens. La sculpture est fort épargnée, et paraît grossière ; tout y est massif, rien de vide ni d’animé.

Cependant dans les nouveaux, comme dans les anciens pay leou, l’ordre est le même : mais cet ordre est bien différent du nôtre, tant par la disposition de certaines pièces, que par la proportion des parties. On n’y remarque rien qui ressemble à nos chapiteaux, ni à nos corniches ; ce qui a quelque rapport à nos frises, est d’une hauteur, qui choque un œil accoutumé à l’architecture européenne : toutefois cette hauteur est d’autant plus du goût des Chinois, qu’elle donne plus de place aux ornements qui bordent les inscriptions qu’on y veut graver.


Magnificence des Chinois dans les Ponts de pierre.

Les ponts de pierre sont la plupart bâtis comme les nôtres, sur de grands massifs de pierre, capables de rompre la force de l’eau, et dont la largeur et la hauteur de la voûte laissent un passage libre aux plus grosses barques. Ils sont en très grand nombre à la Chine : et l’empereur n’épargne jamais la dépense quand il en faut faire construire pour l’utilité du public.

Il n’y en a guère de plus beau, que celui qu’on voit à Fou tcheou fou, capitale de la province de Fo kien ; la rivière qui passe auprès de cette ville, est large d’une demi-lieue : elle est quelquefois divisée en petits bras, et quelquefois coupée par de petites îles. De tout cela on a fait comme un tout, en joignant les îles par des ponts, qui tous ensemble font huit stades ou lis, et 76 toises chinoises. Un seul, qui est le principal, a plus de cent arcades bâties de pierre blanche, et garnies sur les deux côtés de balustres en sculpture, sur lesquels s’élèvent de dix en dix pieds de petits pilastres carrés, dont les bases sont fort massives, et ont la forme d’une barque enfoncée. Chaque pilier porte un ou deux traversiers de pierre, sur lesquels sont appuyées des marches de pierre, plus ou moins, suivant la largeur du pont.

Mais le plus beau de tous est celui de Suen tcheou fou. Il est bâti sur la pointe d’un bras de mer, qu’il faudrait sans ce secours passer en barque, souvent avec danger : il a deux mille cinq cent vingt pieds chinois de longueur, et vingt pieds de largeur : il est soutenu de 252 gros piliers, 126 de chaque côté : toutes les pierres, tant celles qui traversent d’un pilier à l’autre en largeur, que celles qui portent sur ces traversiers, et qui les joignent ensemble, sont d’une égale longueur, et de la même couleur, qui est grisâtre : l’épaisseur est aussi la même.

On ne comprend pas aisément où l’on a pu trouver, et comment on a taillé tant de rochers également épais et également larges ; ni comment on a pu les placer, malgré leurs poids énormes, sur des piliers assez hauts, pour laisser passer de gros bâtiments qui viennent de la mer. Les ornements n’y manquent pas : ils sont faits de la même espèce de pierre que le reste du pont. Tout ce qu’on voit ailleurs, est beaucoup moins considérable, quelque estime qu’on en fasse dans le pays. Ce que je viens de dire, fait assez voir quelle est la magnificence des Chinois dans les ouvrages publics, et dans tout ce qui concerne l’utilité du peuple. Ils sont alors aussi prodigues, qu’ils sont économes dans ce qui regarde leurs personnes, et les édifices des particuliers. Cette magnificence paraît encore dans la construction des quais qui bordent les rivières et les canaux. On est surpris de voir leur longueur, leur largeur, et les grands quartiers de pierre dont ils sont revêtus.


Dans les Quais et les Canaux.

Mais ces ouvrages, quelque beaux qu’ils paraissent, ne sont pas à comparer aux ouvrages de terre, qu’on a construits pour tirer avantage de l’heureuse situation des rivières et des lacs de l’empire. Rien de plus commode pour le public, que de pouvoir aller par eau depuis la ville de Canton, qui est la plus méridionale, jusqu’à celle de Peking, qui est la plus septentrionale, et de n’avoir qu’un journée à faire par terre, savoir, par le mont Mei ling, d’où sort la rivière de Kiang si ; on peut même ne pas quitter la barque, si on prend sa route par la province de Quang si et de Hou quang. Car les rivières des provinces de Hou quang et de Kiang si coulent vers le septentrion, et se jettent enfin dans le plus grand fleuve de la Chine, qui la traverse toute entière de l’occident à l’orient, et qui est assez connu sous le nom de Yang tse kiang.

Ainsi comme la jonction de ce grand fleuve avec la rivière qui vient de Peking vers le midi, nommée Pe ho, s’est faite par un fameux canal construit à la main, la communication des provinces australes et maritimes, avec les plus boréales et les plus voisines de la Tartarie, est très aisée, et devient une source inépuisable d’avantages réciproques.

Ce canal qu’on appelle Yu leang ho, c’est-à-dire, canal à porter les denrées, ou bien Yu ho, qui signifie canal royal, est sans doute merveilleux par la longueur, qui est de plus de 160 de nos grandes lieues, et encore plus par l’égalité du terrain où il a été fait. Dans une si grande étendue de pays il n’y a ni montagne qu’il ait fallu aplanir ou percer, ni carrières de pierres, ou de rochers, qu’on ait été obligé de couper ou de creuser.

Dans la province de Chan tong est une médiocre rivière nommée Ouen ho, dont on a su diviser les eaux. On a trouvé le point du partage près d’une petite hauteur, qui est à trois lieues de la petite ville de Ouen chan hien. Ce lieu est appelé Fou Choui miao, temple de la division des eaux, parce qu’il a été consacré par des idolâtres à Long vang qui est suivant les bonzes, le maître des eaux. La plus grande quantité a été conduite dans la partie du canal, qui va vers le septentrion, où, après avoir reçu la rivière Ouei ho qui vient de la province de Ho nan, et après une assez longue course, il se jette près de la ville de Tien tsing ouei de la province de Pe tche li dans la rivière de Peking, qui passe le long de ses murailles, en allant se décharger dans l’océan oriental. L’autre partie de l’eau, qui n’est guère que le tiers, en coulant au midi, vers le fleuve Hoang ho ou fleuve Jaune, rencontre presque d’abord des étangs et des marais, dont quelques-uns font partie du lit du canal, et quelques autres servent à augmenter les eaux par des rigoles qu’on a faites ; de sorte qu’on peut les ouvrir ou les fermer par le moyen de gros traversiers de bois, qu’on engage quand on veut, dans des coulisses creusées le long des massifs de pierre, qui sont bâtis dans l’endroit du bord du canal, où chaque rigole aboutit.

Ces ouvrages s’appellent en chinois tcha, et ont été appelés dans nos relations digues, quoique fort improprement, parce que ceux qu’on a élevés dans le lit même du canal, dont ils rétrécissent la largeur, ne laissant que le vide d’une porte suffisante pour faire passer une grosse barque, servent autant que nos écluses à retenir l’eau, quand on veut en arrêter tout à fait le cours, ou à en laisser couler une partie, en ne traversant les ais qu’à une certaine hauteur,

Cette précaution est souvent nécessaire, surtout dans les temps de sécheresse ; car l’eau qui fait le cours du canal, n’étant, ainsi qu’on l’a remarqué, qu’une partie d’un rivière médiocre, et ne pouvant fournir que cinq à six pieds de hauteur, on a beau tâcher d’en retarder le cours, et même de l’arrêter en faisant faire des coudes par les fréquents tours et détours qu’ils ont donnés au canal, il arrive qu’en certaines années moins pluvieuses, il est réduit à trois pieds d’eau, ce qui sans doute ne suffit pas pour faire passer les grosses barques impériales, qui portent les denrées et les tributs des provinces à la cour. Ainsi dans ces quartiers sujets à cet inconvénient, on a eu recours à ces sortes d’écluses, si toutefois elles méritent ce nom, puisqu’elles n’ont point d’autre bassin que le lit du canal même. Leur nombre au reste n’est pas si grand qu’on le dit, et ne passe pas quarante-cinq. Leur largeur n’a pas plus de 30 pieds. Les bords du canal ne sont garnis de pierre de taille qu’en peu d’endroits. On a besoin de le réparer souvent dans les endroits, où la terre sablonneuse et peu liée s’éboule aisément ; et quelquefois aussi près des étangs, lesquels enflés par les pluies extraordinaires, enfoncent les digues, qui ne sont presque partout que de terre, et apparemment de celle-là même qu’on a tirée en creusant le canal.

La difficulté a été plus grande au-delà du fleuve Hoang ho. Car pour tirer le canal depuis son bord austral jusqu’au grand fleuve Yang tse kiang, il a fallu faire de grandes digues de pierre, et d’autres ouvrages semblables, afin de résister aux eaux d’un grand lac qui est à l’ouest, et de la rivière Kuai ho, qui s’enfle si fort par l’abondance des pluies, qu’après avoir ravagé la campagne, elle vient fondre avec impétuosité sur le canal. Ces ouvrages sont près de Hoai ngan fou ; ce sont les meilleurs qu’on ait fait pour le canal. Il y en a aussi d’assez bons vers Yang tcheou fou, qui servent comme de quais à cette belle ville.

Au-delà du grand fleuve Yang tse kiang, à commencer par Tchin kiang fou, le canal, qui est continué de là par Tchang tcheou fou, Sou tcheou fou, et qui reçoit les divers canaux de la province de Tche kiang, est d’autant plus commode, qu’il n’est point embarrassé d’écluses, ni de semblables ouvrages. L’égalité du terrain qui est plein et uni, l’abondance de l’eau qui n’a nulle pente, et la nature du sol, ont donné des avantages aux entrepreneurs du canal, qu’il est difficile de rencontrer ailleurs.


Barques impériales.

Ce qu’il y a de plus beau à voir, c’est ce grand nombre de belles et grosses barques impériales, divisées par bandes, et commandées par des mandarins particuliers, qui marchent avec beaucoup d’ordre, et qui sont chargées de tout ce qu’il y a de meilleur dans les provinces. On dit ordinairement que le nombre de ces barques, entretenues aux frais de l’empire, va jusqu’à dix mille : c’est l’opinion commune, qui est conforme à ce qu’on lit dans plusieurs livres imprimés.

Cependant les mandarins, qui veillent sur les transports des denrées, et qui les comptent au passage, ont souvent assuré qu’ils n’en avaient jamais vu venir que quatre ou cinq mille. Mais cela même est surprenant, quand on considère la grandeur de ces barques, dont plusieurs sont de 80 tonneaux, et qu’on fait réflexion qu’elles ne sont entretenues, que pour fournir à la subsistance de la ville impériale.

Dans les pays, où il n’y a rien à craindre pour le grand canal royal, on voit plusieurs petits canaux qui y viennent aboutir : ils ont été faits par les villes voisines, ou par des communautés de gros villages. L’avantage qui leur revient d’avoir communication avec le reste du royaume, et de faciliter par là le commerce, a fait surmonter aux Chinois des obstacles qui effrayeraient un Européen. Telle est par exemple la partie d’un des canaux qui va de Chao hing fou à Ning po fou ; les eaux d’un canal ne se trouvant pas de niveau avec l’autre, on ne laisse pas de faire passer le bateau, en le guindant par le moyen de deux cabestans, sur la pointe d’un glacis de pierre, mouillé d’un peu d’eau, et en le laissant ensuite tomber et glisser par son propre poids dans le second canal, où il est lancé durant quelque temps comme un trait d’arbalète ; et c’est pour faciliter ce passage que ces bateaux sont faits en forme de gondole, et ont une quille d’un bois fort dur et capable de soutenir tout le poids de la barque.

Ces bateaux ne sont propres qu’à porter les marchandises de Ning po, et des villes dépendantes, jusqu’au canal de Chao hing. Du reste, soit pour la grosseur, soit pour la structure, ils sont bien différents des barques impériales, qui sans doute ne pourraient faire un tel saut sans se briser, ou du moins sans d’autres inconvénients considérables.

Dans la province de Quang si on a joint ensemble et le fleuve qui va à Canton se jeter dans la mer, et celui qui après avoir traversé la province de Hou quang, entre enfin dans le grand fleuve Yang tse kiang, où vient aboutir le canal royal, comme on l’a déjà remarqué. L’eau qu’on ramasse des montagnes qui sont dans le nord de la province, forme près de la ville Hin ngan hien une rivière assez petite, dont on arrête le cours par une digue d’une hauteur proportionnée au terrain le plus élevé, sur lequel commence à couler cette quantité d’eau, que sa force oblige à s’élever au dessus de sa pente naturelle, à laquelle on abandonne le surplus de l’eau. Mais ce canal qui ne va pas loin, sans entrer dans les deux fleuves dont j’ai parlé, n’est ni si commode, ni si bien entretenu que le grand canal. L’eau y est souvent si basse, qu’en plusieurs endroits les barques sont plutôt tirées sur le gravier, qu’elles ne sont poussées sur l’eau.

Ces espèces d’écluses, qu’on a décrites, si propres à augmenter l’eau en l’arrêtant, ne sont la plupart que de terre soutenue par des pieux, dont on ferme l’entrée avec des nattes, ou avec d’autres choses semblables. Cependant comme l’industrie et le travail des bateliers et des gens du pays, suppléent à ce défaut, cette route ne laisse pas d’avoir des avantages qui la font fréquenter par beaucoup de marchands, qu’un journée de terre indispensable dans la route de Canton par la province de Kiang si, ne laisse pas d’épouvanter, à cause de la dépense et de la peine qu’il y aurait à transporter les marchandises.

Ils auraient la même incommodité à essuyer, s’ils venaient de Canton par la province de Hou quang ; puisque la ville Y tchang hien de cette province d’où coule la rivière, qui passant à Chao tcheou fou se joint à celle de Canton, est éloignée de sept de nos lieues et demie de la belle ville de Tching Tcheou, où l’on s’embarque sur le fleuve qui va enfin se jeter dans le grand Yang tse kiang. Mais dans le temps des grandes eaux on ne s’arrête nulle part en prenant la route de Kiang si et de Hou quang. C’est sans doute un grand avantage pour tout le royaume, d’avoir un moyen si facile pour faire communiquer ensemble les provinces les plus éloignées par un perpétuel commerce, qui peut se faire aisément et sur le canal royal par où on va jusqu’à Peking, et sur les autres beaucoup moindres, qui y aboutissent comme autant de chemins de traverses.


Différentes espèces de poissons.

Ces canaux ne manquent pas de poissons, qui montent et descendent des rivières ou des étangs voisins, avec lesquels ils communiquent. On y voit presque toutes les espèces de poissons que nous avons en France dans nos rivières. Plusieurs autres viennent de la mer, et avancent fort loin contre le cours des rivières. On en prend quelquefois des plus grands dans des endroits qui en sont éloignés de 150 lieues. Il y a près de Nan king une pêche fameuse d’aloses, nommée che yu, qui se fait au mois d’avril et de mai. Il y a aussi assez loin de Nan king une plage si fertile en cette sorte de poissons, qu’on en transportait souvent dans une île voisine appelée Tsong ming et qui y était à très vil prix dans le temps qu’on faisait la carte de cette Isle.

Le travail de la géographie qui occupait les missionnaires, ne leur a pas permis d’examiner les différentes espèces de poissons, qui se trouvent dans un si grand nombre de rivières et de lacs : c’est d’ailleurs un détail qui appartient à l’histoire naturelle de la Chine, au cas qu’on ait quelque occasion de la faire.

Ils ont cependant remarqué deux ou trois choses assez singulières. La première, est que dans le grand fleuve Yang tse kiang, non loin de la ville Kieou king fou de la province de Kiang si, en certain temps de l’année il s’assemble un nombre prodigieux de barques, pour y acheter des semences de poissons. Vers le mois de mai les gens du pays barrent le fleuve en différents endroits avec des nattes et des claies l’espace d’environ neuf ou dix lieues, et laissent seulement autant d’espace qu’il faut pour le passage des barques. La semence du poisson s’arrête à ces claies ; ils savent la distinguer à l’œil, quoiqu’on n’aperçoive rien dans l’eau. Ils puisent de cette eau mêlée de semences, et en remplissent plusieurs vases pour la vendre, ce qui fait que dans ce temps-là quantité de marchands viennent avec des barques pour l’acheter et la transporter dans diverses provinces, en l’agitant de temps en temps. Ils se relèvent les uns les autres pour cette opération.

Cette eau se vend par mesure à tous ceux qui ont des viviers et des étangs domestiques. Au bout de quelques jours, on aperçoit dans l’eau des semences semblables à de petits tas d’œufs de poissons, sans qu’on puisse encore démêler qu’elle est leur espèce ; ce n’est qu’avec le temps qu’on la distingue. Le gain va souvent au centuple de la dépense, car le peuple se nourrit en partie de poissons.


Poisson d’or.

La seconde espèce de poisson qui a attiré leur curiosité, est celui qu’on appelle kin yu, ou poisson d’or. On nourrit ces poissons dans de petits faits exprès, dont les maisons de plaisance des princes et des Grands seigneurs de la cour sont embellies, ou dans des vases plus profonds que larges, qui ornent assez communément les cours des maisons. Dans ces bassins on ne met que les plus petits qu’on peut trouver : plus ils sont petits, plus ils paraissent beaux et l’on peut d’ailleurs en conserver un plus grand nombre, et ils sont plus divertissants.

Les plus beaux sont d’un beau rouge, et comme semés de poudre d’or, surtout vers la queue, qui est à deux ou trois pointes. On en voit d’une blancheur argentée, et d’autres qui sont blancs, et semés de taches rouges ; les uns et les autres sont fort vifs, et d’une agilité extraordinaire : ils aiment à se jouer sur la surface de l’eau : mais aussi leur petitesse les rend si sensibles aux moindres injures de l’air, et aux secousses mêmes un peu violentes du vase, qu’ils meurent en grand nombre.

Ceux qu’on nourrit dans les étangs, sont de diverses grandeurs. On en a de plus grands que nos plus grosses sardines. On les accoutume à venir sur l’eau au bruit d’une cliquette, dont joue celui qui leur porte à manger.

Ce qu’il y a d’admirable, c’est ce qu’on dit constamment qu’il ne leur faut rien donner pendant l’hiver, si on veut les entretenir en bon état. Il est certain qu’on ne leur donne rien pendant trois ou quatre mois que le grand froid dure à Peking. De quoi vivent-ils ? C’est ce qui n’est pas facile à deviner. On peut croire que ceux qui sont sous la glace pendant l’hiver, trouvent dans les racines des herbes, dont le fonds des étangs est plein, ou de petits vers, ou des parties de racines, lesquelles attendries par l’eau sont propres à les nourrir. Mais ceux qu’on retire des cours pour les empêcher de geler, et qu’on garde l’hiver dans une chambre, enfermés souvent dans un vase de porcelaine, sans qu’on prenne le soin de les nourrir, ne laissent pas cependant vers le printemps, qu’on les remet dans leur ancien bassin, de se jouer avec la même force et la même agilité que l’année précédente.

On dirait que ces poissons connaissent leur maître, et celui qui leur apporte à manger, tant ils sont prompts à sortir du fond de l’eau, des qu’ils sentent qu’il arrive. Aussi les plus grands seigneurs prennent-ils plaisir à leur donner à manger de leur propre main, et ils passent quelque temps à considérer l’agilité de leurs mouvements et leurs différents petits jeux.

Ces poissons, du moins les plus jolis, se pêchent dans un petit lac de la province de Tche kiang près de la petite ville de Tchang hoa hien dépendante de Han tcheou fou, et au pied d’une montagne nommée Tsien king située au trentième degré vingt-trois minutes de latitude. Ce lac est petit, et apparemment qu’il n’est pas le seul qui fournisse tous les poissons d’or, qu’on voit à la Chine dans toutes les provinces, comme dans celles de Quan tong et de Fo kien, où cette espèce peut être aisément conservée et multipliée. Car il est certain que les poissons, même les plus petits, qu’on nourrit dans des vases, sont assez féconds : on en voit les œufs surnager, et pourvu qu’on les ramasse avec certaines précautions, et qu’on les conserve avec soin, la chaleur de la saison ne manque pas de les faire éclore.

Mais autant que ces petits poissons sont agréables à la vue, autant celui que les Chinois appellent hai feng, a-t-il quelque chose de difforme et de hideux. C’est cependant un de leurs mets assez ordinaire, et il ne se donne presque point de repas qu’on n’en serve. On le voit flottant sur les bords de la mer de Chan tong et de Fo kien. Les missionnaires le prirent d’abord pour un rouleau de quelque matière inanimée, mais en ayant fait prendre par les matelots chinois du vaisseau, ils furent persuadés qu’il était vivant. Il nagea dans le bassin où on l’avait jeté, et il vécut même assez longtemps. Les Chinois ne cessaient de leur dire que cet animal a quatre yeux, six pieds, et que sa figure est semblable à celle du foie de l’homme. Mais quelque soin qu’on prît à le bien observer, on ne distingua que deux endroits, par où il paraissait voir, car il témoignait de la frayeur, lorsqu’on lui passait la main devant ces endroits. Si l’on veut compter pour pieds tout ce qui lui sert à se mouvoir, on doit en mettre autant qu’il a par tout le corps de petites élevures, qui sont comme autant de boutons. Il n’a ni épines ni os : il meurt dès qu’on le presse. On le conserve aisément, sans qu’il soit besoin d’autre chose que d’un peu de sel. C’est en cet état qu’il est transporté par tout l’empire, comme un mets estimable : peut-être l’est-il en effet au goût chinois, quoiqu’il ne paraisse pas tel au nôtre. Mais si en matière de goût, on ne convient pas toujours avec soi-même ; beaucoup moins doit-on s’étonner, qu’on ne puisse convenir avec des peuples accoutumés à d’autres aliments que les nôtres.

Je pourrais parler ici de certains cancres, qu’on trouve entre les bords de la mer de Cao tcheou dans la province de Quang tong, et de l’île de Hai nan, qui se changent en pierres, et qui conservent leur figure naturelle : mais c’est une chose connue en Europe, où ces sortes de pétrifications ne sont pas rares. Les médecins chinois attribuent à celles-ci une vertu que nous ne reconnaissons pas dans les nôtres : ils l’emploient volontiers comme un remède propre à chasser les fièvres chaudes et aiguës. C’est ce qu’il faudrait vérifier par des expériences qui servissent à déterminer au moins en gros, quel degré de force a ce remède.

On raconte encore à la Chine, des merveilles de l’eau de certains lacs, et de quelques rivières : mais ce qui se débite à ce sujet, a semblé aussi faux, qu’il a toujours paru peu vraisemblable. Dans tous les pays, la nature étant la même, les effets extraordinaires doivent être rares, et ils ne le seraient pas, si tout ce qu’on dit à la Chine en cette matière était véritable.

Il est cependant vrai que la Chine est pleine de belles rivières et de lacs considérables. Tels sont les lacs appelés Hong se hou dans le Kiang pe ; Ta hou partie dans la province de Kiang nan, partie dans la province de Tche kiang ; le Po yang hou dans la province de Kiang si ; et le plus grand de tous nommé Tong ting hou dans la province de Hou quang : il est remarquable par la grandeur de son circuit, qui a plus de 80 de nos lieues, et par l’abondance de ses eaux, surtout en certaines saisons, où deux des plus grands fleuves de la province enflés par les pluies, y déchargent leurs eaux, et en sortent ensuite avec une diminution assez peu sensible.

Dans la province d’Yun nan il y a au moins trois rivières, dont le cours se termine à d’assez grands lacs, mais qui sont moindres que les quatre dont je viens de parler. Les gens du pays les nomment hai, c’est à-dire, mers. On voit au contraire dans la même province, et dans quelques autres, d’assez gros ruisseaux, lesquels après être entrés dans la terre, et s’y être cachés assez longtemps, reparaissent enfin dans un autre lit qu’ils ont creusé. Il n’y a rien en tout cela qui ne soit conforme à la nature des terres et des eaux, et dont on n’ait des exemples dans les pays que nous connaissons.

Le grand nombre de villes qui sont bâties dans cet empire, presque toutes aux bords des lacs, des rivières, et des canaux, en sont sans doute le plus bel ornement, et rendent la navigation agréable, fournissant partout, non seulement de nouveaux objets, mais encore toutes. les commodités de la vie : c’est ce que l’on verra dans la suite par la description géographique que nous en ferons, et qui précédera la carte de chaque province. Mais auparavant j’ai cru devoir donner la connaissance de la grande Muraille, et de quelques nations indépendantes des Chinois ou qui ne leur sont qu’à demi soumises. J’y ajouterai la route qu’ont tenue quelques-uns de nos missionnaires, en parcourant diverses provinces : le détail dans lequel ils entrent de la nature du pays et de tout ce qu’ils y ont remarqué, est si bien circonstancié, qu’en le lisant, on croira faire le voyage soi-même.




  1. Kiang signifie fleuve.
  2. Tchi signifie gouverner