Description de la Chine (La Haye)/De la monnaie

Scheuerleer (2p. 196-203).


De la monnaie qui en différents temps a eu cours à la Chine.


Il n’y a que deux sortes de métaux, savoir l’argent et le cuivre, qui aient cours à la Chine, pour le prix des achats, et pour la facilité du commerce. L’or n’y a de cours que comme les pierres précieuses l’ont en Europe : on l’achète de même que les autres marchandises, et les Européens qui y trafiquent, retirent de ce commerce un gain considérable.

Pour ce qui est de l’argent il n’est pas monnayé comme en Europe : on le coupe en divers morceaux, grands ou petits, selon le besoin, et c’est au poids, et non pas à la marque du prince, qu’on en connaît la valeur. Ils ont pour le peser de petites balances portatives, renfermées dans un étui de vernis fort propre. Cette sorte de balance est assez semblable à la balance romaine : elle est composée d’un petit plat, d’un bras d’ivoire ou d’ébène, et d’un poids courant. Ce bras qui est divisé en de très petites parties sur trois faces différentes, est suspendu par des fils de soie à l’un des bouts en trois différents points, afin de peser plus aisément toutes sortes de poids, Ces balances sont d’une grande précision. Ils pèsent depuis 15 et 20 taels jusqu’à un sol et au-delà, et avec tant de justesse, que la millième partie d’un écu fait pencher la balance d’une manière sensible. Leur argent n’est pas tout du même titre : ils divisent le titre en cent parties, comme nous fixons à vingt-quatre carats le plus grand raffinement de l’or. Cependant il s’en trouve du titre de 90 jusqu’à celui de 100 qui est le plus fin. On en voit aussi du titre de 80, c’est celui qui est de plus bas aloi : il n’est point de mise, à moins que l’on n’en augmente le poids, jusqu’à la valeur de celui qui doit passer dans le commerce.

Les lingots qui sont de l’argent le plus fin, ne s’emploient que pour payer de grosses sommes. Les Chinois sont très habiles à juger du titre de l’argent par la seule vue, et ils ne s’y méprennent presque jamais. La difficulté est de s’en servir dans le détail : il faut quelquefois les mettre au feu, les battre, les aplatir à grands coups de marteau, afin de pouvoir les couper plus aisément en petites parties, et en donner le poids dont on est convenu. D’où il arrive que le paiement est toujours plus long et plus embarrassant que n’a été l’achat.

Ils avouent qu’il serait bien plus commode d’avoir, comme en Europe, des monnaies d’un prix fixe et d’un poids déterminé ; mais ils disent que les provinces fourmilleraient de faux monnayeurs, ou de gens qui altéreraient les monnaies, et que cet inconvénient n’est plus à craindre, quand on coupe l’argent à mesure qu’on en a besoin, pour payer le prix de ce qu’on achète.

Il est difficile qu’en coupant si souvent de l’argent, il n’en échappe quelque paillette ; aussi voit-on les gens du menu peuple occupés à recueillir et à laver les immondices, qui se jettent des boutiques dans la rue, et ils y trouvent un gain suffisant pour les faire subsister.

La monnaie de cuivre est la seule où il y ait empreinte de caractères, elle est d’usage dans le petit commerce, Ce sont des deniers de cuivre ronds et troués par le milieu, qu’on enfile dans de petites cordes centaine par centaine jusqu’au nombre de mille. Le métal n’en est ni pur, ni battu. Il en faut dix pour faire un sol : dix sols font la dixième partie de l’écu chinois qu’on nomme leang, et que les Portugais appellent tael, qui vaut environ cent sols de notre monnaie.

Ces deniers ont été de tout temps la monnaie courante de la Chine, et les curieux en conservent des dynasties les plus reculées, qui ont passé de famille en famille, ou qui ont été trouvées dans les ruines des palais et des villes. Ce que je m’en vais dire est tiré d’un ancien livre sur les monnaies, composé par un auteur chinois, qui vivait sous la dynastie des Song, lequel m’a été envoyé par le P. Dentrecolles.

Il traite de la matière et de la forme des monnaies ; de leurs inscriptions ; de leur valeur, et des dynasties où elles ont eu cours ; il parle ensuite des monnaies incertaines ; c’est-à-dire, dont on ignore le temps où elles avaient cours ; des monnaies étrangères qui ont été reçues dans le commerce ; et enfin des monnaies superstitieuses, c’est-à-dire, auxquelles dans la suite du temps, la bizarrerie du peuple a attaché certaines idées remplies de superstitions.

Le mot chinois tsuen, dont on se servait autrefois, pour exprimer ce que nous appelons monnaie, signifie dans le sens propre une eau de source qui coule sans cesse, et dans le figuré cette espèce de métal, qui passe continuellement de main en main. Mais depuis longtemps on lui donne le nom de tsien et l’on dit tong sien, monnaie de cuivre, in tsien, monnaie d’argent. C’est ainsi que l’on nomme à Canton les piastres et les écus de France.

Le cuivre dont on se sert pour cette basse monnaie n’est point pur, comme je l’ai dit, et il y a toujours du mélange. Les deniers de bon aloi ont quatre parts de plomb sur six parts de cuivre. Cet alliage est cause que le cuivre rouge perd sa couleur, qu’il cesse d’être sonnant, et que les deniers qui en sont fabriqués, quoiqu’ils soient épais, se peuvent rompre aisément avec les doigts quand on a de la force. Ces deniers sont d’usage dans les petits achats : si la somme devient un peu considérable, on les donne enfilés en forme de chapelets, dont chacun est de mille.

Il y a eu des temps où la monnaie d’or et d’argent a eu cours à la Chine, de même que celle de cuivre. L’auteur chinois cite d’anciens livres, qui assurent, que sous le règne d’Yu fondateur de la première dynastie nommée Hia, on se servait de monnaies d’or, d’argent, et de cuivre ; et que sous d’autres dynasties, il y a eu d’anciens empereurs qui avaient permis dans toutes les provinces de l’empire, l’usage des pièces étrangères d’or et d’argent.

Il y a eu aussi des monnaies d’étain, de plomb, de fer, de même de terre cuite, sur laquelle on avait imprimé des figures et des caractères. On rapporte qu’après le règne de Han, un prince fit faire de cette monnaie de terre sigillée et liée avec de la colle forte ; que la fantaisie lui avait pris d’abolir la monnaie de cuivre, qu’il en ramassa le plus qu’il lui fut possible, et qu’en ayant fait enfouir dans la terre une quantité prodigieuses, il fit mourir les ouvriers qui avaient servi à cette expédition, afin d’en dérober entièrement la connaissance.

Certains petits coquillages appelés poei à la Chine, et coris dans le royaume de Bengale, ont servi pareillement de petite monnaie. Il en fallait donner plusieurs pour égaler la valeur d’un denier. L’usage d’une pareille monnaie n’a pas été de longue durée. Au regard de la forme des monnaies, il y en a eu de différentes figures assez bizarres sous les différents règnes. Depuis la précédente dynastie, les deniers ont toujours été de figure ronde, avec un trou carré au milieu, garni d’une bordure qui a un peu de saillie. Ce trou a été fait pour pouvoir les enfiler, et les porter sur soi comptés par mille. Chaque centaine est séparée par un cordon entrelacé dans le dernier ; qui finit la centaine. On trouve dans l’histoire de la dynastie des Han qui est très ancienne, que dès ce temps-là la monnaie avait une pareille ouverture.

Selon un ancien auteur, outre les monnaies de figure ronde, il y en avait dès le commencement de la première dynastie, qui étaient faites en forme de coutelas, et qu’on nommait tao, qui signifie coutelas. D’autres ressemblaient au dos d’une tortue, et pour cette raison se nommaient kouei. Enfin d’autres s’appelaient pou, d’une forme assez extraordinaire, et telle qu’on la verra gravée dans la planche. Les monnaies rondes avaient pour l’ordinaire un pouce ou un pouce de demi de diamètre : on ne laissait pas d’y en avoir qui étaient deux fois plus grandes.

Les monnaies appelées pou et tao étaient longues de cinq pouces, et paraissaient avoir du rapport aux coupans du Japon. Quoiqu’elles fussent percées en haut, elles étaient incommodes dans l’usage, et c’est ce qui les fit abolir.

On a vu pendant un temps des deniers si petits, qu’on les avait nommés des yeux d’oie : ils étaient si minces, qu’ils surnageaient dans l’eau, et qu’en les maniant, on courait risque de les briser. Il en fallait dix mille pour acheter une mesure de riz, suffisante pour la nourriture d’un homme pendant dix jours. Ces deniers parurent pour la première fois sous le règne des Song, et ne subsistèrent que peu de temps, parce qu’on les rebutait dans le commerce.

Sous la première dynastie des Tang, les rivages du fleuve Jaune s’étant éboulés, on avertit l’empereur qu’on avait trouvé trois mille trois cents pièces de monnaie qui avaient trois pieds : les caractères qui y étaient imprimés ne paraissaient plus, et la terre les avait rongés. Une monnaie si ancienne était sans doute des premières dynasties Hia, Chang, et Tcheou ; car les empereurs de ces temps là, tinrent souvent leur cour assez près de ce grand fleuve.

Mais quelle est la marque, ou inscription de ces monnaies ? En Europe elles sont marquées au coin du prince. Il n’en est pas de même à la Chine. Ce serait, selon le génie de cette nation, une chose indécente et peu respectueuse pour la majesté impériale, que le portrait du prince passât continuellement par les mains des marchands et de la plus vile populace.

Les inscriptions des monnaies sont assez ordinairement des titres pompeux, que les princes régnants ont donné aux différentes années de leur règne, comme, par exemple, l’éternellement éclatant, le souverainement pacifique, le magnanime, etc. Les savants ne se méprennent pas à ces titres, et ils n’ont garde d’en conclure que chaque titre marqué sur la monnaie, désigne un nouvel empereur : c’est ce qui a trompé quelques Européens, qui connaissaient peu les usages de cet empire, et ce qui leur a fait augmenter le nombre des empereurs. L’empereur Cang hi est peut être le seul, qui sous un des plus longs règnes qu’on ait vu, n’ait point affecté de se donner de semblables titres.

On voit marqué sur d’autres monnaies, les noms ou de la famille régnante, ou du tribunal qui a présidé à la fabrique de la monnaie, ou bien de la ville où elle a été fabriquée. Quelques-unes marquent le prix auquel le prince les a taxées : il y aura, par exemple pour inscription ces mots pouan leang, qui signifient, demi tael. On en voit une où l’inscription est assez singulière : on y lit ces quatre caractères : kouei yu tching ti : c’est-à-dire, la monnaie a cours, et enfin elle revient au prince.

A l’égard des monnaies anciennes, telles que sont les pou, les tao, et d’autres semblables, on a de la peine à en déchiffrer les caractères : les plus habiles Chinois avouent ingénuement, que non seulement ils ne les connaissent pas, mais qu’ils ignorent même en quel sens ils doivent être situés.

Il y a de ces monnaies qui sont couvertes de figures, et l’on juge qu’elles sont des temps les plus reculés, et que pour éviter la peine de la dépense, on s’est borné dans la suite à des inscriptions plus simples, telles que sont les caractères. On en trouvera trois gravées, dont le métal est mélangé d’argent et du bel étain de la Chine ; L’une qui est ronde et qui pesait huit taels, représente un dragon au milieu des nuages ; l’autre d’une formé carrée, où l’on voit un cheval qui galope : elle était du poids de six taels. La troisième est oblongue, et a la forme du dos d’une tortue : on y lit sur chaque compartiment la lettre vang qui veut dire roi ; celle-ci ne pesait que quatre taels.

Un certain auteur attribue l’invention de cette monnaie à Tching tang, fondateur de la dynastie Chang. Les caractères qui étaient sur le revers sont effacés. Les Chinois donnent des sens mystérieux à ces représentations. La tortue, disent-ils, marque ceux qui rampent à terre. Le cheval désigne ceux qui y tiennent moins, et qui s’élèvent de temps en temps ; et le dragon volant, est une image de ceux qui sont tout à fait détachés de toutes les choses terrestres. On voit d’autres monnaies anciennes avec des dragons ; c’est sans doute parce que le dragon est le symbole de la nation chinoise, de même que l’aigle était le symbole des Romains.


Du prix des monnaies.

Il n’est pas aisé d’éclaircir quel était le juste prix de ces monnaies anciennes : il devait dépendre, ce me semble, et de la qualité du métal, et de son poids : mais c’est à quoi on n’a pas toujours eu égard : les princes qui les taxaient, les ont souvent haussé ou baissé selon les conjonctures où ils se trouvaient, et selon que les espèces devenaient plus rares.

Mais pour mieux connaître le prix des monnaies, soit anciennes, soit nouvelles, il faut savoir que la livre chinoise est de seize onces, que les Chinois appellent leang, et les Portugais tael : le leang se divise en dix parties nommées tsien, que les Portugais appellent Maz. Le tsien ou le maz se divise en dix fuen qui sont dix sols : le fuen ou le sol se divise en
dix li d’argent. Le bras de la balance chinoise ne pousse pas plus loin ses divisions.

Cependant quand il s’agit d’un poids d’or ou d’argent considérable, les divisions vont bien plus loin, et les Chinois les poussent jusqu’aux parties les plus imperceptibles ; c’est de quoi l’on ne peut pas donner l’idée en notre langue. Ils divisent le lien en dix hoa, le hoa en dix se, le se en dix fou, le fou en dix tchin, le tchin qui veut dire grain de poussière, en dix yai, le yai en dix miao, le miao en dix mo, le mo en dix tsiun, et le tsiun en dix sun.

Cela supposé, on ne peut point encore assurer quelle était la juste valeur des anciennes monnaies ; car bien que le poids y soit marqué, on en trouve qui valaient beaucoup plus que ne comportait le poids. Il y a eu un temps où la rareté des espèces obligeait les empereurs à taxer à un haut prix des pièces très légères, en sorte que le denier courant valait dix deniers semblables des temps antérieurs : c’est ce qui a souvent causé des émotions populaires, parce que les marchands haussaient à proportion le prix des marchandises.

Cette rareté d’espèces arrivait, ou par des irruptions subites des étrangers, qui chargeaient des barques entières de ces monnaies qu’ils emportaient avec eux ; ou par la précaution des peuples, qui dans des temps de guerre, avaient soin de les enfouir, et qui mouraient ensuite sans découvrir l’endroit où elles étaient cachées.

Il y eut un temps où le cuivre manqua de telle sorte, que l’empereur fit détruire près de 1.400 temples de Fo, et fit fondre toutes les idoles de cuivre pour en faire de la monnaie. D’autres fois il y eut de sévères défenses à tous les particuliers, de garder chez soi des vases ou d’autres ustensiles de cuivre, et on les obligeait de les livrer au lieu où l’on fabriquait la monnaie.

On porta les choses bien plus loin les premières années du règne de Hong vou, fondateur de la vingt-unième dynastie appelée Ming : la monnaie étant devenue très rare, on payait les mandarins et les soldats partie en argent, et partie en papier : on leur donnait une feuille de papier scellée du sceau impérial, qui était estimée mille deniers, et qui valait un tael d’argent[1]. Ces feuilles sont encore aujourd’hui fort recherchées de ceux qui bâtissent ; ils les suspendent par rareté à la maîtresse poutre de leur maison. Dans l’idée du peuple (et parmi les personnes de qualité combien de chinois sont peuples !) cette feuille préserve une maison de tout malheur.

Une pareille monnaie ne fit pas fortune. Les marchands ne pouvaient se résoudre à donner leurs marchandises et leurs denrées pour un morceau de papier. Les querelles, les procès, et beaucoup d’autres inconvénients qui arrivaient chaque jour, obligèrent l’empereur à la supprimer.

On l’avait employé avec aussi peu de succès sous la dynastie des Yuen : Marc Paul gentilhomme vénitien, qui en parle au 18e chapitre de son second livre, s’est trompé lorsqu’il a dit, que pour faire le papier qui était le corps de cette monnaie, on se servait de l’écorce de mûriers. Les Chinois n’ont garde de détruire des arbres qui leur sont si précieux : c’est de l’écorce de l’arbre nommé Cou tchu qui est assez inutile, et qui ressemble au sureau par l’abondance de sa sève, qu’on fait une sorte de papier plus fort que celui qui se fait de bambou, et c’est de cette écorce que se faisait le papier dont il s’agit.


Fabrique de la monnaie de cuivre.

La monnaie de cuivre ne se bat point comme en Europe, mais elle se jette en fonte, et ne se fabrique maintenant qu’à la cour. Il y avait autrefois dans l’empire jusqu’à 22 endroits où l’on faisait de la monnaie, mais il fallait pour cela un ordre de l’empereur ; et dans le temps même qu’il y avait des princes si puissants, que ne se contentant point du titre de duc, ils prirent la qualité de roi, aucun d’eux n’osa jamais s’attribuer le droit de fabriquer de la monnaie pour ses États : elle avait toujours la marque qui désignait l’empereur régnant, quelque faible que fût son autorité.

On peut juger combien il y aurait de faux monnayeurs à la Chine, si l’argent était monnaie de même que le cuivre puisque les deniers de cuivre ont souvent été altérés par les Chinois. Ceux qui font ce métier, marquent la fausse monnaie des mêmes caractères qui se trouvent sur la véritable, mais le métal qu’ils emploient est moins pur, et le poids bien plus léger. S’ils sont découverts, ils doivent être punis de mort selon les lois. Il y a eu cependant des princes qui se sont contentés de leur faire couper le poing, et d’autres qui les ont simplement condamnés à l’exil.

Quelques-uns même, dans les temps où cette petite monnaie était extrêmement rare, ont fermé les yeux sur ce désordre, jusqu’à ce que ces monnaies contrefaites fussent répandues dans tout l’empire. Alors ils les confisquaient pour les mettre sur le pied de la vraie monnaie impériale.

Comme les petits deniers ne sont plus maintenant d’usage, ceux qui en ont les battent avec le marteau, et les élargissent jusqu’à ce qu’ils soient de la grandeur des deniers courants. Ils les mettent dans une enfilade de ces deniers, qui étant pressés les uns contre les autres, ne sont point aperçus des marchands. Il y en a qui poussent la fraude jusqu’à couper du carton en forme de deniers, qu’ils mettent de côté de d’autre dans l’enfilade, et l’on ne s’aperçoit de la supercherie, que quand on donne les pièces en détail.

Parmi les monnaies anciennes qui ont eu cours à la Chine, j’en ai fait graver plusieurs dont on ne peut pas donner des connaissances certaines. Les unes sont des pays étrangers, sans qu’on puisse savoir quels étaient ces pays, parce que les Chinois défigurent tellement les noms, qu’ils sont tout à fait méconnaissables. Par exemple ils appellent la Hollande le royaume des Rousseaux Hung mao koue, et cela, parce qu’ils ont vu des Hollandais qui avaient les cheveux blonds, et la barbe un peu rousse. Lorsqu’ils désignent de la sorte un pays, il n’est pas possible de le reconnaître.

Il y a d’autres monnaies dont l’origine est très incertaine, on conjecture seulement qu’elles sont, ou des Tartares de Leao tong qui pendant un temps ont été les maîtres de la province de Pe tche li, ou bien de quelques grands seigneurs ou de petits rois, qui s’étant révoltés, avaient pris le titre d’empereur.

Enfin il y a des monnaies, auxquelles le peuple attache maintenant des idées superstitieuses, qu’elles n’avaient pas dans le temps qu’on les a fabriquées. Les caractères ou les figures qui y sont empreintes, marquaient des époques de temps, ou des faits historiques dont on a perdu le souvenir. Telle est, par exemple, la monnaie sur laquelle on voit le fong hoang et le kilin, deux animaux fabuleux dont les Chinois racontent cent merveilles.

Ce fong hoang est un oiseau dont nous avons eu souvent occasion de parler[2]. Le kilin est un animal, selon eux, qui est composé de différentes parties de plusieurs animaux. Il est de la hauteur d’un bœuf et en a l’encolure ; son corps est couvert de larges et de dures écailles ; il a une corne au milieu du front, des yeux et des moustaches semblables aux yeux et aux moustaches du dragon chinois. Cet animal est le symbole des mandarins d’armes du premier ordre.

Le feu empereur Cang hi s’était fait un cabinet, où il avait rassemblé toutes les pièces de monnaies anciennes et modernes, rangées selon l’ordre des dynasties. Ce fut un mandarin nommé Tsiang, président de l’académie des premiers docteurs de l’empire, qui fut chargé de les mettre chacune selon son rang. Dans ce curieux assemblage de monnaies on remonte jusqu’aux premiers temps. Les plus anciennes qu’on ait, sont du temps de Yao. Il y en a du temps de Tching tang, fondateur de la deuxième dynastie, et assez grand nombre des trois célèbres dynasties, dont il est parlé dans le livre canonique appelle Chu king et qu’on nomme Hia, Chang, et Tcheou, mais surtout de cette dernière.

Si ces pièces de monnaie étaient supposées, et faites à plaisir dans les temps postérieurs, on en aurait également supposé de tous les empereurs de ces premières dynasties : mais comme il en manque de ces temps si reculés, il ne s’en est pas conservé non plus des règnes moins anciens. On a suppléé à celles qui manquent, par des monnaies de carton qu’on a faites, selon l’idée qu’en donnent d’anciens livres. Les proportions sont si bien gardées, et les couleurs du métal si bien imitées, que ces monnaies contrefaites paraissent de véritables antiques. Cette suite de monnaies ajoute un nouveau degré de certitude à la connaissance qu’on a d’ailleurs de l’histoire chinoise : car peut-on douter qu’il y ait eu une telle dynastie, et tel empereur, lorsque les monnaies fabriquées de leurs temps, ont été conservées depuis tant de siècles entre les mains des Chinois ?



  1. On peut voir la valeur du taël, ci-devant page 18.
  2. Voyez Tome 1 page 273 et Tome 2 page 15 et 95.