Description de l’Égypte (2nde édition)/Tome 1/Chapitre II/Section II/Paragraphe 3

§. III. Relations des auteurs sur la dernière cataracte.

Je vais citer les passages des auteurs, en suivant l’ordre des temps, et je les rapprocherai de l’état actuel des lieux ; mais auparavant je ferai remarquer que le nom moderne de Chellâl répond aux noms anciens de catadupe et de cataracte. Catadupe, formé de deux mots grecs, signifie proprement chute bruyante ; cataracte, un lieu escarpé d’où l’eau se précipite. En arabe, Chellâl doit s’entendre d’un précipice d’où l’eau s’écoule avec impétuosité.

« Le pays au-dessus d’Éléphantine, dit Hérodote, est roide et escarpé. En remontant le fleuve, on attache de chaque côté du bateau une corde, comme on en attache aux bœufs, et on le tire de la sorte. Si le câble se casse, le bateau est emporté par la force du courant[1]. »

On reconnaît aisément dans ce passage le lieu que je viens de décrire, et l’usage qui subsiste encore pour la navigation. Il faut de même reconnaître la cataracte dans le chapitre qui précède, et où l’historien parle d’après un prêtre de Saïs. Ce prêtre lui dit « qu’entre Syène et Éléphantine il y avait deux montagnes dont les sommets se terminaient en pointe ; que l’une de ces montagnes s’appelait Crophi, et l’autre Mophi les sources du Nil, qui sont de profonds abîmes, sortaient, disait-il, du milieu de ces montagnes ; la moitié de leurs eaux coulait en Égypte vers le nord, et l’autre moitié en Éthiopie vers le sud. » Hérodote ajoute que Psammitichus ayant fait jeter dans ces abîmes un câble d’une très-grande longueur, la sonde n’avait pu aller jusqu’au fond.

Hérodote avait raison de douter qu’on lui parlât sérieusement de deux montagnes situées entre Syène et Éléphantine, puisque tout l’intervalle qui sépare ces deux villes est occupé par les eaux du fleuve, et surtout qu’on lui citât ces deux montagnes comme les sources du Nil. Strabon et Aristide, qui, à ce propos, censurent vivement Hérodote[2], n’ont pas considéré qu’il qualifiait lui-même ce récit de badinage ; et, d’un autre côté, ils n’ont pas réfléchi sur la cause probable d’une erreur aussi grossière. Quand on sait que les prêtres égyptiens étaient particulièrement versés dans la chorographie du Nil[3], est-il croyable qu’un d’entre eux pût se persuader que ce fleuve prend naissance auprès de Syène ? Il doit y avoir eu quelque méprise dans l’emploi qu’on aura fait du mot πηγάς qui veut dire sources, pour traduire l’expression dont ce prêtre aura fait usage : or, il suffit que l’on conçoive la possibilité de cette équivoque, pour retrouver dans le passage un sens admissible. En effet, aux temps de Strabon et d’Aristide, le nom d’Éléphantine appartenait exclusivement à l’île qui est en face de Syène ; mais je pense qu’il n’en était pas de même au temps d’Hérodote, et il me paraît que c’était un nom générique et commun à plusieurs îles, notamment à l’île de Philæ[4]. Que, dans le récit du prêtre de Saïs, on substitue le nom de Philæ à celui d’Éléphantine, on retrouvera les deux montagnes libyque et arabique, qui, entre Philæ et Syène, se rapprochent en effet l’une de l’autre ; un lieu plein d’abîmes ; des courans qui se portent les uns vers le nord, les autres vers le sud ; des eaux d’une très-grande profondeur ; en un mot, tout ce qui caractérise la chute du Nil à Chellâl, aujourd’hui même que ces effets sont beaucoup diminués[5]. Au reste, l’explication que je hasarde ici d’un des passages les plus difficiles d’Hérodote, est singulièrement appuyée par le raisonnement que fait l’historien lui-même. « Si le récit de ce prêtre est vrai, dit-il, je pense qu’à cet endroit les eaux venant à se porter et à se briser avec violence contre les montagnes, refluent avec rapidité et excitent des tournans qui empêchent la sonde d’aller jusqu’au fond. »

J’ai dit qu’il pouvait y avoir eu de l’équivoque dans le mot de sources dont Hérodote a fait usage ; voici un passage du même auteur qui tend aussi à le faire croire : « Le Nil, qui commence aux catadupes, coupe l’Égypte par le milieu, et se jette dans la mer[6]. » On voit qu’il est question du point où le Nil commence à entrer en Égypte, et non pas de l’origine de son cours ; il faut entendre la même chose des prétendues sources d’Éléphantine.

Diodore de Sicile croyait que la principale cataracte est celle des confins de l’Égypte et de l’Éthiopie. Après avoir décrit l’entrée du Nil en Égypte, il parle ainsi des cataractes : « C’est un endroit qui a environ dix stades de longueur, et qui n’est qu’une continuité de fond penchant et rompu, de précipices d’une hauteur prodigieuse et perpendiculaire, et d’ouvertures étroites et embarrassées de rochers ou de pierres qui leur ressemblent par leur grosseur. Les eaux qui passent par ces lieux effroyables, les couvrent d’écume, et font des chutes et des rejaillissemens dont le bruit seul porte la terreur dans l’âme des voyageurs, d’aussi loin qu’ils commencent à l’entendre ; et l’eau y acquiert une vitesse pareille à celle d’une flèche qui part de l’arbalète, etc.[7] »

Diodore ajoute que, pendant l’inondation, les rochers sont recouverts par les eaux ; qu’alors les vaisseaux descendent sur la cataracte, soutenus du vent contraire ; mais que personne ne saurait la remonter, à cause de l’impétuosité du fleuve, qui surpasse toutes les forces dont l’homme puisse s’aider. Il finit en disant qu’il y a plusieurs cataractes, mais que la plus grande est aux limites de l’Éthiopie et de l’Égypte. Après avoir lu cette description, l’on est peu disposé à l’appliquer à la cataracte de Syène, malgré que Diodore s’en explique formellement. On verra plus loin que plusieurs de ces circonstances conviennent mieux aux cataractes supérieures.

Dans le Songe de Scipion, Cicéron nous a laissé un passage sur les catadupes du Nil qui semblerait par conséquent relatif à la cataracte de Syène. Voulant expliquer comment l’oreille humaine est devenue insensible au prétendu son que rendent les sphères célestes dans leur révolution rapide, il se sert de la comparaison des hommes qui habitent auprès des catadupes, et qui deviennent sourds par la grandeur du bruit que fait le Nil en se précipitant du haut de montagnes très-élevées, de même, dit-il, qu’on perdrait la vue en fixant l’oeil sur le soleil[8]. Macrobe, qui a commenté le Songe de Scipion, suppose que les habitans ne sont pas sensibles au bruit des catadupes, par la raison qu’il est trop considérable : Quoi d’étonnant, ajoute-t-il, si le son produit par les cieux dans leur mouvement perpétuel n’est pas perceptible à nos sens bornés[9] ? Je ne veux pas discuter ces passages, mais seulement faire remarquer que le bruit de la cataracte était généralement réputé capable d’ôter l’ouïe aux habitans des environs, et que c’est à celle de Syène qu’on attribuait un tel effet ; mais, en admettant qu’il s’agisse de cette dernière, l’expression de très-hautes montagnes, dont se sert Cicéron, ne serait pas moins exagérée que la grandeur du bruit.

Strabon donne sur la cataracte de Syène un détail qui est plus précis ; il en parle dans son dix-septième livre, en deux passages[10], dont voici le plus intéressant : « Un peu au-dessus d’Éléphantine, est la petite cataracte, où l’on voit des gens montés sur des esquifs donner une sorte de spectacle aux principaux du pays. La cataracte est une éminence du rocher au milieu du Nil, unie dans la partie supérieure et recouverte par les eaux du fleuve ; elle finit par un précipice, d’où l’eau s’élance avec impétuosité : de part et d’autre, vers la côte, il y a un lit navigable ; les pilotes se laissent entraîner vers la cataracte, puis se précipitent avec leur esquif, sans qu’il leur arrive aucun mal. » Strabon ajoute ensuite qu’au-dessus de la petite cataracte est l’île de Philæ ; il ne laisse donc pas douter que cette cataracte ne soit celle de Chellâl. Comme il parle ici en témoin oculaire, il faut reconnaître que l’état des choses a un peu changé depuis son temps ; car il n’y a aujourd’hui de canal navigable que d’un seul côté, et la chute est aussi beaucoup moins sensible : remarquons en passant que l’auteur se sert du nom de petite cataracte.

Pomponius Mela, dans son style rapide et élégant, décrit en ce peu de mots le cours impétueux du Nil depuis Tachempso jusqu’à Éléphantine : Usque ad Elephantidem urbem ægyptiam atrox adhuc fervensque decurrit. Tum demum placidior, et jam penè navigabilis, etc. Mais le tableau le plus frappant de la cataracte est celui qu’a tracé Sénèque. On va voir dans le passage suivant, que j’ai essayé de traduire, qu’il voulait parler de la cataracte de Syène : « Aux environs de Philæ, dit-il, le fleuve commence à rassembler ses eaux vagabondes. Philæ est une île escarpée, entourée de deux branches dont la réunion forme le Nil : c’est en cet endroit que le fleuve prend son nom… Il arrive ensuite aux cataractes, lieu renommé par un spectacle extraordinaire : là il devient méconnaissable ; ses eaux, jusqu’alors tranquilles, s’élancent avec fureur et impétuosité, à travers des issues difficiles ; enfin il triomphe des obstacles, et tout-à-coup, abandonné par son lit, il tombe dans un vaste précipice, avec un fracas qui fait retentir les environs. La colonie établie en ce lieu par les Perses, n’a pu supporter ce bruit continu, et a transporté sa demeure dans un endroit plus calme. Entre autres merveilles qu’on voit sur le fleuve, j’ai entendu parler de l’incroyable audace des habitans : deux hommes s’embarquent sur une nacelle ; un d’eux la gouverne, et l’autre la vide à mesure qu’elle s’emplit. Long-temps ballottés par les rapides, les remous et les courans contraires, ils se dirigent dans les canaux les plus étroits, évitant les défilés des écueils ; puis ils se précipitent avec le fleuve tout entier, la tête en avant, guidant la nacelle dans sa chute, aux yeux des spectateurs épouvantés ; et pendant que vous pleurez leur sort et que vous les croyez engloutis sous une si grande masse d’eau, vous voyez naviguer l’esquif très-loin du lieu où il est tombé, comme si on l’eût lancé jusque-là par une machine de guerre[11] » Dans une de ses épîtres, Sénèque dit encore que les gens d’une certaine peuplade, ne pouvant soutenir le bruit de la chute du Nil, transportèrent leur ville dans un autre lieu[12].

Il n’est pas douteux que le théâtre de cette description ne soit à Chellâl ; mais Sénèque, pour la rendre plus frappante, n’a-t-il pas réuni des traits appartenant à différentes chutes du Nil ? Que les hommes du pays donnassent un spectacle en traversant la dernière cataracte, c’est ce qui est très-croyable, et c’est ce que racontent Strabon et Aristide, qui ont voyagé sur les lieux ; mais le bruit intolérable et la hauteur immense de la chute s’appliquent beaucoup mieux aux autres cataractes.

La description que fait Pline du cours du Nil à sa sortie de l’Éthiopie, s’applique également à la cataracte de Syène. « Le fleuve est embarrassé dans des îles qui, semblables à autant d’aiguillons, irritent sa violence ; ensuite, renfermé entre des montagnes, il roule comme un torrent, et se porte, avec une rapidité toujours croissante, vers un lieu d’Éthiopie appelé Catadupes, où se trouve la dernière cataracte ; et là, entre les rochers qui l’arrêtent, il se précipite plutôt qu’il ne coule, avec un immense fracas[13]. » Je ne parle point ici de Solin, qui a copié Pline presque textuellement[14] : il en est à peu près de même d’Ammien Marcellin[15], qui semble avoir abrégé Pline et Sénèque.

Tous les commentateurs ont admis, d’après ces divers auteurs, que le bruit de la dernière cataracte rendait sourds ceux qui habitaient dans le voisinage. On ne concevrait pas une pareille exagération, si elle ne provenait d’une méprise ; ce sont les cataractes supérieures, ainsi qu’on le verra plus loin, qui produisent en effet un bruit effroyable.

Ptolémée a déterminé avec assez d’exactitude, par rapport à Syène, la position de la dernière cataracte, qu’il appelle la petite ; il lui donne cinq minutes de moins de latitude qu’à cette ville[16]. On voit que le géographe, un peu mieux instruit que les historiens, distinguait deux cataractes : Strabon avait fait aussi cette distinction.

Au huitième livre de ses Éthiopiques, Héliodore place aussi les petites cataractes un peu au-dessous de Philæ : dans ce passage, qui est assez curieux, on voit que les Éthiopiens disputaient aux Égyptiens la ville de Philæ, par la raison que les cataractes du Nil faisaient, selon eux, la limite de l’Éthiopie. Héliodore désigne ces cataractes sous le nom de catadupes, et fait mention de prêtres qui séjournaient dans ce lieu.

Aristide est l’auteur qui s’est le plus étendu sur la cataracte : comme témoin oculaire, son récit ne manque pas d’intérêt, ainsi qu’on en va juger. Il raconte que, revenu de Philæ à Syène par terre, et désirant vivement connaître les cataractes ou catadupes, il demanda avec instance au commandant de la garnison de lui fournir un pilote et quelques soldats pour forcer les habitans de l’île des cataractes à lui faire voir tout ce que cet endroit renfermait de curieux. Le gouverneur, étonné de sa hardiesse, lui représenta les difficultés d’une entreprise que lui-même n’avait jamais osé tenter ; mais, vaincu à la fin, il satisfit à sa prière. Aristide, du haut de l’île placée au milieu du fleuve, et d’où l’on embrasse, dit-il, les cataractes situées à l’est, aperçut des hommes du pays qui naviguaient au-dessus des rochers et se laissaient entraîner par le courant : lui-même ensuite monta sur une barque et se transporta partout, pénétrant dans tous les endroits où les bateliers avaient passé ; enfin il suivit, sur l’autre côté de l’île, un bras navigable, et il arriva heureusement jusqu’à Éléphantine, placée à la fin des cataractes.

Plusieurs traits de ce récit conviennent parfaitement au local actuel, notamment cette île des cataractes, dont le nom est précisément conservé dans celui de Gezyret Chellâl ; la situation des cataractes vers la rive de l’est et la branche navigable de la rive opposée, sont encore deux choses que l’on a pu remarquer dans le paragraphe précédent[17].

C’est après avoir exposé toutes ces circonstances, qu’Aristide reprend Hérodote pour avoir débité, sur la foi d’un prêtre, qu’entre Éléphantine et Syène étaient situées les sources du Nil, et qu’une partie des eaux coulait vers l’Éthiopie, l’autre vers l’Égypte. « Si Hérodote, dit-il, était jamais venu à Éléphantine, comme il le prétend, il n’eût rien vu que le fleuve entre ces deux villes, toutes deux situées sur ses bords ; il n’y a aucune montagne entre Éléphantine et Syène, mais plutôt ces villes sont situées entre les deux montagnes. » Comment se fait-il que le rhéteur, après cette sortie, rapporte qu’il y a en effet, dans ce même lieu, deux sources enfermées dans deux grands rochers qui sortent du milieu du lit, mais que ces sources sont récentes et ne fournissent qu’à la partie inférieure du cours du Nil ? On lui assura que leur profondeur ne pouvait se mesurer ; ce qui le détourna, dit-il, d’en prendre la mesure. Que penser de sa critique, en le voyant attribuer à ces prétendues sources la largeur et la profondeur plus grandes que prend le Nil au-dessous d’Éléphantine ? Plus loin, il dit que le fleuve, auprès de cette île, fait un bruit immense, et n’a pas moins de trente coudées de profondeur.

Lucain fait allusion à ces mêmes sources du Nil, en décrivant la cataracte de Philæ, et il fait mention comme Sénèque[18], d’un rocher ou d’une île inaccessible, appelée Abaton par l’antiquité. Ce morceau n’est pas exempt d’exagération ; mais le poëte est plus excusable que les prosateurs qui sont tombés dans le même défaut[19].

Un vers de Denys le Périégète, dans le poëme grec de la Description de l’univers, a encore trait à cette même cataracte ; c’est celui où il peint l’Égypte s’étendant du côté de l’est, jusqu’à Syène, où sont des précipices nombreux et profonds[20]. Eustathe, qui a commenté ce poëte, regarde aussi ces précipices comme les cataractes. Le même Eustathe, dans le commentaire d’un autre vers, où il est question des montagnes des Blemmyens, nation que je considère comme les ancêtres des Barâbras, pense que ces montagnes sont les cataractes ou catadupes[21]. Ce qui est singulier, c’est que ce critique compte parmi les sept villes de l’Heptapolis ou Heptanomide, la grande et la petite cataracte[22]. Je citerai encore ici l’Histoire ecclésiastique de Nicéphore Calliste, qui dit que le Nil, à son arrivée en Égypte, se précipite à travers des rochers très-élevés, avec un bruit immense[23].

Voilà tout ce que j’ai trouvé dans les auteurs anciens

.............Quis te tam lenè fluentem
Moturum tantas violenti gurgitis iras,
Nile, putet ? Sed cùnt lapsus abrupta viarum
Accepere tuos, et præcipites cataractæ,
Ac nusquam vetitis ullas obsistere cautes
Indignaris aquis, spumâ tunc astra lacessis ;
Cuncta fremunt undis ; ac multo murmure montis
Spumeus invictis canescit fluctibus amnis.
Hinc, Abaton quam nostra vocat venerunda vetustas,
Terra potens, primos sensit percussa tumultus,
Et scopuli, placuit fluvii quos dicere venas,
Quòd manifesta novi primùm dant signa tumoris.

Pharsal., l. X.
qui se rapportât sans équivoque à la dernière cataracte :

je vais parcourir succinctement les descriptions des modernes.

Parmi les auteurs arabes, el-Edriçy décrit la chute de Genâdil, plutôt que celle de Syène ; Abou-l-fedâ en parle aussi, mais sans qu’on puisse assurer s’il avait en vue l’une ou l’autre. On trouve dans el-Maqryzy plusieurs détails sur les cataractes ; mais ils ne sont pas connus. Il est à regretter qu’on n’ait pas une traduction complète de cet auteur.

Le P. Sicard est le premier des voyageurs modernes qui ait donné une idée exacte de la chute du Nil aux limites de la Nubie, chute formée, dit-il, de plusieurs cataractes, dont chacune est un amas de rochers au travers desquels le Nil coule en forme de cascade. Il ajoute qu’il serait téméraire d’y passer en barque[24] ; mais on peut douter s’il parle en témoin oculaire.

Il est étonnant que Norden, qui a fait une carte détaillée du cours du Nil de Philæ à Syène, n’y ait pas joint une description de la cataracte, et qu’il se borne à dire qu’elle forme différentes chutes d’eau. Il suppose quatre pieds de chute pendant l’hiver, et dit qu’il y a deux passages près de Morâdah, le havre de la cataracte[25]. R. Pococke décrit assez bien le local environnant ; mais il compte trois chutes dans la largeur du fleuve, dont la moindre n’a pas plus de trois pieds. Je n’oserais assurer qu’il ait vu le site même de Chellâl[26]. Bruce fut étonné, comme l’avait été Pococke et comme je l’ai été moi-même, en voyant dans cet endroit des barques remonter le Nil. Sa description est assez fidèle, mais incomplète ; il compte six milles anglais de distance entre la cataracte et Syène, et cette distance est trop grande de près de moitié : il relève d’ailleurs avec raison ce qu’on avait dit du bruit excessif de la chute[27].

  1. Hérodot., l. ii, c. 29, trad. de M. Larcher.
  2. Strabon. lib. XVII, pag. 819 ; Aristid. in Ægyptio, t. II, p. 343 et suiv.
  3. Voyez la Description d’Ombos, chap. IV, §. III.
  4. Voyez la Description d’Éléphantine, chap. III, §. VI, On appliquait aussi le nom de Philæ à l’île d’Eléphantine, témoin ce passage de Pline, qui est positif : après avoir nommé Syène, il dit, et ex adverso insula IV Philæ ; c’est-à-dire, « en face de Syène est une île de quatre milles de circuit, et que l’on nomme Philæ ; » ce qui est vrai d’Éléphantine (voyez Pline, Hist. nat., l. V, c.9).
  5. Voyez ci-dessus, p.151 et suiv.
  6. Ὁ γὰρ δὴ Νείλος, ἀρξάμενος ἀπὸ τῶν ϰαταδούπων, ῥέει μέσην Αἴγυπτον, σχίζων ἐς θάλασσαν. Lib. II, c. 17.
  7. Diod., l. I, traduct. de l’abbé Terrasson. Il faut être prévenu que cette traduction n’est pas très-fidèle.
  8. Hoc sonitu oppletæ aures hominum obsurduerunt ; nec est ullus hebetior sensus in vobis : sicut ubi Nilus ad illa quæ catadupa nominantur, præcipitat ex altissimis montibus, ea gens quæ illum locum accolit, propter magnitudinem sonitûs, sensu audiendi caret, etc. Somn. Scip.
  9. Macr. in Somn. Scip., lib. II, cap. 4.
  10. Strab. Geograph., lib. XVII, pag. 787 et 817.
  11. Senec. Natural. Quæst. l. IV, c. 2.
  12. Senec. epist. 56.
  13. Plin. Hist. nat. l. V, c. 9.
  14. Solin. Polyhistor. cap. 35.
  15. Amm. Marcell. lib. XXII.
  16. Ptolem. Geogr. lib. IV, c. 5, p. 108, etc. ; 7, p. 112
  17. Voyez ci-dessus, pag. 151.
  18. Natural. Quæst. lib. IV, cap. 2. Les prêtres seuls pouvaient y mettre les pieds, selon Sénèque.
  19. Rursus multifidas revocat piger alveus undas,
    Quà dirimunt Arabum populis Ægyptia rura
    Regni claustra Philæ.

  20. Ἑλϰόμενον ϰαὶ μέχρι βαθυϰρήμνοιο Συήνης(Διονύσ. Οἰϰουμέν. Περιήγησ., v. 244. Geogr. veter. script. Græc. minor., t. IV. Oxon., 1697).
  21. Voyez ibid., vers 220.
  22. Voyez ibid., vers 251.
  23. Tom. I, l. IX, p. 724. Paris, 1630.
  24. Mémoires des missions du Levant, tom. VII, pag. 121
  25. Voyage de Norden, tom. III, pag. 27 ; Paris, 1795.
  26. Description of the East, t. I, p. 121.
  27. Voyage de Bruce, t. I, p. 169 ; Paris, 1790.