Description d’un parler irlandais de Kerry/5-2

Cinquième partie, chapitre II. Le verbe : radicaux et thèmes.


CHAPITRE II
LE VERBE : RADICAUX ET THÈMES

§ 160. Le radical des verbes réguliers (tel qu’il apparaît à la deuxième personne du singulier de l’impératif) peut être modifié, à l’intérieur d’un même thème, par des alternances phonétiques, non significatives ; d’autre part il présente,d’un thème à l’autre, deux types de modifications significatives ; mutations initiales (§ 165) ; au thème du futur, assourdissement de la consonne finale ou substitution d’un suffixe ‑o:- au suffixe ‑i:‑/​‑əgʹ‑.

§ 161. A. Radicaux terminés par une consonne. Celle-ci peut être vélaire ou palatale et conserve en principe sa qualité à travers toute la flexion (mais cf. § 171) :

sans alternance vocalique : radicaux en :

α) consonne sourde ou groupes consonantiques autres que ceux mentionnés sous 3º ; thème du futur semblable au thème du présent : tʹitʹəmʹ (tuitim) « je tombe » ; lœʃgʹəmʹ (loiscim) « je brûle », etc. ;

β) occlusive sonore ; en corrélation avec une sourde, au thème du futur : krʹedʹəmʹ (creidim) « je crois ». fut. krʹetʹəd (creidfad) ;

γ) liquide ou nasale ; celle-ci est suivie de ‑h‑, au thème du futur : du:nəmʹ (dúnaim) « je ferme », fut. du:nhəd (dúnfad).

avec alternance vocalique quantitative : des racines terminées par une liquide ou par une nasale (‑m‑, ‑nn‑, ‑ll‑, ‑rr‑) présentent l’alternance signalée § 7 entre voyelle brève, devant désinence vocalique, et voyelle longue, à la finale et devant désinence consonantique : kroməmʹ (cromaim) « je courbe », impér. krɑum (crom), fut. krɑumhəd (cromfad) ; de même αrəmʹ (gearraim) « je coupe », fut. gʹɑ:rhəd (gearrfad), etc.

avec alternance de formes monosyllabiques et disyllabiques, dans les conditions indiquées § 8.

Les radicaux présentant, devant désinence vocalique, un groupe terminé par liquide ou nasale (d’un des types énumérés Phonétique, § 226 sq.) offrent, à la finale ou devant désinence consonantique, une forme disyllabique, avec insertion de ‑ə- entre les deux éléments du groupe. Ces verbes sont, généralement, passés dans le parler à la flexion longue (voir § 164) et ne conservent de la flexion brève que les formes sans désinence ; d’où les oppositions : fʹrʹαgri:mʹ (freagruighim) « je réponds », dʹrʹαgər ʃe (d’fhreagair sé) « il répondit » ; ɑbri:mʹ (abruighim) « je dis », impér. ɑbərʹ (abair) ; ʃαχni:mʹ (seachnuighim) « je prends garde à », impér. ʃαχənʹ (seachain). Au thème du futur on a ʃɑχno:d (seachnóchad), comme dans le type C (§ 163).

4º La même alternance syllabique se trouve combinée avec une alternance quantitative : i:mʹrʹi:mʹ (imrighim) « je joue », impér. imərʹ (imir) ; i:nʹʃəmʹ (innsim) « je dis » impér. ənʹiʃ (innis), devant occlusive dentale i:nʹʃ (i:nʹʃ dom e « dis-le-moi ») ; ce verbe a conservé la flexion brève.

§ 162 B. Radicaux avec alternance d’une forme à spirante ou ‑gʹ final (formes à désinence zéro) et d’une forme sans spirante (cf. § 6). 1º Sans alternance quantitative, avec voyelle longue ou diphtongue radicale : glè:mʹ (glaodhaim) « j’appelle », impér. glè:g (glaodh) ; tʹrʹαumʹ (treabhaim) « je laboure », impér. tʹrʹαugʹ (treabhaigh), et cf. § 72 ; sgrʹi:mʹ (scríobhaim) « j’écris », sgrʹi:v (scríobh) ou sgri:gʹ ; avec alternance quantitative, la voyelle radicale étant brève aux formes à désinence zéro et à désinences consonantiques : li:mʹ (luighim) « je me couche », impér. ligʹ (luigh), impers. litʹər (luightear); de même nʹi:mʹ (nighim) « je lave », nʹigʹ (nigh), nʹitʹə (nighte) « lavé », etc.

mɑri:mʹ (marbhuighim) « je tue », prét. wαrʹəvʹ ʃe (mhairbh sé), ʃαsi:mʹ (seasuighim) « je me lève », prét. hαsəvʹ ʃe (sheasaimh sé), kʹinʹi:mʹ (congbhaim) « je garde », impér. kʹinʹəvʹ (congaibh), forment le futur comme les verbes de classe C : maro:d, ʃαso:d, kʹinʹo:d.

§ 163. C. Radicaux présentant un suffixe de dérivation ‑i:‑/​‑əgʹ (exceptionnellement ‑əvʹ, par confusion avec le type précédent)/​‑o:- (au futur) : αsti:mʹ (teastuighim) « je suis nécessaire, je fais besoin », prét. hαstəgʹ ʃe (theastuigh sé), fut. αsto:d (teastóchad) ; bαlʹi:mʹ (bailighim) « je recueille », prét. wαlʹəgʹ ʃe et wαlʹəvʹ ʃe (bhailigh se) ; en face de ces verbes on a normalement des substantifs verbaux en ‑u: (‑ughadh), adjectifs verbaux en ‑əhə (cf. §§ 66 et 71). La plupart des verbes de ce type étant des dérivés et reconnaissables comme tels, la flexion longue est sentie comme la flexion dénominative par excellence, et tend à s’annexer tous les dénominatifs de flexion brève, et même divers groupes de verbes qui ne sont pas dénominatifs : tαrʹəgʹi:mʹ (tarraingim) « je tire », prét. hαrʹəgʹ (tharraigh), fut. tαrʹəkʹo:d, etc. (voir § suivant).

§ 164. Flottements entre la flexion « longue » et la flexion « brève ».

On a vu (§ 161) que les radicaux à alternance syllabique de type A, 3º sont passés à la flexion longue, conservant seulement de la flexion brève les formes à désinence zéro : encore celles-ci même tendent-elles à être éliminées par les formes longues : on aura ainsi χodləgʹ ʃe (chodlaigh sé) « il dormit », à côté de χodəlʹ ʃe (chodail sé), etc. ; smʷi:nʹəs (smaoineas) ou smʷi:nʹi:s (smaoinigheas) « je pensai » et imp. smʷi:nʹəgʹ (smaoinigh). Mais, e. g., toujours osgəlʹ (oscail) impér. de osgliːmʹ (oscluighim) « j’ouvre », l’usage variant d’un verbe à l’autre.

Même en dehors de ce type, cette tendance se fait sentir, particulièrement dans les dénominatifs, et provoque des disparates et des flottements, non seulement d’un sujet à l’autre, mais d’un thème verbal à l’autre, et même à l’intérieur d’un thème : kɑuri:mʹ (cabhraighim) « j’aide », fait au futur kɑurhəd (cabharfad) ou kɑuro:d (cabhróchad), impér. kαurʹ (cabhair) ou kɑurəgʹ (cabhruigh) ; αrəmʹ (bearraim) « je rase », ou αri:mʹ, fait au futur bʹɑ:rhəd (bearrfad), au prétérit 1re pers. αrəs, 3e pers. vʹɑ:r ʃe (bhearr sé) ou αrəgʹ ʃe. De même αrəmʹ (gearraim) « je coupe », ou αri:mʹ futur gʹɑ:rhəd (gearrfad) mais à l’impératif habituellement αrəgʹ ; αnʹhi:mʹ (aithnighim) « je reconnais », prét. 3. dαnʹhəgʹ ou dαhənʹ ʃe (d’aithin se) fut. αnʹho:d, etc. Ailleurs c’est le prétérit qui est de flexion longue, en face d’un présent qui maintient au moins partiellement la flexion brève : lœrʹəgʹi:s (loirgigheas), en face de lœrʹəgʹəmʹ ou lœrʹəgʹi:mʹ (loirgim) ; faut-il rapprocher de ce fait la deuxième personne du pluriel longue de l’impératif (voir § 171), et l’intrusion d’une deuxième personne du singulier longue dans le prétérit de quelques verbes irréguliers (§ 179) ?

Noter, dans quelques verbes passés au type C, un futur cumulant le suffixe ‑o:- avec l’assourdissement de la finale du radical : lœrʹəkʹo:d (loirgeóchad), tαrʹəkʹo:d (tarraingeóchad).

On pourrait multiplier les exemples de ce genre. Tous attestent la tendance, générale mais incohérente, à l’extension du type long aux dépens du type bref.

§ 165. Les thèmes verbaux et les alternances initiales.

L’initiale du verbe est susceptible d’être modifiée par les particules verbales qui la précédent (§ 216). L’aspiration initiale apparaît par ailleurs en l’absence de tout proclitique. soit du thème du prétérit, soit Elle est alors caractéristique du temps secondaire.

Le thème du prétérit est, dans les verbes réguliers, semblable au thème de présent, dont il se distingue par l’aspiration d’une initiale consonantique ou par la préfixation à une initiale vocalique (et par conséquent aussi à un f- initial, passé à zéro du fait de l’aspiration) de d,  : buelʹəmʹ (buailim) « je frappe », prét. vuelʹəs (bhuaileas) ; o:ləmʹ (ólaim) « je bois », prét. do:ləs (d’ólas). On rencontre aussi une forme j, représentant l’aspiration d’une initiale vocalique palatale (ou de ), et une forme ǥ, représentant l’aspiration d’une initiale vocalique vélaire (ou de f), toutes deux précédées de la particule do, də, au prétérit : də jimʹə ʃe (do dh’ imthigh sé) « il s’en alla ». Mais cf. au présent : nʹi ǥαnʹhʹi:mʹ (ní aithnighim) « je ne reconnais pas ».

Le présent secondaire, par opposition au présent et à l’impératif, le futur secondaire, par opposition au futur, ont, dans les mêmes conditions, l’aspiration de l’initiale.

L’impersonnel ne présente pas en principe l’aspiration initiale, mais on observe une tendance à en conformer l’initiale à celle des formes personnelles (cf. §§ 170, 181, 183 sq.), au prétérit et aux temps secondaires.