Des théorèmes mécaniques (trad. Reinach)/Théorème XV

Traduction par Théodore Reinach.
Texte établi par Théodore ReinachArmand Colin (p. 83-89).


XV[1]

[Si l’on inscrit dans un cube deux cylindres ayant chacun ses bases inscrites dans deux faces opposées du cube et sa surface latérale tangente aux quatre autres faces, le volume formé par l’intersection des deux cylindres équivaut aux deux tiers du cube.

Première démonstration (mécanique).

Supposons (fig. 20) que nos deux cylindres aient des axes horizontaux. Menons un plan vertical perpendiculaire à l’un de ces axes (α) et passant par le centre Κ du cube, et que ce soit le plan de la Figure 20 : Calcul du volume de l’intersection de deux cylindres égaux et orthogonaux par la méthode mécanique (section verticale).
Fig. 20.
figure. Il coupera le cylindre (α) selon le cercle ΑΒΓΔ, le cube et le cylindre (β) selon le carré ΦΨΩΧ. Prolongeons ΑΒ, ΑΔ jusqu’à leurs intersections Ε, Ζ avec ΧΩ et complétons le rectangle ΕΖΗΛ : ce sera une section verticale d’un prisme rectangulaire, qui a même hauteur que le cube et pour base un carré de côté double. Le triangle ΑΕΖ est la section verticale d’une pyramide à base carrée, ayant même base et même hauteur que ce prisme.

Prolongeons ΑΓ de ΑΘ = ΑΓ et considérons ΓΘ comme un levier ayant Α pour milieu fixe. Menons un plan horizontal ΜΝ : il coupe les deux cylindres selon deux rectangles égaux qui ont eux-mêmes pour partie commune un carré de côté ΞΟ qui coupe le cercle ΑΒΓΔ selon la corde ΞΟ. Ce même plan coupe le prisme selon un carré de côté ΜΝ, la pyramide selon un carré de côté ΠΡ.

On a (cf. le théorème II) :

ΑΘ/ΑΣ = ΑΓ/ΑΣ = ΜΣ/ΣΠ = ΜΣ²/ΜΣ.ΣΠ.

Mais :

ΜΣ.ΣΠ (= ΓΑ.ΑΣ = ΑΞ² = ΞΣ² + ΑΣ²) = ΞΣ² + ΣΠ² ;

donc :

ΑΘ/ΑΣ = ΜΣ²/ΞΣ² + ΣΠ² = ΜΝ²/ΞΟ² + ΠΡ² = carré ΜΝ/carré ΞΟ + carré ΠΡ,

c’est-à-dire que le carré ΜΝ, restant en place, équilibre par rapport à Α les carrés ΞΟ, ΠΡ transportés en Θ comme centre de gravité. Cette proposition reste vraie pour n’importe quelle position du plan ΜΝ et, par conséquent, pour les sommes des trois espèces de carrés interceptés par chacun de ces plans. Donc, en totalisant, le prisme (somme des carrés ΜΝ) restant en place équilibre la pyramide (somme des carrés ΠΡ) et le volume commun aux deux cylindres (somme des carrés ΞΟ) transportés Θ comme centre de gravité commun. Le prisme ayant évidemment pour centre de gravité Κ, on doit donc avoir :

prisme/pyramide + volume commun = ΘΑ/ΚΑ = 2.

La pyramide vaut 1/3 du prisme, donc :

prisme = 2 prismes/3 + 2 vol. comm.,

d’où :

vol. comm. = 1/6 prisme ;

et comme le prisme vaut quatre fois le cube :

vol. comm. = 2/3 cube. C. q. f. d.

Deuxième démonstration (géométrique).

Soit, comme précédemment, une section verticale. Figure 21 : Calcul du volume de l’intersection de deux cylindres égaux et orthogonaux par la méthode géométrique (section verticale).
Fig. 21.
Menons (fig. 21) le triangle ΦΚΨ : ce sera la section verticale d’une pyramide ayant son sommet en Κ et pour base un des carrés du cube. Un plan horizontal ΛΡ coupera le cube selon un carré de côté ΛΡ, la pyramide selon un carré de côté ΝΟ, le volume commun selon un carré de côté ΜΠ. On a :

ΞΚ² + ΞΠ² = (ΚΠ² = ΚΔ² =) ΞΡ² ;

et, comme ΞΚ = ΞΝ, on a :

ΞΝ² + ΞΠ² = ΞΡ².

C’est-à-dire :

carré (ΝΟ) + carré (ΜΠ) = carré (ΛΡ).

Cette égalité étant vraie pour n’importe quelle position de la parallèle ΛΡ, on a, en sommant :

Σ carrés ΝΟ + Σ carrés ΜΠ = Σ carrés ΛΡ,

c’est-à-dire :

2 pyramides ΦΚΨ + volume commun = cube ΦΨΧΩ[2].

Et comme la pyramide est le 6e  du cube :

volume comm. = cube − 2/6 cube = 2/3 cube. C. q. f. d.

Remarque.

Considérons toujours les deux cylindres horizontaux (fig. 22 et 23). On a vu (1re  démonstration) qu’une série de plans horizontaux les coupent selon deux rectangles qui ont pour partie commune un carré. Ces carrés vont en croissant depuis le point Ν (fig. 22) — auquel se réduit l’intersection des génératrices dans le plan ΑΓ — jusqu’au carré εζηθ correspondant à la section médiane, puis en diminuant de nouveau jusqu’au point Ν′, centre de la base ΕΖΗΘ. Le solide commun[3] est formé par la Figure 22 : Calcul du volume de l’intersection de deux cylindres égaux et orthogonaux par la méthode géométrique (vue perspective).
Fig. 22.
superposition de tous ces carrés. Les sommets de tous ces carrés, c’est-à-dire les arêtes du solide commun, sont (fig. 22) dans les plans ΒΔΘΖ et ΑΓΗΕ. Ces deux plans décomposent le solide commun en quatre portions de cylindre. Si nous les coupons par les deux plans verticaux médians du cube, αβγδ, λκμν, chacune de ces portions de cylindre se décompose en deux sabots ou onglets, pareils à ceux du théorème XI, égaux et adossés deux à deux par leur base : tel est, par exemple ηΝΝ′Λ (fig. 23), (où l’on peut remarquer que ΝηΝ′ est une demi ellipse inclinée à 45° sur le plan ΝΛΝ′.) Chacun de ces sabots, en vertu du théorème XI, est égal au 1/6 d’un parallélépipède ayant même base que le cube et demi-hauteur, c’est-à-dire moitié du cube. Chaque sabot vaut donc 1/12 du cube, et comme le Figure 23 : Calcul du volume de l’intersection de deux cylindres égaux et orthogonaux par décomposition en sabots de cylindres.
Fig. 23.
solide se décompose symétriquement en huit sabots pareils, le volume total représente les 8/12, c’est-à-dire les 2/3 du cube.]


  1. La démonstration de ce théorème (dont l’énoncé a été donné dans le préambule) a péri en entier. Je l’ai restituée d’après l’analogie des démonstrations précédentes et en m’inspirant des observations de Zeuthen, op. cit., p. 356, suiv. Mais, comme il s’agissait ici d’un morceau entièrement perdu, j’ai cru pouvoir me réduire à l’essentiel, sans chercher à reproduire le détail des raisonnements et des calculs, toujours un peu longs, d’Archimède.
  2. Le passage de l’égalité des surfaces des sections à l’égalité des volumes est évidemment sans rigueur, mais inspiré de raisonnements analogues d’Archimède. Il serait, d’ailleurs, facile de donner au raisonnement plus de précision en décomposant la pyramide et le solide en deux séries de prismes carrés inscrits et circonscrits, dont leurs volumes sont les limites respectives (cf. la troisième démonstration du théorème précédent).
  3. Il a la forme dite en architecture « voûte d’arêtes » ou « voûte de cloître ».