Des principes de l’économie politique et de l’impôt/Chapitre 21

Des principes de l’économie politique et de l’impôt

CHAPITRE XXI.

DES EFFETS DE L’ACCUMULATION SUR LES PROFITS ET SUR L’INTÉRÊT DES CAPITAUX.


D’après la manière dont nous avons considéré les profits des capitaux, il semblerait qu’aucune accumulation de capital ne peut faire baisser les profits d’une manière permanente, à moins qu’il n’y ait quelque cause, également permanente, qui détermine la hausse des salaires. Si les fonds pour le paiement du travail étaient doublés, triplés ou quadruplés, il ne serait pas difficile de se procurer bientôt la quantité de bras nécessaires pour l’emploi de ces fonds ; mais en raison de la difficulté croissante d’augmenter constamment la quantité de subsistances, la même valeur en capital ne pourrait probablement pas faire subsister la même quantité d’ouvriers. S’il était possible d’augmenter continuellement, et avec la même facilité, les objets nécessaires à l’ouvrier, il ne pourrait y avoir de changement dans le taux des profits et des salaires, quel que fût le montant du capital accumulé. Cependant Adam Smith attribue toujours la baisse des profits à l’accumulation des capitaux et à la concurrence qui en est la suite, sans jamais faire attention à la difficulté croissante d’obtenir des subsistances pour le nombre croissant d’ouvriers que le capital additionnel emploie. « L’accroissement des capitaux, dit-il, qui fait hausser les salaires, tend à abaisser les profits[1]. Quand les capitaux d’un grand nombre de riches commerçants sont versés dans la même branche de commerce, leur concurrence mutuelle tend naturellement à en faire baisser les profits ; et quand les capitaux se sont pareillement grossis dans tous les différents commerces établis dans la société, la même concurrence doit produire le même effet dans tous. »

Adam Smith parle ici d’une hausse des salaires, mais c’est d’une hausse momentanée, provenant de l’accroissement des fonds avant qu’il y ait accroissement de population ; et il paraît ne pas s’être aperçu qu’à mesure que le capital grossit, l’ouvrage que ce capital doit faire exécuter augmente dans la même proportion. Cependant M. Say a prouvé de la manière la plus satisfaisante, qu’il n’y a point de capital, quelque considérable qu’il soit, qui ne puisse être employé dans un pays, parce que la demande des produits n’est bornée que par la production. Personne ne produit que dans l’intention de consommer ou de vendre la chose produite, et on ne vend jamais que pour acheter quelque autre produit qui puisse être d’une utilité immédiate, ou contribuer à la production future. Le producteur devient donc consommateur de ses propres produits, ou acheteur et consommateur des produits de quelque autre personne. Il n’est pas présumable qu’il reste longtemps mal informé sur ce qu’il lui est plus avantageux de produire pour atteindre le but qu’il se propose, c’est-à-dire, pour acquérir d’autres produits. Il n’est donc pas vraisemblable qu’il continue à produire des choses pour lesquelles il n’y aurait pas de demande[2].

Il ne saurait donc y avoir dans un pays de capital accumulé, quel qu’en soit le montant, qui ne puisse être employé productivement, jusqu’au moment où les salaires auront tellement haussé par l’effet du renchérissement des choses de nécessité, qu’il ne reste plus qu’une part très-faible pour les profits du capital, et que, par là, il n’y ait plus de motif pour accumuler[3]. Tant que les profits des capitaux seront élevés, les particuliers auront un motif pour accumuler. Tant qu’un individu éprouvera le désir de satisfaire une certaine jouissance, il aura besoin de plus de marchandises, et la demande sera effective dès qu’il aura une nouvelle valeur quelconque à offrir en échange pour ces marchandises. Si on donnait 10, 000 l. st. à un homme qui en possède déjà 100, 000 l. de rente, il ne les serrerait pas dans son coffre ; il augmenterait sa dépense de 10, 000 l. ; il les emploierait d’une manière productive, ou il prêterait cette somme à quelque autre personne pour cette même fin. Dans tous les cas, la demande s’accroîtrait, mais elle porterait sur des objets divers. S’il augmente sa dépense, il est probable qu’il emploiera son argent à des constructions, à des meubles, ou à tout autre objet d’agrément. S’il emploie ses 10, 000 l. d’une manière productive, il consommera plus de subsistances, d’objets d’habillement et de matières premières, qui serviraient à mettre à l’œuvre de nouveaux ouvriers. Ce serait toujours une demande[4].

On n’achète des produits qu’avec des produits, et le numéraire n’est que l’agent au moyen duquel l’échange s’effectue. Il peut être produit une trop grande quantité d’une certaine denrée, et il peut en résulter une surabondance telle dans le marché, qu’on ne puisse en retirer ce qu’elle a coûté ; mais ce trop plein ne saurait avoir lieu pour toutes les denrées. La demande de blé est bornée par le nombre de bouches qui doivent le manger ; celle des souliers et des habits, par le nombre des personnes qui doivent les porter ; mais quoique une société, ou partie d’une société, puisse avoir autant de blé et autant de chapeaux et de souliers qu’elle peut ou qu’elle veut en consommer, on ne saurait en dire autant de tout produit de la nature ou de l’art. Bien des personnes consommeraient plus de vin, si elles avaient le moyen de s’en procurer. D’autres, ayant assez de vin pour leur consommation, voudraient augmenter la quantité de leurs meubles, ou en avoir de plus beaux. D’autres pourraient vouloir embellir leurs campagnes, ou donner plus de splendeur à leurs maisons. Le désir de ces jouissances est inné dans l’homme ; il ne faut qu’en avoir les moyens ; et un accroissement de production peut, seul, fournir ces moyens. Avec des subsistances et des denrées de première nécessité à ma disposition, je ne manquerai pas longtemps d’ouvriers dont le travail puisse me procurer les objets qui pourront m’être plus utiles ou plus désirables.

La baisse ou la hausse de profits, que cet accroissement de production et la demande qui en est la suite pourront occasionner, dépend uniquement de la hausse des salaires ; et la hausse des salaires, excepté pendant un temps limité, tient à la facilité de produire les subsistances et les choses nécessaires à l’ouvrier. J’ai dit, pendant un temps limité, car il n’y a rien de mieux établi que ce principe, suivant lequel la quantité des ouvriers doit toujours, en dernière, analyse, se proportionner aux moyens de les payer.

Il n’y a qu’un seul cas, et celui-là n’est que temporaire, dans lequel l’accumulation du capital, accompagnée du bas prix des subsistances, peut amener une baisse des profits ; ce cas est celui où les fonds destinés à faire subsister les ouvriers s’accroissent plus vite que la population. Dans ce cas, les salaires seront forts et les profits faibles. Si tout le monde renonçait à l’usage des objets de luxe, et ne songeait qu’à accumuler, il pourrait être produit une quantité d’objets de nécessité, dont il ne pourrait pas y avoir de consommation immédiate. Il pourrait sans doute y avoir alors un engorgement général de ces produits, et par conséquent il se pourrait qu’il n’y eût ni demande pour une quantité additionnelle de ces articles, ni profits à espérer par l’emploi d’un nouveau capital. Si on cessait de consommer, on cesserait de produire, et cette concession n’est pas en opposition avec le principe général. Dans un pays tel que l’Angleterre, par exemple, il est difficile de supposer qu’il puisse y avoir de motif qui détermine les habitants à consacrer tout leur capital et leur travail à la production exclusive des choses de première nécessité.

Quand des commerçants placent leurs capitaux dans le commerce étranger ou de transport, c’est toujours par choix, et jamais par nécessité. Ils ne le font que parce que leurs profits, dans ce commerce, sont un peu au-dessus de ceux du commerce intérieur.

Adam Smith a observé, avec raison, que « le besoin de nourriture était, dans chaque individu, limité par la capacité bornée de l’estomac de l’homme ; mais que le désir des choses commodes ou des objets de décoration et d’ornement pour les édifices, l’habillement, les équipages ou l’ameublement, paraît n’avoir point de bornes ou de limite certaine. La nature a donc nécessairement limité la somme des capitaux qui peut, à une époque quelconque, être consacrée avec profit à l’agriculture ; mais elle n’a point posé de limites à la somme de capital qui peut être consacrée à nous procurer les choses utiles à l’existence, et propres à l’embellir. » Nous procurer le plus grand nombre possible de ces jouissances, voilà le but que nous nous proposons, et c’est uniquement parce que le commerce étranger, ou celui de transport, parvient mieux à ce but, que les commerçants l’entreprennent de préférence à la fabrication des objets désirés, ou de ceux qui peuvent les remplacer dans le pays même. Si, cependant, des circonstances particulières nous empêchaient de placer nos capitaux dans le commerce étranger ou dans celui de transport, nous serions obligés de les employer, quoique moins avantageusement, chez nous ; et tant qu’il n’y a point de limites au désir de posséder « des choses commodes, des objets d’ornement pour les édifices, l’habillement, les équipages et l’ameublement, » il ne saurait y avoir d’autres limites aux capitaux qui peuvent être employés pour nous procurer ces objets, que celles des subsistances destinées aux ouvriers qui doivent les produire.

Adam Smith dit cependant que le commerce de transport n’est point un commerce de choix, mais de nécessité ; comme si le capital qui y est versé fût resté stérile sans un pareil emploi ; comme si le capital employé au commerce intérieur pouvait regorger s’il n’était contenu dans de certaines limites. « Quand la masse des capitaux d’un pays, dit-il, est parvenue à un tel degré d’accroissement, qu’elle ne peut être toute employée à fournir à la consommation de ce pays, et à faire valoir son travail productif, alors le superflu de cette masse se décharge naturellement dans le commerce de transport, et est employé à rendre le même service à des pays étrangers.

« On achète, avec une partie du produit superflu de l’industrie de la Grande-Bretagne, environ quatre-vingt-seize mille quarters de tabac dans la Virginie et le Maryland. Or, la demande de la Grande-Bretagne n’en exige peut-être pas plus de quatorze mille. Ainsi, si les quatre-vingt-deux mille restant ne pouvaient être exportés et échangés contre quelque chose de plus demandé dans le pays, l’importation de cet excédant cesserait aussitôt, et, avec elle, le travail productif de tous ceux des habitants de la Grande-Bretagne qui sont maintenant employés à préparer les marchandises avec lesquelles ces quatre-vingt-deux mille quarters sont achetés tous les ans. » Mais cette portion du travail productif de la Grande-Bretagne ne pourrait-elle pas être employée à préparer des marchandises d’une différente espèce, avec lesquelles on aurait la faculté d’acheter quelque chose qui serait plus demandé dans le pays ? Et quand même cela serait impossible, ne pourrait-on pas, quoique avec moins d’avantage, employer ce travail productif à fabriquer les articles demandés dans le pays, ou du moins à en fournir d’autres qui pussent les remplacer ? Si nous avions besoin de velours, ne pourrait-on pas essayer d’en faire ; et si nous ne pouvions pas y réussir, ne serait-il pas possible de fabriquer plus de drap, ou quelque autre objet qui serait à notre convenance ?

Nous fabriquons des marchandises, et avec ces marchandises nous en achetons d’autres à l’étranger, parce que nous pouvons nous les y procurer à meilleur compte que si nous les fabriquions chez nous. Qu’on nous prive de ce commerce, et à l’instant nous fabriquerons de nouveau ces articles pour notre usage. D’ailleurs cette opinion d’Adam Smith est en contradiction avec toute sa doctrine générale sur cette matière. « Si un pays étranger peut nous fournir une marchandise à meilleur marché que nous ne sommes en état de le faire nous-mêmes, il vaut bien mieux que nous la lui achetions avec les produits de quelque industrie où nous excellions. L’industrie générale du pays étant toujours en proportion du capital qui la met en œuvre, elle ne sera pas diminuée pour cela ; … seulement ce sera à elle à chercher la manière dont elle peut être employée à son plus grand avantage. »

Et dans une autre endroit : « Par conséquent, ceux qui peuvent disposer d’une plus grande quantité de vivres qu’ils ne peuvent en consommer, sont toujours prêts à donner ce surplus, ou, ce qui revient au même, sa valeur en échange d’un autre genre de jouissances. Tout ce qui reste après avoir satisfait des besoins nécessairement limités, est donné pour flatter ces désirs que rien ne saurait satisfaire, qui paraissent tout à fait insatiables. Les pauvres, pour avoir de la nourriture, travaillent à satisfaire les fantaisies des riches ; et, pour être plus sûrs d’obtenir cette nourriture, ils enchérissent l’un sur l’autre à qui travaillera à meilleur marché, et à qui mettra plus de perfection à son ouvrage. Le nombre des ouvriers s’accroît par l’abondance de vivres, ou par les améliorations croissantes dans la culture des terres ; et comme la nature de leurs occupations est susceptible de la plus grande division de travail, la quantité de matières qu’ils peuvent consommer augmente dans une proportion beaucoup plus forte que le nombre des ouvriers. De là naît une demande de toute sorte de matières que l’industrie des hommes peut employer en objets d’utilité ou d’ornement, en habillements, équipages, ameublements, substances fossiles, minéraux renfermés dans le sein de la terre, et métaux précieux. »

Il résulte donc de ces développements qu’il n’est pas de limites pour la demande, pas de limites pour l’emploi du capital, toutes les fois que le capital donne quelques profits et que ces profits ne peuvent baisser que par suite de la hausse des salaires. Enfin rajouterai que la seule cause qui fasse hausser constamment les salaires, c’est la difficulté toujours croissante de se procurer de la nourriture et des objets de première nécessité pour le nombre chaque jour croissant des ouvriers.

Adam Smith a observé, avec raison, qu’il est extrêmement difficile de fixer le taux des profits des capitaux. « Le profit est sujet à des variations telles, dit-il, que même dans un commerce particulier, et à plus forte raison dans les différentes branches de commerce en général, il serait difficile d’en déterminer le terme moyen … Et quant à prétendre juger avec une certaine précision de ce qu’il peut avoir été à des époques antérieures, c’est ce qui doit être absolument impossible. » Cependant, puisqu’il est évident qu’on paie cher la faculté de se servir de l’argent, toutes les fois que par son moyen on peut gagner beaucoup, il croit que « le taux ordinaire de l’intérêt sur la place peut nous conduire à nous former quelque idée du taux des profits, et que l’histoire des progrès de l’intérêt peut nous donner celle du progrès des profits. » Certes, si le taux de l’intérêt pouvait être connu avec précision pendant une époque un peu considérable, il pourrait nous fournir une mesure assez exacte pour estimer le progrès des profits.

Mais dans tous les pays, par suite de fausses notions en économie politique, les gouvernements sont intervenus, pour empêcher que le taux de l’intérêt ne s’établît d’une manière libre et équitable, en imposant de grosses et excessives amendes sur tous ceux qui prendraient un intérêt au-dessus de celui fixé par la loi. On élude probablement partout de semblables lois ; mais l’histoire nous apprend peu de choses à ce sujet, et les écrivains nous indiquent plutôt l’intérêt fixé par les lois, que son taux courant.

Pendant la dernière guerre, les billets de l’échiquier et de la marine, en Angleterre, ont éprouvé une perte telle, qu’en les achetant on a pu retirer 7 et 8 pour cent, ou même un plus fort intérêt de son argent. Le gouvernement a négocié des emprunts à un intérêt au-dessus de 6 pour cent, et des particuliers se sont souvent vus forcés de payer, par des voies indirectes, plus de 10 pour cent pour l’intérêt de l’argent ; et néanmoins, pendant tout ce temps, l’intérêt légal était toujours au taux de 5 pour cent. Il y a donc fort peu de fond à faire sur ce que les historiens peuvent dire de l’intérêt fixe et légal, puisque nous voyons jusqu’à quel point il peut être différent du taux courant. Adam Smith nous apprend que, depuis la trente-septième année du règne de Henri VIII jusqu’à la vingtième année de Jacques Ier, le taux légal de l’intérêt demeura à 10 pour cent. Peu de temps après la restauration, il fut réduit à 6 pour cent ; et, par le statut de la douzième année de la reine Anne, à 5 pour cent. Il croit que l’intérêt légal a suivi, et non précédé le taux courant de l’intérêt. Avant la guerre d’Amérique, le gouvernement anglais empruntait à 3 pour cent, et dans la capitale, ainsi que dans beaucoup d’autres endroits du royaume, les gens qui avaient bon crédit empruntaient à 3 ½, 4 et 4 ½ pour cent.

Le taux de l’intérêt, quoiqu’il soit en dernière analyse, et d’une manière stable, déterminé par le taux des profits, est cependant sujet à éprouver des variations temporaires par d’autres causes. À la suite de chaque fluctuation dans la quantité et la valeur de l’argent, le prix des denrées doit naturellement varier. Il varie encore, ainsi que nous l’avons déjà fait voir, par le changement dans les rapports entre l’offre et la demande, quoique la production ne soit ni plus ni moins aisée. Quand le prix courant des marchandises baisse par l’effet d’un approvi­sionnement abondant, d’une moindre demande ou d’une hausse dans la valeur de l’argent, un manufacturier garde en magasin une quantité extraordinaire de marchandises prêtes pour la vente, plutôt que de les livrer à vil prix. Et pour faire face à ses engagements, pour le paiement desquels il comptait auparavant sur la vente de ses articles, il est obligé d’emprunter à crédit, et souvent à un taux d’intérêt plus élevé. Cela, cependant, n’a qu’une courte durée ; car, ou l’espoir du manufacturier est fondé, et le prix courant de ses marchandises montera ; ou bien il s’aperçoit que la diminution de la demande est permanente, et alors il ne cherche plus à résister à la direction que le commerce a prise ; les prix baissent, et l’argent ainsi que l’intérêt reprennent leur ancien taux. Si, par la découverte d’une nouvelle mine, par l’abus des banques ou par toute autre cause, la quantité de la monnaie augmente considérablement, son effet définitif est d’élever le prix des choses en proportion de l’accroissement de la monnaie ; mais il y a probablement toujours un intervalle pendant lequel le taux de l’intérêt subit quelque variation.

Le prix des fonds publics n’est pas un indice certain pour estimer le taux de l’intérêt. En temps de guerre, le marché est si surchargé de rentes sur l’État, par suite des emprunts continuels que fait le gouvernement, qu’avant que le prix de la rente ait eu le temps de prendre son juste niveau, une nouvelle opération financière ou des événements politiques changent toute la situation. En temps de paix, au contraire, l’action du fonds d’amortissement, la répugnance qu’éprouve une certaine classe de gens à donner à leurs fonds un emploi autre que celui auquel ils sont habitués, qu’ils regardent comme très-sûr, et dans lequel les dividendes leur sont payés avec la plus grande régularité ; toutes ces causes font monter les rentes sur l’État, et abaissent par conséquent le taux de l’intérêt sur ces valeurs au-dessous du prix courant sur la place. Il faut observer encore que le gouvernement paie des intérêts différents, selon la solidité de ses rentes. Pendant que le capital placé dans les 5 pour cent se vend 95 l. st., un billet de l’échiquier de 100 liv. vaudra quelquefois 100 l. 5 sh., quoiqu’il ne porte que 4 l. 11 sh. 3 d. d’intérêt annuel. L’un de ces effets rapporte à l’acheteur, aux prix mentionnés, un intérêt de 5 ¼ pour cent ; l’autre ne rapporte que 4 ¼. Les banquiers ont besoin d’une certaine quantité de ces billets d’échiquier, comme offrant un placement sûr et négociable. Si leur quantité dépassait de beaucoup cette demande, ils se trouveraient aussi bas que les 5 pour cent. La rente à 3 pour cent par au aura toujours, comparativement, un prix plus haut que celle à 5 pour cent ; car le principal de l’une comme de l’autre ne peut être remboursé qu’au pair, c’est-à-dire, en donnant 100 l. st. en argent pour 100 l. st. de capital en rentes. Le prix courant de l’intérêt sur la place peut tomber à 4 pour cent, et, dans ce cas, le gouvernement rembourserait au possesseur des 5 pour cent son capital au pair, à moins qu’il ne consentît à recevoir 4 pour cent, ou un intérêt au-dessous de 5 pour cent. Le gouvernement ne retirerait aucun avantage de rembourser ainsi le possesseur des 3 pour cent, tant que le taux courant de l’intérêt ne serait pas descendu au-dessous de 3 pour cent par an.

Pour payer les intérêts de la dette nationale, l’on retire quatre fois par an, et pendant peu de jours, de grandes sommes de monnaie de la circulation. Ces demandes de monnaie, n’étant que temporaires, ont rarement de l’effet sur les prix ; elles sont, en général, remplies moyennant le paiement d’un taux plus élevé d’intérêt[5].

  1. Il m’est impossible, à voir la persistance avec laquelle Ricardo cherche à établir l’antagonisme prétendu des salaires et des profits, et son impassibilité devant les démentis que l’expérience donne à son système, il m’est impossible, dis-je, de ne pas croire à une confusion dans les idées qu’il remue. Il a beau appeler Ad. Smith à son secours pour le sauver de la réalité qui le combat, il a beau se couvrir de mystères dans certains passages, distinguer entre les hausses momentanées et les hausses prolongées, entasser les observations, prétendre que chaque obole ajoutée aux salaires est une perte pour le manufacturier, nous faire chercher enfin dans les fanges du paupérisme les perles et le luxe du riche, il ne pourra faire que, par la solidarité qui relie les membres de la famille humaine, les souffrances ou les joies des uns ne retentissent, tôt ou tard dans l’âme de tous. Chacune de ces grandes années de crise, qui ont ébranlé les sociétés anglaise, américaine, française, et ont jeté sur la place publique, dans le forum ardent et courroucé, les masses sans travail que vomissaient les manufactures ; chacune de ces années aurait dû enseigner à l’austère économiste que les ouvriers sont la base de l’édifice industriel, et que lorsque la base d’un édifice s’ébranle le faîte est bien près de s’écouler, en d’autres termes, que la ruine frappe en même temps en haut et en bas. D’un autre côté, chacune de ces années radieuses, où l’on vit les débouchés s’agrandir, les capitaux affluer dans toutes les industries pour les vivifier, le travail rouvrir, comme une formule magique, les portes muettes des ateliers, l’abondance secouer de toutes parts sur le monde ses merveilles et ses richesses, chacune de ces années, dis-je, aurait dû lui prouver que si les mauvais jours pèsent sur les chefs et sur les ouvriers, les jours de prospérité ont des récompenses pour tous, sous forme de hauts salaires pour les uns, et de riches inventaires pour les autres. Je ne puis croire que Ricardo se soit tenu assez loin des événements pour n’en pas suivre la marche, et n’en pas comprendre les enseignements, et les événements eussent été pour lui un espoir, et non une sorte d’anathème, si, à mon humble avis, du moins, l’arme du raisonnement et de l’observation ne s’était faussée entre ses mains. Je ne vois pas d’autre moyen d’expliquer comment, toutes les fois qu’il indique une hostilité profonde dans les rangs des travailleurs, les faits répondent au contraire par une union qui n’a rien certainement de la tendre affection que nous promet Fourier entre pages et pagesses, mais qui repose sur l’intérêt individuel, garanti par l’intérêt social, — du moins autant que le permettent toutes les charges qui sous le nom d’octrois, de douanes, d’impôts exagères, de dettes publiques grèvent le producteur et altèrent les contrats économiques.

    Au spectacle du développement merveilleux de l’industrie, des progrès inespérés de la mécanique qui, d’un côté, abaissent chaque jour la valeur courante des marchandises, et de l’autre, provoquent l’accroissement des salaires par l’immensité de la tâche qu’il s’agit d’accomplir et par la demande de travailleurs : au spectacle de cette double impulsion, ascendante pour le prix du travail, descendante pour le prix des produits, le savant auteur des Principes d’Économie Politique n’a pas senti que, loin d’être pour le manufacturier une cause de ruine, l’avilissement graduel de ses marchandises était la base la plus sûre de sa prospérité. Dans le fait, et par une aberration étrange pour un aussi grand esprit, — aberration devant laquelle le respect a même fait longtemps hésiter notre main, — Ricardo a confondu une diminution dans la valeur des produits avec une diminution des profits. Il a vu que, par la concurrence des producteurs, les inventions se succédent chaque jour dans le champ industriel, que les forces mécaniques se retrempent au contact de la science : il a vu que le génie de l’homme, entassant ainsi les produits, luttait de prodigalité avec la nature elle-même, et tendait à faire des richesses sociales un fonds où les plus humbles vinssent puiser à peu de frais ; et cet admirable travail d’égalité, ce nivellement du bien-être, il a cru qu’on ne pouvait l’accomplir qu’en retranchant des profits du manufacturier ce que l’on accordait, par l’abaissement du prix, au consommateur, par la hausse des salaires, aux classes laborieuses. Il n’a pas vu que c’est précisément dans la salutaire action de ce double phénomène que reposent l’avenir de l’industrie et sa prospérité : car c’est ce double phénomène qui appelle la masse à consommer les produits créés, et qui, par conséquent, fait des besoins de tous un étai pour le travail de fous. Dire que parce qu’un fabricant fait à ses ouvriers une part plus large dans la répartition de la fortune publique il diminue d’autant son revenu et ses profits, c’est dire à la fois une chose fausse et une chose décourageante : — décourageante, parce que, ou l’on introduirait la lutte et la haine dans les rangs des travailleurs, ou l’on condamnerait l’ouvrier à un ilotisme barbare et à des salaires minimes, ou l’on convierait le manufacturier à une générosité impossible ; — fausse ; en ce que plus une marchandise diminue de valeur, plus elle appelle la consommation, et plus elle appelle la consommation plus les bénéfices du fabricant se grossissent. Ne nions pas, ne refusons pas, surtout, par amour pour les abstractions, ce miracle perpétuel de la production, qui appelle les plus humbles à la vie physique comme les appelait le Christ à la vie morale.

    Quoi qu’on fasse ou dise, on n’échappera pas à la force des choses ; et la force des choses veut que le capitaine ne se dépouille pas en faveur du travail, et qu’avant d’attenter à ses profits, il prélève sur les salaires ce que l’état du marché ne peut plus lui donner. Si donc on voit un manufacturier hausser le prix de la main-d’œuvre, on peut être sûr que ses inventaires ont un aspect rassurant, que ses ateliers sont en pleine activité. Lorsque l’or s’écoule en minces filets au profit des ouvriers, on peut être convaincu qu’il coule à larges flots dans la caisse des chefs d’industrie, et je ne sache pas un seul exemple où l’on ait vu les salaires grandir au sein d’une industrie languissante. « Mais, dira-t-on, ne voyez-vous pas le taux de l’intérêt s’abaisser de toutes parts, tandis que s’élève au contraire, avec la valeur des forces humaines, celle des subsistances. Ne voyez-vous pas que le producteur hérite des dépouilles du capitaliste, du propriétaire, du rentier, et que, dans ce déplacement de la richesse, les caisses des uns s’emplissent aux dépens des caisses des autres ? » Je reconnais facilement la décadence du rentier et du propriétaire, c’est-à-dire de l’élément oisif de la société. Ils représentent des capitaux inertes qui doivent nécessairement perdre de leur prix au milieu de la multiplication générale des produits et des signes monétaires : et leur fortune présente même quelque chose d’analogue à ces monnaies qui s’usent par le frai, ou bien, — que l’on me permette cette comparaison peu économique — à des habits qui deviennent trop courts pour un corps que le temps développe et grandit. Rien de plus juste et de plus naturel à leur égard ; mais je nie positivement l’autre partie de la proposition, celle qui veut envelopper dans la même déchéance toute cette classe de producteurs qui mettent en œuvre leurs capitaux, commanditent des industries, et font servir leurs sueurs d’hier à féconder leurs sueurs du jour et du lendemain. Pour ceux-là, au contraire, le bien-être s’accroît, et il faudrait pousser bien loin l’esprit de système, pour mettre la position d’un membre de la vénérable confrérie des merciers ou des drapiers du moyen-âge au-dessus de celle des manufacturiers puissants qui remuent des millions dans le Lancashire, à Lyon, à Mulhouse, et qui nous étonnent par le faste de leur existence.

    Sans doute les capitaux se sont multipliés à l’infini et sont allés, en s’épanchant sur le monde, fertiliser, comme de riches alluvions, les contrées les plus pauvres, les plus stériles sous le rapport industriel. Sans doute cette multiplication de la richesse a dû en amener la dépréciation ; sans doute, nous marchons vers une époque où les prodiges de la mécanique, commanditée par le capital, feront de la chaussure, du vêtement, de la nourriture, des choses presque aussi gratuites que l’air, le ciel, le soleil, l’eau, l’électricité : mais qui voudrait proscrire ces bienfaits, et qui ne voit, d’ailleurs, que si les valeurs sociales sont devenues plus nombreuses et ont baissé de prix, elles sont devenues, par cela même, plus facilement accessibles ? Qu’importe à un capitaliste de voir dépérir entre ses mains des richesses, si ces richesses se reproduisent à l’infini ; que lui importe de posséder 100,000 fr., qui lui rapportent 10%, ou 200,000 qui produisent un intérêt de 5,000 fr. ; que lui importe encore de vendre, à frais égaux, dix aunes de brocard à 100 fr. ou vingt aunes à 50 fr. ? Sa situation sera la même, tandis que la société en masse aura hérité de cette abondance qui s’infiltrera peu à peu dans ses rangs les plus infimes. Déplorer cet avilissement des objets de consommation, ce serait donc déplorer la gratuité des rayons solaires, des forces naturelles, des fleuves ; ce serait méconnaître que la valeur est une chose abstraite, une véritable équation établie entre les frais de production et la demande des différents produits, — rien de plus ; ce serait, en un mot, sacrifier là substance à l’attribut, la réalité à l’idéal, et lâcher niaisement la proie pour courir après l’ombre. Loin de s’apitoyer sur la dépréciation des capitaux, il faut donc, au contraire, s’en réjouir au nom de toutes les classes de la société ; car cette dépréciation indique qu’ils se sont multipliés, et cette multiplication indique qu’ils se distribuent à un plus grand nombre d’individus. Qui dit valeur excessive d’un produit, dit monopole, consommation ; restreinte, et par conséquent, industrie sans débouchés, sans profits, qui dit valeur infime, dit consommation générale, et par suite, industrie florissante, s’appuyant sur ces bases solides qui sont les besoins de tous. Si bien que l’époque là plus prospère pour la société sera celle où les ateliers ; sans cesse en activité, produiront avec une sorte de fièvre ; où le travail, partout recherché, obtiendra de forts salaires ; où les produits, inondant les marchés, s’y vendront à assez bas prix pour que les plus pauvres y puissent atteindre, et assureront ainsi aux manufacturiers la clientèle des masses, la seule qui, en réalité, puisse commanditer sûrement une entreprise.

    Voilà les conclusions auxquelles eût été conduit Ricardo s’il eût étudié de plus près les faits et en eût fait une analyse plus nette, plus exacte. Il n’eût pas abouti à dire que les profits doivent aller toujours en s’abaissant ; à déplorer la surabondance et l’avilissement des capitaux : il n’eut pas surtout prêté l’autorité de son nom, de sa forte intelligence, aux sectes sans nombre qui se sont abattues avec fureur sur l’économie politique, pour lui arracher, sous forme de formules dangereuses et désespérées, un acte d’abdication. Dernièrement encore, un écrivain, à l’imagination brillante, qui excelle à parer le clinquant de ses paradoxes d’un style puissant et coloré ; un penseur qui, plongé dans les abstractions transcendantales, ne s’aperçoit pas que dans les sciences comme dans la nature, à force de vouloir s’élever et planer, on arrive à des régions où le vide se forme, et où l’air manque aux poumons, comme là netteté à l’intelligence ; M. Proudhon, — pour le nommer deux fois, — a rangé cette dépréciation graduelle et fatale des produits et des valeurs au nombre de ce qu’il veut bien appeler les contradictions économiques. Il s’est extasié sur cette divergence de phénomènes, qui veut que tandis que la société s’enrichit par la multiplication des produits, elle s’appauvrisse par la dépression de leur valeur : et il a creusé cette anomalie, ou cette autonomie prétendue, avec un acharnement qu’il a pris pour de la profondeur, et qui est tout simplement de la naïveté. Il n’a pas vu, d’une part, que ce jeu des richesses sociales est la chose du monde la plus simple, la plus naturelle, et que la base de toutes les valeurs étant, ici-bas, le travail, il est évident, il est fatal que moins les frais de production d’une marchandise seront élevés, plus fléchira son prix courant, plus elle sera demandée, et plus la production s’agitera pour la répandre de toutes parts. Il n’a pas vu ; ensuite, ce qui était bien plus important et plus visible encore, que la société s’enrichit, loin de s’appauvrir, dès que la valeur des choses s’abaisse, parce que cet abaissement est le signe de leur abondance. Loin donc qu’il y ait anomalie dans cette grande loi de la valeur, il s’y trouve une harmonie salutaire, pleine d’enseignement, et qu’on fie peut méconnaître qu’à force d’arguties, de logomachie et de systèmes systématiques. Dans le fait, ce n’est pas de valeurs que vit la société ; c’est de blé, de vêtements, de meubles, et plus ces choses sont à bas prix, plus une société doit être réputée opulente, parce que plus elle est à même d’en distribuer les bienfaits à tous ses membres. La tendance actuelle de notre époque, de notre industrie, est précisément de réaliser ce beau programme, et de créer, pour ainsi dire, la démocratie des prix et des produits, au profit du consommateur, qui paiera moins cher les marchandises, — de l’ouvrier, dont le travail deviendra plus précieux, — du capitaliste, qui verra grandir ses débouchés. Qu’on mette, d’ailleurs, pour plus de sécurité dans le raisonnement, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, la Hollande, qui comptent par milliards des richesses dont l’intérêt s’arrête à 6, à 5, à 4, à 3, ou même 2 % ; qu’on mette ces grandes nations en face de ces peuples où de maigres capitaux provoquent l’usure, et donnent des revenus douteux de 10, 20 ou 25 % ; qu’on fasse cette comparaison, et, quoi-qu’en dise Ricardo, aidé de M. Proudhon, le choix ne sera pas douteux. A. F.

  2. Adam Smith cite la Hollande comme un exemple de la baisse des profits provenant de l’accumulation des capitaux et de la surabondance de capital affecté à chaque emploi. « Le gouvernement hollandais emprunte à 2 pour cent, et les particuliers qui ont bon crédit à 3 pour cent. » Mais il aurait fallu considérer que la Hollande est obligée d’importer presque tout le blé qu’elle consomme, et qu’en mettant de forts impôts sur les objets nécessaires à l’ouvrier, elle augmente encore les salaires du travail. Ces faits expliquent assez le taux peu élevé des profits et de l’intérêt en Hollande.
  3. L’expression suivante est-elle tout-à-fait d’accord avec le principe posé par M. Say ? « Plus les capitaux disponibles sont abondants en proportion de l’étendue des emplois, et plus on voit baisser l’intérêt des capitaux prêtés. » Liv. Il, chap. 8. Si des capitaux, quelque considérables qu’il soient, peuvent toujours trouver de l’emploi dans un pays, comment peut-on dire qu’ils sont abondants, comparés avec l’étendue de l’emploi qu’ils peuvent trouver ? (Note de l’auteur.)

    M. Ricardo tire ici une conséquence parfaitement juste du principe établi dans mon Traité d’Économie politique, et il explique d’une manière qui me paraît très-satisfaisante la baisse des profits-capitaux, ou intérêts, à mesure que les capitaux s’accroissent, quoique les emplois se multiplient avec les capitaux. Il est également certain que j’ai eu tort de dire que les capitaux peuvent être plus ou moins abondants par rapport à l’étendue des emplois, ayant prouvé ailleurs que les emplois se multiplient en proportion de l’abondance des capitaux» Les seuls cas où l’observation que j’ai faite après Smith pourrait être réelle, seraient ceux où la production est rendue si désavantageuse, soit en raison des impôts, ou par toute autre cause, qu’aucun produit ne vaut les sacrifices qu’il faudrait faire pour l’obtenir. Il y a bien certainement des produits qui ne se font pas, par la raison que leur prix-courant est inférieur aux frais de leur production. Ne peut-on pas supposer ce cas pour un si grand nombre de produits, que le nombre des emplois de capitaux et de facultés industrielles en soient considérablement réduits ?

  4. Adam Smith dit que, « quand le produit d’une branche particulière d’industrie excède ce qu’exige la demande du pays, il faut bien qu’on envoie le surplus à l’étranger pour l’échanger contre quelque chose qui soit en demande dans l’intérieur. Sans cette exportation une partie du travail productif du pays viendrait à cesser, et la valeur de son produit annuel diminuèrent nécessairement. La terre et le travail de la Grande-Bretagne produisent en général plus de blé, de lainages et de quincailleries que n’en exige la demande du marché intérieur. Il faut donc exporter le surplus et l’échanger contre quelque chose dont il y ait demande dans le pays. Ce n’est que par le moyen de l’exportation que ce surplus pourra acquérir une valeur suffisante pour compenser le travail et la dépense qu’il en coûte pour le produire. » On serait tenté de croire, d’après ce passage, qu’Adam Smith en concluait que nous sommes dans la nécessité de produire un excédant de blé, d’étoffes de laine et de quincailleries, et que le capital employé à leur production ne saurait l’être d’une autre manière. On a cependant toujours le choix de l’emploi à donner à son capital, et par conséquent il ne peut jamais y avoir pendant longtemps un excédant d’un produit quelconque ; car, si cela était, il tomberait au-dessous de son prix nature, et le capital passerait à un autre emploi plus lucratif. Il n’y a pas d’écrivain qui ait montré d’une manière plus satisfaisante et plus habile que le docteur Smith la tendance qu’ont les capitaux de quitter des emplois dans lesquels les produits ne suffisent pas à payer tous les frais de production et de transport en y joignant les profits ordinaires. (Note de l’Auteur.)
  5. « Toute espèce d’emprunt public, dit M. Say*, a l’inconvénient de retirer des usages productifs des capitaux ou des portions de capitaux pour les dévouer à la consommation ; et de plus, quand ils ont lieu dans un pays dont le gouvernement inspire peu de confiance, ils ont l’inconvénient de faire monter l’intérêt des capitaux. Qui voudrait prêter à 5 pour cent par an à l’agriculture, aux fabriques, au commerce, lorsqu’on trouve un emprunteur toujours prêt à payer un intérêt de 7 à 8 pour cent ? Le genre de revenu qui se nomme profit des capitaux s’élève alors aux dépends du consommateur. La consommation se réduit par le renchérissement des produits, et les autres services productifs sont moins demandés, moins bien récompensés ; la société, les capitalistes exceptés, souffre de cet état de choses. » À la question, « qui voudrait prêter à 5 pour cent par an à l’agriculture, aux fabriques, au commerce, lorsqu’on trouve un emprunteur toujours prêt à payer un intérêt de 7 à 8 pour cent ? » je réponds : tout homme prudent et sensé. Parce que le taux de l’intérêt est à 7 ou 8 pour cent là où le prêteur court un risque, extraordinaire, y a-t-il une raison pour qu’il soit aussi haut dans les endroits où les prêteurs sont à l’abri de pareils risques ? M. Say convient que le taux de l’intérêt tient à celui des profits ; mais il ne s’ensuit pas que le taux des profits dépende du taux de l’intérêt ; l’un est la cause, l’autre l’effet, et il est impossible que des circonstances quelconques puissent les faire changer de place. (Note de l’Auteur.)