Des hommes sauvages nus féroces et anthropophages/Relation/43

Traduction par Henri Ternaux.
Arthus Bertrand (p. 191-193).


CHAPITRE XLIII.


Comment les sauvages dansèrent autour de leurs ennemis, à l'endroit où nous campâmes le jour suivant.


Le lendemain, les sauvages arrivèrent à une grande montagne, nommée Occarasu, qui n'est pas très-éloignée de leur village; ils résolurent d'y passer la nuit. J'allai dans la cabane de Konyan Bebe, le principal chef, et je lui demandai ce qu'il avait intention de faire des Mamelouks. Il me répondit qu'ils seraient dévorés et il me défendit de leur parler, ajoutant qu’ils n’avaient qu’à rester dans leur pays au lieu de se réunir à ses ennemis pour lui faire la guerre. Je le suppliai de leur accorder la vie et d’en tirer une rançon ; mais il persista dans son dessein.

Il avait devant lui un grand panier plein de chair humaine, et était occupé à ronger un os. Il me le mit à la bouche, me demandant si j’en voulais manger. Je lui dis alors : A peine un animal sauvage en dévore-t-il un autre, comment mangerais-je de la chair humaine ? Puis il mordit dedans, en disant : « Jau ware sche. Je suis un tigre et je le trouve bon. » Alors je le quittai.

Le soir, il ordonna que chacun amenât ses prisonniers dans un espace vide entre la mer et la forêt. Les sauvages s’y rassemblèrent, en formant un grand cercle au milieu duquel ils les placèrent, et les forcèrent à chanter et à faire du bruit en l’honneur des Tammarakas. Quand les prisonniers eurent chanté, ils commencérent à dire avec le plus grand courage : « Oui, nous nous sommes mis en marche comme de braves gens pour prendre nos ennemis et les manger. Vous nous avez vaincus et faits prisonniers ; mais qu’importe, les hommes vaillants doivent mourir en pays ennemi. Notre pays est grand, et nos amis sauront bien nous venger. » Les autres leur répondirent : « Oui, vous avez tué un grand nombre des nôtres, et nous allons les venger. » Quand ces discours furent finis, chacun ramena ses prisonniers à sa cabane.

Au bout du troisième jour nous arrivâmes dans leur pays ; chaque peuplade conduisit ses prisonniers à son village. Ceux de Uwattibi, où j’étais, avaient, pour leur part, huit Indiens et les trois Mamelouks qui étaient chrétiens, savoir : Diego, son frère, et un troisième, nommé Antonio, qui avait été pris par le fils de mon maître : ils apportaient en outre les membres de deux autres Mamelouks pour les dévorer. Nous fûmes en tout onze jours absents.