Derniers vers (Anna de Noailles)/Pour Anatole France


POUR ANATOLE FRANCE


Toute la dignité de l’homme est dans la pensée.
pascal


Votre souffle a rejoint les choses éternelles,
Calme joueur de lyre, honneur de la raison !
Et l’éther est soudain enivré par les ailes
De vos sens dispersés en leur riche saison !

Des ormeaux de Virgile aux cieux de Pythagore,
Votre ineffable esprit erre subtilement ;
Par vos feux envolés, nous croyons voir éclore
Une humaine bonté sous le dur firmament !


Comme un rosier ornant un chapiteau suprême,
La grâce de vos chants dans l’air s’épanouit,
L’avenir, dieu fougueux, qui s’arrache à lui-même,
Répond à vos souhaits par un cri réjoui !

Il n’est nul point des temps que votre voix n’atteigne,
À votre appel, l’espace est bourdonnant d’échos,
Un siècle, en accourant, a la voix de Montaigne,
Un autre, les ciels bleus du Frère Angelico.

Vos livres aux beaux jeux, actifs comme la danse,
Mêlent abondamment, dans leur cercle doré,
L’audace de l’idée et la fine prudence
Du langage savant, agile et mesuré.

France ! fils de l’Hellade et de l’antique Rome,
Fronton du Temple humain, centre de la Cité,
Vous dont le choix sacré nous désignait les hommes
Nés sous le signe austère et pur de l’équité,

Vous êtes à jamais vivace et nécessaire,
Génie hospitalier où s’abritait l’espoir,
Sagesse au front puissant qu’aucun lien ne serre,
Qui par des cailloux blancs masquiez les cailloux noirs !


Maître de la cadence enivrante et sensée,
Que sur votre tombeau, où les rêves humains
Évoqueront votre âme ardemment dépensée,
On voie veiller sur vous la flamme renversée
Du coureur éperdu qu’est l’incessant Demain,

Et l’éternel Éros, ami de la pensée !