Derniers vers (Anna de Noailles)/Jaurès au Panthéon


JAURÈS AU PANTHÉON


L’homme a besoin d’aimer !
L’homme a besoin d’aimer ! Jean Jaurès, nul écho
Ne peut vous parvenir de ce moment auguste
Où, par vous habitée, une foule au cœur juste
Avec amour vous mêle aux cendres de Hugo !

Les morts ne savent rien du sillage de flamme
Qui suit l’évasion de leur souffle oppressé.
Ah ! que les morts sont morts ! Mais des millions d’âmes
Naissent de cet instant où leur vie a cessé.


Comme un groupe stellaire aux cieux tristes des hommes,
Un astre au feu nouveau surgit de leur trépas.
Leur cœur distribué nous fait ce que nous sommes.
— Mort désintéressé, vous ne le saurez pas !

Vous ne le saurez pas, mais votre ample génie
À travers ce qu’il fonde et ce qui le déçoit
Eut dans son chant lyrique un juste espoir en soi
Et le pressentiment de la vie infinie !

Durée, éternité, triomphe, ô vanité !
Rien ne trouble le mort dans sa sombre paresse ;
Qu’importe si le pampre âprement récolté
Dispense la vigueur et la lucide ivresse !

Le héros, au-dessus des mortels hésitants,
Est comme une action secrète et continue,
Car, courbés sous leur joug, c’est pourtant de la nue
Que les hommes, pensifs, reçoivent tout élan.

— Jean Jaurès, quelquefois les destins se concertent
Pour qu’un plus noble esprit ait son suprême éclat :
Tué, mais immortel, vous ne fûtes plus là,
Le jour où l’univers eut les veines ouvertes !…