DERNIERS TEMPS
DE L’EMPIRE MOGOL
LES FAMILLES DE HOLKAR ET DE SINDYAH.

II.
TOUKA-DJI-HOLKAR ET MADHA-DJI-SINDYAH.



La défaite de Paniput pouvait porter un coup terrible à la puissance des Mahrattes[1] : elle faillit rompre les liens de la confédération et causer le démembrement de cet empire immense à peine formé. Les chefs des armées accusaient de leurs désastres l’obstination et l’impéritie des brahmanes du Concan, race ambitieuse à laquelle appartenaient les peshwas. Ils songeaient à replacer à la tête des affaires et à revêtir de nouveau de toutes les attributions de la royauté les princes légitimes que ces ministres usurpateurs avaient dépouillés du pouvoir. Le mécontentement de l’armée et de la population aurait pu rendre la pleine autorité aux princes de la race de Siva-Dji, si les peshwas, malgré leurs dissensions de famille, n’avaient fait de persévérans efforts pour conserver leur influence. De nouvelles complications rendaient nécessaires les talens et même les intrigues de ces maires du palais, qui savaient se faire obéir des chefs les plus puissans. À cette époque, les Mahrattes commençaient à se trouver gênés dans leur action par la rivalité de la France et de l’Angleterre. Au sud de la presqu’île, les rois de Mysore, devenus redoutables, tantôt leur déclarant la guerre et tantôt les prenant à leur solde, entraînaient les Mahrattes dans de nouveaux hasards. Quant à la formidable coalition des Afghans, des Rohillas et des Mogols, contre laquelle s’étaient brisées toutes les forces de la confédération obéissant à un seul chef, elle allait se dissoudre plus vite encore qu’elle ne s’était formée, par suite des rivalités qui existaient déjà entre les chefs, et aussi par l’impossibilité où se trouvait Ahmed-Shah de maintenir dans le devoir ses indisciplinés Dourranies[2].

Cinq jours après la bataille, et dans tout l’éclat de sa victoire, Ahmed-Shah reprenait le chemin de Dehli avec le secret désir de s’y déclarer empereur; mais ses troupes mutinées réclamaient la solde de deux années de campagne, et menaçaient leur chef de l’abandonner pour regagner le Kaboul, leur pays natal. D’un autre côté, Shoudja-Oul-Dowlah, l’auxiliaire d’Ahmed, devenu suspect au Dourranie à cause des bons offices qu’il avait rendus aux Mahrattes blessés ou prisonniers, ne se trouvait plus en sûreté dans le camp de son allié. Sans prendre congé d’Ahmed-Shah, il partit à la dérobée comme un fugitif, traversa le Gange et se réfugia dans sa vice-royauté d’Oude. Désespérant de pouvoir apaiser ses féroces soldats, le shah dut retourner, à son grand regret, à Kandahar, sa capitale, emportant avec lui une somme de quarante lakhs de roupies, que lui avait comptée le vizir de l’empire mogol, Nadjib-Oul-Dowlah, pour prix de ses services.

L’empire de Dehli se trouvait de fait en pleine dissolution, et l’élément indien dans la personne des chefs mahrattes Sindyah et Holkar allait reprendre le dessus une fois encore sur les musulmans venus de la Perse. Pour l’instant, c’était du côté de la soubabie ou vice-royauté mogole du Dekkan que les plus sérieux dangers menaçaient la confédération mahratte. Les fils du fameux Nizam-Oul-Moulouk, — mort à l’âge de cent cinq ans, — s’étaient disputé l’héritage de leur père; celui des deux concurrens que soutenaient les Français avait naturellement les Anglais pour ennemis. Après bien des luttes et des intrigues, Nizam-Ali, que les Anglais cherchaient à tenir sous leur dépendance, resta seul maître du pouvoir. Fourbe, cruel et fanatique, il commença par s’aliéner l’esprit des Mahrattes engagés au service du Grand-Mogol en détruisant un temple hindou d’une grande célébrité, situé sur les bords du Godavery. Après avoir ainsi humilié ses voisins, il fit irruption sur leurs terres et marcha jusqu’à douze lieues de Pounah. L’esprit guerrier des Mahrattes s’étant réveillé à la vue de leur capitale menacée, Nizam-Ali craignit de les pousser au désespoir, et la paix fut conclue, mais au préjudice de ces mêmes peuples qui, après avoir pénétré en vainqueurs dans la ville de Dehli quelques années auparavant, en étaient réduits à payer au prix de grands sacrifices la rançon de leur propre capitale. Sur ces entrefaites, le jeune peshwa Madhou-Rao, — fils de Balla-Dji, tué à Paniput, — avait été contraint de céder l’autorité à son oncle Ragounâth-Rao, dont le nom se lie aux guerres interminables qui désolèrent le Carnatic et tout le sud de l’Inde de 1772 à 1784. Ce dernier crut affermir sa puissance en appelant ses amis dévoués aux postes les plus importans, mais son imprudence, ses manières hautaines excitèrent contre lui des haines et des jalousies. Un de ses ennemis les plus acharnés, un brahmane comme lui, du nom de Vittal-Soundar, qui remplissait l’office de ministre auprès du musulman Nizam-Ali, conseilla à son maître d’intervenir directement dans les affaires des Mahrattes, en déclarant régent du royaume Djano-Dji-Bhounslay, dont le père, sorti, comme Holkar et Sindyah, d’une humble position, avait acquis dans les armées un haut rang et une certaine influence.

A l’époque où Nizam-Ali se préparait à suivre le conseil de son ministre, trois années à peine s’étaient écoulées depuis le grand désastre de Paniput. Ragounâth, qui usurpait le titre de peshwa, n’avait pu réunir une armée bien considérable pour résister à la nouvelle attaque de Nizam-Ali, décidé à soutenir le régent qu’il venait de proclamer. Néanmoins Molhar-Rao-Holkar, fidèle même à celui qui n’était le peshwa que par usurpation, prit parti pour Ragounâth. Le vieux guerrier entraîna vivement ses troupes sur le territoire ennemi. Au lieu de risquer une bataille contre Nizam-Ali, supérieur en forces, il le dépassa, ravagea les districts du prétendant Djano-Dji-Bhounslay, pilla les provinces mogoles et déconcerta son adversaire. Déjà les Mahrattes menaçaient Hyderabad, capitale de la vice-royauté du Dekkan. Nizam-Ali, craignant peu pour cette ville, défendue par de solides murailles, se jeta à son tour du côté de Pounah. Les villages de la plaine furent incendiés, et la famille du peshwa, contrainte de se réfugier dans la forteresse de Singarh, abandonna au milieu des flammes un grand nombre de manuscrits et de papiers importans. L’avantage restait donc à Nizam-Ali; mais son protégé Djano-Dji-Bhounslay, qui ne se fiait point en ses promesses, prêta l’oreille à des propositions venues de Ragounâth. Les Mahrattes qui servaient encore avec les Mogols et soutenaient les intérêts de Djano-Dji passèrent du côté du peshwa ; le prétendu régent déserta lui-même et vint faire sa paix. À ce moment, Ragounâth se jeta à l’improviste sur les Mogols. Le combat fut acharné et ne dura pas moins de deux jours. Auprès du vieux peshwa, qui combattait au premier rang, Madhou-Rao, son neveu, — on le nommait le jeune peshwa, — faisait aussi des prodiges de valeur[3]. Sans rancune contre l’oncle ambitieux qui le dépouillait et exerçait sur lui une surveillance jalouse, il l’aidait de son bras et de ses conseils. Enfin les Mogols prirent la fuite, laissant sur le champ de bataille plus de dix mille morts; la hardiesse du vieux Holkar et l’énergie des cavaliers mahrattes avaient sauvé leur pays d’une destruction complète.

La confédération se sentait assez forte pour reprendre l’offensive et tourner de nouveau ses regards du côté de Dehli. L’année suivante, Ragounâth voulut envoyer une expédition dans l’Hindostan. Holkar devait, selon son usage, commander le premier corps d’armée; mais la mort l’enleva à l’âge de soixante-huit ans. Durant près d’un demi-siècle, ce vaillant soldat avait pris une part active aux entreprises guerrières qui plaçaient les Mahrattes à la tête des nations indiennes. Parmi les chefs de la confédération, aucun ne le surpassait en talens militaires, et il s’élevait lui-même au-dessus de tous ses égaux par la générosité et la franchise de son caractère. Il représentait bien cette première période de gloire et d’élan enthousiaste qui marque le réveil d’un grand peuple. Devenu maître et souverain d’un territoire considérable, il sut administrer ses états de telle sorte qu’il trouva dans les princes ses tributaires des partisans et des amis dévoués. Molhar-Rao laissait à ses descendans une véritable principauté, composée d’un grand nombre de fiefs conquis l’épée à la main, et dont les peshwas lui avaient accordé l’investiture. Son fils unique, Koundi-Rao, ayant été tué quelque temps avant la bataille de Paniput, les possessions et les titres du fondateur de la famille Holkar passèrent au petit-fils de ce dernier : il se nommait Malli-Rao. Très jeune encore et faible d’intelligence, Malli-Rao se montra tout à fait incapable de supporter le poids des affaires. H vivait dans une complète inaction, se livrant à des espiègleries d’enfant qui allaient quelquefois jusqu’à la scélératesse. Sa mère, Alya-Bhaïe, femme renommée pour sa vertu et sa piété, s’effrayait de le voir tourner de plus en plus à l’idiotisme et à l’imbécillité. Elle priait et répandait d’abondantes aumônes entre les mains des brahmanes, espérant ainsi fléchir le ciel et obtenir de lui qu’il délivrât son fils du mauvais esprit qui l’obsédait. Un jour Malli-Rao, qui se plaisait à tourmenter les brahmanes, fit cacher des scorpions dans des pots remplis de pièces de monnaie. Appelant alors les prêtres auxquels sa mère témoignait le plus de respect : — Mon aïeul, leur dit-il, avait coutume de dire au soldat qu’il voulait récompenser : Remplis ton bouclier de pièces d’argent. Ma générosité envers vous n’est pas moins grande ! Avancez donc la main, ô deux-fois-nés, et puisez dans ces vases autant qu’il vous plaira. — Les brahmanes plongèrent le bras dans les pots, irritant ainsi les dangereuses bêtes cachées sous les pièces d’argent et qui se vengèrent par de cruelles morsures. Le malin idiot riait de tout son cœur; il s’amusait autant des larmes qu’arrachait à sa mère cette barbare plaisanterie que des cris de douleur poussés par les brahmanes. C’était là un de ces tours qui ne réussissent qu’une fois; mais Malli-Rao avait trouvé trop de plaisir à ce jeu pour ne pas le renouveler sous une autre forme : il fit ramasser une quantité de scorpions que l’on glissait par ses ordres dans les vêtemens des brahmanes. Les graves personnages que le jeune fou persécutait ainsi ne tardèrent pas à être vengés ; peut-être même se partagèrent-ils les rôles dans la tragi-comédie qui mit fin aux jours de Malli-Rao.

Le petit-fils de Molhar-Rao-Holkar donnait depuis quelque temps des signes non équivoques d’aliénation mentale : on le voyait passer sans transition de la joie à la fureur. Ayant aperçu un homme qui sortait de son palais, il se précipita sur lui et le tua. Cet homme était un brodeur qui venait de porter aux servantes de sa mère un vêtement commandé par celle-ci, et le jeune prince croyait voir en lui un séducteur qui s’échappait furtivement de l’appartement des femmes. Cet événement fit grand bruit au palais. On proclama l’innocence de la victime en termes si énergiques, que le prince insensé trembla comme un enfant devant les accusations de meurtre qui s’élevaient contre lui. A la vue du sang qu’il venait de verser, Malli-Rao fut décidément frappé de folie. Alya-Bhaïe, en proie aux plus vives alarmes, cherchait vainement à calmer les fureurs insensées de son fils. Quand elle interrogeait les brahmanes, ceux-ci répondaient : « Le brodeur possédait une science surnaturelle, il a ensorcelé Malli-Rao ; qu’y pouvons-nous? » Ceux-là disaient: « La victime a pris la forme d’un esprit pour entrer dans la personne de son meurtrier et le hanter jusqu’au dernier jour! » Cet esprit malin qui possédait son fils, Alya-Bhaïe croyait l’entendre parler; elle le conjurait de s’éloigner et promettait de combler de richesses la famille du brodeur. La voix répondait : « Il a eu ma vie, j’aurai, la sienne; l’innocent a péri, le meurtrier ne doit pas vivre! » Pendant bien des jours et bien des nuits, la mère éplorée disputa à cet implacable esprit la vie de son fils unique, héritier d’un grand nom, déjà investi du rang de chef de la famille, et qui mourait au fond de son palais dans les accès d’une terrible frénésie. Quand Malli-Rao eut cessé de vivre, il sembla que tous les gens de cette petite cour respirassent plus librement.

Veuve et privée de son fils, Alya-Bhaïe se vit bientôt environnée de sourdes intrigues, mais elle sut déployer un courage au-dessus de son sexe. Un brahmane placé jadis comme ministre auprès de Molhar-Rao-Holkar par le peshwa cherchait à écarter Alya-Bhaïe en la reléguant dans une ville éloignée : les biens de Holkar eussent été dévolus en héritage à quelque enfant de la famille, et l’autorité fût restée entre les mains de ce ministre, devenu régent. Alya-Bhaïe refusa d’accéder à cet arrangement. Lorsque l’ambitieux brahmane déclara que l’affaire était déjà conclue avec Ragounâth, oncle du peshwa Madhou-Rao, et qu’une somme d’argent avait été envoyée à celui-ci pour obtenir son concours, la princesse veuve ne lui répondit que par un sourire de pitié ; elle sentait que l’armée serait pour elle contre le ministre traître à la mémoire de ses maîtres. Bientôt Ragounâth reçut de cette femme énergique un message presque menaçant qui se terminait par ces mots : « Gardez-vous de faire la guerre à une femme ; il vous en reviendrait de la honte peut-être, de l’honneur jamais[4] ! » Décidée à la résistance, Alya-Bhaïe fit appel aux troupes. Les vieilles bandes de Holkar répondirent avec enthousiasme à ce noble élan de leur princesse; elles aimaient cette femme au grand cœur, qui parlait déjà de se mettre à leur tête pour protéger ses états contre toute intervention du dehors. Tandis que les soldats prenaient les armes, Alya-Bhaïe fit placer le houddah sur son éléphant favori, et à chacun des quatre coins de ce trône guerrier elle suspendit un carquois rempli de flèches. Cette démonstration un peu théâtrale eut un plein succès. Le peshwa ordonna à son oncle Ragounâth de ne rien entreprendre contre la princesse veuve, qui administra en pleine liberté et avec un rare talent les états de Holkar.

Résolue à se renfermer dans l’administration civile, Alya-Bhaïe confia le commandement de l’armée et la direction des affaires militaires à Touka-Dji, chef des troupes d’élite attachées à la personne du vieux Molhar-Rao. Sorti de la même tribu que celui-ci, il se fit connaître sous le nom de Touka-Dji-Holkar, et perpétua ainsi, en le portant lui-même avec honneur, ce nom déjà célèbre qui devait encore briller durant un demi-siècle. Touka-Dji avait atteint l’âge mûr quand il fut appelé à diriger les affaires de la famille Holkar; cependant il appela toujours la princesse veuve du titre de bhaïe (mère), bien qu’elle fût moins âgée que lui. Il pouvait disposer de cinquante mille cavaliers et de dix mille hommes de pied, et pourtant il demeura fidèle à Alya-Bhaïe, sans cesser de se soumettre à la souveraineté du peshwa. Ainsi la paix fut maintenue au dehors, tandis qu’au dedans régnèrent l’union et la concorde. Ces Mahrattes belliqueux et redoutés, sortis de leurs pauvres montagnes pour conquérir des provinces plus riches, obéissaient docilement aux ordres d’une femme dont ils respectaient les vertus et les talens. Il faut avouer que le règne d’Alya-Bhaïe a été une exception dans l’histoire de l’Inde. Restée veuve de bonne heure, cette princesse sut affermir la domination de la famille Holkar sur des provinces récemment conquises. Trop sage pour avoir des favoris, elle conserva pendant trente ans le même ministre; pendant trente ans aussi, elle confia à Touka-Dji un pouvoir et une autorité dont celui-ci n’abusa jamais. Pieuse et même dévote, cette princesse païenne partageait ses heures entre la prière et les affaires du gouvernement. Le principal mobile de ses actions était la crainte de Dieu, et les austérités qu’elle s’imposait au point de nuire à sa santé n’altéraient en rien la douceur de son caractère. On peut dire qu’elle montra les vertus d’une femme chrétienne et les qualités éminentes d’une grande reine. Aussi, sous son règne, les états de Holkar ne cessèrent de prospérer. La ville d’Indore, dont elle avait fait sa capitale, devint une cité considérable et opulente, tandis que les plus turbulens d’entre les chefs tributaires, Radjepoutes, Bheels des montagnes, Gondes du nord de la Nerboudda, contenus dans le devoir par la crainte et par le respect, s’abstenaient de faire des incursions sur le territoire de Holkar, et de troubler les campagnes par leurs déprédations[5].


II.

En 1769, huit ans après la bataille de Paniput, une nouvelle armée mahratte, sous le commandement de Visa-Dji-Kichen, trésorier-payeur général du gouvernement de Pounah, franchissait la Nerboudda. Arrivée dans le Malwa, elle se trouvait forte de cinqT,iante mille chevaux; Touka-Dji-Holkar et Madha-Dji-Sindyah en amenaient chacun quinze mille. L’infanterie, composée d’Hindous de toutes les castes, s’était grossie de troupes d’Arabes, d’Abyssins et de gens du Sinde recrutés sur le littoral du Gouzerate, particulièrement dans les ports de Surate et de Cambay, Sur les flancs de cette armée formidable marchaient les Pindarries, redoutables pillards qui ont joué un rôle considérable dans les longues guerres dont l’Inde a été le théâtre durant près d’un siècle. Montés sur de petits chevaux pareils à ceux des Cosaques, auxquels ils ressemblent beaucoup, les Pindarries se chargeaient de ravager le pays ennemi, et même leur propre pays, lorsque l’occasion s’en présentait. Ils harcelaient les troupes en marche, attaquaient le camp du parti opposé et ramassaient le butin à pleines mains. Ce butin, ils le logeaient dans deux grands sacs pendus à leurs selles, et le vendaient le soir aux soldats un peu au-dessous du prix des marchés, de sorte qu’ils se rendaient aussi utiles en approvisionnant l’armée dans laquelle ils servaient comme auxiliaires qu’en combattant avec elle. Les Pindarries s’enrôlaient sous la bannière de chefs qui eux-mêmes se louaient avec leurs bandes pour une campagne ; ils avaient plus d’un rapport avec les grandes compagnies du XIVe siècle, et comme ces bandes fameuses, ils ont leur histoire pleine d’incidens dramatiques.

L’armée mahratte, conduite par Yisa-Dji-Kichen, opéra d’abord contre les petits princes radjepoutes, jadis alliés des peshwas, et qui furent rançonnés sans motif plausible; mais il fallait de l’argent au gouvernement de Pounah. Le même traitement fut infligé aux Djats, bien qu’ils eussent jadis prêté leurs forteresses aux Mahrattes. Enfin Visa-Dji-Kichen s’avança vers Dehli, pour se venger du vizir Nadjib-Oul-Dowlah, qui avait organisé la grande coalition des forces musulmanes contre la confédération mahratte et préparé la victoire de Paniput. Les Sindyah ne pouvaient lui pardonner la mort de Djounka-Dji, égorgé dans le camp du vainqueur, ni les tortures qu’il avait fait souffrir à leur allié Ibrahim-Khan, tombé vivant entre ses mains. Le nom de Nadjib-Oul-Dowlah était donc exécré des Mahrattes; cependant ceux-ci ne tardèrent pas à traiter avec lui. Il s’agissait de soustraire le faible empereur mogol Shah-Alam à la tutelle des Anglais, qui le retenaient dans leur camp à la suite d’une guerre maladroitement entreprise contre eux, et, pour arriver à ce but, il devenait nécessaire de s’entendre avec le grand-vizir. Celui-ci, sentant sa fin prochaine, accepta, les propositions des Mahrattes. Avant de rendre le dernier soupir, il plaça la main de son fils Zabit-Khan dans celle de Touka-Dji-Holkar, réclamant ainsi la protection de cette famille puissante et honorable qui inspirait le respect et la confiance.

A peine Nadjib-Oul-Dowlah avait-il fermé les yeux, que Holkar et Sindyah devinrent, comme les deux héros dont ils portaient le nom, non-seulement les chefs les plus considérés de la confédération mahratte, mais encore les deux plus grands personnages de toute l’Inde. Les Mahrattes, dont aucun obstacle n’entravait la marche, arrivaient à Dehli, exaltés par le souvenir de la défaite de Paniput et fort animés contre Zabit-Khan, fils de Nadjib-Oul-Dowlah, qu’ils eussent certainement maltraité, si Touka-Dji-Holkar ne l’eût pris sous sa protection, ainsi qu’il l’avait promis à son père. Pendant ce temps, Madha-Dji-Sindyah allait au-devant de l’empereur Shah-Alam. Celui-ci s’évadait du camp des Anglais et rentrait dans sa capitale, conduit par ces ambitieux cavaliers qui le gardaient comme un otage tout en le replaçant avec pompe sur le trône de ses aïeux. Les Mahrattes mettaient à profit leur séjour dans l’Hindostan. Ils occupaient le Doab, ravageaient le pays des Rohillas, enlevaient les trésors amassés par Nadjib-Oul-Dowlah dans son fort de Nadjibgarh, et pesaient de tout le poids d’une autorité violente sur le faible empereur qui s’était jeté entre leurs bras. Serviteur empressé et esclave nominal du sultan Shah-Alam, Madha-Djile tenait courbé sous sa main puissante. Le fier Mahratte exerçait le commandement dans la capitale de l’empire avec une indépendance si complète, qu’il devait le léguer à son successeur comme une part d’héritage.

Sur ces entrefaites mourait auprès de Pounah, à l’âge de vingt-huit ans, le peshwa Madhou-Rao; il ne laissait pas de postérité, et sa veuve se brûla sur son cadavre. Son jeune frère Naraïn-Rao, nommé peshwa après lui, ne tarda pas à périr assassiné dans une émeute militaire. L’histoire a accusé Ragounâth, — l’oncle de ces jeunes peshwas, — d’avoir trempé dans le meurtre de Naraïn-Rao. Suspect à ce dernier par suite de ses intrigues, qui faisaient pressentir une complète usurpation, Ragounâth se trouvait emprisonné ou au moins gardé à vue lorsque l’émeute éclata, et il l’aurait excitée lui-même pour obtenir son retour à la liberté. Ce qui paraît certain, c’est qu’il avoua sa complicité à un pieux brahmane en demandant ce qu’il devait faire pour expier ce meurtre. Le brahmane, qui avait étudié à Bénarès[6], lui répondit : « Vous devez sacrifier votre vie présente en expiation, car votre future existence ne suffirait pas à vous purifier ! Vous ne serez point heureux, votre gouvernement ne prospérera point. Pour moi, je quitte Pounah et je me retire de tout emploi tant que durera votre administration. » Les paroles du brahmane s’accomplirent; de grandes calamités assaillirent les Mahrattes durant l’administration de Ragounâth-Rao.

Cependant l’empereur Shah-Alam, confiné dans son palais et tenu captif par les Mahrattes, avait essayé de rompre ses fers. Profitant du moment où Sindyah levait les contributions accoutumées sur les Djats et les Radjepoutes, tandis que Holkar et le commandant en chef Visa-Dji-Kichen occupaient le pays des Rohillas avec cinquante mille chevaux, l’empereur avait levé des troupes et risqué une grande bataille. De part et d’autre, on déploya beaucoup de courage; mais la victoire resta aux Mahrattes, qui, sans se montrer trop exigeans, en retirèrent de nouveaux avantages[7]. Le cercle étroit dans lequel l’empereur mogol se trouvait enfermé allait donc toujours se rétrécissant, et sa puissance s’effaçait de jour en jour devant celle des Mahrattes. Par malheur pour ceux-ci, leur véritable force se déplaçait. Pendant que Sindyah et Holkar représentaient dans l’Hindostan et dans le Malwa la vitalité de la confédération, des troubles éclataient dans le midi, et des intrigues se formaient contre Ragounâth. On traitait d’usurpateur et de meurtrier ce peshwa détesté, que les historiens ont souvent désigné par son nom vulgaire de Ragobah ou Dada-Sahib. Le bruit s’étant répandu que Naraïn-Rao avait laissé sa femme enceinte, on entoura de précautions la jeune veuve, et le fils qu’elle mit au monde fut proclamé peshwa quarante jours après sa naissance. Environné d’ennemis, troublé dans sa conscience, Ragounâth avait à lutter encore contre Hyder-Ali, roi de Mysore, et contre Nizam-Ali, vice-roi du Dekkan. Nous ne le suivrons point dans ces guerres de courte durée, interrompues par des trêves et par des traités. Attaqué dans le Gouzerate par les Anglais à la suite de négociations qu’il refusait d’accepter, Ragounâth dut enfin consentir à recevoir à Pounah un résident de la compagnie. Holkar et Sindyah venaient de l’abandonner pour toujours et de se rallier aux autres chefs qui reconnaissaient l’enfant de Naraïn-Rao et se liguaient contre le gouvernement britannique, « dont le nom, à ce moment critique de l’histoire des Mahrattes, se trouvait associé à la cause du crime et de l’usurpation[8]. »

À la tête de cette ligue, qu’on appela Barra-Bhaïes (les douze frères) pour marquer le nombre considérable des chefs qui la composaient, figurait le brahmane Balla-Dji-Djanardan, connu dans l’histoire sous le nom de Nana-Farnéwiz ; mais le premier rôle militaire appartenait à Madha-Dji-Sindyah. Lorsque ce dernier descendit dans le Gouzerate envahi par les Anglais, il avait sous ses ordres, en y comprenant les cavaliers de Touka-Dji-Holkar, environ vingt-deux mille hommes. Passant à gué la Nerboudda, les deux chefs amis vinrent jusqu’en vue de la ville de Baroda : là, ils rencontrèrent les troupes anglaises commandées par le général Goddard. Celui-ci venait de recevoir des renforts, et le gros de l’armée mahratte n’était pas encore arrivé de Candeish. Sindyah renonça à livrer bataille ; comprenant le péril de sa position, il entra en négociation avec le général anglais, qui de son côté, ne jugeant ni prudent ni politique de pousser plus loin les hostilités, prêta l’oreille à un arrangement. Le Mahratte espérait lasser son adversaire à force de lenteurs. Son but était de s’assurer par un traité particulier la possession des territoires qui lui appartenaient et de se soustraire ainsi aux obligations qui pourraient lui être imposées comme étant l’un des chefs de la confédération. En un mot, il voulait rester indépendant vis-à-vis des Anglais et vis-à-vis du gouvernement de Pounah, et sortir de cette guerre, dans laquelle l’avantage ne lui restait pas, plus solidement établi et plus puissant qu’auparavant. Quand il vit que ses projets ne pouvaient réussir, Madha-Dji-Sindyah fit partir en avant les gros bagages et commença à se retirer hors de la portée des forces anglaises. Les négociations se trouvant rompues, il cherchait à se dérober aux coups de son ennemi. Le général Goddard était resté une semaine campé près des Mahrattes, sans cesser d’observer leurs mouvemens. Enfin il attaqua leur camp à la faveur de la nuit et les mit en déroute. Sindyah s’éloigna à quelque distance, sans précipitation et comme s’il eût opéré sa retraite à loisir. Une seconde attaque le força de reculer ; cette fois encore il se retira sans éprouver de pertes considérables, et les Anglais, qui n’avaient pas remporté d’avantage décisif, regardèrent comme un succès très important d’avoir forcé Sindyah et Holkar à refuser bataille et à battre en retraite devant eux[9].

Cette même année, — 1780, — un petit corps de troupes anglaises, commandé par le capitaine W. Popham, enleva par surprise la citadelle de Gwalior, qui obéissait à Madha-Dji-Sindyah. Empêché par l’état de guerre de rejoindre le général Goddard, le capitaine Popham passa la Djamouna et se mit à la poursuite des détachemens mali- rattes qui pillaient la province d’Agra. Le rana de Gohud, à qui les Mahrattes avaient pris la citadelle de Gwalior à l’époque du démembrement de l’empire mogol, vint implorer le secours des Anglais. Ceux-ci commencèrent par emporter d’assaut la petite place forte de Lahar, appartenant à Madha-Dji-Sindyah ; puis, aidés par des espions qui parvinrent à accrocher des échelles le long des murs de la forteresse sans être aperçus par les soldats de la garnison, ils escaladèrent les remparts de Gwalior. Ce coup de main, hardiment conçu et facilement exécuté, livra aux Anglais une des plus importantes citadelles de l’Inde : on la considérait comme imprenable. Les empereurs mogols en avaient fait une prison d’état ; dans les donjons bâtis sur des rocs escarpés, ils enfermaient ceux des princes de leur famille qui leur causaient de l’ombrage. Ils y entretenaient pour leur amusement une ménagerie abondamment pourvue de lions et de tigres, dont les rugissemens ébranlaient les voûtes des cavernes creusées par la nature au milieu des rocs. Madha-Dji-Sindyah s’était plu à y amasser de l’artillerie, des armes et des provisions de toute sorte. La perte de cette forteresse lui fut sensible ; il s’en consola en y rentrant quatre ans plus tard.


III.

Pendant que des échecs réitérés venaient frapper Madha-Dji-Sindyah, Touka-Dji-Holkar prenait une part active à la guerre que les Mahrattes de Pounah soutenaient contre les Anglais dans la province du Concan avec un avantage réel ; il partageait le commandement en chef de l’armée avec le brahmane Harry-Pant-Pharkay. Peu satisfait des résultats de cette campagne, le gouverneur général du Bengale blâma le système suivi par ses agens, qui s’étaient bornés à une guerre défensive. Il fut résolu en conseil que l’on irait attaquer Madha-Dji-Sindyah au cœur même de ses états. Un corps de troupes anglaises s’y trouvait déjà rendu, celui-là même qui avait enlevé les deux citadelles de Lahar et de Gwalior. Sindyah, qui se retirait du Gouzerate, rencontra un autre corps anglais dans le Malwa. Malgré sa prudence et la rapidité proverbiale de ses mouvemens, le Mahratte se laissa surprendre. Le général Camac dirigea une attaque nocturne contre le camp de Sindyah, qui perdit en un instant treize canons, trois éléphans, son grand étendard et plus de vingt chameaux.

Cette victoire, remportée la nuit et par surprise, affligea beaucoup Sindyah, mais elle ne profita guère aux Anglais; des détachemens mahrattes qui occupaient le pays gênaient singulièrement leurs généraux, qui éprouvaient de grandes difficultés à se procurer des vivres. On en vint de part et d’autre à des propositions de paix. Madha-Dji-Sindyah consentit à se retirer à Ouddjein, l’ancienne capitale du Malwa; de son côté, le général anglais s’engageait à repasser la Djamouna. Il devenait évident pour Sindyah que la continuation des hostilités lui serait défavorable. Ce que l’Angleterre poursuivait et combattait à outrance, c’était la confédération mahratte, partout présente, et qui s’agitait depuis les frontières du Mysore jusque dans le nord de l’Hindostan. Cette confédération avait rêvé l’expulsion des Anglais, elle avait pris les armes et mis sur pied des armées nombreuses, mais des déchiremens intérieurs avaient brisé les liens qui constituaient son unité. Le génie européen, si fécond en ressources, déjouait un à un tous les projets conçus par les Mahrattes dans un jour d’élan patriotique et d’ardeur belliqueuse. Le meilleur moyen de disjoindre ce grand corps, c’était de traiter séparément avec les chefs les plus puissans ou les plus ambitieux. Ceux-ci d’ailleurs commençaient à sacrifier la cause commune à leurs intérêts particuliers. Madha-Dji-Sindyah, non content d’avoir négocié pour son compte, offrit d’aller à Pounah y traiter de la paix avec Nana-Farnéwiz, régent du jeune peshwa[10].

Les conférences s’ouvrirent bientôt, et la paix fut signée à Salbye le 17 mai 1781. Par ce traité fameux dans l’histoire sous le nom de convention de Salbye, chacune des deux parties reprenait à peu près la situation qu’elle occupait avant la guerre, sauf quelques arrangemens particuliers concernant de petits princes alliés. L’Angleterre, toujours fort animée contre la France, insérait cette clause secondaire, qu’aucun établissement européen ne serait toléré sur le territoire mahratte, excepté ceux des Portugais. De leur côté, les chefs ligués contre Ragounâth obtenaient l’expulsion de cet usurpateur, qui devait se retirer là où bon lui semblerait, avec une pension de vingt-cinq mille roupies par mois. Madha-Dji-Sindyah avait pris part à ce traité comme plénipotentiaire du peshwa et agissant au nom de tous les confédérés. Le gouvernement anglais le reconnaissait comme un prince indépendant; il gouvernait de fait tout l’Hindostan, de la Sutledje à Agra; il commandait une armée forte de seize bataillons d’infanterie régulière, de cent mille chevaux et de cinq cents pièces d’artillerie. Maître du pays et des places fortes conquises sur les princes radjepoutes, possesseur des deux tiers du Malwa et des plus belles provinces du Dekkan, il affectait toujours de regarder le peshwa comme son suzerain. Cette apparente soumission n’empêcha pas Madha-Dji-Sindyah de nourrir plus tard contre Nana-Farnéwiz des sentimens d’envie et de rivalité. Le traité de Salbye, alors favorable aux intérêts des Mahrattes, qu’il importait aux Anglais de ménager pour se tourner plus librement contre le Mysore, laissait à Sindyah plus d’indépendance et d’autorité qu’il ne convenait au régent de lui en voir concéder. Nana-Farnéwiz, représentant du pouvoir central, ne pouvait voir sans inquiétude et sans chagrin cet état de choses, qui équivalait à un démembrement de l’empire mahratte. Tous les deux jaloux du pouvoir, ils prétendaient dominer, celui-ci avec le sceau de premier ministre, celui-là par l’autorité de sa puissance militaire.

Cependant les deux rivaux surent renfermer en eux-mêmes leurs sentimens secrets. Depuis plusieurs années, Madha-Dji-Sindyah avait conçu le projet de chasser les Anglais du Bengale, Il s’inquiétait de l’énergie persévérante de ces Européens, qui fournissaient des troupes auxiliaires au nabab d’Oude dans leurs guerres contre les Mahrattes, et semblaient très empressés de délivrer le Grand-Mogol du joug qui pesait sur lui. Si les Mahrattes étaient partout dans l’Inde à cette époque, partout aussi, dans le Concan, dans le Carnatic, dans le Bengale et dans l’Hindostan, ils rencontraient les armes de l’Angleterre ou au moins sa politique active. Pour tenter sa grande entreprise, Madha-Dji-Sindyah demandait au peshwa de lui renvoyer Touka-Dji-Holkar, alors retenu aux environs de Pounah avec ses troupes. Hyder-Ali, roi de Mysore, encourageait Sindyah dans ses projets; il signait avec les Mahrattes un nouveau traité auquel les Français se ralliaient aussi. La mort de Hyder-Ali vint arrêter cette ligue menaçante, qui se fût sans doute rompue d’elle-même. Les Anglais, prévoyant le péril, l’avaient en partie détourné en déclarant à Madlia-Dji-Sindyah leur intention de le laisser agir librement dans la province d’Agra. Ce prince entreprenant ne tarda pas à profiter des avantages qui lui étaient offerts. Tandis que la cour de Pounah, compromise par les allures belliqueuses de Tippou-Saheb, rompait avec le Mysore, tandis que Nana-Farnéwiz faisait les plus grands efforts pour ne pas exciter de nouveau la colère des Anglais et pour rester en de bons termes avec le vice-roi d’Hyderabad, Madha-Dji-Sindyah suivait d’un œil impatient les révolutions de palais qui venaient d’éclater à Dehli. Déjà il avait fait rentrer dans le devoir les petits chefs radjepoutes, qui s’étaient trop hâtés de secouer le joug; l’importante forteresse de Gwalior retombait aussi en son pouvoir après un long siège. Madha-Dji-Sindyah se trouvait donc aussi puissant que jamais; de plus, il avait sous ses ordres un aventurier[11] hardi et intelligent, Benoît de Boigne, qui commandait un corps de soldats réguliers disciplinés à l’européenne. Les troupes aux ordres de Benoît de Boigne étaient alors occupées à soumettre le Bondelkund. Lorsque Madha-Dji apprit ce qui se passait à Dehli, il se tint prêt à agir de ce côté. Mohammed-Beg-Hamadani, chef de l’une des deux factions qui se disputaient l’héritage du grand-vizir Noudjif-Khan, et Afrasiab-Khan, fils adoptif de ce dernier, sollicitèrent également son appui. Afrasiab-Khan représentait, dans cette lutte, le parti de l’empereur; ce fut à son envoyé que Sindyah promit aide et protection, jugeant plus utile à sa propre cause de vendre ses services à un souverain, même déchu, que de les prêter à un sujet rebelle.

A peine les premières ouvertures avaient-elles eu lieu, qu’Afrasiab-Khan mourait assassiné. L’empereur se jeta aussitôt dans les bras de Madha-Dji-Sindyah en lui offrant le titre de grand-vizir[12]. Celui-ci refusa; il lui convenait mieux d’accepter le titre un peu moins sonore de vice-régent[13], à la condition de ne le porter qu’au nom du peshwa à la cour de Delhi. Sans cesser d’appartenir à la confédération des Mahrattes, et assez fort pour tenir en échec Nana-Farnéwiz, son rival, Madha-Dji-Sindyah devenait du même coup chef des armées impériales, gouverneur des provinces de Dehli et d’Agra, et enfin prince indépendant. Ces succès inespérés humiliaient l’orgueil de Nana-Farnéwiz. La maison de Holkar, représentée par Touka-Dji, souffrait aussi de l’élévation de Sindyah : elle se rappelait que Molhar-Rao, fondateur de la famille, avait jadis prêté généreusement de grosses sommes à Rano-Dji-Sindyah. Enfin il était plus glorieux de briller et de commander à Dehli, au milieu des pompes de la cour mogole, que de gouverner à Pounah, au milieu des intrigues, ou de camper avec ses cavaliers au fond des gorges sauvages qui coupent la chaîne des Ghauts, dans la province du Concan.

Touka-Dji-Holkar, nous l’avons dit déjà, appartenait à la tribu, mais non à la famille puissante dont il portait le nom, et dont il commandait l’armée. Tandis que la vertueuse veuve du fils de Molhar-Rao-Holkar gouvernait sagement ses états, Touka-Dji remplissait avec fidélité envers sa souveraine et envers le gouvernement de Pounah son rôle de régent et d’allié. Nana-Farnéwiz, régent du peshwa, tenait à le garder près de lui dans le Concan. Lorsque Tippou-Saheb, exalté par la folle passion des conquêtes et ne ménageant pas plus ses amis que ses ennemis, eut irrité les Hindous par son fanatisme et exaspéré les Mahrattes, ses alliés d’alors, par des incursions sur leur territoire, le gouvernement de Pounah lui déclara la guerre. Nana-Farnéwiz refusa d’abord les secours que les Anglais se plaisaient à lui offrir, mais il accepta la coopération de Nizam-Ali, vice-roi d’Hyderabad, et fit alliance avec Moudha-Dji-Bhounslay, chef mahratte, qui vivait à l’écart dans sa principauté de Nagpour[14]. La guerre fut longue; emporté par la violence de son caractère, Tippou mettait dans ses attaques une impétuosité terrible. Il était hardi, entreprenant, infatigable; il entraînait ses troupes au milieu des pluies, à travers les montagnes. Cependant les Mahrattes, quoique faiblement secondés par les Mogols de Nizam-Ali, remportèrent sur le roi de Mysore plusieurs avantages. La plus grande part en revenait à Touka-Dji-Holkar, qui se montrait toujours prêt à combattre, et manœuvrait avec autant de rapidité que de prudence. Ge fut par son entremise que les envoyés de Mysore traitèrent des conditions de la paix, qui fut signée au mois d’avril 1787. Lorsque les hostilités eurent cessé, il quitta enfin le Goncan, et retourna à Mhysir présenter ses hommages à sa souveraine Alya-Bhaïe.


IV.

En acceptant à la cour de Dehli le premier rang, Madha-Dji-Sindyah s’était mis sur les bras une lourde charge. Il lui fallait à la fois lutter contre les factions anciennes, faire face aux rivalités nouvelles, maintenir l’autorité de l’empereur dans les provinces et veiller à la conservation de ses propres états. Un homme vulgaire eût succombé à la tâche; Madha-Dji, en sortant sain et sauf des rudes épreuves qu’il eut à subir, prouva qu’il était doué d’une capacité supérieure. Le manque d’argent, — et il en fallait toujours pour payer les troupes, — fut cause qu’il se conduisit d’une façon tyrannique à l’égard des provinces soumises à son autorité. Les Radjepoutes, race fière et belliqueuse, impatiens du joug que leur imposaient les montagnards du midi et ennuyés de payer toujours de grosses sommes d’argent, se soulevèrent à l’instigation de quelques chefs musulmans, jaloux de la prépondérance dont jouissait Madha-Dji-Sindyah à la cour mogole. Les troupes envoyées contre eux par celui-ci furent battues. Cet échec provoqua des murmures de la part des courtisans; l’empereur lui-même parut ébranlé dans sa confiance, et Madha-Dji-Sindyah, dont une partie des troupes marchait au nord de Dehli pour s’opposer à une invasion des Sicks, dut rappeler de Boigne du Bondelkund et s’avancer avec lui contre les Radjepoutes.

Madha-Dji-Sindyah trouva ses adversaires réunis en grand nombre sous leurs chefs de clans, et commandés par les râdjas de Djoudpour et de Djeypour. La veille du combat, Mohammed-Beg-Hamadani, — chef de l’ancienne faction vaincue par Sindyah, et qui s’était réconcilié avec lui, — passa du côté de l’ennemi avec son neveu Ismaël-Beg. Voulant arrêter la désertion, Madha-Dji, sans plus tarder, livra bataille. On se battit avec acharnement; Mohammed-Beg fut tué d’un coup de canon, mais Ismaël rallia les siens qui fuyaient, et rien ne se décida dans ce premier jour de combat. Les jours suivans, Madha-Dji se préparait à une nouvelle attaque, lorsque toute l’infanterie de l’empereur mogol, abandonnant le chef mahratte, courut rejoindre Ismaël-Beg avec quatre-vingts pièces de canon.

A aucun moment de sa vie, Madha-Dji-Sindyah ne montra plus de force d’âme et d’esprit de conduite que dans cette crise terrible[15]. Il est vrai qu’il avait auprès de lui de Boigne, dont les conseils et les talens contribuèrent à le tirer de cette position difficile et à le faire arriver à un degré de puissance qu’aucun prince de l’Inde n’avait atteint depuis la mort d’Aurang-Zeb[16]. Rappelant à lui les détachemens épars dans le pays, Madha-Dji-Sindyah battit en retraite. Il avait laissé ses gros bagages dans la forteresse de Gwalior et sa plus lourde artillerie dans le fort de Bharatpour, qui appartenait aux Djats, anciens et fidèles alliés des Mahrattes. Pendant huit jours, il y eut entre son armée et celle des Radjepoutes, unis aux troupes d’Ismaël-Beg, des escarmouches continuelles. Les rebelles, enhardis par de nouveaux soulèvemens, venaient d’investir Agra, que défendait le brahmane Lackwa-Dada, homme habile et énergique. Madha-Dji-Sindyah, pour affermir les Djats dans leur résistance, envoyait vers eux de Boigne à la tête de deux brigades d’infanterie régulière, et un corps de cavalerie commandé par Rannay-Khan, — ce même porteur d’eau, Mogol de race, qui l’avait sauvé sur son bœuf après la défaite de Paniput[17]. Tandis que les Djats marchaient au secours d’Agra, les rebelles, conduits par Ismaël-Beg, leur livrèrent bataille. Au premier coup de canon, une partie des Djats, aux ordres d’un musulman, passa à l’ennemi. Leur infanterie, attaquée avec une impétuosité extraordinaire, fut mise en fuite; les brigades disciplinées et commandées par un Français du nom de Listenaux furent les seules qu’on vit tenir tête aux rebelles. Les Mahrattes, qui formaient l’aile gauche, ne durent leur salut qu’à l’intrépidité et au courage inébranlable des bataillons commandés par de Boigne.

Sans les deux officiers français, c’en était fait de l’armée combinée des Djats et des Mahrattes de Sindyah. La bataille fut perdue, mais les vaincus purent opérer leur retraite en bon ordre. Quelques jours après, devant Agra, que défendait toujours vaillamment le brahmane Lackwa-Dada, un nouveau combat ayant été livré, de Boigne prit une éclatante revanche. Ce fut une véritable bataille rangée ; Ismaël, animé par ses récens succès, entraîna ses troupes avec une ardeur qui semblait présager un triomphe certain; mais cette impétuosité vint se briser devant les campos, — tel était le nom donné vulgairement aux bataillons du vaillant de Boigne. Voyant ses troupes battues et dispersées, Ismaël-Beg, grièvement blessé, se jeta dans la Djamouna avec son cheval, et courut se réfugier auprès de Gholam-Kader. Ce dernier était le petit-fils du Rohilla Nadjib-Oul-Dowlah, grand-vizir du sultan Alamguir; ennemi des Mahrattes et de Sindyah, il avait rejoint les rebelles après leur première victoire, et commandait un corps de troupes considérable. Rassemblant à la hâte l’armée des révoltés, battue la veille et débandée, Gholam-Kader se porta rapidement sur Dehli, pénétra de force auprès de l’empereur, l’insulta, lui arracha les yeux et se livra, durant deux mois, à toute sorte de violences et de cruautés. Ismaël-Beg lui-même, épouvanté des atrocités de Gholam, abandonna la cause de la révolte et se réunit aux Mahrattes : si la domination de ceux-ci avait été oppressive à l’égard des Mogols, jamais au moins ils ne s’étaient rendus odieux aux yeux des nations par des crimes semblables.

Dans sa détresse, Madha-Dji-Sindyah avait poussé un cri d’appel vers Pounah et demandé des secours à Nana-Farnéwiz, au nom des plus chers intérêts de la nation mahratte. Celui-ci, toujours inquiété par la turbulence de Tippou-Saheb et peu désireux de contribuer à l’accroissement de Sindyah, ne se décida point tout d’un coup. Après quelques hésitations, il envoya dans l’Hindostan deux corps d’armée, le premier commandé par Ali-Bahadour, — fils naturel du premier peshwa Badji-Rao, déchu de sa caste comme étant né d’une mère musulmane et élevé dans l’islamisme, — le second aux ordres de Touka-Dji. Holkar et Sindyah allaient donc se retrouver sur le même terrain après une longue séparation, mais pour se diviser bientôt et se disputer, les armes à la main, une partie de l’héritage conquis par les chefs des deux familles.

L’armée mahratte fut reçue à Dehli avec des cris de joie. L’ancien porteur d’eau, Rannay-Khan, y rétablit l’ordre et se comporta avec autant de sagesse que d’humanité. Gholam-Kader, réduit à fuir, ne tarda pas à être pris; il périt dans les supplices. Dès que Madha-Dji-Sindyah fut arrivé dans la capitale, Shah-Alam II, tant de fois menacé et outragé par ses propres sujets rebelles, privé de ses yeux, que Gholam-Kader avait percés avec la pointe de son poignard, remonta sur le trône, plus incapable que jamais de gouverner ses états.

Les provinces d’Agra et de Dehli faisaient partie désormais des territoires soumis à l’empire des Mahrattes, ainsi que la plupart des districts compris dans le Doab; mais Sindyah occupait pour son compte des pays que d’autres familles revendiquaient comme leur appartenant par droit de conquête ancienne. Nana-Farnéwiz n’avait envoyé Ali-Bahadour et Touka-Dji-Holkar au secours de Madha-Dji qu’à la condition que celui-ci partageât également avec eux les territoires situés au nord de la rivière Tchambal, dans le Malwa. Ni l’un ni l’autre de ces deux chefs ne se montrait disposé à aider Madha-Dji dans ses projets particuliers[18], et Touka-Dji-Holkar donna bientôt des preuves de son peu de sympathie pour la cause de Sindyah. Ismaël-Beg n’avait pas tardé à se séparer de celui-ci: il venait de se remettre en campagne avec l’aide des râdjas radjepoutes de Djoudpour et de Djeypour. Une bataille étant devenue inévitable, Madha-Dji-Sindyah invoqua vainement le secours de Touka-Dji-Holkar. A la tête de ses Mogols, Ismaël fit des charges désespérées ; sa cavalerie, passant par-dessus l’infanterie des Mahrattes, tuait les canonniers sur leurs pièces. Le carnage fut grand de part et d’autre; mais en dépit de sa bravoure, Ismaël dut fuir avec ses troupes, mises en complète déroute, et qui se dispersaient abandonnant toute leur artillerie. Ce succès, chèrement acheté, mais décisif, était dû à la solidité des bataillons disciplinés à l’européenne et au courage inébranlable de leur chef de Boigne.

Les Radjepoutes, privés du secours d’Ismaël-Beg, tentèrent seuls les chances d’un second combat; ils ne furent pas plus heureux, et montrèrent moins d’ardeur que les Mogols n’en avaient déployé dans les précédentes attaques. On cite cependant une charge exécutée par deux mille cavaliers de la tribu des Rathores du Marwar, qui peut se comparer au brillant fait d’armes de la cavalerie anglaise dans la guerre de Crimée. Emportés par un irrésistible élan, les Rathores traversèrent de part en part les bataillons serrés commandés par de Boigne; mais au retour ils furent mitraillés et presque anéantis[19]. Cette bataille, qui a été appelée la journée de Meirtah, — du nom d’une petite ville voisine, — assura la suprématie de la famille Sindyah sur les états radjepoutes. Touka-Dji-Holkar, jaloux de cette grande victoire, se retira en-deçà de la Tchambal, et Ali-Bahadour s’occupa de conquérir pour son compte la province de Bondelkund, où il parvint à se maintenir au milieu de beaucoup de difficultés.

Ce fut à cette époque, — 1792, — que Madha-Dji-Sindyah jugea nécessaire de faire un voyage à Pounah. Selon toute probabilité, deux motifs lui inspirèrent cette démarche : la prétention d’exclure la famille Holkar de tout partage des territoires acquis dans l’Hindostan, puis le désir de s’assurer des progrès que les Anglais avaient faits à Pounah dans l’esprit de Nana-Farnéwiz. Bien que ce dernier agît avec l’autorité d’un peshwa, il n’était en réalité que le régent du véritable titulaire de cette importante fonction, le jeune Madhou-Naraïn-Rao : c’était à celui-ci que Madlia-Dji-Sindyah venait, à la tête d’un corps de troupes, présenter ses hommages et donner l’investiture du titre de wakil-oul-moutlak (vice-régent) de la part de l’empereur de Dehli. Jamais la ville de Pounah et les montagnes pelées qui l’entourent n’avaient vu rien de pareil aux pompeuses cérémonies qui accompagnèrent la remise des présens envoyés par le Grand-Mogol. Au jour de l’audience solennelle, Madha-Dji-Sindyah descendit de son éléphant aux portes de la ville et prit place au-dessous de tous les grands assis dans la salle du palais. Lorsque le jeune peshwa l’invita à s’asseoir parmi les premiers de la cour, il refusa, et, dénouant un petit paquet qu’il portait sous le bras, il en tira les vieilles pantouffles que son père avait eu pour office de tenir à la main, en disant : « Tel était l’emploi de mon père et tel doit être le mien; je ne suis, par ma naissance, que le fils d’un patel[20], et j’en garde le titre. »

Sans aucun doute, cette humilité n’avait rien de bien sincère[21]. En s’abaissant ainsi, Madha-Dji-Sindyah voulait plaire au jeune peshwa, dont il flattait l’orgueil brahmanique. Il savait que l’on porte moins ombrage à ceux dont on respecte le rang et la naissance. Les peshwas eux-mêmes n’étaient parvenus à gouverner leurs propres souverains et à les dominer au point de se substituer à eux qu’en les traitant avec déférence et en se courbant devant leur personne royale. Arrivé au faîte de la puissance, Madha-Dji-Sindyah cherchait à s’y maintenir; pour cela, il lui fallait attirer à son parti par des attentions particulières le jeune peshwa Madhou-Naraïn. En lui remettant en grande pompe les présens offerts par l’empereur et en l’accablant de riches cadeaux qu’il présentait lui-même à titre de vassal, il avait l’air de déposer aux pieds du chef nominal de la confédération son autorité souveraine avec l’hommage de sa fidélité.

V.

Tandis que Madha-Dji-Sindyah jouait un rôle si brillant à la cour de Pounah, Ismaël-Beg, dont tant de défaites n’avaient point découragé l’esprit entreprenant, se soulevait de nouveau dans l’Hindostan. Touka-Dji-Holkar, de plus en plus jaloux de la prépondérance acquise par son rival, vit avec une joie secrète la levée de boucliers que préparait Ismaël, peut-être même en avait-il été l’instigateur; mais les troupes de Sindyah, accoutumées à vaincre, triomphèrent cette fois encore. Ismaël-Beg, battu et trahi par la garnison du fort de Canoond, où il s’était réfugié, se rendit au général Perron, qui commandait sous de Boigne. L’armée aux ordres de ce dernier consistait en vingt mille chevaux et neuf mille fantassins réguliers. Elle continuait de lever le tribut dans la province de Malwa et sur le territoire des Radjepoutes. De son côté, Touka-Dji-Holkar tenait la campagne et rançonnait le pays. Les deux familles de Holkar et de Sindyah, jadis étroitement unies et maintenant rivales, prétendaient avoir des droits égaux sur certains districts. La question restait pendante depuis le temps de Molhar-Rao et de Rano-Dji; mais l’héritier de ce dernier, le puissant Madha-Dji-Sindyah, retardait toujours le moment de conclure aucun arrangement : il avait pour lui la raison du plus fort. Ce fut précisément sur le territoire contesté que se rencontrèrent Touka-Dji et les lieutenans de Sindyah. Une querelle s’engagea à propos des dépouilles d’un fort que les deux armées venaient de prendre en commun. Touka-Dji, depuis longtemps irrité et comptant sur ses trente mille cavaliers, que soutenaient quatre brigades d’infanterie régulière conduites par le chevalier Du Dernaic[22], — il avait, lui aussi, son officier français, — livra bataille aux troupes de Sindyah. Les brigades de Du Dernaic combattirent jusqu’à la fin avec un courage héroïque; mais, à la suite d’une lutte acharnée, de Boigne remporta une victoire complète. Après ce conflit terrible, qui avait coûté si cher aux deux chefs mahrattes, l’armée de Sindyah s’en retourna dans l’Hindostan. Touka-Dji-Holkar continua sa marche vers Indore et Mhysir, les deux principales villes des états de sa souveraine Alya-Bliaïe, sans chercher à se venger de sa défaite en ravageant les districts du Malwa soumis à Madha-Dji[23].

La nouvelle de cette collision ne tarda pas à arriver à Pounah, où sans doute elle ne surprit personne. Néanmoins Madha-Dji affecta de se croire menacé par les intrigues de Nana-Farnéwiz, et il s’en servit comme d’un prétexte pour faire arriver auprès de Pounah les brigades du général Perron, l’un de ses plus solides lieutenans. De son côté, Nana-Farnéwiz appela des troupes pour mettre la personne du jeune peshwa, dont il était le régent, à l’abri d’une surprise. Le rusé brahmane employait toutes les ressources de son esprit à éclairer son pupille Madhou-Naraïn sur ses véritables intérêts; il excitait aussi la jalousie des chefs mahrattes du midi contre Sindyah. Une guerre civile paraissait imminente, lorsque celui qui donnait tant d’ombrage au gouvernement de Pounah et causait aux Anglais de sérieuses inquiétudes mourut d’un accès de fièvre à l’âge de cinquante-deux ans. Madha-Dji ne laissait pas de fils; il désigna pour son successeur un de ses petits-neveux qu’il avait adopté, et qui fut reconnu sans opposition sérieuse par les grands et par l’armée sous le nom de Dowlat-Rao.

Le successeur de Madha-Dji-Sindyah entrait à peine dans sa quinzième année. Il recevait en héritage des territoires assez étendus pour mériter le nom de royaume, une armée immense, bien aguerrie et parfaitement disciplinée. Le corps principal, aux ordres du commandant de Boigne, — et que Madha-Dji affectait d’appeler l’armée impériale, comme si elle eût été moins à lui qu’au Grand-Mogol, — se composait de dix-huit mille hommes d’infanterie régulière, de six mille irréguliers, Mogols et Rohillas, armés de fusils à baïonnette, de deux mille chevaux et de six cents cavaliers persans. Pour l’entretien de ces troupes, qu’il avait disciplinées, armées, vêtues et fournies de chevaux à ses frais, de Boigne touchait un revenu de 5 millions et demi de francs, prélevés sur des districts situés dans le Doab. Son artillerie ne comptait pas moins de deux cents pièces de canons; la citadelle d’Agra lui servait de dépôt d’armes et d’arsenal. Quelques Mahrattes des vieilles familles ne voyaient pas sans déplaisir la formation de ces corps réguliers armés à l’européenne et traînant à leur suite de gros canons. Ils prétendaient que leur manière de combattre se trouvait entièrement changée, et qu’il leur devenait impossible de recourir, en un cas pressant, à ces retraites précipitées par lesquelles ils savaient se soustraire à une défaite générale. Les batailles sanglantes, où l’on se dispute pied à pied un terrain couvert de morts, où l’artillerie fait dans les rangs de larges trouées, les épouvantaient, et ils regrettaient les subites et impétueuses attaques à la manière des Mogols et des Arabes. Se sentant beaucoup plus inférieurs aux Européens quand ils essayaient de lutter contre eux avec leurs propres armes, ils se trouvaient humiliés, et ne comprenaient pas que ni la lance, ni l’épée, ni le bouclier antique, ni le long fusil à mèche n’auraient pu défendre leur pays contre le calme persévérant et le courage soutenu des étrangers.

Dowlat-Rao étant trop jeune encore pour porter avec éclat le nom de Sindyah, celui de Touka-Dji-Holkar reparaissait au premier rang. Ce vieux guerrier, âgé de soixante-dix ans, avait vu les beaux temps de l’empire mahratte. Une grande considération s’attachait à sa personne, et le gouvernement de Pounah plaçait en lui toute sa confiance. Lorsque, au mois de janvier 1795, Nana-Farnéwiz convoqua tous les confédérés pour aller combattre Nizam-Ali, le vice-roi du Dekkan, Touka-Dji arriva avec huit mille chevaux, les deux mille fantassins de Du Dernaic et une foule de Pindarries, qui suivaient sur leurs petits chevaux, combattant et pillant sans relâche. Raghou-Dji-Bhounslay, râdja de Nagpour, toujours allié, quoique indépendant du gouvernement mahratte, amenait quinze mille soldats. L’armée de Dowlat-Rao-Sindyah égalait en force ces trois corps de troupes, quoiqu’il en eût laissé dans le nord de l’Inde une grande partie aux ordres du général de Boigne. Le résultat de cette campagne, dans laquelle Nizam-Ali, battu et réduit à s’enfermer dans une citadelle, demanda la paix, fut une augmentation de territoire pour Raghou-Dji-Bhounslay, qui se trouva à la tête d’un royaume, — celui de Nagpour, — peu fertile à la vérité, mais assez vaste et peu exposé aux attaques des pays voisins. A la fin de l’été, les chefs de cette grande armée mahratte, qui ne comptait pas moins de cent cinquante mille combattans, retournèrent dans leurs états respectifs, à l’exception de Touka-Dji-Holkar, dont les forces et l’intelligence commençaient à faiblir. Nana-Farnéwiz trouva Dowlat-Rao-Sindyah plus traitable que ne l’avait été son grand-oncle : il fit la paix avec lui et le congédia avec beaucoup d’honneurs. Ne pouvant plus compter sur le secours de Touka-Dji, devenu trop vieux, pour tenir en échec la puissante famille de Sindyah, il s’était attaché à mettre dans ses intérêts celui qui la représentait.

La position de Nana-Farnéwiz était celle d’un régent à demi usurpateur, contraint, pour conserver un pouvoir transitoire, d’exercer une pression violente sur ceux à qui il l’a enlevé. D’une part, il surveillait avec défiance tous les actes du jeune peshwa Madhou-Naraïn, qu’il tenait en tutelle; de l’autre, il gardait en prison, loin de la capitale, les héritiers de l’ancien peshwa Ragounâth, de funèbre mémoire. Par son habileté consommée, par ses talens et par l’étendue de ses connaissances, Nana-Farnéwiz se montrait capable de gouverner : quand on lit sa correspondance, publiée après sa mort, on est surpris de trouver chez un brahmane mahratte cette largeur de vue et cette entente des affaires, qui dénotent un homme instruit et fort élevé au-dessus de ses compatriotes du même temps. Cependant, parmi les fils de Ragounâth, il y avait un jeune homme d’une intelligence remarquable aussi et d’un esprit cultivé, Badji-Rao. Ceux qui l’approchaient étaient unanimes à vanter ses belles manières, la grâce de sa personne, et surtout sa connaissance des livres sacrés de l’Inde, car il était brahmane de caste, comme Nana-Farnéwiz et comme Madhou-Narain[24]. Badji-Rao, plus encore que ses frères, supportait impatiemment la captivité qui lui était imposée. Il ne désespérait pas d’arriver au pouvoir à son tour, bien qu’il se trouvât relégué au troisième plan. Devant lui, en effet, se plaçaient le ministre ambitieux qui l’opprimait, et aussi Madhou-Rao, prétendant légitime au titre de peshwa; mais il recevait les confidences de ceux qui détestaient Nana-Farnéwiz et s’exagérait sans doute son impopularité. Cédant à l’entraînement qui trompe les captifs comme les exilés, Badji-Rao réussit à se mettre en correspondance avec Madhou-Naraïn. Bientôt les deux jeunes princes, attirés l’un vers l’autre par une commune douleur, oublièrent un passé dont ils n’étaient point responsables et se mirent à conspirer, par écrit contre Nana-Farnéwiz. Une lettre fort compromettante fut interceptée; on la porta au ministre, qui s’aperçut avec épouvante de la double intrigue ourdie contre lui. Nana-Farnéwiz fit jeter dans les fers l’aîné des fils de Ragounâth, et rendit plus rigoureuse la captivité de Badji-Rao. N’osant agir avec autant de violence contre Madhou-Naraïn, il le manda en sa présence, et dans une entrevue secrète il l’accabla de reproches et de menaces.

Cette scène, dans laquelle Nana-Farnéwiz, sortant de sa réserve habituelle, avait trahi ses projets ambitieux par des paroles insultantes, brisa le cœur du jeune peshwa. Humilié du joug qui pesait sur lui et trop faible pour s’en débarrasser, Madhou-Naraïn courba la tête et s’abîma dans un chagrin profond. Il fallait que l’instinct du pouvoir et le sentiment de la dignité personnelle fussent bien enracinés dans cette famille de peshwas pour que Madhou-Naraïn ressentît aussi vivement l’injure qui lui était faite. N’oubliait-il pas trop le roi légitime confiné dans son palais de Satara, éloigné des affaires et tenu dans l’ombre par l’autorité jalouse de ses propres aïeux? Pendant plusieurs jours, Madhou-Naraïn refusa de paraître à l’audience. Bientôt, les chefs de la confédération et les envoyés des nations amies étant venus, à l’occasion de la fête annuelle du dassarah[25], lui rendre leurs devoirs, il consentit à se montrer en public, inspecta les vieilles bandes qui avaient répandu la gloire du nom mahratte dans tout l’Hindostan, et distribua aux brahmanes les aumônes et les présens d’usage. On eût dit que le jeune peshwa reprenait goût à la vie en exerçant ce simulacre de pouvoir, et que son esprit, glacé par la douleur, se réchauffait aux rayons de cette pompe; mais la terrible figure de Nana-Farnéwiz en colère le poursuivait toujours comme un fantôme. Après les cérémonies, il retomba dans sa sombre mélancolie, et quelques jours plus tard le bruit se répandit que Madhou-Naraïn, dans un accès de désespoir, s’était laissé choir du haut de la terrasse de son palais. Quand on le releva, il respirait encore : son œil s’ouvrit, il jeta un regard mourant sur les hautes montagnes où les aigles nichent en liberté, et expira sans se plaindre. Il était mort à la manière des brahmanes, qui se vengent d’une insulte en se tuant eux-mêmes.

Avant de mourir, Madhou-Naraïn avait dicté une requête dans laquelle il désignait pour son successeur Badji-Rao, son cousin, celui-là même avec qui il avait conspiré contre l’injuste oppression de Nana-Farnéwiz. Le régent, qui avait tout à redouter de Badji-Rao, supprima la requête dressée par le jeune peshwa sur son lit de mort; puis il réussit à s’assurer du concours des principaux chefs mahrattes. Raghou-Dji-Bhounslay de Nagpour, le jeune Dowlat-Rao-Sindyah et le vieux Touka-Dji-Holkar promirent tout aussitôt de l’aider à repousser les prétentions de Badji-Rao. Son projet était de laisser vacant l’office de peshwa jusqu’à ce que la veuve de Madhou-Naraïn, à peine sortie de l’enfance, fût en âge d’adopter un fils. Ce plan, quelque bizarre qu’il paraisse, avait des chances d’être accepté par la nation mahratte et par les principaux chefs de la confédération; mais Badji-Rao, toujours enfermé dans une citadelle, avait été averti de ce qui se tramait contre lui. Son premier soin fut de nouer des relations avec Dowlat-Rao-Sindyah, qui promit secrètement de l’appuyer moyennant une augmentation de territoire. Nana-Farnéwiz, déjoué dans ses projets, changea habilement de manœuvre. Craignant que Badji-Rao ne sortît triomphant de sa prison sous la protection des troupes de Sindyah, il lui en fit ouvrir les portes par le chef de sa propre armée, et lui offrit de partager à l’amiable le pouvoir qu’il n’était pas de force à lui disputer. Nana-Farnéwiz et Badji-Rao eurent à Pounah une entrevue dans laquelle ils jurèrent d’oublier leurs inimitiés passées pour le plus grand bien de l’état.

La paix était donc conclue, et elle eût été peut-être de longue durée, si l’inexpérience et l’ambition du jeune Dowlat-Rao-Sindyah n’eussent jeté le pays dans de nouvelles complications qui devaient aboutir à la guerre civile. Cédant aux suggestions de l’un de ses conseillers, Balloba-Tantya[26], en qui il plaçait toute sa confiance, Dowlat-Sindyah renonça à retourner dans l’Hindostan, et il se mit à marcher sur Pounah, enseignes déployées, pour renverser le gouvernement auquel il avait prêté son appui. Hors d’état de résister à un pareil ennemi, trop timide d’ailleurs pour tenter un coup hardi, Nana-Farnéwiz prit la fuite. Il se croyait perdu. Tout en cherchant un refuge du côté de Satara, il songeait à rendre au légitime souverain la libre possession du trône de ses ancêtres; mais effrayé des conséquences d’un pareil acte, qui pouvait amener une révolution, il hésitait encore à tenter l’entreprise. Tandis qu’il se cachait dans les montagnes, incertain sur le parti qu’il devait prendre, le chef de ses propres troupes, Pureshram-Bhow, le trahissait à son tour, et s’entendait avec Dowlat-Sindyah pour nommer à la fois un autre peshwa et un autre ministre. Pureshram-Bhow lui-même prenait la place de Nana-Farnéwiz, et Tchimna-Dji-Appa, propre frère de Badji-Rao, était proclamé peshwa, malgré ses répugnances et son refus formellement exprimés.

Le nouveau peshwa ne se pressait pas de saisir le pouvoir qu’on lui offrait; son ministre Pureshram-Bhow, assez embarrassé du gouvernement et comme honteux de sa conduite, cherchait à rappeler Nana-Farnéwiz pour lui remettre la direction des affaires, ne se réservant à lui-même que le commandement des troupes. Nana-Farnéwiz, redoutant un piège, se tenait sur la défensive, sans rejeter l’offre qui lui était faite de le réconcilier avec le puissant Dowlat-Sindyah. D’autre part, il prêtait volontiers T oreille aux propositions que lui adressait Badji-Rao, en l’invitant à unir de nouveau ses intérêts aux siens. Le plus grand ou plutôt le seul obstacle à leur restauration, c’était la présence auprès de Sindyah de ce conseiller entreprenant et ambitieux, — Balloba-Tantya, — qui avait causé leur chute à tous les deux.

Une fois assuré du concours de Badji-Rao, Nana-Farnéwiz reprit courage et mit en œuvre toutes les ressources de son esprit si fécond en ruses pour attirer dans son parti Dowlat-Sindyah. L’héritier de Madha-Dji avait alors à son service un chef actif et entreprenant du nom de Soukaram-Ghatgay, issu d’une famille respectée, et que des démêlés avec un proche parent du râdja de Kolapour[27] venaient de contraindre à s’expatrier. Soukaram, nommé commandant de cent chevaux par Nana-Farnéwiz, n’avait abandonné celui-ci qu’à l’époque de sa fuite pour entrer dans l’armée de Dowlat-Sindyah. Ce jeune prince, sachant que Soukaram possédait une fille d’une rare beauté, lui prodiguait les plus grands égards; mais, tout puissant qu’il était, le descendant d’un petit chef de village, né dans une humble caste, ne pouvait obtenir en mariage la fille d’un chef de clan, fier de sa noblesse. Nana-Farnéwiz et Badji-Rao s’entendirent pour vaincre les scrupules de Soukaram-Ghatgay. Celui-ci consentit à être le beau-père de Dowlat-Sindyah, à la condition de devenir le premier ministre de son gendre et de toucher une forte somme d’argent. Dès lors le plus puissant chef de la confédération mahratte passa du côté de Nana-Farnéwiz et de Badji-Rao, qui exigèrent à leur tour l’éloignement du conseiller dont ils avaient à se plaindre. Balloba-Tantya, dupe de toute cette intrigue, fut arrêté par son propre souverain; Pureshram-Bhow et Tchimna-Dji-Âppa[28], qui avaient été un instant, l’un ministre et l’autre peshwa, prirent la fuite pour se soustraire, eux aussi, à un emprisonnement.

Au mois de décembre 1796, Badji-Rao reçut l’investiture des fonctions de peshwa. Pour la seconde "fois, la paix paraissait conclue, et tout rentrait dans l’ordre après des péripéties qui auraient pu amener de grands malheurs. Il y a lieu même d’être surpris que cette double révolution n’ait pas causé des catastrophes dans un pays où tant de personnages importans intervenaient dans les affaires publiques et se mouvaient en tous sens avec des armées assez mal disciplinées. Aucune rupture ouverte n’avait eu lieu entre les membres de cette féodalité guerrière, et l’ordre public n’avait point été sérieusement troublé. Malheureusement à cette époque mourait le vieux et respectable Touka-Dji-Holkar, dernier représentant de la fidélité et du désintéressement. Dowlat-Rao-Sindyah, arrivé trop jeune au pouvoir pour ne pas être tenté d’en abuser, se laissait aller à ses caprices. Bientôt la ville de Pounah fut le théâtre de violences et de crimes odieux commis par Soukaram-Ghatgay au nom de Sindyah, dont il était le beau-père et le ministre. La faute doit en retomber en grande partie sur le peshwa et sur Nana-Farnéwiz, coupables d’avoir fait entrer cet homme sanguinaire dans la famille la plus considérable de la confédération. Ils avaient cherché à satisfaire leur propre ambition en aidant à la conclusion du mariage de Sindyah avec la fille de Soukaram; mais cette funeste alliance ne devait être en réalité qu’une nouvelle source de maux pour eux et pour leur pays !


THEODORE PAVIE.

  1. Voyez la livraison du 15 août dernier.
  2. Tel était, on se le rappelle, le nom de la tribu d’Ahmed-Shah et de la dynastie qu’il avait fondée à Kandahar.
  3. L’histoire de l’administration ferme et intelligente de Madhou-Rao, lorsqu’il eut triomphé par la force de l’usurpation de son oncle, ainsi que le récit de la rivalité de ces deux peshwas, forme l’un des plus piquans chapitres des annales de l’empire mahratte; mais il n’entre point dans le plan de ce travail de raconter ces incidens multipliés et difficiles à suivre. Nous ne pouvons que les mentionner lorsqu’ils se rapportent à l’histoire des deux familles qui nous occupent, celle de Holkar et celle de Sindyah.
  4. Voyez les Mémoires de sir John Malcolm sur l’Inde centrale.
  5. Sir John Malcolm a parlé longuement et avec un sincère enthousiasme de cette femme remarquable et de son gouvernement. Après avoir fait allusion à ses pieuses donations, il ajoute : « Chaque jour elle nourrissait les pauvres, et aux grandes fêtes elle donnait des banquets aux classes les plus nécessiteuses. Pendant la saison la plus chaude de l’année, des personnes stationnaient par son ordre sur les routes pour offrir de l’eau aux voyageurs, et au commencement de la saison froide elle distribuait des vêtemens à un grand nombre de ses subordonnés et aussi aux infirmes. Ses sentimens d’humanité envers tous les êtres allaient parfois excessivement loin. Les bêtes de la campagne, les oiseaux de l’air et les poissons des rivières avaient part à sa généreuse compassion. Il leur était accordé des rations de nourriture, et les paysans des environs de la capitale voyaient régulièrement, pendant l’été, leurs attelages de bœufs arrêtés au milieu de leur travail pour être rafraîchis par l’eau qu’apportaient les serviteurs d’Alya-Bhaïe. » Ce sont là des détails charmans et qui nous permettent de surprendre dans ses occupations les plus intimes cette princesse indienne, qui fut le type le plus excellent de la femme accomplie selon le brahmanisme. L’auteur anglais que nous citons résume parfaitement ce qu’il a dit à la louange d’Alya-Bhaïe dans cette phrase remarquable : « Le moins que l’on puisse dire de son caractère, c’est qu’elle apparaît, dans sa sphère limitée, comme l’une des personnes les plus pures et les plus exemplaires qui aient jamais exercé le gouvernement d’un état. Elle nous présente un exemple frappant de l’avantage que, dans les actions de la vie, une intelligence peut retirer de l’accomplissement des devoirs humains subordonnés au sentiment profond de la responsabilité envers le Créateur. »
  6. Voyez History of the Mahrattas, by J. Grant Duff. — Ce brahmane vertueux et instruit, nommé Rani-Chastrie, avait été le précepteur et le conseiller intime du jeune peshwa Madhou-Rao. Il ne faut pas oublier que Ragounâth était brahmane, lui aussi, mais il avait passé plus de temps à intriguer pour obtenir le pouvoir qu’à étudier les livres sacrés.
  7. L’infanterie mogole s’était bravement conduite en cette circonstance. L’auteur anglais de l’Histoire des Mahrattes cite particulièrement « deux bataillons de cipayes, disciplinés dans l’origine par les Anglais, et commandés alors par un Français nommé Madoc, qui se retirèrent en bon ordre. » Ce Madoc fut l’un des premiers aventuriers européens qui s’élevèrent à un certain rang en prenant du service chez les princes indiens.
  8. Ce sont les propres expressions de sir John Malcolm : « Whose name was, at this crisis of Mahratta history, associated with the cause of guilt and usurpation. »
  9. Voyez History of the Maharittas, by J. Grant Duff. L’armée aux ordres du général Goddard ne se composait pas exclusivement d’Européens. Il avait avec lui des cipayes et des auxiliaires hindous, parmi lesquels un corps de cavalerie du Candahar (Candahar horses.)
  10. Telle était la position qu’occupait, pendant la minorité du peshwa Madhou-Rao, fils posthume de Naraïn-Rao, le brahmane Nana-Farnéwiz. Ces deux mots signifient le grand-père chancelier. Farnéwiz est une corruption du persan fard, liste, rôle, et nowis, qui écrit.
  11. Le mot aventurier est pris ici dans sa meilleure acception. De Boigne était un homme honorable autant qu’habile, et qui prévit de bonne heure le triomphe des Anglais sur les princes indigènes.
  12. Amir-oul-omrah, seigneur des seigneurs. Voyez History of the Mahrattas, etc.
  13. Wakil-oul-moutlak.
  14. Il était l’héritier des fiefs concédés à Djano-Dji-Bhounslay, qui forment ce qu’on nomme encore le petit état des Mahrattes de Nagpour.
  15. Ce sont les propres paroles de J. Grant Duff, qui raconte en détail cette curieuse campagne. Son témoignage a d’autant plus d’importance qu’il n’éprouve guère pour les héros de l’Inde moderne cette sympathie modérée et toujours raisonnable qui semble animer les récits de sir John Malcolm.
  16. Cette appréciation est celle de sir John Malcolm, qui appelle de Boigne a man of no ordinary description. Bien que de Boigne fût né en Savoie, les Mahrattes l’ont toujours considéré comme Français.
  17. Voyez la livraison du 15 août.
  18. Lorsque lord Cornwallis négociait une alliance avec les Mahrattes contre Tippou-Saheb, il chargea le major Palmer, résident anglais auprès de Sindyah, d’engager ce dernier et Holkar à user de leur influence à la cour de Pounah pour la décider à cet arrangement. Sindyah promit son concours, mais à la condition qu’on lui prêtât deux bataillons pareils à ceux qui avaient été mis à la disposition du nabab d’Hyderabad par les Anglais, et que le gouvernement britannique se chargeât de la défense de ses états pendant son absence. Ces conditions, jugées inadmissibles, furent rejetées, et Sindyah ne signa point le traité de Pounah. (Voyez History of the Mahrattas, by J. Grant Duff.) Ainsi les Anglais avaient déjà un résident auprès du chef mahratte, qu’ils regardaient comme un prince indépendant, et d’un autre côté ils refusaient de le défendre chez lui tandis qu’il irait s’exposer pour eux à l’extrémité de la presqu’île. Ceci prouve combien était grande la puissance de Sindyah dans l’Hindostan, et combien il importait aux Anglais qu’elle ne se consolidât pas au point de constituer un royaume compacte, dont les troupes aguerries menaceraient tôt ou tard leurs établissemens du Bengale, après avoir arrêté leur marche vers Dehli.
  19. Les Rathores étaient aux ordres du râdja de Marwar, Badji-Singh, celui-là même qui vingt ans auparavant avait traîtreusement assassiné Djaïpat-Sindyah, l’aîné des cinq fils de Rano-Dji; Madha-Dji était le plus jeune.
  20. Chef de village.
  21. Il y a cependant quelque exagération à dire, comme M. J. Grant Duff, qu’elle excite le dégoût. Cet écrivain a donné dans sa précieuse et substantielle Histoire des Mahrattes tous les détails des cérémonies et des fêtes qui eurent lieu à l’occasion de cette investiture; il a tracé là, en quelques pages, une scène de mœurs qui montre sous un aspect vraiment féerique cette cour mahratte désormais muette et déserte.
  22. Ou Dudrenec.
  23. Je suis ici la version de sir John Malcolm. L’auteur de l’Histoire des Mahrattes, J. Grant Duff, dit au contraire que, « dans sa rage impuissante, Holkar saccagea Ouddjein, la capitale de son rival. » S’il en fut ainsi, la rage du vaincu ne demeura pas tout à fait impuissante.
  24. Ils appartenaient tous à cette race de brahmanes de la province du Concan qui ont exercé une si grande influence sur le gouvernement mahratte. Les brahmanes du nord de l’Inde ne les reconnaissent pas cependant pour des Aryens de pure race; ils s’abstiennent même de manger avec eux et ne voudraient à aucun prix contracter des alliances avec leurs familles.
  25. Elle avait lieu à Pounah en octobre; après les cérémonies religieuses et militaires, les chefs assemblés avaient coutume de délibérer sur la prochaine campagne et d’arrêter les plans des invasions à entreprendre.
  26. Les Tantya forment une famille puissante, dont un descendant, Tantya-Topie, joue, à côté de Nana-Sahib, un rôle d’une certaine importance dans la guerre actuelle de l’Inde.
  27. Dans la province de Bedjapour, territoire mahratte.
  28. Celui-ci, après avoir subi une pénitence en expiation de son usurpation forcée, fut appelé par son frère Badji-Rao au gouvernement de la province de Gouzerate.