De la sagesse/Livre III/Chapitre XV

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LIVRE 3 CHAPITRE 15


debvoir des maistres et serviteurs.

vient après la troisiesme partie et derniere de la justice privée et domestique, qui est des debvoirs des maistres et serviteurs. Sur quoy faut sçavoir la distinction des serviteurs, car il y en a principalement de trois sortes. Il y a les esclaves, dont tout le monde estoit plein au temps passé, et encore l’est-il, sauf en un quartier d’Europe, et n’y en a endroict plus net que la France. Ils n’ont en leur puissance ny corps ny biens, mais sont du tout à leurs maistres, qui les peuvent donner, engager, vendre, revendre, eschanger, et en faire comme bestes de service. De ceux-cy a esté parlé au long. Il y a les valets et serviteurs, gens libres, maistres de leurs personnes et biens, voire ne peuvent par contract ny autrement faire aucun prejudice à leur liberté ; mais ils doibvent honneur, obeyssance et service à tel certain temps et telles conditions qu’ils ont promis, et les maistres ont sur eux commandement, correction et chastiment avec moderation et discretion. Il y a les mercenaires, qui sont encore moins subjects, car ils ne doibvent service ny obeyssance, mais seulement quelque travail et industrie pour argent ; et n’a-on sur eux aucune correction ny commandement. Les debvoirs des maistres envers leurs serviteurs, tant esclaves que valets, sont ne les traicter cruellement, se souvenant qu’ils sont hommes et de mesme nature qu’eux, que la seule fortune y a mis la difference, laquelle est variable, et se joue à faire les grands petits, et les petits grands. Dont la distance n’est pas telle, qu’il les faille rebuter si loin : (…). Traicter humainement ses serviteurs, et chercher plustost à se faire aymer que craindre, est tesmoignage de bonne nature : les rudoyer par trop monstre une ame cruelle, et que la volonté est toute pareille envers les autres hommes, mais que le deffaut de puissance empesche l’execution. Aussi avoir soin de leur santé et instruction de ce qui est requis pour leur bien et salut. Les debvoirs des serviteurs sont honorer et craindre leurs maistres, quels qu’ils soyent, et leur rendre obeyssance et fidelité, les servant non par acquit, au dehors seulement et par contenance, mais cordialement, serieusement, par conscience et sans feincte. Nous lisons de très beaux, nobles et genereux services avoir esté faicts par aucuns à leurs maistres, jusques à avoir employé leur vie pour sauver celle de leurs maistres, ou leur honneur.