De la sagesse/Livre I/Chapitre XXI

Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. 153-154).
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Des passions en particulier. modifier

ADVERTISSEMENT.
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IL sera traicté de leur naturel, pour y voir la folie, vanité, misere, injustice et laideur, qui est en elles, affin de les cognoistre et apprendre à les justement hayr. Les advis pour s’en garder seront aux livres suyvans ; ce sont les deux parties du medecin, declarer la maladie, et donner les remedes. Voicy les maladies de l’esprit. Au reste nous parlerons icy premierement de toutes celles qui regardent le bien apparent, qui sont amour et ses especes, desir, espoir, desespoir, joye ; et puis toutes celles qui regardent le mal, qui sont plusieurs ; cholere, hayne, envie, jalousie, vengeance, cruauté, crainte, tristesse, compassion.

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CHAPITRE XX [1].

De l'Amour en general.


SOMMAIRE. — Il y a trois sortes d'amours vicieux : l'amour des grandeurs ou ambition ; l'amour des richesses ou avarice ; l'amour des voluptés sensuelles.

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LA premiere maistresse et capitale de toutes les passions est l’amour, qui est de divers subjects, et de subjects, et de diverses sortes et degrés. Il y en a trois principaux, ausquels tous se rapportent (nous parlons du vitieux et passionné ; car du vertueux, qui est amitié, charité, dilection, sera parlé en la vertu de la justice) ; sçavoir l’ambition ou superbe, qui est l’amour de grandeur et honneur ; l’avarice, amour des biens ; et l’amour voluptueux et charnel. Voilà les trois goulphes [2] et precipices d’où peu de gens se sauvent, les trois pestes et corruptions de tout ce qu’avons en maniement, esprit, corps et biens ; les armeures des trois capitaux ennemis du salut et repos humain, le diable, la chair, le monde. Ce sont à la verité trois puissances, les plus communes et universelles passions, dont l’Apostre a party en ces trois tout ce qui est au monde : Quidquid est in mundo, est concupiscentia oculorum, aut carnis, aut superbia vitœ [3]. L’ambition, comme spirituelle, est plus noble et hautaine que les autres. L’amour voluptueux, comme plus naturel et universel (car mesme aux bestes où les autres ne se trouvent point), il est plus violent et moins vitieux ; je dis violent tout simplement, car quelquesfois l’ambition l’emporte : mais c’est une maladie particuliere ; l’avarice est la plus sotte et maladive de toutes.

  1. Ce chapitre est le vingt-unième de la première édition.
  2. Gouffres.
  3. « Tout ce qui est dans le monde est ou concupiscence des yeux, ou concupiscence de la chair, ou orgueil de la vie  ». Ep. de St.-Jean, ch. II, v. 16.