De la sagesse/Avertissement de l’Éditeur

Texte établi par Amaury Duval, Rapilly (tome 1p. xxi-xxvi).

AVERTISSEMENT


DE L'ÉDITEUR


SUR CETTE NOUVELLE ÉDITION.
__________


On a pu voir dans la Vie de Charron, que cet auteur n’a jamais donné qu’une édition de son Traité de la Sagesse. Elle parut à Bordeaux, en 1601, chez René Milanges. Les bibliophiles la recherchent, parce qu’elle contient les passages que l’auteur crut devoir supprimer par la suite, ou adoucir, ou rectifier.

La seconde édition, dont il ne put voir que les premières feuilles, parut à Paris, en 1604, avec les corrections qu’il avait faites à la première, et aussi avec des augmentations considérables. Quoiqu’elle soit bien imprimée et très-exacte, elle fut peu recherchée : le public voulait avoir le livre tel qu’il était d'a-a a-bord sorti des mains de l’auteur. Aussi toutes les éditions qui s’en firent en différens pays (et il s’en fit un grand nombre), furent calquées sur celle de 1601.

Mais il résultait de là que les acquéreurs de ces éditions étaient privés des additions très-nombreuses que contenait l’édition dé 1604 ; additions dans lesquelles Charron ne s’était montré ni moins philosophe, ni moins hardi que dans les passages qui avaient scandalisé les dévots, et attiré sur l’ouvrage les censures de la Sorbonne.

Pour satisfaire tous les goûts, il n’y avait qu’un moyen ; c’était de réimprimer l’édition corrigée et augmentée, en y joignant les passages réformés ou modifiés. C’est ce qu’on fit dans les éditions de 1607, 1613, 1618, etc. C’est ce qu’on a fait bien mieux encore dans l’excellente édition en quatre volumes in-12, qui a paru à Dijon, en 1801. Lé texte a été imprimé d’après un exemplaire de l’édition de 1604, corrigé de la main même de La Roche-Maillet, et l’on y a joint au bas des pages, sous le titre de variantes, les passages que Charron avait corrigés ou adoucis. « Par ce moyen, dit avec raison l’éditeur, on a sous les yeux l’édition complète, telle que l’auteur se proposait de la donner quelque tems avant sa mort, et le texte original de 1601 dans toute sa pureté ».

Cette édition m’ayant paru la meilleure de toutes, je l’ai choisie pour texte. Mais voici ce qui distingue celle que j’offre, en ce moment, au public.

1°. Chaque chapitre du Traité de la Sagesse est précédé d’un SOMMAIRE qui donne une idée de ce qu’il contient. C’est ainsi que, dans mon édition de Montaigne, j’ai placé de courtes analyses en tête dés chapitres, et d’honorables approbations me donnent le droit d’attacher quelque prix à ce travail.

2°. Dans aucune édition de la Sagesse, on ne trouve la traduction des nombreux passages grecs et latins dont le texte est parsemé : non seulement j’ai traduit ces passages, mais j’indique les auteurs et les ouvrages d’où ils ont été tirés.

3°. Quoiqu’il y ait dans Charron beaucoup moins de phrases obscures et de mots surannés ou bizarres que dans Montaigne, j’en ai trouvé cependant un assez bon nombre qui auraient pu arrêter les lecteurs peu accoutumés au style de nos vieux écrivains : j’en ai placé au bas des pages de courtes explications.

4°. Charron jusqu’à présent n’avait point trouvé de commentateurs, et peut-être aucun philosophe ne méritait plus d’en avoir. J'ai développé et quelquefois combattu ses opinions dans mes notes. J’ai dit ailleurs [1] que je me trouve possesseur des commentaires inédits de feu Naigeon, membre de l’Institut, tant sur l’auteur des Essais, que sur son disciple Charron. Son travail sur ce dernier philosophe surtout est immense, et prouve son érudition et le cas qu’il faisait de notre auteur. J’ai puisé, autant que j’ai pu, dans cette mine abondante mais j’ai dû y laisser enfoui, tout ce qui aurait pu occasionner le scandale, ou l’improbation d’une classe nombreuse de lecteurs.

5°. Je ne sais pourquoi, même dans les meilleures éditions de Charron, on ne trouve point son Petit Traité de Sagesse, qui est comme une déclaration de ses principes, par laquelle il se proposait de terminer l’édition de son ouvrage commencée sous ses yeux, mais qui fut interrompue par sa mort. Ce Traité ne fut publié qu’en 1606, et séparément. Je ne pouvais rejeter cet opuscule de Charron, que je regarde comme partie intégrante, ou plutôt comme un complément de son grand ouvrage. D’après tout ce que je viens d’exposer, les justes appréciateurs des travaux des gens de lettres, me sauront quelque gré, je l’espère, de la peine que j’ai prise pour rendre cette nouvelle édition d’un livre célèbre, aussi complète, aussi exacte qu’elle peut l’être, et la lecture de l’ouvrage, aussi agréable qu’utile. Mais je dois dire, en finissant, que j’ai trouvé un collaborateur zélé dans un homme de lettres [2], que ne rebutent jamais les recherches les plus pénibles ; Il a partagé avec zèle le travail long et fastidieux qu’exigeait la tâche assez difficile que je m’étais imposée.

  1. Voyez l'avertissement qui précède le troisième volume de Montaigne.
  2. Mr. Eloi Johanneau, qui s’occupe avec succès de recherches archéologiques et historiques. On lit avec intérêt dans les recueils consacrés à l’érudition, un grand nombre de savantes dissertations dont il est auteur.