De la religion considérée dans ses rapports avec l’ordre public et civil/I/III


CHAPITRE III.

Que l’athéisme a passé de la société politique et civile dans la société domestique.


Quelques personnes, dont nous voudrions partager les espérances, ont cru remarquer que l’Europe, après tant d’égarements, de malheurs et de crimes, tendoit à se rapprocher de la religion. Ce retour, s’il étoit réel, s’il étoit général, sauveroit sans doute, en la régénérant, notre vieille société, qui tombe de toutes parts en dissolution ; mais, en se flattant que les doctrines vitales font chaque jour de nouveaux progrès, que le christianisme reprend sur les peuples l’ascendant qu’il avoit perdu, n’est-on pas rassuré plutôt par des désirs que par des faits ? Il y a aujourd’hui dans les gens de bien une disposition singulière à la confiance, et comme une volonté fixe d’espérer sur de vagues motifs et de trompeuses apparences. Ils comptent sur le temps, pourvu qu’on le laisse faire et qu’on ne dérange point son action. à les en croire, tout ira bien ; il suffit d’attendre : et c’est qu’ils sont las de combattre, ils veulent du repos.

Il faut réveiller ces endormis, en frappant leur oreille du bruit des révolutions qui grondent dans le sein de l’avenir. Mais cependant voyons ce que des hommes d’un haut talent peuvent dire en faveur de l’opinion sur laquelle ils se tranquillisent.

« On a beaucoup parlé de la marche du siècle et du mouvement des esprits, et personne n’a remarqué un phénomène digne de fixer l’attention de l’homme d’état et du législateur. Dans le siècle dernier, les esprits, égarés par de funestes doctrines, se dirigèrent avec une violence extrême contre la religion. Un ordre célèbre qui la défendoit au dedans, qui l’étendoit au dehors, fut le premier objet de leurs attaques : sa puissance, son crédit, ses services, ne purent le sauver d’une ruine totale. Bientôt après l’édifice entier de la religion s’écroula sous les marteaux révolutionnaires, avec une facilité qui fit croire aux destructeurs que ce qui leur coûtoit si peu à renverser n’avoit pas une fondation bien solide. Mais, parvenu dès lors à l’apogée de sa puissance, le mouvement irréligieux s’arrêta ; ou plutôt un mouvement contraire et tout religieux emporta les esprits dans une direction opposée. Buonaparte sut le reconnoître et en profiter.

« Depuis ce temps, l’esprit religieux a toujours été croissant, ainsi que le démontre à tout œil attentif la situation de l’Europe. Qui peut en méconnoître l’influence dans les mouvements de la Grece, dans les troubles de l’Irlande, dans cette inquiétude vague qui pousse les esprits vers de hautes contemplations ? D’un bout à l’autre, l’Europe est travaillée par un ferment religieux, introduit dans la masse du corps social, mens agitat molem. Que dis-je ? ces sociétés secrètes, si acharnées contre le christianisme, ces livres impies dont le débordement nous inonde, ne prouvent-ils pas d’une manière invincible la tendance religieuse contre laquelle tant d’efforts se réunissent ? C’est parce qu’elle se voit assiégée dans la place qu’elle avoit conquise, que l’impiété s’y fortifie ; elle ne se défend que parce qu’elle est menacée. Ajoutez à ces preuves la renaissance de l’épiscopat, les concordats faits avec le Saint-Siège, l’établissement spontané de dix-huit cents communautés de femmes, les villes, les bourgs, appelant de tous côtés ces humbles frères de la doctrine chrétienne, plus nombreux aujourd’hui, plus difficiles à supprimer, que ne le furent il y a soixante ans les jésuites. Comment ne pas apercevoir dans les prodiges de l'esprit religieux le caractère particulier du nouveau siècle[1]

Nous convenons des efforts du zèle ; on ne sauroit trop les louer. Du reste ce brillant tableau, réduit à ce qu’il contient d’exact, peut être résumé en ce peu de mots : la religion, objet d’une haine non moins active que persévérante, est attaquée partout, et partout défendue par les vrais chrétiens.

La question qui agite la Grèce est d’un ordre différent. Après une longue et dure servitude, elle combat pour recouvrer son indépendance nationale, et, à force de sacrifices, probablement elle parviendra à la reconquérir, si les vues étroitement intéressées et les basses jalousies de quelques puissances rivales ne la courbent pas de nouveau sous le sabre des musulmans.

Esclaves, depuis deux siècles, dans leur propre pays, et sous quelques rapports plus misérables que les grecs mêmes, persécutés, dépouillés de leurs biens, massacrés au nom de la tolérance, les irlandais demandent à leurs oppresseurs combien de temps encore six millions d’hommes, à qui l’on ne sauroit reprocher d’autre crime que leur attachement inviolable à la foi de leurs pères, seront tenus hors de la loi des nations. Ce noble peuple, indigné de ses fers, et pouvant les briser, donne l’exemple d’une modération aussi admirable que le furent sa constance et sa fermeté.

Il réclame par les voies légales une justice trop tardive pour l’honneur de l’Angleterre ; heureux s’il peut passer, sans que ni une larme ni une goutte de sang soit répandue, de l’état de proscrit au rang de sujet !

Rien, dans les deux exemples que nous venons d’examiner, n’autorise à penser que l’esprit religieux soit le caractère particulier du nouveau siècle. Le débordement des livres impies, les complots chaque jour renaissants des sociétés secrètes, conduisent bien moins encore à cette conclusion. Et quant aux prodiges de la charité, j’avoue que partout où l’on aperçoit de grands effets, l’on doit admettre une cause puissante.

Cette cause existe sans aucun doute ; c’est la foi, c’est l’amour que le christianisme commande et inspire. Mais qu’on prenne garde de s’y méprendre : de ce qu’une lutte universelle s’est engagée entre le bien et le mal, il ne s’ensuit pas que le bien prédomine ; cela prouve plutôt, qu’au lieu de régner, il est réduit à se défendre. Qui auroit songé, il y a cinquante ans, à se réjouir de la formation d’une école religieuse comme d’une victoire ? On ne remarque tant l’action du christianisme que dans les sociétés qui ne sont plus chrétiennes. La vue d’une croix étonne et frappe en un pays protestant : ailleurs à peine excite-t-elle l’attention de la piété.

La situation présente de l’Europe diffère tellement de tout ce qu’on avoit encore vu, que les meilleurs esprits, faute d’un terme de comparaison, s’abusent quelquefois d’une manière étrange dans les jugements qu’ils en portent. Il est impossible de rien comprendre à ce qui se passe sous nos yeux, si l’on ne reconnoît d’abord, dans les deux mouvements opposés qui agitent le monde, la continuation de la guerre que l’athéisme déclara ouvertement, vers le milieu du dernier siècle, à la religion catholique, sa seule véritable ennemie ; et si l’on ne considère, d’une autre part, que cette guerre, plus vive qu’elle ne le fut jamais, a totalement changé de nature, en ce qu’autrefois l’athéisme, n’ayant à ses ordres que des soldats dispersés et sans presque aucune organisation, combattoit la société publique, chrétienne alors, sinon dans ses membres, au moins dans ses lois, ses institutions, ses usages, ses maximes ; tandis que, maître aujourd’hui de cette société qu’il a conquise, il attaque avec toutes les forces qu’elle lui prête la religion, défendue seulement par des individus isolés. Loin que, d’un bout à l’autre, l’Europe soit travaillée par un ferment religieux, introduit dans la masse du corps social, le corps social s’est au contraire entièrement séparé de la religion. Il y a maintenant deux sociétés, non seulement distinctes, mais armées l’une contre l’autre : la société des hommes sans Dieu, dont presque partout les systèmes prévalent dans le gouvernement et l’administration ; la société des chrétiens unis sous l’autorité de l’église, et qui, pour maintenir sur la terre une foi, un culte, un ordre moral, sont forcés de lutter sans relâche contre l’athéisme politique et ses conséquences.

De là les prodiges de zèle qu’on admire avec raison ; et de là aussi les maux extrêmes que produit nécessairement une oppression légale et une persécution savante. Qu’en cet état les esprits soient agités d’une inquiétude vague, cela se conçoit ; on n’est pas à l’aise dans le vide : mais que cette inquiétude les pousse à de hautes contemplations, on en douteroit fort, si celui qui l’affirme n’avoit plus qu’un autre le droit d’être cru, toutes les fois qu’il s’agit de contemplations élevées.

à cause de l’abaissement où on l’a réduite, des attaques dont elle est l’objet, des sacrifices mêmes attachés à la pratique sincère de sa doctrine et de ses commandements, la religion peut-être exerce aujourd’hui une action plus forte sur la portion des peuples qui lui est demeurée vraiment fidèle : mais le nombre des chrétiens a diminué depuis un demi-siècle, et continue de diminuer progressivement.

Ce fait n’est que trop incontestable, et seroit, au besoin, susceptible d’être établi par les documents les plus positifs. Le gouvernement lui-même, à cet égard peu suspect d’exagération, est convenu, en exposant les motifs du projet de loi sur le sacrilège, de la multitude d’impiétés commises par des malheureux dépourvus de foi, et il a présenté la négligence, l’oubli, l’indifférence, comme le caractère particulier de ces tristes temps. C’étoit avouer, en d’autres termes, l’affoiblissement de la vie morale dans la société ; car la société vit de foi ainsi que l’homme, et la religion, fondement des devoirs, est aussi l’unique source des idées spirituelles, et de tout ce qui élève au-dessus des sens. Si l’on en doutoit, qu’on observe comment la philosophie du dernier siècle, en se répandant, a introduit peu à peu un matérialisme abject dans les esprits et dans les mœurs, d’où il a passé dans les lois, l’administration et le gouvernement.

Des individus, égarés par de fausses doctrines, ont corrompu l’état, qui corrompt à son tour les individus : car quel est le peuple dont la foi pût résister à des lois athées, à l’influence continuelle d’un gouvernement à qui toute croyance est indifférente ? Quand on le voit payer également, protéger également les cultes les plus opposés, que voulez-vous que pense la multitude, to ujours déterminée par l’exemple ? Incertaine de ce qu’elle doit croire, elle s’affranchit bientôt de la pratique gênante des devoirs religieux ; elle déserte l’église pour tous les lieux où ses passions l’appellent, et, privée d’instruction, de conseils, de règle de conduite, elle tombe rapidement dans une ignorance profonde et dans des habitudes brutales. Le repos du jour saint n’est plus gardé, et en cela l’on ne fait qu’imiter l’administration même. Le dernier signe de communion qui existe entre les peuples, au milieu de tant de cultes divers, disparoît.

Cependant la dépravation va croissant ; les liens de la famille se relâchent, ou plutôt l’on ne connoît plus ni mariage, ni paternité ; un homme a sa femelle et ses petits, voilà tout ; et encore souvent ne sait-on à qui ils appartiennent.

Les vices se propagent ; on les étale sans honte à tous les yeux. Ils entourent l’enfant dès le berceau, et leur hideuse nudité n’inspire ni horreur, ni étonnement. Au sens moral, à peu près éteint, succède une sorte de mouvement aveugle qui pousse stupidement des êtres dégradés vers tout ce qui promet quelque jouissance à leurs grossiers appétits. Quelquefois un instinct féroce se développe en eux, ils ont soif du sang, et des forfaits inouïs épouvantent le monde.

Que dire d’une semblable société, de ses doctrines, de ses lois ? Que dire des hommes qui, possédés de je ne sais quel esprit de vertige, jettent les peuples dans cet abîme, et de ceux, plus coupables encore, qui, par foiblesse ou par intérêt, se rendent les apologistes, les soutiens, les agents d’un si exécrable désordre ? Encore une fois, que dire ? Il n’y a que les paroles de l’esprit saint : malheur à vous dont le cœur est malade, qui ne croyez point en Dieu, et que Dieu ne protègera point ! Malheur à vous qui établissez des lois impies, et qui écrivez l’injustice ! Malheur à la nation pécheresse au peuple chargé d’iniquités, à la race perverse, aux enfants du crime, qui ont abandonné le seigneur, qui ont blasphémé le saint d’Israël, et qui se sont retirés de lui ! Malheur aux prophètes insensés qui suivent leur esprit, et ne voient rien ! Malheur à vous qui dites que le mal est bien, et que le bien est mal ; qui appelez les ténèbres la lumière, et la lumière les ténèbres ! Malheur à vous qui êtes sages à vos propres yeux, et qui vous applaudissez de votre prudence ! Malheur à vous qui avez un cœur double, et des lèvres criminelles, et des mains souillées, et qui marchez en deux voies sur la terre ! Que feront-ils, quand tout à l’heure Dieu les regardera ? Malheur à eux, car leur jour vient, et le temps de la visite approche !

Nous n’avons encore montré qu’une partie de l’influence que l’état exerce sur la société domestique pour la corrompre. Le moyen sans contredit le plus puissant et dont le génie du mal a su le mieux profiter pour étendre le règne de l’athéisme, est l’éducation publique. C’étoit, avant la révolution, une maxime universellement reçue, qu’elle appartenoit, chez les nations chrétiennes, à ceux à qui Jésus-Christ a dit : allez et enseignez. les conciles provinciaux, dit monseigneur l’évêque d’Amiens, les ordonnances synodales, les édits de nos rois, les arrêts du conseil d’état et des parlements, la double puissance du sacerdoce et de l’empire, reconnurent solennellement que l’éducation de l’enfance étoit le droit exclusif de l’episcopat. après avoir détruit l’ordre ancien, on se hâta d’établir le principe contraire, afin d’assurer le triomphe de l’impiété et de l’anarchie. Il n’y avoit plus d’évêques en France, mais il y avoit encore des pères ; on les dépouilla de l’autorité que Dieu même leur a donnée sur leurs enfants : la leur a-t-on rendue depuis ? Non, certes. Ecoutez M. de Corbières : l’instruction publique est chez nous une institution (politique,) et ce n’est pas une chose nouvelle ; les temps ont amené des changements successifs dans les établissements comme dans les formes de l’instruction ; le principe est resté de même.

Une assertion si positive étonne de la part d’un avocat, qui devroit avoir au moins quelque idée de notre ancienne législation ; qu’il remonte seulement jusqu’à Louis XIV, il verra que personne alors ne se doutoit de ce principe, qui est resté le même. il est manifeste, déclaroit le 23 janvier 1680 le conseil d’état, il est manifeste qu’il n’appartient qu’à l’église de prendre connoissance du fait des écoles. Cet usage a toujours été suivi en France ; ... aussi les jurisconsultes disent que le soin des écoles est soumis aux ecclésiastiques. Puisque le ministre l’ignore, il est bon de lui apprendre que la doctrine qui le charme, et dont l’antiquité lui paroît si vénérable, est née dans la convention. C’est elle qui, la première, en violant tous les droits, essaya de faire de l’éducation une institution politique, projet digne de ses inventeurs, et que, sous ce rapport, il y a certainement quelque courage à adopter. Car enfin le ministre veut-il savoir quelle est, après la sienne, la plus haute autorité qu’on puisse alléguer en faveur de la maxime qu’avec tant d’à-propos il entreprend de soutenir ! C’est l’autorité de Danton. En 1793, ce profond publiciste s’exprimoit ainsi : « Il est temps de rétablir ce grand principe, que les enfants appartiennent à la république avant d’appartenir à leurs parents. »

Voilà certes un imposant accord : aussi M. Lainé, dont toute la France connoît la vive imagination, paroît-il n’avoir pas été peu flatté de voir son administration justifiée par ce double suffrage. Sa naïve satisfaction se montre tout entière dans ces paroles qu’il adressoit à la chambre des pairs.

« On est heureux d’entendre dire que l’instruction publique pour les hommes est une institution politique à régler par les lois ; cela peut ranimer des espérances et des vœux légitimes ; mais pour n’avoir pas autant d’intérêt politique, l’instruction des femmes n’en est pas dépourvue[2]. »

Saisissant cette dernière idée, qui double le domaine de la politique, m le marquis De Lally-Tolendal exprima le vœu légitime, qu’on s’occupât promptement de former des citoyennes, et, en vérité, la chose est tellement facile, tellement simple, que si nous ne jouissons pas bientôt de ce développement si désirable de nos institutions constitutionnelles, ce sera mauvaise volonté pure de la part de l’administration. Il ne s’agit que de faire apprendre à lire aux petites filles dans la charte, à qui le noble pair n’assigne cependant que la seconde place dans la bibliothèque de l’enfance. Il ne dit pas à quel autre ouvrage il réserve la première : mais il tient extrêmement à ce qu’on mette entre les mains des jeunes personnes, lorsqu’elles seront déjà suffisamment familiarisées avec les lois fondamentales et les lois organiques, la défense des quatre propositions de 1682, par Bossuet. Les esprits légers trouveront peut-être ces lectures excessivement graves ; on ne nie pas qu’au premier aspect elles n’offrent quelque chose d’un peu sérieux pour des petites filles, et même pour des petits garçons : mais après cela aussi la France pourra se flatter d’avoir des citoyennes comme on n’en voit guère assurément, et les femmes les plus fortes de l’Europe en théologie et en politique gallicanes.

Il n’est pas inutile de rappeler ces extravagances : mieux que tout ce qu’on pourroit dire elles montrent ce que devient la raison publique chez les peuples qui abjurent le christianisme. Ils tombent dans une sorte d’imbécillité à la fois risible et effrayante.

Le sens leur est ôté, et c’est leur premier châtiment.

On se plaint depuis long-temps de l’esprit dans lequel la jeunesse est élevée en France ; mais dès qu’on fait de l’éducation une institution politique, l’éducation est nécessairement ce qu’est l’état lui-même ; ses doctrines règnent dans les collèges comme dans la société, quel que soit l’enseignement particulier de tel ou tel maître : aucune puissance humaine ne sauroit faire qu’une institution politique soit opposée, et en elle-même et dans ses effets, au principe dont elle émane ; qu’il y ait de la foi dans des écoles établies et administrées par un gouvernement qui professe l’indifférence absolue des religions. De là cette espèce de doute contagieux et cette impiété froide et tenace, qu’on observe avec épouvante dans la plupart des établissements publics d’éducation. Les désordres de mœurs, bien que portés à un degré autrefois inconnu, sont moins alarmants pour l’avenir.

On se corrige du vice ; rarement on revient d’une incrédulité précoce. Nous avons cité des faits terribles ; nous en garantissons de nouveau la trop exacte vérité ; et combien n’en pourrions-nous pas citer d’autres ? On dit qu’il auroit fallu taire ces faits : non, non, quand il s’agit d’avertir les parents des dangers auxquels ils peuvent, sans le savoir, exposer ce qu’ils ont de plus cher, quand il s’agit du salut des âmes, se taire est un crime, et dissimuler en est un plus grand.

La religion ne se commande point, elle s’inspire.

L’exemple général, l’esprit des institutions, l’influence des lois, voilà ce qui fait sa force et ce qui la conserve ; et c’est pour cela aussi, qu’à bien peu d’exceptions près, nos écoles publiques ne peuvent être que des écoles d’impiété, et par conséquent de mauvaises mœurs. Lorsqu’on établit dans un collège, à côté d’une chapelle catholique, un prêche calviniste, quel doit être, je le demande, sur la foi des élèves, l’effet d’un semblable rapprochement ? Protestant, catholique, chacun se moque de son culte, et ne voit dans la religion qu’une rêverie absurde, ou tout au plus qu’une coutume indifférente. Et qu’on ne croie pas remédier aux inconvénients d’un pareil système d’éducation, en plaçant à sa tête un évêque ; car l’unique résultat d’une si choquante inconvenance est d’abuser quelques familles, de perdre quelques enfants de plus, d’augmenter les dangers du mal en le couvrant d’un voile sacré, de mettre l’athéisme sous la protection de la religion même, et de persuader peut-être aux oppresseurs de l’Eglise, qu’il n’est point de complaisance qu’on ne puisse exiger et attendre de ses ministres.

Cependant corrompre l’enfance, c’est corrompre l’avenir tout entier, c’est appeler les fléaux, et provoquer la ruine. Car quel est le peuple qui puisse subsister lorsque la base des devoirs, méconnue par l’état, est encore ébranlée dans la société domestique ? Le temps approche où ces vérités, éternelles comme Dieu, cesseront d’être un objet de doute et de raillerie insensée. Quand, de sa main inexorable, la justice qui ne meurt point les aura écrites en caractères de sang sur une terre désolée, on comprendra que le monde est soumis à d’autres lois que celles inventées par la raison du dix-neuvième siècle. Beaucoup de générations ne passeront pas avant que cette grande et dernière leçon soit donnée aux hommes. Jusque là tous les avertissements seront vains ; mais ils ne laissent pas d’entrer dans les vues de la providence pour éclairer ceux qui ont le cœur droit, et pour justifier la sévérité de ses jugements sur les autres.

  1. Opinion de M. de Bonald sur le projet de loi relatif au sacrilége ; 1825.
  2. Moniteur du 13 juillet 1824 ; séance de la chambre des pairs, du 10 juillet.