chez Volland, Gattey, Bailly (p. 194-196).


CHAPITRE XLI.

Amour de la vie.



Ô l’inconcevable instinct que celui qui nous attache à la vie ! C’est une fièvre intermittente dont le cours paraît souvent tout-à-fait suspendu, et dont les accès peuvent se porter au plus furieux délire. On le voit tous les jours dans le monde céder aux passions les plus vaines, les plus factices ; on l’a vu plus d’une fois l’emporter même sur les premières affections de la nature, la tendresse et la pitié maternelle, transformer en un moment des êtres doux et sensibles en monstres de barbarie et de cruauté. Isolé de tout autre sentiment, cet instinct prend tous les caractères de la passion la plus féroce. Qui désire plus que de vivre n’aimera jamais la vie avec excès ; mais il n’est aucun frein à la fureur de celui qui ne peut plus concevoir d’autre désir que celui de sauver sa vie, c’est le dernier foyer où se concentre alors toute l’activité de son être. Telle fut surement l’affreuse destinée des premiers anthropophages.

Que de nobles et généreuses, que de touchantes et sublimes résolutions n’eussent jamais été conçues par le cœur de l’homme, si ses propres passions et celles de la société ne l’avaient pas formé de bonne heure au mépris de la vie ! C’est par cette raison qu’il est un caractère de vertu, une sorte d’héroïsme qui semble appartenir exclusivement aux amans, aux guerriers, toujours prêts à s’immoler aux intérêts de la gloire, à ceux de l’amour ; et voilà sans doute ce qui leur donna dans tous les tems des titres si distingués à l’estime des femmes qui sont, comme l’a dit le sage de Genève, les juges naturels du mérite des hommes.