De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-8

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 201-202).

CHAPITRE VIII.
RENVERSEMENT DU PREMIER PLAN DU SECOND MINISTÈRE.

Toute cette comédie finit par je ne sais quel hasard : le nouveau Directoire, les pairs et les représentants de Buonaparte furent chassés : la maison du roi ne fut point dissoute ; on ne prit point la cocarde tricolore, grâce aux nobles sentiments du noble héritier de Henri IV, qui déclara qu’il aimeroit mieux retourner à Hartwel ; le drapeau blanc flotta sur les Tuileries ; on entra paisiblement dans Paris, et, au grand ébahissement des dupes, jamais le roi ne fut mieux reçu, jamais les gardes du corps ne furent mieux accueillis. La prétendue résistance que l’on devoit rencontrer ne se montra nulle part, et les obstacles, qui n’avoient jamais existé, s’évanouirent.

C’étoit une chose curieuse à observer que l’air stupéfait et un peu honteux qui régna sur les visages pendant quelque temps dans les sociétés de Paris. Chacun vouloit encore, pour se justifier, soutenir que le choix du nouveau ministre étoit un choix indispensable ; mais à mesure que l’opinion de la province et de l’Europe se faisoit connoître (et la province et l’Europe n’eurent pas un moment d’illusion), à mesure que la terreur cessoit à Paris, on revenoit au bon sens : on ne tarda pas à découvrir l’impossibilité absolue de garder en entier ce ministère, qu’on avoit demandé à la couronne avec une sorte de fureur. N’accusons personne : il étoit tout simple que ceux qui s’étoient crus protégés pendant les Cent Jours (et qui auroient été cruellement détrompés si la bataille de Waterloo eût été perdue par les alliés), il étoit tout simple, dis-je, que ceux-là fussent sous l’illusion de la reconnoissance. Mais puisqu’ils ont été si promptement forcés de reconnoître leur erreur, cela leur devroit donner moins d’assurance dans leurs nouvelles assertions. Quand ils excusent aujourd’hui toutes les fautes que l’on peut faire, quand ils soutiennent avec la même conviction que sans tel ou tel ministre nous serions inévitablement perdus, qu’ils se rappellent leur enthousiasme pour un autre personnage, le ton tranchant avec lequel ils affirmoient que rien ne pouvoit aller sans lui, leurs grands raisonnements, leur colère contre les profanes qui n’admiroient pas, qui osoient douter de l’infaillibilité du ministre : alors ils apprendront à se méfier de leur propre jugement et seront plus réservés dans la distribution de leurs anathèmes.