De la monarchie selon la Charte/Chapitre II-21

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 213).

CHAPITRE XXI.
CE QUI A PU TROMPER LES MINISTRES SUR LA VÉRITABLE OPINION DE LA FRANCE.

L’illusion du ministère sur la véritable opinion de la France tient encore à une autre cause. Il prend pour une chose existante hors de lui une chose inhérente à lui-même, et il s’émerveille de découvrir ce qui est le résultat forcé de la position où il a placé l’ordre politique.

Le ministère ne voit pas que sur la question de l’opinion générale il n’a pour guide et pour témoin qu’une opinion intéressée. La plupart des places étoient et sont encore entre les mains des partisans de la révolution ou de Buonaparte. Les ministres ne correspondent qu’avec les hommes en place ; ils leur demandent des renseignements sur l’opinion de la France. Ces hommes tout naturellement ne manquent pas de répondre que les administrés pensent comme eux, hors une petite poignée de chouans et de Vendéens. Comptez l’armée des douaniers, des employés de toutes les sortes, des commis de toutes les espèces, et vous reconnoîtrez que l’administration, dans sa presque totalité, tient aux intérêts révolutionnaires. Or, si le gouvernement voit l’opinion de la France dans les administrateurs, et non dans les administrés, il en résulte qu’il doit croire, contre la vérité évidente, qu’il y a très-peu de royalistes en France. Et comme ce sont des administrateurs qui parlent, qui écrivent, qui disposent des journaux et de la voix de la renommée ; comme, enfin, ce sont eux qui forment les autorités publiques, il est clair qu’il y a de quoi prendre là des idées fausses sur la France, de quoi se tromper soi-même et tromper l’Europe.