De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-8

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 167-168).

CHAPITRE VIII.
CONTRE LA PROPOSITION SECRÈTE DE LA LOI.

Proposition secrète de la loi : idée fausse et contradictoire, élément hétérogène dont il faudra se débarrasser. La proposition secrète de la loi ne peut même jamais être si secrète qu’elle ne parvienne au public défigurée : l’initiative franche est de la nature du gouvernement représentatif. Dans ce gouvernement tout doit être connu, porté au tribunal de l’opinion. Si la discussion aux chambres devient orageuse, cinq membres, en se réunissant, peuvent, aux termes de l’article 44 de la Charte, faire évacuer les tribunes. On conserveroit donc, par l’initiative, les avantages du secret sans perdre ceux de la publicité ; il n’y a donc rien à gagner à préférer la proposition à l’initiative. C’est vouloir se procurer par un moyen ce qu’on obtient déjà par un autre ; c’est compliquer les ressorts, pour se donner ce qu’on peut avoir par un procédé simple et naturel.

L’initiative accordée aux chambres fera disparoître en outre ces définitions de principes généraux, qui cette année ont entravé la discussion de chacune de nos lois. On n’entendroit plus parler aussi de l’éternelle doctrine des amendements. Le bon sens veut que les chambres admises à la confection des lois aient le droit de proposer dans ces lois tous les changements qui leur semblent utiles (excepté pour le budget, comme je vais le dire). Vouloir fixer des bornes au droit d’amendement ; trouver le point mathématique où l’amendement finit, où la proposition de loi commence ; savoir exactement quand cet amendement empiète, quand il n’empiète pas sur la prérogative, c’est se perdre dans une métaphysique politique, sans rivages et sans fond.

Permettez l’initiative aux chambres : que la loi, si vous le voulez, puisse être également proposée par le gouvernement, mais sans ordonnance formelle, et toutes ces questions oiseuses tomberont. Au lieu de crier à tout propos à la violation de la Charte, à la violation de la prérogative royale ; au lieu de rejeter un amendement, non parce qu’il est mauvais en lui-même, mais parce qu’il contrarie une théorie, on sera obligé de combattre son adversaires par des raisons prises dans la nature même de la loi proposée. On s’accusera plus mutuellement, les uns de rappeler des principes démocratiques, les autres de prêcher l’obéissance passive : les esprits deviendroient plus justes, les cœurs plus unis ; il y aura moins de temps perdu.