De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-7

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 166-167).

CHAPITRE VII.
OBJECTIONS.

Mais si les chambres ont seules l’initiative, ou si elles la partagent avec la couronne, ne va-t-on pas voir recommencer cette manie de faire des lois, qui perdit la France sous l’Assemblée constituante ?

On oublie dans ces comparaisons, si souvent répétées, que l’esprit de la France n’étoit pas tel alors qu’il est aujourd’hui ; que la révolution commençoit et qu’elle finit ; que l’on tend au repos, comme on tendoit au mouvement ; que loin de vouloir détruire, la plus forte envie est de réparer.

On oublie que la constitution n’étoit pas la même ; qu’il n’y avoit qu’une assemblée ou deux conseils de même nature, et que la Charte a établi deux chambres formées d’éléments divers ; que ces deux chambres se balancent, que l’une peut arrêter ce que l’autre auroit proposé imprudemment.

On oublie que toute motion d’ordre faite et poursuivie spontanément n’est plus possible ; que toute proposition doit être déposée par écrit sur le bureau ; que si les chambres décident qu’il y a lieu de s’occuper de cette proposition, elle ne peut être développée qu’après un intervalle de trois jours ; qu’elle est ensuite envoyée et distribuée dans les bureaux : ce n’est qu’après avoir passé à travers toutes ces formes dilatoires qu’elle revient aux chambres, modifiée et comme refroidie, pour y rencontrer tous les obstacles, y subir tous les amendements des projets de loi ; encore la discussion peut-elle en être retardée, s’il se trouve à l’ordre du jour d’autres affaires qui aient la priorité.

On oublie enfin que le roi a puissance absolue pour rejeter la loi, pour dissoudre les chambres, si le besoin de l’État le requéroit.

D’ailleurs, de quoi s’agit-il ? D’ôter l’initiative des lois à la couronne ? Pas du tout : laissez l’initiative à la couronne, qui s’en servira dans les grandes occasions, pour quelque loi bien éclatante, bien populaire ; mais donnez-la aussi aux chambres, qui l’exercent déjà par le fait, puisqu’elles ont le droit de la proposition de loi.

Le développement de la proposition est secret, répond-on, et avec l’initiative la discussion est publique : les assemblées délibérantes ont fait tant de mal à la France, qu’on ne sauroit trop se prémunir contre elles.

Mais alors pourquoi une Charte ? pourquoi une constitution libre ? pourquoi n’avoir pas pris les choses telles qu’elles étoient, un sénat passif, un corps législatif muet ? Et voilà comment, par une inconséquence funeste, on veut et on ne veut pas ce que l’on a.

Sait-on ce qui arrivera si nous ne sommes pas plus décidés dans nos vœux, pas plus d’accord avec nous-mêmes ? Ou nous détruirons la constitution (et Dieu sait ce qui en résultera), ou nous serons emportés par elle : prenons-y garde, car dans l’état actuel des choses, elle est probablement plus forte que nous.