De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-39

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 193).

CHAPITRE XXXIX.
QUE LE MINISTÈRE DOIT CONDUIRE OU SUIVRE LA MAJORITÉ.

Les ministres doivent, en administration, suivre l’opinion publique, qui leur est marquée par l’esprit de la chambre des députés. Cet esprit peut très-bien n’être pas le leur, ils pourroient très-bien préférer un système qui seroit plus dans leurs goûts, leurs penchants, leurs habitudes ; mais il faut qu’ils changent l’esprit de la majorité ou qu’ils s’y soumettent. On ne gouverne point hors la majorité.

Je dirai ailleurs comment on est arrivé à cette hérésie politique, que le ministère peut marcher avec la minorité ; cette hérésie fut inventée en désespoir de cause, pour justifier de faux systèmes et des opinions imprudemment avancées.

Si l’on dit que les ministres peuvent toujours demeurer en place malgré la majorité, parce que cette majorité ne peut pas physiquement les prendre par le manteau et les mettre dehors, cela est vrai. Mais si c’est garder sa place que de recevoir tous les jours des humiliations, que de s’entendre dire les choses les plus désagréables, que de n’être jamais sûr qu’une loi passera, tout ce que je sais alors, c’est que le ministre reste et que le gouvernement s’en va.

Point de milieu dans une constitution de la nature de la nôtre : il faut que le ministère mène la majorité ou qu’il la suive. S’il ne peut ou ne veut prendre ni l’un ni l’autre de ces partis, il faut qu’il chasse la chambre ou qu’il s’en aille : mais aujourd’hui c’est à lui de voir s’il se sent le courage d’exposer, même éventuellement, sa patrie pour garder sa place ; c’est à lui de calculer en outre s’il est de force à frapper un coup d’État, s’il n’a rien à craindre aux élections pour la tranquillité du pays ; s’il a le pouvoir de déterminer ces élections dans le sens qu’il désire, ou si, n’étant pas sûr du triomphe, il ne vaut pas mieux ou se retirer ou revenir aux opinions de la majorité.

Dans ce dernier cas, se décider promptement est chose nécessaire ; car il n’est pas clair qu’une majorité trop longtemps aigrie et contrariée consentît à marcher avec le ministère quand il plairoit à celui-ci de rentrer dans la majorité.