De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-38

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 191-192).

CHAPITRE XXXVIII.
CONTINUATION DU MÊME SUJET.

Le ministère, accoutumé à voir nos dernières constitutions marcher toujours avec l’impiété et s’appuyer sur les doctrines les plus funestes, a cru mal à propos qu’on en vouloit à la Charte lorsqu’en parlant de cette Charte on a aussi parlé de morale et de religion. Comme si la liberté et la religion étoient incompatibles ! comme si toute idée généreuse en politique ne pouvoit pas s’allier avec le respect que l’on doit aux principes de la justice et de la vérité ! Est-ce donc se jeter dans les réactions que de blâmer ce qui est blâmable, que de vouloir réparer tout ce qui n’est pas irréparable ?

Prenons bien garde à ce qu’on appelle des réactions ; distinguons-en de deux sortes. Il y a des réactions physiques et des réactions morales. Toute réaction physique, c’est-à-dire toute voie de fait, doit être réprimée : le ministère sur ce point ne sera jamais assez sévère. Mais comment pourroit-il prévenir les réactions morales ? Comment empêcheroit-il l’opinion de flétrir toute action qui mérite de l’être ? Non-seulement il ne le peut pas, mais il ne le doit pas ; et les discours qui attaquent les mauvaises doctrines, rétablissent les droits de la justice, louent la vertu malheureuse, applaudissent à la fidélité méconnue, sont aussi utiles à la liberté qu’au rétablissement de la monarchie.

Et à qui prétend-on persuader, d’ailleurs, que les hommes de la révolution sont plus favorables à la Charte que les royalistes ? Ces hommes, qui ont professé les plus fiers sentiments de la liberté sous la république, la soumission la plus abjecte sous le despotisme, ne trouvent-ils pas dans la Charte deux choses qui sont antipathiques à leur double opinion : un roi, comme républicains ; une constitution libre, comme esclaves ?

Le ministère croit-il encore la Charte plus en sûreté quand elle est défendue par les disciples d’une école dont je parlerai bientôt ? Cette école professe hautement la doctrine que les deux chambres ne doivent être qu’un conseil passif, qu’il n’y a point de représentation nationale, qu’on peut tout faire avec des ordonnances. Les royalistes ont défendu les vrais principes de la liberté dans les questions diverses qui se sont présentées (notamment dans la loi sur les élections), tandis que la doctrine de la passive obéissance a été prêchée par les hommes qui ont bouleversé la France au nom de la liberté.

Si des ministres pensent donc que sous l’empire d’une constitution où la parole est libre ils n’entendront pas des opinions de toutes les sortes, s’ils prennent ces opinions solitaires pour des indications d’une opinion générale ou d’un dessein prémédité, ils n’ont aucune idée de la nature du gouvernement représentatif : ils seront conduits à d’étranges folies en agissant d’après leur humeur et leurs suppositions. La règle dans ce cas est de peser les résultats et les faits. Un homme d’État ne considère que la fin ; il ne s’embarrasse pas si la chose qu’il désiroit, et qui étoit bonne, a été produite par les passions ou par la raison, par le calcul ou par le hasard. Si vous sortez des faits en politique, vous vous perdez sans retour.