De la monarchie selon la Charte/Chapitre I-15

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 173-174).

CHAPITRE XV.
DE LA CHAMBRE DES DÉPUTÉS. SES RAPPORTS AVEC LES MINISTRES.

Notre chambre des députés seroit parfaitement constituée si les lois sur les élections et sur la responsabilité des ministres étoient faites ; mais il manque encore à cette chambre la connoissance de quelques-uns de ses pouvoirs, de quelques-unes de ces vérités filles de l’expérience.

Il faut d’abord qu’elle sache se faire respecter. Elle ne doit pas souffrir que les ministres établissent en principe qu’ils sont indépendants des chambres ; qu’ils peuvent refuser de venir lorsqu’elles désireroient leur présence. En Angleterre, non-seulement les ministres sont interrogés sur des bills, mais encore sur des actes administratifs, sur des nominations, et même sur des nouvelles de gazette.

Si on laisse passer cette grande phrase, que les ministres du roi ne doivent compte qu’au roi de leur administration, on entendra bientôt par administration tout ce qu’on voudra : des ministres incapables pourront perdre la France à leur aise ; et les chambres, devenues leurs esclaves, tomberont dans l’avilissement.

Quel moyen les chambres ont-elles de se faire écouter ? Si les ministres refusent de répondre, elles en seront pour leur interpellation, compromettront leur dignité et paroîtront ridicules, comme on l’est en France quand on fait une fausse démarche.

La chambre des députés a plusieurs moyens de maintenir ses droits.

Posons donc les principes :

Les chambres ont le droit de demander tout ce qu’elles veulent aux ministres.

Les ministres doivent toujours répondre, toujours venir, quand les chambres paroissent le souhaiter.

Les ministres ne sont pas toujours obligés de donner les explications qu’on leur demande ; ils peuvent les refuser, mais en motivant ce refus sur des raisons d’État dont les chambres seront instruites quand il en sera temps. Les chambres traitées avec cet égard n’iront pas plus loin. Lorsqu’un ministre a désiré obtenir un crédit de six millions sur le grand-livre, il a donné sa parole d’honneur, et les députés n’ont pas demandé d’autres éclaircissements. Foi de gentilhomme est un vieux gage sur lequel les François trouveront toujours à emprunter.

D’ailleurs les chambres ne se mêleront jamais d’administration, ne feront jamais de demandes inquiétantes, elles n’exposeront jamais les ministres à se compromettre, si les ministres sont ce qu’ils doivent être, c’est-à-dire maîtres des chambres par le fond, et leurs serviteurs par la forme.

Quel moyen conduit à cet heureux résultat ? Le moyen le plus simple du monde : le ministère doit disposer la majorité et marcher avec elle ; sans cela, point de gouvernement.

Je sais bien que cette espèce d’autorité que les chambres exercent sur le ministère pendant les sessions rappelle à l’esprit les envahissements de l’Assemblée constituante ; mais, encore une fois, toute comparaison de ce qui est aujourd’hui à ce qui fut alors est boiteuse. L’expérience de nos temps de malheurs n’autorise point à dire que la monarchie représentative ne peut pas s’établir en France : le gouvernement qui existoit à cette époque n’étoit point la monarchie représentative fondée sur des principes naturels, par la véritable division des pouvoirs. Une assemblée unique, un roi dont le veto n’étoit pas absolu ! Qu’y a-t-il de commun entre l’ordre établi par l’Assemblée constituante et l’ordre politique fondé par la Charte ? Usons de cette Charte : si rien ne marche avec elle, alors nous pourrons affirmer que le génie françois est incompatible avec le gouvernement représentatif ; jusque là nous n’avons pas le droit de condamner ce que nous n’avons jamais eu.