De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 08

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome IIp. 444-465).


CHAPITRE VIII.

De certains remedes qu’on a coûtume d’employer contre les Vers des intestins, & qu’il faut éviter.



Il y a bien de l’erreur sur le fait des remedes qu’on employe contre les Vers ; quelques Auteurs[1] conseillent le vinaigre pour les tuer, d’autres la poudre de Vers desséchés, d’autres de l’eau où a trempé du mercure, d’autres le mercure en substance, d’autres la poudre nommée, Semen contra, d’autres le tabac, d’autres l’eau-de-vie, d’autres le sel, tous remedes dont il est bon de s’abstenir.

Le vinaigre ne tue pas toutes sortes de Vers, & il y en a qu’il fait revivre quand ils meurent, ainsi que nous le remarquerons dans le Chapitre neuviéme. D’ailleurs, ce que nous avons dit du vinaigre dans le Chapitre sixiéme, suffit pour faire soupçonner qu’il pourroit bien être plus favorable que contraire aux Vers.

La poudre de Vers desséchés fait rendre, je l’avoue, beaucoup de Vers quand on en use quelque temps, mais ce sont ceux qu’elle produit. Et comment n’en produiroit-elle pas, n’étant elle-même qu’un amas de semences à Vers ? Ainsi il ne faut pas tout-à-fait s’en rapporter à ce que les Auteurs nous disent à l’avantage de cette poudre, & à ce qu’en dit entr’autres Levinus Lemnius, qui en parle comme du meilleur de tous les remedes.

L’eau où le mercure a trempé est bonne contre les Vers ; mais comme il en faut user plus d’une fois, pour qu’elle fasse son effet, il arrive que les parties subtiles du mercure, qui y sont mêlées, offensent à la longue le genre nerveux, & causent des tremblemens. J’ajoûte à cela que la plûpart des Malades, à qui j’ai fait prendre de cette eau, se sont plains à moi qu’elle leur laissoit des pesanteurs d’estomac, & des gonflemens très-incommodes.

Le mercure préparé que l’on prend en substance, s’appelle Aquila alba, ou mercure doux ; on en donne six, sept, huit, & jusqu’à vingt & trente grains, selon les âges & les tempéramens, dans quelque conserve. Ce remede pris seul, peut causer le flux de bouche, étant souvent réitéré. Ainsi il est bon de le mêler avec quelque purgatif, autrement on doit l’éviter, ou du moins n’en pas faire un usage familier, s’il n’y a quelque Soupçon de Vers vénériens ; car alors le mercure doux est à conseiller.

Le Semen-contra est contraire aux Vers ; mais il est en même temps contraire aux Malades ; car il échauffe considérablement, & peut causer des fiévres violentes. Quelques personnes disent que si l’on met de cette graine dans du pain chaud, elle y produit une fort grande quantité de Vers ; ce pourroit bien être une fable. Je ne décide rien néanmoins là-dessus.

Pour ce qui est du Tabac, je ne prétends pas nier qu’il ne puisse être bon contre les Vers ; mais s’il a quelque vertu contre cette maladie, c’est par un endroit, qui le rend en même temps très-dangereux ; car il contient en lui-même un sel caustique si mordant, que ce sel consume même les chairs les plus dures qui s’amassent dans les ulcères : en sorte que se mêlant avec la salive qui coule dans l’estomac, laquelle se mêle elle-même avec les alimens, il en passe une partie dans les intestins avec le chyle, & une autre se distribue avec le sang à tout le corps, d’où il arrive que quelque part que soient les Vers, il est difficile qu’ils échappent à l’action de ce sel, qui est porté par tout. Mais ce même sel, qui rend le tabac bon contre les Vers, le rend en même temps pernicieux au corps ; car il picote si violemment les parties tendres & délicates, où il s’attache, qu’il les relâche & en dérange toute la tissure ; il excite ausi à la longue dans les nerfs, des mouvemens convulsifs, qui approchent fort de ceux de l’épilepsie ; ainsi que le remarque M. Fagon dans sa sçavante These sur le Tabac ; d’où je conclus que les maux que produit le tabac, quand on en use souvent, étant beaucoup plus grands que les avantages qu’on en peut retirer contre les Vers, on n’en doit point conseiller le fréquent usage dans cette maladie. J’ajoute à cela avec le célébre Médecin que je viens de citer, qu’il y a dans le tabac un souphre narcotique encore plus dangereux que son sel. Ce souphre est de la nature de celui de l’opium, qui se dissout également dans l’huile, dans l’esprit, dans les sels & dans l’eau ; ce qui n’arrive pas aux autres souphres. Le souphre du tabac étant donc de ce caractere, n’est pas plûtôt entré dans le corps, qu’il s’y dissout par le moyen de la lymphe ou de l’esprit qu’il y rencontre ; & alors débarrassé des sels qui le lioient, ses parties branchues s’engagent les unes dans les autres, & causent des obstructions & des engourdissemens, qui ralentissent le cours des esprits animaux. Ainsi, selon la diverse disposition des corps, l’une de ces deux choses ne manque presque jamais d’arriver ; ou les sels piquans du tabac déchirent les parties, & en rompent la tissure, ce qui ne peut que hâter la ruine du corps ; ou les souphres narcotiques, dont il est composé, ralentissent le mouvement du sang, & par ce repos causent des apoplexies, & souvent, comme le remarque le même M. Fagon, des morts soudaines ou prématurées. Ce ne sont point ici des conjectures fondées sur des idées de cabinet, ce sont des faits certains ; en voici un entr’autres qui mérite d’être remarqué.

En 1696. dans la rue S. Denis au Sépulchre, je traitois un Malade qui tomboit souvent d’apoplexie ; après l’avoir traité quelque temps, sans qu’il reçût tout le soulagement que je m’étois promis, j’appellai en consultation M. de Saint-Yon, Docteur de la Faculté de Médecine de Paris, lequel ne trouva pas à propos de rien changer dans les remedes que j’avois prescrits, ni dans la méthode que je suivois. Je continuai donc, mais le mal s’opiniâtrant toûjours, comme le Malade prenoit beaucoup de tabac, je craignis que ce souphre narcotique n’agît trop sur lui, ou que ce sel à force de picoter les parties du cerveau, ne les tînt trop relâchées & qu’ainsi, ou ce sel ou ce souphre, ne fût une des principales causes de la maladie. Je conseillai donc au Malade de se desaccoûtumer peu à peu du tabac, & de s’en abstenir ensuite absolument ; il suivit mon avis, & il n’eut pas été un mois sans en prendre, qu’il se porta mieux, ses attaques furent moins fréquentes & moins longues, & au bout de six mois il fut guéri.

Comme la These que M. Fagon a donnée sur le tabac, fait voir au long tous les accidens que peut causer le fréquent usage de cette plante, j’ai cru que les Lecteurs seroient bien aises de trouver cette These dans ce Livre : Je l’ai traduite en François à la fin de ce Volume.

Bontekoé est du nombre de ceux qui recommandent le tabac contre les Vers ; il le regarde même comme un des plus surs moyens de prolonger la vie. Cet Auteur a toûjours des sentimens qui lui sont particuliers ; il outre les choses, jusqu’à dire que comme on doit continuellement respirer l’air, on doit aussi recevoir sans cesse la fumée du tabac, qui ne nous est pas moins utile, dit-il, que la respiration. Il ajoute que les femmes doivent fumer aussi, & que d’ailleurs c’est un parfum si agréable, que ceux qui jugent des choses sans préjugé, le préfèrent à tous les autres. Ce discours est trop outré pour mériter qu’on le réfute, & il est assez digne d’un homme, qui ne fait pas difficulté d’avancer dans un autre endroit de son Ouvrage, que la tempérance n’est pas une chose si nécessaire à la santé, & que quand on a mangé avec excès, comme la faim tarde davantage à venir, & qu’ainsi l’on prend moins d’aliment dans le repas suivant, il arrive qu’on n’en a pas trop pris pour tout un jour ; après quoi il ajoûte, qu’à bien juger des choses, l’intempérance n’est point nuisible à la santé[2].

Quant à l’eau-de-vie, comme elle est plus capable d’épaissir les humeurs, que de les faire circuler, elle ne sçauroit être bonne contre les Vers : le principe est certain. Mais on doutera peut-être que cette eau soit telle que nous dirons, c’est-à-dire, qu’elle épaississe les sucs de notre corps, au lieu de les dissoudre, & c’est ce qu’il est facile de prouver. Il est si peu vrai que l’eau-de-vie subtilise les humeurs, que si l’on en seringue seulement deux onces dans la veine jugulaire d’un Chien, on lui trouvera un moment après, les poumons remplis de grumeaux de sang coagulé. L’eau-de-vie épaissit la glaire d’œuf : si l’on en tient quelques gouttes dans la bouche, elle coagule la salive, & la fait devenir comme en cole. Il y a dans l’eau-de-vie un acide dominant, qui fait même qu’elle arrête le sang des plaies : c’est donc une erreur de croire qu’elle subtilise les sucs de notre corps.

Au regard du sel, c’est le sentiment commun qu’il est bon contre les Vers ; mais on se trompe. Les Poissons de mer sont attaqués de Vers comme ceux d’eau douce. Le fromage le plus salé n’en est pas exempt, témoin le plus fort gruyère, & le Rochefort. Ainsi ceux-là se trompent, qui pour se guérir, ou se préserver des Vers, mangent toutes leurs viandes extrêmement salées. Il seroit même facile de montrer que l’usage excessif du sel produit des désordres dans le corps, qui peuvent être très-favorables à la génération des Vers, mais cela nous écarteroit.

Il y a un autre remede dont j’ai vu quelques personnes se servir, si toutefois on peut l’appeller un remede, c’est de boire de l’eau, dans laquelle ayent trempé des écorces vertes de noix : ce que je puis assurer de cette eau, c’est qu’elle n’a d’autre effet que de beaucoup chauffer, & qu’elle ne chasse du corps aucun Ver. La raison pourquoi on a cru qu’elle pouvoit tuer les Vers du corps, ou les chasser, c’est que si l’on en jette dans un Jardin, on voit aussi-tôt tous les Vers de l’endroit où l’on en a jetté, sortir en foule[3], ainsi que le rapporte Charles Etienne dans son Agriculture. Erasme dans son Colloque sur la Chasse, dit la même chose[4] ; mais il se peut bien faire que ces Vers sortent ainsi, plutôt attirés que chassés par cette eau, & qu’ils viennent sur terre, comme on les y voit venir lorsqu’il commence à pleuvoir, & comme on voit les Poissons sauter au-dessus de l’eau quand la fraîcheur de la nuit s’avance. On peut opposer que cette eau étant fort amere, il est à croire que lorsqu’elle fait sortir de terre les Vers, c’est plûtôt parce que les Vers la fuyent, que parce qu’ils la recherchent. Je réponds à cela que toutes les choses ameres ne sont pas contraires aux Vers, & encore moins à toutes sortes de Vers, témoin l’absynthe, dont la tige & les feuilles, toutes couvertes de petits Vers, ainsi qu’on s’en peut convaincre par le microscope.

M. Baglivi rapporte quelques expériences qu’il a faites sur les Vers, lesquelles, selon lui, peuvent beaucoup servir à nous faire connoître l’inutilité ou le peu de force de certains remedes.

En 1694. à Rome, il prit des Vers vivans sortis du corps d’un Malade, il en mit quelques-uns dans de l’esprit de vin, où ils vécurent cinq heures entières ; il en mit d’autres dans du vin, d’autres dans une dissolution d’aloës, d’extrait de chamædrys, & de tabac, & ils y vécurent neuf heures ; il en mit d’autres le soir dans de l’huile d’amandes douces, & il les trouva en vie le lendemain matin, mais languissans ; d’autres dans du jus de limon, & le jour suivant ils étoient encore fort vigoureux ; d’autres dans un vaisseau à moitié plein de mercure, & il les trouva vivans le lendemain, qui tâchoient de gagner le haut du vase[5].

M. Rédy rapporte aussi plusieurs expériences de cette nature, par lesquelles il prétend prouver que la plûpart des remedes qu’on employe contre les Vers, doivent être évités, ou comme dangereux ou comme inutiles. Le sentiment commun est que l’aloës, la coralline, la thériaque, le mithridate, l’orviétan, & plusieurs autres médicamens desagréables, sont excellens contre les Vers : que le sucre au contraire, le miel, les fruits sont pernicieux dans cette maladie ; mais M. Rédy soûtient (nous verrons si c’est avec raison,) qu’on se trompe en cela, & qu’il n’y a rien que les Vers fuyent davantage, que le sucre, le miel & les fruits. Pour le prouver, il rapporte diverses expériences qu’il a faites sur les Vers de terre, ne doutant point que ce qui est contraire à ceux-ci, ne soit également contraire à ceux du corps. Voici quelques-unes de ces expériences[6].


Première Expérience.

Il mêla de la terre avec de la thériaque, & la mit dans un vaisseau de verre, puis il y jetta quatre Vers de terre, qui n’y furent pas plutôt, qu’ils se cachèrent dans la terre. M. Rédy vingt-quatre heures après, ajouta de la thériaque, les Vers demeurerent toûjours tranquilles ; il augmenta peu à peu la dose pendant quatre jours, mais cela ne servit de rien, & les Vers n’en furent pas moins vigoureux. Il fit la même expérience avec du mithridate & de l’orviétan ; elle ne réussit pas mieux. Après cela, dit M. Rédy, dans quelle erreur n’est-on pas de battre les enfans pour leur faire prendre de la thériaque ou du mithridate contre les Vers ? Il avoue néanmoins que si on met des Vers dans de la thériaque mêlée avec de l’eau, ils y mourront ; mais il prétend que ce n’est qu’à cause que le miel qui entre dans la thériaque, venant à se détremper, touche plus immédiatement le Ver ; & il avertit qu’il vaudroit bien mieux donner du miel tout pur aux enfans, que de leur faire avaler une aussi grande quantité de thériaque qu’il en faudroit, pour que le miel, qui entre dans cette composition, pût produire dans le corps des Malades le même effet qu’il produit dehors.


Seconde Expérience.

Il délaya de bon miel d’Espagne dans un peu d’eau, & il y jetta quatre Vers qui y moururent en moins d’un quart d’heure ; il réitéra la même expérience sur plusieurs autres, qui moururent presque tous en aussi peu de temps. Après cela, dit-il, comment ose-t’on soûtenir que les choses douces nourrissent les Vers & pourquoi ne pas donner de l’eau miellée aux enfans qui ont des Vers, plutôt que de leur faire avaler tant de breuvages amers qui les révoltent ?


Troisiéme Expérience.

Il mit des Vers de diverses grosseurs, dans de l’eau sucrée : les plus petits y moururent en une heure, & les autres en deux. Mais ce qui fait bien voir, dit-il, combien le sucre est ennemi des Vers, c’est que si vous jettez sur un Ver, du sucre en poudre, le Ver meurt presque aussi-tôt. M. Rédy remarque ici que les sangsues craignent aussi le sucre, que si on les met dans de l’eau sucrée, elles y meurent avant vingt-quatre heures


Quatriéme Expérience.

Il jetta quatre Vers dans une dissolution d’aloës, & les y laissa vingt-quatre heures, après quoi il les retira tout vivans, & les mit dans de la terre où il avoit mêlé de l’aloës, ils y vécurent plusieurs jours.


Cinquiéme Expérience.

Mâchez quelques morceaux de pommes, de poires, d’abricots, puis mêlez quelques Vers dans ce que vous aurez mâché, ils y mourront en peu d’heures.

Comme ces expériences ont été faites sur des Vers de terre, la conséquence qu’en tire M. Rédy pour les Vers du corps, pourroit bien n’être pas assez juste ; il l’avoue lui-même : mais il dit sur cela, que comme on trouve plus aisément des Vers de terre, que des Vers du corps, il lui a été plus facile de faire sur ceux-là, ses expériences. Il en rapporte néanmoins quelques-unes, qu’il a faites sur des Vers du corps ; & comme elles sont en cela même de toute une autre force que les autres, nous rapporterons[7] les principales.

1o. Des Vers du corps mis dans de l’eau froide, y ont vécu les uns soixante & les autres soixante & deux heures.

2o. Dans de l’eau où l’on avoit jetté une grande quantité de terre sigillée, ils ont vécu autant ; la terre sigillée cependant passe pour être un bon remede contre les Vers.

3o. Dans de l’eau de fleur d’orange, & dans de l’eau-rose, ils sont morts en dix heures.

4o. Dans de l’eau sucrée, épaissie en consistance de julep, ils ne vivent pas plus de trois ou quatre heures.

5o. Si on les met dans du vin, ils y vivent quelquefois près de deux jours, au lieu que les Vers de terre y meurent presque d’abord.

6o. Dans de l’eau où l’on avoit broyé de la coralline, ils ont vécu plus de soixante heures, & dans une infusion d’aloës, plus de trente.

Voilà les expériences les plus considérables que M. Rédy ait faites pour découvrir ce qui peut être contraire aux Vers[8] ; mais ces expériences de M. Rédy & celles de M. Baglivi ne sont point aussi décisives qu’ils l’ont cru, pour la conclusion qu’ils en tirent. Car il se peut bien faire que certaines choses dans lesquelles on aura jetté des Vers sans qu’ils y meurent, ou qu’ils en soient contrariés, tuent ou contrarient néanmoins les Vers lorsqu’elles seront entrées dans le corps, parce qu’alors étant mêlées avec les sucs de l’estomac ou des intestins, elles peuvent par le moyen de ces sucs qu’elles rencontrent, acquérir une qualité contraire aux Vers. Le vin mêlé avec du lait, ou avec du bouillon, est à plusieurs de ceux qui aiment l’un & l’autre séparément, un breuvage insupportable. L’eau de pourpier tout de même, & plusieurs autres dans lesquelles nous voyons vivre si long-temps les Vers que nous y avons jettés, peuvent être contraires à ces Animaux, lorsqu’elles sont mêlées avec les différentes liqueurs qui se rencontrent dans l’estomac & dans les intestins. De plus par le mélange de certains sucs, qui seuls ne seront point contraires aux Vers, il peut se faire des fermentations capables de les chasser ou de les tuer. Jettez de l’huile sur de la chaux, nulle ébullition ; jettez-y de l’eau, il s’excite une fermentation violente. J’ajoûte à cela qu’à l’occasion de certaines choses avalées qui entrent dans les intestins, ces intestins sont capables de plusieurs mouvemens qu’ils n’auroient peut-être pas sans cela. Or de ces mouvemens il peut y en avoir quelques-uns qui détachent les Vers adhérens aux membranes des intestins, & les chassent plus infailliblement que ne fait l’irritation de certains purgatifs, qui des corps même les plus remplis de Vers, ne chassent souvent aucun Ver, & qui ne purgent que les humeurs & les excremens.

De plus, les dissolvans de l’estomac en agissant sur les médicament que nous avalons, en tirent des substances qui souvent ont une qualité toute autre que celle des médicamens d’où ils les tirent. Si l’on met, par exemple, dans une dissolution d’aloës, des Vers de terre, ils y vivent longtemps, mais si on les jette dans un verre d’eau, où l’on mette seulement une goute d’huile d’aloës, on les voit sur le champ faire des contorsions incroyables, se battre les flancs avec les deux extrémités de leurs corps, puis tomber morts tout à coup au fond du verre ; l’expérience est constante, je l’ai faite plusieurs fois. Cela posé, il n’est pas étonnant qu’une dose d’aloës, qui étant dissoute dans un peu d’eau, ne sera pas suffisante pour tuer, ni peut-être même, pour incommoder des Vers qu’on y jettera, puisse néanmoins étant avalée, tuer ou chasser les Vers qui seront dans le corps ; il n’y a pour le comprendre, qu’à supposer une chose très-vrai-semblable, qui est que cette huile, ou autre substance équivalente, vienne à se séparer de l’aloës, par l’opération des dissolvans de l’estomac, laquelle surpasse en vertu toutes les opérations de Chymie.

Quant au miel & à l’eau sucrée, où les Vers meurent en peu de temps, il y a tout lieu de croire que ces Insectes n’y périssent que parce qu’ils s’en enyvrent. Or quand on avale du miel, ou autre chose semblable dont les Vers s’accommodent, on n’en avale pas ordinairement assez, pour que ces Vers puissent s’en enyvrer & y être submergés : ils s’en nourrissent seulement. On dira peut-être qu’il n’y a qu’à avaler tant de miel, que les Vers s’en enyvrent & s’y noyent. L’expédient seroit bon, s’il ne s’y agissoit simplement que de tuer ou de chasser les Vers ; mais il est aisé de voir qu’on ne pourroit, sans nuire à sa santé, avaler la quantité de miel qui seroit nécessaire pour que les Vers s’y noyaient dans notre corps. Voilà ce que j’avois à remarquer sur les remedes qu’il est à propos d’éviter ; passons à ceux qu’il est à propos de faire.


  1. Perdulc. particul. Thérap. Lib. III. cap. 21.
  2. Bontechoé, Part. 3 Chap. 4.
  3. Carol. Steph. Agricult. Lib. 3. Cap. 24.
  4. Erasm. Colloq. in venat.
  5. Georg. Bagliv. de praxi medicâ ad veram observ. ration. revocand. Cap. 9. Art. de Lumbric. pueror.
  6. Francisci Redy, de Animalculis quæ in corporibus Animalium vivorum reperiuntur, Observationes.
  7. Nous avons déja rapporté tout cela dans le dix-septiéme Journal de 1709. mais nous y répondrons ici.
  8. Francisci Redy, de Animalculis quæ in corporibus Animalium vivorum reperiuntur, Observationes.