De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 04/Article 2

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. 299-342).



ARTICLE SECOND.

Des effets des Vers qui sont dans les intestins.



LES Vers des Intestins sont de trois sortes, ainsi que nous l’avons remarqué dans le Chapitre III. sçavoir, les ronds & longs, appellés Strongles ; les ronds courts, appellés Ascarides ; & les plats, appelles Tænia par les Auteurs, & que j’appelle Solitaires,

Nous parlerons des effets des uns & des autres, & nous commencerons par les Vers longs & ronds, ensuite nous viendrons aux Ascarides & aux Tænia.

Les maux que causent les Vers longs & ronds, sont des nausées, des vomissemens, une haleine aigre, des tranchées, des coliques, des diarrhées, des tenesmes ou épreintes, des tensions de ventre, des défaillances, des hoquets, des dégoûts, & quelquefois au contraire, des faims dévorantes, (soit de la nature de celle qui s’appelle Pica, soit de la nature de celle qui se nomme Malacia, ou de celle qui est appellée Bulimia,) des fièvres erratiques, des convulsions, des épilepsies, des syncopes, des étourdissemens, des chancellemens étant de bout, & quelquefois des pertes de parole : Quant à ce dernier article, je me souviens de ce que rapporte Alexandre Benoît, sçavant Médecin, lequel parlant des causes qui peuvent rendre muet, dit que cette maladie est quelquefois produite par des Vers qui sont dans les Intestins : il cite là-dessus l’exemple une petite Fille qui fut muette huit jours, & qui guérit après avoir rendu quarante Vers par bas. Forestus[1] cite un exemple semblable d’un Enfant de douze ans, devenu furieux dans une fièvre maligne, lequel fut muet deux semaines entieres, & recouvra la parole & la raison après avoir rendu par bas un nombre extraordinaire de vers, ensuite d’un médicament qui lui fut donné à ce sujet. M. Paulini dans une Dissertation curieuse[2] sur les Vers, raconte l’histoire d’une Fille, devenue tout d’un coup aveugle & muette, & ensuite guérie, sans avoir pris autre chose que les remedes contre les Vers.

Mais sans recourir ici à des exemples étrangers, en voici un dont je suis témoin. Le 22. de Décembre de l’année 1700. M. Lobel, Marchand Perruquier, demeurant alors au Carrefour des Barnabites à Paris, me pria d’aller voir sa Fille, qui étoit âgée de seize ans, laquelle depuis quatre jours ne pouvoit articuler aucune parole, & qui avec de violentes convulsions qui l’agitoient depuis un mois, avoit un rire involontaire, accompagné de vives douleurs. J’ai déja parlé de cette Malade, pag. 190. mais en passant : il est important de rappeller ici le fait. Quand j’eus considéré la Malade, je lui fis prendre de l’eau vermifuge de fougère, au moyen de quoi elle rendit un nombre considerable de Vers, recouvra la parole, fut délivrée de ses convulsions ; & en peu de jours rétablie dans une santé entiere. Les Vers qu’elle jetta étoient ronds & longs, j’en mis un à part, qui me parut un peu différent des autres, à cause d’une espéce de gueule que j’y apperçus. Je l’ai conservé plusieurs années, & je l’ai laissé perdre ensuite par mégarde ; mais en 1714. que je l’avois encore, j’ai eu soin de le faire graver tel qu’on le voit à la page 190. où il est représenté au naturel, nous y renvoyons.

Quant à la faim que causent les Vers, nous remarquerons qu’il s’est vu des maladies Epidémiques vermineuses qui étoient accompagnées d’une si grande faim, qu’on n’appelloit point autrement ces maladies, que les maladies de la faim. Il y en eut une de cette nature à Sarragosse, dont presque tout le monde mouroit, & contre laquelle on ne trouva point de meilleur remede que le Bol d’Arménie, donné tantôt seul, & tantôt avec de la Thériaque, ce qui faisoit sortir des quantités prodigieuses de Vers, & guérissoit presque tous les malades. (Forest. Lib. XXI. Observ. 28. in Schol.)

Au regard des Convulsions, les Vers des intestins en excitent quelquefois de si horribles, qu’on les prendroit presque pour des effets de possession. Il s’est vu des Enfans travaillés de ces Vers, se renverser en arriere, jusqu’à faire toucher leur crane à leurs talons. Trincavelle[3] assure en avoir vu plusieurs exemples.

Pour ce qui est de l’Epilepsie, la plupart des Enfans qui en sont affligés, ne le sont que par les Vers.

Un autre effet des Vers des intestins, est de piquer quelquefois les intestins, de les percer, de se répandre dans toute la capacité du bas-ventre, & de dévorer les malades, jusqu’à les consumer ; ainsi qu’il arriva à cet Herode Agrippa, dont il est fait mention dans les Actes des Apôtres[4].

Grafftius[5] écrit qu’ayant été appellé pour voir un jeune Homme de quinze ans qui étoit fort malade, & qu’ayant reconnu qu’il avoit des Vers, il lui fit prendre trois matins de suite, d’une poudre qu’il composa lui-même, laquelle chassa par les selles, plus de cent Vers. Le ventre, nonobstant cela, ne laissant pas de demeurer dur & tendu vers le nombril, il y fit appliquer un cataplasme émollient, & vingt-quatre heures après, commencerent à sortir par le nombril plusieurs Vers assez longs, ce qui dura plusieurs jours. Cependant le ventre persistant toujours à être tendu, Grafftius fit continuer le même cataplasme, & comme c’étoit le temps des fraises, & que ce jeune Homme en mangeoit beaucoup, il arrivoit quelquefois qu’en levant le cataplasme, on y trouvoit des grains de fraises attachés ; ce qui ne permit pas de douter que les Vers n’eussent percé les intestins & les parties contenantes. Le Malade mourut peu de jours après.

On trouve dans les Auteurs plusieurs exemples semblables ; comme dans Hollier[6], dans Nicolas Florentin[7], dans Forestus[8], & dans Trincavelle[9].

Les Ascarides causent des Démangeaisons dans le fondement, & souvent par l’irritation qu’ils font à l’intestin, des défaillances, des syncopes, & très-souvent des tenesmes ou épreintes.

Les effets du Tænia, ou Solitaire, sont presque les mêmes que ceux des Vers ronds & longs, quelquefois même ils sont plus violens, comme le remarque Arnauld de Villeneuve[10], & il y en a trois que ce Ver produit plus ordinairement ; sçavoir, le syncope, la perte de parole, & la difficulté de se rétablir, quand on est tombé dans quelque maladie, par quelque cause que ce soit.

Pour la faim, on peut dire que si les Vers affament quelquefois, le Solitaire est celui de tous qui affame le plus. Je remarquerai là-dessus que le Malade qui a rendu celui qui a donné occasion à ce Livre, & qui est représenté dans la planche IV. de la Préface, étoit presque toujours tourmenté d’une faim dévorante, & cela depuis son enfance, ainsi que je l’ai appris de lui-même ; ce qui vient de ce que ce Ver consume une partie du chyle & corrompt l’autre ; car alors le corps est frustré de sa nourriture.

Cette régle cependant n’est pas si générale, qu’elle n’ait des exceptions, & nous sommes témoins qu’elle en a plusieurs.

Pour ce qui est de la difficulté de se rétablir lorsque par quelque cause que ce puisse être, l’on vient à tomber malade, c’est l’effet ordinaire du Ver dont il s’agit. Comme la chaleur naturelle s’affoiblit dans les maladies, on fait alors moins de bon chyle, ce peu de chyle qui devroit servir au soutien du corps, est presque tout dévoré par ce Ver ; d’où s’ensuit que l’on doit tomber dans un épuisement & un abbatement si considérable, qu’il est difficile de se rétablir parfaitement. C’est ce qui arrive à la plûpart de ceux qui ayant ce Ver, tombent malades. Si celui dans le corps duquel loge cet Insecte, vient à tomber malade, il ne sçauroit, dit Hippocrate, se rétablir qu’à peine[11], & la raison de cette difficulté[12], poursuit-il, c’est que ce Ver consume une partie de la nourriture travaillée dans l’estomac.

C’est quelquefois de-là que viennent ces langueurs qui restent après certaines maladies, & contre lesquelles tous les remèdes ordinaires sont inutiles, parce qu’on ne pense pas à cette cause.

Le même Hippocrate dit que ce Ver ne fait jamais beaucoup de mal[13] ; mais il y a apparence que cet Auteur n’a parlé de la sorte que par rapport au grand mal qu’il dit que ce Ver ne cause pas, qui est la mort. On peut voir là-dessus son IVe. Livre des Maladies. D’ailleurs il appelle cet Insecte du nom de θήριον, qui signifie particulièrement dans le langage des Médecins, une bête dangereuse de sa nature.

Ceux qui ont le Solitaire, supportent avec peine la fatigue ; le moindre exercice les abbat, & leur corps devient de plus en plus débile.

Hippocrate semble dire le contraire selon la Traduction de Vander Linden, qui rend ces mots grecs que nous venons de rapporter au bas de la page 308. par ceux-ci : Qui hoc animalculum habet, toto quidem tempore valdè debilis fieri non poterit : c’est-à-dire, Celui qui a cet Insecte, ne sçauroit pendant tout le temps qu’il l’a, devenir fort débile. Mais cette Traduction n’est pas juste ; le grec porte : Il n’arrive point de mal trop considérable à celui qui a ce Ver ; ce qui est bien différent.

Le Solitaire produit dans les femmes, des effets plus fâcheux que dans les hommes. Il leur cause des coliques violentes, de longs délires, des syncopes fréquens, & avec cela des suppressions de regles, des tumeurs de ventre, des dégoûts, & des appétits bisarres, que l’on prendroit aisément pour des signes de grossesse. On y a été trompé quelquefois, & Spigelius[14] en rapporte un exemple digne de remarque : Une Demoiselle de quinze ans, dit-il, avoit tous les dégoûts & tous les appétits ordinaires aux femmes grosses ; avec cela le ventre fort élevé, & une suppression entiere de regles ; ses parens allarmés la firent examiner par les Médecins & par les Sages-femmes, qui assurerent tous qu’elle étoit enceinte ; ce qui fut cause qu’on ne lui fit aucun remede. Cette fille ainsi dépourvue de secours, tomba dans un desséchement universel de tout le corps, & mourut peu de temps après. On l’ouvrit & au lieu d’un enfant qu’on s’attendoit de trouver dans la matrice, on trouva dans le ventre un grand amas d’eaux & un Ver plat qui occupoit toute la longueur des intestins.

Nous avons observé que le Pleurétique qui a rendu le Ver Solitaire représenté page iv. de la Préface, se trouva guéri presque aussi-tôt après l’avoir rendu. Il ne faut point aller plus avant sans examiner comment s’est pu faire cette guérison.

Nous remarquerons premièrement, qu’il n’est pas étonnant de voir des pleurésies vermineuses ; on en voit souvent, & plusieurs Auteurs en font mention. Gabucinus entre autres, en rapporte une, dont la guérison a beaucoup de rapport avec celle-ci[15]. Il raconte qu’une fille ayant tous les symptômes ordinaires dans la pleurésie ; sçavoir, une douleur piquante au côté, une toux seche, un pouls dur & récurrent, une courte haleine, & une fiévre continue ; il remarqua que le corps de cette fille étoit tantôt froid, tantôt chaud, & que lorsqu’il y avoit de la chaleur, une des joues rougissoit, & que l’autre demeuroit pâle. Que sur cela, il donna à la Malade un médicament contre les Vers, lequel en fit sortir une grande quantité, & que la pleurésie cessa.

C’est ce que nous avons vu arriver dans le Pleurétique dont nous venons de parler, c’est-à-dire, dans le Malade qui a rendu le Ver qu’on voit gravé à la page iv. de la Préface de ce Livre. Il se trouva guéri de sa pleurésie presque aussitôt après la sortie du Ver. Il ne faut pas croire cependant que lorsque ce Ver se trouve dans une pleurésie, & qu’il vient à sortir, la maladie guérisse toujours pour cela. On voit un fait contraire à cette pensée dans l’Histoire de l’Académie des Sciences, année 1709. pag. 31. où il est parlé d’un Malade mort d’une pleurésie, lequel avant que de mourir jetta un Ver plat & fort long.

Quoi qu’il en soit, voici comment le rétablissement du Malade dont nous avons rapporté l’histoire pag. iv. & suiv. de la Préface de ce Livre, se peut expliquer.

On sçait que la pleurésie est une maladie entretenue par le séjour d’une humeur arrêtée dans la plevre. Or je dis que le séjour de cette humeur étoit entretenu par celui du Ver, & voici comment : Rien n’est plus capable de résoudre une humeur arrêtée que l’abondance & la vivacité des esprits animaux. Ces esprits se produisent par le moyen de la distribution d’un bon sang à tout le corps. Le bon sang se fait du bon chyle ; or le bon chyle est dévoré par ce Ver qui en consume la partie la plus fine & la plus délicate, comme il est facile de le juger par la finesse de son col, qui est presque aussi mince que du papier. Il ne restoit donc dans le corps du Malade qu’un chyle épais & grossier, peu propre à se distribuer.

Ce chyle faisoit un sang épais, & ce sang épais des esprits qui n’étoient pas assez subtils pour résoudre les parties de sang arrêtées dans la plevre, & pour leur donner la subtilité nécessaire, afin d’être reprises par les vaisseaux, & de rentrer dans le commerce de la circulation. Lors donc que ce Ver est sorti, le bon chyle, au lieu d’être employé à la nourriture de l’Insecte, l’a été à celle du Malade. Il s’en est fait un sang plus délié, des esprits animaux plus vifs & plus abondans ; l’humeur amassée dans la plevre a été par conséquent pénétrée par des parties subtiles & insinuantes, qui l’ont rendue propre à être reprise par les vaisseaux, ensorte que cette humeur étant dissipée, la guérison a du s’en suivre.

J’ajoûte à cela que c’est une erreur de croire que les Vers ne puissent pas causer la pleurésie. Ils la causent quelquefois, comme le remarque Quercetan ; pour le comprendre, il n’y a qu’à faire réflexion sur ce que peut produire cette matiere corrompue qui accompagne toujours les Vers ; car on n’a pas de peine à concevoir qu’elle peut aisément affecter la plevre & l’enflammer, sans qu’il soit nécessaire de recourir pour cela à d’autres causes. Quercetan[16] rapporte qu’ayant fait ouvrir plusieurs vieillards, qui étoient morts de pleurésies, il leur trouva les intestins remplis de gros Vers, qu’il regarda comme la cause véritable de leurs pleurésies.

J’ai dit plus haut, que les Vers ronds & longs piquoient souvent les intestins. Je remarquerai ici que le Tænia ou Solitaire, ne pique jamais, parce qu’il n’a pas la tête faite d’une maniere propre pour cela, ayant cette partie fort molle, ainsi que l’observent Spigelius[17] Sennert[18], & que je puis l’assurer moi-même comme témoin.

On peut connoître par tout ce que nous avons dit jusqu’ici, que les maladies que causent les Vers, ne sont point indifférentes ; mais voici des Observations qui le pourront encore confirmer.


PREMIERE OBSERVATION.

Feu M. Daval le père, Docteur-Régent de la Faculté de Médecine de Paris, m’a dit qu’ayant un jour laissé pour mort un Malade qu’il traitoit, il s’avisa néanmoins d’y passer le lendemain ; qu’ayant trouvé alors le Malade dans la même extrémité, sans connoissance, sans pouls & sans chaleur, il soupçonna sur quelques signes dont il s’apperçut, que tout cela pouvoit être causé par des Vers ; qu’aussi-tôt sans différer, il fit prendre au Malade plusieurs choses contre les Vers, lesquelles chasserent de son corps un animal jaune, ayant deux cornes pardevant ; que ce mal ne diminuant point pour cela, il fit réitérer les mêmes remèdes, qui chasserent encore un Ver semblable au premier ; après quoi, le Malade revint à lui, & recouvra peu à peu la santé.


II. OBSERVATION.

M. Hartsoecker m’a mandé d’Amsterdam, qu’ayant un de ses enfans fort malade, & qui paroissoit hors d’espérance de guérison ; il lui donna quelques grains de tartre émétique, qui ce jour-là ne fit en apparence aucun effet ; mais que le lendemain l’enfant rendit trois gros Vers, & fut guéri aussi-tôt.


III. OBSERVATION.

Une Dame de Dunkerque venoit d’accoucher heureusement pour la quatrième fois. Comme elle avoit de la fiévre, de fréquentes nausées, une difficulté de respirer, qui alloit jusqu’à une espéce d’étranglement, de grandes douleurs dans le bas-ventre, sans néanmoins aucune tension ; son Médecin qui étoit M. Gandolphe Médecin de la Marine à Dunkerque, crut qu’il y avoit quelque chose d’extraordinaire dans le bas-ventre, & ordonna de la manne avec un peu de tartre émétique. La Malade qui dans sa troisiéme grossesse, avoit pris pour se guérir d’une fiévre intermittente, des tablettes vomitives, qui chasserent beaucoup d’humeurs sans aucun Ver, rendit par le moyen de cette manne mêlée d’émétique, un Tænia de cinquante pouces de long[19], non entier, mais avec la tête, à laquelle paroissoient deux trous & une petite éminence ronde au-dessus. La Malade qui avoit ce Tænia, avoit rendu plusieurs fois par les selles de ces petits corps blancs, dont nous avons parlé plus haut, lesquels ressemblent à des graines de citrouilles, & qui sont des morceaux rompus de ce Ver.

Ce n’est point un fait si rare, de voir rendre des Tænia, ou Vers Solitaires, à des femmes en couche. Il y a quelques années que M. Contugi Docteur Régent de la Faculté de Médecine de Paris, m’écrivit la Lettre suivante, en m’envoyant un Ver de cette espéce.

« Je vous prie, Monsieur, d’examiner le Ver que je vous envoye. Il sort du ventre d’une femme nouvellement accouchée. Elle l’a rendu par un lavement, qu’après une saignée du pied, je lui ai ordonné pour faire venir les purgations supprimées. Le nœud que vous remarquerez dans ce Ver mérite attention, aussi-bien que sa figure platte & son excessive longueur, avec les différent anneaux dont il est composé. Je vous prie de m’écrire là-dessus votre sentiment. Vous obligerez votre affectionné serviteur & Confrère, Contugi. »


IV. OBSERVATION.

Cette Observation a été communiquée il y a plusieurs années par un Médecin d’Hanover, à Madame la Duchesse de Bouillon, qui aussitôt eut la bonté de m’en faire part. Il s’y agit d’un Animal extraordinaire rendu par la femme d’un Maréchal d’Hanover deux jours avant que de mourir. La figure qui en fut envoyée du pays à Madame la Duchesse de Bouillon, & dont je fis tirer une copie, me parut si singuliere, que je crus devoir suspendre là-dessus mon jugement. M. Paullini, sçavant Médecin de Francfort, a depuis donné la figure de cet Insecte dans une Dissertation particulière sur les Vers, avec la relation de la maladie de cette femme. Il ajoûte que cette relation est écrite par le Médecin même de la Malade, nommé Chrétien-Louis-Kotzebve, ce qui ne confirme pas peu la vérité du fait. Comme la relation que Madame la Duchesse de Bouillon m’a mise entre les mains, s’accorde avec celle qui est dans la Dissertation de M. Paullini, & qu’elle a cet avantage d’être mieux circonstanciée, nous la préférerons ici.

La voici mot à mot : « En 1697. la femme d’un Maréchal d’Hanover s’étoit trouvée fort mal dans une couche. D’abord après son accouchement, il lui sortit aux bras & aux jambes des ampoules fort grosses & fort dures, & elle devint toute percluse. On lui appliqua des vésicatoires qui tirerent une grande quantité d’eaux ; on fit plusieurs autres remedes, & la Malade après avoir gardé le lit pendant dix-sept semaines, guérit enfin, & l’année d’après accoucha heureusement. Elle porta cette nouvelle santé jusqu’à la Pentecôte seulement, qu’étant allée se promener à la campagne, elle but beaucoup de lait, & fut aussi-tôt attaquée d’une violente colique, qui la tourmenta toute la nuit. Le mal devint si pressant, que le lendemain elle ne put se lever : des vomissements qui survinrent, l’empêcherent de prendre aucune nourriture. M. Kotzebve son Médecin, lui fit prendre, avec assez de succès, des pilules composées d’aloës, de scammonée, de trochisques, d’halandal, & de mercure doux ; mais peu de temps ensuite la maladie augmenta, & cette pauvre femme tomba dans une maigreur si étrange, qu’elle devint comme un spectre. Le Médecin s’apperçut de quelques signes de Vers ; il donna aussi-tôt les remedes qu’il crut les plus spécifiques contre ces Animaux, & la Malade jetta par haut & par bas quantité de Vers, sans en ressentir aucun soulagement, ce qui arriva à la saint Jean-Baptiste. Après cela elle se plaignit de grandes douleurs dans les côtes & dans le bas-ventre, & elle disoit qu’il lui sembloit que quelque chose se promenoit dans son corps. Quelquefois on la contraignoit à avaler un peu de potage, mais elle le rendoit dès le moment, & le rendoit de couleur verte & jaune ; ce qu’elle vomissoit, étant gardé, se tournoit en une eau gluante, semblable à celle qu’on voit dans un alembic où l’on distile des Vers de terre. Peu de jours avant que de mourir ayant pris une médecine, elle vomit un morceau de sang caillé, après quoi elle devint si foible, qu’on n’espéra plus de guérison. Une vieille femme qui la gardoit, voyant qu’on ne faisoit plus de remede à sa Malade qui souffroit toûjours, lui appliqua sur le ventre de la fiente de Cheval toute chaude, ce qui la soulagea pendant quatre jours. Mais le mal redoubla si fortement, que la Malade vouloit se faire ouvrir le côté, pour en tirer, disoit-elle, un Animal qu’elle sentoit qui cherchoit à sortir. Peu de jours après, elle s’apperçut que quelque chose lui sortoit par le siége, elle appella aussi-tôt son mari & sa garde, qui virent l’Animal représenté dans cette planche. La Malade mourut deux jours après, d’une mort très-douce. » Nous avons fait graver cette figure sur celle dont Madame la Duchesse de Bouillon nous a fait part, laquelle a été tracée d’abord après que l’Animal fut sorti.

Il y a dans la relation manuscrite que nous avons entre les mains une circonstance qu’il ne faut point oublier, & qui n’est pas marquée dans la Dissertation de M. Paullini ; c’est que la peau de cet Insecte que l’on conserve dans de l’esprit de vin, est lisse & verdâtre comme la peau d’une Anguille, que son corps est sans os, que les pieds même, dont l’un paroît comme une griffe d’oiseau, n’ont point d’os non plus, & que la chair en est très-molasse, aussi-bien que l’espéce de crête qui est sur la tête.


V. OBSERVATION.

En 1701. M. de Rongerolle, Maître Chirurgien de Verneuil, écrivit à la Faculté de Médecine de Paris la Lettre suivante.

Messieurs,

« Vous voulez bien me permettre de vous écrire à l’occasion d’une femme de notre Ville, laquelle a rendu par le siége un Ver d’une figure & longueur extraordinaire, & lequel j’ai été requis de vous adresser. Elle l’a rendu vivant, ayant plusieurs inégalités en forme de têtes, & cheminant sur tous les nœuds cartilagineux de son corps, comme sur ses propres pieds. Il contient en sa longueur une aulne de ce Pays, étant d’une structure fort extraordinaire, quoiqu’il ait beaucoup de rapport à celui que l’on appelle le Platée[20]. Je croi qu’il est à propos par même occasion de vous informer des symptômes qui ont précédé la sortie de cet Animal. La femme qui l’a jetté est âgée environ de quarante ans, étant d’un tempérament pituiteux & phlegmatique ; ressentant depuis long-temps des douleurs d’estomac, accompagnées d’insomnie, en sorte que le neuviéme jour du mois courant, elle fut prise le matin d’une douleur très-grande & subite, laquelle commença par le dedans de la matrice, & se communiqua bientôt après, par tout le bas-ventre, avec des frissons accompagnés de lipotimies fréquentes ; ce qui m’obligea y étant appellé pour la secourir en un tel besoin, de lui faire donner un clystère purgatif lequel réitéré trois heures après, fut suivi de tout le succès qu’on pouvoit espérer ; puisqu’effectivement tous les symptômes cesserent, ne lui restant plus qu’un peu de foiblesse ; ensuite de quoi le deuxième jour suivant elle rendit cet Animal. Je veux croire que vous trouverez bon la hardiesse que je prens en cette occasion, persuadé que je suis qu’il n’y a rien de nouveau pour vous dans la nature, & dont vous n’ayez une parfaite connoissance. Je recevrai avec une entiere soûmission le jugement qu’il vous plaira faire sur ce sujet, étant Juges souverains pour décider de tous les évenemens & prodiges qui arrivent dans la Nature ; pardonnez donc, s’il vous plaît, Messieurs, ma hardiesse & témérité d’oser entreprendre de mettre la main à la plume pour importuner une si célébre Société. C’est peut-être effet de mon ignorance qui m’y engage. Mais je suis si prévenu de toutes vos bontés, que j’espère que vous m’excuserez, puisque je suis & veux être toute ma vie avec un respect profond,

MESSIEURS,
Votre très-humble & très-fidéle serviteur,
De Rongerolle, Me. Chirurgien
à Verneuil au Perche.
A Verneuil au Perche, ce 18. Août 1701. »


La Faculté de Médecine ayant reçu cette Lettre, qui fut lue dans une Assemblée, me chargea de l’examiner, & d’écrire à l’Auteur de la Lettre mon sentiment sur ce sujet : je le fis, & trois mois après je reçus la réponse que voici, laquelle est digne de remarque.

« M. si j’ai été si long-temps sans me donner l’honneur de vous écrire pour vous remercier de toutes vos honnêtetés ; ce n’a été que parce que je croyois que notre Malade prendroit bien plutôt les remèdes contre son Ver plat, qu’elle n’a fait ; car elle ne les a pris que depuis peu, & avec d’instantes prieres & sollicitations de tous ses amis, de sorte que Dimanche dernier elle prit la potion qu’il vous a plu lui ordonner, & la nuit suivante elle rendit en forme de peloton par le siége, un morceau de Ver plat, quoique mort, lequel fut suivi d’un grand nombre de portions pourries, telles qu’elles sont désignées & gravées dans les planches qu’il vous a plu m’envoyer, desquelles je vous remercie. Profitant donc de vos avis, je résolus de laisser un jour d’intervalle, & puis de lui faire prendre une deuxième fois de la potion, ce que je fis mardi dernier avec assez de succès, puisqu’il s’en est suivi une autre espéce de Ver, rond, de la longueur du petit doigt, d’une substance fort solide, accompagné de plusieurs autres portions fort pourries, que la Malade a encore jettées depuis ce temps-là. Mais quant au Ver plat, vous m’avez fait l’honneur de me marquer par votre Lettre que cette Malade avoit encore dans le corps plus de deux aulnes du même Ver plat, & beaucoup plus large que ce que j’avois pris la liberté de vous envoyer, cela s’est trouvé vrai, puisque celui-ci contient trois aulnes, mais il n’est pas plus large que dans la première portion. Je ne puis vous remercier assez, Monsieur, &c. Je suis… »


VI. OBSERVATION.

Le 6. May 1701. un frere que j’avois à Lyon m’écrivit la Lettre qui suit.

« Il y a quelque temps, que je me sentois des frayeurs extraordinaires, qui me prenoient subitement, sur-tout, lorsque je me trouvois seul, ou que j’étois engagé dans quelque Eglise, ou autre lieu. Je ne sçavois que m’imaginer d’une telle foiblesse ; mais un jour sans que j’y pensasse, & sans avoir pris aucun remede, je fis un grand Ver, & depuis ce temps-là je ne suis plus sujet à ces frayeurs, de quoi je remercie Dieu. Mandez-moi, je vous prie, votre sentiment sur ce sujet, &c. »

Cette Lettre fait voir que les Vers causent quelquefois des frayeurs ; mais voici une Observation qui va montrer que les frayeurs peuvent aussi quelquefois à leur tour, donner lieu à la production des Vers, chose qu’il est bon de remarquer, puisque l’occasion s’en présente.

Thomas Cornelius, de la Ville de Consense en Calabre, homme très-docte, rapporte[21] avoir vu une petite fille, qui après un saisissement de peur dont elle pensa mourir sur l’heure, tomba insensiblement en langueur, prit un teint pâle, devint sujette à des douleurs dans la poitrine ; fut ensuite attaquée de fréquens accès d’épilepsie, & mourut après avoir cruellement souffert. Il raconte qu’on ouvrit le corps de cette fille, & qu’après avoir bien cherché, l’on n’y découvrit d’autre cause de sa mort, que des Vers qui lui avoient rongé les vaisseaux du cœur. Cet Auteur remarque que la peur, produit dans les Animaux le même effet. « Un Etourneau, dit-il, que l’on nourrissoit dans une basse-cour, & que des enfans effarouchoient sans cesse en courant après, devint sujet à des convulsions qui le firent tomber du haut mal. J’eus la curiosité d’ouvrir cet Oiseau, & j’y trouvai la base du cœur toute entrelassée de Vers ; cela me porta à essayer si en épouventant souvent des Poules, il se produiroit aussi des Vers dans ces Animaux. Je me mis à en effaroucher plusieurs pendant quelques jours, je les ouvris ensuite, & je leur trouvai à chacune, de grands Vers à la région du cœur. »

Voilà de quoi faire bien des réfléxions.


VII. OBSERVATION.

Le 22. de Février 1712. je fus rappellé avec M. Fontaine Docteur[22] en Médecine de la Faculté de Paris, mon Confrere, chez les Dames de l’Assomption, pour y voir une jeune Pensionnaire malade de convulsions terribles, qui la prenoient de temps en temps. Elle avoit été saignée deux fois du pied, & les saignées n’avoient servi qu’à rendre ses convulsions encore plus fréquentes. Nous trouvâmes des signes considérables de Vers, & nous résolumes M. Fontaine & moi, de donner à la Malade quelques vermifuges, ce qui eut un succès si heureux, qu’elle rendit cinq gros Vers vivans, dont la sortie la délivra de ses convulsions. L’Infirmiere mit ces Vers dans de l’eau sur une fenêtre à l’air, où ils vécurent près d’un mois.


VIII. OBSERVATION.


Lettre qui m’a été communiquée par Monsieur le Procureur Général Joli de Fleury, à qui elle a été écrite d’Alais en 1723. par M. de Rochebouet, alors Vicaire Général du Diocèse d’Alais, & aujourd’hui Curé de S. Germain-le-vieil à Paris, lequel a trouvé bon qu’elle fût insérée ici.

Monsieur,

« J’ai fait dessiner le Ver que j’ai rendu comme j’étois à la campagne, je n’ai pu trouver de l’esprit de vin pour le conserver ; de quoi je suis bien fâché. Je le rapportai à Alais, mais il étoit sec, & bientôt il fut réduit en poussiere. Vous en trouverez ici la figure exacte, à l’exception de la couleur, car il étoit noir comme de l’encre, & luisant. On y a exprimé les plis & les ondulations qu’il avoit sur la peau. J’ai toujours soupçonné que cet Animal étoit la cause de mes incommodités.

» Lorsque je le rendis, il y avoit près de deux ans que j’avois été attaqué de vapeurs violentes : elles me prirent à une maison de campagne à une lieue de cette Ville, où je m’étois retiré avec Monsieur notre Evêque dans le temps qu’on leva notre Blocus du côté du pays prohibé. Elles furent si terribles, que j’avois le menton appuyé sur l’estomac, & que lorsque je voulois faire un effort pour lever la tête, je perdois connoissance ; je ne pouvois me soûtenir, & j’avois de temps en temps, des trémoussemens partout le corps. Je me fis tirer du sang, & alors je me sentis beaucoup dégagé ; je levai la tête, mais elle tomboit en arriére, & j’avois peine à trouver une situation un peu tranquille ; je n’avois point perdu l’appétit, & je n’eus jamais de fièvre. Cette premiere attaque passée, j’en eus ici une seconde, mais moins violente. Je me fis encore saigner, & je fus soulagé. Pendant trois semaines j’eus presque tous les jours, quelque légère attaque, où je voyois tout tourner, où j’avois des trémoussemens quelquefois par tout le corps, quelquefois seulement un tremblement dans les genoux. Ces tremblemens me réveillaient la nuit en sursaut, & toujours dans des songes épouventables. Mais ce qui vous surprendra, c’est que le jour même, éveillé, j’avois peine à éloigner de mon esprit, les images les plus tristes, que la raison vouloit inutilement chasser… Lorsqu’on nous eut rendu tout-à-fait la liberté, & que notre Blocus fut levé, je fus impatient de jouir de la liberté qu’on nous accordoit, je me rendis à trois lieues d’ici dans une Communauté de Prêtres de S. Joseph de Lyon que je connois. J’avois heureusement mené avec moi, un Médecin de mes amis, qui alloit voir sa famille qui demeure dans ce lieu-là.

» Pendant les deux premiers jours que je fus chez eux, j’eus encore quelques légères atteintes de mes vapeurs, telles que celles que j’avois eues avant de partir d’Alais & qui m’avoient pris une fois, disant la Grand’Messe dans notre Cathédrale, & une autre fois en prêchant. Mais le troisième jour au soir, je fus attaqué violemment au sortir du réfectoire, & deux de ces Messieurs me reconduisirent avec peine, à ma chambre, en me tenant sous les bras. J’envoyai quérir mon Médecin qui n’étoit qu’à deux pas ; & il me dit qu’il falloit absolument me purger. Il me fit lui-même une médecine avec sené, rhubarbe, manne, fleurs de pêcher, absynthe, & quelques grains de jalap. Cette médecine que je pris le lendemain matin après toutes les inquiétudes & les agitations de la nuit, me mena quinze ou seize fois, jusqu’à onze heures du matin. Le Médecin vint alors, je me plaignis d’un grand mal de cœur. Comme la médecine avoit déjà bien agi, il me conseilla de prendre de l’eau tiede, & d’essayer de vomir. Je le fis, & comme je n’ai pas grand peine à vomir, je rendis peu de temps après, la même eau tiede, avec des morceaux de truffes que j’avois mangés la veille à dîner, & que je rendis comme je les avois pris, il y avoit vingt-quatre heures[23]. Je repris de l’eau tiede, & rendis encore par le vomissement, des morceaux de truffes. Le Médecin examinant avec le bout de sa canne, triant & comptant tous les morceaux de truffes, se mit à faire un cris, & me dit : Voilà quelque chose qui remue. Il prit le Ver au bout de sa canne : nous le mîmes sur la table. Il vécut peut-être, quatre minutes après que je l’eus rendu. Jamais je n’ai vu Médecin si surpris. Il m’avoua qu’il n’avoit jamais vu pareille chose, ni entendu parler de pareils Vers. Celui-ci étoit noir, ayant des pattes comme une Chenille, un peu velu, une bouche dont l’extrémité étoit feuille morte, & deux yeux aussi feuille morte, faits comme deux petites têtes d’épingles, & sortant de la tête. Je sentis un soulagement que je ne puis vous exprimer, & depuis ce temps-là, je n’ai pas la moindre atteinte de ces vapeurs inquiétantes. On jugea à propos de me faire prendre ici les eaux de Balaruc, excellentes pour l’estomac, & qui m’ont fait du bien. Le Ver n’étoit ni plus gros ni plus long que vous le voyez dans le dessein que j’ai l’honneur de vous envoyer. Je croi que ceux qui attribuent la cause de la peste à des insectes à des Vers qui se trouvent dans les étoffes & dans les alimens, pourroient tirer des consèquences de mon avanture, & dire que c’est un de ces Vers qui a agi sur les alimens, & qui n’a pas trouvé le corps disposé à y faire les ravages qu’il auroit fait dans d’autres… Les corps des Pestiferés qu’on ouvroit, fourmilloient de Vers ; non pas, à la vérité de cette espéce.

» Voilà, Monsieur, comme vous l’avez souhaité, le détail au juste de mes accidens. Je vous en aurois fait part plutôt, si la personne qui a dessiné le Ver, ne m’avoit manqué de parole trois ou quatre fois. Il m’a même fait beaucoup d’ébauches, avant que d’en attraper la véritable ressemblance… J’ai l’honneur d’être avec un profond respect,

MONSIEUR,
Votre, &c. De Rochebouet,
Vicaire Général.
A Alais, ce 15. Février 1723. »

Les symptômes qu’on remarque dans les maladies de Vers, viennent souvent autant de l’humeur vermineuse qui les a fait éclorre, & qui leur sert d’aliment, que des Vers mêmes. Cette humeur vermineuse est quelquefois si corrosive, qu’elle endommage considérablement les intestins ; souvent même venant à se mêler dans le sang, & à être portée avec la masse à toutes les parties, elle peut causer des tremblemens, des convulsions, des fièvres, des toux, des syncopes, & autres accidens, selon qu’elle est plus ou moins piquante, plus ou moins grossiere, ou qu’elle se mêle plus ou moins avec le sang.

On n’examine pas assez s’il y a des Vers dans les Malades, soit Vers des intestins, ou autres ; de-là vient que plusieurs personnes, faute d’avoir pris des remedes ou des préservatifs contre les Vers, tombent quelquefois en langueur, & meurent sans qu’on en sçache la véritable cause. Ces insectes s’engendrent peu à peu dans le corps, & s’y engagent après, de telle sorte, lorsqu’on néglige les remedes qui les pourroient chasser, qu’on n’est souvent plus à temps de les combattre lorsqu’on le voudroit. On en a trouvé de fort longs jusques dans le tronc de la veine-porte : En 1601. Spigelius faisant une Anatomie publique, & préparant le foye du sujet, qui étoit le cadavre d’une femme d’un âge médiocre, morte dans une maigreur extraordinaire, trouva quatre gros Vers ronds longs[24] d’un palme, dans le tronc de la veine-porte, où s’étoit formé une obstruction qui avoit causé la mort à la Malade. Il montra ces Vers à Fabricius Aquapendente, son maître, lequel les fit voir le lendemain dans l’Amphithéâtre à tous les assistans, comme une chose extraordinaire.

Il n’y a pas jusqu’à la Catalepsie, qui ne vienne quelquefois de Vers. Marcel Donat[25] & Schenchius en rapportent[26] des exemples. Ettmuller[27] est de même sentiment.

Qui croiroit qu’une telle[28] maladie pût être causée par des Vers ?

Plusieurs Auteurs attribuent aux Vers la cause des fiévres malignes : Kircher[29] & Hauptman[30] prétendent qu’elles ne viennent presque jamais que de là. Forestus[31] rapporte un grand nombre d’exemples de fiévres malignes & pestilentielles vermineuses, dont il dit avoir été témoin, & dans les Journaux de Thomas Bartholin, il est parlé d’une peste qui régna à Vienne en Autriche, de laquelle les Médecins ne reconnurent d’autre cause que les Vers[32].

Quelques Auteurs vont plus loin, & prétendent que toutes les fiévres malignes, toutes les pestes, sans exception, sont les effets des Vers.

Peut-être ces maladies sont elles la plûpart accompagnées de Vers ; mais, comme le remarque Thomas Bartholin, il ne s’ensuit pas pour cela, qu’elles soient l’effet des Vers[33]. D’autres vont encore plus loin, & veulent que la rage même soit causée par les Vers.

Ces questions au reste, méritent qu’on les examine, & c’est ce que nous allons essayer de faire.


  1. Forest. de Febrib cum Morb. Epidem. publ. grass. Lib. VI.
  2. Christiani Francisci Paulini, disquisitio curiosa, An Morb. naturalis plerumque sit substantia Verminosa.
  3. Trincav. Lib. IX. Cap. 11. de Rat. Curand. part. hom. corp. affect.
  4. Act. Apost. Cap. 22 v. 25.
  5. Grafftius, apud Guillelm. Fabric. sent. 2. Observ. 2.
  6. Holler. Lib. I. cap. 54. de Morb. Int.
  7. Nicol. Florent. Serm. 5. tract. 8. Cap. 54.
  8. Forest. Lib. VII. Observ. 35. in schol.
  9. Trincav. Lib. IX. cap. 11. de Rat. Cur. part. hum. corp. affect. Tob. Cneulinus de Observ. propriis.
  10. Signum solii, est cum patiuntur prædicta symptomata, intensiora & fortiora. Arnold. Villanov. Brevia. Lib. II. Cap. 21.
  11. μόλις ἀναφέρεται. Liv. IV des Maladies.
  12. Hipp. ibid.
  13. δεινόν τι κάρτα οὐκ ἂν γένοιτο. Hipp. ibid.
  14. Spigel. de Lumbrico lato.
  15. Gabuc. de Lumbr. Cap. 13.
  16. Quercet. Rediv.
  17. Spigel. de Lumbr. lat. Cap. 6.
  18. Sennert. Lib. III. p. 2. Sect. 1 Cap. 5.
  19. Hist. de l’Acad. Roy. des Sçiences, année 1709. p. 30.
  20. C’est-à-dire, le Ver plat.
  21. Thom. Cornelii Consentini, progymn. de nuricat. prog. 6.
  22. Père de M. Fontaine, nouveau Docteur de la même Faculté.
  23. Voyez cy-après, au Chap. vi. vers le milieu, ce qui est dit des champignons, avec l’Histoire que je rapporte sur ce sujet.
  24. Spigel de Lumb. lato, notâ quartâ.
  25. Marcel. Donat. Lib. II. Histor. Arab. cap. 2.
  26. Schench. Observ.
  27. Ettmuller de Epileps.
  28. La Catalepsie est une maladie soporeuse où le Malade reste comme une statue, sans sentir, sans voir, & sans entendre ; si on remue ses membres, on les voit garder la même situation où on les a mis.
  29. Kirch. in scrutinio pestis.
  30. Hauptm. de visâ mortis imagin. & Tractat. de Therm. Wolckenst.
  31. Forest. de intest. affectib. Lib. XXI. Observ. 16. in schol.
  32. Thom. Barth. Act. Med. Tom. V. p. 83.
  33. Omnem pestem à Vermibus advocat Kircherus ; credo verò affectum esse putredinis, non causam. Quid plura Vermiculi nos torquent & mortuos consumunt, ut verè Job cap 7. v. 5. Caro mea undique verminosa est. Thom. Barth. Act. Med. Ibid.