De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 11



Chapitre XI.

Des vers Spermatiques.



LEs vers du corps se distinguent en Zoophages & en Spermatiques : les premiers sont ceux qui dévorent l’animal, & contre lesquels nous avons préscrit des remedes. Les seconds se trouvent dans l’humeur Spermatique des animaux, & ne leur portent aucun préjudice ; c’est de ceux-là qu’il nous reste à parler. M. Hartsoékerer, & aprés luy M. Leuvvenhoek, prétendent que ces vers sont à l’homme, & à tous les animaux, ce que les graines sont aux plantes. En cas que cela soit, comme nous l’examinerons dans la suite, le nom de vers ne leur convient qu’improprement. Il semble que j’aurois pu passer sous silence ces sortes de vers, qui n’ont rien de commun avec les autres ; mais comme je me suis proposé de traiter universellement de tous les animaux qui s’engendrent dans le corps, ce ne seroit pas remplir mon dessein que d’omettre ceux-cy.

Dans tous les animaux mâles, on remarque avec le microscope, en cette humeur qui est contenuë dans leurs testicules & dans les autres parties de la generation, un nombre incroyable de vermisseaux, que j’appelle pour ce sujet vers Spermatiques.

1. Ces vermisseaux ne s’y apperçoivent que pendant l’âge propre à la generation : il n’en paroît ni dans la première jeunesse, ni dans la derniere vieillesse.

2. On les trouve languissans, & pour le plus souvent morts dans les Gonorrhées, & dans les maladies veneriennes.

3. Il n’y en a aucun, au moins de vivans, dans les testicüles des impuissans.

4. Il ne s’en trouve point dans les ovaires, & dans les œufs des femelles.

5. Les vers Spermatiques de l’homme ont une tête beaucoup plus grosse que les vers Spermatiques des autres animaux : ce qui s’accorde avec la figure du fœtus humain, qui quand il est petit, ne paroît qu’une grosse tête sur un corps long, qui semble finir par une espèce de queuë.

6. D’abord aprés le mêlange des sexes, la matrice de la femelle est toute pleine de vers Spermatiques, auparavant il n’y en a point. Plusieurs jours aprés on y en découvre encore de vivans, mais passé un certain tems on n’y en void plus.

7. La blancheur de l’humeur spermatique vient de la multitude innombrable des vermisseaux, qui sont dans cette humeur ; car moins il y a de ces vermisseaux, & moins elle paroit blanche.

8. Les vers Zoophages s’engendrent dans la plûpart des fiévres violentes, & les vers Spermatiques au contraire meurent presque tous alors.

9. Ceux qui font de grands excez contre la continence, n’ont ordinairement point de vers Spermatiques.

Ces faits meurement considerez, ne peuvent gueres laisser l’esprit en balance sur la maniere, dont se fait la generation. Ils sont appuyez sur l’experience, & ceux qui voudront s’en assûrer, n’ont qu’à faire ce qui suit.

Si l’on ouvre un cocq vivant, qui depuis quelques jours n’ait été parmy les poules, & qu’on examine avec le microscope l’humeur contenue dans les testicules de cet animal, & dans les autres parties de la generation, on verra dans cette humeur, quand on en prendroit qu’une portion de la grosseur d’un grain de sable, plus de cinquante mille animaux vivans, ressemblans à des anguilles, & tous dans un mouvement continuel. Pour bien réüssir, il faut d’abord ouvrir au cocq la vene jugulaire, afin de n’être point empêché par l’abondance du sang.

Si l’on fait couper un chien, & qu’aprés en avoir pris un testicule, on examine par le microscope l’humeur qui sortira du vaisseau deferent, on y découvrira un nombre si énorme de petits vers vivans, qu’à peine pourra-t’on croire ses yeux ; dissequez ensuite le vaisseau deferent, vous y trouverez un si grand nombre de vermisseaux, que dans une portion de cette humeur, qui ne sera pas plus grosse qu’un grain de poussiere, vous en verrez plus d’un million. Comme cette expérience ne se peut faire, sans qu’il se mêle quelques goûtes de sang avec l’humeur qu’on examine, vous appercevrez parmy ces vers plusieurs petits globules, qui sont les parties du sang, car elles sont ainsi figurées.

Dissequez les épididymes, ou les parastates, vous y verrez encore la même quantité de vers ; ces vers ont une longue queuë, & un corps composé de plusieurs rondeurs l’une sur l’autre[1]. Voyez à la fin de ce Livre la figure 12. Quand ils sont morts, ils ont une autre figure : voicy comme ils paroissent. Voyez au même endroit figure 13.

Les laites de merluë sont toutes pleines de vers spermatiques, séparez-en une particule, grosse comme la pointe d’une aiguille, examinez cette particule avec le microscope, vous y verrez plus de dix mille animaux à longues queues, tous vivans. Au reste c’est le plus si cent de ces petites particules, posées les unes prés des autres, font la longueur d’un poulce, d’où il s’ensuit qu’à calculer juste, il faut que dans ces laites, qui ont bien quinze poulces, il y ait plus de cent cinquante milliars d’animaux, c’est-à-dire plus qu’il n’y a d’hommes sur la terre.

Leuvvenhock, à qui nous devons ces découvertes, dit qu’il éventra un jour un Loir, & qu’ayant ôté les testicules avec les vaisseaux deferens, il vit dans la liqueur contenuë en ces vaisseaux, un nombre immense d’animaux vivans, ressemblans à des anguilles, dont il donne la figure que voicy[2]. Voyez à la fin, fig. 14. Il rompit plusieurs fils de ces testicules, & il observa avec soin la matiere, donc ces fils étoient remplis, il les trouva pleins d’une humeur crystalline & huileuse, composée de plusieurs parties irregulieres, & d’un nombre infini de ces vermisseaux, dont plusieurs étoient repliez sur eux-mêmes : Les uns paroissoient n’avoir pas encore tout leur accroissement, & n’être pas même encore vivans. Il ajoûte que ces vers spermatiques étoient si petits, que dix mille ensemble ne tenoient pas l’espace du plus petit fil de ces testicules. Il a fait la même experience plusieurs fois, & il a toujours découvert la même chose.

Si l’on ouvre un homme mort subitement, ou un criminel qui vienne d’être executé, on découvrira dans l’humeur des testicules, dans celle des vaisseaux deferens, & des vesicules seminaires, un amas innombrable d’animaux vivans, ayant une grosse tête & une longue queuë. J’ay dit que ces vermisseaux ne s’appercevoient que pendant l’âge propre à la generation : Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à examiner les testicules d’un jeune poulet, & l’on n’y découvrira aucun ver. On peut faire la même chose sur un jeune chien, & l’on n’y en découvrira point non plus.

Qu’on ouvre un enfant d’abord aprés sa mort, on n’y en verra aucun, ni mort ni vivant ; au lieu que dans un homme on en trouve des millions. Ils paroissent languissans, & pour le plus souvent morts dans les gonorrhées : Cela se void en ouvrant des personnes mortes de mort violente, & qui étoient atteintes de maux veneriens, cela se void encore en examinant l’humeur qui sort dans la gonorrhée.

Il ne s’en trouve point dans les ovaires & dans les œufs, on s’en peut convaincre en ouvrant des femmes mortes de morts violentes.

Après le mélange des sexes, le fond de la matrice & les cornes de la matrice, sont toutes pleines de vers, & auparavant il n’y en a point ; pour s’en persuader, il ne faut qu’ouvrir une chienne d’abord après qu’elle a été couverte, car on y apperçoît alors dans la matrice, non des milliers, mais des millions de vers. Ceux qui feront ces experiences, ne pourront s’empêcher d’être étonnez à la vue de ce prodigieux nombre de vermisseaux ; ouvrez une chienne avant qu’elle ait été couverte, vous n’y en découvrirez aucun. On remarque encore plus aisément ces vers dans une brebis, peu de tems après qu’elle a souffert le mâle.

Que doit-on conclure de-là, sinon que les vers spermatiques sont ce qui fait la generation de tous les animaux ? Ces vers ne se trouvent point avant l’âge propre à la generation ; on les void morts ou mourans dans les vieillards, & dans ceux qui ont des gonorrhées, & des maux veneriens. Il n’y en a point dans la matrice avant l’union des sexes, qu’inferer de ces circonstances ? La chose ne semble-t’elle pas parler d’elle-même, & nous dire hautement que l’homme & tous les animaux viennent d’un ver, que ce ver est le racourci de l’animal qui en doit venir ; que si le ver est mâle, il en vient un mâle, que s’il est femelle, il en vient une femelle ; que quand il est dans la matrice, il y prend son accroissement par le moyen d’un œuf, où il entre, & où il demeure le tems arrété par la nature, pour s’y developper entierement, & croître jusqu’à une certaine mesure ; après quoy l’animal force les membranes de cet œuf, & prend naissance.

Il ne faut point d’effort d’esprit, pour se persuader tout cela, il ne faut qu’avoir vû les experiences que nous venons de rapporter. Mais comment ce ver s’engage-t’il dans l’œuf ? Comment sur tout, parmy tant de vermisseaux, qui entrent dans la matrice de la femme, n’y en a-t’il ordinairement qu’un qui devienne fœtus ? Cela n’est pas difficile à comprendre dans le systeme que je vas achever d’établir, l’on verra même qu’il seroit difficile que la chose fût autrement.

Il n’est point necessaire de se declarer avec Leuvvenhoek, contre la doctrine des ovaires & des œufs, & de dire qu’il n’y a ordinairement dans toute la matrice de la femme, qu’un seul point propre à entretenir & à nourrir le ver spermatique ; en sorte que de tous ces vers, il n’y a que celuy qui vient à rencontrer ce point, lequel croisse, & devienne fœtus ; & que les autres meurent enfin faute de pourriture, comme des grains qui ne sont pas en bonne terre. Il est plus naturel de supposer le systeme des œufs, & de leur donner seulement un autre usage, qui est premierement de recevoir, & puis d’envelopper & de nourrir le vermisseau. Or, voicy comme la chose se peut entendre. Quand l’œuf s’est détaché de l’ovaire, & qu’il est tombé dans la matrice, ces vers spermatiques, qui sont tous dans un mouvement continuel, vont dans toute la cavité de la matrice ; ils rencontrent cet œuf, ils tournent à l’entour, ils courent dessus ; & comme l’endroit, par lequel l’œuf s’est détaché de l’ovaire, ressemble à celuy par lequel les fruits se détachent de leur queue, c’est-à-dire que cet endroit laisse une petite ouverture, il est aidé de comprendre qu’entre tant de vers, il n’est pas possible qu’il n’en entre quelqu’un dans l’œuf par cette ouverture. Or, la cavité de l’œuf est petite & proportionnée au volume du ver, qui ne peut se replier pour sortir ; en sorte qu’il est obligé de demeurer enfermé dans l’œuf, où en même tems il ne peut entrer d’autre ver à cause de la petitesse du lieu occupé. Un de mes amis, Docteur de la Faculté de Medecine de Paris, homme extrémement éclairé dans la Physique, & dont j’ay déjà parlé dans le Chapitre III. Article II. est de sentiment, qu’à l’ouverture de cet œuf il y a une valvule, qui permet au ver d’entrer dans l’œuf, mais qui l’empêche d’en sortir, parce qu’elle se ferme de dedans en dehors ; que cette valvule est tenuë en arrest par la queuë du ver, qui donne contre la valvule ; en sorte qu’alors elle ne peut pas même s’ouvrir de dehors en dedans : ce qui est cause qu’un autre ver n’y sçauroit entrer, & cette opinion paroît fort vray-semblable. S’il tombe plusieurs œufs dans la matrice, il entre un ver dans chaque œuf, & alors une femme devient grosse de plusieurs enfans, ces enfans ayant chacun leur œuf, doivent par consequent être enfermez chacun dans des enveloppes à part, & c’est ce que l’experience fait voir.

La femme n’est pas toujours grosse du même jour qu’elle a conçû. Par conception j’entends la première action, par laquelle l’humeur spermatique est retenuë dans la matrice, aprés que l’œuf y est tombé. La matrice se ferme alors exactement, comme l’on sçait, & la matiere qui y est entrée n’en peut échaper ; voila ce qui fait la conception. La grossesse arrive lorsque le ver est entré dans l’œuf ; car il y croît alors, & y devient fœtus : or, il n’y entre pas toûjours aussitôt que la femme a conçû, il se passe quelquefois plusieurs jours, & c’est ce qui fait que les femmes se trompent si souvent, lorsqu’elles veulent juger du tems de leur grossesse, parce qu’elles ne la comptent jamais que du jour auquel elles croyent avoir conçû. Il peut même arriver que ces vers demeurent plusieurs Semaines dans la matrice avant qu’il en entre un dans l’œuf, car ils ne meurent pas sitôt, & si vous enfermez dans une phiole l’humeur spermatique d’un chien, & que vous bouchiez bien la phiole, vous y en verrez encore de vivans plus de sept jours aprés, dont quelques-uns mêmes auront autant de mouvement que les premiers jours. Or, comme la matrice est bien plus propre à conserver ces animaux, que ne le peut être une phiole bouchée, il s’y en peut conserver pendant plusieurs Semaines un assez grand nombre, pour qu’enfin quelqu’un d’entr’eux puisse entrer dans l’œuf, en cas qu’il n’y en soit point entré d’autre. Il peut arriver de-là qu’une femme, dont le mary sera mort peu de tems après le jour où elle aura conçû de luy, n’accouchera neanmoins, que le onziéme ou le douziéme mois, & quelquefois même que le treiziéme, parce que le ver ne sera entré dans l’œuf qu’un mois, que deux mois, & peut-être que trois mois, après la conception. J’avoüe que le cas est difficile, parce que le nombre des vers spermatiques est trop grand, pour qu’il se passe un si long-tems sans qu’il en entre quelqu’un dans l’œuf. D’ailleurs il ne peut gueres arriver que ces vers vivent un si grand nombre de jours dans la seule matrice : mais cela, pour être difficile, ne paroît pas impossible. Aussi a-t’on vû quelquefois de ces sortes d’accouchemens, sans qu’ils fussent le fruit du crime.

Quand le ver spermatique est entré dans l’œuf, il y devient fœtus, c’est-à-dire qu’il y est fomenté & nourri. Ses parties croissent, & se développent insensiblement ; & quand elles ont atteint toute la grandeur qu’elles doivent avoir dans l’œuf, l’animal fait violence à la prison qui le renferme, & prend naissance, comme nous avons déja dit.

Les vers spermatiques ont tous de longues queuës, mais ils quittent ces queues lorsqu’ils deviennent fœtus, il en est comme des petites grenoüilles, qui ne sont d’abord que tête & queuë, & qui ensuite perdent cette queuë, lorsqu’elles commencent à prendre la forme sensible de grenoüilles.

Il ne faut pas conclure de ce systeme, que l’humeur spermatique des chiens renferment de petits chiens, celle des cocqs de petits poulets, celle de l’homme de petits enfans ; c’est une opinion qu’on a attribuée mal à propos à Leuvvenhock dans un Livre, qui a pour titre Collectanea Medico-Physica centur. 5. p. 8. & de laquelle cet Auteur se défend avec raison, En effet, comme il le remarque fort bien, de même qu’on ne peut pas dire que les petits animaux, que le microscope découvre dans presque toutes les eaux, soient des mouches & des papillons, quoiqu’ils deviennent tels dans la suite, ni que le pepin d’une poire soit un poirier, parce qu’il en doit sortir un poirier ; de même nous ne devons pas dire que les vers spermatiques, qui sont encore dans le corps de l’homme, soient de petits enfans, quoiqu’ils doivent devenir tels dés qu’ils seront entrez dans la matrice, ou plûtôt dans l’œuf contenu dans la matrice.

Je prévois icy la pensée de la plûpart des Lecteurs, il me semble leur entendre dire que c’est une chose inconcevable, que dans l’homme, par exemple, un si petit ver soit, sinon un enfant, du moins l’abregé d’un enfant, & que ce que nous appellons formation du fœtus, ne soit qu’un simple developpement, & un simple accroissement de parties ; que pour cela, il faudroit supposer une infinité de parties organiques dans ce ver, & dire par consequent que ces parties sont d’une petitesse infinie ; que d’ailleurs dans ce systeme, il faut supposer necessairement que le ver spermatique, non seulement renferme l’abregé de l’animal qui doit naître, mais qu’il renferme encore l’abregé de tous ceux qui naîtront de cet animal, & non seulement l’abregé de tous ceux-là, mais encore de tous les autres, qui viendront de la lignée de celuy-là : ce qui paroît impossible, à cause de la petitesse, dont il faudroit que fussent ces petits corps organisez, petitesse qu’on ne peut ni imaginer, ni comprendre, & qui par consequent doit faire rejetter le systeme, dont elle est une consequence.

Je réponds à cela, que si l’on ne peut ni imaginer, ni comprendre cette petitesse, il est impossible neanmoins qu’on ne comprenne que cette petitesse, toute inimaginable qu’elle est, doit être necessairement admise ; & pour cela je ne veux que le témoignage des yeux. Les vers spermatiques sont plus de mille fois plus petits qu’un grain de sable, qui est presque invisible : ce sont nos yeux qui nous en convainquent, puisqu’ils nous en font voir plus de cinquante mille dans une portion de matiere, qui n’est pas si grosse qu’un grain de sable, ainsi que nous l’avons remarqué, en parlant de ce qu’on void dans l’humeur spermatique du cocq, du chien, & des autres animaux. Or, que l’on conçoive, si l’on peut, ce que c’est qu’un grain de sable divisé en cinquante mille parties : mais n’en mettons pas tant, contentons nous de dire en mille parties, pour n’effrayer personne, il faut donc admettre qu’il y a des animaux mille fois plus petits qu’un grain de poussiere, qu’à peine nous pouvons voir. Ce n’est pas assez, ces animaux mille fois plus petits qu’un grain de sable, ont un mouvement comme les autres animaux : ils ont donc des muscles pour se mouvoir, des tendons, & une infinité de fibres dans chaque muscle, & enfin du sang ou des esprits animaux extrémement subtils & déliez, pour remplir ou pour faire mouvoir ces muscles, sans quoy ils ne pourroient pas transporter leur corps en differens lieux. Il faut donc admettre des parties encore plus petites que ces animaux. L’imagination se perd dans cette pensée, elle s’étonne d’une si étrange petitesse ; mais elle a beau se revolter, la raison nous convaint de l’existence de ce que nous ne pouvons concevoir.

Ce qui fait nôtre erreur en cecy, est que nôtre vûë étant bornée, nous pensons que l’étenduë le soit aussi ; & au contraire l’étenduë est infinie en un sens, & une petite partie de matiere, qui se cache à nos yeux, est capable, comme dit l’Auteur de la recherche de la verité, de contenir un monde, dans lequel il se trouveroit autant de choses, quoique plus petites à proportion, que dans le monde où nous vivons. Tous les animaux ont d’autres animaux, qui les devorent, & qui leur sont peut-être invisibles, de sorte que ce qu’un ciron est à nôtre égard, ces animaux le sont à un ciron, & peut-être, comme dit si bien le même Auteur, qu’il y en a dans la nature de plus petits, & de plus petits à l’infini, dans cette proportion si étrange d’un homme à un ciron. Nous avons des demonstrations évidentes de la divisibilité de la matière à l’infini, & cela suffit, pour nous faire comprendre qu’il peut y avoir des animaux plus petits & plus petits à l’infini.

Aprés tout, y a-t-il quelque portion de matiere, dont la petitesse puisse borner le pouvoir de Dieu dans la formation de ces petits animaux, non plus que d’aucune autre chose ?

L’experience nous a déjà détrompez en partie, en nous faisant voir des animaux mille fois plus petits qu’un ciron. Pourquoy voudrions-nous qu’ils fussent les derniers & les plus petits de tous, comme le dit encore si bien le même Philosophe ?

Il ne paroît donc pas déraisonnable de penser que dans un seul ver spermatique, il y ait une infinité de corps organisez propres à produire une infinité d’animaux : de sorte que selon cette pensée, qui ne peut paroître bizare qu’à ceux qui mesurent les merveilles de la puissance infinie de Dieu, selon les idées de leurs sens & de leur imagination, on pourroit dire que dans un seul ver spermatique, il y auroit des corps organisez propres à produire des fœtus & des enfans, pour des siècles infinis, toûjours dans la proportion de plus petit en plus petit.

La nature ne fait que developper ces petits corps organisez, elle donne un accroissement sensible à celuy qui est hors de sa semence, & des accroissemens insensibles, mais tres-réels & proportionnez à leur grandeur, à ceux qui sont encore renfermez dans leur semence.

On void dans le germe d’un œuf frais, & qui n’a point été couvé, un poulet, qui est, peut-être entièrement formé. On void des grenoüilles dans les œufs des grenoüilles ; on verroit, sans doute, encore d’autres animaux dans leur germe, si l’on avoit assez d’adresse & d’experience pour les découvrir ; il y a donc de l’apparence que tous les corps des animaux, qui sont nez depuis le commencement du monde, & qui naîtront jusqu’à la consommation des Siecles, ont été créez dans les premiers individus mâles de chaque espece. On pourroit pousser plus loin cette pensée, si l’on ne craignoit avec l’Auteur de la recherche de la vérité, de penetrer trop avant dans les ouvrages de Dieu.

Tenons-nous-en à ce grand principe, que rien n’est grand ni petit en soy, qu’il ne l’est que par rapport à nôtre corps ; & qu’ainsi il ne s’ensuit pas qu’il le soit absolument, puisque nôtre corps n’est pas une mesure certaine, sur laquelle il faille juger de ce que peut être l’étenduë des autres corps. Nous sommes nous-mêmes tres-petits par rapport à la terre, encore plus petits par rapport à l’espace contenu entre nous & les étoiles fixes, plus petits encore, & plus petits, à l’infini, par rapport à des espaces immenses, que nous pouvons imaginer toûjours plus grands & plus grands à l’infini.

Dieu auroit pû faire des hommes, à l’égard desquels nous ne serions que la millieme partie d’un ciron. Il en auroit pû faire d’autres, à l’égard desquels ceux-là même seroient petits ; que serions-nous par rapport à ces plus grands ? Ils nous chercheroient peut-être avec des microscopes, & ne nous trouveroient pas. Nôtre petitesse leur seroit incompréhensible, & si quelques Philosophes parmy eux, les vouloient assûrer de nôtre existence, ils regarderoient, sans doute, leurs discours comme de belles fictions. Mettons-nous à la place de ces hommes, considerons le tort que nous aurions de ne pouvoir comprendre qu’il y eût des hommes si petits par rapport à ce que nous serions, & avoüons que nulle petitesse, quelque inconcevable qu’elle soit, ne doit nous donner le moindre scrupule, & que s’il n’y a pas d’autre difficulté dans le sisteme, que nous venons de proposer, rien ne doit nous empêcher de l’embrasser.



  1. Voyez Leuvvenhoek, part. 3. p. 161.
  2. Et dans Leuvvenhoek p. 26.